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Abécédaire des architectures distribuées

 | 
Cécile Méadel
, 
Francesca Musiani

21. Mobilité

Annie Gentès et François Huguet

Texte intégral

1Analyser les modes d’existence des architectures informatiques distribuées nécessite de porter une attention particulière aux manières dont ces dernières sont « travaillées » par la question récente de la mobilité, de la « portabilité » de nos terminaux de communication (voir Informatique ubiquitaire, pervasive*). Les terminaux mobiles qualifient un mode d’être nomade qui s’est généralisé. Ils sont au cœur de nombreux enjeux sociopolitiques, économiques, juridiques et culturels et semblent aujourd’hui interroger l’ensemble des espaces et des réseaux sociotechniques qu’ils traversent.

2Sur le plan technique, la mobilité pose des problèmes de qualité de service qui doit être maintenue malgré les déplacements et par voie de conséquence d’une capacité d’anticipation des mobilités, d’une réplication des données pour éviter les pertes, d’une optimisation dynamique des réseaux. La mobilité est par ailleurs sous-tendue par deux visions antithétiques : une disponibilité de n’importe quel contenu, n’importe quand, n’importe où – comme le rappelle Christian Licoppe (2009), « le développement des dispositifs mobiles de communication portable est soutenu par une utopie de la communication “partout, toujours” » – versus une forme d’unité « classique » de temps, d’action et de lieux.

3Une question nouvelle apparaît en effet : comment adapter les contenus à un espace-temps précis ? Ces deux visions entraînent des choix technico-politiques distincts. Dans le premier cas, l’architecture doit être centralisée. On est dans une logique d’extension du réseau fixe au réseau mobile. Le deuxième cas ouvre la possibilité d’une autonomie – au moins partielle – de sous-réseaux efficaces mais situés et liés à des événements.

4Ces dispositifs mobiles redéfinissent notre rapport non seulement aux objets techniques qui permettent de communiquer, mais également, et peut être plus profondément encore, à la notion de média. En effet, ce qui fait information (« pris sur le vif » dans des espaces/temps qui deviennent autant d’événements en puissance) et ce qui fait communication (les modalités de circulation des informations, le statut des interlocuteurs) sont modifiés dès lors que toute la boucle de production et de réception est mobile. En particulier, les services de la mobilité qui adhèrent à une vision « localisée » de l’information font apparaître aussi de nouveaux acteurs (Gentès et al. 2008). Ce qui les oppose aux architectures distribuées classiques et fixes de services internet c’est qu’ils constituent, de par leur existence et leur présence sur un espace proche géographiquement, la seule et unique infrastructure nécessaire à leur fonctionnement.

5En revanche, si les terminaux mobiles, en tant qu’entités infrastructurelles38, peuvent reproduire un ensemble de nœuds, de pairs, d’éléments d’une architecture distribuée et se mettre en réseau de manière décentralisée et autonome, trouver des services et des dispositifs réellement décentralisés et mobiles n’est pas toujours chose aisée. En déconstruisant le fonctionnement de services mobiles et en regardant de près, par exemple, des applications de smartphones qui revendiquent le fait de faire du pair-à-pair mobile – comme l’appli iPhone/Androïd Bump –, on se rend vite compte qu’il s’agit en fait de services non distribués qui reposent sur un modèle client-serveur très marqué.

  • 39  Par exemple les serveurs des FAI, les serveurs téléphoniques nationaux ; ce niveau infrastructurel (...)

6En effet, les infrastructures techniques qui nous permettent d’utiliser les technologies mobiles reposent, la plupart du temps, sur des architectures très centralisée ; le système GSM (Global System for Mobile Communications) en est, d’ailleurs, un très bon exemple. Reste qu’au delà de ce degré infrastructurel qui centralise, parfois, et fait passer, toujours, des paquets de données autour de grands nœuds concentrateurs39 certains services correspondent tout à fait à cette idée d’une forme d’organisation de systèmes de communication où tous les hôtes (ou « pairs ») sont connectés de proche en proche sans hiérarchie centrale (serveur). Les réseaux Mesh* illustrent cette idée de distribution mobile. Effectivement, ces dispositifs sont de bon exemples d’architectures distribuées mobiles mais les talkies walkies pourraient également représenter très bien ces architectures, tout comme les communautés de Cibistes qui sont, elles, plus vieilles et qui ne permettent pas de faire circuler des paquets de données.

7Formant une topologie de réseau en forme de filet (au sein de laquelle l’information est totalement distribuée entre les utilisateurs-clients – type le plus poussé de décentralisation informatique mobile), la distribution mobile permet d’envisager, d’une manière originale, nos écologies communicationnelles. Elle permet également de préfigurer ce qu’une informatique pervasive* raisonnée nécessiterait en termes d’architectures réseaux.

8La mobilité des acteurs des réseaux sociotechniques relatifs aux NTIC vient, quant à elle, redéfinir les capacités intrinsèques que doivent posséder nos appareils communicants. Pour « faire réseau » de manière ad-hoc, il semble impératif que l’ensemble des appareils électroniques puissent échanger directement entre eux, sans dépendre d’un serveur central. Si on souhaite « faire de l’intelligence ambiante », il semble tout à fait nécessaire de distribuer cette intelligence entre les terminaux électroniques (mobiles ou pas) de nos environnements. De ce fait, une informatique ubiquitaire raisonnée semble s’articuler forcément sur des architectures distribuées mobiles et hybrides, où chaque terminal est en mesure de faire passer un message à un autre terminal sans dépendre d’un serveur central. Cette communication entre machines dessine des écologies hybrides où la mobilité des acteurs est presque toujours indispensable.

9Ce type d’infrastructure mobile et distribuée porte en elle le projet d’un rapport nouveau au temps et pas seulement à l’espace. Designer le rythme, la ponctuation, le décalage des plans temporels (soit accélérés soit ralentis) permettrait de remédier aux formes de sidération analysées par Augé (2009) : « penser la mobilité dans l’espace, mais être incapable de la concevoir dans le temps, telle est finalement la caractéristique de la pensée contemporaine prise au piège d’une accélération qui la sidère et la paralyse. Mais, pour cette raison même, c’est dans l’espace qu’elle trahit d’abord son infirmité ».

Notes

38  Voir MESH* et Commotion*.

39  Par exemple les serveurs des FAI, les serveurs téléphoniques nationaux ; ce niveau infrastructurel est d’ailleurs similaire aux échanges d’informations via des services internet « fixes ».

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