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Chantiers et matériaux de construction

 | 
Anne Baud
, 
Gérard Charpentier

La mise en œuvre d’une charpente à chevrons-formant-fermes du xiiie siècle : l’exemple expérimental de Guédelon

Frédéric Épaud

Note de l’éditeur

Avec la collaboration de : Nicolas Touchefeu [contributeur]Jean-Michel Huré [contributeur]Florian Renucci [contributeur] les charpentiers équarisseurs du château expérimental de Guédelon [contributeur]

Texte intégral

Le chantier de Guédelon

  • 1 Anne Baud, maître de conférence à l’université Lumière Lyon 2, Nicolas Reveyron, professeur à l’un (...)

1Dans l’Yonne, au cœur d’une forêt de la Puisaye, un château philippien est en cours de construction. Une quarantaine d’ouvriers (carriers, tailleurs de pierre, maçons, bûcherons, charpentiers, forgerons, tuiliers, charretiers, vanniers, cordiers…) y reproduisent les gestes et les techniques du xiiie siècle et contribuent à faire de ce chantier ouvert au public une expérience humaine hors du commun à vocation expérimentale, scientifique, pédagogique et touristique, avec le soutien d’un comité scientifique1.

2L’intérêt de ce projet pour les archéologues réside dans la restitution en grandeur réelle d’un chantier du xiiie siècle, tant du point de vue des outils, des techniques de construction, de l’approvisionnement des matériaux, de la manutention, que de l’organisation du travail et de la gestion des équipes. Toutes les étapes de la chaîne opératoire sont présentes, de l’extraction de la pierre in situ à la pose des enduits peints réalisés avec l’argile locale. Si le cahier des charges s’attache au respect des plans d’élévations, des outils et des matériaux qui sont bien connus pour cette période et pour ce type de construction en Bourgogne, une large part du chantier médiéval demeure néanmoins mal documentée par les textes et l’archéologie, comme le temps de séchage d’une voûte ou du mortier dans un mur épais, les techniques de pose d’une croisée d’ogive, le fonctionnement des engins de levage, le temps d’exécution de certains ouvrages, la gestion des approvisionnements en matériaux, la manutention des pierres sur les échafaudages, les cadences de travail, etc., autant de données qui peuvent être renseignées par l’expérimentation : « construire pour comprendre ».

Le protocole d’expérimentation

  • 2 Épaud 2007 ; Hoffsummer 2002 ; Hoffsummer 2011.

3Le couvrement du logis présentait dès lors une opportunité pour expérimenter la mise en œuvre d’une charpente voûtée à chevrons-formant-fermes des années 1240. Si l’état des connaissances permet de proposer sans difficulté des plans précis et fiables d’une charpente de ce type, bien renseignée par des exemples conservés en Bourgogne et dans le Bassin parisien, et datés par dendrochronologie2, de nombreuses données restent néanmoins mal documentées par les textes et l’archéologie, comme la quantité d’arbres nécessaires pour la construction d’une charpente de ce type, le nombre de charpentiers et le temps nécessaires pour l’équarrissage, la taille et l’exécution ou encore les procédés de levage des fermes. À cela s’ajoutent des questions sur l’usage de certains types d’assemblages, dont la fonction nous échappe encore, les percements inexpliqués présents sur de nombreux bois, ou l’absence du contreventement longitudinal dans ces charpentes, encore interprétée comme un défaut conceptuel mais qui peut être lié là aussi à des modes particuliers de levage. Ce chantier d’expérimentation ouvre donc des perspectives de recherche inédites pour apporter des réponses, dans la mesure où un protocole scientifique a été mis en place pour garantir la fiabilité des résultats. Ce protocole consistait à dresser un cahier des charges strict à respecter, résultant des connaissances déjà acquises sur ce type de charpentes, à savoir le type de structure à exécuter tant dans sa forme générale que dans ses assemblages, le bois employé (section, profil, cœur de chêne…), les outils de taille ou le type de marques utilisées. Sur la base de ces données à respecter scrupuleusement, l’expérimentation consiste, pour une équipe de praticiens expérimentés depuis dix ans aux techniques médiévales de charpenterie, à imaginer et à concevoir les meilleurs procédés d’exécution et de manutention, d’un point de vue pratique et économique, pour toutes les étapes de la chaîne opératoire, sans aucun conseil extérieur. Dès lors, il s’agit pour l’archéologue d’observer les charpentiers au travail, de noter les solutions techniques qu’ils mettent en œuvre, et d’enregistrer les données quantitatives, que ce soit pour la consommation en bois d’œuvre comme pour le temps de travail mis pour l’équarrissage et l’exécution de la charpente.

Récapitulatif des étapes de construction du logis et de la mise en place du plancher

4Adossé à la courtine, le logis est de plan rectangulaire, de 24 x 8,80 m hors œuvre, avec un rez-de-chaussée subdivisé par un mur de refend en un vaste cellier et une cuisine à l’est, et un étage qui reprend la même compartimentation avec une grande salle de 15,50 x 5,80 m dans œuvre, accessible par un degré au sud, et une chambre de 5 m de long. À l’étage, la cheminée de la chambre est adossée au refend, tandis que celle de la grande salle s’intègre dans la courtine nord, avec une trémie dans la charpente. Comme dans la plupart des logis castraux du second quart du xiiie siècle en Bourgogne, les salles hautes sont couvertes d’une charpente voûtée à chevrons-formant-fermes.

5Commencée en 2004, la construction du logis a demandé six ans de travail, parallèlement à d’autres chantiers comme celui de la tour maîtresse. Concernant les éléments du plancher, les six gros sommiers de 800 kg chacun et de 7,60 m de long, équarris dès la première année du chantier, ont été posés l’année suivante, sur les gouttereaux, à 4,20 m de hauteur. Les murs étaient inachevés et formaient des paliers utilisés pour lever les poutres par basculement successif. Celles-ci, durant une année entière, ont été stockées les unes contre les autres, le temps d’achever les murs du rez-de-chaussée, au niveau des sommiers. Un plancher provisoire a ensuite été installé pour la poursuite des travaux. Les bois exposés aux intempéries ont provoqué l’apparition rapide de champignons, qui ont rapidement disparu après l’installation de la couverture. La cinquième année, les élévations de la chambre située à l’étage ont été achevées avec la construction du pignon est. La charpente a été mise en place d’est en ouest, alors même que les murs de la grande salle n’étaient pas encore terminés (fig. 1).

Fig. 1 – Levage de la charpente de la chambre (septembre 2008) [cliché F. Épaud].

Fig. 1 – Levage de la charpente de la chambre (septembre 2008) [cliché F. Épaud].

6Après le levage, une cloison provisoire constituée d’une fermette bardée de grandes planches fut mise en place contre la dernière ferme dressée, au droit du futur mur-pignon de refend, dans l’attente de la reprise du chantier au printemps suivant. La sixième année, une fois les murs de la grande salle achevés, pignons ouest compris, la charpente est levée en totalité.

La charpente à chevrons-formant-fermes du logis : modèles et présentation de la structure

7Les charpentes voûtées à chevrons-formant-fermes du xiiie siècle sont aujourd’hui bien connues en France septentrionale. Ces charpentes ne présentent pas de fortes spécificités régionales et s’observent avec la même structure, aussi bien sur des logis, des maisons que sur des églises et des bâtiments conventuels.

  • 3 Hoffsummer 2011, p. 93.
  • 4 DENDROTECH™, fiche « Église Saint-Aubin - Sargé-Lès-Le-Mans (72328) ».
  • 5 Épaud 2007, p. 547.

8Pour la première moitié du xiiie siècle, nous pouvons citer comme exemples les charpentes du logis seigneurial de Crépy-en-Valois dans l’Oise, la maison canoniale de l’impasse Prud’homme à Bayeux, dans le Calvados (1225d), le prieuré de Juignée-la-Prée à Morannes dans le Maine-et-Loire (1241d)3, le dortoir de l’abbaye de Noirlac dans le Cher (1240‑1250d), l’église abbatiale de Paimpont dans l’Ille-et-Vilaine (1230‑1234d), les églises de Norrey-en-Auge dans le Calvados, sur la nef (1237d), de Sarge-lès-le-Mans dans la Sarthe (1245d)4, de Selles dans l’Eure, sur la nef (1248d) et, plus tardivement, celles du manoir abbatial de Saint-Amand à Boos en Seine-Maritime5, de l’église de Saint-Pierre-la-Rivière dans l’Orne, sur le chœur (1254d), du logis de Saint-Julien-du-Sault dans l’Yonne (1266d) et du logis des gouverneurs, au 13 rue des Changes à Chartres (vers 1270d).

9À partir de ces exemples, un dessin d’une charpente à chevrons-formant-fermes a été proposé, en retenant l’ensemble des dispositifs structurels et des techniques d’assemblages en vigueur aux alentours des années 1240 (fig. 2). Cette charpente présente une structure subdivisée en travées de six fermes secondaires pour une ferme principale, exceptée la chambre où l’unique travée comprend sept fermes secondaires. Les fermes principales sont constituées d’un entrait à la base, d’un couple de chevrons, assemblés en tête par enfourchement et raidis par un faux entrait tenonné aux extrémités, et un couple d’aisseliers et de jambes de force courbes. Le profil voûté en tiers-point des fermes est dessiné par la courbure naturelle des aisseliers et des jambes de force ainsi que par le chantournement entre assemblage des chevrons et entraits retroussés. Les aisseliers et les jambes de force, en tête, sont assemblés par de simples embrèvements à talon oblique, maintenus par des chevilles. Un faux poinçon assure la suspension de l’entrait en étant assemblé en tête par mi-bois à queue d’aronde au faux entrait et, en pied, à l’entrait par un tenon taillé en demi-queue d’aronde, bloqué par une cale, dite « rossignol ». L’utilisation du poinçon de fond, assemblé en tête aux chevrons, ne se développe en effet qu’à partir du milieu du xiiie siècle. Entre les assemblages, l’entrait et le poinçon ont leurs arêtes rabattues, terminées par des congés en cuillère et une bague moulurée. Les fermes secondaires reprennent la même disposition, exceptés l’entrait et le poinçon, avec en pied de chevron un blochet qui s’assemble à demi-queue d’aronde, bloqué par un rossignol dans une poutre de rive. C’est une forte entretoise qui s’assemble à tenon dans le flanc des entraits. Attestés sur d’autres charpentes de cette période, cette poutre de rive et cet assemblage des blochets permettent de mieux résister aux poussées latérales des fermes secondaires qui tendent à s’écarter à leur base, d’où, aussi, la forte section des poutres de rive. Ces dernières sont également moulurées sur leur arête inférieure intérieure par trois cavets se réunissant en cuillère. Blochets et poutres de rive reposent sur un cours continu de doubles sablières, reliées par des entretoises, avec des entailles à mi-bois à demi-queue d’aronde pour les blochets situés au niveau de la chambre ; puis l’assemblage se simplifie dans l’aula où ils reposent simplement en appuis sur les sablières. Du côté nord, de longs coyaux de 3 m de long sont assemblés aux fermes afin de couvrir le passage extérieur longeant la courtine. Aucun dispositif longitudinal n’a été prévu pour contreventer ces fermes. Seul le lattis de la couverture assure la stabilité de l’ensemble, comme, dans la plupart des exemples des années 1240.

Fig. 2 – Plan de la charpente du logis, en coupe longitudinale, vue du nord, et transversale, côté grande salle (dessin F. Épaud).

Fig. 2 – Plan de la charpente du logis, en coupe longitudinale, vue du nord, et transversale, côté grande salle (dessin F. Épaud).

Les bois d’œuvre et l’approvisionnement en forêt

  • 6 Flache : dépression naturelle sur l’arête d’un bois correspondant à la surface du tronc qui n’a pa (...)
  • 7 Aubier : partie superficielle de l’arbre, située entre l’écorce et le cœur, qui constitue la zone (...)
  • 8 Épaud 2007 ; Épaud 2011 ; Épaud 2013 ; Épaud 2017.

10Les bois utilisés dans les charpentes du xiiie siècle, en France septentrionale, sont des chênes comportant le cœur de l’arbre dans chaque pièce (appelés « bois de brin »), et présentant un équarrissage minimal à la doloire, avec très souvent des flaches6 et de l’aubier7 conservé, ce qui prouve que les arbres abattus suffisaient aux besoins des charpentiers, limitant ainsi le travail du débit et les pertes. D’après certaines études8, la plupart des charpentes du début du xiiie siècle consomment plus de 90 % de bois de faible diamètre, voisin de 22 cm, le reste correspondant à des bois de plus fort diamètre pour les entraits. Cette grande proportion de bois fins provient d’arbres âgés en moyenne de 50 à 60 ans à croissance rapide, tandis que les plus gros sont issus d’arbres de réserve plus âgés. Il est probable que ces bois fins au fût rectiligne de grande hauteur proviennent de futaies sur souche, au peuplement très dense et uniforme, au sein desquelles les rejets ont connu une forte mise en concurrence après une coupe à blanc, puis laissés sans aucune éclaircie jusqu’à l’âge adulte.

11La première difficulté de la mise en œuvre de la charpente de Guédelon a donc été de trouver une forêt susceptible de fournir une grande quantité de bois similaires à ceux utilisés au xiiie siècle. Après de longues recherches, la futaie de Bellary dans la Nièvre a été retenue en raison d’une gestion sylvicole proche de celle d’une forêt des xiie-xiiie siècles (fig. 3). En effet, après une mise à blanc entre 1910 et 1915, ses 2 000 hectares ont été laissés en friche sans entretien pendant 60 ans, avant de connaître des cycles d’éclaircissement périodiques. Aujourd’hui, cette haute futaie présente des sujets de 100 ans pour un fût de 15 m de longueur exploitable et de 30 cm de diamètre à un mètre du pied. Si ces bois sont un peu trop âgés et d’un diamètre légèrement supérieur à ceux recensés au xiiie siècle, ils se rapprochent le plus de la qualité recherchée et des besoins. En tout état de cause, il est quasiment impossible de trouver dans les forêts actuelles des bois d’œuvre exactement identiques à ceux du xiiie siècle.

Fig. 3 – Forêt de Bellary (Nièvre), jeune chêne (au centre de la photo) correspondant aux mensurations d’un chevron (cliché F. Épaud).

Fig. 3 – Forêt de Bellary (Nièvre), jeune chêne (au centre de la photo) correspondant aux mensurations d’un chevron (cliché F. Épaud).

12Les mesures de la charpente de Guédelon sont là aussi directement calquées sur les modèles du début du xiiie siècle, adaptées aux portées du logis. Avec une pente de 52° pour des chevrons de 6 m environ, les fermes ont une largeur totale à la base de 7,60 m et sont espacées de 38 cm, de rive à rive. Les chevrons, les jambes de force, les blochets et les aisseliers ont une section moyenne de 15 x 15 cm ; les entraits retroussés de 17,5 x 15 cm, posés sur chants, les poutres de rive de 20 x 20 cm ; comme les entraits, avec un amincissement du fût pour ces derniers jusqu’à 15 x 15 cm et le poinçon, une section de 15 x 15 cm, aminci jusqu’à un fût de section hexagonale de 10 x 10 cm. Les sablières plates mesurent quant à elles 15 x 10 cm de section, posées à plat.

13Les abattages ont donc concerné à 95 % des chênes de 25‑30 cm de diamètre en pied, pour les pièces de 15 x 15 cm, le reste étant des gros chênes de 30‑35 cm de diamètre pour les entraits et poutres de rive (20 x 20 cm). Des mesures intermédiaires prises dans les chutes (25 cm de diamètre) ont été utilisées pour la production des lattes.

14La mise en œuvre de cette charpente, constituée de 38 fermes, soit 86 chevrons en y compris ceux des pignons, a nécessité l’abattage de 180 chênes de 13 à 14,5 m de longueur de fût exploitable, soit 90 m3 de grumes (pour 30 m3 de bois équarris). La consommation attendue était pourtant de 143 arbres en mettant bout à bout toutes les pièces de la charpente. Cette surconsommation de 26 % correspond aux pertes liées au centrage des pièces dans le fût, générant des chutes utilisées pour les lattes, ce qui est intéressant dans le cadre de calculs de consommation en bois d’œuvre pour des charpentes gothiques du même type. Les arbres ont été sélectionnés sur pied par furetage dans le cadre d’une éclaircie et correspondaient donc aux sections recherchées. Les abattages ont été réalisés entre février et juillet, et les bois taillés aussitôt. Les gros chênes de 35 cm de diamètre pour les entraits et les poutres de rives de 20 x 20 cm ont été prélevés dans des réserves déclassées.

L’équarrissage

15Après abattage, les grumes ont été transportées directement au chantier pour être équarries et mises en œuvre sur place. Tous les bois, une fois abattus, ont été travaillés, puisqu’il a été expérimenté qu’après six mois de stockage les fibres durcissaient et que le travail d’équarrissage devenait trop difficile.

16Le déplacement des grumes sur le chantier, entre les ateliers et le logis, s’est fait par traction animale à l’aide d’un cheval et d’un trinqueballe. Sur ce chantier, il existe deux ateliers distincts. Le premier, destiné aux équarrisseurs-bûcherons, est situé en sous-bois à proximité du château et comprend une aire d’équarrissage et une loge qui sert d’abri et de réserve pour les outils. Le second, consacré aux charpentiers, est situé au pied du château et comprend l’aire d’épure ainsi que deux loges.

17L’équarrissage des grumes est réalisé sur le premier atelier, en sous-bois, par une équipe de deux à trois équarrisseurs. La coopération entre ces derniers et le maître charpentier est permanente puisque les bois doivent être taillés selon des mesures précises définies par la structure de la charpente (fig. 4).

Fig. 4 – Equarrissage à la doloire suivant les encoches d’ébauchage (cliché F. Épaud).

Fig. 4 – Equarrissage à la doloire suivant les encoches d’ébauchage (cliché F. Épaud).

18Comme au xiiie siècle, tous les chênes sont équarris en conservant le cœur du bois et en respectant le fil du bois. Chaque fût est préalablement découpé en plusieurs billes plus ou moins longues selon la rectitude du bois, pour les faire correspondre aux différentes pièces des fermes. Ainsi, les parties courbes, souvent en tête de fût, vont être retenues pour les aisseliers et jambes de force courbes, tandis que les parties les plus rectilignes et les plus longues seront privilégiées pour les chevrons. Une grume de 13 m de long a pu être par exemple débitée en un chevron de 6,50 m et un coyau de 3,50 m pour la partie droite du fût, avec une ou deux pièces courbes en tête, ou bien, si le fût était droit sur toute sa longueur, en deux chevrons.

19Cette gestion de l’approvisionnement forestier offre un éclairage nouveau sur les charpentes gothiques : la croissance du chêne fait que leur fût contient en général à la fois des parties courbes et des parties rectilignes, or ce type de charpente présente la particularité d’utiliser au mieux les ressources physiques de l’arbre en intégrant toutes ses capacités dans le même ouvrage. On peut en déduire une économie d’échelle limitant la consommation de bois d’œuvre

20Avant équarrissage, la bille est installée sur deux tréteaux et maintenue par des clameaux, même si leur existence n’est pas archéologiquement prouvée pour le xiiie siècle en France. Si le fût est droit, l’équarrisseur pratique un ébauchage en faisant une série d’entailles espacées de 30‑40 cm qui vont faciliter le retrait des dosses à la hache (fig. 4). Cette technique est en effet attestée pour le xiiie siècle en France septentrionale d’après les traces observées sur les bois d’œuvre. Une fois les deux faces verticales équarries, la bille est tournée à 90° pour blanchir les deux faces restantes. Pour les pièces courbes, l’équarrisseur utilise un gabarit sous la forme d’une planche découpée pour tracer la courbure sur la bille et garantir ainsi l’homogénéité de profil de ces pièces dans la charpente (fig. 5).

Fig. 5 – Utilisation d’un gabarit définissant le tracé pour l’équarrissage d’une pièce courbe (cliché F. Épaud).

Fig. 5 – Utilisation d’un gabarit définissant le tracé pour l’équarrissage d’une pièce courbe (cliché F. Épaud).

21Pour des équarrisseurs expérimentés, il faut en moyenne une heure par homme pour équarrir un mètre de longueur de grume sur ses 4 faces, soit 6 heures/homme pour obtenir un chevron de 15 x 15 cm à partir d’une grume de 6,50 m et de 25‑30 cm de diamètre, sans forcer le rythme. L’équarrissage des bois d’une ferme secondaire a nécessité 2 jours de travail pour 2 hommes. Ce travail, pour l’ensemble des bois de la charpente, représente 3 mois de travail continu pour 2 hommes en considérant une semaine de 6 jours de 8 heures de travail, soit 1 300 heures/homme.

22Pour la dernière travée, il a fallu sélectionner à nouveau des bois sur pied pour compléter l’approvisionnement.

L’établissage sur épure

23Après équarrissage, les bois sont transportés au fur et à mesure à l’atelier des charpentiers, puis stockés provisoirement, par type de pièce (chevrons, aisseliers, blochets…), dans l’attente de leur mise en œuvre.

24L’atelier des charpentiers comprend une aire d’épure sur plancher de 60 m², protégée par une toiture sur poteaux, sur laquelle sont tracées les épures des structures à réaliser (fig. 6). Trois épures superposées ont été dessinées en 2007 à la pointe à tracer, rehaussées d’une pierre ocre par la suite lors des chantiers successifs. La première représente une ferme destinée à l’exécution des fermes principales et secondaires. La seconde épure est celle du plan de la travée de la chambre, représentant l’agencement des entraits, des sablières, des blochets et des poutres de rive, par un ou deux traits correspondant aux flancs des pièces. Enfin, la troisième, tracée en connexion à la première, montre en coupe longitudinale, face interne, la poutre de rive avec les jambes de force de la travée et, en coupe, les deux entraits.

Fig. 6 – Piquage des bois disposés les uns sur les autres suivant les traits de l’épure (cliché F. Épaud).

Fig. 6 – Piquage des bois disposés les uns sur les autres suivant les traits de l’épure (cliché F. Épaud).

25Ce procédé, inspiré des techniques traditionnelles de charpenterie, présente donc l’avantage de réunir sur la même aire d’épure les tracés nécessaires au montage de toute la structure de la charpente de la première travée. Comme les quatre travées suivantes de la grande salle, toutes identiques, sont moins longues que celle de la chambre (3,70 m à l’entraxe contre 4,30 m pour la première), avec une ferme secondaire en moins, l’épure a été modifiée en partie, notamment les tracés du plan de la travée et de la poutre de rive, pour la poursuite du chantier sur la grande salle.

26Dans l’état actuel des connaissances, il ne subsiste aucun témoignage sur les tracés d’épure de charpente au xiiie siècle. En effet, ces épures étaient réalisées sur des sols provisoires qui étaient démontés après utilisation. Toutefois, les techniques utilisées ici sont traditionnelles et identiques à celles en vigueur à l’époque moderne, d’après les manuels et encyclopédies.

27Avant d’être mise sur épure, chaque pièce équarrie est lignée, c’est-à-dire qu’un trait axial est tracé au cordeau sur sa face interne afin de définir un axe d’assemblage qui sera commun à toutes les pièces de la ferme. Ces lignages sont en effet attestés au xiiie siècle, sous la forme de traits noirs faits au graphite ou au noir de charbon, dans l’axe des assemblages.

28Les bois sont ensuite disposés sur l’épure, superposés entre eux, horizontalement, à l’aide de cales, et alignés précisément sur les tracés à l’aide d’un fil à plomb. Dès lors, le piquage est réalisé en traçant au fil à plomb, à l’intersection des bois, les limites de l’emplacement des assemblages à tailler. Là encore, ces piquages sont attestés sous la forme d’incisions faites à la pointe métallique. Les bois sont ensuite déposés pour être taillés. Un nouveau montage est alors réalisé sur le tracé de l’épure afin de vérifier leur bon ajustement (« mise dedans »). Enfin, les trous de chevilles sont percés à la tarière.

29Les bois correctement assemblés sont ensuite marqués. On inscrit sur les bois d’une même ferme un signe identique afin de les reconnaître et éviter toute confusion au moment du réassemblage des bois lors du levage. Chaque ferme a ainsi sa marque distinctive. Les bois sont en effet non interchangeables en raison de leur irrégularité et de la précision de taille des assemblages. Les marques utilisées ici sont des signes particuliers sans valeur numérique, identiques à ceux en usage dans la première moitié du xiiie siècle.

30Les marques sont inscrites à la rainette unr fois les bois préassemblés sur l’aire d’épure. Ces derniers sont ensuite démontés puis stockés par type de pièce en attente du levage de la charpente.

31Toutes les opérations pour l’exécution d’une ferme secondaire, à savoir le lignage, le piquage, la taille des assemblages et la mise dedans ont nécessité deux jours et demi de travail pour trois charpentiers. Pour une ferme principale, le travail est plus long en raison des pièces et des assemblages supplémentaires à tailler (13 assemblages contre 9 pour une ferme secondaire), mais surtout à cause des sculptures de l’entrait et du poinçon, qui ont demandé le double de temps de travail. Ainsi, l’exécution de toute la charpente a nécessité 120 jours de travail pour trois charpentiers.

Le levage

32L’une des principales questions sur les charpentes à chevrons, fermes, fermes médiévales concerne leur levage, à savoir comment les fermes étaient montées sur l’édifice, et plus particulièrement sur un grand monument. En l’absence de source textuelle, iconographique ou archéologique, les théories avancées proposaient différentes hypothèses, comme le levage pièce par pièce grâce à des échafaudages complexes, ou bien le levage des fermes déjà assemblées au sol par de gros engins placés en haut des murs. Aucune proposition n’était réellement convaincante sur le plan technique et la question est restée sans réponse.

33La démarche expérimentale de Guédelon offre aux charpentiers de se confronter aux contraintes logistiques d’un chantier de grande ampleur et de chercher les solutions techniques adaptées. Ils ont ainsi expérimenté le procédé le plus simple qui permet de lever de manière efficace la charpente en toute sécurité, en installant un plancher de travail en haut des murs, à 30 cm au-dessous des sablières et sur la longueur de l’édifice, en appui sur un solide échafaudage (fig. 7). Ce plancher offre aux charpentiers une aire de travail suffisante, permettant de stocker les bois, et de les bouger grâce à de nombreux manœuvriers. Il est également nécessaire au réassemblage des fermes et à leur levage successif, réalisé avec des cordes.

Fig. 7 – Réassemblage d’une ferme sur le plancher de travail (cliché F. Épaud).

Fig. 7 – Réassemblage d’une ferme sur le plancher de travail (cliché F. Épaud).

34Le montage s’opère donc par travée, suivi de la mise hors d’eau par la pose de la couverture en tuiles. Les bois les plus petits sont montés à la main tandis qu’on utilise la cage d’écureuil disposée au pied de l’édifice, pour les plus gros. Le principe de montage est identique pour chaque travée. Dans un premier temps, le carré de la travée est assemblé sur les murs avec les sablières, les entraits, les poutres de rives et les blochets, en suivant les marques d’assemblage. Ensuite, chaque ferme est montée à plat sur le plancher en respectant toujours le marquage des bois. Les chevrons sont assemblés simultanément avec l’entrait retroussé, puis chevillés à la verticale. C’est un détail qui a son importance car une fois les fermes dressées, la disposition des chevilles indique le sens de progression du chantier. Du point de vue archéologique, les chercheurs se réfèrent en général à la numérotation des marques des fermes pour retrouver le sens de progression du montage de la charpente, alors que le sens d’enfoncement des chevilles paraît plus fiable. En effet, quand les fermes sont numérotées de I à XV par exemple, le montage pouvait se faire dans le sens inverse du marquage, de XV à I. Il s’agit ici d’une donnée expérimentale utile pour l’étude archéologique des charpentes médiévales.

35La ferme est montée à la verticale par une dizaine d’hommes, à l’aide de fourches et de cordage accroché à une poulie (fig. 8). Quelques lattes sont clouées provisoirement sur la ferme et sur celles déjà levées pour les maintenir en place en attendant la fixation définitive du lattis. On procède travée après travée. Les jambes de force sont assemblées aux fermes en place grâce à leur embrèvement aux chevrons. Ce chantier expérimental permet de comprendre la raison de ces assemblages dans les charpentes médiévales, qui se justifie par une mise en place après coup sur des fermes déjà levées.

Fig. 8 – Levage d’une ferme (cliché F. Épaud).

Fig. 8 – Levage d’une ferme (cliché F. Épaud).

36La charpente a été réalisée sur trois ans avec la mise en place, chaque année, d’une ou de deux travées, suivie de leur levage. Le lattis et la couverture en tuiles sont posés au fur et à mesure sur la charpente nouvellement montée.

37La première année concerne la travée de la chambre, levée en partant du pignon oriental et clôturée à l’autre extrémité, par une cloison provisoire de planches afin de servir de protection contre les intempéries. La deuxième année est consacrée aux deux travées suivantes sur la grande salle, après avoir mis en place le plancher de travail sur toute la superficie de la salle. Enfin, la dernière année, les deux travées restantes sont réalisées et posées, selon un protocole différent. En effet, les charpentiers ont été confrontés à la présence du mur-pignon occidental, supprimant l’espace nécessaire à l’assemblage des fermes sur le plancher de travail. La solution trouvée a consisté à lever toutes les fermes dans l’avant-dernière travée, là où il était encore possible de le faire, en les accolant les unes contre les autres pour gagner sur l’espace de levage. Une glissière est alors mise en place sous les entraits retroussés de ces fermes, fixée sur deux poteaux et ancrée à l’extrémité dans le mur-pignon (fig. 9). Sur cette glissière, les fermes sont alors déplacées à la main jusqu’à leur emplacement définitif dans leurs blochets. Cette solution ingénieuse pourrait être envisagée lors de reprises de charpentes médiévales sur des cathédrales où les pignons ont été conservés.

Fig. 9 – Dispositif de la glissière pour mettre en place les fermes de la dernière travée (cliché F. Épaud).

Fig. 9 – Dispositif de la glissière pour mettre en place les fermes de la dernière travée (cliché F. Épaud).

38Ce chantier a apporté de précieuses informations sur le temps imparti aux opérations de levage, jamais documenté. On constate que le montage de la charpente est très rapide pour une équipe d’une dizaine d’hommes composée des charpentiers et de manouvriers. Pour la travée de la chambre, l’approvisionnement, le montage des bois sur le plancher de travail et la pose du carré de la travée (sablières, entraits et poutres de rive) ont demandé deux jours de travail et le réassemblage, puis le levage des neuf fermes ont nécessité une journée et demie, soit 40 minutes maximum par ferme. En tout, le levage d’une travée s’est déroulé sur à peine quatre jours, comme pour les travées suivantes.

 

  • 9 La commande royale atteste de circuits commerciaux d’importation de bois depuis la Baltique pour c (...)

39Pour conclure, la chambre et la grande salle sont aujourd’hui couvertes d’une charpente voûtée apparente, dépourvue de lambris de couvrement (fig. 10). En effet, la plupart des charpentes voûtées du xiie au xive siècle étaient apparentes sur les logis, les églises et les bâtiments conventuels, même s’il existait quelques exemples isolés de lambrissage, comme à l’hôpital de Tonnerre au xiiie siècle, ou au donjon de Vincennes au xive siècle9. Les hommes du Moyen Âge, quel que soit leur statut social, vivaient davantage dans des constructions en bois apparent, où il était habituel de voir la charpente à nu. Il faut attendre la mode de la Renaissance aux xve et xvie siècles pour que ces voûtements soient dissimulés par un lambris, quand on ne les remplaçait pas tout simplement par des plafonds. La plupart des lambris couvrant les voûtes des charpentes des xiie-xive siècles sont effectivement datés par dendrochronologie de la fin du Moyen Âge, sans aucun réemploi de lambris ancien. Dans l’état actuel des connaissances, nous pouvons donc encore admirer le magnifique travail réalisé par les charpentiers de Guédelon et il faudra attendre 2200, si on devait respecter le calendrier du chantier, pour lambrisser les salles voûtées du logis.

Fig. 10 – Charpente à chevrons-formant-fermes de la grande salle du logis (cliché F. Épaud).

Fig. 10 – Charpente à chevrons-formant-fermes de la grande salle du logis (cliché F. Épaud).

Bibliographie

Épaud Fr. 2007, De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, Caen.

Épaud Fr. 2011, « La charpente de la nef de la cathédrale de Bourges », Revue archéologique du centre de la France, disponible sur http://racf.revues.org/1686 [consulté en 12/19].

Épaud Fr. 2013, « Les charpentes », dans C. Andrault-Schmitt (dir.), La cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Enquêtes croisées, La Crèche, p. 188‑208.

Épaud Fr., 2017, La charpente de la cathédrale de Bourges. De la forêt au chantier, Perspectives historiques, série Archéologie, Tours.

Chapelot J. 2005, « Les lambris du donjon de Vincennes (Val-de-Marne) : un rarissime témoignage du décor intérieur d’une résidence royale du xive s. », Actes des journées archéologiques d’Île-de-France, 2002, Institut d’Art et d’Archéologie, Paris, Paris, p. 57‑76.

Hoffsummer P. 2002 (dir.), Les charpentes du xie au xixe siècle. Typologie et évolution en France du Nord et en Belgique, Cahiers du patrimoine 62, Paris.

Hoffsummer P. 2011, Les charpentes du xie au xixe siècle. Typologie et évolution dans le Grand Ouest de la France, AMA 5, Turnhout.

Notes

1 Anne Baud, maître de conférence à l’université Lumière Lyon 2, Nicolas Reveyron, professeur à l’université Lumière Lyon 2, Nicolas Faucherre, professeur à l’université Aix-Marseille, Philippe Durand, maître de conférence à l’université Bordeaux 3, Frédéric Épaud, CNRS, LAT (UMR 7324), Christian Corvisier, historien de l’architecture, Gilles Rollier, Inrap et Pierre Mille, Inrap.

2 Épaud 2007 ; Hoffsummer 2002 ; Hoffsummer 2011.

3 Hoffsummer 2011, p. 93.

4 DENDROTECH™, fiche « Église Saint-Aubin - Sargé-Lès-Le-Mans (72328) ».

5 Épaud 2007, p. 547.

6 Flache : dépression naturelle sur l’arête d’un bois correspondant à la surface du tronc qui n’a pas pu être corrigée lors de l’équarrissage.

7 Aubier : partie superficielle de l’arbre, située entre l’écorce et le cœur, qui constitue la zone de circulation de la sève.

8 Épaud 2007 ; Épaud 2011 ; Épaud 2013 ; Épaud 2017.

9 La commande royale atteste de circuits commerciaux d’importation de bois depuis la Baltique pour certains lambris (Chapelot 2005, p. 57‑76).

Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Levage de la charpente de la chambre (septembre 2008) [cliché F. Épaud].
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 3,9M
Titre Fig. 2 – Plan de la charpente du logis, en coupe longitudinale, vue du nord, et transversale, côté grande salle (dessin F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Fig. 3 – Forêt de Bellary (Nièvre), jeune chêne (au centre de la photo) correspondant aux mensurations d’un chevron (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 3,0M
Titre Fig. 4 – Equarrissage à la doloire suivant les encoches d’ébauchage (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 4,2M
Titre Fig. 5 – Utilisation d’un gabarit définissant le tracé pour l’équarrissage d’une pièce courbe (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 4,6M
Titre Fig. 6 – Piquage des bois disposés les uns sur les autres suivant les traits de l’épure (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 5,2M
Titre Fig. 7 – Réassemblage d’une ferme sur le plancher de travail (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 4,0M
Titre Fig. 8 – Levage d’une ferme (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 6,3M
Titre Fig. 9 – Dispositif de la glissière pour mettre en place les fermes de la dernière travée (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 1,9M
Titre Fig. 10 – Charpente à chevrons-formant-fermes de la grande salle du logis (cliché F. Épaud).
URL http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/9817/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 4,2M

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