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Le spécimen et le collecteur

 | 
Vincent Leblan
, 
Dominique Juhé-Beaulaton

La collecte & l’Autre

Dumoutier et la collecte de moulages anthropologiques

Une empreinte de l’altérité au dix-neuvième siècle

Romain Duda

Texte intégral

Galerie de l’Homme L’envolée de bustes anthropologiques (détail), Musée de l’Homme Cliché Romain Duda.

1Depuis la réouverture du Musée de l’Homme en octobre 2015, le public peut découvrir une collection unique de bustes anthropologiques moulés sur nature. Cette collection, la plus riche au monde, met en lumière un aspect relativement peu connu de l’histoire des sciences de l’homme : l’utilisation dans le courant du xixe siècle du procédé de moulage sur nature pour l’étude et la représentation du polymorphisme de l’espèce humaine. Procédé habituel du sculpteur, le moulage sur nature tisse à cette époque des liens particuliers entre l’art et la science. Le masque mortuaire est utilisé dès la fin du xviiie siècle pour l’étude des variations de la physiognomonie humaine, puis est peu à peu utilisé sur des sujets vivants européens, puis extra-européens. La technique devient ainsi un marqueur représentatif des débats sur l’unité ou la pluralité du genre humain qui marquèrent la naissance de l’anthropologie. Produites à la fois comme images de l’Autre et empreintes de l’Ailleurs, outils de mesure et objets de musée, ces reproductions de visages d’hommes et de femmes matérialisent un questionnement sur la différence et la diversité. Avec la constitution de collections muséales, la production du savoir anthropologique souhaite s’inscrire dans l’histoire naturelle dont elle reprend les méthodes classificatoires. Il s’agit de recueillir des supports matériels pour débattre d’idées nouvelles et produire ainsi un savoir non pas à partir de récits ou d’illustrations alors jugés subjectifs, mais à partir d’objets proches de l’état de nature. Les moulages font d’ailleurs sens dans un siècle attiré par les représentations d’une altérité qui se dévoile peu à peu. Dans les galeries de muséums, ils prennent place aux côtés des séries de crânes, d’objets et de squelettes, avant d’être évincés à la fin du xixe par l’arrivée de la photographie et le déclin de la raciologie.

  • 1 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « Histoire naturelle de l’homme », in Histoire naturelle, générale (...)

2Ces moulages s’inscrivent dans les efforts de déchiffrage des « variétés de l’espèce humaine » initié en France dès 1749 par Buffon (1707-1788)1. Leur succès entre 1840 et 1880 fut lié à la nécessité de constituer des collections afin de présenter aux sociétés savantes ainsi qu’au public la diversité des « races » et « types » dans la variabilité de leurs caractères physiques, notamment celle de populations peu connues dont les représentations réalistes et objectives étaient rares. Objets de représentation muséale autant que matériaux d’étude, ils furent évidemment mobilisés comme support permettant de caractériser les variations morphologiques de l’homme et ainsi de confirmer ou réfuter les classifications pensées a priori selon les notions — alors vagues et non-consensuelles — de type, de race et d’espèce.

  • 2 Dias (Nélia), « Séries de crânes et armée de squelettes : les collections anthropologiques en Franc (...)
  • 3 Duda (Romain), Histoire de la collection de moulages anthropologiques du Muséum national d’Histoire (...)

3Les documents synthétiques concernant les collections anthropologiques du xixe siècle sont rares2. C’est d’autant plus le cas pour les collections de moulages, marginales par rapport aux grandes séries ostéologiques. Si la collection de bustes du Muséum n’a jamais fait l’objet d’une publication, cet ensemble n’en garde pas moins une grande valeur épistémologique. Une recherche documentaire3 (dont ce chapitre est issu) a donc été menée à travers les sources éparses mentionnant chaque série de moulages et la technique du moulage appliquée aux recherches anthropologiques : instructions données aux anthropologues et aux voyageurs, récits de voyages, journaux de bord et articles de revues ou d’encyclopédies où des bustes furent lithographiés pour illustrer les ethnies concernées.

4Comme d’autres formes de collecte naturaliste, la collecte en sciences humaines oblige à une forme d’engagement du chercheur sur le terrain, se traduisant nécessairement par une rencontre et une participation du sujet étudié. Les moments de collecte de moulages anthropologiques génèrent ainsi un rapport nouveau dans la construction du savoir. En produisant cette nouvelle forme d’objet scientifique, le savant, l’explorateur ou le mouleur rompt avec la distanciation du savant de cabinet pour prendre véritablement une posture de scientifique de terrain. L’individu étudié passe du statut de simple objet d’étude à celui de sujet dont il faut saisir les référents culturels et représentations du corps afin d’obtenir son consentement pour la réplique en creux de son individualité. En tant qu’objet de collecte, et à l’instar de la photographie anthropologique, les moulages sur nature possèdent finalement un statut ambigu. Pure empreinte du sujet, ils ne sont ni des restes humains, ni des objets culturels de facture autochtone ou des œuvres strictement artistiques. Cette ambivalence nous conduit nécessairement à replacer l’usage du moulage dans le contexte scientifique de catégorisation de l’espèce humaine au xixe siècle, mais également à analyser les récits de collecte de ces moulages et ainsi la posture des savants qui les produisent ou les font produire. L’analyse historique de ces objets et des documents d’archives qui les accompagnent apportent ainsi un éclairage nouveau sur la matérialité du savoir anthropologique au xixe siècle. Le présent article examine ce contexte en se basant sur le cas particulier du mouleur-phrénologiste Pierre-Marie Alexandre Dumoutier (1797-1871) qui initia cette forme de collecte. Bien qu’il n’ait jamais publié les riches descriptions de ses rencontres avec les indigènes, sa relation au terrain permet de mieux saisir les enjeux de la confrontation avec l’Autre dans la production de ce type de savoir.

5Dans un premier temps, nous reviendrons sur le contexte de constitution des premières collections de sciences humaines influencé par Cuvier et les méthodes propres aux sciences naturelles. Nous expliciterons ensuite l’influence des idées et techniques de la phrénologie sur le moulage scientifique. Enfin, nous nous focaliserons sur l’épisode fondateur de la collecte de moulages comme moyen d’illustration du savoir anthropologique : l’expédition de l’amiral Dumont d’Urville dans l’Océan Pacifique et le rôle qu’y joua Dumoutier. À travers une lecture de son journal de bord manuscrit, nous analyserons comment ses positions scientifiques et philosophiques ainsi que le procédé de moulage en lui-même sont constitutifs de sa relation avec les indigènes rencontrés. Pour conclure, nous décrirons le succès de sa collection et l’itinéraire du moulage sur nature en anthropologie.

CRÂNES ET TYPES : LA NAISSANCE DES COLLECTIONS D’ANTHROPOLOGIE

  • 4 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « Histoire naturelle de l’homme », op. cit.

6Aux xviie et xviiie siècles, les circumnavigations jouent un rôle fondamental dans la collecte de spécimens de faune et de flore présentés à leur retour aux sociétés savantes et entreposés dans les muséums. Dans un premier temps, les sociétés humaines rencontrées ne sont que l’objet de brèves descriptions. C’est toutefois en s’appuyant sur ces récits que Buffon consacre deux tomes à l’espèce humaine dans son Histoire naturelle (1749-1788)4, impulsant ainsi la réflexion sur le polymorphisme de l’homme. Ces premières bases théoriques postulent l’unité originelle de l’espèce humaine (monogénisme), sa place dans le règne animal et l’influence du milieu naturel sur la variabilité des traits physiques et culturels.

  • 5 Souvent considérée comme le berceau de l’école anthropologique française. Un demi-siècle plus tard, (...)
  • 6 Gérando (Joseph-Marie de), « Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation d (...)
  • 7 Cuvier (Georges), « Note instructive sur les recherches à faire relativement aux différences anatom (...)

7Les méthodes et collections nécessaires au travail comparatif ne sont pas encore constituées. La création en 1799 de la « Société des Observateurs de l’Homme »5 marque cette nécessité de combler une lacune dans l’histoire naturelle. Malgré une existence extrêmement brève (1799-1804), cette société publia les premières instructions aux voyageurs en matière d’anthropologie6. Si celles-ci portent davantage sur les mœurs et coutumes que sur les critères physiques, une note de Cuvier jointe à ce texte insiste sur la nécessité d’une collecte systématique de matériel ostéologique (et notamment de crânes). Celle-ci devrait permettre une confirmation empirique des différences anatomiques entre les « races de l’espèce humaine »7. Il s’agit également pour Cuvier de pallier la faible pertinence scientifique des dessins et descriptions de voyageurs et combler ainsi le retard de la science de l’homme par rapport aux autres collections d’histoire naturelle.

Angle facial Gravure extraite de l’Histoire naturelle du genre humain de Julien-Joseph Virey (1824) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

8Participant à la naissance de l’anthropologie, la constitution des premières collections s’inscrit dans la controverse sur les origines de l’homme qui oppose de manière très virulente, depuis le milieu du xviiie siècle, deux théories : monogénisme et polygénisme. Les monogénistes s’en tiennent aux Écritures et voient dans l’humanité la descendance unique d’un couple d’ancêtres communs. Buffon sera le premier à incarner un monogénisme scientifique en expliquant la variété des races par l’idée de dégénération et en défendant la perfectibilité de celles-ci. Fondé quant à lui sur une critique du créationnisme biblique, le polygénisme est porté par des hommes de sciences aux convictions républicaines progressistes, mais également partisans de la multiplicité des origines, de la fixité et de la permanence des races. Sous l’impulsion de Georges Cuvier (1769-1832), Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (1778-1846), Louis-Antoine Desmoulins (1794-1828), Julien-Joseph Virey (1775-1846) et Émile Blanchard (1819-1900), les thèses polygénistes se développent sur la base des premières recherches d’anatomie comparée sur l’homme afin de justifier les différences morphologiques des groupes humains et leur prétendue inégalité en termes de niveau de civilisation. Au fil du siècle les deux doctrines coexisteront. Le monogénisme scientifique sera représenté par « l’École du Muséum » menée par Étienne-Renaud-Augustin Serres (1786-1868), Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861), et Armand de Quatrefages (1810-1892), tandis que l’hypothèse polygéniste de la multiplicité des espèces humaines sera incarnée par l’anthropométrie-crâniométrie de Paul Broca (1824-1880), fondateur de la Société d’Anthropologie de Paris.

  • 8 Douglas (Bronwen), « Climate to Crania : science and the racialization of human difference », in Do (...)

9C’est principalement en se basant sur les études craniologiques que les deux écoles tenteront de justifier leur thèse. En stimulant la collecte de crânes lors d’expéditions lointaines, Cuvier cherche ainsi à démontrer que la relation entre l’angle facial et le développement cérébral, et donc l’intelligence du sujet, peut être le critère clé de la différenciation raciale8. À la même période, et sans pour autant s’attacher à la question des races, le phrénologiste Franz Joseph Gall (1758-1828) diffuse l’idée d’une corrélation entre les dispositions morales et intellectuelles et la forme du cerveau.

  • 9 Serres (Étienne), « Rapport sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation de l’Astr (...)
  • 10 Blanckaert (Claude), « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum dans son contexte institu (...)
  • 11 Membre de la Société d’anthropologie de Paris, Paul Topinard définira le type comme « un ensemble d (...)
  • 12 Dias (Nélia), « Séries de crânes et armée de squelettes… », art. cit., pp. 203-230.

10Le discours raciologique, alors en plein essor, trouve dans les collections de crânes un moyen d’appuyer ses théories. Une démarche classificatoire se met en place prenant appui sur des généralisations mêlant caractères physiques, traits de personnalités et jugements de valeur. Cet effort de détermination des « types primordiaux » de l’humanité devient la « clef de l’anthropologie »9. Celle-ci cherchera, à partir de 1850, à progresser selon le raisonnement propre à l’histoire naturelle : collecter comparer classer. Les collections de crânes amènent à l’ouverture de la galerie d’anthropologie du Muséum en 1852, puis à la création en 1855 de la chaire d’anthropologie du Muséum en remplacement de la chaire d’anatomie humaine, et à celle, en 1859, de la Société d’Anthropologie de Paris. Ces événements marquent le début de l’institutionnalisation de l’anthropologie en France10. Les années 1860-1870 seront ensuite marquées par la normalisation et la diffusion des méthodes anthropométriques de Paul Broca pour caractériser les « types »11. Science descriptive et quantifiable basée sur des mesures craniométriques, l’« anatomie comparée des races » de Broca fait de la morphologie crânienne et faciale le critère primordial de la classification raciale12.

FORMES ISOLÉES, FORMES PARTAGÉES : ITINÉRAIRE DU MOULAGE EN SCIENCES HUMAINES

11Si la couleur de peau puis les mensurations crâniennes furent des critères de différenciation clés pour les anthropologues, toutes les variations morphologiques étaient potentiellement porteuses d’intérêt. Cette importance donnée à la forme mènera à l’adoption de la technique du moulage sur nature comme moyen de reproduire objectivement le réel et d’illustrer ainsi des variations morphologiques. C’est cependant par le biais de la phrénologie et de ses moulages crâniens que ce procédé de reproduction est valorisé scientifiquement quelques décennies plus tôt.

L’influence de la phrénologie

  • 13 Gall (Franz Jozeph) & Spurzheim (Johann Gaspar), Anatomie et physiologie du système nerveux en géné (...)
  • 14 Sorel (Philippe), « La phrénologie et le moulage », in Papet (Édouard) (sous la dir.), À fleur de p (...)
  • 15 Gall postule que le cerveau n’est pas un organe unique mais une réunion d’organes composés entre eu (...)
  • 16 Douglas (Bronwen), « Climate to Crania… », op. cit., pp. 33-98.

12Forgée au début des années 180013 par l’anatomiste Franz Joseph Gall, la théorie phrénologique reprend l’idée, initiée au siècle précédent, que la forme du crâne se modèle sur les reliefs du cerveau14. Pour établir les fondements de la crâniologie, Gall met en exergue le lien entre caractères physiques et moraux et la localisation des aires cérébrales. Convaincu du caractère inné des talents et des vices, il postule que ces penchants résultent du développement des organes cérébraux correspondants15, qui eux-mêmes sont palpables sur les volumes du crâne. En se basant sur cette relation, Gall prétend « lire » dans les protubérances crâniennes la singularité de ses patients. Pour démontrer la validité de sa méthode, il examine les bosses et dépressions crâniennes d’individus porteurs de penchants bien définis : criminels, voleurs, politiciens, musiciens et poètes. Au-delà des palpations crâniennes effectuées sur les individus vivants, Gall établit un important matériel didactique comme support de démonstration de sa doctrine : des séries de crânes ainsi que des moulages en plâtre effectués sur des sujets vivants ou morts, mais toujours dégagés de leur chevelure. Bien que ne s’impliquant pas au premier abord dans les questions de délimitation des races humaines, la phrénologie se distingue dans le débat anthropologique car, contrairement à la posture de Cuvier, elle part d’un monogénisme de principe : tous les hommes possédant par leur nature le même nombre de facultés, ils appartiennent par conséquent tous à la même espèce16. En ce sens, la phrénologie s’intéresse aux formes « héritées » des individus et non à celles des populations.

  • 17 Renner (Claude), « Quelques propos autour de la phrénologie », Histoire Des Sciences Médicales, tom (...)
  • 18 Idem.
  • 19 Voir notamment les critiques de l’écrivain Jules Janin analysées par Laugée (Thierry), « Un panthéo (...)
  • 20 La théorie du localisationnisme envisage le cerveau en termes de portions localisées correspondant (...)
  • 21 Flourens (Pierre), Examen de la Phrénologie, Paris : Paulin, 1842, 115 p., in-duodecimo.
  • 22 Renneville (Marc), « Un musée d’anthropologie oublié : le cabinet phrénologique de Dumoutier », Bul (...)
  • 23 Hamy (Ernest-Théodore), « La collection anthropologique du Muséum national d’Histoire naturelle : L (...)
  • 24 Blanckaert (Claude), « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum… », op. cit.

13Entre 1820 et 1830, la doctrine et les démonstrations de Gall sont à l’apogée de leur popularité17. Contrairement à d’autres cercles de savants, la phrénologie se veut une science populaire et démocratique. Des cours publics gratuits sont donnés à Paris et dans les grandes villes de province. Les lectures phrénologiques d’hommes illustres défrayent la chronique. Relayée par la presse et appréciée dans les salons mondains, la phrénologie trouve nombre d’adeptes parmi les écrivains, philosophes, médecins et politiciens (notamment libéraux et philanthropes) qui l’envisagent comme une science divinatoire révolutionnaire18. Toutefois, l’exhibition des physionomies de certaines personnalités à travers leurs moulages post-mortem est parfois perçue comme un déshonneur et une atteinte au corps de ces « grands hommes »19. Parallèlement à ces critiques, de nombreux savants lui reprochent son manque de scientificité. À leur tête, Pierre Flourens (1794-1867), membre de l’Académie des Sciences et professeur d’anatomie comparée au Muséum réfute l’organologie des penchants et la palpation cranioscopique, tout en réprouvant la doctrine de Gall sur le plan métaphysique. Cependant, en tant que neurologue « localisationniste »20, il partage ses vues sur les facultés intellectuelles innées et lui est reconnaissant d’avoir mis en évidence le rapport entre les fonctions mentales et la localisation des organes cérébraux21. Ainsi, sans doute rattrapé par la popularité du système de Gall, il accorde paradoxalement une place à la phrénologie dans son programme d’enseignement au Muséum et au sein même du Cabinet d’anatomie comparée en ouvrant la « salle de crâniologie du célèbre docteur Gall ». Face à l’engouement des parisiens (cette salle est l’une des plus visitée par le public)22, le Muséum propose au gouvernement de racheter cette collection phrénologique en 183223. L’institution a ainsi eu un grand rôle dans la diffusion des thèses phrénologiques jusqu’à un revirement de situation à la fin des années 1850. Selon Claude Blanckaert24, la phrénologie permit de stimuler au Muséum la recherche anthropologique dont les théories s’inscrivaient davantage dans la continuité que dans la rupture.

  • 25 Papet (Édouard), « Le moulage sur nature au service de la science », in Papet (Édouard) (sous la di (...)
  • 26 Serres (Étienne), « Rapports sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation… », art. (...)

14Si la « science des bosses » vulgarise ainsi le procédé du moulage, ses collections se limitent à des cas pathologiques ou psychologiques isolés. Toutefois, sa popularité permet de répandre le procédé dans d’autres milieux scientifiques puisqu’elle permet la reproduction à l’identique de tout objet naturaliste25. Les premiers moulages « anthropologiques » seront réalisés à Paris en 1833. Cependant la reconnaissance d’un tel procédé appliqué aux recherches sur la classification des peuples ne se fera qu’en 1840, au retour du deuxième voyage autour du monde de Dumont d’Urville sur L’Astrolabe et La Zélée. L’expédition débarque plus de cinquante moulages peints présentant un échantillon de la diversité humaine du Pacifique suivant un transect induit par la navigation. Cette collection est alors perçue comme un support pour l’étude des différents groupes humains du Pacifique et un moyen pour « confirmer, rectifier ou détruire le célèbre système de Gall »26. Grâce à cette série unique, l’anthropologie découvre un nouveau support de réflexion sur l’origine des peuples et un moyen d’illustrer la diversité des « races » et « types » humains en complétant les galeries muséales. Anatomiste et mouleur de l’expédition, c’est Dumoutier qui tissera dans l’ombre ce lien entre moulage et anthropologie.

Phrénologie Crâne étiqueté avec les zones phrénologiques selon le système de Gall Cliché collection d’Anthropologie biologique, MNHN.

Dumoutier, de l’expérience des Charruas à l’expérience océanienne

  • 27 Ackernecht (Erwin), « P. M. A. Dumoutier et la collection phrénologique du Musée de l’homme », Bull (...)
  • 28 Renneville (Marc), Le langage des crânes : une histoire de la phrénologie [préf. de Lantéri-Laura G (...)
  • 29 Renneville (Marc), « Un musée d’anthropologie oublié… », art. cit., pp. 477-484.
  • 30 Janin (Jules), « Phrénologie », L’Artiste, tome VII, 1834, p. 78.

15Dumoutier naît à Paris en 1797, y étudie la médecine et y exerce quelques temps en tant qu’aide d’anatomie à la Faculté de Médecine avant de devenir professeur libre d’anatomie27. Après avoir suivi les cours du docteur Gall, il devient son disciple et participe quelques années plus tard, en 1831, à la création de la Société phrénologique de Paris dont il devient le préparateur attitré28. Dumoutier devient rapidement le phrénologiste le plus réputé de la capitale en y donnant des cours théoriques et pratiques plusieurs jours par semaine et en prodiguant des lectures phrénologiques. En 1836, Dumoutier ouvre à Paris le Musée de la Société pour en exposer les collections. Le musée devint en quelques mois un lieu d’enseignement et de démonstration populaire. Une année après son ouverture, sa collection est déjà portée à 600 bustes et 300 crânes29. C’est notamment l’engouement généré par l’exhibition de moulages post-mortem d’hommes célèbres qui le popularise et fera dire au célèbre critique Jules Janin : « un homme meurt, il laisse son nom à la postérité et son crâne aux mains de Dumoutier ». Très critique envers les pratiques jugées morbides et dégradantes du mouleur, il définit le phrénologiste comme « une espèce de philosophe pratique qui touche la nature du doigt, qui palpe l’âme humaine comme un autre toucherait un corps »30.

  • 31 Pour plus de détails à ce sujet voir Rivet (Paul), « Les derniers Charruas », Revista de la Socieda (...)
  • 32 Virey (Julien-Joseph), « Des sauvages Charruas de l’Amérique méridionale », L’Europe littéraire : j (...)
  • 33 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), « Considérations phrénologiques sur la tête des quatre Charruas (...)
  • 34 Idem.

16La présence des quatre derniers Indiens Charruas à Paris en 1833 marque la première rencontre entre la phrénologie et le débat sur les races qui occupe alors la communauté savante, dans la perspective de valider un discours sur l’infériorité de certains peuples. Chasseurs-pêcheurs nomades et autochtones d’Uruguay avant la conquête espagnole, les Charruas furent tous massacrés en 1832 par le premier gouvernement uruguayen. Sur une dizaine de survivants, quatre furent alors amenés à Paris31. L’Académie des Sciences chercha à utiliser cette opportunité pour appuyer ses thèses polygéniste et évolutionniste alors débattues. En charge du rapport, le naturaliste Julien-Joseph Virey, prônant l’infériorité immuable de certaines races, tint sur les indigènes un jugement sévère, les assimilant sans hésitation à « l’animal », à la « brute » ou à de « grands enfants » sans cultures, sans chants, ni danses32. La Société phrénologique trouvant ces conclusions trop hâtives décida d’envoyer son maître mouleur, Dumoutier, pour une contre-expertise en procédant à un examen cranioscopique. Utilisant volontairement les méthodes revendiquées par l’Académie et les ennemis du système de Gall, le phrénologiste tente alors de prouver de manière indiscutable l’absence de différence de volume de la boîte crânienne entre les Charruas et les Européens33. De plus, passant de nombreuses heures à observer et à échanger avec les Indiens, il montre que les conclusions de Virey sont fausses concernant leur absence de cultures, de chants, de danses, ou de musique. Il écrivit à la suite de cette rencontre un véritable plaidoyer pour que les Indiens Charruas ne soient plus considérés comme des brutes : « C’est au phrénologiste qu’il appartient plus qu’à tout autre peut-être, de les justifier, et de prouver combien l’organisation cérébrale de ces hommes est supérieure à celle des brutes, au rang desquelles on n’a cessé de les ravaler »34.

  • 35 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le Grand Océan (autour du voyage de Dumoutier à (...)
  • 36 Rochette (Marc), « Dumont d’Urville’s Phrenologist : Dumoutier and the Aesthetics of Races », The J (...)
  • 37 Renneville (Marc), Le langage des crânes…, op. cit., p. 163.

17Cette prise de position contre l’Académie des Sciences en fait un scientifique controversé35 et illustre véritablement son désaccord avec l’idée d’une irréversibilité des stades de civilisation et celle d’une raciologie fixiste, inégalitaire et hiérarchisée. Dumoutier — comme ses collègues — ne cherche pas à établir un classement des types humains sur base de généralisations phrénologiques, la tâche du phrénologiste étant davantage de décrire les différents caractères présents de manière universelle dans l’esprit humain et à travers toutes les populations36. En effet, à la différence des théories de l’anthropologie physique de la seconde moitié du xixe siècle, la phrénologie se base davantage sur l’individu que sur la population et « ne dissocie pas les critères physiologiques et les critères culturels dans un rapport de causalité hiérarchique »37. Le conflit entre Dumoutier et Virey laisse ainsi entrevoir la façon dont la phrénologie pouvait s’impliquer dans le débat raciologique. Si l’humanité est perçue en termes d’individualité, l’unité du genre humain pourrait être attestée par l’égalité du potentiel intellectuel et moral chez toutes les prétendues races. Alors que se répandent les thèses raciales et polygénistes, on peut penser que la rencontre de Dumoutier avec les Charruas lui a ouvert les yeux sur la possibilité d’une telle étude phrénologique appliquée à d’autres régions du globe.

  • 38 Idem.

18Sa posture singulière trouvera un écho quelques années plus tard dans la personnalité de Jules Dumont d’Urville (1790-1842). Suite à son premier voyage à travers le Pacifique en 1826-1829, l’amiral s’est passionné pour l’étude de l’homme. Intellectuel de penchant libéral comme de nombreux phrénologistes, il se convertit rapidement aux thèses de Gall suite à un examen élogieux de son crâne par un phrénologiste londonien. Quelques semaines plus tard, Dumont d’Urville rencontre Dumoutier à Paris et lui propose de participer à sa prochaine expédition vers le pôle Sud et l’Océanie. Le mouleur y voit alors sans doute l’opportunité d’élargir le domaine de compétence de la phrénologie et d’affiner ses implications théoriques. Dumont d’Urville engage Dumoutier comme « préparateur d’anatomie et de phrénologie »38.

L’Astrolabe Gravure extraite du Voyage de la corvette l’Astrolabe de Dumont d’Urville (Atlas de 1833) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

  • 39 Dumont d’Urville (Jules-Sébastien-César), « Sur les îles du Grand Océan », Bulletin de la Société d (...)
  • 40 Blainville (Henri de), Mirbel (Charles-François), Cordier (Pierre-Louis-Antoine), Freycinet (Charle (...)
  • 41 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le grand océan… », op. cit., pp. 89-138.
  • 42 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe 1837-1840, Manuscrit, Bibliothèq (...)

19Si cette expédition commandée par l’État avait pour but principal d’atteindre les terres du pôle Sud, Dumont d’Urville y voyait sans doute un moyen de continuer son exploration de l’Océanie et de valider ses propres hypothèses. À l’époque, le navigateur se distingue dans le monde scientifique par sa proposition de classification ethnologique du Grand Océan en deux aires culturelles : Polynésie et Mélanésie39. Paradoxalement, malgré les débats qui agitent les recherches sur les typologies raciales, les recommandations officielles fournies par l’Académie des Sciences sur ce domaine sont laconiques en recommandant uniquement de « s’occuper [...] de tout ce qui peut servir au perfectionnement de l’histoire naturelle de l’homme »40. Des instructions bien plus complètes, mais non officielles, sont fournies directement à Dumont d’Urville et Dumoutier par la Société phrénologique de Paris lors de la séance du 10 mai 1837 à laquelle ils assistent41. Ces recommandations basées sur le recueil de crânes et de moulages des têtes débarrassées de leur chevelure visent à constituer une « phrénologie appliquée à l’étude des diverses races »42. Les instructions mentionnent également la nécessité d’observer les mœurs indigènes. Tout en cherchant à vérifier les vues de Dumont d’Urville sur le peuplement océanien, Dumoutier cherchera à comprendre si les peuples éloignés présentent une palette de caractères psychologiques différents ou similaires de ceux trouvés en Europe. En combinant examens phrénologiques et observations ethnographiques, il semble se donner pour mission d’apporter de nouveaux éléments aux thèses monogénistes en prouvant que l’origine raciale ne prédétermine pas la propension d’un vice à être plus développé.

LA PENSÉE PHRÉNOLOGISTE À L’ÉPREUVE DE L’ALTÉRITÉ

Dumoutier sur le terrain et la posture réflexive du collecteur

  • 43 À l’exception d’un très court article : Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Notice phrénologique et (...)
  • 44 Ackernecht (Erwin), « P. M. A. Dumoutier et la collection phrénologique… », art. cit.
  • 45 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit.
  • 46 Surun (Isabelle), « Du texte au terrain : reconstituer les pratiques des voyageurs (Afrique occiden (...)
  • 47 Jacquinot (Charles Hector) (sous la dir.), Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes L (...)

20De son expérience autour du monde, Dumoutier n’a publié aucun récit, article, ni rapport43 qui aurait permit d’ancrer ses observations et ses vues au cœur du débat raciologique. Malgré l’ampleur de son travail, il semble ne pas avoir cherché à formaliser ses données ni sa pratique. Il est ainsi difficile de déterminer si le phrénologiste était peu enclin à l’écriture44 ou s’il souffrait d’un manque de légitimité par rapport à la communauté savante à l’heure où s’essoufflait déjà la théorie phrénologique. C’est donc uniquement la lecture de son journal écrit à bord de L’Astrolabe45 qui permet de connaître en filigrane sa pratique de collecte, son engagement intellectuel et son regard sur les indigènes. Les récits de voyage par leurs auteurs représentent des corpus à la fois riches et parcellaires mais dont la rareté rend en effet difficile la reconstitution des pratiques de terrain, dépendant de l’ambition littéraire de l’auteur et sa volonté de mise en scène46. Dumoutier décrit dans son journal les conditions de collecte des moulages, en y juxtaposant mesures, états d’âme, profils psychologiques, descriptions ethnographiques ainsi que des critiques vives à l’encontre de la civilisation occidentale et de ses conséquences sur les modes de vie locaux. Les réflexions personnelles de Dumoutier (parfois dans la marge ou sous les ratures) laisse à penser que sa posture face à l’altérité différait de celle du reste de l’équipage. La publication du récit de l’expédition47 ne fait quasiment aucune mention de son travail, se centrant logiquement sur la figure de Dumont d’Urville et sur la publication de donnée anthropologiques plus « classiques ».

  • 48 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le grand océan… », op. cit.
  • 49 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe..., op. cit., p. 28 bis.

21L’Astrolabe et La Zélée quittent le port de Toulon en 1837. La première grande escale sur la côte sud-ouest de l’Amérique du Sud n’est pas sans rappeler l’expérience des Charruas. Dumoutier semble en effet être le seul à vouloir échanger avec les populations et désire même passer la nuit dans le village « patagon », contrairement aux autres membres d’équipage que cette idée effraye. Il souhaite observer les indigènes « pendant qu’ils doivent rentrer dans leurs habitudes ordinaires ». Il est toutefois parfaitement conscient que l’arrivée dans le village de l’équipage est un événement extraordinaire qui perturbe leurs mœurs48. Conscient de la réciprocité du regard, il note également : « Il me semble que nous ne devons pas plus pouvoir juger de certaines de leurs habitudes qu’ils ne peuvent juger des nôtres »49. Face aux membres d’équipage qui prôneront tout au long du voyage l’infériorité des populations rencontrées, Dumoutier prend la défense des Patagons en s’insurgeant :

  • 50 Idem, p. 30.

Je laisse à ces grands partisans de ce qu’on nomme le régime paternel le plaisir de déblatérer contre mes récits et contre ces braves gens qui n’ont pas dérogé à leurs habitudes de sauvages pour plaire à nos goûts de civilisés et à nous qui nous sommes montrés des avares envers eux, à nous qui achetions [...] une peau d’autruche pour un petit paquet de tabac [...], à nous gueux civilisés qui nous sommes montrés plus injustes et avides que des sauvages.50

  • 51 Renneville (Marc), Le langage des crânes …, op. cit., p. 216.
  • 52 Rignol (Loïc), « La phrénologie et le déchiffrement des races », in Sarga (Moussa) (sous la dir.), (...)
  • 53 Idem.
  • 54 Renneville (Marc), Le langage des crânes …, op. cit.
  • 55 Rochette (Marc), « Dumont d’Urville’s Phrenologist… », art. cit.
  • 56 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Notes sur les travaux relatifs à l’étude de l’histoire naturell (...)

22Comme le conclut très justement Renneville51 : « Les Patagons étaient pour lui comme les Charruas : des hommes avant tout. C’était l’ensemble de leurs qualités et de leurs défauts qui les plaçaient dans une proximité avec les occidentaux ». La pensée de Dumoutier est représentative du postulat monogéniste adopté par les phrénologistes : tous les hommes possédant par leur nature le même nombre de facultés, ils appartiennent par conséquent tous à la même espèce52. Cette idée implique que le même nombre de facultés, penchants et défauts est partagé par tous les représentants de l’espèce humaine sans distinction de races et d’origines53. Si les Patagons volèrent quelques objets aux Français (dont son craniomètre), Dumoutier est toutefois loin de penser qu’ils sont naturellement enclins au vol pour des raisons raciales comme le clame le reste de l’équipage54. Au contraire, c’est davantage l’influence corruptive de l’Occident qui, selon lui, affecte le comportement des autochtones. Ainsi, s’il semble ensuite reconnaître des « vices » chez les Marquisiens, ces vices ne résultent selon lui aucunement d’une différence de constitution biologique mais plutôt d’une condition sociale55 héritée des « rapports que [ce peuple] eut fréquemment depuis plus de deux siècles avec des étrangers qui, loin de lui apporter les bienfaits de la civilisation, ne lui en ont fait connaître que les vices, et n’ont fait qu’ajouter à sa barbarie et à sa corruption »56.

« Scène funéraire » Nouka-Hiva (Îles Marquises). Dessin de Ernest Goupil, lithographié par Bayot, extrait de l’Atlas pittoresque (tome 1,1846), planche 57, p. 68 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

« Naturel de Nouka-Hiva » Îles Marquises. Dessin de Louis Le Breton, lithographié par Émile Lasalle, extrait de l’Atlas pittoresque (tome 1,1846), planche 58, p. 69 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

23Après les îles Marquises, l’équipage fera escale à Samoa, aux Fidji, à Vanikoro, aux îles Salomon, Carolines, Palaos et aux Philippines. Autant d’escales que de rencontres qui permettent à Dumoutier d’affiner son point de vue sur l’altérité. Lors de la relâche en Nouvelle-Zélande, il relate avec écœurement et un soupçon de rousseauisme ce qu’il pense être les conséquences du contact brutal entre deux civilisations :

  • 57 Idem.

Avant l’arrivée de cette écume des sociétés civilisées, ces prétendus sauvages avaient naguère des arts et une industrie dans l’enfance, aujourd’hui que font-ils ? Rien. Ces soyeuses nattes de formium, des armes chargées de sculptures, ces pirogues, ces ustensiles, ces riches tatouages, ces insignes, ces « pounamous », ornements en jade, illustrations de leur ancêtre, blason preuve de leur ancienne industrie, tout a disparu, on les a dépouillés. [Puis barré dans le texte :] On use continuellement envers eux de la plus honteuse cupidité, on leur vend au centuple de leur valeur des objets de rebuts, on leur a fait perdre l’habitude du travail et que leur a-t-on donné à la place ? Osera-t-on le dire !57.

24Riches en réflexions humanistes autant qu’en descriptions ethnographiques, le journal de bord de Dumoutier s’avère finalement plus riche d’enseignements sur les différences culturelles que sur les variations morphologiques. Parti en tant que phrénologiste et médecin, le terrain le transforme malgré lui en ethnologue.

L’instant du moulage : convaincre et s’adapter au regard de l’Autre

  • 58 Broca (Paul), « Instructions générales pour les recherches et observations anthropologiques », Mémo (...)

25Il convient ici de revenir brièvement sur la relation entre la technique du moulage et l’ouverture d’esprit nécessaire au collecteur. « Les voyageurs ne décideront pas toujours aisément les indigènes à se laisser mouler la tête. Il faut d’ailleurs une certaine habileté pour faire cette opération sur le vivant »58. Cette « habileté » dont parle Paul Broca dans ses instructions de 1865 pour la Société d’anthropologie de Paris, ne fait pas référence à une faculté technique mais surtout aux talents de négociations et de diplomatie nécessaires pour obtenir l’accord des modèles. La technique perfectionnée de Dumoutier permet un moulage rapide mais impose de raser la tête pour mettre en évidence les reliefs du crâne, une requête délicate qui fit comprendre au mouleur la conception hautement sacrée de la tête chez les Océaniens. Comme il le note lui-même dans son journal de bord, lorsqu’il mime la tonte des cheveux, ses interlocuteurs indignés s’exclament : « tabou, tabou ! ».

26Il existe peu d’éléments sur les conditions d’interactions entre Dumoutier et les populations, toutefois de nombreux passages de son manuscrit laissent à penser que les missions chrétiennes présentes dans différentes îles ont grandement facilité la prise de contact. Les niveaux d’instruction religieuse pris en note par Dumoutier pour de nombreux modèles (« converti », « sacristain », « très religieux », « sachant lire » ou « ayant reçu le baptême ») permettent de supposer qu’il s’est appuyé sur les missionnaires, à la fois pour les traductions et pour le recrutement des modèles. En effet, trouver des volontaires apparaît comme l’une des tâches les plus ardues. Il fonctionne de manière opportuniste, tout en veillant à exécuter des moulages lors de chaque escale afin de réaliser un répertoire exhaustif à l’échelle de l’Océanie. S’il exprime sa volonté de mouler autant de femmes que d’hommes, il doit faire face aux difficultés particulières liées aux modèles féminins :

  • 59 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit., p. 551.

S’il n’est pas toujours facile d’obtenir des empreintes de têtes d’hommes, il est encore plus difficile d’en obtenir de femmes [...]. Il faut dire pourtant que chez quelques tribus de Mélanésie, certaines femmes ont la coutume de se couper les cheveux très ras ou de se raser diverses parties de la tête, qu’il en est de même pour les hommes et les enfants. [...] Que cet usage laisse aux caprices et ou à la fantaisie de chacun de mutiler ou de conserver sa chevelure comme il l’entend. On conçoit que dans tous ces cas, il y a lieu d’espérer que la perte de la toison ne sera pas un grand obstacle59.

Bustes de Poukalem et de Matoua-Tawai
Lithographie de Léveillé d’après les moulages de Dumoutier, extraite de Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), « Atlas anthropologique », in Jacquinot (Charles Hector) (sous la dir.), Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes L’Astrolabe et la Zélée…, Paris : Gide, 1846, planche 14, p. 34 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

27Sa relative proximité avec les modèles semble lui faire pleinement saisir leurs craintes face à cette pratique et le problème de la justification de l’utilité de ces moulages.

  • 60 Idem, p. 551 verso.

On ne doit s’attendre à aucun sacrifice de la part de cet homme en faveur de la science, et alors même qu’on s’évertuerait à lui faire comprendre le but de cette opération, c’est-à-dire l’obtention d’un relief ou d’un buste, on ne parviendrait pas à lui démontrer l’utilité de ce buste, et rien ne peut lui faire connaître les intentions de l’opérateur60.

  • 61 Dumoutier préparait premièrement la tête du modèle : rasage des cheveux ou pose d’un bonnet, graiss (...)

28Au-delà de la lourdeur technique de ce procédé de moulage sur vivant61, c’est bien l’obtention du consentement du modèle qui représente la première difficulté des mouleurs. Dumoutier semble pour cela instaurer un rapport de confiance en s’adaptant, acceptant les refus et l’incompréhension face à l’étrangeté de sa pratique. Face aux refus préalables, les phases de négociation et de persuasion furent essentielles... Lors de certaines escales, il passa par un troc de circonstance, cherchant à tout prix ce qui pourrait plaire à l’individu en échange de la perte de sa chevelure et l’empreinte de son visage. Attentif aux mœurs des hommes et femmes qu’il rencontre, le phrénologiste saisit au fil du voyage ce qui a à la fois valeur sacrée (la tête) et valeur d’échange (objets localement rares). Dans son journal de bord, il note parfois sous le nom des individus la valeur de la transaction : « moulé pour un mouchoir et une dent de cachalot », parfois des couteaux, des outils, mais surtout des étoffes. La scène la mieux décrite de son journal concerne le succès d’une hache qu’il répare à la hâte et qui, prenant une valeur de pièce unique, attira la convoitise de tout un village de l’archipel des îles Salomon :

  • 62 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit., p. 236.

Je commençais à désespérer de rien faire pour la collection phrénologique lorsque je m’avisai de mettre à neuf une forte hache que j’avais achetée à Valparaiso, et d’essayer de ce moyen de séduction envers nos timides visiteurs. En moins de deux heures la hache rouillée, et bien affilée, un manche neuf et bien poli lui était adapté, un vernis noir couvre tout le fer jusqu’au biseau et s’étend en bariolures sur le manche. Ma hache était séduisante, ma hache a fait fortune. Foli est le premier à qui je la présente. [...] son premier mouvement fut l’admiration [...] les autres insulaires de répéter les mêmes signes d’admiration. Leur signe de la posséder est extrême, chacun veut la tenir, la contempler à son aise [...]. Tout bien considéré, Foli se décide, me suit et se laisse tondre [...]. Le plâtre coule sur son front, il s’étend sur son col, sur ses joues, ses oreilles sont obstruées, sa bouche est couverte, ses yeux bientôt vont se fermer, il jette un dernier regard sur la hache62.

29Dumoutier épuise ainsi le stock de haches que transportait le navire en moulant les comparses de Foli, convertis à l’intérêt de cet échange. Même scénario sur l’île de Tawai-Punamu en Nouvelle-Zélande :

  • 63 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit., p. 462.

Après avoir échoué dans mes offres accompagnées de toutes sortes de cadeaux, ma vieille capote d’infortune est ce qui le séduit par-dessus tout. Capoï (« c’est bon ! »), capoï ! répétait-il et enfin il se décide aussitôt. Les ciseaux font brèche dans sa chevelure et une heure après je possédais l’empreinte sur nature d’une assez belle figure de zélandais dont le tatouage très creux se dessinait parfaitement en relief dans mon empreinte. Le premier pas fait, je pus espérer en séduire quelques autres et en effet j’y parvins les jours suivants. Car ce même homme que j’avais moulé d’abord me permis de faire la même opération sur la tête de sa femme, et un autre, qui s’était presque luxé l’épaule en tirant un coup de fusil et auquel j’avais donné quelques soins, me confia sa tête et compléta ma collection d’empreintes63.

  • 64 Si compte tenu de l’évolution du pouvoir d’achat il est difficile de convertir ce montant en euros, (...)
  • 65 Serres (Étienne), Archives manuscrites du Professeur Étienne Serres, Manuscrit, Bibliothèque centra (...)
  • 66 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Note de dépenses diverses relatives à l’exécution de dix bustes (...)

30Certains manuscrits ou « notes de frais » issus d’autres séries de moulages réalisés à Paris peuvent nous renseigner également sur les gratifications. Ainsi, les Algériens qui présentèrent un spectacle de cavalerie à l’Hippodrome de Paris en 1851 perçurent 5 francs pour le moulage de leur tête et 2,70 francs pour celui de leur bras ou de leur jambe64. Distinction hiérarchique également puisque leur chef, par son statut, toucha 20 francs supplémentaires65. Pour les Indiens Ioways présents à Paris en 1845 (également acteurs d’un spectacle ethnique) et moulés par Dumoutier, ce dernier inscrit dans sa note de frais : « pour gratification à celui qui s’est laissé mouler : 15 francs »66.

Buste de Fouli
Natif d’Opihï, Île Isabelle, Archipel Salomon, Mélanésie. Lithographie de Raunheim d’après les moulages de Dumoutier, extraite de l’« Atlas anthropologique » de Dumoutier (1846), planche 12, p. 32 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

Buste de Taha Tahala Natif d’Otago, Île de Tawai-Punamu, Nouvelle-Zélande, moulé par Dumoutier Cliché collection d’Anthropologie biologique, MNHN.

LE RETOUR DE L’ASTROLABE ET LA RECONNAISSANCE DU MOULAGE ANTHROPOLOGIQUE

  • 67 Jacob (Yves), Dumont d’Urville, le dernier grand marin de découvertes, Grenoble : Glénat, 1995, 405 (...)
  • 68 Membre de l’Académie, Étienne Serres est professeur d’anatomie comparée et d’histoire naturelle de (...)
  • 69 Renneville (Marc), Le langage des crânes…, op. cit.
  • 70 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le grand océan… », op. cit., pp. 89-138.

31Au retour des deux corvettes en 1841, les 51 moulages peints réalisés par Dumoutier sont exposés pendant quelques jours au milieu d’autres objets de sciences naturelles au magasin de la Marine à Toulon. Les registres scientifiques sont transmis à l’Académie des Sciences où une commission se constitue pour la rédaction des rapports67. À la tête de la chaire d’anatomie comparée et d’Histoire naturelle de l’Homme depuis un an, Étienne Serres68 est choisi pour examiner les 25 caisses de crânes et de bustes ramenés par Dumoutier69. L’Académie des Sciences produit pour la première fois un rapport sur des observations anthropologiques70. La collection de Dumoutier reçoit les éloges, étant considéré par Serres comme l’élément le plus important ramené par l’expédition. L’académicien voit dans cette humanisation de la donnée un nouvel angle d’approche pour l’anthropologie de terrain et de laboratoire. Pour lui, cette collection contribue à « tourner le regard des voyageurs » vers l’anthropologie et permet de rattraper son retard face à la zoologie dû à l’absence d’un grand « musée anthropologique » :

  • 71 Serres (Étienne), « Rapports sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation… », art. (...)

Les résultats de l’expérience ouvrent une voie nouvelle aux recherches de l’histoire naturelle de l’homme [...]. Car, au lieu d’aller à la recherche des peuples, ce qui est impossible à un seul homme, ce seront les peuples qui, à certains égards, viendront eux-mêmes à la rencontre de l’observateur, du philosophe, de l’historien et du physiologiste. L’anthropologie deviendra, de cette manière, une science d’observation comme la zoologie. [...] Ainsi reproduits ce sont en quelque sorte les Océaniens en personne : c’est le complément indispensable des descriptions déjà faites par les naturalistes [...]. Quelque précis que soit la description des types de ces peuples [...] il manquait quelque chose à leurs tableaux, ce quelque chose était l’individualité des peuples que nous reproduisent ces bustes. Ces moulages sont « sans déguisement et sans art, tel enfin que les réclament les besoins de l’anthropologie »71.

  • 72 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), « Atlas pittoresque », in Jacquinot (Charles Hector) (sous la d (...)
  • 73 De nombreux dessins ayant pour sujet les populations rencontrées furent effectués lors de l’expédit (...)

32Malgré des instructions de départ extrêmement réduites, deux volumes d’anthropologie sont tout de même prévus à la publication, ainsi qu’un atlas anthropologique présentant les moulages et les crânes acquis par Dumoutier72. C’est la première fois dans l’histoire qu’une part aussi grande est accordée aux sciences de l’homme dans un récit d’expédition. Toutefois, ce sera mystérieusement le naturaliste polygéniste Blanchard qui se chargera de rédiger l’ensemble des textes. Dans son introduction, celui-ci insiste lui aussi sur l’intérêt de telles reproductions face à l’imprécision des dessins73 :

  • 74 Blanchard (Émile), « Texte de l’anthropologie », in Hombron (Jean-Bernard), Voyage au Pôle Sud et d (...)

Dans les relations de voyages, on a bien souvent représenté, à l’aide du dessin, les physionomies des habitants des localités visitées par les explorateurs ; mais, dans tous, on peut l’affirmer, ces représentations sont imparfaites [...] ; l’anthropologiste ne peut donc y avoir confiance, il doit renoncer à les employer à la détermination des caractères des races, en un mot, il ne peut les utiliser. Les artistes habitués à représenter sans cesse le type européen, sont inhabiles dans la plupart des cas à tracer le portrait et la vraie physionomie d’un sauvage de l’Amérique, ou d’un insulaire de la Polynésie [...]. M. Dumoutier a mieux compris ce qu’il y avait à faire pour arriver à donner une connaissance exacte des traits du visage et de la forme généreuse de la tête chez les peuplades qu’il a observées. Dans chaque localité, il s’est efforcé de déterminer quelques individus à se laisser mouler, et nous devons croire qu’il a bien su s’y prendre74.

  • 75 Douglas (Bronwen), « Confronting ‘Hybrids’ in Oceania : Experience, Materiality and the Science of (...)
  • 76 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Notice phrénologique et ethnologique sur les naturels…, op. cit
  • 77 Hamy (Ernest-Théodore), « La collection anthropologique du Muséum… », art. cit. pp. 257-276. Hamy s (...)
  • 78 Renneville (Marc), Le langage des crânes …, op. cit.
  • 79 Rochette (Marc), « Dumont d’Urville’s Phrenologist… », art. cit., pp. 251-268.

33Toutefois, le choix de la ligne éditoriale et les jeux de pouvoirs sous-jacents donneront raison au positionnement polygéniste de Blanchard. Alors que Dumoutier prône l’unité du genre humain, Blanchard utilise le matériel du mouleur pour servir sa propre cause, celle d’un discours raciologique. Il affirme que ces 51 moulages sont une preuve de la pluralité spécifique du genre humain et de la création simultanée de « différentes espèces »75. Plus collectionneur que rédacteur, Dumoutier ne réagira pas. Il n’écrit d’ailleurs, suite au voyage, qu’un seul article conventionnel et très court sur la phrénologie et l’ethnologie des Marquisiens76. Selon Ernest-Théodore Hamy (1842-1908), Dumoutier était inapte à l’écriture77. Selon Renneville, le changement de ligne éditoriale serait lié à la mort brutale en 1842 de Dumont d’Urville78. La direction de la publication passe alors entre les mains des adversaires de la phrénologie, dont le mouvement s’essouffle déjà. Comme le mentionne Rochette, la vérité contient sans doute un peu des deux explications79.

« Naturels de Nouka-Hiva »
Îles Marquises. Dessin de Louis Le Breton, lithographié par Bayot, extrait de l’Atlas pittoresque (tome 1, 1846), planche 60, p. 71 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

  • 80 Blanckaert (Claude), « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum… », op. cit., pp. 85-123.
  • 81 Tandis qu’au même moment, la phrénologie se développe aux États-Unis et y prospérera jusqu’au début (...)
  • 82 Broca (Paul), Du siège de la faculté du langage articulé dans l’hémisphère gauche du cerveau, Paris (...)
  • 83 Broca (Paul) « Instructions générales pour les recherches et observations anthropologiques », Mémoi (...)
  • 84 Reinach (Théodore), « Notice sur la vie et les travaux de M. le Dr Hamy ; lue dans la séance du 9 d (...)
  • 85 Delisle (Ferdinand), « Instructions aux voyageurs », in Bertillon (Adolphe) (sous la dir.), Diction (...)

34Suite à l’expédition, le musée de phrénologie de Dumoutier connut malgré tout un grand succès, notamment grâce à ses moulages exotiques qu’il était toutefois censé déposer au Muséum d’Histoire naturelle80. Quelques années plus tard, le musée de Dumoutier fit faillite, son propriétaire l’expropria et saisit ainsi sa collection. Face aux progrès de la médecine, les conceptions organicistes et innéistes de la théorie phrénologique sont progressivement remises en cause en Europe81. En 1865, Paul Broca démontre que l’aphasie est liée à une aire cérébrale et non au crâne, prouvant définitivement l’invalidité de la phrénologie82. La technique de moulage de tête est quant à elle récupérée pour les besoins de la représentation des types et de leur classification par la mesure. Toujours en 1865, la technique est ainsi intégrée par Broca lui-même dans ses « instructions »83. Parce qu’il permet d’illustrer les données chiffrées, le moulage devra dès lors faire partie du bagage du voyageur. Le moulage sera reconnu d’utilité scientifique et esthétique, enseigné au Muséum84 et mentionné dans les « instructions aux voyageurs » jusque dans les années 189085.

  • 86 Hamy (Ernest-Théodore), « La collection anthropologique du Muséum… », art. cit., pp. 257-276.

35Face au déclin progressif de la phrénologie, Dumoutier mit tout de même à profit son crédit auprès des anthropologues et continua d’exercer pour la Société Ethnologique de Paris qui tenta jusqu’en 1848 de prendre le relais de la Société Phrénologique. À partir des années 1850, on perd toutes traces de lui. Il meurt en 1871. Sa série de moulages océaniens fut en partie exposée dans la première galerie d’anthropologie créée en 1852 au Muséum. Elle sera ensuite entreposée pendant plusieurs années en caisses dans le grenier du musée Dupuytren puis dans les caves de l’École de médecine86. La collection sera rachetée en 1873 par le Muséum après une longue enquête de Hamy pour la retrouver.

Le céphalomètre de Dumoutier
Dumoutier conçu cet appareil pour effectuer sur les moulages des mesures anthropométriques, a posteriori. Il fut apparemment le seul à l’utiliser. Le modèle original (ci-contre) est actuellement exposé au sein de la Galerie de l’Homme au Musée de l’Homme. Page de gauche, lithographie de Raunheim extraite de l’« Atlas anthropologique » de Dumoutier (1846), planche 48, p. 68 Clichés Jean-Christophe Domenech, MNHN & Bibliothèque centrale, MNHN.

  • 87 Bien qu’Étienne Serres mentionne l’existence de « tableaux contenant les résultats de ses nombreuse (...)

36Avec l’institutionnalisation de l’anthropologie, le chantier d’une « phrénologie appliquée à l’étude des diverses races » que souhaitait Dumoutier ne sera jamais réalisé, conséquence du démontage progressif du système de Gall au tournant des années 1840-1850. Monogéniste comme nombre de phrénologistes, il envisageait de démontrer l’unité du genre humain sur base de l’unité du potentiel intellectuel et moral chez tous les êtres humains et sera finalement dénigré par le monopole grandissant d’une anthropométrie racialiste et polygéniste guidée par Paul Broca postulant l’imperméabilité des prétendues niveaux de civilisation. La reconnaissance de Dumoutier ne viendra donc pas de ses ambitions humanistes ou de ses motivations phrénologiques87, mais du fait d’avoir pensé un nouvel objet de collecte pour l’anthropologie en reproduisant en trois dimensions des aperçus du polymorphisme humain.

  • 88 Dias (Nélia), « Séries de crânes et armée de squelettes… », art. cit.

37Au même titre que Dias le mentionne pour les alignements de squelettes et les séries de crânes88, les moulages anthropologiques doivent être considérées comme un jalon de l’histoire de l’anthropologie. Ces moulages renvoient à un fragment du regard occidental sur l’altérité, aux questionnements des scientifiques sur la diversité du monde, mais aussi à une nécessité d’ancrer le savoir dans une matérialité tangible et objectivable. Au-delà des débats dans lesquelles ils ont été mobilisés puis dénigrés, ces bustes moulés font intégralement partie du mouvement de collecte propre aux sciences naturelles. Toutefois, en termes d’objet les moulages sur nature ne préexistent pas à l’état naturel au même titre qu’une plante ou un squelette animal, et leur production nécessite une action forte du savant. En ce sens ce sont des objets au statut ambigu. Le moulage d’une tête est plus qu’une mesure du corps et n’est pas un reste humain, ni une œuvre d’art. En quelque sorte ces moulages ne sont plus vraiment l’Autre, mais ne sont pas vraiment Nous. Ils sont l’artéfact d’une relation entre un scientifique et un autre individu considéré comme membre d’un tout — le genre humain — dont le savant cherche à déchiffrer les origines et la répartition.

38La réalisation de moulages au sein de populations éloignées implique pour le scientifique de terrain une posture collaborative. Leur collecte exige, comme nous l’avons vu pour Dumoutier, un regard sur l’Autre et la compréhension de certains codes qui sont l’apanage de l’expérience ethnographique.

  • 89 Société d’anthropologie de Paris (sous la dir.), La Société, l’école et le laboratoire d’anthropolo (...)

39La constitution de collections de bustes va concourir à augmenter l’intérêt pour la représentation de types différenciés par des caractères partagés au sein des différents groupes humains. Ce savoir anthropologique tâtonnant bénéficiera du développement dans la deuxième moitié du xixe siècle de la photographie et de son application immédiate à l’anthropologie. Moulages et photographies sont alors mobilisés simultanément comme des moyens efficaces d’accroître les collections et permettant autant l’étude que la représentation des « caractères typiques ». Lors de sa participation à l’Exposition universelle de 1889, la Société d’anthropologie de Paris misera sur le procédé photographique en encourageant les scientifiques à « réunir les portraits des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, des adultes surtout, avec les costumes, les détails intérieurs [...]. Il faut se hâter car l’unification marche à grands pas »89. La photographie prendra rapidement le pas sur le moulage. Permettant plus de distance entre le savant et le modèle, et moins engageant pour ce dernier, la collecte de photographies anthropologiques (également intégrée parmi les « instructions aux voyageurs ») sera considérée comme plus simple à mettre en œuvre, le moulage étant réservé à des spécialistes.

  • 90 Jéhel (Pierre-Jérôme), « Une illusion photographique », Journal des anthropologues, no 80-81, 2000, (...)
  • 91 Une prise de position qui lui vaudra d’être évincé de la Société d’anthropologie de Paris en 1889.
  • 92 Je remercie Alain Froment et Lydia Sevette pour leur relecture de ce texte et leurs commentaires. J (...)

40À l’inverse des objets de collecte des sciences naturelles (échantillons botaniques, taxidermie, etc.) les photographies et moulages anthropologiques ne sont pas l’objet étudié en tant que tel, mais une représentation de celui-ci. Moulages et photographies seront progressivement dénigrés à la fin du xixe siècle pour la même raison qu’ils furent mobilisés : ils évoquent une représentation trop individualisée et ne permettent pas de résoudre le problème du passage du particulier au général90. Représentatif de cette critique, Paul Topinard, secrétaire général de la Société d’anthropologie et élève de Broca, émet les premiers doutes quant à l’usage généralisé de l’image photographique en anthropométrie91. Selon lui, l’approche purement quantitative et le fait de fixer les différences en les illustrant est réducteur et ne permet pas de rendre compte des types humains. Une analyse davantage basée sur l’observation et la description sera peu à peu valorisée, s’opposant aux méthodes matérialistes en vigueur. Face à l’objectif ambitieux que se donne alors l’anthropologie au tournant du xxe siècle, les moulages sur nature perdent tout intérêt scientifique alors même que l’idée de « type » se révèle progressivement inapte à illustrer la diversité de l’espèce humaine.92

Notes

1 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « Histoire naturelle de l’homme », in Histoire naturelle, générale et particulière, Paris : Imprimerie royale, 1749, vol. 2, pp. 427-603, vol. 3, pp. 305-530.

2 Dias (Nélia), « Séries de crânes et armée de squelettes : les collections anthropologiques en France dans la seconde moitié du xixe siècle », in Histoire de l’anthropologie : Hommes, idées, moments, no spécial de Bulletins et mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, tome 1, no 3-4, 1989, pp. 203-230.

3 Duda (Romain), Histoire de la collection de moulages anthropologiques du Muséum national d’Histoire naturelle (+ catalogue de la collection), Paris : Laboratoire d’anthropologie biologique, Musée de l’Homme, 2011, 58 p. + 120 p.

4 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « Histoire naturelle de l’homme », op. cit.

5 Souvent considérée comme le berceau de l’école anthropologique française. Un demi-siècle plus tard, la Société d’Anthropologie de Paris et son fondateur, Paul Broca, s’en réclameront comme héritier. Pour plus de détail sur l’histoire de cette société savante, se référer à Copans (Jean) & Jamin (Jean), Aux origines de l’anthropologie française : les mémoires de la société des observateurs de l’homme en l’an VIII [textes publ. et présentés par Copans Jean & Jamin Jean ; préf. de Faivre Jean-Paul], Paris : Jean-Michel Place, 1994, 212 p. (Cahiers de Gradhiva ; 23).

6 Gérando (Joseph-Marie de), « Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages » [1e éd. 1800], texte réédité in Copans (Jean) & Jamin (Jean), Aux origines de l’anthropologie française …, op. cit. Ces instructions furent écrites à l’intention de l’explorateur Nicolas Baudin (1754-1803) pour son expédition dans les mers australes.

7 Cuvier (Georges), « Note instructive sur les recherches à faire relativement aux différences anatomiques des diverses races d’hommes », texte rédigé en 1799 et réédité in Copans (Jean) & Jamin (Jean), Aux origines de l’anthropologie française …, op. cit.

8 Douglas (Bronwen), « Climate to Crania : science and the racialization of human difference », in Douglas (Bronwen) & Ballard (Chris) (sous la dir.), Foreign bodies : Oceania and the science of race 1750-1940, Canberra : ANU E Press, 2008, pp. 33-98.

9 Serres (Étienne), « Rapport sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation de l’Astrolabe et de la Zélée - première partie - Anthropologie », Compte rendu des séances de l’Académie des Sciences, séance du lundi 27 septembre 1841, t. 13, p. 645.

10 Blanckaert (Claude), « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum dans son contexte institutionnel et intellectuel (1832-1855) », in Blanckaert (Claude), Cohen (Claudine), Corsi (Pietro) & Fischer (Jean-Louis) (sous la dir.), Le Muséum au premier siècle de son histoire, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 1997, pp. 85-123 (Archives ; 3).

11 Membre de la Société d’anthropologie de Paris, Paul Topinard définira le type comme « un ensemble de caractères se répétant sur un grand nombre de sujets, ce qui laisse supposer un certain lien, une communauté quelconque de sang ». Topinard (Paul), « Les types indigènes de l’Algérie », Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 19 mai 1881, p. 457.

12 Dias (Nélia), « Séries de crânes et armée de squelettes… », art. cit., pp. 203-230.

13 Gall (Franz Jozeph) & Spurzheim (Johann Gaspar), Anatomie et physiologie du système nerveux en général et du cerveau en particulier, Paris : Schoell, 1810, 466 p.

14 Sorel (Philippe), « La phrénologie et le moulage », in Papet (Édouard) (sous la dir.), À fleur de peau. Le moulage sur nature au xixe siècle [Catalogue d’exposition, Paris, Musée d’Orsay, 29 octobre 2001 - 27 janvier 2002] Paris : Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2001, pp. 96-108.

15 Gall postule que le cerveau n’est pas un organe unique mais une réunion d’organes composés entre eux. Blanckaert (Claude), « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum… », op. cit.

16 Douglas (Bronwen), « Climate to Crania… », op. cit., pp. 33-98.

17 Renner (Claude), « Quelques propos autour de la phrénologie », Histoire Des Sciences Médicales, tome 45, no 3, 2011, pp. 249-256.

18 Idem.

19 Voir notamment les critiques de l’écrivain Jules Janin analysées par Laugée (Thierry), « Un panthéon morbide : la naissance du Musée de la Société Phrénologique de Paris », Études françaises, vol. 49, no 3, 2013, pp. 47-61.

20 La théorie du localisationnisme envisage le cerveau en termes de portions localisées correspondant à des fonctions spécifiques. Elle est impulsée par le développement de la phrénologie qui sera ainsi la première théorie à attribuer une localisation aux différentes fonctions cognitives, influençant les travaux de Paul Broca et les bases théoriques de la neuropsychologie.

21 Flourens (Pierre), Examen de la Phrénologie, Paris : Paulin, 1842, 115 p., in-duodecimo.

22 Renneville (Marc), « Un musée d’anthropologie oublié : le cabinet phrénologique de Dumoutier », Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, nelle série, tome 10, no 3-4, 1998, pp. 477-484.

23 Hamy (Ernest-Théodore), « La collection anthropologique du Muséum national d’Histoire naturelle : Leçon d’ouverture du cours d’anthropologie faite le 11 avril 1907 », L’Anthropologie, tome 18, no 1-2, 1907, pp. 257-276.

24 Blanckaert (Claude), « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum… », op. cit.

25 Papet (Édouard), « Le moulage sur nature au service de la science », in Papet (Édouard) (sous la dir.), À fleur de peau…, op. cit., pp. 88-95.

26 Serres (Étienne), « Rapports sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation… », art. cit., pp. 643-645.

27 Ackernecht (Erwin), « P. M. A. Dumoutier et la collection phrénologique du Musée de l’homme », Bulletins de la Société Anthropologique de Paris, Xe série, tome 7, no 5-6, 1956, pp. 289-308.

28 Renneville (Marc), Le langage des crânes : une histoire de la phrénologie [préf. de Lantéri-Laura Georges], Paris : Institut d’édition Sanofi-Synthélabo, 2000, 354 p. (Les empêcheurs de penser en rond).

29 Renneville (Marc), « Un musée d’anthropologie oublié… », art. cit., pp. 477-484.

30 Janin (Jules), « Phrénologie », L’Artiste, tome VII, 1834, p. 78.

31 Pour plus de détails à ce sujet voir Rivet (Paul), « Les derniers Charruas », Revista de la Sociedad de Amigos de la Arqueología, no 4, 1930, pp. 76-81.

32 Virey (Julien-Joseph), « Des sauvages Charruas de l’Amérique méridionale », L’Europe littéraire : journal de la littérature nationale et étrangère, no 48, 19 juin 1833, pp. 115-118. Reproduit dans Rivet (Paul), « Les derniers Charruas », art. cit.

33 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), « Considérations phrénologiques sur la tête des quatre Charruas », Journal de la Société Phrénologique de Paris, tome 2, no 5, 1833, pp. 74-103.

34 Idem.

35 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le Grand Océan (autour du voyage de Dumoutier à bord de l’Astrolabe en 1837-1840) », in Blanckaert (Claude) (sous la dir.), Le terrain des sciences humaines : instructions et enquêtes, xviiie-xxe siècles, Paris : L’Harmattan, 1996, pp. 89-138 (Histoire des sciences humaines).

36 Rochette (Marc), « Dumont d’Urville’s Phrenologist : Dumoutier and the Aesthetics of Races », The Journal of Pacific History, tome 38, no 2, 2003, pp. 251-268.

37 Renneville (Marc), Le langage des crânes…, op. cit., p. 163.

38 Idem.

39 Dumont d’Urville (Jules-Sébastien-César), « Sur les îles du Grand Océan », Bulletin de la Société de Géographie, tome 17, no 105, janvier 1832, pp. 1-21.

40 Blainville (Henri de), Mirbel (Charles-François), Cordier (Pierre-Louis-Antoine), Freycinet (Charles de) & Savary (Félix), « Rapport de la Commission chargée, sur l’invitation de M. le Ministre de la Marine, de rédiger des instructions pour les observations scientifiques à faire pendant le voyage des corvettes de l’État L’Astrolabe et la Zélée, sous le commandement de M. le capitaine Dumont d’Urville », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, Paris : Gauthier-Villard, tome 5, 1837, pp. 134-155.

41 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le grand océan… », op. cit., pp. 89-138.

42 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe 1837-1840, Manuscrit, Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle, section Manuscrits & Archives, fonds Musée de l’Homme [côte Ms 72], non daté.

43 À l’exception d’un très court article : Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Notice phrénologique et ethnologique sur les naturels de l’Archipel Nouka-Hiva (Îles Marquises), Paris : Impr. Fain & Thunot, 1843, 15 p., in-8°.

44 Ackernecht (Erwin), « P. M. A. Dumoutier et la collection phrénologique… », art. cit.

45 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit.

46 Surun (Isabelle), « Du texte au terrain : reconstituer les pratiques des voyageurs (Afrique occidentale, 1790-1880) », Sociétés & Représentations, vol. 21, no 1, 2006, pp. 213-223.

47 Jacquinot (Charles Hector) (sous la dir.), Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes L’Astrolabe et la Zélée, exécutée par ordre du roi pendant les années 1837-1838-1839-1840 sous le commandement de M. J. Dumont d’Urville, Paris : Gide & Baudry, 1854, 23 vol.

48 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le grand océan… », op. cit.

49 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe..., op. cit., p. 28 bis.

50 Idem, p. 30.

51 Renneville (Marc), Le langage des crânes …, op. cit., p. 216.

52 Rignol (Loïc), « La phrénologie et le déchiffrement des races », in Sarga (Moussa) (sous la dir.), L’idée de « race » dans les sciences humaines et la littérature (xviiie-xixe siècles) : actes du colloque international de Lyon (16-18 novembre 2000), Paris : L’Harmattan, 2003, pp. 225-238 (Histoire des sciences humaines).

53 Idem.

54 Renneville (Marc), Le langage des crânes …, op. cit.

55 Rochette (Marc), « Dumont d’Urville’s Phrenologist… », art. cit.

56 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Notes sur les travaux relatifs à l’étude de l’histoire naturelle de l’homme, et des matériaux recueillis sur ce sujet pendant le cours du voyage des corvettes L’Astrolabe et La Zélée sous les ordres de Monsieur le capitaine de vaisseau Dumont d’Urville pendant les années 1837, 1838, 1839, 1840, Manuscrit, Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle, fonds Musée de l’Homme [côte Ms 73], non daté.

57 Idem.

58 Broca (Paul), « Instructions générales pour les recherches et observations anthropologiques », Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, tome 2, 1865, pp. 69-203.

59 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit., p. 551.

60 Idem, p. 551 verso.

61 Dumoutier préparait premièrement la tête du modèle : rasage des cheveux ou pose d’un bonnet, graissage des sourcils et pose des fils permettant de retirer le moulage en deux ou trois parties égales. L’individu se couchait ensuite afin de reposer sa tête dans une boîte à demi-remplie de plâtre très liquide. Ensuite, le mouleur se hâtait de confectionner la partie faciale avec du plâtre fortement salé pour hâter la prise. Hamy (Ernest-Théodore), « La collection anthropologique du Muséum… », art. cit.

62 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit., p. 236.

63 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Journal de bord de L’Astrolabe…, op. cit., p. 462.

64 Si compte tenu de l’évolution du pouvoir d’achat il est difficile de convertir ce montant en euros, nous pouvons comparer ces montants au salaire journalier d’un ouvrier industriel de l’époque qui, à Paris en 1850, oscillait autour de 2 à 3 francs. Ces salaires pour moulage n’étaient donc pas dérisoires. Chanut (Jean-Marie), Heffer (Jean), Mairesse (Jacques) & Postel-Vinay (Gilles), « Les disparités de salaires en France au xixe siècle », Histoire & Mesure, vol. X, no 3-4, 1995, pp. 381-409.

65 Serres (Étienne), Archives manuscrites du Professeur Étienne Serres, Manuscrit, Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle [côte Ms 165], non daté.

66 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Note de dépenses diverses relatives à l’exécution de dix bustes d’américains faisant partie de la collection anthropologique de la société ethnologique, Manuscrit, Archives du Musée de l’Homme, Département d’Anthropologie biologique, 1845.

67 Jacob (Yves), Dumont d’Urville, le dernier grand marin de découvertes, Grenoble : Glénat, 1995, 405 + [24] p. de pl. (Une vie).

68 Membre de l’Académie, Étienne Serres est professeur d’anatomie comparée et d’histoire naturelle de l’homme au Muséum de 1839 à 1855.

69 Renneville (Marc), Le langage des crânes…, op. cit.

70 Renneville (Marc), « Un terrain phrénologique dans le grand océan… », op. cit., pp. 89-138.

71 Serres (Étienne), « Rapports sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation… », art. cit., pp. 643-645.

72 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), « Atlas pittoresque », in Jacquinot (Charles Hector) (sous la dir.), Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes L’Astrolabe et la Zélée, exécutée par ordre du roi pendant les années 1837-1838-1839-1840 sous le commandement de M. J. Dumont d’Urville, Paris : Gide, 1846, tome premier, 1 vol.

73 De nombreux dessins ayant pour sujet les populations rencontrées furent effectués lors de l’expédition par le dessinateur de l’équipage Ernest Goupil et son élève Louis Le Breton (aide-chirurgien).

74 Blanchard (Émile), « Texte de l’anthropologie », in Hombron (Jean-Bernard), Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes L’Astrolabe et la Zélée, exécutée par ordre du roi pendant les années 1837-1838-1839-1840 sous le commandement de M. J. Dumont d’Urville, vol. 5, Paris : Gide & Baudry, 1854, pp. 7-260.

75 Douglas (Bronwen), « Confronting ‘Hybrids’ in Oceania : Experience, Materiality and the Science of Race in France », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, vol. 27, 2015, pp. 27-63.

76 Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), Notice phrénologique et ethnologique sur les naturels…, op. cit.

77 Hamy (Ernest-Théodore), « La collection anthropologique du Muséum… », art. cit. pp. 257-276. Hamy succéda en 1892 à Armand de Quatrefages, fervent défenseur du monogénisme, à la chaire d’anthropologie du Muséum et fonda en 1880 le Musée d’ethnographie du Trocadéro (aujourd’hui Musée de l’Homme).

78 Renneville (Marc), Le langage des crânes …, op. cit.

79 Rochette (Marc), « Dumont d’Urville’s Phrenologist… », art. cit., pp. 251-268.

80 Blanckaert (Claude), « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum… », op. cit., pp. 85-123.

81 Tandis qu’au même moment, la phrénologie se développe aux États-Unis et y prospérera jusqu’au début du xxe siècle. Renner (Claude), « Quelques propos autour de la phrénologie », art. cit.

82 Broca (Paul), Du siège de la faculté du langage articulé dans l’hémisphère gauche du cerveau, Paris : Victor Masson & Fils, 1865, 18 p., in-8°.

83 Broca (Paul) « Instructions générales pour les recherches et observations anthropologiques », Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, tome 2, 1865, pp. 69-203.

84 Reinach (Théodore), « Notice sur la vie et les travaux de M. le Dr Hamy ; lue dans la séance du 9 décembre 1910 », Comptes-rendus des séances de l’année - Académie des inscriptions et belles-lettres, 55e année, no 1, 1911, pp. 55-142.

85 Delisle (Ferdinand), « Instructions aux voyageurs », in Bertillon (Adolphe) (sous la dir.), Dictionnaire des sciences anthropologiques : anatomie - crâniologie - archéologie préhistorique - ethnographie... - démographie - langues - religions, Paris : Doin, 1889 ; Broca (Paul), Instructions générales pour les recherches anthropologiques à faire sur le vivant, Paris : G. Masson, 1879, xii + [2] + 289, [1] p., 4 pl.

86 Hamy (Ernest-Théodore), « La collection anthropologique du Muséum… », art. cit., pp. 257-276.

87 Bien qu’Étienne Serres mentionne l’existence de « tableaux contenant les résultats de ses nombreuses observations phrénologiques et craniologiques », ces documents n’ont pu être retrouvés, on ne connaît donc rien sur les analyses réalisées par Dumoutier sur sa propre collection, ni même par d’autres savants lorsque celle-ci était exposée au musée de phrénologie. Serres (Étienne), « Rapports sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation… », art. cit., pp. 643-645.

88 Dias (Nélia), « Séries de crânes et armée de squelettes… », art. cit.

89 Société d’anthropologie de Paris (sous la dir.), La Société, l’école et le laboratoire d’anthropologie de Paris à l’Exposition universelle de 1889, Palais des arts libéraux, instruction publique, Paris : Imprimerie nationale, 1889, 361 p., ill., in-8°, ici p. 303 dans § 10. — Photographie ethnique.

90 Jéhel (Pierre-Jérôme), « Une illusion photographique », Journal des anthropologues, no 80-81, 2000, pp. 47-70.

91 Une prise de position qui lui vaudra d’être évincé de la Société d’anthropologie de Paris en 1889.

92 Je remercie Alain Froment et Lydia Sevette pour leur relecture de ce texte et leurs commentaires. Je tiens également à remercier Philippe Mennecier, Serge Bahuchet, Marie Merlin et l’équipe des collections d’Anthropologie biologique du Musée de l’Homme de m’avoir accompagné dans ce travail.

Table des illustrations

Légende Galerie de l’Homme L’envolée de bustes anthropologiques (détail), Musée de l’Homme Cliché Romain Duda.
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Légende Angle facial Gravure extraite de l’Histoire naturelle du genre humain de Julien-Joseph Virey (1824) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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Légende Phrénologie Crâne étiqueté avec les zones phrénologiques selon le système de Gall Cliché collection d’Anthropologie biologique, MNHN.
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Légende L’Astrolabe Gravure extraite du Voyage de la corvette l’Astrolabe de Dumont d’Urville (Atlas de 1833) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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Légende « Scène funéraire » Nouka-Hiva (Îles Marquises). Dessin de Ernest Goupil, lithographié par Bayot, extrait de l’Atlas pittoresque (tome 1,1846), planche 57, p. 68 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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Légende « Naturel de Nouka-Hiva » Îles Marquises. Dessin de Louis Le Breton, lithographié par Émile Lasalle, extrait de l’Atlas pittoresque (tome 1,1846), planche 58, p. 69 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4359/img-6.jpg
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Légende Bustes de Poukalem et de Matoua-TawaiLithographie de Léveillé d’après les moulages de Dumoutier, extraite de Dumoutier (Pierre Marie Alexandre), « Atlas anthropologique », in Jacquinot (Charles Hector) (sous la dir.), Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes L’Astrolabe et la Zélée…, Paris : Gide, 1846, planche 14, p. 34 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4359/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 4,0M
Légende Buste de FouliNatif d’Opihï, Île Isabelle, Archipel Salomon, Mélanésie. Lithographie de Raunheim d’après les moulages de Dumoutier, extraite de l’« Atlas anthropologique » de Dumoutier (1846), planche 12, p. 32 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4359/img-8.jpg
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Légende Buste de Taha Tahala Natif d’Otago, Île de Tawai-Punamu, Nouvelle-Zélande, moulé par Dumoutier Cliché collection d’Anthropologie biologique, MNHN.
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Légende « Naturels de Nouka-Hiva »Îles Marquises. Dessin de Louis Le Breton, lithographié par Bayot, extrait de l’Atlas pittoresque (tome 1, 1846), planche 60, p. 71 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4359/img-10.jpg
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Légende Le céphalomètre de DumoutierDumoutier conçu cet appareil pour effectuer sur les moulages des mesures anthropométriques, a posteriori. Il fut apparemment le seul à l’utiliser. Le modèle original (ci-contre) est actuellement exposé au sein de la Galerie de l’Homme au Musée de l’Homme. Page de gauche, lithographie de Raunheim extraite de l’« Atlas anthropologique » de Dumoutier (1846), planche 48, p. 68 Clichés Jean-Christophe Domenech, MNHN & Bibliothèque centrale, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4359/img-12.jpg
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Auteur

Ethnologue, chercheur associé au laboratoire Eco-anthropologie & Ethnobiologie du Musée de l’Homme (UMR 7206 CNRS-MNHN). Menant actuellement des recherches en Afrique centrale, il a contribué en 2010-2011 à la documentation des collections d’anthropologie biologique dans le cadre du projet de rénovation du Musée de l’Homme.

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