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Le développement du lac Tchad / Development of Lake Chad

 | 
Jacques Lemoalle
, 
Géraud Magrin

I. Diagnostic

1. Les ressources en eau et les écosystèmes

Texte intégral

1Le spectre de l’assèchement plane sur le lac Tchad. En effet, les variations de surface du Lac au cours des cinquante dernières années ont été spectaculaires et illustrées par des séries d’images satellitaires largement diffusées. Cependant, depuis près de quarante ans, les données hydrologiques et les observations de terrain relatives au Lac sont insuffisantes et pour la plupart peu accessibles. C’est sans doute cet écart entre une abondance d’images et le manque de données de terrain qui explique en partie les nombreuses interprétations inexactes publiées dans la littérature scientifique ou à destination du grand public, avec pour résultat une image brouillée du lac Tchad, dont la tendance pessimiste, voire catastrophiste, ne résiste pas à l’analyse (voir I-1).

2Cette première partie a pour objet de résumer les connaissances actuelles sur l’hydrologie du Lac et de répondre à un certain nombre de questions liées à l’état présent et aux tendances de l’écosystème lacustre.

Les différents états du lac Tchad : des changements fréquents

3Un malentendu important réside dans la compréhension de ce qu’est la « surface du lac ». Plus ou moins consciemment, on considère que le paysage d’un lac ne peut ressembler qu’à des eaux libres. Les marécages sont donc souvent oubliés dans l’estimation de la surface du Lac. Il en résulte des appréciations différentes d’une même situation selon que les marécages sont pris en compte ou non. Or ces marécages sont fréquemment inondés et doivent donc être considérés comme des écosystèmes aquatiques ; ils participent notamment à la production en poisson. C’est pourquoi, pour les riverains, ils appartiennent au Lac. C’est donc ainsi qu’ils sont considérés dans cette expertise.

4La principale caractéristique du lac Tchad est sa variabilité. Le Lac a connu une longue histoire de périodes humides et sèches couvrant plusieurs échelles de temps, de l’échelle géologique à l’échelle annuelle et saisonnière. Au cours des derniers siècles, les géographes arabes et les explorateurs européens ont décrit divers états du lac, ce qui a conduit Tilho (1928) à proposer une classification en trois états principaux du Lac, Petit Tchad, Tchad Normal (ou moyen) et Grand Tchad. Ces différents états sont directement dépendants des variations de la pluie sur le bassin du Chari.

5Au début du XXIe siècle, le lac Tchad est un Petit Tchad constitué de quatre ensembles principaux : une zone d’eau libre d’environ 1 700 km2 devant le delta du Chari, les marécages de la cuvette sud qui sont inondés la plupart du temps, des marécages inondés de façon irrégulière dans la cuvette nord, et un pourtour de zones qui se sont asséchées au début des années 1970 lors de la transition entre le Moyen et le Petit lac Tchad (figure 1). La surface en eau du Lac et ses paysages ont été fortement modifiés lors de cette transition, mais contrairement à ce qui a été publié dans la presse ou sur internet, le Lac n’est en train ni de diminuer, ni de disparaître. Il est simplement à l’état de Petit Tchad, comme il l’a été plusieurs fois au cours des 150 dernières années, et notamment tel qu’il a été représenté en 1908 sur la carte de la mission Tilho.

Figure 1. Carte schématique de la situation moyenne du lac Tchad autour de 2010.

Figure 1. Carte schématique de la situation moyenne du lac Tchad autour de 2010.

Source : d’après Lemoalle (Atlas du lac Tchad, à paraître)

6Le lac Tchad est formé de deux cuvettes, sud et nord, séparées par une zone de hauts-fonds, la « Grande Barrière ». La cuvette sud est alimentée directement par le Chari, principal tributaire du Lac. Le reste des apports en eau provient de la pluie directe sur le Lac et de petits tributaires, dont la Komadougou Yobé au nord-ouest et l’El Beïd au sud.

7En période humide, le niveau du Lac est assez haut pour que la Grande Barrière soit submergée en permanence. Le Lac est alors formé d’un vaste plan d’eau unique bordé d’un archipel sur ses rives orientales. En période de sécheresse relative, le niveau du Lac est bas, l’exondation de la Grande Barrière sépare de façon plus ou moins prolongée les deux cuvettes, dont le niveau évolue de façon différente. Quand la cuvette nord n’est plus alimentée par les débordements de la cuvette sud, elle peut s’assécher complètement. Ainsi, les paysages du Lac évoluent d’une quasi mer intérieure à un vaste marécage.

Le Grand (lac) Tchad

8Ce Grand Tchad est caractérisé par une grande surface d’eau libre, qui s’étend sur 24 000 km2, bordée d’un archipel dunaire peu développé. Le lac déborde à l’est dans le Bahr El Ghazal, qui conduit vers la dépression du Bodélé, située à 500 km au nord-est et environ 120 m plus bas que le Lac. Le seuil à partir duquel les eaux du lac passent vers le Bahr El Ghazal est situé à une altitude de 282,3 m.

9Le stade de Grand Tchad n’est apparu que pendant de brefs épisodes au cours du XXe siècle, et pour la dernière fois lors des années humides du milieu des années 1950. Les paysages d’un Grand Tchad sont semblables à ceux d’un Moyen Tchad, avec de plus grandes surfaces en eau libre.

Le Moyen (lac) Tchad

10Le Moyen Tchad présente pendant toute l’année un seul plan d’eau, qui couvre entre 15 000 et 19 000 km2 à une altitude de 280 à 282 m, avec deux grandes cuvettes, sud et nord, séparées par un étranglement et les hauts-fonds de la Grande Barrière qui restent submergés. Un archipel, constitué par un massif dunaire fossile, s’enfonce progressivement dans le lac à partir du nord-est. Le Moyen Tchad, parfois qualifié de « Normal », se caractérise par l’étendue des zones d’eau libre, par des espaces navigables entre les îles des archipels, et par une frange limitée de végétation le long des rives.

11Dans cet état de Moyen Tchad, le Lac est donc formé d’un archipel bien développé et d’étendues d’eau libre couvrant 4 000 à 6 000 km2 dans chacune des deux cuvettes. La profondeur de la zone centrale est de 5,3 m dans le bassin nord et de 2,7 m dans le bassin sud. La profondeur moyenne du Lac est respectivement de 2,1 et de 3,5 m pour des niveaux de l’eau de 280 et de 282 m d’altitude. Ce stade de Moyen Tchad est observé quand les apports du Chari sont compris entre 34 et 43 km3 /an : ils compensent alors les pertes, principalement dues à l’évaporation (environ 2,2 m/an) d’une surface en eau de l’ordre de 18 000 km2.

12Conséquence des variations climatiques, les séquences de Moyen ou de Grand Tchad sont entrecoupées de phases de bas niveau. Trois phases de Petit Tchad sont intervenues depuis le début du XXe siècle, la première (1904-1915) ayant été décrite en détail par Tilho. La seconde, vers 1940, n’est documentée que par la tradition orale. Le dernier passage à un Petit Tchad s’est produit en 1973 et, depuis cette date, le Lac fonctionne suivant ce régime.

Le Petit (lac) Tchad

13Le Lac dans son ensemble est plus un marécage qu’un lac au sens classique du terme. Il est constitué de plusieurs plans d’eau séparés pendant au moins une partie de l’année par des hauts fonds. Le seuil principal est celui de la Grande Barrière, entre les cuvettes sud et nord.

14Dans la cuvette sud, une surface en eau libre d’environ 1 700 km2 est située devant le delta du Chari, avec un niveau d’eau compris entre 279 et 281 m. Elle est entourée de vastes marécages souvent oubliés dans l’estimation de la surface du Lac, à cause de leur moindre lisibilité sur les images satellites. Pourtant, il s’agit d’espaces assez régulièrement inondés. La cuvette nord est séparée de la cuvette sud par l’exondation plus ou moins permanente de la Grande Barrière, qui contrôle l’hydrologie de cette partie du Lac. Ce stade de Petit Tchad est observé quand les apports annuels du Chari sont inférieurs à 34 km3/an. Des marécages permanents ou saisonniers couvrent alors de 2 000 à 13 000 km2 dans l’ensemble du Lac.

Le Petit (lac) Tchad sec

15Un nouvel état a été défini récemment pour désigner un Petit Tchad lorsque la cuvette sud n’alimente pas la cuvette nord, qui reste donc sèche toute l’année. Ceci se produit quand l’apport annuel du Chari est inférieur à 15 km3/an. La différence avec l’état de Petit Tchad décrit plus haut concerne principalement la cuvette nord. Elle concerne la végétation, différente de celle de la cuvette sud, les autres ressources naturelles et par conséquent la vie des populations. Au cours d’une période de Petit Tchad sec, il n’y a dans la cuvette nord aucune pêche possible, peu d’élevage et de cultures ; même l’approvisionnement en eau de boisson devient difficile.

16Entre 1957 et 2008, le Lac a été dans un état de Petit Tchad ou de Petit Tchad sec les deux tiers du temps et dans un état de Tchad Moyen ou de Grand Tchad un tiers du temps. Les années 1985, 1987, 1988 et 1991 correspondent à un Petit Tchad sec avec une cuvette nord sèche toute l’année. Cette cuvette a été sèche une partie de l’année en 1975, 1977, 1982, 1984, 1990, 1992, 1993 et 1994 – un contexte qui favorise la conversion temporaire des pêcheurs à l’agriculture. La cuvette nord a conservé un peu d’eau toute l’année en 1989 et de 1995 à 2013 (date de la rédaction du présent texte).

Tableau 1. Les caractéristiques des différents états du lac Tchad.

Tableau 1. Les caractéristiques des différents états du lac Tchad.

Quelques caractéristiques de la situation actuelle

Pourquoi ce Petit Tchad ?

17La surface et le niveau du Lac résultent de l’équilibre entre les apports en eau (pluie directe et apports par les fleuves) et les pertes (évaporation et infiltrations vers les nappes souterraines). Les apports principaux sont ceux du Chari (85 % du total), qui eux-mêmes dépendent de la pluie sur le bassin. Les autres tributaires (Komadougou Yobé, El Beïd, Yedseram) en fournissent moins de 10 % (la pluie sur le lac complétant les apports). On a observé que lorsque la pluie sur le bassin du Chari varie de 10 %, le débit annuel de ce cours d’eau varie de 30 %, ce qui induit une variation proportionnelle de la surface du Lac. Le Lac se comporte donc comme un amplificateur des variations de la pluviométrie sur son bassin (tableau 2).

Tableau 2. Pluie moyenne sur le bassin et débit du Chari depuis 1950.

Tableau 2. Pluie moyenne sur le bassin et débit du Chari depuis 1950.

Source : données Direction des ressources en eau et météorologie (Drem), Tchad, et Cambridge research unit (CRU, Royaume-Uni).

Figure 2. Une image composite du lac Tchad proche du maximum de la crue lacustre de 2013.

Figure 2. Une image composite du lac Tchad proche du maximum de la crue lacustre de 2013.

Source : images Landsat 8 entre le 12 avril et le 23 mai 2013, fournies par la Nasa, mises en forme par Pierre Don-Donné Goudoum.

18La phase actuelle de Petit Tchad résulte de la transition entre une période relativement humide (1950-1970) et une phase de sécheresse dans le Sahel et sur le bassin du Chari (1970-1990), particulièrement accentuée lors des épisodes secs des années 1972-1973 et 1983-1984. D’une façon générale, la pluie annuelle a diminué d’environ 150 mm sur l’ensemble du bassin et les isohyètes se sont déplacées de 150 km vers le sud. Le débit annuel du Chari est passé en dessous de 34 km3/an, ce qui a provoqué l’exondation de la Grande Barrière et créé l’état de Petit Tchad.

19Une mosaïque d’images des satellites Landsat de la Nasa d’avril-mai 2013 donne la situation du Lac près du maximum de la crue lacustre de 2013, où toutes les surfaces en bleu ou noir représentent de l’eau libre et les surfaces en vert des marécages inondés. La surface totale en eau, de 14 800 km2, est la plus grande observée depuis le passage à l’état de Petit Tchad en 1973 (figure 2).

Quels sont les impacts de l’irrigation et des autres utilisations anthropiques ?

20La diminution du Lac et son passage à l’état de Petit Tchad a été attribuée à tort par certains auteurs aux prélèvements d’eau pour l’irrigation, voire à l’abreuvement du bétail.

21Le diagnostic élaboré pour la Charte de l’Eau du lac Tchad (CBLT, 2011) a établi que les prélèvements d’eau dans le Lac, l’ensemble de ses tributaires ou leurs nappes alluviales, sont estimés pour 2010 à environ 2,5 km3/an répartis entre 0,5 km3 pour l’eau potable, 1,8 km3 pour l’irrigation et 0,2 km3 pour l’abreuvement du bétail. Ce bilan inclut les petits périmètres privés situés le long des cours d’eau.

22Ces éléments quantitatifs permettent d’aboutir au constat suivant :

  • les consommations totales d’eau dans le bassin du lac Tchad ont jusqu’à présent une influence relativement faible sur le bilan du Lac ;
  • les variations de niveau du lac s’expliquent, au moins jusqu’en 2013, date de rédaction de ce document, essentiellement par l’aléa des précipitations ;
  • les grands périmètres hydroagricoles riverains du Lac au Nigeria (South Chad Irrigation Project et Baga Polder, près de 200 000 ha au total), qui pourraient consommer plus de 2 km3 par an s’ils étaient pleinement opérationnels, ne sont pas fonctionnels en phase de Petit Tchad et ne contribuent donc pas à une éventuelle baisse du niveau du Lac.

Quel est l’impact de la sédimentation dans les fleuves et le Lac ?

23La perception commune actuelle à N’Djaména est que le fleuve Chari s’ensable. Les gens qui pêchent ou naviguent sur le Lac estiment que, à hauteur d’eau équivalente, la navigation devient difficile en beaucoup d’endroits, faute d’une profondeur suffisante. Cette faible profondeur est parfois attribuée à un comblement du Lac par les sédiments fluviatiles.

24Les données disponibles ne permettent pas de répondre avec précision aux questions sur l’ensablement des fleuves Chari et Logone ou sur le comblement du Lac. Le fait que le niveau du fleuve soit plus bas plus longtemps, dans la période actuelle de sécheresse relative, peut expliquer la perception d’ensablement ressentie par beaucoup. Les connaissances disponibles aujourd’hui ne justifient pas un dragage du fleuve dans les conditions climatiques actuelles ni en cas de transfert depuis l’Oubangui.

25Le comblement du Lac par les sédiments est certes une réalité, comme pour l’ensemble des lacs du monde. L’ordre de grandeur vraisemblable de la vitesse de sédimentation, entre 0,5 et 4 mm par an, indique qu’il n’y a pas de risque de comblement à l’échelle de temps humaine (voir I-5). Cette diminution possible de la profondeur est tout à fait négligeable par rapport aux variations du niveau de l’eau : dans l’hypothèse la plus pessimiste, il faudrait 100 ans pour une diminution de 0,4 m de la profondeur de la cuvette sud, alors que le niveau de la cuvette sud a diminué de près de 3 m entre 1964 et 2010.

26Le développement de la végétation sur les trajets navigables (entre Baga Sola, Bol, Baga Kawa, Guitté et le delta du Chari) est en revanche une entrave réelle au transport sur le Lac. Il résulte plus de la croissance de la végétation que de la sédimentation, et mérite d’être géré par un entretien régulier en concertation avec les populations concernées. Le transport lacustre doit être considéré dans certaines zones, comme l’archipel de Bol, comme un moyen de désenclavement pour les produits pondéreux (céréales, natron...).

Quels sont les services écosystémiques et quelles tendances de la biodiversité ?

27Une des questions qui se posent quant à la gestion du lac Tchad est celle de la situation hydrologique qui rendrait le plus de services aux populations dépendant directement de ses ressources. Telle qu’émise au début des années 1990, l’hypothèse d’un transfert interbassin depuis l’Oubangui présentait l’intérêt de rétablir le Moyen lac Tchad des années 1960.

28Le principal avantage d’un Petit Tchad par rapport au Moyen Tchad est la plus grande amplitude de la décrue annuelle (le marnage) qui découvre, dans chacune des cuvettes, de plus grandes surfaces de terres particulièrement fertiles, accessibles pour la culture et l’élevage principalement dans la cuvette sud (voir I-1). Elle rend aussi possible la forte productivité en poissons de la cuvette nord. Ces deux processus, propres à un Petit Tchad, figurent manifestement parmi les variables qui ont permis l’augmentation de la population et de la production alimentaire du Lac. Cependant, ce Petit Tchad peut évoluer à tout moment vers un Petit Tchad sec, qui est la configuration la plus défavorable aux sociétés riveraines, notamment celles de la cuvette nord.

29La biodiversité végétale et animale du Lac est fonction de la diversité de ses paysages, qui est elle-même contrainte par la variabilité hydrologique. Le Lac dans son ensemble constitue un écosystème particulièrement dynamique, avec des biotopes momentanément favorables ou défavorables au développement de certaines espèces, sans que des changements irréversibles puissent être identifiés jusqu’à présent. Sur une période comportant une ou deux phases d’alternance entre Petit et Moyen Tchad, on peut considérer que les changements subis par le Lac sont des perturbations intermédiaires au sens de Wilkinson (1999), qui contribuent sur le long terme au maintien de la biodiversité et de la productivité biologique du Lac. Sur le court terme apparaissent des phénomènes transitoires comme la grande extension de la végétation marécageuse de la cuvette sud, qui a trouvé dans la stabilité relative du niveau moyen de l’eau un facteur favorable à son développement. On note aussi l’apparition d’une espèce invasive, Prosopis sp., dans la cuvette nord. Précisons que la présence de la jacinthe d’eau (Eicchornia crassipes), bien que souvent mentionnée dans divers documents, n’est jusqu’à présent pas avérée dans le Lac.

30Le passage d’un milieu lacustre de Moyen Tchad à un milieu marécageux de Petit Tchad a fortement réduit la diversité du peuplement de poissons de la cuvette nord, mais on sait que dans le passé les peuplements se sont reconstitués à partir du fleuve Chari. En matière de biodiversité, quelques exemples particuliers ne permettent donc pas de dessiner une tendance ou une évolution. La définition et la mise en place d’un plan de suivi de la biodiversité, fondé sur des données quantitatives portant sur des espèces caractéristiques ou emblématiques, sont un préalable à un diagnostic convenable (voir I-4).

Quel est l’impact du changement climatique sur l’avenir du lac Tchad ?

31Certains incriminent le réchauffement climatique dans la possible disparition du lac Tchad. Les modèles existants concernant le changement global ne permettent pas d’estimer l’évolution future du climat sur l’Afrique de l’Ouest ou le bassin du lac Tchad pour 2050, et encore moins pour 2100.

32Il est pratiquement assuré que la température moyenne sera plus élevée en 2050 d’environ 2 à 3 degrés, avec des conséquences complexes sur l’écologie et l’agriculture. En revanche, s’il est possible que les événements pluviométriques extrêmes soient plus fréquents, aucune tendance sur la moyenne ne peut être identifiée. Les politiques de gestion de l’eau et des ressources du Lac doivent tenir compte de cette incertitude.

Quel potentiel représentent les eaux souterraines ?

33L’exploitation des eaux souterraines du Lac et de sa périphérie pourrait contribuer à l’alimentation en eau potable de qualité, pour les ruraux et les citadins qui y vivent, et servir aux éleveurs et agriculteurs mieux qu’elle ne le fait jusqu’à présent (voir I-2).

34Au lac Tchad et sur sa périphérie, la nappe la plus accessible est celle des formations du Quaternaire. Sa profondeur par rapport au sol varie de 5 m en bordure des cours d’eau comme le Chari et à la périphérie du Lac (qui alimente la nappe selon des processus qui restent à préciser) à 80 m au centre des creux piézométriques. Plusieurs creux piézométriques (zones de dépression de la nappe) ont été identifiés au Tchad (Chari Baguirmi), au Cameroun (Nord de Kousseri et axe Limani-Yagoua), au Nigeria et au Niger (Kadzell). Les travaux montrent que le niveau d’eau de la nappe s’abaisse dans ces zones depuis quelques décennies, asséchant certains puits et forages. La nappe est d’extension régionale et constitue, en raison de son accessibilité, la principale ressource exploitable par la population. Les eaux sont généralement douces (1 g/l) mais parfois très minéralisées localement (jusqu’à 7 g/l) (CBLT/BGR, 2012).

35Les données quantitatives et qualitatives concernant les eaux souterraines sont fragmentaires, parfois limitées par les frontières. Ces travaux ne permettent pas d’évaluer le potentiel exploitable ou renouvelable à l’échelle du Lac. La nappe phréatique est principalement alimentée par les zones humides, les lits fluviaux et le Lac, mais les quantités en jeu ne sont pas connues (CBLT/BGR 2012). La nappe du Pliocène, située vers 250 à 300 m de profondeur, pourrait être utilisée pour l’alimentation en eau potable en substitution de la nappe du Quaternaire dans les zones à fortes teneurs en fluor. L’usage des eaux souterraines par l’agriculture est très ponctuel et peu documenté.

Un modèle hydrologique pour reconstituer le passé et réfléchir sur l’avenir

36Les données hydrologiques de terrain concernant le lac Tchad au cours des dernières décennies sont trop lacunaires pour fournir une idée précise de l’évolution au cours du temps de sa surface et du niveau de l’eau. La seule station pérenne est celle de Bol mais on n’a, par exemple, aucune donnée sur le niveau dans la cuvette nord depuis 1976. Un programme scientifique a donc été développé pour reconstituer l’évolution du Lac à partir des quelques données disponibles et à l’aide d’un modèle hydrologique (figures 3, 4 et 5). Le modèle permet en outre d’évaluer l’impact de divers scénarios climatiques, d’un éventuel transfert interbassin (voir I-3) ou de modifications de la structure de la Grande Barrière.

Figure 3. Fonctionnement du Lac et modèle hydrologique conceptuel.

Figure 3. Fonctionnement du Lac et modèle hydrologique conceptuel.

Source : d’après Lemoalle et al., 2012.

Figure 4. Évolution reconstituée de l’altitude du niveau de l’eau (exprimée en m) dans les cuvettes sud (Hs) et nord (Hn) du lac Tchad.

Figure 4. Évolution reconstituée de l’altitude du niveau de l’eau (exprimée en m) dans les cuvettes sud (Hs) et nord (Hn) du lac Tchad.

Source : d’après LEMOALLE et al., 2012.

Figure 5. Évolution reconstituée des surfaces en eau des cuvettes sud et nord et totale du lac Tchad.

Figure 5. Évolution reconstituée des surfaces en eau des cuvettes sud et nord et totale du lac Tchad.

Source : d’après Lemoalle et al., 2012.

37On observe que les niveaux des deux cuvettes ont évolué de façon séparée, ce qui implique qu’on ne peut pas décrire le niveau du Lac par un seul chiffre. Le niveau moyen de la cuvette sud a assez peu varié au cours de la période observée de Petit Tchad, avec des variations saisonnières qui atteignent 2 m, tandis que celui de la cuvette nord présente des variations interannuelles plus importantes, avec des occurrences d’assèchement complet fréquentes au cours de la décennie 1980-1990.

38En ce qui concerne les surfaces inondées, la surface moyenne de la cuvette sud est ici encore relativement peu variable. L’essentiel de la variation de la surface totale du Lac, entre moins de 2 000 km2 à l’étiage de 1985 et 14 000 km2 lors des crues de 2000 et 2013, est dû à la cuvette nord.

39Outre cette reconstitution des niveaux, le modèle a aussi été utilisé pour étudier les implications de différents scénarios de transfert interbassin, ou d’autres aménagements hydrauliques.

Table des illustrations

Titre Figure 1. Carte schématique de la situation moyenne du lac Tchad autour de 2010.
Légende Source : d’après Lemoalle (Atlas du lac Tchad, à paraître)
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/11665/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 324k
Titre Tableau 1. Les caractéristiques des différents états du lac Tchad.
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Titre Tableau 2. Pluie moyenne sur le bassin et débit du Chari depuis 1950.
Légende Source : données Direction des ressources en eau et météorologie (Drem), Tchad, et Cambridge research unit (CRU, Royaume-Uni).
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/11665/img-3.jpg
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Titre Figure 2. Une image composite du lac Tchad proche du maximum de la crue lacustre de 2013.
Légende Source : images Landsat 8 entre le 12 avril et le 23 mai 2013, fournies par la Nasa, mises en forme par Pierre Don-Donné Goudoum.
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/11665/img-4.jpg
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Titre Figure 3. Fonctionnement du Lac et modèle hydrologique conceptuel.
Légende Source : d’après Lemoalle et al., 2012.
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Titre Figure 4. Évolution reconstituée de l’altitude du niveau de l’eau (exprimée en m) dans les cuvettes sud (Hs) et nord (Hn) du lac Tchad.
Légende Source : d’après LEMOALLE et al., 2012.
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Titre Figure 5. Évolution reconstituée des surfaces en eau des cuvettes sud et nord et totale du lac Tchad.
Légende Source : d’après Lemoalle et al., 2012.
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