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Le Plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe

 | 
René Girault
, 
Lévy-Leboyer Maurice

Discours de Monsieur Pierre Bérégovoy Ministre d’État, Ministre de l’Économie, des Finances et du Budget

Texte intégral

1Mesdames, Messieurs,

2C’est avec grand plaisir que je vous accueille au Ministère et plus particulièrement au Centre International de Conférence où, pendant trois jours, vous allez pouvoir travailler dans les meilleures conditions. Monsieur Fauroux, retenu par les obligations de sa charge, m’a chargé de l’excuser. Monsieur Lombard, Directeur Général de l’Industrie à ce Ministère s’exprimera en son nom. Je remercie Monsieur Bloch-Lainé de bien vouloir présider cette première séance ainsi que Monsieur Girault qui fera le rapport introductif.

3Le Comité pour l’Histoire Économique et Financière et le Comité d’Histoire Industrielle, constitués il y a quelques années, sont deux instruments privilégiés de la nécessaire réflexion que nous devons développer afin d’ancrer nos décisions du présent qui engagent l’avenir sur les enseignements du passé.

4Le présent Colloque est le résultat de dix-huit mois de préparation. L’occasion m’a déjà été donnée de dire, devant les historiens du Comité pour l’Histoire Économique et Financière, tout l’intérêt que je porte à cette initiative dans un environnement européen déjà profondément bouleversé par la chute du mur de Berlin et l’unification allemande.

5Le Ministère de l’Industrie, pour sa part, a accueilli le 25 janvier dernier, en prélude à vos débats de ce jour, une journée préparatoire confrontant témoins et historiens sur le thème « le Plan Marshall en France ».

6Le sujet que vous avez choisi, de façon opportune, me paraît être d’actualité, à cinquante ans de distance et sa connaissance mérite d’être actualisée. D’ailleurs il ne se passe pas de jour où, à propos d’événements divers qui se produisent sur la scène mondiale, nous n’entendions un homme politique, un Chef d’État, un syndicaliste proposer un plan Marshall pour telle ou telle région du monde. Il faut donc que l’on sache ce dont on parle, dans quelle circonstance est née cette idée, quelles en ont été les difficultés et comment finalement peut, aujourd’hui, en être apprécié le résultat.

7Le Plan Marshall est, en effet, une conséquence de la fin de la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, nous sortons de la période de la guerre froide... Des pays sont, comme à cette époque, à reconstruire. Il en est d’autres, ailleurs dans le monde, à qui se pose la même question. Comment reconstruire ? Les choix appartiennent aux gouvernants mais une réflexion objective sur un programme d’aide ambitieux, aux mécanismes originaux qui reste une référence, un demi-siècle après sa réalisation, ne peut être qu’utile.

8La récente ouverture des fonds d’archives, encore frappés d’importantes restrictions, vient à point nommé alimenter vos recherches. Plus encore, le recueil d’archives orales entrepris sous l’autorité de Madame Florence Descamps, secrétaire scientifique du Comité pour l’Histoire Économique et Financière, est particulièrement riche d’enseignements tant sur le plan de l’analyse du processus décisionnel que sur celui de ses conséquences sur le fonctionnement interne de notre propre administration.

9Les événements imposent souvent d’agir ou de réagir à des situations que l’esprit n’a pas imaginées mais les formes de Faction ou de la réaction ne sont pas désincarnées. Il ne faut jamais négliger les acteurs, les artisans directs d’une œuvre collective car les circonstances exceptionnelles génèrent toujours des hommes d’exception qui font souvent figure de pionniers. Des hommes, pour ne citer que les plus reconnus, tels Messieurs Monnet, Bloch-Lainé, Guindey, Alphand et beaucoup d’autres, surent déployer, avec talent, face à leurs partenaires américains, leur pouvoir d’influence, leur pouvoir de séduction, leur pouvoir de conviction et leur réalisme. Je me réjouis de voir certains d’entre eux dans cette salle – je n’ai pas d’ailleurs cité tous les acteurs – et je les remercie d’avoir bien voulu accepter notre invitation.

10Mesdames et Messieurs, nous bénéficions, ou plus exactement vous allez bénéficier, du recul qui permet la mise en perspective historique des événements qui ont bouleversé l’après-guerre.

11Mais on ne conclut pas un chapitre de l’Histoire : on le scrute, on l’interroge. Il est, en lui-même, porteur d’une signification d’ensemble et la réflexion collective que vous allez conduire sera instructive car votre colloque comporte, à première vue, selon moi, deux volets distincts et complémentaires à la fois.

12Le Colloque va d’abord porter un regard critique sur les balbutiements du processus de construction européenne au travers de l’OECE, création issue du Plan Marshall, jouant son rôle de lieu de rencontre et d’échanges, s’ouvrant sur les premières initiatives d’approches économiques multilatérales. J’observe, à cet égard, que Paul Ramadier, qui a été l’un de mes prédécesseurs aux Finances – mais, à l’époque, il était Président du Conseil – en acceptant le Plan Marshall a eu l’intuition qu’il permettait à l’Europe de l’Ouest d’exister et à la France d’y exercer une influence conforme à un idéal de progrès et de paix. Il avait à ses côtés, à cette époque, Robert Schumann comme Ministre de l’Économie Nationale et des Finances, et il faut admettre historiquement que le choix en faveur du Plan Marshall a jeté les bases de ce qui a été par la suite la construction européenne.

13Permettez-moi de m’arrêter un instant sur cette dimension de votre recherche. Le Plan Marshall est bien un instrument de coopération économique mais il me paraîtrait beaucoup trop limitatif de vouloir le résumer à cela ou, à tout le moins, de considérer l’approche économique et financière comme étant exclusive de toute autre recherche.

14En aidant à la reconstruction de l’Europe, responsables américains et européens, dans cette Europe de l’après-guerre, voulaient consolider la démocratie face au communisme stalinien. Le Plan Marshall nous rappelle donc qu’économie et politique vont toujours de pair. Le refus des pays de l’Est – rappelez-vous le débat en Tchécoslovaquie, et en Bulgarie – d’y participer en fut la conséquence, précipitant l’Europe dans la guerre froide. Cette double dimension démocratique et internationale me semble devoir rester présente à notre esprit à un moment où les pays d’Europe centrale renouent avec la démocratie et se convertissent à l’économie de marché.

15Il était donc logique que ce colloque comporte un second volet, centré sur l’actualité immédiate. La libéralisation dans les pays de l’Est met les démocraties occidentales devant le même défi que celui de l’après-guerre : personne ne peut aujourd’hui préjuger de l’évolution politique de l’Europe centrale et orientale d’ailleurs. Mais il serait grave que le rétablissement de la démocratie ne soit qu’un simple intermède parce que nous aurions été impuissants à répondre à l’immense besoin d’aide économique.

16C’est pourquoi, dès qu’ont débuté les bouleversements politiques, sociaux, économiques à l’Est, le projet d’un programme d’aide, sur le modèle américain, a été plusieurs fois évoqué comme instrument susceptible de faire progresser ensemble économie et démocratie. « Nous avons acquis l’ambition de ne plus obéir à des autoritarismes aveugles, égoïstes et bureaucratiques » a écrit Pierre Mendès France. Pour concrétiser cet objectif, nous devons faire œuvre d’imagination pour inventer une forme d’aide et de coopération permettant aux pays de l’Est de réussir sans déséquilibre extrême la transition entre économie administrée et économie de marché. C’est ici même, Mesdames et Messieurs, que votre réflexion prend toute son actualité.

17 Mais regardons aussi, au-delà de l’Europe qui nous passionne, du côté de l’Afrique, et plus généralement du côté de ce que l’on appelle le Tiers Monde et dont le processus de croissance et de développement repose tout à la fois sur le concours de la communauté internationale et la création de zones régionales capables d’unir leurs actions et leurs stratégies économiques.

18Je me souviens que, dans les années 60, quand je collaborais avec Pierre Mendès France, c’est une idée qu’il avait exposée à propos de la situation dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est. Sans doute ont été créées des banques centrales, mais en réalité, peut-être à cause de l’émergence des nationalismes après la décolonisation, il n’a pas été possible de créer des ensembles coordonnés comportant des abandons de souveraineté ou des éléments de supranationalité comme nous avons commencé à le faire en Europe. Il existe des périodes où la Nation prend le pas sur la Communauté : leurs effets en sont connus. L’isolement de certains de ces pays rend pratiquement insolubles leurs problèmes de développement. C’est pourquoi, comme l’a souligné à plusieurs reprises le Président de la République, François Mitterrand, il nous faut chercher, dans ce secteur du monde, l’impulsion et la synergie nécessaire pour résoudre les obstacles inhérents à l’endettement, à la pénurie d’épargne, au manque d’investissement privé.

19Telles sont, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Président, les quelques pistes que je souhaitais évoquer en ouverture de vos travaux. « Ce n’est pas sans fruit que l’on médite sur le passé », écrivait Paul Valéry. Votre colloque s’inscrit à l’évidence dans cette perspective. J’en mesure l’ambition à la qualité des intervenants. Il vous reviendra, Mesdames et Messieurs, dans une discussion que je souhaite libre, de nous éclairer sur la pertinence du Plan Marshall à l’époque où il a été lancé et peut-être face aux situations renouvelées de l’Histoire.

20On dit souvent que lorsque l’Histoire se répète, elle balbutie. Si nous devons en conséquence éviter de reproduire à l’identique ce qui a été fait dans une circonstance historique donnée, nous devons en revanche pouvoir, me semble-t-il, tirer un enseignement du passé pour essayer de montrer les vertus de l’action collective des hommes sur les événements et les situations. Pour ma part, je reste persuadé que le Plan Marshall a été un facteur essentiel de reconstruction de l’Europe et lorsque l’on jugera les résultats de la IVe République au regard de sa durée, on constatera qu’il a été un élément à la fois de clarification politique et de développement économique. A partir de cette expérience unique dans un rôle que je considère comme stratégique – si le mot n’est pas excessif – il appartient à chacun d’entre vous, décideurs, experts économiques et surtout historiens, de relever cet autre défi qui est celui du savoir. Savoir pour comprendre, et comprendre pour décider. D’avance je vous remercie de contribuer à nous y aider.

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