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Poissons d'Afrique et peuples de l'eau

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Didier Paugy
, 
Christian Levêque
, 
Isabelle Mouas
, 
et al.

Partie 4. Pêches et pêcheurs

La pêche, une pratique ancienne

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Labeo niloticus
© C. Paugy

1Activité de prélèvement très ancienne sur un milieu naturel qui n’est à priori ni travaillé ni transformé, à la différence des terroirs agricoles, la pêche est un bon exemple de la manière dont les hommes pensent et mettent en œuvre leur rapport à l’environnement. La grande diversité des engins de pêche et des techniques révèle aussi que les pêcheurs sont de fins connaisseurs des particularités écologiques et biologiques des poissons. Les techniques de capture, très primitives à l’origine, se sont peu à peu diversifiées pour pouvoir capturer une plus grande variété d’espèces dans différents types de milieux aquatiques.

Les Égyptiens étaient déjà de fins pêcheurs

2En Égypte, les recherches archéologiques ont montré que les hommes du Paléolithique supérieur pêchaient quasi exclusivement des poissons-chats (Clarias), des tilapias et des barbeaux. Ces espèces étaient capturées à la lance ou à l’aide de paniers et de nasses dans les chenaux. Par la suite, il y a environ 8 000 ans, à l’époque Néolithique, ils ont pêché également des capitaines (Lates niloticus), des Bagrus, des Synodontis, probablement quand ils ont disposé de radeaux ou de barques (Van Neer, 1994). On a trouvé des preuves archéologiques montrant qu’à cette époque les Égyptiens ont commencé à utiliser les filets, ce qui explique, peut être, la forte augmentation du nombre d’espèces pêchées. Des hameçons en coquillage, des harpons en os sont régulièrement retrouvés à partir du Prédynastique (il y a environ 6 000 ans).

3Les poissons, très abondants dans le Nil, formaient une part importante de l’alimentation des Égyptiens. Ils faisaient partie des salaires en nature distribués aux travailleurs. De gros poids de calcaire, retrouvés dans le village de Deir El-Médineh, sur les rives ouest de Thèbes, ont servi à la pesée de ces rations destinées aux ouvriers de la nécropole.

  • 1 Substance chimique, souvent d’origine végétale, toxique pour les poissons, mais pas pour l’homme.

4Les activités de pêche ne différaient pas fondamentalement de celles observées aujourd’hui dans la zone sahélienne. Pour capturer les poissons, les Égyptiens avaient recours à de nombreuses techniques : pêche au filet, à la nasse, au panier, au haveneau, au harpon ou à la ligne. Il y avait une forte activité de pêche au début de la crue, sur des poissons de grande taille. Après la décrue, la pêche était pratiquée en groupe dans les mares résiduelles, en utilisant divers engins : paniers, éperviers. On utilisait déjà les ichtyotoxiques1. Dans les eaux peu profondes, les Clarias et les tilapias pouvaient être capturés à la main, à la lance, au harpon, etc.

Parole de chercheur
François Soleilhavoup naturaliste, spécialiste de l’art rupestre saharien
Les pratiques de pêche dans le Sahara au Néolithique Durant l’optimum humide de l’Holocène (il y a environ 8 000 ans), les cours d’eau pérennes et les plans d’eau ne manquaient pas au Sahara méridional. Les populations devaient y pratiquer la pêche comme l’atteste la présence de certains restes alimentaires de poissons dans plusieurs gisements. On peut penser que sur les lacs, les mares ou depuis les berges des fleuves, on pratiquait la capture des poissons au filet, au harpon, à la ligne avec hameçons.
Plusieurs gisements néolithiques sahariens ont livré des restes de poissons (vertèbres, otolithes de poissons-chats, etc.) mais également des instruments de pêche comme des harpons, des hameçons en os et des lests de filets.
Pourtant, les images rupestres d’embarcations, de barques ou de pirogues sont rares durant la préhistoire saharienne. Une seule représentation de pirogue, probablement faite de roseaux liés a été trouvée au Tchad dans le Haut Ennedi. Cette découverte par Gérard Jacquet, en 1999, est remarquable : il s’agit sans conteste d’une embarcation manœuvrée par un personnage placé à l’une de ses extrémités, qui manie une godille ou une longue rame.
Un site rupestre du Tassili de Ti-n-Reroh (sud-ouest du Hoggar) montre de remarquables gravures, les seules de ce type actuellement connues au Sahara. Il s’agit de formes qu’on pourra décrire comme des pièges à poissons. Dirk Huyge a remarqué en effet que les motifs ressemblent beaucoup, au moins pour quelques détails hautement significatifs, au plan de base d’aménagements destinés à piéger des poissons, c’est-à-dire des dispositifs universellement connus comme pièges à poissons en labyrinthes. L’objectif est de canaliser et de concentrer les poissons dans un espace confiné, une chambre de capture où il devient aisé de les harponner, de les prendre dans un filet ou encore de les saisir à la main. Au Sahara, le piégeage des poissons était donc sans doute utilisé pendant le Néolithique. Mais compte tenu de leur présence unique dans un art rupestre surabondant de la région, on ignore s’il s’agissait d’une pratique courante.
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Instruments de pêche récoltés dans des gisements néolithiques du Sahara.
1. Outeïdat (Mali) ;
2. Nouakchott (Mauritanie) ;
3. Beni Teïman (Tchad) ;
4. Hameçon néolithique.
relevé © F. Soleilhavoup
L’utilisation de tels pièges à poissons n’est pas connue dans l’art égyptien classique, mais, en revanche, elle est attestée pendant la période gréco-romaine.
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Peinture rupestre représentant des pirogues et de nombreux symboles.
Cette peinture est proche de certaines gravures égyptiennes prédynastiques, dans des abris sous-roches sur la montagne de l’île, Aire Soroba, delta central du fleuve Niger au Mali.
© IRD/G. Fédière
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Relevé graphique d’une peinture à l’ocre rouge d’une pirogue probablement faite de roseaux liés.
Site de Soboro-Boudhoué, Haut-Ennedi (Tchad).
© F. Soleilhavoup, relevé d’après une photo G. Jacquet, 1999.
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Gravures de possibles dispositifs destinés à piéger les poissons.
Détail d’une grande frise trouvée dans le Tassili de Ti-n-Reroh, sud-ouest du Hoggar, Algérie
© F. Soleilhavoup, relevé d’après une photo de 1991.
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Fresque de la tombe de Menna (n° 69).
Chasse aux oiseaux et pêches rituelles dans les marais.
En bas, détail.
Menna était arpenteur et scribe pendant le règne de Thoutmosis IV (1401-1390 av. J.-C.).
xviie dyn., Gourna.
Chasse et pêche sont des activités symboliques. D’après la tradition funéraire, le défunt devait harponner dans une « montagne d’eau » deux poissons, respectivement un poisson d’eaux vives (Lates niloticus ou perche du Nil) et un poisson d’eaux calmes (Oreochromis niloticus ou tilapia du Nil), qui suggèrent, par analogie, les deux états du défunt lors des pèlerinages funéraires. Les deux poissons ont la même taille sur la fresque alors que dans la réalité le Lates est beaucoup plus grand que le tilapia.
Menna est accompagné de son épouse Hénout-Taouy qui le maintient par la poitrine.
En haut : © J. Vertut
En bas : © J. Livet

5Les artistes égyptiens ont mis beaucoup de soin à reproduire les différentes espèces de poissons qui peuplaient leur fleuve (cf. chap. « Un inventaire des espèces encore inachevé », p. 49). Beaucoup de scènes de pêche sont également représentées dans les tombes de l’Ancien Empire. On distingue en particulier deux types de scènes : dans la tombe de Menna, on observe d’une part le défunt harponnant les poissons dans les marais et, d’autre part, des grandes scènes de pêches dans lesquelles les pêcheurs attrapent les poissons dans des filets et des pièges. La plupart des espèces représentées sont identifiables facilement, ce qui traduit les qualités d’observateurs et d’artistes des Égyptiens (cf. chap. « Un inventaire des espèces encore inachevé », p. 51).

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Pêcheurs et oiseleurs dans les marais du Nil.
© Musée d’agriculture ancienne du Caire/G. Ghersi

6Les scènes de pêche dans les marais nous montrent des poissons serrés les uns contre les autres dans un filet, à tel point que l’on pourrait penser à une pêche miraculeuse. Les poissons étaient ensuite ouverts et séchés, comme l’ont montré certaines peintures murales. On sait également qu’ils étaient fumés.

Les engins de pêche en Égypte ancienne

7La pêche était très importante pour les Égyptiens car le poisson était leur nourriture principale. Il servait également de mode de paiement et de récompense. La pêche était une activité essentiellement saisonnière qui donnait lieu à des déplacements de populations pour mieux profiter de l’abondance de la ressource.

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Pêche au haveneau et à la ligne.
Mastaba de Kagemni, ve dyn., Saqqara. Bas-relief.
Ce splendide bas-relief illustre deux techniques de pêche : du bord d’une légère embarcation, un homme manie un haveneau, sorte de grande épuisette, pendant que son compagnon, bien installé sur son siège de papyrus, déroule sa ligne équipée de cinq hameçons à laquelle sont accrochés un Synodontis, un mulet et un Lates. Un troisième personnage dirige la barque à l’aide d’une gaffe. Les poissons abondent sous l’embarcation, on reconnaît à droite un Synodontis entouré par deux mormyres. © J. Livet

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Pêche à la ligne sur un bas-relief du tombeau de Ti à Saqqara.
Un pêcheur assez confortablement installé, à gauche, pêche avec une ligne à hameçons. On distingue de nombreuses espèces de poissons.
De gauche à droite : Clarias, Synodontis batensoda, Labeo niloticus, Malapterurus electricus, Citharinus latus, Mugil, Anguilla anguilla, Clarias, Petrocephalus et Oreochromis niloticus.
© Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire

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Pêche au grand filet tendu entre deux barques.
xixe dyn., Deir El-Médineh, tombe d’Ipouy (n° 217). Fresque.
À gauche : faite de planches de sycomore, la barque cousue assure la tension du filet.
Le maître de pêche, debout à l’arrière au-dessus du barreur tenant l’aviron de gouverne, dirige la manœuvre des deux rameurs, aidant le pêcheur à coordonner la remontée du filet à flotteurs dont une partie se trouve déjà sur le pont.
Sur le filet, on peut distinguer un silure (en bas à gauche), un tilapia (en haut à gauche), à côté d’un gros Synodontis. Un Tetraodon en bas au milieu et un gros Citharinus à droite.
© J. Livet

8Les premiers Égyptiens (12 000 à 10 000 ans av. J.-C.) avaient encore des techniques rudimentaires du type harpon ou hameçon en os. D’après les vestiges paléontologiques, ils pêchaient surtout des poissons-chats (Clarias), des tilapias et des barbeaux. Ces poissons devaient être pêchés dans le lit majeur en période de crue. Il y a environ 8 000 ans, le nombre d’espèces capturées augmente sensiblement, ce qui semble traduire l’existence de meilleures techniques de pêche et une diversification des engins de capture.

9De fait, les engins de pêche étaient déjà variés dans l’Égypte ancienne, il y a environ 5 000 ans. Ils allaient d’engins individuels de type harpon, ligne à hameçons, haveneau, etc. à des engins collectifs plus difficiles à manœuvrer : grands filets, sennes de plage. Des représentations explicites de scènes de pêche montrent certains de ces engins qui semblent très proches de ceux encore utilisés actuellement. Les Égyptiens savaient également fabriquer des nasses en osier en forme de bouteille, souvent posées près du rivage, pour capturer poissons et crustacés.

10Ils disposaient de radeaux et de petites barques qui leur permettaient de se rendre sur le fleuve pour pêcher.

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Pêcheurs sur leurs embarcations en papyrus.
Fin xie-début xiie dyn., Deir El-Bahari, tombe de Meketra.
H. 31,5 cm, L. 90 cm, l. 32 cm.
Deux rameurs, situés à la poupe et à la proue, font avancer la barque tandis que les autres pêcheurs hissent le filet rempli de poissons. Il s’agirait d’une forme de chalut primitif muni d’un arceau (chalut à perche).
© 2011, Scala/Florence

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Pêche au panier. Saqqara.
Cette pêche au panier est étonnamment similaire à celle qui est pratiquée de nos jours dans les mares et zones humides africaines.
© Collection C. Lévêque

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Nasses. Saqquara.
Ces nasses figurant sur les murs d’un tombeau ont une allure très moderne. Elles rappellent les nasses actuelles posées au niveau des barrages de pêche.
© Collection C. Lévêque

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11Celui qui parle trop est comme un crocodile : il a une grande bouche mais de petits bras.

12Parler n’est pas agir.

Bibliografía

POUR EN SAVOIR PLUS

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Soleilhavoup F., 2000 – Art rupestre dans les confins nord-orientaux du Tassili-n-Ajjer (région de l’Aramat, Libye). Sahara, 12 : 45-82, 43 fig., 5 pl. coul., éditions Pyramids, Segrate, Milan.

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Van Neer W., 1994 – La pêche dans le Nil égyptien durant la préhistoire. Archéo-Nil : 17-25.

Vernet R., 1993 – Préhistoire de la Mauritanie. Centre culturel français A. de Saint-Exupéry, Nouakchott, Sépia éditeur, 428 p.

Von Brandt A., 1984 – Fish Catching Methods of the World. Farnham (Surrey), Fishing News Books Ltd., Third edition, revised and enlarged, 418 p.

Notas

1 Substance chimique, souvent d’origine végétale, toxique pour les poissons, mais pas pour l’homme.

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