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Abécédaire des architectures distribuées

 | 
Cécile Méadel
, 
Francesca Musiani

33. Super pairs et modèles hybrides

Francesca Musiani

Texte intégral

1Dans un scénario global de l’Internet où dominent les connections asymétriques et la concentration des ressources, le P2P se profile comme la technologie capable de fournir à un système la capacité de servir des ressources avec une grande disponibilité à un coût inférieur, tout en maximisant l’utilisation des ressources de la part de chaque pair connecté au réseau. Les solutions client-serveur tirent leur force du fait que le fournisseur ajoute, dans les cas où le nombre de clients augmente, des ressources additionnelles – bande passante, équipement, accès physique. Le P2P peut obtenir un niveau de robustesse semblable en partageant les demandes de ressources sur l’ensemble du réseau.

2Cependant, dans la pratique, le P2P « pur » ou intégral – celui qui utilise une structure de réseau complètement décentralisée – n’est presque jamais utilisé, au profit de modèles et solutions hybrides. Des choix architecturaux extrêmes, dans une direction ou dans l’autre, ne se révèlent que rarement la meilleure option quand il s’agit de construire un système « utilisable » (usable, Taylor & Harrison, 2009 : 197) : le développement des services Internet P2P est une histoire de compromis et d’épreuves, ainsi que de choix d’attribuer à certains pairs, particulièrement performants, stables ou présents dans le réseau, un rôle de coordination et de gestion de tâches spécifiques.

3« Bien que la décentralisation ne soit pas une condition nécessaire à un système P2P, elle est une condition souhaitée » (Taylor & Harrison, 2009 : 125). En particulier, lors de la phase de conception d’un système P2P, la plupart des développeurs se trouvent face à un compromis : mêler suffisamment de décentralisation et de centralisation pour que le système soit à la fois résistant aux ruptures et capable de passer à l’échelle en cas d’augmentation substantielle du nombre d’utilisateurs. Plutôt que la présence ou l’absence d’un ou plusieurs nœuds centraux, ce qui qualifie le P2P comme une technologie « décentralisée » est le fait que la responsabilité du réseau se voit poussée, de manière plus ou moins centrale mais toujours importante, aux marges ou à la périphérie du réseau, au lieu d’être maintenue dans un point central et concentré.

4Plusieurs tentatives visant à extraire les points communs aux différents systèmes étiquetés sous le terme pair-à-pair, et à donner une définition inclusive, ont été mises en œuvre dès la naissance de ces systèmes à l’aube du nouveau millénaire. En 2000, Clay Shirky tente la définition suivante :

« Le pair-à-pair est une catégorie d’applications qui tire profit de ressources (par exemple capacité de stockage, cycles processeur, contenus, activité humaine) disponibles aux marges de l’internet. Puisque l’accès à ces ressources décentralisées comporte d’opérer dans un environnement doté d’une connectivité instable, et adresses IP imprévisibles, les nœuds P2P doivent opérer en dehors du système DNS et avoir une autonomie importante, voir totale, par rapport à tout serveur central » (Shirky, 2000).

5Il s’agit donc de systèmes d’ordinateurs ou de dispositifs « aux marges du réseau », qui opèrent dans des environnements transitoires et souvent fragiles, qui se connectent et déconnectent fréquemment du réseau, sont souvent cachés derrière un pare-feu, utilisent des protocoles de transport et systèmes d’exploitation souvent différents, avec des systèmes formés par une quantité de terminaux souvent énorme et plusieurs millions de pairs interconnectés.

6La deuxième partie de la définition de Shirky en limite par ailleurs le degré de globalité, en excluant du P2P des systèmes de calcul distribué ou réparti, tels que SETI@home, et ce à cause du contrôle central inhérent à ces systèmes. Cette définition, en se concentrant sur l’environnement des dispositifs et des ressources, marque aussi un changement par rapport aux définitions précédentes qui s’étaient focalisées exclusivement sur le statut de « servents » (serveur et client à la fois) des nœuds d’un système P2P, et sur le fait que, pour être de « vrais » systèmes P2P, ceux-ci devaient être complètement décentralisés :

« Un pair peut fonctionner à la fois en tant que client et en tant que serveur (dans le système Gnutella, ils appellent cela des « servents » […]) Le réseau est complètement décentralisé et n’a pas de point de contrôle. Les pairs, dans un réseau Gnutella, sont connectés typiquement à trois ou quatre autres nœuds et afin de rechercher [les contenus souhaités], on lance une requête dans la totalité du réseau » (Shirky, 2000).

7Bien que dans les systèmes P2P les plus modernes, la définition de pair réponde souvent à celle employée dans Gnutella, les réseaux P2P ne doivent pas être nécessairement complètement décentralisés. Les implémentations plus modernes de Gnutella, par exemple, utilisent une approche à la fois centralisée et décentralisée, afin de faciliter le passage à l’échelle du réseau et augmenter l’efficacité des recherches. Ces réseaux sont implémentés en utilisant des « super-pairs », des nœuds « plus centraux que d’autres » qui conservent en cache les informations d’emplacement des données ; les pairs peuvent ainsi obtenir une réponse à leurs recherches en ne recherchant que dans une petite fraction de l’ensemble du réseau. En règle générale, ce sont les tâches que l’on pourrait qualifier d’« administratives » – de coordination et de gestion – qui sont traitées par les super-pairs ; ceux-ci sont non seulement particulièrement performants, mais ils se distinguent également par un degré élevé de disponibilité dans le réseau.

Auteur

Chargée de recherche au CNRS, chercheuse à l’Institut des sciences de la communication (CNRS/Paris-Sorbonne/UPMC), chercheuse associée au Centre de sociologie de l’innovation (MINES ParisTech-CNRS).

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