Version classiqueVersion mobile

Des sources du savoir aux médicaments du futur

 | 
Jacques Fleurentin
, 
Jean-Marie Pelt
, 
Guy Mazars

1. Origine des pharmacopées traditionnelles et élaboration des pharmacopées savantes

De l’observation des plantes médicinales aux savoirs traditionnels

Anne-Laure Rigouzzo-Weiller

Texte intégral

"Les herbes parlent au curieux (attentif) médecin par leur signature, lui descouvrant par quelque ressemblance leurs vertus intérieures, cachées sous le voile du silence de la Nature", Oswald Crollius, La Royale Chimie, 1624.

1A l’origine des savoirs traditionnels sur les plantes médicinales, nous retrouvons d’une part l’observation fine, attentive et globale des plantes dans leur milieu naturel, d’autre part l’expérimentation empirique de remèdes populaires réalisés par la pratique des lois de l’analogie et des diverses correspondances entre les règnes de la nature.

2Par ces moyens simples, l’homme a essayé de soulager ses souffrances et de remédier au déséquilibre de sa santé, dès la plus haute Antiquité.

3Dans toutes les traditions, l’homme était considéré comme un être doté d’un corps, d’une âme et d’un esprit (les termes changent en fonction des civilisations) et la maladie était envisagée comme la conséquence d’une disharmonie entre ces différentes parties.

4Dans cette étude, nous nous proposons d’observer quatre plantes communes de notre environnement proche, à l’aide de deux grilles de lecture issues de la médecine d’Hippocrate (que l’on retrouve également dans la médecine arabe), de celle de Paracelse et de la botanique de Goethe (reprise par R. Steiner).

5Nous présenterons donc dans un premier temps ces clés de lecture, puis nous les appliquerons à l’observation des 4 plantes choisies. Enfin, nous comparerons ces observations aux données d’enquêtes ethnobotaniques faites en Haute-Provence et en Grèce.

6Ce travail est le fruit de 12 années de recherche personnelle dans le domaine de l’observation sensible dans la nature et d’enquêtes ethnobotaniques sur le terrain.

7Goethe a proposé une image très dynamique de la plante (cf "la Métamorphose des plantes") reprise par R. Steiner, pour mettre en évidence les relations fondamentales entre l’homme et la plante selon le tableau 1. Ce dernier montre la relation qui existe entre les différentes parties d’une plante et les systèmes fonctionnels de l’organisme humain, tout en soulignant les dynamiques communes.

8Nous observons ainsi des similitudes de fonctionnement entre l’homme et la plante (inversée tête-bêche).

9Lorsqu’une plante a tendance à développer exagérément une de ses parties ou une de ses dynamiques, elle devient médicinale : "C’est l’anomalie qui fait du végétal une plante médicinale" (R. Steiner). Ce qui provoque une maladie et ce qui représente pour l’homme un cas pathologique n’est pour la plante qu’un changement caractéristique de la forme et des constituants chimiques.

10Le végétal devient médicinal là où l’homme exprime une maladie, un déséquilibre organique ou fonctionnel. L’homme peut alors se guérir en vertu de la corrélation exposée au tableau I.

11Cette première grille de lecture permettra d’identifier des plantes "racine", "feuille", ou "fleur" ayant une action plus orientée vers les systèmes "neuro-sensoriel", "rythmique" ou "métabolique".

12La seconde clé correspond à la "signature" sur la plante des 4 éléments naturels : terre, eau, air et feu.

13Le tableau II propose succinctement quelques signatures de ces 4 éléments sur les plantes et leurs correspondances chez l’homme. Il n’est pas exhaustif ; ces indications permettent d’appréhender une "lecture" du végétal nous orientant par similitude vers les propriétés médicinales des plantes.

14Nous appliquerons donc ces deux grilles à l’observation des 4 plantes suivantes :

15Bryonia dïoca Jacq. (Cucurbitaceae) - bryone

16Artemisia vulgaris (Composeae) - armoise

17Malva sylvestris L. (Malvaceae) - mauve

18Thlaspi bursa-pastoris L. ou Capsella bursa pastoris Moench (Apiaceae) - bourse à Pasteur

19La bryone, est une plante vivace commune, grimpante dans les haies, pouvant atteindre plusieurs mètres de haut, couverte de poils courts et raides, avec des tiges grêles portant des vrilles et des feuilles gracieuses à 3-5 lobes d’un vert sombre et luisant qui rappellent celles de la vigne. Elle a un goût amer. Ses petites fleurs dioïques ont une couleur d’un jaune verdâtre à nervures plus foncées (rappelant des filaments nerveux), les fleurs staminées ont un calice en forme de cloche, les pistils sont terminés par un stigmate en forme de rein. Ses fruits sont d’abord verts puis rouges. Sa racine est impressionnante : c’est comme un tubercule cylindrique parfois ramifié, vertical, à chair blanchâtre, à odeur âpre et désagréable, qui peut irriter la peau.

20D’aspect général, cette liane semble vouloir tout "étouffer", "étrangler" : les vrilles enserrent tout tuteur disponible, les formes des fleurs et des organes reproducteurs sont à tendance centripète, de couleur proche des feuilles. Nous sommes en présence d’une dynamique centripète, où tout tend à revenir vers la racine, organe prépondérant. C’est une véritable "courge souterraine". Tout en passant inaperçue et fondue dans les haies, cette plante en fleur ou en fruit attire comme un "aimant", quand on s’en approche.

21La racine retient les forces verticales de la plante dans son rhizome, d’où cette croissance aérienne, légère et délicate.

22La clé 1 nous indique une plante "racine" signée par l’élément "terre" en correspondance avec le système neuro-sensoriel.

23La clé 2 montre une racine gonflée, de couleur blanchâtre, qui est signée par l’élément eau. Telle une pompe, elle alimente la plante comme un jet d’eau continu. Cette plante grimpante, issue d’une telle racine, pleine de vitalité, nerveuse, s’accroche, s’enroule pour éviter de ramper, de retomber sous le poids du feuillage attiré par sa racine.

24Lorsque chez l’homme, cette dynamique des liquides envahit avec excès la région céphalique, on obtient des larmoiements, des écoulements de la plèvre, du coryza, diverses expressions dues au refroidissement (congestion, céphalées, frissons, tremblements, fièvres, angines...), alors la racine de Bryone permet par correspondance de rééquilibrer l’excès d’eau dans l’organisme humain. La dynamique aérienne de cette plante nous conduit également vers l’organe des poumons et nous indique la potentialité à résorber oedème, pleurésie, synovie...

25Quant à l’élément feu, il s’exprime dans la couleur rouge vif de ces baies charnues rondes et lisses et qui indique une certaine toxicité.

26Les enquêtes populaires ethnobotaniques confirment bien les observations précédentes :

  • la racine est utilisée comme purgative, anti-rhumatismale, anti-inflammatoire (maladie pulmonaire, bronchite), elle soulage les fièvres paludéennes, elle est utilisée dans les cas d’épilepsie et comme diurétique puissant. Elle soutient également les affections de la rate ;
  • la sève fraîche est recommandée comme vermifuge ;
  • les jeunes pousses sont appréciées comme aliment dépuratif, et régénérateur du sang.

27Dans le cadre de cette communication, nous ne pouvons développer les trois autres plantes avec autant de détails que la bryone. Nous résumerons donc dans le tableau III, l’observation, la description et l’application des deux grilles de lecture sur ces trois plantes, ainsi que leurs propriétés médicinales déduites par analogie.

28L’utilisation des grilles de lecture permet d’apporter un regard novateur sur l’origine des savoirs populaires. Sa maîtrise ainsi que celle d’autres clés du même type offre de nouvelles perspectives dans la connaissance infinie de la pharmacopée végétale.

Bibliographie

Références

BEZANGER-BEAUQUESNE L., PINKAS M., TORCK M., TROTIN F. (1990) Plantes médicinales des régions tempérées, Paris, Ed Maloine.

BONNIER G. (1990) La grande flore en couleurs : index, planches et textes, Paris, Ed Belin.

FOURNIER P. (1999) Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, 1500 espèces, 3 tomes, connaissances et mémoires européennes.

GOETHE (1975) La métamorphose des plantes, Paris, Ed Triades.

GROHMANN G. (1978) La plante, Paris, Ed Triades.

LIEUTAGHI P. (1978) Le livre des bonnes herbes, Tome 1 et 2, Ed Marabout.

LIEUTAGHI P. (1991) La plante compagne, Suisse, Conservatoire et jardin botanique de Genève, Alimentarium, Vervey, Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel.

PELIKAN W. (1962) L’homme et les plantes médicinales, Tome 1, 2 et 3, Paris, Ed Triades.

PIO FONT QUER (1961) Plantas medicinales, El dioscorides renovado, Espana, Barcelona, Ediciones Peninsula.

THEOPHRASTE (1998) Dictionnaire des plantes d’après Théophraste, Grèce, Athènes, Ed Cactus.

Table des illustrations

Titre Tableau I
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/7242/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 509k
Titre Tableau II
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/7242/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 537k
Titre Tableau III
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/7242/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M

Auteur

Prométerre la Péchardie 24290 Saint-Léon sur Vézère (France)

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search