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Agriculture biologique en Martinique

 | 
Martine François
, 
Roland Moreau
, 
Bertil Sylvander

Synthèse et recommandations

Question 5. Quels sont les objectifs possibles pour un développement de l'agriculture biologique en Martinique ?

Texte intégral

Objectifs généraux

1Les objectifs envisageables pour le développement de l'AB doivent tenir compte des grands problèmes et des principaux enjeux qui concernent au premier chef actuellement en Martinique l'agriculture, l'environnement et l'alimentation.

Contribuer à conserver une place à l'agriculture dans le développement économique de la Martinique

2Parmi les différentes formes d'agriculture, quelle peut être la place de l'AB ? Et ce, compte tenu des négociations en cours au niveau de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) et de la situation de l'OCM (Organisation commune des marchés), banane en particulier, mais aussi du contexte agricole en général (périurbanisation notamment).

Contribuer à préserver l'environnement physique en Martinique

3Ressource essentielle pour la population comme pour le développement touristique, l'environnement doit être protégé. Cette question prend son sens en Martinique dans un contexte de crise où est portée à la connaissance du public et des autorités une pollution des sols et des eaux par le chlordécone. Quelle réponse apporter aux préoccupations des citoyens (pollution des sols et de l'eau : eau douce et littorale) ? Comment protéger l'environnement en Martinique, comment l'agriculture peut-elle y contribuer et l'AB en particulier ?

Contribuer à répondre aux préoccupations des consommateurs sur la qualité de l'alimentation en Martinique

4Les questions des consommateurs concernent la sécurité alimentaire et la santé en lien avec les résidus de pesticides présents dans les aliments et l'eau. Mais sont également présentes des interrogations sur l'identité culturelle alimentaire martiniquaise, et sur le lien entre territoire, agriculture et alimentation en Martinique. Comment l'agriculture, comment l'AB en particulier, peut-elle contribuer à construire la sécurité alimentaire et rétablir le lien entre agriculture, alimentation et territoire en Martinique ?

Décliner la composante agricole d'un développement territorial intégré et durable de la Martinique

5Comment concevoir et réaliser un « projet de territoire », basé sur les ressources locales et durables, porté par les populations et groupes professionnels de l'île, et porteur de son identité culturelle spécifique ? Dans ce projet, quelle est la place de l'agriculture, et plus précisément celle de l'AB ?

6À ces objectifs généraux, l'AB, certifiée, peut contribuer à répondre. Mais l'AE, ou des formes d'agriculture en lien avec la valorisation des produits de « pays », les produits fermiers, la vente directe, voire les jardins insérés dans la ville, présentent également un potentiel à valoriser, tout particulièrement dans le cadre d'un développement territorial « intégré ». Par ailleurs, l'agriculture raisonnée, ou agriculture intégrée, tout en utilisant des intrants de synthèse, font aussi valoir d'autres formes d'agriculture cherchant à respecter l'environnement. Des synergies entre les moyens mis au service du développement de ces différentes formes d'agriculture doivent être trouvées.

7Avant de décliner nos observations sous la forme d'une proposition d'objectifs spécifiques, il importe d'établir un diagnostic des contraintes et opportunités de l'agriculture biologique en Martinique.

Contraintes au développement particulières au contexte martiniquais

Les zones possibles pour le développement de l'AB ou de l'AE

Les sols pollués par le chlordécone

8Les organochlorés, et plus particulièrement le chlordécone, ont été utilisés en agriculture aux États-Unis, en Europe et en Martinique. Le chlordécone a été appliqué en Martinique sur les cultures intensives de bananiers à partir de 1972 et son utilisation s'est poursuivie jusqu'en 1995-96. Des doses importantes de ces produits ont été utilisées pendant plusieurs années en Martinique, mais aussi dans les autres pays producteurs de banane. Les molécules étant rémanentes, elles se sont accumulées de façon importante dans les sols cultivés en banane pendant les années 1970-1994.

9L'hypothèse la plus sérieuse pour expliquer cette accumulation dans les sols est une capacité de sorption et de désorption différée exceptionnelle des sols argileux tropicaux d'origine volcanique, qui représentent l'essentiel de la zone bananière non irriguée (en zones humides). Ce sont aussi précisément les sols réputés sensibles à l'infestation par les nématodes et les charançons parasites du bananier, sur lesquels les organochlorés ont été apportés jusqu'à une période récente.

10En outre, ces molécules peu biodégradables sont peu à peu relarguées par les eaux de ruissellement et de drainage. Des captages pour l'eau potable montrent des teneurs élevées de toxiques, en particulier en chlordécone, qui ont obligé les autorités sanitaires à mettre en œuvre des filtrages à base de charbon actif.

11Les tubercules cultivés sur des sols contaminés auraient la capacité de concentrer les molécules de toxiques. Les cultures de tubercules ou bulbes (ignames, dachines, patates douces...), biologiques ou non, ne sont pas envisageables sur ces sols pollués. En effet, des récoltes issues de ces zones se sont révélées contaminées et impropres à la consommation. Un arrêté préfectoral de mai 2003 conditionne à la preuve de leur innocuité par analyse des organochlorés la possibilité de commercialiser toute une liste d'organes souterrains récoltés (« racines »), cultivés sur des sols probablement contaminés.

12En revanche, il semble que les parties aériennes (et notamment les fruits de bananier) ne soient pas contaminées dans ce cas. Des études doivent être menées pour savoir quels autres fruits et plantes sont susceptibles d'être cultivés et récoltés sur ces sols.

13Les effets nocifs des organochlorés sur la santé animale et humaine sont mal connus. Toutefois, les conséquences de la présence de ces molécules dans l'environnement n'ont été prises en compte que depuis une période très récente. Une étude a été menée à la demande de l'INVS par la Cire (Cellule interrégionale d'épidémiologie), sur le chlordécone, le bêta HCH, l'aldrine et la dieldrine. Une première étude déjà parue montre que, si les effets nocifs de fortes doses de ces produits sont avérées, en particulier sur le rongeur, ceux d'une exposition continue à de faibles doses ne l'est pas. En outre, l'extrapolation des modèles animaux à l'homme suscite une difficulté méthodologique. Les études doivent donc se poursuivre pour déterminer l'exposition des populations à ces molécules et les VTR (valeurs toxicologiques de référence).

14Le problème lié à ces molécules est dû à leur rémanence. Il est probable que la durée de contamination des sols soit de plusieurs décennies car la demi-vie du chlordécone est de plus de 50 ans. La décontamination des sols n'est hélas pas à attendre dans un avenir proche.

15Des possibilités de décontamination « assistée » (par des cultures ou par des bactéries) sont décrites dans la littérature ou correspondent à des technologies développées par des entreprises, mais l'application aux organochlorés n'est pas décrite. Cela ne laisse donc pas espérer une décontamination « naturelle » des sols contaminés en Martinique dans un horizon temporel proche.

16Ce problème de contamination des sols cultivés anciennement en banane ne concerne pas que la Martinique mais tous les pays producteurs, y compris ceux qui cultivent et exportent aujourd'hui la banane biologique.

17Cette pollution des sols par les organochlorés et notamment le chlordécone rend peut-être impossible le développement de l'AB dans les zones anciennement occupées par des cultures ayant utilisé massivement ces molécules (à court et moyen terme, en tout cas pas avant décontamination). On ne peut pas parler d'une interdiction (au sens du règlement européen), car l'initiative de faire réaliser des analyses de sol et de leur nature est laissée au soin de l'organisme certificateur. Toutefois, les experts ne recommandent pas le développement de l'AB ni de l'AE sur ces zones, à la fois pour des raisons d'image, car cela risquerait de discréditer l'AB, mais aussi pour des raisons techniques liées au risque de présence de chlordécone dans certains produits intervenant dans les rotations.

18En conséquence, même s'il ne s'agit pas strictement d'une impossibilité réglementaire et qu'en tout état de cause les autres pays producteurs de bananes même biologiques rencontrent des difficultés du même ordre, les surfaces utilisables pour l'AB en Martinique devraient se trouver en dehors des zones contaminées par le chlordécone. Cela limite fortement le potentiel de terres qu'il serait possible de consacrer à l'AB en Martinique.

19La prise de conscience du risque concret lié à l'épandage de pesticides et nématicides (pollution, réduction de la biodiversité...) a provoqué une inventivité et une ouverture des agriculteurs vers des systèmes de culture plus diversifiés, plus économes en intrants, et utilisant les derniers résultats, concrètement applicables, produits par la recherche en matière de lutte raisonnée (charançon du bananier). Ces agriculteurs ne sont toutefois pas allés jusqu'à l'AB.

20Le comité d'expertise n'a pas la possibilité de proposer une cartographie de potentialités pour l'AB ou l'AE, ne disposant pas de cartes superposées des différentes contraintes. La marche à suivre pour aboutir à ce zonage, dans le cadre d'un « Système d'information géographique » inter-services correctement alimenté, consisterait à croiser des cartes de contamination des sols par les organochlorés, des cartes de tenure foncière, des cartes d'état des voiries de desserte et des cartes pédologiques et climatiques.

21À titre d'exemples, non exclusifs, plusieurs périmètres favorables retiennent l'attention du groupe d'experts :

  • Les régions hautes du centre de la côte Caraïbe (Morne-Vert, Fond-Saint-Denis...) : sols fertiles ; pluviosité régulière ; peu de cultures de bananes ; îlots mal desservis par des pistes précaires ; savoir-faire en polyculture-élevage encore présents. Il est nécessaire de vérifier que les organochlorés n'ont pas été utilisés dans les composantes maraîchères, intensives, depuis la fin des années 1970.
  • Les régions du sud (Rivière-Pilote, Le Marin, Le Vauclin, Sainte-Anne) : cultures de banane très fragmentaires, sous faible pression parasitaire ne requérant que peu de traitements, pour l'essentiel postérieurs à l'époque des organochlorés ; sols minéralement fertiles ; accès partiel à l'irrigation (vérifier la non-contamination des eaux de la Manzo) ; proximité des exploitations spécialisées en élevage, en canne, en maraîchage, autorisant des flux de matières organiques intra- ou interexploitations.
  • La zone haute de Trinité et basse de Morne-des-Esses : cultures de bananes fragmentaires ; tradition de cultures vivrières ; proximité des installations du Galion (compostage de bagasse).
  • Certains experts s'interrogent sur les possibilités d'utiliser des zones d'interface forêt/agriculture, voire une possibilité de regain sur la forêt dans certains cas.
  • Par ailleurs, l'AB devrait être développée en priorité sur les zones à préserver. Il peut s'agir de zones de protection écologique et de leur périphérie, et surtout des bassins d'alimentation et périmètres de captage en eau potable. Ce rôle bénéfique de l'AB pour la préservation de la qualité des eaux a été reconnu dans plusieurs régions d'Europe, où l'aide à la conversion en AB sur des zones de captage à protéger se révèle rentable pour réduire les coûts de traitement de l'eau potable, en réduisant la contamination des eaux souterraines par les nitrates et pesticides. La ville de Munich en Allemagne subventionne l'AB depuis une vingtaine d'années dans le bassin versant de la rivière Mangfall et, en France, le groupe Vittel Perder encourage la conversion en AB sur les périmètres de captage des eaux de Vittel et Perrier où des études sont menées par l'Inra.

22À l'heure actuelle, les experts ne sont pas en mesure de quantifier ces surfaces. Les cartes nos 4 et 5 (h.-t.) insérées dans la synthèse permettent de repérer les surfaces en bananeraie en 1969 et 1980, qui sont susceptibles d'être contaminées.

Agriculture biologique et utilisation de la ressource en eau

23La ressource en eau est inégalement répartie en Martinique (voir carte 3 h.-t.) : les bilans hydriques sont extrêmement variés sur de courtes distances : excédentaires en permanence dans les zones d'altitude, ils sont déficitaires pendant plusieurs mois chaque année dans les bas de la côte Caraïbe et dans le tiers sud-est de l'île. Cela implique que les cultures sont obligatoirement irriguées dans ces zones, cette réalité du terrain intéressant en particulier les cultures biologiques.

24La possibilité d'alimentation en eau par les réservoirs profonds du sol aggrave ces contrastes. Les sols des zones humides ont un système de porosité qui autorise une ascension capillaire, importante en volume, et de vitesse suffisante pour compenser des périodes de sécheresse de plusieurs semaines. À l'opposé, les vertisols du sud offrent comme réserve de survie pour les cultures, la seule épaisseur d'argile explorée par les racines. Concrètement, une même culture convenablement enracinée (par exemple, canne à sucre) supportera sans dommage un mois de déficit hydrique climatique dans le premier cas, alors que la même sécheresse affectera la croissance après deux semaines pour aboutir à une croissance nulle au bout du mois sur vertisol. En cas de sécheresse exceptionnelle de six mois, un fer-risol permettra la survie, un vertisol supportera une mortalité importante (carte 6, h.-t.).

25Dans le sud, l'eau est une ressource rare. Au xixe siècle, les agriculteurs ont installé des mares, puis des retenues collinaires dans les zones les plus sèches. Celles-ci ne constituent qu'un recours localisé. Pour passer une saison sèche de cinq mois, il faudrait sous cette hypothèse affecter 20 % de la surface cultivable à des retenues collinaires. Cette technique ne pourra donc pas constituer une solution pour développer l'irrigation de nouvelles cultures biologiques à une grande échelle.

26Voilà pourquoi le schéma d'irrigation d'appoint de la Martinique est fondé sur deux options :

  • Des captages au fil des cours d'eau descendant des montagnes pour des îlots collectifs ou des exploitations individuelles, dont seuls sont répertoriés les captages et pompages ayant fait l'objet d'une demande d'autorisation auprès de la DAF (une douzaine collectifs, plus de 200 individuels). L'excédent de bilan d'eau pure des montagnes a pu ainsi être capté puis stocké et distribué dans les réseaux d'irrigation des zones sèches. Ce sont des ressources en eau mobilisables pour l'agriculture biologique, pour les captages non pollués.
  • Une autre option d'aménagement régional : le barrage de la Manzo, alimenté par transfert à partir d'un captage de la rivière Lézarde. Il peut contenir jusqu'à 8 Mm3, stocke de l'eau en saison des pluies pour la restituer en saison sèche. Un réseau de canalisations haute pression dessert essentiellement la région de vertisols du sud-est et a permis l'essor d'une production maraîchère significative pour le marché local, et celui du melon destiné à l'exportation en contre-saison. L'extension des surfaces en bananeraies sur vertisols, qui atteignent 2 000 ha alors que seuls 700 ha étaient prévus, constitue actuellement le premier poste de sollicitation de la retenue. L'essor de la banane sur cette zone est motivé par des conditions de moindre agressivité parasitaire du milieu. Il est soupçonné d'être responsable de l'épuisement précoce de la retenue en année sèche. Les consommations moyennes sur une année sèche varient de 8,7 à 13 Mm3. En cas de manque d'eau, des rationnements sont prévus par « tours d'eau ». Le piratage en période de rationnement est par ailleurs difficile à contrôler. Sous réserve de sa disponibilité, cette eau d'irrigation peut être consacrée à l'agriculture biologique. Il convient de vérifier la non-contamination des eaux de la Manzo par le chlordécone, non-contamination probable car il s'agit d'un bassin versant de captage sans banane dans les années 1980.

27L'irrigation est mal maîtrisée : peu d'exploitants se donnent les moyens de collecter les données nécessaires à l'application d'un bilan hydrique, pratiquement aucun ne dispose d'instrument d'évaluation directe de l'état des réserves en eau du sol. La disposition d'une pression élevée aux bornes a, dans un premier temps, encouragé une irrigation par asperseurs à longue portée, technique qui recèle toutes les composantes du gaspillage de l'eau. Les cinq dernières années voient cependant l'installation de systèmes plus économes : irrigation sous frondaison, gaines déroulées ou enterrées. Cette mauvaise maîtrise de l'irrigation comporte un risque environnemental : les conditions de bilan hydrique légèrement excédentaires, sur des cultures maraîchères ou bananières à forte fertilisation, notamment azotée, ne peuvent qu'entraîner un transfert de sédiments et d'eaux de ruissellement à forte concentration en nutriments, susceptibles de polluer les eaux, les écosystèmes côtiers et les parcelles d'aval. Une formation et un soutien aux agriculteurs pour une utilisation rationnelle de l'eau d'irrigation seraient utiles à la fois pour le développement de l'AB, mais aussi pour les autres formes d'agriculture, car l'économie de l'eau est un enjeu pour la Martinique.

28L'eau est rare à la Martinique, et plus encore l'eau non contaminée par le chlordécone. Compte tenu des caractéristiques des sols, l'irrigation est incontournable au moins sur les vertisols du sud. Les ressources en eau pour développer de nouvelles cultures irriguées biologiques sont faibles car la pression sur la ressource du barrage de la Manzo excède déjà sa capacité en saison sèche. Un développement de l'AB irriguée dans ces zones reposera d'abord sur la reconversion de surfaces déjà cultivées en banane ou maraîchage. De toutes façons, les itinéraires techniques mis au point en AB et les formations des exploitants à cette agriculture doivent tenir compte de la nécessité d'irriguer en économisant l'eau, ce qui suppose que les agriculteurs disposent des techniques pour ce faire.

Disponibilité du foncier et développement de l'agriculture biologique

29Le faible niveau des réserves foncières agricoles, l'indisponibilité du foncier pour l'agriculture, sont des facteurs défavorables pour le développement de l'agriculture en général, et donc aussi de l'AB ou de l'AE.

30Le prix du foncier en Martinique compromet le développement de modèles extensifs sur la plupart des surfaces (à l'exception des domaines d'élevage du sud). Les coûts du foncier agricole doivent être compatibles avec le revenu tiré de la terre. Le modèle extensif est donc peu adapté aux conditions économiques de la Martinique, où il est nécessaire de générer un haut revenu par hectare pour compenser un coût élevé de la terre. La rentabilisation conduit à une obligation de forte productivité de la terre. Cela limite la jachère et les temps de repos de la terre qui sont plus longs en AB entre deux cycles de cultures. Le faible chargement à l'hectare pour les productions animales, pratique courante en AB, diminue aussi la productivité de la terre. Toutefois, certains experts soulignent que la jachère est pratiquée dans le cadre de nouvelles pratiques d'agriculture raisonnée par des producteurs de bananes.

31La périurbanisation conduit à la généralisation de la spéculation foncière, induisant des locations précaires et une instabilité des baux. C'est un frein pour l'AB car les aménagements et la gestion de la fertilité à long terme des parcelles nécessitent du temps. Cependant, la périurbanisation recèle un atout pour des exploitations biologiques commercialisant localement. Cette agriculture périurbaine est proche de ses marchés potentiels. C'est une opportunité exploitée largement à Cuba avec les « jardins urbains » dont le développement a permis une meilleure couverture des besoins alimentaires locaux par les produits locaux. Une politique foncière adaptée pourrait permettre de mettre à disposition de l'agriculture (AB, AE ou jardins) les espaces interstitiels non mobilisés des zones périurbaines. Cette possibilité a été exploitée dans d'autres régions de la Caraïbe et suscite une réflexion en Guadeloupe.

32Le mitage et le manque de spécialisation agricole du territoire induisent un risque de promiscuité entre épandages de produits prohibés en AB et parcelles Bio, d'où des risques de contamination latérale.

33La gestion complexe du foncier se traduit par un grand nombre d'exploitations de moins de 20 ha (97 % du total des exploitations) en mode de faire-valoir indirect. Le fermage va du bail classique connu en métropole à des baux sans aucune garantie de pérennité à moyen, voire à court terme (mais les textes signalent sur ces deux points un manque d'informations fiables). Les échanges temporaires de parcelles entre exploitations pour rotations culturales sont pratiqués (notamment entre canne et bananes). Il n'y a aucun moyen fiable de les localiser.

34Au total, la faible disponibilité, l'instabilité, le prix, la gestion du foncier en Martinique, ne sont pas des facteurs favorables au développement de l'agriculture en général, et pas plus au développement de l'AB. La préservation d'un potentiel de développement à l'agriculture et à l'AB requiert de mener une réflexion sur une politique foncière adaptée.

Ressources humaines et développement de l'agriculture biologique

35Les coûts de production élevés et en particulier le coût de la main-d'œuvre handicapent les productions martiniquaises en général, et les productions Bio en particulier, par rapport aux autres pays de la Caraïbe produisant le même type de produits. C'est un handicap pour les marchés d'exportation comme pour le marché local, où la concurrence des produits d'importation existe pour les tubercules, ou les fruits tropicaux importés des pays voisins. Seuls des produits « pays » ou valorisant aussi leur origine locale martiniquaise pourraient se différencier sur les marchés, ou encore des produits nécessitant de l'innovation ou un fort niveau de technicité (semences...).

36L'agriculture conventionnelle repose, en général, sur le modèle d'un exploitant professionnel à plein temps, rentabilisant l'exploitation selon des critères économiques classiques, alors que l'AB pourrait, selon certains experts, se raisonner dans d'autres cadres et intégrer la pluriactivité, voire une rentabilisation liée à une part de la production autoconsommée. Mais d'autres experts font aussi valoir que la pratique de l'AB nécessite un tel niveau de compétence et de travail qu'elle risque d'être difficilement conciliable avec la pluriactivité. Cette question se pose tout particulièrement en Martinique. On y constate un vieillissement de la population agricole, par ailleurs peu renouvelée, avec des questions de reprise des exploitations. Dans le même temps, une forte proportion de la population est à la recherche d'une activité ou d'un emploi, et/ou exerce plusieurs activités. Certains experts considèrent que les systèmes agronomiques autrefois pratiqués dans les « jardins créoles » peuvent servir de source d'inspiration pour une agriculture biologique ou agro-écologique certifiée ou non, commercialisant sur les marchés locaux des produits « de pays », et/ou biologiques certifiés. Ils voient là une possibilité d'évolution pour certaines de ces petites exploitations. Cette dernière question ne fait pas consensus entre les experts.

37Enfin, les économistes soulignent l'importance du secteur informel en Martinique. En agriculture, le secteur informel concerne avant tout des personnes de revenus bas ou moyens pratiquant une activité de jardinage et/ou petit élevage, pour l'autoconsommation ou une commercialisation de voisinage. Mais il intéresse aussi les personnes de revenus élevés qui achètent les produits et trouvent ainsi une source d'approvisionnement en produits locaux à un prix abordable. Le travail dans le secteur informel n'est donc pas uniquement lié à la pauvreté, des personnes disposant par ailleurs d'un emploi dans le secteur formel y étant impliquées.

38Des experts pensent que certaines de ces formes de culture sont proches des « jardins créoles ». D'autres ajoutent que certains jardiniers utilisent les intrants de façon inadéquate, ce qui peut être nuisible pour l'environnement.

39La forme de commercialisation de proximité qui résulte de cette organisation contribue à renforcer les liens sociaux et semble très appréciée en Martinique, de même que les produits correspondants. Une action sur la diffusion d'une partie des techniques de l'AB ou de l'AE auprès de ces jardiniers et/ou détenteurs d'animaux pourrait contribuer à en valoriser le potentiel pour la préservation de l'environnement.

40La question de la rentabilité de l'AB en Martinique, en fonction des différents types d'exploitations, ne fait pas consensus entre les experts issus de disciplines et de champs professionnels divers. La rentabilité dépend de toutes façons des caractéristiques des exploitations et de leurs circuits commerciaux et celle-ci ne peut être connue qu'à partir de données précises faisant actuellement défaut.

41Les grandes exploitations spécialisées en banane font appel à la main-d'œuvre salariée. C'est une des raisons qui conduisent certains experts et exploitants des grands domaines à privilégier l'agriculture raisonnée pour la banane. On ne constate pas d'accord entre les experts sur la rentabilité éventuelle d'une production de banane Bio, selon que la monoculture est maintenue ou-transformée en polyculture ou polyculture élevage, en fonction des caractéristiques des exploitations, les circuits commerciaux, etc.

Ressources et handicaps de l'AB dans le contexte martiniquais

42Compte tenu de tous ces éléments, le contexte spécifique de la Martinique constitue un cadre de développement pour l'AB résumé dans le tableau ci-après.

Tableau 15 - Ressources et handicaps de l'AB en Martinique

Tableau 15 - Ressources et handicaps de l'AB en Martinique

Contraintes liées aux techniques de l'agriculture biologique

Contraintes liées à l'application du cahier des charges

43L'application du cahier des charges de l'AB induit des contraintes pour la production, qui se présentent de façons différentes selon que l'on considère les principales productions végétales.

Les contraintes et atouts pour le développement d'une production végétale biologique

44La première contrainte est phytosanitaire : l'AB ne peut pas avoir recours aux produits de traitement chimiques de synthèse. Cela se traduira par une maîtrise difficile de la cercosporiose pour la production de la banane ; la maîtrise des rongeurs sera particulièrement délicate en culture de canne à sucre. Pour toutes les cultures, des difficultés sont à attendre pour la maîtrise des adventices et du parasitisme tellurique. En AB, cette maîtrise est normalement réalisée dans le cadre de la lutte biologique globale dont l'efficacité peut être réduite les premières années mais s'améliore avec le temps.

45Les systèmes de culture utilisés en AB supposent des rotations, qui ne sont possibles que si les exploitations ont une taille suffisante. On ne dispose pas des références appropriées pour pouvoir déterminer les cultures associées qui seraient favorables. La ressource en compost et matière organique certifiée AB fait défaut en Martinique, et les coûts d'importation seraient prohibitifs. Enfin, les référentiels techniques ne sont pas encore mis au point par la recherche (vergers et cultures associées, associations productions végétales et animales biologiques). Des expérimentations sont toutefois en cours (Seci du Conseil général, expérimentations Cirad en lycée agricole).

46La certification suppose de réaliser des filières séparées, ce qui impose des volumes minimaux élevés pour l'exportation. Il s'agit de certifier chaque exploitation en AB, ce qui pose des questions de coût, tout particulièrement pour les petites exploitations. L'absence d'organisme certificateur en Martinique est un handicap pour toutes les exploitations. La nécessité d'utiliser des plants et semences certifiées posera un problème à terme, notamment pour toutes les espèces végétales liées au jardin créole, mais aujourd'hui la prolongation des dérogations apporte une solution. La question de la production de semences assainies pour les tubercules est une contrainte, mais peut se révéler une opportunité dans la mesure où la Martinique développerait une production de semences saines qui pourrait ensuite être exportée. Dans un contexte tropical, et en l'absence de discussion et négociation sur les règles applicables en milieu européen tropical, la non-autorisation de certaines techniques en AB risque de poser des problèmes graves (vitroplants, anticoagulants en culture cannière, hormonage en culture d'ananas).

47La demande locale forte (en produits frais et produits pour les touristes), le savoir-faire des agriculteurs, le soutien fort de la recherche d'accompagnement, l'existence de capacités de transformation et l'existence de filières structurées (banane, canne, ananas), en dépit des difficultés qu'elles connaissent actuellement, sont des atouts certains. La canne à sucre, culture pivot de rotations, a un rôle particulier à jouer dans le cadre du développement des productions agricoles biologiques en Martinique.

Les contraintes et atouts pour le développement d'une production animale biologique

48À l'exception des élevages bovins extensifs présents au sud de l'île, le développement de la production animale Bio à la Martinique semble soumis à de très fortes contraintes. La principale en est celle du « lien au sol » pour l'alimentation animale, compte tenu de la pression foncière. À la différence des productions végétales, le manque de structures de transformation, et notamment d'abattoir, est un handicap. La structure même du secteur, notamment l'importance de la commercialisation informelle sans passer par l'abattoir, rend difficile une production Bio proposée à un prix concurrentiel par rapport à ces productions locales très appréciées. La certification des exploitations, et plus particulièrement des plus petites d'entre elles, voire des détenteurs d'animaux, risque d'occasionner des difficultés, comme en production végétale.

49La production animale reste un complément indissociable de toute agriculture biologique. Il est possible de valoriser les sous-produits de l'AB (banane et/ou canne), et les effluents biologiques sont très recherchés pour les productions végétales, particulièrement en Martinique (compost et fumiers biologiques). En outre, on constate une réelle adaptation au plan génétique des races créoles (bovins, ovins, porcs). Des systèmes conjuguant production animale et végétale restent à déterminer avec la recherche (par exemple porcs-bananes...).

50La demande locale pour des produits « peyi » et des productions locales de viandes, déjà très forte, se traduit par des prix au consommateur élevés. Un important surcoût de production qu'imposerait le passage à une production biologique risque d'être difficile à faire accepter au consommateur. Un développement de la production animale biologique de complément par rapport aux productions végétales reste possible, de même que celui d'élevages extensifs au sud.

51L'aquaculture d'eau douce présente de faibles perspectives de développement, notamment du fait de la qualité de l'eau. L'aquaculture marine présente quant à elle de bonnes perspectives, mais ses atouts sont partagés dans la Caraïbe, ce qui pose la question de la pérennité d'un éventuel développement.

Les filières et les marchés

52Il n'existe pas aujourd'hui de données de marché produites spécifiquement pour le contexte martiniquais, permettant d'orienter les filières et les producteurs. Il est d'abord nécessaire de produire ces données sur les marchés des produits biologiques, y compris sur les prix et le positionnement des produits Bio par rapport aux produits éventuellement substituables pour les consommateurs (produits locaux, fermiers, « pays »...).

53En parallèle, l'association entre les stations expérimentales (Seci, expérimentations du Cirad avec les lycées agricoles), les réseaux d'agriculteurs qui produisent déjà en Bio, et notamment « Bio des Antilles », devrait permettre d'éclairer la question des coûts de production en AB. Ces données ne sont pas disponibles à ce jour.

Développer l'agriculture biologique pour le marché local

54Constitué à 90 % par la population locale et 10 % par les touristes, le marché local est la principale cible accessible pour les producteurs biologiques en Martinique.

55Si les producteurs veulent compenser les contraintes qu'ils s'imposent en pratiquant l'AB par des prix de vente plus élevés, une forme de certification rigoureuse et transparente est nécessaire pour différencier les produits biologiques des autres produits locaux sur le marché.

56La certification officielle (logo AB et/ou logo européen) est nécessaire pour valoriser le produit biologique dans les circuits longs et notamment les hypermarchés, mais on peut envisager de recourir à d'autres formes de certification promues par l'IFOAM (comme la certification par groupes) pour les circuits courts, lorsque le lien avec le consommateur est maintenu.

57Pour le marché local, les produits présentant probablement (en l'absence d'une étude de marché permettant de conclure formellement) le potentiel le plus intéressant sont le maraîchage et les produits vivriers locaux (salade, tomate, concombre, banane plantain, tubercules vivriers...). Ceux-ci peuvent être associés avec le petit élevage.

58La production de canne pour la transformation en sucre Bio mériterait d'être envisagée, sous réserve d'une étude économique plus précise. La production de sucre Bio martiniquais, associée à une politique de communication, peut donc être projetée.

59La vente directe (sur les marchés, marchés bio, à la ferme, par paniers, par associations) est à privilégier particulièrement pour les petites exploitations, mais les exploitations moyennes ou grandes pourront trouver avantage à écouler de plus gros volumes avec les GMS.

60Des marchés de niche peuvent aussi être explorés par certaines exploitations, selon les opportunités et les objectifs de leurs responsables, dans une démarche de diagnostic d'exploitation : lien avec l'agrotourisme, des prestations culturelles, la vente de produits Bio, la restauration, recherche de contrats avec certains prestataires touristiques, plantes rares (en lien avec le jardin créole), semences... Enfin, le secteur de la restauration scolaire et collective peut être un débouché au gré de la politique des élus (mairies, collectivités territoriales). Un agriculteur biologique peut tirer profit dans l'approvisionnement de la cantine de l'école de sa ville à la fois pour écouler des produits et sensibiliser les enfants et leurs parents à l'AB.

Produire pour les marchés d'exportation

61Le développement d'une production biologique pour l'export nécessite, tout autant que pour le marché local, la réalisation d'études de marché préalables au développement pour éviter des déconvenues aux producteurs, d'autant plus graves qu'elles suivraient une période de conversion toujours économiquement difficile. La fragilité des marchés d'exportation engage à organiser la production Bio en fonction des débouchés étudiés, voire négociés.

62Par rapport à ses concurrents, les atouts de la Martinique que sont la présence de la recherche, mais aussi celles d'une main-d'œuvre qualifiée, de filières organisées, peuvent s'exprimer à l'exportation sur des créneaux innovants, à forte valeur ajoutée. En revanche, il est difficile en Martinique d'être compétitif sur l'exportation de produits banalisés (comme le sucre ou la banane Bio standard).

63Cela n'empêche pas qu'à terme, si l'innovation se diffuse, d'autres concurrents pourront entrer sur le marché et forcer la Martinique à l'abandonner, comme cela a été le cas pour plusieurs produits de diversification. L'association de la recherche au développement, le dialogue constant avec les producteurs, sont alors autant d'éléments essentiels pour préparer à l'avance une solution de substitution.

64Les principaux produits possibles sont la banane biologique, à condition de proposer des produits innovants et/ou de mobiliser des circuits commerciaux particuliers (niches), fleurs, plantes à parfums, médicinales, ou des produits innovants (semences de tubercules assainies, plantes rares...). Certaines de ces activités sont d'ailleurs déjà réalisées par des producteurs de l'association Bio des Antilles. Les produits transformés à haute valeur ajoutée, comme les produits transformés de fruits ou plantes tropicales, pourraient également trouver des marchés à l'exportation, notamment s'ils sont accompagnés d'une communication valorisant leur origine (en plus du caractère biologique).

65Enfin, le marché local n'est pas à négliger pour les exportateurs : il permet de valoriser des écarts de triage (par exemple des systèmes porcs-bananes), d'absorber des surplus de production, certains produits étant commercialisés à des prix parfois équivalents à ceux de l'exportation pour un risque moindre.

Les systèmes à développer en agriculture biologique

L'AB pour les grandes et moyennes exploitations

66Les grandes exploitations spécialisées (plus de 20 hectares) sont pour la majorité en monoculture. Une évolution vers l'AB supposerait de remettre en question les systèmes de production vers les rotations culturales, et des productions de diversification à marché inconnu. Une phase d'invention de nouveaux systèmes pour sortir de la monoculture est inévitable (sauf pour quelques élevages spécialisés extensifs qui pourraient évoluer vers des systèmes biologiques, sous réserve de maîtrise du parasitisme animal), et commercialiser en Bio (sous réserve de certification en Bio de l'abattoir).

67Pour la production végétale, des experts soulignent que le développement des parasites est favorisé en milieu tropical (banane, ananas). Certains experts pensent que plus l'échelle de l'exploitation est grande plus leur maîtrise est difficile, d'autres estiment que pour pallier cela, un haut degré de technicité doit être atteint. D'autres encore soulignent que si les ravageurs sont plus présents, les prédateurs également. On ne constate pas d'avis convergents sur ces points entre les experts.

68Certaines mesures déjà prises par les agriculteurs pour mieux respecter l'environnement dans une démarche d'agriculture raisonnée (jachères en fin de cycle de culture de banane, échanges de terres pour mettre en place des rotations...) sont en quelque sorte un avant-goût de véritables systèmes agrobiologiques. Mais les entretiens menés dans le cadre de l'expertise indiquent que les agriculteurs concernés ne semblent pas a priori intéressés par l'AB, ce qui est un obstacle certain, même si quelques-uns seraient prêts à expérimenter dans ce sens.

69Pour les grands domaines, l'AB est surtout envisageable pour des exploitations de production végétale, ou des élevages spécialisés. Des échanges entre ces exploitations pourraient être organisés pour la gestion de la fertilité des sols. Les rotations pourraient intégrer la succession canne à sucre/banane, ou canne/ananas, éventuellement avec d'autres plantes, jachère ou prairie, ou encore l'igname (igname/ananas réalisée en Guadeloupe, igname/canne...).

70Dans cette catégorie, les exploitants sont spécialisés dans un « métier », par exemple planteur de banane ou de canne à sucre, et il pourrait être possible d'imaginer des rotations organisées entre plusieurs exploitations dont les terres sont certifiées AB, chaque agriculteur restant spécialisé dans son « métier », et cultivant, selon les rotations, sur son exploitation ou sur une autre qui y est associée.

71Pour certaines grandes exploitations d'élevage bovin au sud de l'île, des possibilités techniques de passage en AB pourraient être examinées. La contrainte relative à la certification de l'abattoir en Bio, le coût que cela représente, et les problèmes d'organisation ne sont pas à négliger.

72Les exploitations de taille moyenne, entre 5 et 20 ha, lorsque l'agriculteur en est propriétaire ou titulaire du bail, à condition qu'elles parviennent à contrôler les parasites, semblent présenter des caractéristiques favorables pour une conversion vers l'AB (possibilité de diversification, de rotation des cultures, maîtrise de la structure et de la cohésion du paysage, etc.). Dans la situation de la Martinique où les prix à la consommation sont élevés, la littérature fait état de la viabilité technique et économique d'exploitations de 3 à 5 hectares (compte tenu des rotations nécessaires), produisant pour la vente directe des produits variés. Pour les moyennes exploitations, on a majoritairement affaire à des agriculteurs à plein temps, avec une certaine stabilité du foncier, permettant d'envisager des rotations longues. À titre d'exemple, les expérimentations en lycée agricole avec le Cirad portent sur les successions suivantes : canne (5 ans), maraîchage (2 ans), prairie (5 ans), igname (1 an), maraîchage (1 an) pour la partie nord de l'île, et canne (5 ans), igname (1 an), maraîchage (1 an), prairie (5 ans) pour la partie centrale. La place de l'élevage pourrait être significative compte tenu de l'importance des prairies dans les rotations proposées, ainsi que celle de la canne à sucre et de l'igname, voire des rotations banane/canne.

73Les exploitations grandes et moyennes (voire certaines petites exploitations pour des productions spécialisées telles que fleurs, plantes à parfum, maraîchage...) pourraient s'orienter préférentiellement vers l'agriculture biologique certifiée et auraient ainsi accès au logo AB pour l'exportation, les circuits longs et courts sur le marché local. Pour ces exploitations, les systèmes agrobiologiques nécessaires restent toutefois à élaborer.

L'AB pour les petites exploitations : le jardin créole comme source d'inspiration

74À l'exception des cultures hors sol et de productions à haute valeur ajoutée comme le maraîchage, les plantes médicinales, les fleurs, épices, une exploitation de moins de 5 ha nécessite de trouver un complément de revenu à l'extérieur par la pluriactivité et/ou de valoriser une partie de la production par l'autoconsommation familiale. En outre, leur petite surface et leur localisation (en zone périurbaine) induisent un risque de contiguïté avec des parcelles traitées. Certains experts s'interrogent sur les possibilités de développer l'AB dans le cadre de la pluriactivité. D'autres évoquent le coût de la certification officielle qui peut présenter une contrainte économique forte dans ces structures de dimension modeste. Mais d'autres encore soulignent que, dans d'autres pays (Brésil) et même en métropole, des systèmes de certification dans le cadre d'un groupe d'agriculteurs peuvent constituer une alternative viable.

75Les petites exploitations (voire certaines moyennes exploitations) pourraient s'orienter vers le développement de l'AB avec une certification par groupes, ou la certification participative avec l'AE, pour les circuits courts sur le marché local. Ces formes de certification doivent rester rigoureuses et transparentes. L'implication de la recherche dans le processus peut être une garantie. Ces procédures ne réclament pas moins d'engagement de la part des producteurs, mais elles pourraient paraître moins bureaucratiques que la certification officielle, et surtout autoriser davantage l'innovation, la conception de réponses adaptées aux problèmes spécifiques de la Martinique, le dialogue entre producteurs et consommateurs.

76Dans ces petites exploitations, qui représentent plus de 80 % de la population agricole et 30 % de la SAU de la Martinique environ, la plupart des exploitants sont pluriactifs.

77C'est dans cette catégorie que les enseignements tirés du jardin créole, de la mosaïque de plantes qui y sont cultivées et de l'association avec le petit élevage pourraient certainement le plus enrichir la réflexion sur des systèmes agrobiologiques spécifiques à la Martinique ou à la Caraïbe.

78Le jardin créole est un mélange d'horticulture et d'agroforesterie, d'arbres, d'arbustes, d'herbes vivaces et annuelles, en un fouillis végétal organisé. Il est le produit d'une évolution historique qui a intégré les pratiques d'agriculture sur brûlis des premiers Amérindiens, les apports des colons européens (plantes maraîchères), certains éléments de l'agriculture africaine, et s'est ensuite adapté aux contraintes rencontrées par ses cultivateurs jusqu'à aujourd'hui. C'est un véritable système de culture commun à toute la zone antillo-guyanaise, qui a parfaitement rempli son rôle de pourvoyeur d'aliments pour la population locale jusqu'aux années 1960. C'est alors que le développement de la banane comme culture d'exportation, remplaçant la canne, a privé ces jardins de résidus organiques (bagasse, écumes et boues de défécation de sucrerie) et qu'avec l'évolution des besoins des agriculteurs, des cultures de rente ont été pratiquées. Les techniques de culture se sont simplifiées et, chemin faisant, de plus en plus d'exploitants de jardin ont utilisé des engrais minéraux et des produits phytosanitaires de synthèse. Cependant, plusieurs pratiques héritées du jardin créole perdurent dans des jardins contemporains.

79Certains experts pensent qu'une synergie entre des connaissances écologiques et des savoirs traditionnels issus du jardin créole, et de nouvelles pratiques raisonnées à partir des cahiers des charges d'AB, peut constituer une voie de développement. Mais pour les raisons susmentionnées, les experts s'accordent pour constater que, dans tous les cas, cette évolution ne prendra pas la forme d'un retour vers la tradition du jardin créole, car les conditions qui par le passé permettaient le fonctionnement de ces systèmes agronomiques ne sont plus opérantes aujourd'hui. De tels systèmes constitueront des innovations valorisant pleinement les acquis agronomiques et culturels de la tradition du jardin créole, tout en les adaptant aux nouvelles conditions de l'agriculture en Martinique.

80Parmi les principes et les pratiques adoptés par les jardins créoles, certains seraient particulièrement féconds pour générer des innovations utiles pour l'AB et l'AE.

81■ Le jardin créole comprend une grande diversité de plantes. Il s'agit à la fois de diversité interspécifique et intraspécifique. Une étude signale plus de cent espèces recensées sur un transect de 4 x 15 m ; l'arboretum, « Le village d'Antan » en Martinique, comprend 380 espèces de plantes utiles sur un peu plus de un hectare. L'expertise collégiale a aussi permis de recueillir une liste de plus de cent plantes cultivées en jardin créole. De même, le nombre d'espèces et de variétés cultivées pour une même culture peut aussi être important : plus de vingt pour les ignames par exemple. Cette biodiversité intraspécifique est un moyen de lutte contre la détérioration de l'état sanitaire des plantes. Elle pourrait être mieux étudiée, et valorisée, en AB et en AE, et même pour l'agriculture conventionnelle, par un recensement, une conservation systématique et une valorisation auprès des agriculteurs et cultivateurs de ces espèces et variétés.

82La biodiversité interspécifique permet de gérer la nutrition différenciée des plantes, avec les associations de cultures, mais aussi les attaques de parasites avec les plantes de service (par exemple, impatiens et bananes, pour contrôler les nématodes). L'organisation en plages de cultures représente en outre une forme de cloisonnement par rapport à la propagation des maladies et attaques parasitaires.

  • Un nombre limité de plantes pivots, comme l'igname, la banane plantain, le manioc, constituent l'essentiel de la production, souvent cultivées en association : par exemple, igname/aracées, igname/haricot, banane/patate douce. Même si les jardins contemporains ont tendance à se simplifier, en diminuant le nombre d'associations, le nombre de plantes pivots, le cortège des plantes secondaires et l'organisation des cultures (en quinconce, sillons alternés, plutôt que « fouillis »), certains jardins contemporains, conservent cette diversité et peuvent donc servir de base pour repérer des associations favorables en AB, à valider ensuite par la recherche.
  • L'utilisation du décalage temporel des semis et plantations et l'emploi de variétés diverses pour la même plante permettent de limiter à la fois l'impact d'intempéries ou de maladies, car toutes les plantes ne sont pas au même niveau de développement. Cela permet aussi de bénéficier d'une récolte échelonnée sur une longue période de temps, mais en petite quantité. Toutes choses favorables pour une commercialisation de proximité ou pour l'autoconsommation, mais qui peuvent se révéler un handicap pour une production à plus grande échelle.
  • Les pratiques de culture sont peu agressives pour le milieu et respectueuses de l'environnement : labour, préparation du lit de semences, entretien des cultures, haies et mosaïques sont favorables pour limiter l'érosion. Ces pratiques culturales, ainsi que d'autres (conduite de la culture selon le calendrier lunaire, très utilisé mais non formalisable), font partie d'un fonds de savoir-faire que l'on peut qualifier d'ancestral, mais qui mériterait d'être formalisé pour être transmis aux nouvelles générations.
  • Le jardin créole associe l'élevage : un cheval ou mulet, un à trois bovins, quelques petits ruminants et un ou deux porcs peuvent être présents sur l'exploitation. Cette association est à mettre en relation avec les rotations, l'intégration de la jachère ou de prairies, et la valorisation des déchets domestiques (dont il faut toutefois signaler l'interdiction par la réglementation pour l'alimentation des porcs si la viande est commercialisée) et est un facteur favorable pour la gestion de la fertilité.

83Dans ce cas aussi, les références techniques agrobiologiques utilisables par de petites exploitations restent à construire. Elles pourraient être initiées sur des travaux de recherche-développement se basant sur le recensement et la capitalisation des pratiques actuelles en Martinique et dans la Caraïbe.

Les orientations possibles et les modalités de développement des systèmes

84Le tableau 16 résume les principales options de développement pour l'AB en Martinique en regard de la taille des exploitations.

85Ce schéma n'a évidemment pas un caractère exclusif.

Tableau 16 - Principales options de développement pour l'AB en Martinique en fonction de la taille des exploitations

Tableau 16 - Principales options de développement pour l'AB en Martinique en fonction de la taille des exploitations

86Pour chaque catégorie d'exploitation, les systèmes de production sont à concevoir et à développer, tant pour les petites que pour les grandes exploitations. Il n'existe pas de références immédiatement transposables.

87La démarche à adopter devrait permettre à la fois d'agir, c'est-à-dire de mettre en place des systèmes agrobiologiques adaptés à la situation locale et aux débouchés, et d'analyser les résultats pour en tirer des enseignements pour leur amélioration. Pour cela, une démarche de recherche-action adaptée doit se baser d'une part sur des « fermes pilotes » (par exemple, la Seci du Conseil général, les expérimentations en fermes de lycée agricole) et d'autre part sur un réseau d'agriculteurs biologiques installés et intéressés par la collaboration avec la recherche (de telles exploitations existent par exemple parmi les adhérents de Bio des Antilles).

88Cette recherche-action devrait permettre de mettre au point, pour différents types d'environnement, des systèmes et des techniques de culture et d'élevage, de lutte contre les ravageurs et maladies, d'en évaluer l'efficacité technique et économique, de capitaliser les résultats pour les diffuser par la formation continue et/ou initiale.

89Pour en définir tant le contenu que les modalités des actions à mener, il est souhaitable d'associer la recherche, les agriculteurs concernés, les professionnels des filières (distribution pour les circuits courts et longs, transformateurs), les organisations de conseil et de formation agricoles (Chambre d'agriculture, lycées agricoles). Cette organisation est effective dans plusieurs régions de France métropolitaine (notamment la Bretagne, la région Paca, le Massif central...).

90Les premières productions à développer sont le maraîchage et les cultures vivrières, associées à des rotations incluant éventuellement de la canne à sucre, conjointement si possible à du petit élevage.

Les marges de développement pour l'agriculture biologique

  • Les contraintes en termes d'utilisation des sols et des eaux (notamment, pollution par les organochlorés) conduisent à spécialiser certaines zones en AB. À partir des recherches en cours, les décideurs devraient pouvoir disposer d'une cartographie précise des zones concernées. Une intervention publique pourrait être étudiée pour réserver certaines de ces zones à l'AB, telles que zones de captage, zones d'intérêt écologique...
  • L'examen des marchés montrerait qu'il existe des marges de développement pour l'AB en Martinique et pour le développement d'une agriculture valorisant l'origine locale des produits pour les marchés locaux (produits « péyi »). Les initiatives pourraient viser à assurer une haute qualité environnementale à des produits pays labellisés, même si ce type de certification ne recouvre pas exactement celles de l'AB certifiée. Et ce, pour éviter de laisser se dégrader l'image auprès des consommateurs de produits aujourd'hui très valorisés.
  • Compte tenu des coûts de production, il sera nécessaire de s'orienter vers des produits à haute valeur ajoutée pour l'exportation ou vers des produits pour les marchés locaux, commercialisés par des filières courtes ou longues. Les contraintes économiques impliquent les potentiels suivants : sur le marché local et à l'export pour la banane, sur le marché local pour le sucre, les produits maraîchers et vivriers, les produits d'élevage. La question de la fragilité des marchés d'export Bio se pose en raison de la durée de la conversion et de la compétitivité incertaine des productions d'export Bio martiniquaises en dehors de niches de marché ou de produits innovants à fort contenu technique.
  • Ce potentiel est à rechercher tout particulièrement pour les exploitations moyennes (5-20 hectares) et pour les petites exploitations (moins de 5 hectares), dans des systèmes qui restent à préciser autour de :
    • systèmes banane/canne-élevage ;
    • systèmes maraîchers Bio (tomates, concombres, chou), cultures vivrières Bio : plantains, dachines..., éventuellement associées à du petit élevage ;
    • petites exploitations de polyculture-élevage, parmi lesquelles celles valorisant les savoir-faire traditionnels de l'ancien jardin créole.

91Des opportunités techniques de production en AB existent également pour les exploitations du Sud pratiquant un élevage bovin extensif.

Les options stratégiques ou scénarios

92La situation de la Martinique en matière de développement d'une agriculture biologique et/ou agro-écologique est particulière et ce au moins pour deux raisons :

  • l'insularité et la situation géographique de cette région ;
  • la pratique antérieure de techniques liées à l'agriculture conventionnelle qui se sont révélées extrêmement polluantes pour l'environnement, au point de compromettre l'utilisation de certaines terres pour l'AB.

93Compte tenu des contraintes et potentiels décrits pour l'AB, les experts retiennent trois scénarios, « prototypes » destinés à faciliter la réflexion stratégique, mais qui ne constituent pas en l'état des propositions d'action.

Option stratégique ou scénario n° 1 : développement limité de l'AB

94Dans cette option stratégique, les décideurs ne prennent pas une option volontariste de développement de l'AB. Les objectifs consistent simplement à atteindre des surfaces comparables à celles obtenues dans d'autres régions françaises, de caractéristiques agricoles comparables. Le pourcentage de surface en AB sera alors probablement inférieur à la moyenne nationale (1,5 % de la SAU en 2003). En effet, la Martinique est une région de grande culture, et le développement de l'AB y est généralement moins fort qu'ailleurs. Cette option consiste à consolider les agriculteurs qui sont déjà en AB et à inciter à la conversion les exploitants qui se réclament de l'agriculture biologique dans le recensement agricole. Les mesures sont les mêmes que dans d'autres régions françaises. La référence est ici la France métropolitaine.

95Dans ce scénario, la recherche se met au service du développement de l'agriculture biologique en cherchant à produire des références techniques et économiques, en exploitant les résultats obtenus dans les fermes pilotes, et en travaillant avec les agriculteurs installés en AB ou souhaitant se convertir. Ces références techniques pourraient être capitalisées pour être ensuite diffusées par le canal de la formation continue. Les dispositifs d'aide aux agriculteurs sont mobilisés comme ailleurs en France (« Contrats d'agriculture durable » notamment). La formation des agriculteurs biologiques s'effectue essentiellement par le canal de la formation continue de courte durée avec les Chambres d'agriculture, les lycées agricoles intéressés, ou en faisant intervenir ponctuellement des experts sur certains sujets particuliers. Un appui est apporté à la certification officielle, éventuellement en se rapprochant de la Guadeloupe pour mutualiser certains coûts si cela est envisageable, de façon que les agriculteurs souhaitant cultiver en AB en Martinique ne rencontrent pas des conditions plus défavorables qu'en métropole.

Option stratégique ou scénario n° 2 : développement écologique de la Martinique

96Dans cette option stratégique, les décideurs prennent une option volontariste de développement « écologique » de la Martinique, avec une attention soutenue portée au respect de l'environnement. L'AB peut y jouer le rôle de locomotive et ainsi y contribuer fortement. Des mesures sont prises pour que les surfaces cultivées en AB et le nombre d'exploitants impliqués soient plus importants. Des opérations spécifiques et volontaristes de développement (fermes modèles ou pilotes, zones prioritaires, moyens humains affectés pour l'accompagnement, moyens fléchés, aides spécifiques aux exploitants, positionnement de filières d'intrants...) sont mises en place. On peut en la matière se référer à certains pays de la Caraïbe (comme la Dominique) ou l'Italie (où les mesures agro-environnementales ont été appliquées massivement).

97Dans ce cas, la Martinique choisit de se doter d'une véritable politique de développement de l'AB et choisit d'y affecter des moyens. Pour cela, outre ses propres ressources, elle pourrait rechercher des synergies d'actions voire des moyens complémentaires, par exemple au niveau européen en s'associant avec d'autres territoires.

98La recherche se met au service du développement de l'AB, avec la création d'un outil de gestion des priorités intégrant les chercheurs et les acteurs du développement (type GIS). Elle est dotée de moyens spécifiques et elle s'insère dans des collaborations au niveau national français et dans la Caraïbe, de même que les acteurs économiques (agriculteurs, consommateurs). Outre les actions précédentes décrites pour le scénario 1 (mise au point de référentiels techniques), d'autres actions de recherche sont engagées sur des sujets particuliers, en synergie avec d'autres équipes de la Caraïbe : substances naturelles, semences, intrants... Une réflexion sur la certification participative ou par groupes est menée avec la recherche pour permettre aux petites exploitations d'accéder à une forme de certification rigoureuse et transparente. L'ensemble des recherches est conduit dans une dynamique de réseau au service du développement de l'agriculture biologique en Martinique, incluant chercheurs et acteurs des filières. Ce réseau est actif au niveau national et international, en lien avec l'IFOAM et les autres centres de recherche intervenant sur l'AB dans la Caraïbe.

99L'appui aux agriculteurs biologiques dépasse les mesures appliquées en France. Une réflexion est engagée pour que les aides puissent effectivement être mobilisées par les agriculteurs souhaitant pratiquer l'AB, et éventuellement l'AE, à condition de mettre en place un mécanisme de certification transparent et rigoureux. Les acteurs publics participent à cette réflexion qui pourrait conduire à une adaptation des procédures.

100Une politique visible pour les touristes et la population pourrait être engagée sur la canne à sucre, pilier des rotations en AB, et la valorisation en sucre Bio, en commençant par une étude de faisabilité technico-économique. Une réflexion est engagée sur la mise à disposition d'intrants pour l'AB. Certaines zones sont réservées à l'AB (zones de captage, zones écologiques à préserver), en association éventuelle avec une politique d'achats publics pour les collectivités, selon les opportunités.

101On cherche à promouvoir l'AB mais aussi les techniques respectueuses de l'environnement en les diffusant systématiquement en formation initiale dans les lycées agricoles, et en formation continue avec la Chambre d'agriculture. Les enseignants et techniciens sont formés pour pouvoir enseigner ces techniques.

Option stratégique ou scénario n° 3 : développement territorial intégré de la Martinique

102Dans cette option stratégique, les décideurs prennent une option volontariste de développement « écologique » et « territorial intégré » de la Martinique, avec une attention soutenue portée à la fois au respect de l'environnement mais aussi à la revalorisation d'une identité martiniquaise au travers des produits agricoles et alimentaires produits sur l'île. Le recentrage sur les ressources et marchés locaux pour l'agriculture et l'alimentation fait partie de la stratégie. L'agriculture biologique, forme d'agriculture respectant l'environnement, contribuant à la revalorisation de races locales d'animaux, de produits végétaux liés à une forme d'alimentation traditionnelle, peut y contribuer fortement. La plus grande attention est aussi apportée au développement de produits fermiers ou de produits « pays », de produits artisanaux porteurs d'identité. Ces modèles sont inspirés par la tradition tout en étant innovants, et soutenus par la recherche et le développement. La référence est ici Cuba ou la Suisse, où une politique intégrée est conçue et appliquée à un niveau territorial.

103Cette option stratégique s'appuie sur l'ensemble des acteurs qui, en Martinique, sont susceptibles de proposer des produits agricoles et alimentaires respectant l'environnement et porteurs d'identité. Elle s'adresse aux agriculteurs professionnels, aux pluriactifs, voire aux jardiniers et détenteurs d'animaux dont certains opèrent de façon informelle. Elle comprend les mesures du scénario 2 en les renforçant et en les complétant.

104Elle fait aussi appel aux ressources prévues pour le développement rural intégré dans la suite des programmes Leader et/ou dans le cadre du RDR (règlement de développement rural), et construit des projets autour de la revalorisation de la culture, de la commercialisation, de la connaissance des produits créoles pour les consommateurs, pour les touristes et pour les enfants de l'île, essentiellement pour le marché local.

105La connaissance du jardin créole tient, dans ce cas de figure, un rôle important. On cherche à comprendre son fonctionnement actuel et passé, à faire le lien avec les connaissances actuelles des sciences agronomiques, à recenser les espèces cultivées, à les conserver, à les diffuser, à défendre leur utilisation possible en AB par l'intervention dans les réseaux nationaux (ministère de l'Agriculture), européens et internationaux (IFOAM). Une action de recherche associant les agriculteurs pratiquant une agriculture proche du jardin créole permet d'en tirer des enseignements utiles pour le développement de l'AB ou de l'AE dans le contexte de la Martinique d'aujourd'hui (cultures associées...). Ces références sont rendues disponibles et diffusées par la formation agricole initiale et continue, et par d'autres canaux touchant davantage les jardiniers y compris ceux opérant de façon informelle.

106Au travers de programmes de développement territorial intégré, les agriculteurs sont soutenus dans leurs initiatives pour produire et commercialiser les produits (promotion, organisation de marchés...). Une politique de communication avec les consommateurs est mise au point, ainsi qu'une réflexion sur la politique foncière pour que l'espace potentiellement utilisable pour l'AB puisse effectivement être cultivé en AB ou AE.

107Les initiatives de vente directe, de produits fermiers, sont systématiquement encouragées, ainsi que les liens avec le secteur touristique.

108La connaissance des produits créoles et du patrimoine agricole et alimentaire de la Martinique fait partie de l'enseignement des enfants et adolescents, et la fourniture de produits et de plats créoles est encouragée dans les écoles. Les premières actions peuvent être organisées en lien avec la « semaine du goût » qui a lieu chaque année en octobre, et/ou les actions du PNNS (Plan national nutrition santé), qui est également mis en application en milieu scolaire.

109Les objectifs spécifiques correspondant à ces options stratégiques ou scénarios, ainsi que leurs contraintes, tout comme les moyens à envisager pour les réaliser dans chaque cas, ne peuvent pas être du ressort d'une expertise collégiale. Ils ne peuvent être élaborés qu'en concertation avec les acteurs martiniquais, acteurs économiques des filières Bio et décideurs, en tenant compte de leurs orientations. Les données regroupées dans cette expertise fournissent le cadre général dont ils doivent tenir compte.

Table des illustrations

Titre Tableau 15 - Ressources et handicaps de l'AB en Martinique
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/2770/img-1.jpg
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Titre Tableau 16 - Principales options de développement pour l'AB en Martinique en fonction de la taille des exploitations
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/2770/img-2.jpg
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