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Poissons d'Afrique et peuples de l'eau

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Didier Paugy
, 
Christian Levêque
, 
Isabelle Mouas
, 
et al.

Partie 1. L'Afrique, berceau des poissons ?

Quand le Sahara était vert et bleu

Texte intégral

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Clarias anguillaris
© C. Paugy

1Actuellement désert minéral où la vie n’est réservée qu’à quelques privilégiés ultra-adaptés, le Sahara n’a pas toujours connu cette aridité. Il est difficile de nos jours d’imaginer qu’à certaines époques existait une mosaïque de rivières et de lacs bordés de forêts-galeries au cœur d’une savane arborée et de prairies herbeuses.

  • 1 En biologie, on nomme spéciation le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes ap (...)

2La paléo-écologie nous a appris que les changements climatiques ont joué un rôle prépondérant dans les processus de spéciation1et de mise en place des faunes et des flores. Ces mêmes changements climatiques ont également joué un rôle dans la naissance et la disparition des civilisations.

3Le Sahara nous offre un très bel exemple des changements écologiques liés au climat, qui peuvent survenir en l’espace de quelques millénaires dans une zone géographique. Cet univers, essentiellement minéral actuellement, n’a pas toujours été ainsi. Qui sait lire les archives enterrées sous le sable peut retracer l’histoire des événements qui se sont enchaînés au fil des millénaires. C’est ainsi, par exemple, que la paléontologue Nicole Petit-Maire nous invite avec cette métaphore, « Sous le sable… des lacs » (CNRS Éditions, 2002), à un voyage dans le temps, à l’époque où le Sahara était « vert ». Remontons comme elle les années.

Le Sahara lors de la dernière glaciation (-18 000 ans)

4Pendant une grande partie des 70 derniers millénaires, le Sahara ressemblait à ce qu’il est aujourd’hui. À la dernière glaciation qui a affecté l’hémisphère Nord (-18 000 ans) correspond une période d’hyperaridité, le désert s’étendant alors jusqu’à 400 ou 500 km au sud de la limite actuelle. La zone est presque totalement vide, à l’exception de la vallée du Nil alimentée par le massif éthiopien, où de petits groupes humains vivent de la pêche et de la collecte de graminées sauvages. L’actuelle forêt dense est parsemée de très vastes clairières avec des prairies de graminées.

5Il y a environ 12 000 ans, le réchauffement du climat fait fondre les glaces du nord de l’Europe, et le niveau des océans remonte considérablement entraînant une modification du régime des pluies. Les moussons saisonnières se déplacent vers le nord, engendrant de nouvelles et importantes précipitations dans une zone presque aussi grande que les États-Unis. Ces précipitations abondantes et régulières alimentent pendant quelques millénaires les nappes phréatiques qui finissent par affleurer dans les dépressions.

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Fig. 12 – La paléovégétation du nord de l’Afrique (adapté d’après Le Quellec, 1998).
Hyperaride aujourd’hui, l’ensemble de la zone saharienne a déjà été un désert plus vaste, mais a également bénéficié autrefois de conditions climatiques nettement plus favorables.

6À l’optimum Holocène, qui se situe il y a à peu près 8 000 ans, la limite septentrionale du Sahara est remontée d’environ 1 000 km vers le nord. De vastes bassins hydrographiques se mettent alors à irriguer le Sahara, de l’Égypte à la Mauritanie, attirant dans un premier temps la vie animale, puis les hommes. Le paléo-Tchad, ancêtre du lac Tchad actuel, occupe une surface égale à une fois et demie celle de la France et s’étend jusqu’au Tibesti, qui est alors couvert de neige. Le Niger coule vers le nord jusqu’à un vaste delta intérieur qui s’étend jusqu’à 300 km au nord de Tombouctou. À cette époque, le problème, pour les installations humaines, n’est pas comme le précise l’archéologue Marianne Cornevin (1998) « la rareté des points d’eau mais, au contraire, l’immensité des zones lacustres et marécageuses ». Les maxima humides qui surviennent il y a environ 10 000 ans contraignent vraisemblablement une partie de la population à s’établir dans les massifs, les dépressions du Sahara étant remplies par l’affleurement de la nappe phréatique. « Environ 90 000 km2 de l’actuel désert malien étaient couverts de lacs et de mares pendant les maxima humides, et les hommes doivent attendre la période aride débutant vers 5 500 pour s’établir au nord de Tombouctou. » (Cornevin, 1998).

7Il y a 5 000 à 8 000 ans, le Sahara est donc constitué de zones de savanes interrompues par d’énormes étendues lacustres ou marécageuses, souvent infranchissables. Plus au sud, les forêts équatoriales humides, beaucoup plus étendues qu’aujourd’hui, remontent alors jusqu’aux latitudes de Bamako et N’Djamena, à l’emplacement des savanes herbacées actuelles.

8C’est il y a environ 7 500 ans que surgit un épisode aride qui durera environ cinq siècles. Les populations humaines s’installent au bord des lacs et des rivières vivant de pêche, de chasse et de la collecte de graminées et de tubercules sauvages. Cette période aride est suivie d’un « petit humide » qui dure deux à trois millénaires (de 7 000 à 4 500 BP). Au Tchad, il y a à peu près 6 500 ans, le massif du Tibesti apporte une quantité d’eau considérable au paléo-Tchad qui commence à s’assécher il y a un peu moins de 4 000 ans seulement (tabl. 2).

9Il y a environ 3 000 ans, les régions centrales du Sahara commencent à s’assécher et, vers -1 000 ans avant notre ère, le Sahara est probablement peu différent de celui d’aujourd’hui. Le processus de dessèchement se poursuit jusqu’à nos jours, avec cependant de fortes alternances de périodes très sèches et de périodes plus humides.

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Tabl. 2 – Évolution de la superficie du lac Tchad.
(Sources : Olivry et al., 1996 ; Giwa, 2004 ; Pnue, 2008).

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Dune de sable marquant le paléorivage du méga-lac Tchad Holocène.
Au premier plan, sols argileux fertiles du fond du méga-lac. Le rivage du lac actuel se rencontre à plus de 100 km vers l’est.
© IRD/M. Leblanc

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Fig. 13 – Évolution des différents niveaux de remplissage de lac Tchad au cours des temps.
Les frontières de l’antique bassin théorique du lac Tchad (2 500 000 km2) sont représentées en ligne pointillée. L’extension maximale du lac Méga-Tchad (350 000 km2) de l’holocène (il y environ 10 000 ans) est en bleu clair.
Le secteur bleu plus foncé correspond au lac Tchad actuel (2 500 à 25 000 km2). Les couleurs représentent l’altitude : vert, 280-430 m ; jaune, 430-850 m ; brun, 850-2 000 m avec, dans la région du Tibesti, des altitudes atteignant 3 400 m
(adapté d’après Vignaud et al., 2002).

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Fig. 14 – Limites estimées des bassins hydrographiques du Tchad, du Niger et du Sénégal (fond vert), au début de l’Holocène.
Il existait un vaste réseau hydrographique coulant du nord vers le sud, depuis le Tibesti, l’Aïr et le Hoggar (adapté d’après Talbot, 1980 ; Riser et Petit-Maire, 1986).

Des poissons témoin de l’histoire
De nos jours, l’Atlas constitue une barrière géographique entre les faunes de poissons du Sahara proprement dit et celles d’origine paléarctiques du Maghreb. Tel n’a semble-t-il pas toujours été le cas puisque certains fossiles du Miocène présentant une forte affinité avec les formes subsahariennes actuelles ont été retrouvées en Tunisie ou en Algérie. Depuis cette lointaine et riche époque, la faune semble s’être considérablement appauvrie et seul un cichlidé (Astatotilapia desfontainesi) témoigne encore d’une affinité indiscutable avec l’Afrique subsaharienne.
Au sud, les espèces de poissons des gueltas sahariennes sont pratiquement toutes les mêmes que celles qui peuplent les bassins de l’actuelle zone nilo-soudanienne. De toute évidence, ces espèces fréquentaient les eaux de ce que l’on a coutume d’appeler le Méga-Tchad. L’isolement de ces populations a dû se produire il y a environ 5 000-6 000 ans. Les formes possédant des exigences écologiques importantes ont généralement disparu, mais celles beaucoup plus tolérantes vis-à-vis des contraintes environnementales ont subsisté. C’est ainsi que les espèces appartenant aux familles des cyprinidés (8 espèces), cichlidés (4 espèces) et des clariidés (2 espèces) sont encore bien présentes. Il s’agit dans tous les cas d’organismes qui sont tolérants à de faibles concentrations d’oxygène dissous dans l’eau.
Dans l’Ennedi, on trouve une espèce de barbeau (Barbus apleurogramma) que l’on ne retrouve actuellement que dans le bassin du lac Victoria, mais dans aucun des bassins proches, du Tchad ou du Nil. Elle est certainement le vestige d’une faune plus ancienne ayant une plus vaste distribution et de composition légèrement différente. La majeure partie des représentants de cette faune primitive a certainement disparu lors des différentes phases de sècheresse et il ne subsiste, dans certaines zones particulières, que des témoins isolés. Ce scénario signifie également que l’isolation de cette espèce est antérieure à la dernière phase humide qui se soit produite dans cette région.
Compte tenu des conditions climatiques de ces milieux arides, il s’agit de populations très fragilisées qu’il est indispensable de sauvegarder et donc de protéger en évitant, tant faire se peut, de modifier leur habitat.
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Guelta de Timia, Aïr, Niger. Les gueltas sont des petites dépressions, généralement situées en milieu aride.
Elles accumulent l’eau après le passage des pluies ou sont alimentées par des résurgences naturelles. Ce terme désigne des plans d’eau temporaires ou non, sans écoulement visible. Ce peut être des mares dans les lits des oueds ou des citernes naturelles dans la roche
© IRD/C. Mariac

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Falaise de Teguidit, Ténéré actuel, Niger. Face à l’apparition d’un tel désert minéral, on comprend mieux pourquoi les civilisations ont eu du mal à prospérer et pourquoi elles ont migré vers des régions plus hospitalières.
© IRD/E. Bernus

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Tessons de céramique de l’époque prospère du « petit humide » (aux environs de 5 100 à 4 600 BP).
À gauche, site archéologique d’Ikawaten, Niger.
© IRD/E. Bernus
À droite, site archéologique de Tafidet, Niger.
© IRD/E. Bernus

10Durant cette période de grand Sahara vert qui a duré de -12 000 ans à -5 000 ans BP, il y a eu des communications plus ou moins permanentes entre les différents fleuves des régions sahariennes, et peut-être avec le bassin du Nil, mais cette hypothèse n’est pas vérifiée. La faune aquatique sahélo-soudanienne a ainsi pu se disperser et s’homogénéiser, ce qui explique la grande similitude des faunes de poissons observées dans les bassins du Tchad, du Niger, du Sénégal et des Volta.

11Sans aller jusqu’à dire que « C’est le climat qui fait l’Histoire » (Hsü, 2000, cité par Le Quellec, 2003), des changements climatiques très importants sont de nature à avoir, sinon déclenché, du moins fortement encouragé, d’importants mouvements de populations. On a ainsi montré le rôle primordial de certaines périodes de « méga-sécheresses » dans la chute de plusieurs civilisations. À l’inverse, les périodes humides correspondent généralement à des époques de prospérité des hommes, mais également de la vie qui les entoure et dont ils sont généralement tributaires. Ces époques prospères ont laissé des témoignages d’au moins deux civilisations qui se sont succédé et ont laissé des empreintes (les Kiffiens et les Ténéréens). Ce sont des restes d’activités, qui ont permis de reconstituer la vie courante de ces populations, ou des témoignages artistiques tels que des gravures ou des peintures rupestres dont on peut penser qu’elles s’inspiraient des paysages et des faunes de l’époque.

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  • 2 Représentation symbolique mêlant les caractères physionomiques humains et animaux.

Le site de Gobero
Sur le site de Gobero (au centre du Ténéré, Niger) datant de l’époque néolithique, on trouve des tessons de poteries d’un peuple de pêcheurs d’origine kiffienne (10 000-8 000 BP).
Au fond d’un lac asséché, on a trouvé également des dizaines d’hameçons et de harpons taillés dans des os d’animaux.
Les pêcheurs kiffiens pouvaient grâce à ces engins traquer la perche du Nil, les crocodiles et les hippopotames qui vivaient dans de vastes étendues aquatiques occupant alors cette région. De nombreux os de poissons et des coquilles de mollusques ont également été retrouvés sur le site.
Après une période aride de quelques siècles, une nouvelle phase humide s’est installée.
Des populations nomades, les Ténéréens, se sont alors établis sur le même site pendant près de 2 000 ans (6 500-4 500 BP). Ils semblaient avoir des activités plus diversifiées que les Kiffiens, pratiquant la pêche, la chasse, l’élevage et un peu d’agriculture.
Ces populations disparaissent avec le retour de la grande aridité il y a environ 4 500 ans. La sécheresse se répandra sur toute la partie centrale du territoire, il y a environ 3 000 ans.
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Harpon en os. Ténéré, Niger.
© IRD/E. Bernus
Parole de chercheur
François Soleilhavoup naturaliste, spécialiste de l’art rupestre saharien
Images rupestres de poissons au Sahara
De nos jours, les eaux pérennes sont rares dans le Sahara. On n’en trouve que dans les quelques lacs et dans les gueltas permanentes qui sont les abreuvoirs habituels de la grande faune dans les montagnes du Sahara. Dans ces milieux, les poissons les plus communs sont les barbeaux (genre Barbus) et les tilapies (genre Tilapia). On reconnaît les silures (genre Clarias) ou poissons-chats à leur silhouette anguilliforme et à leur grande taille (jusqu’à 1,20 m et 7 kg). Ces silures sont capables de survivre longtemps dans la boue humide et parfois même de changer de plan d’eau.
En matière d’art préhistorique, plus encore que de voir gravés ou peints sur les rochers du Sahara des buffles, des éléphants ou des rhinocéros, ce sont les images d’hippopotames, de crocodiles et surtout de poissons qui nous étonnent dans cet environnement actuellement si aride. Ces images nous apportent la preuve que le désert que nous connaissons, et que parfois nous parcourons avec le risque de nous déshydrater, a autrefois été suffisamment humide pour que des lacs, des mares et des fleuves pérennes favorisent une ichtyofaune certainement abondante.
Plusieurs épisodes climatiques ont permis le développement d’une faune aquatique et subaquatique au Sahara. Entre 12 000 et 3 000 ans avant nos jours, le Sahara semble avoir connu trois périodes assez favorables pour permettre la sauvegarde des poissons.
Mais alors, comment expliquer la rareté des images gravées ou peintes les représentant, notamment à partir de 6 500 ans avant nos jours, alors que d’autres animaux – notamment les grands mammifères herbivores – se rencontrent en grande quantité dans de nombreux sites ?
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Fig. 15 – Quelques sites qui témoignent d’un passé aquatique dans le Sahara.
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Cichlidés sur grès.
Oued Djerat, Tassili-n-Ajjer, Algérie.
© Relevé F. Soleilhavoup, d’après photos G. et S. Lachaud.
En réalité, dans l’art saharien, les animaux figurés sont loin de représenter toute la faune présente. On a affaire à un bestiaire et, à ce titre, on observe une importante sélection des espèces, surtout au profit des grands mammifères. La nette sous-représentation des poissons, comme celle des reptiles ou des batraciens, résulte certainement de puissants filtres culturels restreignant leurs figurations rupestres. Les quelques artistes qui ont représenté des poissons – guère plus d’une vingtaine au total parmi les dizaines de milliers d’œuvres rupestres répertoriées dans tout le Sahara – ont-ils bravé un interdit ? On ne saurait le dire. Un site montre même des anthropo-zoomorphes2 à tête de poisson, ainsi que des structures gravées qui évoquent des pièges à poissons. Ceci laisse penser qu’un imaginaire mythique ou une symbolique a pu néanmoins s’attacher à l’ichtyofaune à certaines époques. Qui plus est, parmi les poissons rupestres du Sahara, on ne trouve que fort peu d’espèces identifiables (silures et cichlidés presque exclusivement).
La présence de gravures de probables poissons-chats et cichlidés, il y a environ 8 000 ans dans l’oued Djerat au Tassili-n-Ajjer (Algérie), confirme qu’il a dû exister, dans le passé, des intercommunications via des fleuves, actuellement disparus, qui coulaient du nord vers le sud en direction des bassins du Niger et du Tchad.
On retrouve également dans le Tassili (Algérie) des figurations, datant d’il y a environ 2 000 ans avant J.-C., comme l’attestent certaines représentations récentes peintes à l’ocre rouge.
Les images de poissons, fort dispersées au Sahara central, ne permettent pas de distinguer des affinités géographiques représentatives d’aires culturelles particulières. Elles appartiennent en effet à des styles composites répartis au cours d’une longue séquence chronologique. Ces images ne sont donc pas caractéristiques d’une culture plutôt que d’une autre.
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Peinture (au trait) d’un poisson isolé sur une paroi, dans le style d’Ihéren-Tahilahi.
Vraisemblablement un cichlidé. Wadi Ahloun, région de l’Aramat, Fezzân libyen.
© Relevé et photo F. Soleilhavoup.
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Gravures de trois poissons en file, sur une paroi verticale.
Site de Ti-n-Merzouga, Tassili sud-oriental, Algérie. Celui de droite est un silure ; à gauche, deux cichlidés (Tilapia ?).
© Relevé F. Soleilhavoup, d’après photo G. Landié.
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Poisson-chat sur grès.
Oued Djerat, Tassili-n-Ajjer, Algérie.
© Relevé F. Soleilhavoup, d’après photos G. et S. Lachaud.
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Cinq poissons peints à l’ocre rouge (silure et Perciformes).
Tassili d’Ifédaniouene (nord-ouest de Djanet, Algérie), 2 000 ans av. J.-C.
© Relevé F. Soleilhavoup, d’après photo originale de D. Lionnet. photo © Ennedi.fr.

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Site fossilifère dans les dunes.
Site Toumaï, Tchad. © MPFT/O. Otero

Fig. 16 – Les sites de découverte de « Toumaï » et de « Abel » dans le désert du Djourab tchadien
(adapté d’après Vignaud et al., 2002).

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Le Sahara au temps de Toumaï (-7 Ma)

  • 3 Les cercopithécoïdes constituent un groupe de primates à queue non préhensile de l’Ancien Monde. E (...)

12Plus loin encore dans le temps, les régions actuellement désertiques de l’Afrique saharienne pouvaient abriter des forêts et des cours d’eau poissonneux. Ainsi, la région du Djourab (Tchad) où vécut Toumaï est aujourd’hui totalement désertique. Mais il y a 7 millions d’années (Ma), l’environnement dans lequel évoluaient les hominidés de l’époque était très différent. Toumaï vivait à proximité du lac Tchad, qui était alors beaucoup plus étendu qu’aujourd’hui. Le paysage était constitué d’une mosaïque de rivières et de lacs bordés de forêts-galeries, au cœur d’une savane arborée et de prairies herbeuses. On peut retrouver ces types de paysages dans le delta actuel de l’Okavango au Botswana. C’était l’époque, comme nous l’avons déjà évoqué, d’un « paléolac Tchad » ou « Méga-Tchad » qui couvrait, à son maximum, environ 350 000 km2. Dans la même couche géologique que Toumaï, les scientifiques ont retrouvé les restes fossiles d’environ 10 000 animaux, dont plus de 50 taxons de vertébrés. Parmi ceux-ci, il n’est pas rare de trouver des squelettes de formes fréquentant les milieux aquatiques, témoins de l’environnement de l’époque : poissons, reptiles, mammifères. Les vestiges d’un crocodilien de 7 à 8 m de long et d’une riche faune de poissons – poissons-chiens de plus de 1 m de long, gymnarques, polyptères, poissons-chats ou capitaines – sont autant de preuves de la pérennité et de la grande étendue des milieux aquatiques dans cette région d’Afrique. Au-delà, la présence de poissons-chiens ou de capitaines et de polyptères prouve que l’environnement était varié, les premiers fréquentant des milieux ouverts et relativement oxygénés, alors que les seconds sont plus tolérants et fréquentent des marécages encombrés et moins aérés. Sans véritable lien avec les poissons, la présence d’éléments squelettiques de primates cercopithécoïdes3est un excellent indicateur de la proximité d’un milieu boisé proche. Ce sont ces différents éléments qui ont permis aux spécialistes de retracer globalement ce paléopaysage nettement plus favorable qu’actuellement à l’épanouissement de la vie.

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Crânes de poissons-chats.
En haut, Auchenoglanis soye (site de Toumaï, Tchad) et, en bas, Auchenoglanis biscutatus (espèce actuelle). © MPFT/D. Paugy

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Mâchoire de gros poisson-chat dans le grès fossilifère.
Site Toumaï, Tchad. © MPFT/O. Otero

Parole de chercheur
Olga Otero
paléo-ichtyologue
Ce que nous apprennent les « poissons » du site de Toumaï
Depuis les années 1990, les membres de la Mission paléontologique franco-tchadienne prospectent et fouillent les secteurs fossilifères dans le désert du Djourab, au Tchad. En 2001, l’aire fossilifère de Toros-Ménalla livre les ossements du plus ancien hominidé connu à ce jour, Sahelanthropus tchadensis (Toumaï), âgé de 7 Ma. Dans les mêmes sites, des milliers de restes de vertébrés sont collectés dont ceux de l’une des plus riches paléo-ichtyofaunes connue en Afrique continentale. Leur étude a notamment permis de reconstituer l’environnement qui prévalait à l’époque de Toumaï.
La collecte des fossiles dans le Djourab
Les fossiles de poissons ont été collectés lors des campagnes de fouilles, en même temps que le reste de la faune. Les techniques de prélèvement sont les mêmes pour l’ensemble des fossiles et dépendent plutôt de la taille des restes préservés et du sédiment qui est plus ou moins induré suivant les sites. Les grosses pièces sont collectées à vue. Un long dégagement est nécessaire si le fossile est enchâssé dans un sédiment très induré. Les petites pièces (épines, fragments osseux, dents…) sont plutôt récoltées lors du tri des sédiments après tamisage. Généralement, les os et les dents de poissons sont trouvés articulés ou isolés, parfois fragmentés. De façon exceptionnelle, des squelettes de poisson en connexion sont préservés. Les fossiles trouvés dans le Djourab sont issus de poissons qui ont probablement été piégés dans une mare en assèchement.
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L’aire fossilifère de Toros-Menalla.
Les chercheurs de la Mission paléontologique franco-tchadienne sur le site de « Toumaï ».
© MPFT/O. Otero
La diversité observée
Même à partir de restes parcellaires, l’étude de l’anatomie osseuse permet de reconnaître certains poissons. C’est le cas des épines des nageoires dorsales et pectorales des poissons-chats, qui sont très nombreuses dans les sites fossilifères car particulièrement robustes, ou encore des dents de poisson-chien (poisson-tigre des anglophones = Hydrocynus) qui mesurent souvent plus de 1 cm de haut. Lorsqu’un squelette complet est découvert, on peut alors dire si le poisson auquel il appartenait existe toujours ou bien si c’est une espèce fossile. À Toros-Ménalla, on peut distinguer plus d’une vingtaine de genres et près de trente espèces, dont trois espèces nouvelles décrites à ce jour : un polyptère, un auchenoglane et un Semlikiichthys qui n’a pas de parent connu aujourd’hui. L’ichtyofaune fossilisée est moins riche que l’ichtyofaune actuelle, car nombre de poissons ont les os trop fragiles pour être conservés et des dents indifférenciées, ce qui interdit toute attribution.
Les environnements aquatiques à l’époque de Toumaï
Pour la reconstitution des milieux aquatiques anciens, on se base avant tout sur la connaissance du milieu de vie des poissons actuels : à un milieu aquatique donné correspond une association de poissons. Certains s’avèrent même être de véritables marqueurs de l’environnement. Par exemple, le capitaine (la perche du Nil des anglophones, Lates niloticus) indique un haut niveau d’oxygénation de l’eau, ou encore le Gymnarchus ne se trouve que dans des eaux strictement douces et a besoin de marécages pour sa reproduction. Ainsi, l’étude détaillée d’une paléo-ichtyofaune continentale permet, à partir de la connaissance de l’écologie des espèces actuelles, de définir précisément le paléo-environnement aquatique.
À l’époque de Toumaï, le Nord-Tchad n’était pas un désert. La région était recouverte de végétation et d’un réseau hydrique qui alimentait un lac. Le meilleur analogue en est probablement l’actuel bassin de l’Okavango. Le site TM266 qui a livré le crâne de Toumaï présente un environnement aquatique bien documenté, non seulement par le très grand nombre de fossiles et la diversité des poissons, mais aussi par la présence de loutres, d’hippopotames et d’anthracothères (un groupe éteint de gros mammifères aquatiques), de crocodiles, de tortues et d’un python aquatique. En majorité, les poissons appartiennent à des espèces d’eaux courantes et bien oxygénées, telle le capitaine ou encore le poisson-chien, qui sont des carnivores chassant à vue. On rencontre aussi des poissons qui fréquentent plus particulièrement les bordures végétalisées, où ils trouvent refuge et nourriture (comme certains poissons-chats). En revanche, les espèces qui supportent les eaux marécageuses et peu oxygénées sont peu fréquentes. Enfin, l’abondance des poissons qui mangent des coquillages permet de supposer leur présence sur les fonds. Bref, le milieu aquatique correspond à un lac ou un large cours d’eau, aux bordures végétalisées, ainsi que, pour une faible fraction à un marais et à des flaques marginales.
Pour aller plus loin, d’autres marqueurs de l’environnement sont étudiés dans les restes de ces mêmes poissons : il s’agit des informations géochimiques. Un organisme incorpore des éléments dans ses tissus tout au long de sa vie. En particulier, l’oxygène se retrouve dans les phosphates et les carbonates des dents et des os. Dans un organisme qui ne régule pas sa température (ectotherme) comme les poissons, la proportion des différents isotopes de l’oxygène dans les os et les dents va dépendre de la température du milieu et de la composition isotopique de l’eau de boisson, qui est fonction des cycles précipitation/évaporation régionaux et/ou locaux. L’étude des isotopes de l’oxygène des fossiles renseigne donc potentiellement sur le climat à l’époque de la vie de l’organisme.
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Delta de l’Okavango.
Botswana. © J. Huber
Paléobiogéographie
Lorsque que l’on compare les poissons présents au Tchad à l’époque de Toumaï et ceux présents à la même époque dans les autres bassins africains, on remarque des ressemblances avec l’ichtyofaune d’Afrique de l’Est, mais pas une similitude totale. Certaines espèces sont suffisamment différentes mais suffisamment proches également pour penser que les eaux de ces deux régions étaient alors séparées mais depuis peu de temps. Ces informations paléobiogéographiques sont importantes pour évaluer le contexte des migrations éventuelles des hominidés entre ces provinces au début de leur histoire.

Le Sahara avant la dérive des continents (-110 Ma)

13Beaucoup, beaucoup plus loin dans le temps, il existe aussi des preuves de l’existence de zones humides à l’emplacement du Sahara actuel. Dans des couches datées d’environ 110 Ma, on a retrouvé, dans le désert du Ténéré (Niger), plusieurs restes fossiles d’un crocodilien dont la morphologie ne laisse planer aucun doute sur sa façon de se comporter. En effet, compte tenu de sa taille et de sa dentition, on peut très bien imaginer que ce « Supercroco » (il dépassait 10 m) ne se contentait pas de menu fretin et qu’il devait plutôt s’attaquer à d’assez grosses proies. Il devait donc exister un environnement florissant capable d’abriter et de supporter une faune de grande taille, ce qui n’est pas le cas de l’environnement actuel. Rappelons que nous nous situons encore à cette époque en présence d’une faune constituée majoritairement de dinosaures, puisque la grande extinction qui les concerne n’interviendra que plusieurs millions d’années plus tard (65 Ma, soit à la fin du Crétacé).

14Quelle que soit l’échelle temporelle, on voit donc que cette région saharienne, comme beaucoup d’autres, a connu une alternance perpétuelle de changements climatiques d’envergure. Les événements climatiques que l’on observe de nos jours s’inscrivent vraisemblablement dans cette logique implacable, même si l’on doit certainement accepter que l’homme intervient également en accélérant, par ses activités, le mécanisme… mais dans quelle proportion, nul ne peut honnêtement le dire exactement.

  • 4 Rappelons que l’extinction massive des dinosaures s’est produite il y a environ 65 Ma, à la fin du (...)

Supercroco
Portrait de Sarcosuchus imperator : un Supercroco saharien !
En 2000, Paul Sereno, paléontologiste américain, et son équipe ont découvert, dans le désert du Ténéré au Niger un squelette presque complet d’un des plus grands crocodiliens du monde. Ce crocodile géant régnait sur les rivières africaines du Crétacé moyen, il y a environ 110 Ma4.
Ce Supercroco n’était cependant pas un inconnu. Une partie de ses dents coniques, de ses vertèbres et des plaques d’écailles d’une trentaine de centimètres avaient déjà été découvertes, en 1947, par Félix de Lapparent, paléontologue français. Plus tard, en 1964, Philippe Taquet et la nièce de F. de Lapparent découvrirent de nouveaux restes, sur le site de Gadoufaoua, dans le Ténéré. Ils nommèrent cette créature Sarcosuchus imperator. Les fossiles fragmentaires étaient malheureusement insuffisants pour reconstituer l’animal.
L’expédition de Paul Sereno a permis de répondre à de multiples questions sur ce géant.
Sarcosuchus imperator mesurait 11 à 12 m de long. Le crâne le plus complet fait un peu moins de 2 m de long. Son poids a été estimé à 9 tonnes. Il vivait probablement au bord des fleuves, avait une alimentation variée et attaquait certainement les herbivores qui venaient s’y abreuver.
Sarcosuchus possédait une superbe armure. Des écailles, d’une longueur de 30 cm, assuraient une très efficace protection. Les scientifiques estiment que ce crocodile atteignait sa taille adulte à l’âge de 50 ou 60 ans.
Sarcosuchus se distingue des autres crocodiliens par son crâne extraordinaire. Plus d’une centaine de dents font saillie dans ses mâchoires étroites, alors que les crocodiliens actuels en possèdent nettement moins de 100.
Contrairement à tous les crânes des autres crocodiles, vivants ou disparus, celui de Supercroco est renflé à l’avant. Dans le renflement, au bout du museau, loge une cavité énorme placée sous les narines. L’animal devait avoir un odorat exceptionnel et un cri tout à fait particulier.
Les orbites sont orientées vers le haut, comme chez le gavial indien actuel. Cette configuration devait permettre à Supercroco d’inspecter les rives du cours d’eau tout en étant invisible.
Son crâne ressemble à un croisement entre celui, allongé, du gavial pêcheur de poissons et le robuste crâne du crocodile du Nil.
En réalité, Sarcosuchus est le descendant d’une branche annexe de la famille des crocodiliens, différente de celle dont sont issus les crocodiles actuels.

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Sarcosuchus imperator (sarcos « chair », souchos « crocodile » et imperator « empereur », « le plus grand »).
C’est le plus gros de tous les crocodiliens connus ayant existé sur Terre. Maquette exposée dans la galerie de paléontologie du MNHN de Paris. © MNHN, Paris/C. Ferrara

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15Quand tu traverses une rivière, il peut t’arriver d’être avalé par un crocodile, mais ne te laisse pas mordre par les petits poissons.

16Il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds.

Bibliographie

POUR EN SAVOIR PLUS

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Le Quellec J.-L., 1998 – Art rupestre et préhistoire du Sahara. Paris, Payot, Bibliothèque scientifique, 616 p.

Le Quellec J.-L., 2003 – « Adaptation aux changements climatiques dans le sahara fezzanais ». Contribution au colloque « Le Sahara et l’Homme : un savoir pour un savoir-faire », Douz, Tunisie, 27-29 déc. 2003.

Petit-Maire N., 2002 – Sahara. Sous le sable… des lacs. Un voyage dans le temps. Paris, CNRS Éditions, 128 p.

Raimbault M., 1996 – L’impact de la dégradation climatique holocène sur les Néolithiques du Sahara malien et les données du faciès sahélien de Kobadi. Préhistoire et anthropologie méditerranéennes, 5 : 135-146.

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Vignaud P., Duringer P., Mackaye H. T., Likius A., Blondel C., Boisserie J.-R., De Bonis L., Eisenmann V., Étienne M.-E., Geraads D., Guy F., Lehman T., Lihoreau F., Lopez-Martinez N., Mourer-Chauviré C., Otero O., Rage J.-C., Schuster M., Viriot L., Zazzo A., Brunet M., 2002 – Geology and paleontology of the Upper Miocene Toros-Menalla hominid locality, Chad. Nature, 418 : 152-155.

Notes

1 En biologie, on nomme spéciation le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes apparaissent.

2 Représentation symbolique mêlant les caractères physionomiques humains et animaux.

3 Les cercopithécoïdes constituent un groupe de primates à queue non préhensile de l’Ancien Monde. En Afrique, les vervets, les colobes ou les babouins appartiennent à ce groupe.

4 Rappelons que l’extinction massive des dinosaures s’est produite il y a environ 65 Ma, à la fin du Crétacé.

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