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Droites et catholicisme en France et en Europe des années 1960 à nos jours

 | 
Olivier Dard
, 
Bruno Dumons

Le cas français

Les AFC en Europe et à l’international (1980-1995)

Des ressources militantes françaises au service de l’institutionnalisation des mouvements familiaux et « pro-vie » catholiques

The AFC in Europe and internationally (1980-1995). French militant resources at the service of the institutionalization of Catholic family and "pro-life" movements

Constance Cheynel

Résumé

À partir de l’étude du développement croissant des Associations familiales catholiques à l’international entre 1980 et 1995, ce chapitre éclaire les contours et la structuration d’une nébuleuse « pro-vie ». L’analyse fait un pas de côté par rapport à l’historiographie des actions commandos en analysant l’institutionnalisation d’un militantisme et d’une représentation catholique intransigeante à l’échelle européenne et internationale. La perspective adoptée est celle d’une sociologie du catholicisme et, plus particulièrement, d’une sociologie du catholicisme intransigeant et du catholicisme d’identité. L’étude des mobilisations des AFC met en évidence le rôle moteur et central que des catholiques français ont joué dans ce processus d’institutionnalisation du militantisme catholique intransigeant. Grâce à ses ressources conséquentes, et à sa place atypique dans le champ familial français, les AFC ont en effet facilité la mise en relation d’acteurs familiaux et pro-vie internationaux et leur accès aux instances de représentation internationale.

Texte intégral

  • 1 Faye Ginsburg, « Quand les indigènes sont nos voisins », L’Homme, 1992, vol. 32, no 121, p. 129-142
  • 2 « Créée au moment de la visite du Pape en Alsace en 1988, la Trêve de Dieu a été la première associ (...)
  • 3 Dossier « La Toile d’araignée des cathos de droite », Témoignage Chrétien, novembre 1987.

1Durant les années 1980 et 1990, aux États-Unis puis en France, les mobilisations dites « pro-life » (c’est-à-dire contre la libéralisation de l’accès à l’avortement) occupent régulièrement le devant de la scène médiatique. Outre-Atlantique, ces manifestations développées dans le sillage de la Nouvelle Droite américaine1 prennent parfois des formes spectaculaires : attentats à la bombe et assassinats. Le phénomène gagne la France et, dès 1987, les militants de la Trêve de Dieu organisent les premières actions dites « commando », s’enchaînant dans les hôpitaux et les cliniques afin d’empêcher les IVG en cours2. Les journalistes de l’époque ne tardent pas à s’enquérir de cette « toile d’araignée des cathos de droite »3. Aujourd’hui encore pourtant, la question de la circulation internationale des idées, des ressources et des savoir-faire militants dans la lutte contre l’avortement demeure. Et si l’on parle volontiers d’une nébuleuse « anti-avortement » dans laquelle les catholiques sont au premier rang, ni ses contours ni sa structuration n’apparaissent clairement.

  • 4 Cette sociohistoire est menée dans le cadre d’une thèse de doctorat en science politique intitulée (...)
  • 5 Martine Sevegrand, « Avortement, retour sur le débat catholique (1970-1979) », Revue d’éthique et d (...)
  • 6 Deux principaux fonds d’archives ont été consultés : d’une part les fonds 32CO 315, 316 et 317 inti (...)

2C’est à partir d’une sociohistoire des mobilisations des associations familiales atholiques contre l’avortement entre 1971 et 19954 que nous souhaitons éclairer ces angles morts. Créées en 1905 sous le vocable d’Action Catholique de Chefs de Famille (ACCF) pour lutter contre la politique scolaire de la Troisième République, les Associations Familiales Catholiques (AFC) sont un mouvement familial français membre de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) dès sa création en 1955. Très méfiants à l’égard de l’État républicain et laïc, les militants défendent les valeurs morales chrétiennes en participant à l’élaboration des politiques publiques familiales. Disposant d’un vaste maillage associatif dans toute la France (164 associations locales en 1974, 262 en 1984, 351 en 1993), c’est la confédération parisienne qui prend en charge l’essentiel du travail politique à destination des pouvoirs publics et de la hiérarchie catholique. Tandis que les déclarations romaines en matière de sexualité reproductive révoltent une partie des catholiques français5, les militants et les militantes des AFC sont d’ardents défenseurs de l’encyclique Humanæ Vitæ. Déjà très vivement engagée contre le projet de loi Neuwirth (1967), la confédération des AFC se mobilise dès 1971, avec d’autres associations françaises, contre les revendications féministes en faveur d’une libéralisation de l’avortement. La consultation des courriers envoyés (et plus rarement reçus) par les présidents respectifs de la CNAFC sur la période 1970-1995 et des rapports d’activités et moraux6 a révélé que les mobilisations menées contre toute démocratisation de l’avortement jusque dans les années 1990 ont été l’occasion pour la CNAFC de développer des relations avec d’autres mouvements familiaux et pro-vie, européens et internationaux.

  • 7 Jean-Marie Mayeur, « Catholicisme intransigeant, catholicisme social, démocratie chrétienne », Anna (...)
  • 8 Philippe Portier, « Pluralité et unité dans le catholicisme français », Céline Beraud, Frédéric Gug (...)
  • 9 John D. McCarthy and Mayer N. Zald, « Resource Mobilization and Social Movements : A Partial Theory (...)
  • 10 Les archives ne fournissent que très peu d’informations biographiques : le manque est particulièrem (...)

3Dans une perspective de sociologie du catholicisme et, plus particulièrement, d’une sociologie du catholicisme intransigeant7 et du catholicisme d’identité8, l’étude des mobilisations des AFC est une fenêtre privilégiée pour comprendre le rôle moteur que des catholiques français ont joué dans la lente et progressive élaboration d’un réseau intransigeant catholique d’identité transnational. Notre approche emprunte au courant de la mobilisation des ressources9 : véritable entreprise militante, la confédération des AFC a en effet disposé de ressources importantes et atypiques à l’échelle française. Cette sociologie des mobilisations catholiques à l’échelle internationale est également attentive – quand cela est possible10 – aux ressources dont sont dotés les acteurs, soit par leurs organisations, soit du fait de dispositions héritées de leur socialisation. Ce chapitre a pour objectif de démontrer le rôle moteur que le mouvement des AFC a joué, grâce à ses ressources et à sa place atypique dans le champ politique et familial français, dans l’institutionnalisation d’un militantisme et d’une représentation catholique à l’échelle européenne et internationale.

  • 11 À propos des actions menées dans le cadre de la COFACE et de l’UIOF, les militants remarquent que : (...)
  • 12 Janine Mossuz-Lavau, Les lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France (1950-2002), Par (...)
  • 13 Archives CNAFC, Document intitulé « Procès-verbal de la première réunion européenne pour lutter con (...)
  • 14 Un représentant allemand (le docteur en médecine Ernst) et un représentant britannique (le docteur (...)
  • 15 Archives CNAFC, Compte-rendu de la réunion du comité directeur de la CNAFC de novembre 1972. Lors d (...)
  • 16 Michel Chauvière, « Le rôle des lobbies dans la politique familiale », Informations Sociales, 1er f (...)
  • 17 Virginie Bussat et Michel Chauvière, « Les réseaux de défense des intérêts familiaux Approches comp (...)
  • 18 L’UIOF a été créée en juin 1947 par le congrès international de la famille et de la population. En (...)
  • 19 Fondée en 1958 sous le nom de Comité d’action européen de l’union internationale des organismes fam (...)

4Dès les années 1970, malgré un manque de moyens humains et financiers11, les AFC jouent un rôle de mise en relation et de coordination des mouvements familiaux catholiques internationaux et des associations européennes opposées à l’avortement. Tandis que le « coup d’envoi » des mobilisations féministes en faveur de la libéralisation de l’avortement en France12 vient à peine d’être sonné en 1971, la Confédération nationale des AFC est à l’initiative d’une première réunion de coordination européenne des mouvements contre l’avortement dans ses locaux parisiens, place Saint-Georges13. Si les contacts noués avec des allemands, des britanniques14, des espagnols, des autrichiens et des belges15 ne s’officialisent pas encore, les militants de la CNAFC cherchent en revanche à multiplier ces ententes afin de peser dans les débats internationaux. À ce titre, ils bénéficient d’accès privilégiés à différentes institutions transnationales. En effet, tandis que l’appartenance des AFC à l’UNAF en fait, pour reprendre les termes de Michel Chauvière, un groupe d’intérêt intégré à l’État16, le mouvement bénéficie – en plus d’« un système discutable de partage des avantages matériels (le “fonds spécial”) »17 – de la possibilité d’envoyer des militants représenter l’UNAF dans différentes institutions françaises et internationales. La CNAFC se saisit de cette opportunité : les présidents successifs sont systématiquement désignés comme représentants au sein de l’Union internationale des organismes familiaux (UIOF)18, tandis que des militants siègent au sein de la Confédération des organisations familiales de la communauté européenne (COFACE)19. Les dirigeants de la CNAFC prêtent également une attention particulière à la hiérarchie catholique française et romaine dont ils rencontrent les représentants dans les instances internationales. Mouvement apostolique et de pastorale familiale, les AFC ne sont pas une structure d’Église et bénéficient, à ce titre, d’une complète autonomie à l’égard des évêques. Les présidents de la CNAFC sont en revanche très familiers des prises de contact avec la Curie romaine ; un travail de relation et d’interpellation essentiel au regard de la présence grandissante du Vatican sur la scène internationale. Les développements des AFC à l’international sont cependant encore très modestes à la fin des années 1970.

  • 20 Cette crainte est attestée tant par les documents consultés que par les entretiens menés avec d’anc (...)

5Nous nous proposons d’étudier le développement croissant des AFC à l’international à partir de 1980. Durant la première moitié des années 1980, les militants accordent une importance accrue au lobbying international à la faveur des nouveaux débats sur les questions familiales et reproductives et de leur crainte grandissante à l’égard d’un « lobby malthusien »20. Les militants travaillent à nouer des alliances transnationales dans le cadre de leur participation de plus en plus active aux institutions internationales. Vers la fin des années 1980, certaines de ces alliances prennent une tournure plus officielle, notamment via la progressive construction d’une coordination des mouvements familiaux pilotée, entre autres, par les AFC. Dans ce cadre, des mobilisations « pro-vie » sont menées à l’échelle européenne. Nous verrons ainsi comment, grâce à leurs ressources, quelques militants de la CNAFC ont participé à la lente, et souvent précaire, élaboration d’un réseau catholique intransigeant d’identité.

1980-1987 : interpeller les institutions

  • 21 Johanna Siméant, « La transnationalisation de l’action collective », Éric Agrikoliansky,
    Olivier Fi (...)
  • 22 Notons que la métaphore du récif de corail s’applique également à l’Église catholique en tant qu’or (...)
  • 23 Romain Carnac, « S’adapter pour mieux résister : la théologie de la sexualité de Jean-Paul II », Fl (...)

6Spécialistes de la représentation des familles en France, les AFC initient différentes actions – en partenariat avec des mouvements pro-vie notamment – afin d’être reconnues à l’échelle européenne comme interlocutrices sur les questions familiales et/ou sexuelles au début des années 1980. Il s’agit d’intégrer les institutions européennes, mais aussi internationales, afin d’influencer le cours des débats et leurs résultats. L’urgence de cette stratégie apparaît particulièrement aux yeux des militants des AFC lors de la conférence internationale sur la population de Mexico de 1985 où ils cherchent à entrer en résistance face à ce qu’ils appellent le « lobby malthusien ». Dans ce cadre, la pertinence des alliances se fait d’autant plus grande qu’elles peuvent permettre de peser davantage. À cet égard, les militants tirent profit des opportunités de sociabilité militante offertes par les instances internationales qu’ils critiquent ; un fonctionnement que le politiste américain Sidney Tarrow compare à un « récif de corail ». En effet, « les organisations internationales, même contestées, sont des lieux de sociabilité entre activistes de tous pays »21. Un front anti-avortement se constitue donc au sein de l’ONU, entre activistes mais aussi grâce au Vatican22 ; un allié clé et d’autant plus engagé que le pape Jean-Paul II pose les premières pierres de sa « théologie du corps et de la sexualité »23. Cette démarche militante légaliste engendre, à l’inverse, des ruptures au sein la nébuleuse catholique : les militants de la CNAFC se désolidarisent des mouvements anti-avortement qui passent à l’action directe et recourent à la violence en France et aux États-Unis à partir de 1980.

Les AFC en Europe : organiser une représentation institutionnelle et catholique des familles

  • 24 Archives CNAFC, Procès-verbal du bureau de la CNAFC de février 1985.
  • 25 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy à l’ADEVIDA datée du 10 février 1984.
  • 26 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy à Madame Teresa Da Costa Macedo datée du 4 mars 1982.
  • 27 Jean-Lucien Royer (1927-2017) est originaire de Toulon où il vit avec sa femme et ses trois enfants (...)
  • 28 Archives CNAFC, Rapport moral de la CNAFC pour l’année 1985, p. 8.
  • 29 Archives CNAFC, Procès-verbal du bureau de la CNAFC de février 1985.
  • 30 Archives CNAFC, Document intitulé « Appendix I European Pro-life Working group - Meeting Attendance(...)

7Dans les années 1980, les AFC développent et structurent des relations avec d’autres mouvements, notamment « pro-vie », à l’échelle européenne. Il existe ainsi depuis 1984, un « groupe de travail européen pour le respect de la vie » qui « réunit toutes les informations concernant le respect de la vie »24. Ce groupe est propice aux échanges de savoir-faire militants. Dans le cadre du débat sur la libéralisation de l’avortement qui s’ouvre au parlement espagnol en 1982, le président de la CNAFC fournit de la documentation à l’ADEVIDA (une association de « centres d’accueil à la vie » située à Madrid) sur « les conséquences désastreuses qu’a entraînées en France le vote de la libéralisation de l’avortement et son remboursement par la sécurité sociale »25 et doit également rencontrer, la même année et à la demande de la concernée, Teresa Da Costa Macedo, secrétaire d’État à la famille espagnole également membre de l’UIOF26. Les AFC entretiennent un lien fort avec ce groupe « pro-vie » : d’une part en désignant Jean-Lucien Royer27, membre du bureau de la CNAFC, en charge de « maintenir la liaison avec les organisations européennes et internationales pour la vie »28 et, d’autre part, en versant 500 francs par mois afin de rémunérer une secrétaire29. Les membres de cette coordination sont issus de l’Écosse, la France, l’Angleterre, l’Irlande, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne30.

  • 31 Louis Reverdy (1908-2006) est le fils d’Henry Reverdy, militant catholique très engagé au sein de l (...)
  • 32 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy au président de la commission des affaires sociales du parl (...)

8Les actions développées à l’échelle européenne attestent d’un nouvel objectif militant pour ces groupes pro-vie au milieu des années 1980 : celui de représenter officiellement les « intérêts familiaux » – la cause de la « famille » (i.e. le lobbying en faveur des intérêts des familles nombreuses) englobant celle de la « vie » (i.e. l’opposition à la contraception à l’avortement) – auprès des instances européennes et internationales. Les représentants des AFC cherchent ainsi à multiplier les voies d’influence possibles et à s’assurer que leur parole parvienne, sans intermédiaire, à ces institutions. L’union nationale des associations familiales (UNAF) dont ils dépendent devient encombrante : ressource de légitimité et voie d’accès aux institutions, elle impose cependant de parler en son nom ; une mission de porte-parole périlleuse à une époque où les militants des AFC sont en désaccord quant à la définition retenue par l’UNAF de ce qu’est une « famille ». En janvier 1984, le président de la CNAFC, Louis Reverdy31 demande ainsi à ce que les AFC participent à l’audition publique des mouvements familiaux européens qui va être organisée par la commission des affaires sociales du parlement et plaide en ce sens : « Il serait anormal que les associations familiales de notre pays ne soient représentées que par le Ministère de la Santé et l’UNAF, de caractère institutionnel »32. Au nom de la mission de porte-parole des familles qui incombe aux AFC, les militants demandent donc à intégrer les instances de débat dédiées aux questions familiales à l’échelle européenne.

Les AFC à l’international : coordination d’un front anti-avortement onusien

9Ce travail d’interpellation excède les frontières de l’Union européenne. La conférence internationale sur la population de Mexico en 1985 participe en effet de la mise à l’agenda des AFC du lobbying auprès de l’ONU. Dans le cadre de cette conférence, la CNAFC s’appuie sur le « groupe de travail européen pour le respect de la vie » dont elle coordonne la participation. Son président, Louis Reverdy, parvient à mettre en ordre de marche le groupe afin que chacun des membres participe à la conférence sur la famille et la population organisée par l’UIOF du 25 au 27 mai 1985 à Helsinki : 

  • 33 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy envoyée respectivement à Fr. Otto Maier (Allemagne), Charle (...)

Cette conférence aura une certaine importance étant donné que ses conclusions seront communiquées au congrès de Mexico sur la population. Je m’y rendrai au titre des Associations familiales catholiques mais j’ai pensé qu’il serait intéressant que nous soyons plusieurs, venant de différents pays, à défendre les positions familiales33.

  • 34 Archives CNAFC, Document de la CNAFC intitulé « Conférence de Mexico sur la population » daté du 17 (...)

10Est ainsi organisée, en parallèle de la conférence de Mexico, « une réunion internationale des mouvements pour la vie »34.

  • 35 Ibid.

11Les archives relatives à cette conférence attestent des rapports de force autour des enjeux sexuels et reproductifs à l’international ainsi que des représentations que les militants de la CNAFC s’en font alors. Les AFC et le réseau européen bénéficient tout d’abord d’alliés non-européens. La conférence permet en effet des alliances transnationales dans l’opposition à la régulation des naissances ; alliances qui donnent lieu à ce que les militants de la confédération des AFC appellent une : « une sorte de front anti-avortement (Vatican, USA, URSS, une partie du Tiers-Monde) ». On trouve parmi eux, l’association américaine PLAN (Protect Life in All Nations) qui jouit de ressources importantes et joue un rôle central dans l’organisation des journées de Mexico35. Les militants de la CNAFC cherchent eux aussi à jouer un rôle de coordination, comme l’attestent les échanges du président Louis Reverdy avec Mgr Édouard Gagnon, vice-président du Conseil pontifical pour la famille, en juin 1984. Tandis qu’il transmet à l’évêque les rapports du congrès de l’UIOF sur la Population et la famille qui s’est tenu à Helsinki – donnant ainsi des AFC l’image d’un mouvement possédant une expertise à disposition de la hiérarchie – Louis Reverdy s’enquiert des positions adoptées par le Saint-Siège : « Je serais heureux de connaître les positions que le Saint-Siège envisage de soutenir au Congrès de Mexico afin que les responsables de nos associations, des Mouvements de la Vie qui se rendraient à Mexico, puissent travailler dans le même sens et que, si c’était nécessaire, nous puissions intervenir auprès de Mme Dufoix qui sera responsable de la délégation française à Mexico ».

  • 36 Ibid.
  • 37 Ibid.
  • 38 Ils disent notamment « que le Vatican n’a pu faire exclure l’avortement » : Archives CNAFC, Documen (...)

12Actifs dans la structuration de ce « front anti-avortement », les dirigeants des AFC font cependant une lecture pessimiste de son poids. Ainsi, les « mouvements pour le respect de la vie [qui] n’ont pas, hélas, les moyens financiers ni l’accès aux médias du lobby malthusien »36 ferait face à un lobby malthusien puissant : « L’importance de cette conférence se mesure à ses enjeux : le respect de la vie, les droits de la famille et le respect de la personne humaine. Il faut, en effet, connaître la volonté de certaines organisations (lobby malthusien), d’imposer des mesures radicales (avortement, stérilisation, bientôt vaccins anti-grossesse) aux pays du Tiers-Monde, et il faut être conscient qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air »37. Ils constatent finalement leur faible influence lors de la conférence38 et, à l’inverse, s’inquiètent de l’implantation du lobby malthusien qu’ils considèrent comme très bien implanté, dominant et majoritaire au sein des principales instances des Nation-Unies. Le fonds des Nations-Unies pour la population (UNFPA) serait donc à la solde du Population Council – une création de Rockefeller qu’ils considèrent être le cerveau du lobby malthusien – et de la Fédération internationale du planning Familial (IPPF) – qui serait l’« organisme d’exécution ». Ainsi, à partir de 1985, il ne s’agit plus seulement pour les militants « pro-life » de s’opposer aux quelques associations promouvant des programmes de régulation des naissances mais d’empêcher leur mise en œuvre, à l’échelle internationale, par les Nations Unies.

  • 39 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy à Monsieur Luis-Alberto Petit Herrera datée du 10 mai 1983.
  • 40 Représentante des AFC à la COFACE (de 1978 à 1988) et membre du comité directeur de la CNAFC, Hélèn (...)
  • 41 Archives CNAFC, Rapport moral de la CNAFC pour l’année 1985.
  • 42 Archives CNAFC, Procès-verbal de la réunion des juristes experts organisée par Prodéfa en 1988.
  • 43 « Foundation for the rights of the family » en anglais.

13Ainsi, tout en initiant une lutte contre ces organisations internationales, les militants des AFC amorcent une progressive stratégie d’intégration des organes des Nations-Unies. Depuis 1982, les AFC participent, aux côtés d’autres mouvements, à l’élaboration d’une « déclaration universelle des droits de la famille ». Or, tandis qu’en 1983, Louis Reverdy dit à Luis-Alberto Petit-Herrera, secrétaire espagnol de cette Déclaration, ne pas très bien voir » comment vous aider pour trouver des fonds nécessaires au Secrétariat ni par quels moyens nous pourrions intervenir auprès des Organisations internationales »39, l’implication de la Confédération s’accroît fortement à partir de 1985. En effet, Hélène Chemel40, membre de la CNAFC et de la Confédération des Organisations Familiales de la Communauté Européenne (COFACE) prend le relais de Luis-Alberto Petit-Herrera en présentant la déclaration à la Commission sociale de l’ONU à Vienne en 198541. Cette même année, elle parvient à donner une forme officielle et institutionnelle à ce lobbying. Ainsi, afin de promouvoir « la famille dans le Monde, notamment par la préparation d’une déclaration des Droits de la famille et son adoption par les Nations Unies »42, Hélène Chemel fonde « Prodefa », une OING qualifiée de « Fondation pour les droits de la famille »43. Cette OING permet un lobbying effectif à partir de 1987, lorsqu’elle accède, en tant que « collaborateur », à la commission du développement social du conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). Les familles opposées à l’avortement sont donc désormais représentées « directement » auprès des Nations Unies.

Les AFC, représentantes françaises au sein des institutions internationales

14Au milieu des années 1980, la nouvelle actualité « pro-vie » oblige les AFC à défendre leur choix d’un répertoire d’action légaliste privilégiant le recours aux institutions. Anciennes, bien intégrées dans le champ politique français, les AFC s’opposent aux initiatives violentes de jeunes associations « pro-vie » américaines, puis françaises (parmi lesquelles la Trêve de Dieu). Le mouvement entre ainsi en conflit avec d’autres et est secoué en interne. Les dirigeants de la confédération tâchent de mettre en œuvre un double refus : d’une part, celui de soutenir et/ou de participer aux actions « commando » qui recourent à la force, voire à l’assassinat, pour empêcher des avortements et, d’autre part, celui de s’associer, directement ou indirectement, aux partis français, européens et américains d’extrême droite qui soutiennent ces actions.

  • 44 Généticien connu pour sa participation à la découverte du chromosome responsable de la trisomie 21 (...)
  • 45 Le Parti Ouvrier Européen (POE) est un parti politique français qui a existé de 1974 à 1989. Il a é (...)
  • 46 Né en 1935 à Lyon, Régis de Crépy possède le titre de baron. Après des études à l’Institut d’études (...)

15Ces options les conduisent à rompre avec « Laissez-les-vivre », une association « pro-vie » française créée en 1971 avec leur soutien et avec laquelle ils ont lancé les premières réunions de coordination européenne des mouvements contre l’avortement. En 1984, plusieurs responsables de « Laissez-les-vivre » écartent du bureau les militants de la CNAFC et le professeur Lejeune44, pourtant conseiller scientifique de l’association. Ces derniers s’opposent en définitive à la récente adhésion du président de l’association, le docteur Emmanuel Tremblay, au Parti ouvrier européen (POE)45, d’extrême droite, ainsi qu’à sa création d’un « Club pour la vie ». Dès 1983, la CNAFC se désolidarise de ces initiatives européennes et américaines « pro-vie », via son nouveau président Régis de Crépy46 : 

  • 47 Archives CNAFC, Note de la CNAFC datée du 13 octobre 1983 intitulée « Mise en garde » et publiée da (...)

Nous prévenons nos adhérents de ne pas accorder leur soutien de quelques façons que ce soit au Parti ouvrier européen (POE), à son hebdomadaire Nouvelle solidarité ni à ses satellites : Le club de la vie, la coalition anti-drogue, Le comité La France et son armée, la Fondation pour l’énergie de fusion. De nombreuses personnes de bonne foi ont été abusées par cette organisation47.

  • 48 Le 28 février 1986, le premier ministre suédois Olof Palme est assassiné dans les rues de Stockholm (...)
  • 49 Archives CNAFC, Lettre de Régis de Crépy à Charles de Sagazan du 25 mars 1986.

16Le président de la CNAFC tâche notamment de faire appliquer cette feuille de route au sein de son mouvement et rappelle ainsi au président d’une AFC locale qu’il n’a pas à appeler les familles de son association à voter pour le Front National, ni à s’associer aux initiatives d’un mouvement comme « Laissez-les-vivre ». Sa position est confortée par l’accusation d’assassinat qui plane alors sur l’une des membres du POE : « L’assassinat du Ministre des Affaires Étrangères de Suède48 confirme, s’il était nécessaire, les dangers que peuvent présenter, pour les dirigeants de LLV [Laissez-les-vivre], certaines fréquentations avec le POE et des organisations américaines d’extrême droite »49.

  • 50 Association créée en 1984 à l’initiative du professeur Lejeune suite à son départ de « Laissez-les- (...)

17Cette question du recours à la force reconfigure ainsi, au milieu des années 1980, les alliances au sein de la nébuleuse anti-avortement française. Celle-ci se divise alors schématiquement en deux pôles : d’un côté, les partisans du passage à la violence (Laissez-les-vivre, la Trêve de Dieu,...), de l’autre, des mouvements qui « se contentent » des modes d’action initialement employés (lobbying, manifestations etc.) (les AFC, les Femmes et les enfants d’abord)50. Ces deux pôles entretiennent chacun des relations avec respectivement l’un des deux grands courants militants « pro-life » américains qui apparaissent à la même époque aux États-Unis. Jennifer Merchant les présente ainsi :

  • 51 Jennifer Merchant, « Les militants pro-life à l’échelle locale », Romain Huret (dir.), Les conserva (...)

De cette époque [les années 1980] est né d’ailleurs le schisme entre groupes pro-life “jusqu’au-boutistes” et ceux favorables à une action progressive (incremental). Du côté des jusqu’au-boutistes certains groupes ont opté pour la violence dès la fin des années 1970 et continuent à mener des actions criminelles. Émanant de groupes religieux extrémistes bien connus des autorités, ils reflètent évidemment la face la plus radicale, donc minoritaire, de la droite religieuse. Les deux organisations pro-life les plus importantes au niveau national, le National Right to Life Committee et Americans United For Life (AUL), ont toujours publiquement condamné leurs actes51.

  • 52 Il s’agit de l’AMADE (Association mondiale des Amis de l’enfance, fondée par Grace de Monaco et ens (...)
  • 53 Archives CNAFC, Rapport moral de la CNAFC pour l’année 1985. Le film a pour objectif, en suscitant (...)
  • 54 Les brochures s’intitulent respectivement : « Planned parenthood et la filière eugénisme et avortem (...)
  • 55 Fiammetta Venner, L’opposition à l’avortement, op. cit., p. 86-87.

18Concernant les AFC, les seuls liens avérés avec les mouvements américains concernent le National Right to Life Committee, une association non partisane des actes violents. En mai et novembre 1985, la confédération parisienne organise, avec deux autres associations52 les premières représentations publiques du film Le cri silencieux à La Mutualité53. Ce film est la réalisation du Docteur Nathanson, un obstétricien américain ayant pratiqué des avortements dans sa clinique new-yorkaise avant de s’engager dans les mouvements « pro-life ». Le film a justement été réalisé en partenariat avec l’association National Right to Life Committee. Les contacts avec cette association ne se sont peut-être pas faits directement avec la confédération des AFC mais plutôt via l’intermédiaire du professeur Jérôme Lejeune, systématiquement défendu par les militants de la CNAFC. Des contacts et des échanges avec des organisations américaines « jusqu’au-boutistes » ne semblent en revanche pas avoir été entretenus par les AFC. Seules trois brochures de « Vie humaine internationale », l’antenne canadienne de « Human Life International »54 ont été trouvées dans les archives de la CNAFC. Fondée en 1981 par le révérend bénédictin Paul Marx, cette association a largement participé à la série d’incendies et d’attentats à la bombe contre les cliniques pratiquant l’avortement entre 1977 et 1984 aux États-Unis. Au début des années 1980, Paul Marx fait le tour du monde et crée 53 filiales dans 39 pays. Si aucune filiale n’est créée en France, l’enquête de Fiametta Venner parue en 1995 révèle en revanche que « Thierry Lefèvre, actuel président de la Trêve de Dieu, est aussi un sympathisant de HLI. En 1991 il participe aux actions commandos Operation Rescue à Wichita dans le Kansas et co-organise des actions entre [Human Life international] HLI et la Trêve de Dieu »55. Les répertoires d’action et cadrages d’interprétation des deux grands courants « pro-life » américains, « jusqu’au-boutistes » et « gradualistes » (i.e. ceux favorables à une action progressive), se retrouvent donc, en miroir, dans la nébuleuse anti-avortement française. Il n’est ainsi pas étonnant que ce soit une association française très éloignée des AFC (la Trêve de Dieu) qui entretienne des liens étroits avec Human Life International.

  • 56 Jennifer Merchant, « Les militants pro-life à l’échelle locale », Art. cit., p. 149.

19Plutôt qu’à un soutien des « oncles d’Amérique », nous observons ainsi un phénomène similaire à celui observé par Jennifer Merchant aux États-Unis à propos des « gradualistes »56 : faute d’opter pour de nouveaux modes d’action, directs et violents, les AFC se mobilisent à partir de « vieilles » méthodes d’action tout en réalisant cependant d’importantes transformations (adaptation de leur discours, formation et information sur ces stratégies militantes,...).

20Sans devenir la priorité de leur agenda militant (toujours très largement dicté par l’actualité politique française), le lobbying international fait l’objet de davantage d’investissements par la CNAFC au cours des années 1980. Contre la politique de la chaise vide, et tandis que les nouveaux débats sur les questions sexuelles et reproductives à l’échelle internationale leur paraissent être le fruit d’une pensée malthusienne dominante, les militants cherchent à influencer les institutions depuis l’intérieur. Ils y expriment ainsi l’avis des familles « traditionnelles » (i.e. catholiques et/ou nombreuses). Contre les initiatives illégales qui se développent à la même période, en France et aux États-Unis, les AFC participent donc, avec d’autres, à l’élaboration d’un militantisme « pro-life » officiel audible par les principaux acteurs internationaux. Ce processus s’accélère et prend une forme davantage institutionnelle dans les années 1990.

1988-1995 : organiser les mobilisations « pro-vie »

  • 57 Leur capacité d’influence au sein des Nations Unies se confirme avec l’approbation de leur proposit (...)
  • 58 Jean-Marie Mayeur, Des partis catholiques à la démocratie chrétienne (xixe-xxe siècles), Paris, Col (...)
  • 59 Mgr Kazimierz Majdanski est un évêque polonais, vice-président du Comité pontifical pour la famille (...)
  • 60 Alfonso López Trujillo (1935-2008) est un cardinal colombien, particulièrement engagé sur les quest (...)

21La période s’étendant de la fin des années 1980 au milieu des années 1990 est ponctuée de plusieurs succès relatifs en Europe et à l’international pour les AFC57. C’est sur l’institutionnalisation d’une Coordination des associations familiales catholiques en Europe – officiellement en 1991 mais dont les prémisses datent de 1988 – que nous insisterons ; celle-ci témoignant de la place centrale des AFC dans la structuration d’un réseau catholique où causes familialistes et défense de la vie vont de pair. Les origines de cette coordination s’inscrivent également dans le souffle politique de la démocratie chrétienne, particulièrement intéressée par la construction européenne – notamment dans le cadre d’un anticommunisme qui « découle de la doctrine même de l’Église »58 – et qui, comme nous le rappelle Jean-Marie Mayeur, entretient des liens forts avec le catholicisme intransigeant. En charge de la représentation des familles catholiques, cette coordination joue finalement le rôle d’une entreprise militante « pro-vie », aidée en cela par des liens de plus en plus étroits avec des personnalités ecclésiastiques investies dans cette cause telles que Mgr Majdanski59, évêque polonais fondateur de l’Institut de la famille, et le cardinal Lopez-Trujillo, président du Conseil pontifical pour la famille (de 1990 à 2008)60.

Une coopération franco-allemande

  • 61 Jean-François Chaumont et sa femme Chantal découvrent ensemble les AFC via leur fraternité francisc (...)
  • 62 Le document fournit par Jean-François Chaumont ne précise pas de quels pays sont issus ces représen (...)
  • 63 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe  (...)

22Les 1er et 2 décembre 1988 le vice-président de la CNAFC, Jean-François Chaumont61, le directeur des services de la CNAFC, Yves Altmeyer, et la représentante des AFC à la COFACE, Hélène Chemel, rencontrent à Bonn (Allemagne) les délégués de mouvements familiaux de divers pays européens62. Les différents représentants présents partagent la volonté d’unir leurs mouvements : « C’est lors de cette rencontre que le vœu a été émis de resserrer nos liens et de progresser vers une sorte de fédération européenne, afin que les mouvements familiaux catholiques […] puissent s’exprimer au niveau européen et international sans avoir constamment à subir le filtre des délégations nationales inter-mouvements »63. L’ambition originelle de ce qui deviendra la coordination des associations familiales catholiques européennes en 1991 – puis la fédération des associations familiales catholiques en Europe (FAFCE) en 1997 – réside dans la volonté de s’associer afin de représenter « directement » les familles catholiques ; l’enjeu étant d’éviter les échelons intermédiaires (délégation nationale de mouvements familiaux de la COFACE par exemple) au sein desquels leurs revendications sont diluées au contact de conceptions divergentes de la famille. Ils espèrent ainsi que leur parole « catholique » puisse avoir davantage de poids en Europe et au sein de l’Union européenne.

  • 64 Karl H. Fell (né le 16 décembre 1936 à Erkelenz, mort le 5 décembre 1996 à Bonn) était un homme pol (...)
  • 65 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe  (...)
  • 66 Éric Agrikoliansky, Les partis politiques en France, Paris, Colin, 2016, p. 108.

23C’est « à l’initiative de nos amis allemands », comme le formule Jean-François Chaumont, que cette première rencontre de décembre 1988 se tient. À l’initiative de ce processus puis à la tête de la coordination jusqu’en 1995 se trouve le juriste et homme politique Karl Fell64, président du Familienbund der Deutschen Katholiken (FDK), l’une des quatre principales organisations familiales allemandes. La seconde rencontre officielle se tient le 25 mars 1990 à Aix-la-Chapelle (Allemagne) et c’est dans le cadre de l’assemblée générale du Familienbund der Deutschen Katholiken qu’est adoptée la « résolution de nous engager dans un processus d’intégration européenne concernant, en un premier temps, les mouvements familiaux catholiques d’Allemagne, de France […] et d’Autriche »65. Ces débuts franco-allemands sont à lire au regard du contexte post-1945. À la sortie de la Seconde guerre mondiale et en pleine guerre froide, des forces politiques se fédèrent dans plusieurs pays autour d’un projet de « démocratie chrétienne ». Si ce courant politique ne s’implantera jamais vraiment durablement en France – le Mouvement Républicain Populaire (MRP) perdant très vite en audience – « la construction européenne constitue néanmoins un engagement important, original et durable pour ses leaders »66. Du côté allemand, l’ancrage est lui très fort avec, notamment, l’Union démocrate d’Allemagne (Christlich Demokratische Union Deutschlands, CDU), parti dominant dont est justement membre le président du FDK Karl Fell. Sans être affiliés à un parti politique, les membres de la CNAFC entretiennent une affinité politique avec les membres du MRP, comme l’attestent leurs différentes collaborations avec Maurice Schumann, ancien président du MRP et sénateur gaulliste (RPR) dans les années 1980. Le lancement d’une coordination des associations familiales catholiques en Europe correspond donc à cet intérêt particulier des démocrates chrétiens pour la construction européenne.

  • 67 Jean-Philippe Vallat, « La représentation des intérêts familiaux en Europe », Recherches Familiales(...)
  • 68 Ibid, p. 21.
  • 69 Michel Chauvière, « Le rôle des lobbies dans la politique familiale », Art. cit.
  • 70 Ibid, p. 28.
  • 71 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe  (...)

24Si le poids et la structuration de la démocratie chrétienne allemande explique sûrement que les allemands aient été à l’origine de ce rapprochement, la configuration est cependant tout autre si l’on compare les structurations des champs politiques familiaux en France et en Allemagne67. En l’occurrence, si le Familienbund der Deutschen Katholiken (FDK) est l’association familiale allemande la plus importante en nombre d’adhérents, elle reste très dépendante de l’Église en matière de financement. En effet, en Allemagne – mais aussi au Portugal, en Espagne et en Italie – « ce sont souvent des associations généralistes liées aux Églises et les Églises elles-mêmes qui ont […] dominé les thématiques familiales qui, du coup, n’ont pas pu constituer un secteur spécifique de mobilisation »68 ; de telle façon que le champ familial allemand est longtemps demeuré fragmenté, peu puissant et peu identifiable. Association de « loi 1901 » reconnue d’utilité publique, les AFC font figure d’exception dans la mesure où les mouvements familiaux des autres pays, notamment en Allemagne, sont des associations cultuelles, c’est-à-dire des associations paroissiales, diocésaines ou liées à la pastorale familiale. Partie prenante d’un système néocorporatiste (UNAF)69, les AFC bénéficient d’autonomie sur le plan politique de part « une laïcisation qui l’émancipe largement de l’Église »70, d’accès institutionnels divers, de ressources financières... Cette place spécifique explique que les AFC puissent jouer un rôle davantage moteur dans la construction de cette coordination dès les années 1990. La création de celle-ci est officialisée le 2 février 1991, date à laquelle « la Charte constitutive de la Coordination des Organisations familiales catholiques en Europe (Arbeitsgemeinschaft der Katholischen Familien Organisationen in Europa) »71 est signée à Oberwesel (Allemagne) par : « l’Allemagne (Familienbund der Deutschen Katholiken - Dr Karl Fell), l’Autriche (Katholischer Familienverband Österreichs - Elisabeth Schrittwieser), le Sud-Tyrol (Katholischer Familienverband Südtirols - Herbert Denicolo) et la France (CNAFC- Jean-François Chaumont) ».

La coordination des associations familiales catholiques en Europe au service de « la vie »

  • 72 « RU 486 » désigne une pilule utilisée chez la femme comme abortif en début de grossesse mise au po (...)
  • 73 CNAEF, Document de la CNAFC intitulé « La RU 486-Arme absolue contre la vie » daté de juillet 1988.
  • 74 Archives CNAFC, Procès-verbal du bureau de la CNAFC de septembre 1988.
  • 75 Archives CNAFC, Lettre de Régis de Crépy à Mgr Majdanski du 12 août 1988.
  • 76 Archives CNAFC, Lettre de Régis de Crépy du 10 août 1988 envoyée respectivement à Karl H. Fell, Fam (...)
  • 77 Ibid.

25Les objectifs et les actions directement entreprises par cette coordination témoignent de l’intrication très forte et de plus en plus affirmée des causes familiales et « pro-vie » : ce réseau de familles catholiques fidèles à la doctrine sociale de l’Église devient en effet un vecteur privilégié de mobilisations « pro-life ». Dès 1988, les militants de la CNAFC recourent à leurs relations avec les mouvements familiaux européens, et non européens, à des fins militantes dans le cadre de l’opposition à la pilule abortive RU 48672 qualifiée d’« arme absolue contre la vie »73. Première fois qu’une de leurs actions dépasse les frontières de l’Hexagone, les militants des AFC réussissent d’une part à « bâtir un argumentaire avec les autres mouvements pour le respect de la Vie » français74 et, d’autre part, à diffuser « un dossier d’information […] aux mouvements familiaux que nous connaissons à travers le monde pour les inciter à agir sur l’opinion publique, les pouvoirs publics et les firmes concernées »75. Neuf représentants de mouvements familiaux – sept européens, deux autres respectivement du Bénin et du Québec – reçoivent ainsi un courrier les informant de la situation : « La firme pharmaceutique française Roussel-Uclaf veut actuellement mettre sur le marché un produit, le RU 486, destiné à provoquer un avortement par simple absorption. Le marché visé est évidemment non seulement français, mais mondial. Les enjeux financiers sont énormes. Les enjeux éthiques et démographiques le sont aussi »76. Et les incitant à passer à l’action : « Je serais très heureux que vous puissiez soutenir notre action contre la mise sur le marché de ce produit (interventions auprès de Roussel-Uclaf, de Hoechst, de l’ambassade de France, de vos pouvoirs publics, diffusion d’informations aux familles, au personnel médical qui peut conseiller d’autres produits que ceux des firmes concernées,...) »77.

  • 78 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe  (...)
  • 79 Ibid.
  • 80 Ibid.
  • 81 Ibid.
  • 82 Archives CNAFC, Rapport d’activité de la CNAFC pour l’année 1991, p. 4.
  • 83 Archives CNAFC, Rapport d’activité de la CNAFC pour l’année 1995, p. 10.
  • 84 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe  (...)

26Les actions directement mises en œuvre par la coordination des associations familiales catholiques européennes participent de cette volonté similaire de réunir les associations catholiques favorables aux préceptes romains afin de s’opposer au contrôle de la fécondité. Il ne s’agit ainsi pas de représenter n’importe quelle famille catholique : « l’une des missions du mouvement est de représenter les familles auprès des Pouvoirs Publics, d’adhérer au Concile Vatican II, aux Exhortations apostoliques Familiaris Consortio et Christifideles Laici, et à la Charte des droits de la famille du Saint-Siège » (réunion du 19 juin 1992 à Karlsruhe en Allemagne)78. Dans cette mission, ils trouvent appui et soutien auprès de la hiérarchie catholique. En mai 1990, plusieurs représentants de la coordination – dont une délégation de la CNAFC – se rendent à Lomianki (Pologne) « sur invitation de Mgr Majdanski […] à l’occasion du 15ème anniversaire de l’Institut d’études supérieures sur le mariage et la famille de la Faculté théologique de Varsovie... Avec comme objectifs : partager les expériences des divers responsables et nourrir leur apostolat auprès de la spiritualité de la Sainte Famille »79. Les 11 et 12 décembre 1991, « 60 responsables de mouvements familiaux et experts de 13 pays d’Europe ont participé à une rencontre de la Coordination des mouvements familiaux catholiques en Europe » à Rome80. Jean-François Chaumont précise qu’ils ont reçu un accueil très chaleureux des instances de l’Église, « par le conseil pontifical pour les laïcs : Mgr Cordes, Lucienne Sallé, puis par le conseil pontifical pour la famille : cardinal Lopez Trujillo, Mgr Majdanski. Audience générale avec le Pape Jean-Paul II »81. Dans ce cadre, ils adoptent une « charte pour une civilisation de la vie ». Ces initiatives se traduisent en actions de lobbying : quittant Rome, les mouvements poursuivent leurs travaux à Düsseldorf « avec un message de bienvenue du Chancelier Helmut Kohl ! » puis « à l’initiative de la Confédération nationale des AFC, l’ensemble des membres de la coordination est intervenu auprès des parlementaires européens. Cette action commune a contribué à ce que la proposition relative à l’euthanasie soit ajournée et renvoyée à la commission juridique »82. Ce n’est d’ailleurs que le début de l’action de cette coordination auprès des parlementaires européens : leur lobbying se développe ensuite autour de la bioéthique et, en 1995, ils obtiennent « l’annulation de la disposition permettant la recherche sur les embryons avant le 14ème jour de leur existence »83. Le travail de coordination et d’influence des mouvements « pour la vie » réalisé par les AFC dans les années 1980 se poursuit finalement dans le cadre de cette coordination des mouvements familiaux. Les AFC continuent ainsi de participer à différentes initiatives « pro-vie » : Jean-François et Chantal Chaumont représentent ainsi la coordination et la CNAFC le 29 mai 1992 au « congrès Provie coorganisé par le mouvement des familles chrétiennes de Slovaquie »84 à Bratislava.

  • 85 Archives CNAFC, Rapport d’activité de la CNAFC pour l’année 1994.

27Les AFC prennent un rôle plus moteur dans la coordination vers le milieu des années 1990. Ainsi, c’est au Palais du Luxembourg à Paris et à l’initiative de la CNAFC qu’est organisée les 18, 19 et 20 mars 1994 une « rencontre de la coordination des organisations familiales catholiques en Europe », dans le cadre de l’année internationale de la famille et « sous le haut patronage de René Monory, président du Sénat »85. Les relais institutionnels et politiques dont bénéficient les AFC sont largement mis à profit lors de ce forum qui marque également un pas de plus dans l’officialisation de la coordination :

  • 86 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe  (...)

Une centaine de responsables de mouvements familiaux et d’experts provenant de vingt pays d’Europe. Accueil chaleureux par M. Maurice Schumann Président [de la commission de la culture et de l’éducation] du Sénat. Ouverture par le Cardinal Lopez-Trujillo, président du Conseil Pontifical pour la Famille. Présence de Roger Burnel, président de l’UNAF, de M. Germain Bouverat, président de l’UIOF-Europe, de Mme Maria-Teresa Costa-Macedo, présidente de l’UIOF et de M. Dennis Callagy, président du Comité des ONG sur la famille auprès de l’ONU à Vienne. Signature des statuts de la Coordination des Organisations familiales catholiques en Europe (qui prévoient notamment une présidence tournante)86.

28Finalement, c’est dans le cadre d’une présidence française que la coordination va acquérir son statut officiel auprès du Conseil de l’Europe. Jean-François Chaumont devient en effet président de la coordination en 1995. Lors de son mandat, la coordination acquiert le statut de fédération en 1997 – c’est la naissance de la fédération des associations familiales catholiques en Europe (FAFCE) – et obtient en 2000, après un premier refus en 1998, l’octroi d’un statut consultatif comme organisation non gouvernementale au Conseil de l’Europe.

  • 87 Christophe Capuano et Marie-Emmanuelle Chessel, « Qu’est-ce qu’une association catholique “efficace (...)

29Trois enseignements peuvent être tirés de cette sociohistoire. Cette étude souligne tout d’abord le réinvestissement effectif et réussi des ressources acquises et développées par la CNAFC. Ces ressources sont de plusieurs types : accès à des institutions (particulièrement à l’UIOF et à la COFACE), savoir-faire (en termes de représentation, d’interpellation, de coordination) et relations (souvent privilégiées, avec des personnalités politiques ou ecclésiastiques). Ces relations renseignent d’ailleurs, partiellement, sur les réseaux internationaux dans lesquels les militants de la CNAFC s’inscrivent et qui les ont aidés dans leur développement à l’international : ceux des mouvements familiaux, ceux de la démocratie chrétienne et, également, ceux d’organisations catholiques dans lesquelles certains évoluent (telles que l’ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem). Les AFC sont ainsi devenues un mouvement ressource et moteur dans l’élaboration d’un réseau catholique international. Nos données renseignent sur l’efficacité de ce mouvement familial (et non sur son influence, effective ou non) qui réside dans le maintien et le développement de relations internationales avec d’autres mouvements ou organisations, l’officialisation de certaines d’entre elles et/ou leur reconnaissance par des institutions internationales87.

30Les archives éclairent également sur la représentation que les acteurs se font des enjeux internationaux. Si l’internationalisation croissante des causes liées à la sexualité sur la période 1980-1990 les incite vivement à s’engager en dehors des frontières françaises, c’est que le principal moteur de leur engagement demeure réactif : ils partagent avec d’autres militants familiaux et catholiques « en faveur de la vie » une crainte commune à l’égard des projets malthusiens, féministes et LGBT portés par les organisations internationales telles que l’ONU. S’il y a une part de fantasme dans cette représentation victimaire et dans le poids accordé aux lobbys auxquels ils s’attaquent, celle-ci nous renseigne en revanche sur la précarité de la transnationalisation du catholicisme intransigeant.

31L’efficacité et la force du réseau intransigeant qui se met en place doit en effet être relativisée : ce réseau n’est pas un front solide, coordonné et uni. Ceci est particulièrement observable au niveau de la coordination des associations familiales catholiques européennes dans laquelle la CNAFC s’implique massivement. Bien qu’ils souhaitent s’élargir au-delà du couple franco-allemand, les leaders se confrontent à plusieurs désaccords idéologiques et opérationnels attestant que la foi catholique et l’allégeance à Rome ne sont pas des conditions suffisantes pour initier de communes mobilisations. En 1997 par exemple, les Polonais quittent la coordination car les textes de Jean-Paul II ne sont pas directement inclus dans les statuts. Les alliances existent donc bien mais leur pérennité est souvent mise à mal par des divergences idéologiques ou pratiques, dans les répertoires d’action adoptés.

Notes

1 Faye Ginsburg, « Quand les indigènes sont nos voisins », L’Homme, 1992, vol. 32, no 121, p. 129-142.

2 « Créée au moment de la visite du Pape en Alsace en 1988, la Trêve de Dieu a été la première association à pratiquer le commando violent appelé aussi “sauvetage” » : Fiammetta Venner, L’opposition à l’avortement : du lobby au commando, Paris, Berg international, 1995, p. 136 et 141.

3 Dossier « La Toile d’araignée des cathos de droite », Témoignage Chrétien, novembre 1987.

4 Cette sociohistoire est menée dans le cadre d’une thèse de doctorat en science politique intitulée « Des catholiques en quête de respect ? Engagements, mobilisations et stratégies de respectabilisation aux Associations familiales catholiques (1958-aujourd’hui) », Université Paris Dauphine - PSL, 2022..

5 Martine Sevegrand, « Avortement, retour sur le débat catholique (1970-1979) », Revue d’éthique et de théologie morale, 2015, no 3, p. 35 47 ; Magali Della Sudda, « Par-delà le bien et le mal, la morale sexuelle en question chez les femmes catholiques », Nouvelles Questions Féministes, 2016, vol. 35, no 1, p. 82-100.

6 Deux principaux fonds d’archives ont été consultés : d’une part les fonds 32CO 315, 316 et 317 intitulés « AFC et CNAFC » du Centre National des Archives de l’Église de France (CNAEF) - pochettes qui comprennent la correspondance du Secrétariat national de la pastorale familiale avec la Confédération nationale des AFC de 1961 à 1998 - et, d’autre part, les archives privées non classées de la CNAFC - qui comprennent les rapports moraux et/ou rapports d’activité de 1959 à 2005, les archives des anciens présidents Louis Reverdy (1958-1985) et Régis de Crépy (1985-1994), les courriers envoyés par Louis Reverdy et son secrétariat entre 1978 et 1988 et les numéros des revues Tâches Familiales (1947-1996) et La vie des AFC (depuis 1962). Parmi l’ensemble de ces sources, les traces des activités déployées à l’international et en Europe sont relativement lacunaires.

7 Jean-Marie Mayeur, « Catholicisme intransigeant, catholicisme social, démocratie chrétienne », Annales, 1972, vol. 27, no 2, p. 483-499.

8 Philippe Portier, « Pluralité et unité dans le catholicisme français », Céline Beraud, Frédéric Gugelot et Isabelle Saint-Martin (dir.), Catholicisme en tensions, Paris, EHESS, 2012, p. 19-36 ; Bruno Dumons et Frédéric Gugelot (dir.), Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, 2017.

9 John D. McCarthy and Mayer N. Zald, « Resource Mobilization and Social Movements : A Partial Theory », American Journal of Sociology, 1977, vol. 82, no 6, p. 1212-1241.

10 Les archives ne fournissent que très peu d’informations biographiques : le manque est particulièrement criant pour les quelques représentants de la Confédération des AFC qui se sont impliqués dans les organisations familiales internationales durant les années 1970 et 1980.

11 À propos des actions menées dans le cadre de la COFACE et de l’UIOF, les militants remarquent que : « Le petit nombre de ceux qui s’intéressent à ces problèmes internationaux et l’insuffisance de nos moyens financiers ne nous permettent pas toujours d’y consacrer l’effort nécessaire » : Rapport moral de la CNAFC pour l’année 1976. CNAEF, Fonds 32CO 315.

12 Janine Mossuz-Lavau, Les lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France (1950-2002), Paris, Payot, 2002.

13 Archives CNAFC, Document intitulé « Procès-verbal de la première réunion européenne pour lutter contre la pornographie et l’avortement », daté du 18 septembre 1971.

14 Un représentant allemand (le docteur en médecine Ernst) et un représentant britannique (le docteur en médecine Sturdy) assistent à la réunion du 18 septembre 1971 à la CNAFC.

15 Archives CNAFC, Compte-rendu de la réunion du comité directeur de la CNAFC de novembre 1972. Lors de l’assemblée générale de 1971 à Ottawa, le président de la CNAFC, dans le cadre de sa défense de la conception de la famille, trouve « l’appui auprès des associations familiales catholiques d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, d’Espagne et des représentants des pays musulmans et des catholiques africains ».

16 Michel Chauvière, « Le rôle des lobbies dans la politique familiale », Informations Sociales, 1er février 2010, no 157, p. 70-79.

17 Virginie Bussat et Michel Chauvière, « Les réseaux de défense des intérêts familiaux Approches comparées des champs familiaux anglais et français », Recherches et Prévisions, 1998, no 52, p. 101 114.

18 L’UIOF a été créée en juin 1947 par le congrès international de la famille et de la population. En 1998, elle devient l’Organisation Mondiale de la Famille (OMF).

19 Fondée en 1958 sous le nom de Comité d’action européen de l’union internationale des organismes familiaux, la COFACE compte 59 organisations membres dont 23 pays de l’Union Européenne. La COFACE est représentée officiellement dans différents organes consultatifs de la Commission Européenne.

20 Cette crainte est attestée tant par les documents consultés que par les entretiens menés avec d’anciens membres de la Confédération en charge des questions internationales.

21 Johanna Siméant, « La transnationalisation de l’action collective », Éric Agrikoliansky,
Olivier Fillieule et Isabelle Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 136.

22 Notons que la métaphore du récif de corail s’applique également à l’Église catholique en tant qu’organisation transnationale. Rome constitue un espace de rencontre et de sociabilité entre associations et mouvements internationaux en faveur de « la vie » dont les dirigeants et dirigeantes de la CNAFC ont largement bénéficié. Voici quelques exemples de rassemblements auxquels ils et elles participent sur la période 1980-1990 : journée des familles organisée le 12 octobre 1980, réunion des dirigeants des mouvements d’Action Catholique, caritatifs, éducatifs la même année, congrès eucharistique en 1981, rassemblement des responsables des mouvements pour la vie et des mouvements familiaux en octobre 1995.

23 Romain Carnac, « S’adapter pour mieux résister : la théologie de la sexualité de Jean-Paul II », Florence Rochefort et Maria Eleonora Sanna (dir.), Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfigurations (xixe-xxie siècles), Paris, Colin, 2013, p. 97-104.

24 Archives CNAFC, Procès-verbal du bureau de la CNAFC de février 1985.

25 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy à l’ADEVIDA datée du 10 février 1984.

26 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy à Madame Teresa Da Costa Macedo datée du 4 mars 1982.

27 Jean-Lucien Royer (1927-2017) est originaire de Toulon où il vit avec sa femme et ses trois enfants. Militaire dans les forces navales, il devient contre-amiral peu avant de quitter l’armée en juillet 1983 (et de rejoindre le secteur privé en tant qu’ingénieur conseil). Largement distingué pour cette carrière (Officier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’ordre national du Mérite, Croix de guerre des TOE avec palme), il est également distingué du titre de « grand officier » par l’ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem dont il a fait partie. Son engagement en tant que laïc dans cet ordre pontifical international (54 lieutenances : 24 en Europe, 15 en Amérique du Nord, 5 en Amérique latine et 6 en Australie et Extrême-Orient) qui œuvre pour aider la communauté chrétienne installée en Terre Sainte (aujourd’hui territoire d’Israël, de la Palestine, de Jordanie et de Chypre) a sans doute à voir avec son investissement dans le développement à l’international des AFC. L’ordre invite en effet les membres à se rendre régulièrement en Terre Sainte en pèlerinage et les mobilise souvent en lien avec le Saint-Siège. Cette connaissance des réseaux catholiques internationaux explique ainsi ses responsabilités auprès des mouvements « pour la vie » en Europe mais aussi en tant que membre de la commission santé de l’UIOF.

28 Archives CNAFC, Rapport moral de la CNAFC pour l’année 1985, p. 8.

29 Archives CNAFC, Procès-verbal du bureau de la CNAFC de février 1985.

30 Archives CNAFC, Document intitulé « Appendix I European Pro-life Working group - Meeting Attendance. Paris : 14-15 January 1984 ». Pour le cas français, Jean-Lucien Royer représente les AFC et Michel Raoult l’Association pour l’objection de conscience à toute participation à l’avortement (AOCPA). Un certain René Bel représente le Foyer Jean XXIII. Une association nommée « Society for the Protection of Uborn Children » (SPUC) est représentée par deux anglais, un écossais et un irlandais. Pour l’Espagne, il s’agit de la Fédération « Pro Vida ». Ingénieur dans l’aéronautique, Michel Raoult (1944-2002) a occupé différentes responsabilités dans le mouvement anti-avortement français. Après avoir longtemps milité dans les rangs de « Laissez-les vivre », il a fondé l’Association pour l’objection de conscience à toute participation à l’avortement en 1982 qui s’oppose aux propositions de remboursement de l’avortement annoncées par le gouvernement cette année-là. René Bel est prêtre et professeur de théologie morale. Il a participé à la publication d’un ouvrage intitulé Un complot contre la vie : l’avortement publié par la maison d’édition Chiré, d’extrême droite et traditionnaliste.

31 Louis Reverdy (1908-2006) est le fils d’Henry Reverdy, militant catholique très engagé au sein de l’Action Catholique de la Jeunesse Française (ACJF) dont il fut le président en 1898 et 1899. Sixième enfant de la famille, Louis fit des études secondaires chez les jésuites avant d’être diplômé en droit (docteur) et en science politique. Il fit sa carrière de juriste à Paris en tant que sous-directeur de la caisse nationale de la sécurité sociale dans les mines. Il s’engagea très tôt en tant que catholique, notamment en tant qu’animateur de patronage et dans l’ACJF. C’est en tant que père de famille (10 enfants) que Louis Reverdy s’engage dans les Associations familiales catholiques. Il occupe le poste de président de la confédération nationale des AFC de 1958 à 1985 et s’engage comme administrateur au sein de l’UNAF de 1949 à 1982. Ces engagements politiques lui valent plusieurs distinctions : chevalier de la Légion d’Honneur, officier de l’Ordre National du Mérite et chevalier de Saint-Grégoire le Grand (décoration accordée par le Saint-Siège).

32 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy au président de la commission des affaires sociales du parlement européen datée du 18 janvier 1984.

33 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy envoyée respectivement à Fr. Otto Maier (Allemagne), Charles Convent (Belgique), Horst Maier (Allemagne), James Morrow (Scotland), Jerry Canty (Londres), Michaël Kidd (Scotland), Bill Sherwin (Irland), Phyllis Bowman (Londres), datée du 3 mai 1984.

34 Archives CNAFC, Document de la CNAFC intitulé « Conférence de Mexico sur la population » daté du 17 septembre 1984.

35 Ibid.

36 Ibid.

37 Ibid.

38 Ils disent notamment « que le Vatican n’a pu faire exclure l’avortement » : Archives CNAFC, Document de la CNAFC intitulé « Conférence de Mexico sur la population » daté du 17 septembre 1984.

39 Archives CNAFC, Lettre de Louis Reverdy à Monsieur Luis-Alberto Petit Herrera datée du 10 mai 1983.

40 Représentante des AFC à la COFACE (de 1978 à 1988) et membre du comité directeur de la CNAFC, Hélène Chemel n’est malheureusement jamais présentée dans les rapports d’activité et les comptes-rendus de réunion de la CNAFC.

41 Archives CNAFC, Rapport moral de la CNAFC pour l’année 1985.

42 Archives CNAFC, Procès-verbal de la réunion des juristes experts organisée par Prodéfa en 1988.

43 « Foundation for the rights of the family » en anglais.

44 Généticien connu pour sa participation à la découverte du chromosome responsable de la trisomie 21 et ses prises de position contre les interruptions thérapeutiques de grossesse, le professeur Jérôme Lejeune est une figure centrale de la lutte contre l’avortement dans les années 1970.

45 Le Parti Ouvrier Européen (POE) est un parti politique français qui a existé de 1974 à 1989. Il a été le pendant en Europe de l’US Labor Party (USLP), fondé par l’homme politique américain Lyndon LaRouche au début des années 1970. Durant les années 1980, Jacques Cheminade en est le secrétaire général. Le parti ne s’affiche ni comme chrétien ni comme catholique. Il est placé à l’extrême droite de l’échiquier politique.

46 Né en 1935 à Lyon, Régis de Crépy possède le titre de baron. Après des études à l’Institut d’études politiques de Paris et au Centre de perfectionnement dans l’administration des entreprises (CPA), il devient directeur adjoint du Crédit Lyonnais pour les régions Haute et Basse Normandie. Père de 5 enfants, il est membre d’une AFC du 7ème arrondissement de Lyon. À son arrivée sur Paris dans les années 1970 il s’engage dans l’équipe du président de la CNAFC Louis Reverdy et s’occupe de la commission économique et sociale de la Confédération. De 1985 à 1994 il est président de la CNAFC. Dès 1985, il siège au Conseil économique et social (CES).

47 Archives CNAFC, Note de la CNAFC datée du 13 octobre 1983 intitulée « Mise en garde » et publiée dans le numéro 94 de La vie des AFC.

48 Le 28 février 1986, le premier ministre suédois Olof Palme est assassiné dans les rues de Stockholm. Parmi les différentes pistes suivies, Victor Gunnarson, membre du Parti ouvrier européen, est suspecté. L’affaire n’a jamais été élucidée.

49 Archives CNAFC, Lettre de Régis de Crépy à Charles de Sagazan du 25 mars 1986.

50 Association créée en 1984 à l’initiative du professeur Lejeune suite à son départ de « Laissez-les-vivre ».

51 Jennifer Merchant, « Les militants pro-life à l’échelle locale », Romain Huret (dir.), Les conservateurs américains se mobilisent. L’autre culture contestataire, Paris, Autrement, 2008, p. 149.

52 Il s’agit de l’AMADE (Association mondiale des Amis de l’enfance, fondée par Grace de Monaco et ensuite gérée par la princesse de Bourbon-Lobkawicz) et de FEA-SOS Futures Mères.

53 Archives CNAFC, Rapport moral de la CNAFC pour l’année 1985. Le film a pour objectif, en suscitant l’effroi et le dégoût, de convaincre de « l’horreur qu’est l’avortement ». Il « raconte une histoire : un fœtus évolue tranquillement dans l’utérus quand une sonde s’approche de lui. On voit alors le fœtus prendre une mine effarouchée, puis se tortiller, se réfugier dans le “fond” de l’utérus et se faire déchiqueter. Les musiques créant une atmosphère de suspens se succèdent pour rajouter au macabre de la scène » : Fiammetta Venner, L’opposition à l’avortement, op. cit., p. 56. Conscients des polémiques suscitées à l’extérieur comme à l’intérieur des milieux catholiques par cette vidéo, les militante·e·s des AFC se justifient : « Si nous vous présentons ce film, ce n’est pas pour vous émouvoir, vous impressionner, vous culpabiliser » et tâchent de circonscrire précisément son rôle et son usage à celui d’outil de sensibilisation et de reconquête de l’opinion publique.

54 Les brochures s’intitulent respectivement : « Planned parenthood et la filière eugénisme et avortement » (par Debra Braun, directrice de recherche et d’éducation de PEAC du Minnesota), « Si Dieu le veut, nous on le peut ! Planning familial naturel » et « De la contraception à l’avortement » (par le père Paul Marx).

55 Fiammetta Venner, L’opposition à l’avortement, op. cit., p. 86-87.

56 Jennifer Merchant, « Les militants pro-life à l’échelle locale », Art. cit., p. 149.

57 Leur capacité d’influence au sein des Nations Unies se confirme avec l’approbation de leur proposition d’une Année internationale de la famille (1994). La CNAFC est également reconnue pour son expertise sur les questions familiales, y compris à l’international, par la hiérarchie vaticane. Lors de la 4ème conférence mondiale sur les femmes de Pékin de 1995, celle-ci accepte de prendre dans sa délégation une militante de la CNAFC, membre de la COFACE et de l’UIOF.

58 Jean-Marie Mayeur, Des partis catholiques à la démocratie chrétienne (xixe-xxe siècles), Paris, Colin, 1980, p. 227.

59 Mgr Kazimierz Majdanski est un évêque polonais, vice-président du Comité pontifical pour la famille dans les années 1980. Auteur d’un ouvrage sur la théologie du mariage et de l’amour préfacé par le cardinal Alexandre Renard, cardinal français très engagé contre les lois Neuwirth et Veil, Mgr Madjanski développe et défend les positions romaines en matière de sexualité, notamment dans le cadre de l’Institut d’études supérieures sur le mariage et la famille polonais dont il est à l’origine : Kazimierz Majdanski, Communauté de vie et d’amour. Esquisse d’une théologie du mariage et de la famille, Paris, SOS, 1980.

60 Alfonso López Trujillo (1935-2008) est un cardinal colombien, particulièrement engagé sur les questions familiales et fervent opposant à l’avortement et à la contraception, notamment dans le cadre de sa présidence à la tête du Conseil pontifical pour la famille. Très proche des AFC, il participe notamment à leur assemblée générale des 4 et 5 avril 1992 au séminaire d’Issy-les-Moulineaux : Archives CNAFC, Rapport d’activité de la CNAFC pour l’année 1991.

61 Jean-François Chaumont et sa femme Chantal découvrent ensemble les AFC via leur fraternité franciscaine dans les années 1970. Né en 1940, Jean-François Chaumont est polytechnicien et forestier. Il crée en 1974 la première AFC de Moselle, entre ensuite rapidement dans le comité directeur et devient président de la CNAFC de 1994 à 2001. Avec sa femme, il prend très activement en charge les relations avec les mouvements familiaux européens, particulièrement allemands, du fait de la maîtrise de la langue et de la proximité géographique.

62 Le document fournit par Jean-François Chaumont ne précise pas de quels pays sont issus ces représentants.

63 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe » rédigé par Jean-François Chaumont et transmis le 17 juin 2019 dans le cadre d’un entretien.

64 Karl H. Fell (né le 16 décembre 1936 à Erkelenz, mort le 5 décembre 1996 à Bonn) était un homme politique allemand et député (CDU). Il a également été membre du Synode conjoint des évêchés de la République fédérale d’Allemagne. Il a été membre du Bundestag allemand de 1987 jusqu’à sa mort le 5 décembre 1996. Il a été activement impliqué dans la politique familiale et, avec Bernhard Jans, a publié un livre sur le suffrage familial.

65 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe », op. cit.

66 Éric Agrikoliansky, Les partis politiques en France, Paris, Colin, 2016, p. 108.

67 Jean-Philippe Vallat, « La représentation des intérêts familiaux en Europe », Recherches Familiales, 2008, n° 5, no 1, p. 15-32.

68 Ibid, p. 21.

69 Michel Chauvière, « Le rôle des lobbies dans la politique familiale », Art. cit.

70 Ibid, p. 28.

71 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe », op. cit.

72 « RU 486 » désigne une pilule utilisée chez la femme comme abortif en début de grossesse mise au point par le laboratoire pharmaceutique Roussel-Uclaf. Les mobilisations contre ce produit débutent dès 1986 en France et prennent différentes formes : interpellations des membres du gouvernement, hommes et femmes politiques et des dirigeants du laboratoire, sit-in devant Roussel-Uclaf (par l’AOCPA et la Trêve de Dieu), achats d’actions de ce groupe, recours au conseil d’État pour interdire sa mise sur le marché,…

73 CNAEF, Document de la CNAFC intitulé « La RU 486-Arme absolue contre la vie » daté de juillet 1988.

74 Archives CNAFC, Procès-verbal du bureau de la CNAFC de septembre 1988.

75 Archives CNAFC, Lettre de Régis de Crépy à Mgr Majdanski du 12 août 1988.

76 Archives CNAFC, Lettre de Régis de Crépy du 10 août 1988 envoyée respectivement à Karl H. Fell, Familienbund der Deutschen Katholiken (FDK), Allemagne ; Franz Stadler, Katholischer Familienverband Östtereichs, Autriche ; Anna Kellerhals Spitz, Pro Familia, Suisse ; Germain Bouverat, Office fédéral des assurances sociales, Suisse ; Joa Da Silveira Bothelo, directeur général de la famille, Portugal ; Rosina Santa Olalla, fondation Prodefa, Espagne ; Tom Ward, président des AFC, Angleterre ; Hubert Atiobe, Association catholique des familles, Benin ; Lise Page, Association des parents catholiques du Québec, Québec.

77 Ibid.

78 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe », op. cit.

79 Ibid.

80 Ibid.

81 Ibid.

82 Archives CNAFC, Rapport d’activité de la CNAFC pour l’année 1991, p. 4.

83 Archives CNAFC, Rapport d’activité de la CNAFC pour l’année 1995, p. 10.

84 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe », op. cit.

85 Archives CNAFC, Rapport d’activité de la CNAFC pour l’année 1994.

86 Document intitulé « La naissance d’une organisation des mouvements familiaux catholiques en Europe », op. cit.

87 Christophe Capuano et Marie-Emmanuelle Chessel, « Qu’est-ce qu’une association catholique “efficace” ? Consommation et famille en France (1900-1947) », Entreprises et Histoire, 2009, vol. 3, no 56, p. 30-48.

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