Version classiqueVersion mobile

Éducation populaire : engagement, médiation, transmission (XIXe-XXIe siècles)

 | 
Jean-Charles Buttier
, 
Clothilde Roullier
, 
Agnès Sandras

II. Les métiers de l'éducation populaire aujourd’hui

Carmen Mena Gasco : une carrière d’animatrice/directrice auprès des enfants

Francis Lebon

Note de l’éditeur

Dans le cadre de l’atelier « Animer les quartiers et les villages », coordonné par le sociologue Francis Lebon, qui s’est tenu aux Archives nationales le 7 novembre 2019, Carmen Mena Gasco est venue témoigner de sa carrière dans des centres de loisirs. Francis Lebon a ensuite produit ce portrait, en s’appuyant à la fois sur un entretien qu’il a eu avec elle le 28 mai 2019, sur ce qu’elle a raconté lors de l’atelier, sur une correspondance qu’il a eue avec elle en décembre 2020 et sur des sources conservées aux Archives municipales de Fontenay-sous-Bois.

Texte intégral

  • 1 Francis Lebon, « Une politique de l’enfance, du patronage au centre de loisirs », Éducation et soci (...)
  • 2 Françoise Cluzel, « Le patronage municipal », Magazine d’informations municipales, no 31, décembre (...)
  • 3 Francis Lebon, « Des “mamies tricoteuses” aux animatrices de centres de loisirs maternels (1970-197 (...)

1Les centres de loisirs pour enfants s’inscrivent dans la longue histoire des patronages confessionnels et laïques1. L’association du patronage municipal de Fontenay-sous-Bois, qui a vu le jour en 1925, a proposé une large gamme d’activités pour les garçons et les filles de la commune : promenades, séances de cinéma, gymnastique, etc.2. Dans les années 1970, le patronage devient un « Centre de loisirs municipal » associatif, dans un contexte où progressent le travail salarié des femmes et une certaine psychologisation des pratiques éducatives soutenue par de nouvelles classes moyennes scolarisées3. En 1984, ses activités sont confiées à deux associations, l’une pour la jeunesse (Jeunesse avenir), l’autre pour l’enfance (Enfance loisirs). Cette dernière, présidée par le maire, est dissoute début 1991. Ses activités sont alors municipalisées au moment où Carmen commence sa carrière dans l’animation.

2Née en 1961, Carmen Mena Gasco est issue d’une famille nombreuse (6 enfants), populaire (père ouvrier, mère au foyer) et catholique. Titulaire du bac, elle a fui la dictature en Uruguay, à 24 ans, avec un enfant et son compagnon (à présent peintre automobile). Elle est marquée par ce contexte politique où ses grands frères et sœurs, engagés, ont tous quitté leur pays d’origine : « j’ai vécu dans une dictature où il y a des choses qu’on ne peut pas dire et qu’on ne peut pas faire ». Carmen arrive ainsi en France à la fin de l’année 1984 en tant que réfugiée politique, une expérience qui lui semble, à présent, en lien avec son métier : « ça m’a permis d’appliquer ce militantisme dans ma vie professionnelle d’autant plus que je suis arrivée à Fontenay », ville communiste dont elle partage l’orientation politique. Elle a une « dette morale » envers la ville de Fontenay qui a accueilli beaucoup de réfugiés latino-américains. Elle est d’ailleurs impliquée dans le monde associatif de la « communauté latino-américaine » et participe par exemple à l’organisation de la fête de la Madelon à Fontenay.

  • 4 Jérôme Camus, « En faire son métier : de l’animation occasionnelle à l’animation professionnelle », (...)

3Carmen estime être entrée dans l’animation « tout à fait par hasard », par l’intermédiaire d’une amie qui lui a expliqué comment fonctionnent « les animations du midi », à un moment où ses propres enfants étaient scolarisés (un enfant naît en 1978, l’autre en 1986). L’animation est relativement mal connue et mal reconnue, si bien qu’on s’imagine rarement en faire son métier lorsqu’on est jeune. On en fait son métier « petit à petit, on se forme, on est accompagné ». Elle commence en 1989 « à faire les cantines » et apprécie « le contact avec les enfants ». Cette mère de deux enfants acquiert ainsi de l’expérience4, étend son temps de travail et diversifie ses plages horaires : le matin, le soir, les mercredis et pendant les vacances scolaires. « Pendant un an ou deux, c’étaient plus des remplacements, ce n’était pas stable. Quand on m’appelait, j’étais bien contente, je cherchais du travail. » L’association paramunicipale l’appelle de plus en plus souvent, elle devient vacataire à temps complet pendant plusieurs années, au moment où les centres de loisirs deviennent municipaux. Aujourd’hui, le fonctionnement de ces centres implique un nombre important de personnels dotés de différents statuts : une centaine de fonctionnaires titulaires sont secondés, au cours d’une année, par environ 400 vacataires.

  • 5 Sur la trajectoire professionnelle et militante de deux hommes plus âgés (François et Louis, nés en (...)
  • 6 Martine Kherroubi, Francis Lebon, « Regards sur les mondes professionnels de la “co-éducation” – In (...)
  • 7 Bafa : Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur ; BAFD : Brevet d’aptitude aux fonctions de dire (...)

4Carmen fait partie de ces femmes5 et de ces cadres de proximité qui ont fait carrière dans l’animation péri et extra-scolaire des enfants. Accédant aux « petites » classes moyennes, elle était « dans le bon poste au bon moment », notamment pour devenir fonctionnaire de catégorie B. Le conseil municipal de Fontenay s’empare en effet, en mars 1998, de la possibilité de créer des postes d’animatrices/animateurs fonctionnaires du fait de la création, en 1997, dans la fonction publique territoriale, de la « Filière animation » : 50 postes d’animateurs (catégorie B), 20 postes d’adjoints et 90 postes d’agents (catégorie C) sont créés. « Quand je suis devenue fonctionnaire, ça a été logique, je n’ai pas postulé. » Elle a exercé comme directrice dans plusieurs centres, notamment à Henri-Vallon, Édouard-Vaillant et Pierre-Demont dans une organisation complexe qui comporte à présent trois secteurs géographiques. Le temps de travail est annualisé. Elle travaille généralement le matin (7 h 30-13 h 30), le mercredi toute la journée et une soirée (le jeudi) jusqu’à 18 h 30. Elle dispose de « marges de manœuvre » et de liberté, même s’il faut composer avec des cadres hiérarchiques parfois autoritaires. Début 2021, son équipe comprend 15 animateurs/surveillants. Elle tente d’établir avec eux une relation « basée sur la confiance, le dialogue et la vie démocratique », tout en fixant « les objectifs » à atteindre. La relation avec les enseignantes est bonne et Carmen apporte une attention particulière aux relations établies avec les familles. Tout cela témoigne d’une division du travail éducatif à l’école primaire et des injonctions au travail collectif. De même que l’activité artistique ne fonctionne qu’avec l’aide d’activités conduites par du « personnel de renfort » (Howard Becker), le travail éducatif de l’école est soutenu par l’intervention de différentes catégories de professionnels6. Si Carmen s’est largement formée par l’expérience et la pratique, sa carrière a suivi différentes étapes qui correspondent à différents échelons des formations à l’animation : le Bafa (1992), le BAFD (1995) puis le Beatep (2005)7.

5Ses conceptions du métier et de l’enfance sont liées à sa trajectoire politique. Venant d’un pays en dictature, l’enfant représente un renouveau, il est « l’avenir de l’homme ». L’animation permet par ailleurs un « échange » avec le public, elle lui a permis « d’apprendre avec les enfants », sans jugement, y compris le français, qu’elle a aussi appris avec ses propres enfants. Attachée au service public, elle « rend un service à la population », pour l’enfant, ce « trésor » qui doit être construit, accompagné, etc. L’enfant « se renouvelle tous les jours », ce qui lui permet de partiellement échapper aux routines. L’exercice de ce métier a eu des conséquences sur ses pratiques éducatives familiales. Elle fait ainsi de la « motricité » avec ses propres enfants et ses trois petits enfants, etc. « Ce qui me plaît beaucoup dans l’animation, c’est le concept d’éducation populaire, de l’éducation de l’homme, pour l’homme, d’apporter, de donner, de recevoir. » Elle a aujourd’hui intégré le fait de parler français aux enfants, une sorte de « déformation professionnelle » liée à sa trajectoire migratoire qui associe l’éducation avec le français plutôt qu’avec l’espagnol. Elle n’habite plus Fontenay pour des raisons financières, une situation qui lui permet d’avoir un peu plus d’indépendance, car elle était souvent sollicitée par la population. Le mercredi et pendant les vacances scolaires, son mari s’occupait des enfants, ce qui a facilité sa carrière professionnelle.

  • 8 Francis Lebon, Entre travail éducatif et citoyenneté : l’animation et l’éducation populaire, Nîmes, (...)

6Cette trentaine d’années auprès des enfants est exemplaire d’un univers de travail qui se conjugue très majoritairement au féminin et qui permet, sous certaines conditions, des carrières professionnelles de longue durée dans l’animation, dans un contexte où les effectifs d’animateurs/animatrices ont triplé depuis la fin des années 1980, passant d’environ 65 000 à près de 200 000 aujourd’hui8.

Notes

1 Francis Lebon, « Une politique de l’enfance, du patronage au centre de loisirs », Éducation et sociétés, no 11, 2003.

2 Françoise Cluzel, « Le patronage municipal », Magazine d’informations municipales, no 31, décembre 2006.

3 Francis Lebon, « Des “mamies tricoteuses” aux animatrices de centres de loisirs maternels (1970-1973) », dans Cadres de jeunesse et d’éducation populaire 1918-1971, coordonné par Françoise Tétard, Denise Barriolade, Valérie Brousselle et Jean-Paul Égret, Paris, La Documentation française, 2010, p. 280-288.

4 Jérôme Camus, « En faire son métier : de l’animation occasionnelle à l’animation professionnelle », Agora débats/jeunesses, 2008, no 48.

5 Sur la trajectoire professionnelle et militante de deux hommes plus âgés (François et Louis, nés en 1945 et 1947) qui travaillent « à ne pas reproduire l’ordre social », voir Julie Pagis, Mai 68, un pavé dans leur histoire, Paris, SciencesPo, 2014, p. 160-178.

6 Martine Kherroubi, Francis Lebon, « Regards sur les mondes professionnels de la “co-éducation” – Introduction », Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, vol. 50, n4, 2017.

7 Bafa : Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur ; BAFD : Brevet d’aptitude aux fonctions de directeur ; BEATEP : Brevet d’État d’animateur technicien de l’éducation populaire et de la jeunesse, auquel a succédé le BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport).

8 Francis Lebon, Entre travail éducatif et citoyenneté : l’animation et l’éducation populaire, Nîmes, Champ social, 2020.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Lire

Open access

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search