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Nouvelles énergies pour la ville du futur

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Eva Boxenbaum
, 
Brice Laurent
, 
Annalivia Lacoste

Partie III - Vers un nouveau modèle de développement urbain

La durabilité in vivo pour l’aménagement urbain

Marien Billard

Note de l’éditeur

Marien Billard est ingénieur et urbaniste. Il est responsable développement durable et réduction de la vulnérabilité à l’Établissement public d’aménagement Orsay Rungis Seine Amont (EPA ORSA). Dans ce texte, Marien Billard s’appuie sur l’expérience de cet établissement public pour mettre en évidence les enjeux de l’aménagement urbain durable. Il propose un modèle d’aménagement in vivo, dans lequel la durabilité s’appuie sur les ressources propres des territoires et négocie avec leurs contraintes.

Texte intégral

Le développement durable, un objectif partagé

1Un Établissement public d’aménagement (EPA) est un outil d’ingénierie dont les deux missions principales sont la définition du projet de territoire dans la négociation avec les partenaires institutionnels et privés d’une part, et la mise en œuvre opérationnelle en tant qu’aménageur d’autre part. C’est un établissement public d’État gouverné par les quatre niveaux de puissance publique : l’État lui-même, la région, le département et les douze communes couvertes par le périmètre d’Opération d’intérêt national (OIN).

2Orly Rungis Seine Amont est un territoire avec ses caractéristiques, son histoire et ses potentiels. Projeter le développement durable de ce territoire, c’est construire des projets valorisant les forces (dynamisme économique, proximité de Paris et desserte en transports en commun) et proposant de nouvelles perspectives à la population et aux entreprises déjà implantées (nouvelles offres de logements, d’emplois, de formation). Toutes les dimensions, sociétale, sociale, économique, environnementale, sont ainsi prises en compte dans la charte de développement durable de l’OIN exprimant les objectifs que se fixe la gouvernance de l’EPA en matière de développement durable. L’EPA est donc l’outil de mise en œuvre d’un projet de territoire par le biais des opérations d’aménagement mais également dans ses négociations avec les grands acteurs du territoire, comme SEMMARIS (Min de Rungis), SILIC, EDF, SNCF, et Aéroport de Paris.

Les enjeux de développement durable d’un aménageur : faire de l’existant un atout

3Le développement durable est inscrit dans les gènes de l’OIN ORSA. Son positionnement en proche couronne et en site habité réduit, de fait, la consommation d’espaces agricoles et les distances à parcourir pour les déplacements des populations. La présence de nombreuses gares (existantes et à venir) du réseau de transport en commun régional, la préexistence de la ville, de ses réseaux, de ses services, de son histoire, favorisent un développement urbain intégrateur. C’est le modèle du renouvellement urbain. Au contraire, le modèle de développement en extension urbaine est gourmand en création de réseaux (assainissement, électricité, télécom, chauffage, etc.) et de services (écoles, commerces, équipements, etc.) là où le renouvellement urbain ajuste l’offre par rapport à l’existant, met à niveau l’offre déjà implantée. Le renouvellement de la ville sur la ville s’appuie sur un tissu vivant et le complète.

4Les secteurs de projet d’un aménageur sont issus de plusieurs nécessités, pour trouver une échelle territoriale d’action pertinente : celle de lever des contraintes posées par des systèmes d’organisation locaux trop enclavés, et de rétablir les équilibres régionaux notamment dans la production de logements. L’Établissement public d’aménagement a ainsi aussi un rôle à jouer pour faire face à la crise actuelle du logement.

5Cet établissement doit par conséquent composer avec des fonctions métropolitaines vitales dans l’objectif d’une optimisation de l’occupation foncière sur ces territoires. Les contraintes sont ici maximales, car les secteurs de projet sont avant tout chose des territoires de vie, dont la gestion implique d’avoir la qualité de vie comme fil directeur et d’imaginer la continuité territoriale dans laquelle on s’inscrit. Ceci ne veut pas dire que certaines zones ne puissent être réaménagées, et leurs utilisations redéfinies. Aujourd’hui, les zones sur lesquelles des actions de grande ampleur sont possibles sont des anciennes zones industrielles ou toujours actives, avec une forte capacité de redéveloppement des sites.

6Les périmètres d’aménagement s’inscrivent dans une continuité territoriale qui est à inventer : les enjeux consistent par exemple à rendre plus urbains certains secteurs des villes, et grâce au réaménagement, à redonner du liant urbain sur le territoire entre différentes entités urbaines.

7C’est sur ces hypothèses que l’EPA a construit, avec les membres de sa gouvernance, un projet de territoire, le Projet stratégique directeur. Ce projet de territoire s’est ensuite vu doté d’une charte de développement durable fixant des engagements de durabilité pour l’ensemble des acteurs de l’aménagement de ce secteur. L’EPA n’étant pas une structure monopolistique, l’objectif est que les engagements de cette charte soient pris en compte par l’ensemble des opérateurs du territoire pour garantir une cohérence entre les projets de développement de tous les acteurs. C’est la raison pour laquelle l’EPA a construit sa charte de développement durable en partenariat avec l’ensemble des acteurs impliqués dans sa gouvernance afin que cette dernière s’applique à l’ensemble du territoire et ses projets.

8L’enjeu posé dans cette charte de développement durable est de produire le plus d’effets de levier sur le territoire concerné. Comment le quartier nouveau peut-il participer à l’amélioration de l’ensemble de la ville constituée ? Considérons par exemple le cas de l’offre énergétique. De nombreux logements sur le territoire sont chauffés par des réseaux de chaleur. Ces réseaux de chaleur, qui sont l’héritage de pratiques anciennes de gestion collective du chauffage urbain sur le territoire, sont alimentés par des énergies fossiles (gaz, charbon notamment) ou par des énergies durables comme de récupération de chaleur sur l’incinération des déchets ou la géothermie (récupération de la chaleur des nappes d’eaux chaudes souterraines). Le projet d’ampleur des Ardoines à Vitry-sur-Seine (1,6 millions de m² de logements, d’emplois, de services et d’équipement sur deux zones d’aménagement concerté) sera desservi par ce réseau de chaleur. Grâce à son ampleur, ce projet permet de dégager l’économie suffisante pour justifier un nouveau forage géothermique et donc améliorer encore le ratio d’énergie renouvelable dans un réseau de chaleur qui desservira aussi bien le nouveau quartier que la ville historique. L’opération de réaménagement s’appuie ici sur un réseau existant qui permet un approvisionnement en chaleur à moindre coût, utilisé traditionnellement avec des énergies fossiles, mais qui peut fonctionner également grâce à d’autres sources d’énergie. La « durabilité » de l’opération n’est pas fondée sur l’application d’un modèle extérieur, mais s’appuie sur les ressources propres du territoire. Elle conduit, dans ce cas, à favoriser la construction ou la réhabilitation de bâtiments qui consomment un peu de chaleur (pour rendre économiquement viable le réseau de chaleur et permettre ainsi la stabilité des coûts pour les usagers) plutôt que l’introduction de bâtiments à énergie positive qui rendraient inutile le réseau de chaleur existant et obligeraient à repenser profondément les paramètres techniques, économiques et sociaux du chauffage sur ce territoire.

Le métier d’aménageur : élaborer un modèle économique pour un modèle urbain durable

9Même si l’enjeu pour la puissance publique est bien la cohérence entre toutes les logiques de développement, le métier d’aménageur est limité. Il s’agit de transformer un foncier pour le viabiliser et le vendre contre des droits à construire. Ces droits à construire vendus à des promoteurs, à des bailleurs, à des collectivités permettent de réaliser les ouvrages, les logements, les emplois nécessaires au développement de la ville. Ce métier est basé sur un modèle économique, au sein duquel les dépenses engagées pour acheter les terrains, les dépolluer, en étudier les potentiels doivent être contrebalancées par des recettes engendrées par la vente de ces terrains viabilisés.

10L’exemple de la production de logement sur une friche industrielle est une bonne illustration du fonctionnement et des effets de ce modèle économique. Produire des logements correspondant au besoin (taille, typologie, localisation, desserte, etc.) et aux moyens financiers des ménages relève d’un équilibre ténu. Un terrain industriel, même sous-exploité, possède une valeur foncière et un historique d’usage. Ce sont ces deux paramètres qui vont déterminer le prix de rachat. Sa valeur foncière est liée à l’usage au moment de l’achat (déterminé par le Plan local d’urbanisme) et à son positionnement géographique (proche des services, accessiblité routière, etc.). Cette valeur dépend donc du marché. Son historique va infléchir ce prix, en fonction des besoins de dépollution par exemple. Ces deux paramètres permettent de fixer un prix de rachat. Ce prix n’est pas le même pour un usage extensif de l’espace (c’est le cas pour des terrains agricoles par exemple) et d’autres usages, comme des activités industrielles ou des logements. À ce prix de rachat, il faut ajouter les coûts engendrés par la remise en état du secteur (dépollution, démolition, renivellement, etc.), les études techniques (géotechniques, hydrologiques, énergétiques, etc.), les infrastructures (routières, espaces publics, réseaux divers, etc.) et les frais (financiers, de fonctionnement, etc.). Le total fournit le bilan des dépenses de l’aménageur. Ces dépenses sont équilibrées par la vente de droits à construire sur la parcelle initialement industrielle redécoupée pour accueillir d’autres vocations. Ces droits à construire représentent un nombre de m² constructibles pour l’opérateur immobilier, un promoteur par exemple. Afin de fournir une enveloppe performante (esthétique, thermique, d’usage,…) tout en restant dans les équilibres financiers, la tendance naturelle sera de densifier, c’est-à-dire d’augmenter au maximum le nombre de m² construits).

11Or l’objectif final d’un promoteur est de vendre des biens immobiliers à des particuliers (par exemple) qui ont des moyens et des désirs (la ville à la campagne, une densité « à taille humaine », un habitat performant, plus d’espaces intérieurs et extérieurs, la proximité aux transports, aux services etc.). Le prix de vente doit donc correspondre aux moyens des usagers, c’est la logique de marché. Le prix destiné aux usagers finaux est fixé par les capacités financières de ces usagers. Mais la performance en matière de développement durable (isolation thermique, utilisation d’énergies renouvelables) a un coût. Ce coût n’est souvent pas endossé par celui qui va obtenir le retour sur investissement. Par exemple, un particulier va acheter un bien immobilier pour dix ans alors que le retour sur investissement lié aux charges de chauffage par exemple ne sera complètement effectif qu’après quinze ou vingt ans.

Vers d’autres modèles urbains et/ou économiques pour le renouvellement urbain ?

12Le réaménagement durable d’une friche urbaine en un territoire réhabilité est donc un défi. Il s’agit de transformer un foncier parfois pollué, souvent peu amène (en termes d’espaces publics, de services, de commerces) en un quartier d’habitat et d’emploi performant du point de vue environnemental, social et économique, c’est-à-dire en permettant au plus grand nombre d’accéder aux logements proposés, proposant de l’emploi pour tous dans une logique de sobriété des consommations des ressources.

13Aujourd’hui, il apparaît que le renouvellement urbain durable, c’est-à-dire performant tout en restant réaliste (donc, qui offre des prix aux usagers finaux acceptables), nécessite une aide publique. À défaut, la rentabilisation de l’espace n’est plus socialement acceptable (si elle impose, par exemple, une densification trop forte). À la contrainte financière s’ajoute la nécessité de faire avec des attentes des parties prenantes (élus locaux, industriels, institutions publiques régionales ou nationales, etc.) qui ne sont pas nécessairement convergentes. La pratique du renouvellement urbain durable telle qu’elle est expérimentée par l’EPA ORSA montre que l’objectif réaliste ne peut être celui de la performance généralisée : la transformation de la ville doit s’intégrer dans l’existant et faire avec des contraintes fortes, tout en maintenant un niveau élevé d’exigences (économiques, sociales, environnementales, etc.). Elle implique des échanges soutenus avec les acteurs économiques et sociaux.

De l’éco-quartier ex nihilo à l’éco-cité in vivo en site urbain habité

14L’éco-quartier est aujourd’hui mis en avant comme modèle de développement durable en milieu urbain. Le cas décrit par Nicole Biggart, dans ce volume, en fournit une illustration parlante, qui permet d’insister sur la valeur démonstrative du dispositif de l’éco-quartier. Il s’agit, par exemple, de prouver que des niveaux élevés de performance énergétique sont atteignables, mais aussi de fournir à des chercheurs un terrain d’étude « hors-sol », un nouveau laboratoire expérimental où le moindre paramètre est contrôlé, afin de perfectionner encore les niveaux de durabilité. Ces expériences ont un intérêt évident, mais elles doivent être contrastées par d’autres cas qui eux, ne sont pas ex nihilo mais bien in vivo, dont le cas de l’EPA ORSA fournit une bonne illustration. On risque sinon de multiplier la création de « bulles vertes » non connectées à leur environnement extérieur, dont le développement ne profite pas aux zones urbaines voisines (par exemple parce qu’elles n’y sont par liées par les transports en commun).

15Dans l’aménagement urbain in vivo, il faut faire au mieux avec de multiples contraintes, mais aussi s’efforcer d’assurer les connexions entre les zones réaménagées et le reste du tissu urbain. Le renouvellement urbain de Villeneuve-Saint-Georges, par exemple, a été opéré sur une commune très sinistrée, déqualifiée à cause des nuisances sonores de l’aéroport d’Orly tout proche, ce qui a entraîné une paupérisation du sud du centre-ville qui s’est étendue ensuite au centre-ville. Dans le cadre de ce projet de renouvellement, le centre ancien dégradé va être profondément réhabilité dans les années à venir. Il ne sera pas aussi performant qu’un éco-quartier neuf en termes de performance thermique ou de gestion des eaux. Mais la durabilité de ce territoire est bien réelle, car elle n’est pas seulement conditionnée aux bons résultats énergétiques d’une section réduite du territoire : la zone concernée est vitale pour la ville de Villeneuve-Saint- Georges qui ne saurait vivre sans son centre-ville ; de plus le secteur concerné est à moins de dix minutes de Paris par le RER D.

16Finalement, ces expériences urbaines in vivo sont fondées sur une base inverse de celle des expériences ex nihilo d’éco-quartier. Plutôt que d’optimiser l’ensemble des paramètres et de construire les bâtiments, le territoire et les usagers en fonction de cette optimisation, il s’agit ici de s’appuyer sur la situation existante pour concilier au mieux des contraintes qui peuvent être fortes. Les expériences in vivo considèrent que le gisement de durabilité se situe au cœur même de la ville, là où se trouvent les transports et les services, là où vivent les habitants. Elles sont fondées sur la volonté de faire de la durabilité une affaire d’intérêt général, qui concerne directement les habitants de la ville plutôt qu’une communauté bien choisie susceptible d’habiter un quartier isolé. Il importe ensuite de conserver suffisamment de flexibilité pour autoriser des usages non prévus, des transformations dans les attentes de tel ou tel acteur, des évolutions non anticipées dans les territoires liés à celui sur lequel on agit. C’est à ces enjeux que doivent faire face les aménageurs.

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