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De l’estime au cadastre en Europe. Le Moyen Âge

 | 
Albert Rigaudière

Deuxième partie. Savoirs

In catasto ponere et scribere : formation intellectuelle et méthodes des rédacteurs du cadastre en Italie centrale du milieu du XIIIe siècle au XVe siècle

Philippe Jansen

Texte intégral

  • 1 Élisabeth Carpentier, Orvieto à la fin du XIIIe siècle : ville et campagne dans le cadastre de 1292(...)
  • 2 Christiane Klapisch-Zuber, « Le catasto florentin et le modèle européen du mariage et de la famille (...)

1Aux historiens de la société, de l’économie et de la fiscalité qui s’intéressent à ce type de source, les cadastres médiévaux ont souvent posé d’importantes difficultés d’étude et de compréhension. L’espoir d’en tirer, au prix souvent d’un long labeur d’enregistrement informatisé, une moisson abondante et définitive d’informations sur le territoire décrit et les hommes qui l’habitent n’est pas toujours pleinement récompensé. Fascinants, rebelles et parfois décevants, ces registres fiscaux suscitent souvent des réflexions qui éclairent d’abord le regard que l’historien porte sur eux. Ainsi – pour s’en tenir à des études consacrées aux cadastres italiens – Élisabeth Carpentier, en conclusion de sa thèse sur le cadastre d’Orvieto de 1292, qualifie le document de « partial, partiel, statique et simplifié »1. Le travail d’admirable rigueur développé par l’auteur tout au long de sa thèse justifie et explique ces qualificatifs, mais force est de constater qu’ils renvoient forcément à un idéal que représenterait un document fiscal « impartial, complet, évolutif et complexe » : fruit de l’analyse de l’historien ou produit d’une bureaucratie moderne qui disposerait d’instruments de mesure, de relevé et de comptabilité infiniment plus précis et fiables ? Dans le même ordre d’idée, Christiane Klapisch-Zuber soulignait, lors d’un colloque consacré aux cadastres par l’ENS Saint-Cloud, que le célèbre catasto florentin de 1427, bien ancré depuis plus d’un quart de siècle dans l’horizon historiographique de l’économie et de l’anthropologie sociale relatives à l’Italie médiévale, « n’est pas un vrai "cadastre" au sens moderne du mot [...], ce n’est pas non plus un vrai recensement »2. L’historienne revendique ouvertement, par ce propos, une vision comparative entre les siècles. Incontestablement, la typologie et la classification des documents cadastraux par les médiévistes qui s’y sont intéressés ont été influencées par les critères informatifs que le chercheur est en droit d’attendre de leur dépouillement ; l’auteur de ces lignes n’y a pas échappé.

  • 3 Rappelons ainsi, à la suite d’Élisabeth Carpentier elle-même, que le cadastre d’Orvieto qu’elle con (...)
  • 4 Philippe Jansen, « Statuer et amender. Rédaction et promulgation des statuts et de leurs riformanze(...)

2Laissant de côté l’approche des sources en fonction de la qualité et de la quantité d’informations sérielles exploitables, nous nous intéresserons plutôt, dans les pages qui suivent, à la genèse de ce type de documents fiscaux ; les objectifs que s’assignaient les rédacteurs d’un cadastre et les techniques qu’ils utilisaient pour y parvenir renvoient à la culture et aux compétences des différents acteurs qui ont contribué au long processus de leur rédaction. Il s’agit en somme de s’interroger, non pas sur la valeur et les modalités techniques du cadastre de notre point de vue d’observateurs et analystes des systèmes fiscaux qui vivons au XXIe siècle, mais sur celles qu’elles revêtaient pour les contemporains3. Nous essayerons donc de développer à propos des cadastres une réflexion analogue à celle que nous avions proposée il y a quatre ans au sujet du processus rédactionnel des statuts communaux4, de la signification, de la portée et de la valeur des opérations successives aboutissant aux documents dans la forme que nous pouvons encore consulter aujourd’hui – processus rédactionnels qu’il convient également de mettre en perspective avec le milieu de réception, afin de comprendre ce que les contemporains attendaient d’une telle source, et quel pouvait être, oserions-nous dire en prenant le risque d’une légère transposition conceptuelle, le degré de litteracy, de compréhension et d’assimilation des informations cadastrales par les représentants des différents groupes sociaux de la commune. Cette approche permet aussi de prendre en compte et, espérons-le, de comprendre l’incroyable diversité de détails qui individualise chaque document rattaché au genre « cadastre » du Moyen Âge. Pour ne pas encourir le risque (et le reproche, qui serait justifié) d’une généralisation abusive, l’étude s’appuiera sur les cadastres d’une région déterminée, au centre-est de l’Italie, englobant les Marches (région riche de plus de cinquante registres cadastraux antérieurs à 1500 conservés dans les archives) et, par référence à des études préexistantes bien connues, l’Ombrie voisine. Le professeur Pinto, dans ce même volume, étudie la réalité toscane. Des objectifs de composition des cadastres, nous remonterons à la position de ceux qui ont participé à leur confection, leurs relations sociales et enfin à la mise en œuvre des compétences intellectuelles, administratives et techniques qu’ils possédaient.

I. Les choix de composition du cadastre

  • 5 Archivio storico comunale Tolentino, reg. 1081 et 1082.
  • 6 Cf. Prospero Varese et Giuseppe Angelini Rota, Il catasto ascolano del 1381, extrait des Atti e Mem (...)
  • 7 Archivio Priorale di Macerata (désormais APM), à l’Archivio di Stato, Catasti nos 469 à 471 (1268)  (...)
  • 8 Réf. dans Collezione di documenti storici antichi inediti ed editi rari delle città e terre marchig (...)
  • 9 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano del XIII al XVIII secolo, Vérone, 1971, 98 p., p. 12-21.

3La différence fondamentale entre les cadastres médiévaux et les grandes entreprises de relevés d’époque moderne et contemporaine (tels le cadastre grégorien des États pontificaux ou le cadastre napoléonien) est, à l’échelle régionale, l’absence d’une procédure normative unifiante et homogène, décidée par une autorité centrale. Ainsi, au XIVe siècle, la commune de Matelica procède à l’enregistrement des propriétés rurales des habitants permanents de la commune, tandis qu’à Tolentino, on ne conserve au contraire que l’estime des biens fonciers et immobiliers situés à l’intérieur du périmètre fortifié5 ; en revanche, la cité d’Ascoli réalise en 1381 une enquête générale qui recense les biens urbains et ruraux6. Les aléas de la conservation archivistique et les pertes documentaires, certes réelles, ne peuvent expliquer à elles seules de telles disparités. Elles se retrouvent pour les communes qui ont eu la chance de conserver des séries de cadastres médiévaux relatifs au même territoire. Ils n’obéissent pas à des schémas identiques de composition. Ainsi, à Macerata, le plus ancien cadastre conservé, datant de 1268, recense exclusivement les biens fonciers et immobiliers que les citadins possèdent dans la campagne, et y ajoute l’estimation globale des biens meubles ; un siècle plus tard, le registre composé sans doute à partir de 1360 ne contient que les possessions foncières ; le cadastre de 1481 (ainsi que le premier du siècle suivant, achevé en 1560) enregistre l’ensemble des biens immobiliers et fonciers urbains et ruraux, mais n’inclut pas le « meuble »7. Les mêmes contrastes apparaissent à Fabriano, où un censuario daté de 1300 recense l’ensemble des biens fonciers et immobiliers des propriétaires urbains, tandis qu’un second Liber catastus composé en 1322 n’inscrit que les terres des habitants ruraux du district communal8. Peut-on imaginer qu’à chaque opération de cadastration, la moitié des registres aurait disparu ? Et pourquoi, dans ce cas, le registre des biens ruraux serait-il plus systématiquement conservé que celui des biens urbains ? Cela semble pourtant être le cas à Fano, où le grand cadastre malatestien, en 1348, est quasiment complet pour les propriétaires du territoire rural (manquent seulement 5 des 33 castra du territoire), tandis que seuls les relevés de 10 des 26 contrade urbaines nous sont parvenus9.

  • 10 Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello : 1471 e 1568 », Nelle Marche centrait. Territorio (...)

4Notons dès à présent que les variations de la procédure d’enregistrement peuvent limiter l’importance des pertes documentaires. En règle générale, les propriétés urbaines et rurales étaient inscrites dans des registres distincts. Mais, à Macerata, à partir du XVe siècle, l’enregistrement des immeubles urbains et des parcelles rurales est porté dans un même volume sous une rubrique unique au nom du propriétaire. Dans ce cas, le registre conclut une procédure globale de cadastration, systématique et coordonnée. Lorsque les registres sont composés séparément, en revanche, rien n’indique a priori que le relevé des propriétés urbaines et rurales ait été conduit simultanément par les mêmes officiers. Il existe aussi des cas où les méthodes de relevé par une équipe commune d’arpenteurs ont été étendues à des territoires voisins. Elisabetta Insabato a ainsi démontré que la confection du cadastre de la modeste commune rurale de San Marcello avait été réalisée en même temps que celui de la ville de Iesi, vers 1471 : des normes communes aux deux territoires ont été élaborées, et représentent une étape vers la « rationalisation » administrative du système10.

  • 11 Sur Fano et Iesi, voir les études citées aux notes précédentes ; en revanche, le cadastre contempor (...)
  • 12 Cf. Emila Saracco-Previdi, « L’organizzazione dell’entroterra marchigiano da estimi della metà del (...)

5Évoquer une telle « rationalité » est sans doute prématuré à ce point de notre observation. Les informations communes à tout document du genre cadastre, et leurs modes de présentation, se justifient par la perspective de l’établissement d’une levée fiscale. À cette fin, il faut identifier rapidement le propriétaire et le bien imposé. Tous les propriétaires imposables, c’est-à-dire au moins les laïcs habitants permanents de la commune, sont classés par ordre alphabétique dans chaque secteur territorial ou habitat de la commune : il n’existe pas de procédure plus simple pour retrouver un propriétaire dans un registre. Les biens sont décrits par le nombre et la superficie des parcelles possédées, délimitées par les confronts. À ces données de base s’ajoutent des informations complémentaires, variables d’une source à l’autre : ici, on enregistre aussi la propriété ecclésiastique, là on s’intéresse également aux possessions tenues par des étrangers à la commune. L’intérêt de ces données pour les autorités fiscales reste souvent à expliquer. Le bien-fonds est la référence imposable, il est rare que l’on s’intéresse au revenu de la terre. Avant le XVIe siècle, seuls des registres établis dans la partie septentrionale des Marches, relevant des états des Malatesta ou des Della Rovere (ainsi à Fano ou lesi), mentionnent les types de cultures11. Dans les territoires montagneux de l’Apennin, le critère d’exposition et d’altitude (a monte, a valle et a villa, dans les cadastres de Camerino) est un facteur discriminant d’évaluation12.

6Les cadastres traduisent indéniablement des choix d’assiette fiscale (quelles catégories imposer ?) et des critères d’estimation des fortunes très variables. Mais, pour interpréter correctement la source, comprendre les intentions des auteurs, il faut d’abord s’interroger sur la nature exacte du document et sur son utilité dans le processus général de confection : le registre ou le cahier que l’on analyse est-il un document de travail transcrivant des résultats forcément partiels, une étape dans l’enregistrement du cadastre, ou peut-il être considéré comme le registre officiel, définitif, contenant les informations complètes que l’autorité commanditaire est en droit d’attendre ? Par voie de conséquence, il convient de se demander ce que celle-ci cherche précisément à connaître lors d’un recensement cadastral. La réponse est complexe, car elle est à la fois juridique, fiscale, économique.

  • 13 Pour une représentation succincte de cet ensemble de sources fiscales, Giovanni Cherubini, « La Tav (...)
  • 14 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano..., op. cit., appendice, p. 58-68. Les registres de ce trav (...)
  • 15 Emilia Saracco-Previdi, « L’organizzazione dell’entroterra marchigiano… », art. cité, p. 194- 195 ; (...)

7Il est relativement aisé de situer la source dans la série d’opérations qui va de la décision d’enregistrer les fortunes des citoyens à la « publication » du registre à partir duquel les taxes pourront être levées. Les Marches n’offrent presque aucune série comparable à l’ensemble complémentaire des Tavolette et des Tavole siennoises du début du XIVe siècle, grâce auxquelles on peut suivre l’évolution et la transformation des données depuis la phase d’enregistrement par les arpenteurs jusqu’à la transcription dans le registre fiscal officiel13. La trace des différentes étapes de rédaction ne s’est conservée qu’à Fano et, dans une moindre mesure, à Camerino. Angela Maria Girelli, dans son étude, rappelle que l’Archivio de Fano conserve des documents préparatoires au cadastre de 1348, copies des cahiers rédigés par les appassatori (mesureurs) au cours de leur enquête de terrain, en compagnie des propriétaires des biens inventoriés. L’opération, longue, a livré 63 registres composés entre 1348 et 1350, parmi lesquels elle distingue 15 cahiers qui correspondent aux mesures de terrain préliminaires à la rédaction du véritable « catasto ». Ces fascicules ne portent pas de date en tête, contrairement aux registres définitifs, mais contiennent sur chaque feuillet la liste des différentes parcelles relevées chaque jour par le mesureur. Leur ordre topographique s’oppose évidemment au classement alphabétique des rubriques de propriétaires qui préside à l’organisation des registres officiels14. Pour le territoire de Camerino, les catastini des années 1264-1267 analysés par Emilia Saracco-Previdi représentent un stade d’élaboration intermédiaire : ces cahiers de formats et de matériaux variés (papier ou parchemin) sont une première mise en ordre des informations collectées au cours de l’enquête de terrain. Seules sont prises en considération les propriétés des habitants des villages subordonnés à la cité (la propriété des citadins n’apparaît pas, en revanche), mais elles ne sont pas estimées. Le classement des propriétaires n’est pas alphabétique, mais suit l’ordre de l’enquête (et sans doute de la perception), et une estimation globale de la propriété villageoise est portée à la fin du cahier, ce qui semble impliquer la solidarité fiscale de la communauté dans une taxe de répartition. Ce regroupement topographique par terroir villageois prélude à la confection d’un véritable cadastre général, réunissant l’ensemble des cellules territoriales, tel qu’on peut l’observer dans le registre de 118 feuillets datable des aimées 128015.

  • 16 Le fragment du cadastre de Fano datant de la deuxième moitié du XIIIe siècle mesure 53 x 40,5 cm (A (...)
  • 17 Dans le cadastre de Macerata, en 1360, le module des minuscules est en général de 2 mm de haut ; l’ (...)
  • 18 Mais dans le cadastre de San Marcello en 1471-1472, chaque nom de propriétaire est inscrit en lettr (...)
  • 19 Indication de l’estime à la fin de la ligne dans les cadastres de Fano du XIIe siècle, d’Ascoli, Ma (...)

8Partout ailleurs, les caractéristiques codicologiques signalent un document revêtu d’une certaine solennité, constitué pour manifester l’autorité fiscale de la commune et faciliter une consultation qui peut être fréquente, aussi bien de la part des responsables communaux que des propriétaires imposés. La plupart des cadastres ont été composés avec soin sur de grandes feuilles de parchemin (en général de 30 à 40 cm de large pour 45 à 55 cm de haut) ; cependant, le support papier se généralise dans les registres de la fin du XVe siècle, au format plus maniable16. La mise en page et le ductus des notaires chargés de la transcription des données sont soignés. La minuscule notariale, d’usage le plus courant, est régulière et appliquée, d’un module généralement assez ample ; les scribes utilisent une encre noire, souvent beaucoup plus lisible que l’encre brune des registres notariés17. L’identification du propriétaire est souvent mise en valeur par une lettrine en couleur ; mais cet usage tend à disparaître dans les registres en papier de la fin du Moyen Âge18. Sous la rubrique du propriétaire, une ligne distincte est consacrée à chaque parcelle. L’estimation est souvent détachée au bout de la ligne qui décrit la parcelle, ou bien rejetée dans la marge droite, après une accolade19. De larges marges sont réservées à gauche et à droite du texte ; lorsque le registre est d’un format plus réduit, le notaire prend soin de toujours commencer une nouvelle rubrique en tête de page.

  • 20 Le cadastre de Macerata de 1360 porte la trace d’au moins dix mains différentes, dont les intervent (...)

9Certains de ces registres nous sont parvenus en l’état, sans aucune modification (par exemple, le cadastre de Macerata de 1268), comme si l’on s’était gardé d’y toucher ou d’y ajouter le moindre mot, et que l’on aurait précieusement conservé le volume dans une armoire, comme un document d’autorité intangible, ouvert en public seulement dans des occasions solennelles ou pour trancher des querelles de propriété. D’autres registres, au contraire, plus nombreux, ont été remplis d’annotations successives qui ont peu à peu envahi les marges et les blancs réservés entre les rubriques originelles ; ces adjonctions traduisent, par la diversité des écritures, la participation d’un plus grand nombre de notaires au travail d’enregistrement, qui consiste pour l’essentiel dans les mentions marginales des mutations de parcelles et dans l’adjonction (sans toujours respecter l’ordre alphabétique) de nouveaux propriétaires entre les rubriques initiales20. Les registres ont subi une utilisation intensive, produisant l’usure du manuscrit et l’incohérence du classement, comme un document de travail toujours ouvert sur le bureau des notaires du cadastre.

  • 21 Sergio Anselmi, propos introductif du séminaire « Fonti censuarie locali europee nei secoli XII-XV  (...)

10L’usage et la vie du registre cadastral ne se circonscrivent donc pas seulement à la période de préparation et de rédaction du document. Le contraste, si fort, dans la durée et l’intensité de leur utilisation rédactionnelle semble indiquer que, d’une commune à l’autre, les contemporains ne concevaient pas à l’identique la finalité du document. La consultation des statuts communaux et des riformanze marchésans ou ombriens, qui comportent parfois des articles circonstanciés sur la méthode de confection du cadastre, peuvent enrichir notre compréhension des motifs qui ont présidé à la rédaction d’un cadastre. Sergio Anselmi les avait résumés d’une formule : « imposer des tributs, résoudre les conflits, compter et préciser, définir le territoire »21. L’intérêt de cette formule est de ne pas circonscrire la finalité du document au seul établissement d’une assiette fiscale.

  • 22 Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 368-370.
  • 23 Voir Prospero Varese et Giuseppe Angelini Rota, Il catasto ascolano..., op. cit., p. 5-8 et Lodovic (...)

11Le plus fréquemment, la décision de procéder à une nouvelle évaluation de la propriété foncière, voire immobilière et mobilière, est justifiée par la nécessité de lever une imposition exceptionnelle. Mais, pour les plus anciens cadastres, du XIIIe et du début du XIVe siècle, les circonstances ne sont pas toujours expliquées. Leur rédaction est parfois à rapprocher de modifications significatives dans la composition du groupe des propriétaires fonciers soumis à la taxation, qui entraînent la réévaluation des bases de l’assiette fiscale. C’est aussi l’occasion, pour les communes, d’affirmer leur autorité fiscale et de mettre au pas les seigneurs indociles, qui, en acceptant leur inurbamento, figurent désormais parmi les contribuables soumis à la vérification cadastrale. Il m’a semblé ainsi que la soumission, en 1262, des seigneurs de Lornano à la commune de Macerata, qui acquiert à cette occasion un nouveau territoire et soumet la population d’un village entier, devait être rapprochée de l’achèvement du cadastre de 1268 et en éclairer les motifs. Le cadastre de 1360 fait suite à une soumission analogue de la part des seigneurs Mulucci, qui se retrouvent parmi les propriétaires évalués ; au cours de la décennie suivante, les délibérations du conseil fournissent quelques indices relatifs à l’achèvement de la tâche, mais ne témoignent d’aucune nécessité évidente de pourvoir à de nouvelles recettes fiscales22. Privilégier le recensement des terres, en évaluant les bien-fonds sans se préoccuper de leur production, témoigne de la volonté de taxer les détenteurs de grandes superficies foncières, souvent d’origine noble ; cette mesure traduit une politique de gouvernement de type populaire, qui allège d’autant la charge des catégories vivant des revenus mobiliers du travail. Telle est bien la situation de la commune d’Ascoli à la fin du XIVe siècle : le cadastre est rédigé en 1381 conformément aux décisions inscrites dans les statuts de 1377 ; elles expriment la victoire du peuple qui s’est révolté contre la domination de Galeazzo Malatesta23.

  • 24 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., p. 13, et Elisabetta Insabato, qui souligne la (...)

12La rédaction du nouveau cadastre est, dans ce cas, un acte politique qui fonde les nouvelles bases du système fiscal. Les livres d’estime composés à la fin du XIVe siècle et au XVe siècle, dans un contexte de forte tension fiscale engendrée par les guerres, principalement sous l’égide des pouvoirs princiers, sont plus étroitement liés à la nécessité de lever une nouvelle perception. Tel est l’objectif, rappelé par A. M. Girelli, du cadastre de Fano ordonné par Galeazzo Malatesta en 1348 pour faire face à ses dépenses militaires. De même, la décision des conseillers de la ville de Iesi, prise le 10 juin 1471, de lever une collecte exceptionnelle « per libram extimi civium et habitantium in civitate Esii », détermine, dans les mois suivants, la confection d’un nouveau cadastre24. Dans ce contexte, les cadastres sont dressés pour renforcer, plutôt que pour modifier, l’exécution d’un système fiscal et apparaissent comme un instrument d’administration et de contrôle plus précis des territoires rassemblés par un pouvoir politique dont les besoins financiers s’accroissent ; ils sont l’une des manifestations de la construction des états « modernes » en gestation à la fin du Moyen Âge.

  • 25 Statuti di Perugia dell’ano MCCCXLII, éd. Giustiniano degli Azzi, Corpus Statutorum Italicorum, 2 v (...)
  • 26 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423), Fiastra (1436), Serrapetrona (1473), Camporotondo (1475)(...)

13Quelques statuts communaux, très explicites à propos des cadastres, assignent également d’autres buts à ces opérations. En 1342, les statuts de la commune de Pérouse stipulent que l’enregistrement des terres doit permettre de vérifier qu’aucun propriétaire n’échappe à ses obligations fiscales sur les taxes personnelles et réelles. Mais ils font aussi de l’inscription des biens au cadastre une condition du recrutement de certains officiers communaux ; la rubrique 188 du Livre III précise que : « Dans aucun château ou villa du contado de Pérouse, il ne pourra y avoir aucun vicaire, ni aucun autre officier, quel que soit son nom, qui ne soit allivré dans le cadastre des citadins ou des ruraux de Pérouse »25. L’inscription fournit une garantie, mais aussi un contrôle de l’accès aux droits civiques et politiques complets. Le registre favorise ainsi la mise en place d’une oligarchie de la fortune, car il est facile d’ajouter à la condition de résidence et de propriété, désormais aisément vérifiable, celle d’un montant minimal d’estime pour accéder à certaines fonctions publiques. C’est ce que l’on trouve, au XVe siècle, dans les statuts de petites communes rurales du comté de Camerino, qui sont étonnamment pourvues de registres cadastraux assez complets : à Fiastra, les statuts de 1436 exigent que les conseillers de credenza et les syndics disposent de biens estimés à un minimum de cent sous. À Camporotondo, en 1475, l’inscription au cadastre est la condition d’éligibilité indispensable26. De telles décisions statutaires, prises à l’instigation de Francesco Sforza dans le premier cas, ou à la demande du représentant de Giulio Cesare Varano dans le second, peuvent s’interpréter comme une manifestation évidente de la reprise en main des petites communes par des gouvernements seigneuriaux qui favorisent la prise de pouvoir d’une oligarchie terrienne acquise à leur cause. Elles représentent néanmoins un élargissement de la fonction du cadastre par rapport à la donnée strictement fiscale.

  • 27 Statuti di Perugia dell’ano MCCCXLII, op. cit., t. II, p. 413-424.

14D’autres fonctions encore sont assignées aux cadastres, qu’évoquent notamment les statuts de Pérouse en 1342 : connaître avec précision la localisation et l’étendue des propriétés privées, c’est aussi un moyen d’évaluer l’importance de la propriété commune. La très longue rubrique 141 du livre IV insiste sur l’importance de conserver immuablement les bornes et marques de confronts qui, à l’occasion d’enquêtes cadastrales, ont également délimité les possessions publiques. Les opérations de délimitations telles qu’elles sont décrites dans cet article ont une évidente proximité avec les méthodes d’enregistrement cadastral27.

  • 28 Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà… », art. cité, p. 38-39. L’auteur rappelait (...)
  • 29 Fabrizio Ciaparoni, Statuta comunis et populi civitatis Camerini (1424), Pubbl. della Facoltà di Gi (...)

15Ainsi, la référence cadastrale peut souvent dépasser les besoins immédiats d’une nouvelle définition de l’assiette fiscale des contribuables. La remarque de Sergio Anselmi qui voit dans certains cadastres l’expression d’une volonté réorganisatrice de la propriété et d’un territoire se trouve confirmée28. À Camerino, d’après les statuts de 1424, le cadastre a aussi pour fonction de déterminer les droits de citoyenneté en fonction du lieu de résidence. Dans un contado très étendu et constellé d’habitats mineurs, les habitants du pays rural ne bénéficient pas de droits identiques à ceux qui sont accordés aux citadins. La reconnaissance du lieu de résidence est donc un critère important : or elle est rendue officielle non par l’entrée effective dans une maison, mais d’après l’inscription au cadastre de tel quartier ou de tel territoire29. Celle-ci, inversement, vaut obligation de résidence. Le cadastre peut donc être utilisé comme un document régulateur de la proportion des groupes détenteurs de droits électifs. Mais, pour obtenir ce résultat, le livre d’estime contient les informations nécessaires et suffisantes pour attester de la qualité résidente et contributive des citoyens, sans qu’il soit indispensable de fournir une description parcelle par parcelle. Une révision périodique des listes est nécessaire ; mais puisque le but est de fixer des droits et non pas une assiette fiscale précise, il n’est pas indispensable d’y transcrire systématiquement les mutations foncières ; les catastini du territoire de Camerino ne sont d’ailleurs pas des cadastres au sens complet du terme, mais plutôt des répertoires de propriétaires. On comprend dès lors assez facilement qu’une fois rédigés, leur simple consultation suffise, pendant une période relativement longue, pour établir les droits de participation au régime communal. Le cadastre de Macerata de 1268, qui ajoute à ces données une description précise et localisée de chaque bien-fond, n’est peut-être qu’un document amplifié de cette nature : cela peut expliquer qu’il ait été rédigé une fois pour toutes, et conservé immuablement en son état originel.

  • 30 Lodovico Zdekauer et Pietro Sella (éd.), Statuti di Ascoli…, op. cit., Livre I, rubr. 37, p. 252- 5 (...)
  • 31 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit. Statuts de Serrapetrona, Livre I, rubr. 27, p. (...)

16Au contraire, le « vrai » cadastre est un document qui doit permettre une révision et une mise à jour rapide des principaux critères d’imposition, en particulier l’évaluation du patrimoine des contribuables ; il doit donc prendre en compte le plus rapidement possible les évolutions de leur fortune foncière et immobilière. De nombreux statuts expriment l’obligation de faire inscrire sur le cadastre toute transaction foncière : en 1377, les statuts d’Ascoli prévoient l’élection d’un officier communal, l’exequutore, qui devra notamment veiller à transférer les mentions des parcelles qui ont fait l’objet d’une transaction30. À Serrapetrona en 1473, tout acquéreur a obligation de déclarer les caractères de sa nouvelle propriété au cadastre dans un délai de huit jours31.

  • 32 APM Macerata, reg. 472, fol. 95 v°, note marginale de la rubr. Bernardus Particelle, dont l’enregis (...)
  • 33 Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 367.
  • 34 Les statuts de la commune de Macerata de 1342 (Livre III, rubr. 12, fol. 6) et 1432 (Livre III, rub (...)

17Ces dispositions, qui font passer du simple livre d’estime à une véritable matrice cadastrale, mise à jour régulièrement, trouvent leur application dans les notes marginales repérables dans de nombreux registres, tels ceux de Fano au XIIIe siècle, Macerata en 1360 ou Sorbolongo au XIVe siècle. On lit le plus souvent des formules du genre « vacat prima linea quia est ponita in quarterio Sancte Marie in appretio Thome de Sancto Genesio »32. J’ai donc eu tort de considérer que le cadastre de 1360 à Macerata, surchargé d’additions et de notes marginales enregistrant le mouvement des terres pendant près de quarante ans, s’était « mué en une sorte de Libro Bastardo des transactions foncières qui aurait appelé une périodique retranscription au net »33. Un tel registre n’est pas un document de travail provisoire préparant une nouvelle opération d’enregistrement, mais bel et bien un cadastre actif, constamment mis à jour par une série de notaires jusqu’en 1382, puis plus épisodiquement jusqu’en 143434.

II. Les relations entre les participants au processus de rédaction

18Ainsi, au rebours de la démarche d’exploitation informatique des données cadastrales qui tend, par souci de rationalité, à rapprocher des registres différents au sein d’un « genre » cadastral commun fournissant des informations comparables, il nous semble possible de distinguer, d’après les buts que l’on assigne à la source, trois types différents de registres « cadastraux ». Le premier type propose de fournir une évaluation globale, collective, de la capacité contributive du groupe qui peut prétendre accéder à l’ensemble des droits civiques ; sa composition dérive de l’enquête de feux, enrichie du paramètre d’évaluation de la propriété, mais le recours aux mesures d’un arpenteur n’est ni nécessaire ni systématique. Le second type répond à la nécessité de réévaluer globalement la fortune des propriétaires et d’aboutir à une meilleure répartition de l’effort fiscal : ce résultat est atteint par une véritable cadastration inventoriant et mesurant les propriétés, soit par un travail d’arpentage, soit par une enquête à laquelle tous les propriétaires doivent répondre ; le relevé synchronique et détaillé renvoie à cette image « partielle et statique » qu’on retrouve dans le cadastre d’Orvieto. Le troisième type enfin, ne peut se contenter d’enregistrer une tournée de relevés sur le terrain, opération longue et complexe, qui ne peut être renouvelée à intervalles rapprochés. Dans ce cas, un véritable bureau permanent du cadastre est institué ; des notaires communaux y mettent à jour régulièrement les mutations de propriété foncière et immobilière. La commune peut alors réévaluer chaque année l’estimation fiscale de tous les contribuables pour la perception de taxes permanentes : elle dispose d’un instrument, encore imparfait, qui lui permet cependant de saisir et contrôler l’organisation juridique et spatiale de la propriété.

19Si l’on accepte ces distinctions fondées sur les différences d’objectifs auxquelles tendent les sources de nature cadastrale, il est évident que la variété typologique soulignée plus haut n’exprime pas les adaptations locales et conjoncturelles d’un même système de procédures, mais renvoie au contraire à des séries d’opérations différentes les unes des autres. Ces différences induisent à leur tour des variations dans les rapports sociaux qui s’établissent entre les principaux acteurs du processus : une oligarchie communale ordonnatrice, qui participe elle-même, le plus souvent, du groupe des gros propriétaires ; les hommes du savoir et de la pratique capables d’inventorier les biens ; enfin la masse des contribuables propriétaires soumis à l’enquête.

  • 35 Par exemple pour la Libra de Pérouse en 1285 (Alberto Grohman (éd.), L ’imposizione diretta a Perug (...)
  • 36 A.S. Ascoli, Cod. Vol. I à III : chaque registre, correspondant à un quartier, a été rédigé par un (...)

20On a souvent insisté sur l’importance de la culture et de la technique des arpenteurs dans le déroulement de l’enquête cadastrale ; nous y reviendrons. Mais il convient de souligner que, en Italie centrale, l’expert de la mesure du terrain n’a jamais l’initiative première ; même lorsqu’on a affaire à un registre qui se rapproche d’une matrice cadastrale, le premier but recherché est d’obtenir une « image » fiscale de la propriété, non pas de représenter sa distribution spatiale. Il suffit de rappeler pour s’en convaincre que, dans les registres destinés à la consultation et à la vérification publique, le classement alphabétique des propriétaires, plus logique administrativement, prévaut sur l’ordre topographique des unités de propriété, utilisé normalement par l’arpenteur. Le recours à l’homme de science et de mesure dépend toujours d’une décision publique prise par les autorités communales et leurs notaires ; ce sont ces derniers – les statuts le rappellent de manière récurrente – qui définissent les modalités de l’enquête et les informations que celle-ci doit fournir. Les préambules des registres cadastraux confirment la primauté de l’action notariale sur celle de l’arpenteur dans le processus général : la plupart d’entre eux portent le nom du notaire responsable de la rédaction, beaucoup moins systématiquement celui des arpenteurs35. Dans le cadastre d’Ascoli de 1381 ou dans celui de Tolentino en 1462, le notaire rédacteur est cité avant l’arpenteur36.

  • 37 Préambule de la Libra (Alberto Grohman, L ’imposizione diretta…, op. cit., p. 153) : « Hic est libe (...)
  • 38 Emilia Saracco-Previdi, « I possessi immobiliari da un catasto Maceratese del 1268 », Convivere nel (...)

21Les registres qui servent à établir les références d’un impôt global de répartition et fournissent des informations succinctes, souvent incomplètes, sur les caractéristiques de la propriété, datent tous, dans le corpus pris en considération, du XIIIe siècle ; ils ne sont jamais désignés dans les actes administratifs comme des « cadastres ». Seuls apparaissent les termes d’appretium (Macerata, 1262) ou de Libra (Pérouse, 1285). Le travail du notaire rédacteur n’est pas identifié ; seuls sont nommés les personnages qui ont procédé à l’évaluation. Leur statut social est variable, et souvent étroitement lié à l’objectif du registre. À Pérouse, en 1285, il s’agit, au sens propre du terme, d’une estime. Son préambule évoque le travail des « librarum adjustationes » effectué par une commission de cinq boni homines de la cité élus par les recteurs des Arts pour chaque « porte » ou quartier37. À Macerata en 1268, il s’agit au contraire de procéder à un véritable recensement des biens ; les arpenteurs sont cités, mais ils sont réduits à l’anonymat collectif d’un groupe étranger soumis à l’autorité ordonnatrice du podestat : « Hoc est appretium S. Salvatoris factum et renovatum per mensuratores Auximi et Racaneti tempore potestatis nobilis viri domini Uguccionis de Fano potestatis castri Macerate ». Une formule identique est utilisée en tête du registre des propriétaires du quartier Saint-Jean ; la référence aux arpenteurs disparaît pour le quartier Sainte-Marie38.

  • 39 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit., p. 240 : Statuts de Fiastra, Livre IV, rub. 5 (...)
  • 40 Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà... », art. cité, p. 41-42. Le maître-arpente (...)
  • 41 Sur le rôle des architectes et ingénieurs dans l’entourage des princes, cf. notamment Patrick Bouch (...)

22La seconde procédure, qui consiste à dresser ou à réviser, selon les cas, un recensement plus exhaustif des propriétés aux fins de reconnaître la base réelle d’imposition, et non seulement son évaluation, implique une enquête ou une vérification sur le terrain. Le recours aux arpenteurs devient alors essentiel. Les statuts de Fiastra de 1436 précisent les conditions de leur recrutement : les neuf de credenza doivent « eligi et vocari duo agrimensores boni et in eorum arte experti… ad mensurandum terras et possessiones situatas et positas in territorio et jurisdictione dicti castri »39. Le travail systématique et rigoureux aboutit à un document qui est parfois désigné comme catasto (Iesi, 1471), mais plus souvent par un terme technique qui décrit la procédure de mesure elle-même : liber appassus (ou appassamentum), dérivant du verbe technique ad-passare : mesurer au pas ou avec une unité de mesure précise et nommée (Fano, 1348 ; lesi, 1471 ; Senigallia, 1489), ou liber ad pretii, qui définit un livre où l’on a procédé à l’évaluation (ad pretium) de chaque parcelle. Les arpenteurs sont identifiés et leur nom figure dans les préambules. Seul se distingue, dans ce groupe de registres, le grand et tardif cadastre de Senigallia commandé par Giuliano della Rovere en 1489 ; il est l’unique exemple d’une entreprise dirigée et coordonnée non par un notaire, mais par un arpenteur, Michelangelo de mastro Ugolino de Serra San Quirico40. Mais cette évolution ultime, qui fait passer au premier plan le technicien, traduit peut-être le changement politique de la décadence des structures communales et la volonté princière de s’entourer d’hommes de l’art. L’arpenteur, comme l’architecte ou l’ingénieur militaire, contribue par ses talents à l’édification symbolique et administrative de la province territoriale41.

  • 42 À Iesi, les conseillers font élire « unum appassatorem sufficientem et intelligentem qui habeat app (...)
  • 43 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit., p. 240 : Statuts de Fiastra, Livre IV, rub. 5 (...)
  • 44 Les registres de Fano (Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., p. 8-12), de Macerata (P (...)

23Cependant, les textes, dans cette procédure fondamentale de révision, distinguent nettement les deux opérations, celle de la mesure des superficies sur le terrain et celle de l’inscription au registre, véritable opération cadastrale, comme l’indiquent les riformanze de la commune de Iesi en 1472 : « quibus (terræ) appassetis et mensuratis debeat scribi facere ordinate in catasto »42. Trente-cinq ans plus tôt, les statuts de Fiastra distinguaient trois opérations confiées à des opérateurs différents ; les arpenteurs fournissaient les informations sur l’étendue et la disposition des terres, mais ils n’achèvent pas le travail ; le conseil de credenza confiait l’inscription et le reclassement dans le registre sous le nom du propriétaire, à un « notaire bon et expert » et deux massarii s’emparaient enfin des données transmises par les arpenteurs pour établir l’estime des propriétés. Le participe présent à valeur future utilisé pour exprimer le rôle des arpenteurs laisse même à penser que l’ordre des opérations est inversé. Les massarii détermineraient d’abord les valeurs unitaires de l’estimation et identifieraient les propriétés : les arpenteurs interviendraient les derniers et se contenteraient de mesurer les superficies des parcelles dont une liste leur aurait été fournie préalablement (sans doute d’après les déclarations des propriétaires)43. Les deux modalités de rapport entre arpenteurs et propriétaires qui ont si souvent retenu l’attention des historiens apparaissent ici, dans cette phase délicate de l’identification et de l’évaluation des parcelles. Force est cependant de constater, pour les Marches, que la forme de déclaration volontaire par le propriétaire, a priori plus simple et moins coûteuse que l’appel aux spécialistes, demeure d’un usage minoritaire. Nous n’en avons relevé l’attestation certaine qu’à Fano en 1348 ; elle est probable à Tolentino. En revanche, à Iesi en 1472 comme à Senigallia en 1489, le relevé sur le terrain des propriétés est l’opération première ; il est cependant réalisé de manière publique et contradictoire, puisque des hommes de la cité, renouvelés quotidiennement, accompagnent l’arpenteur forain pour attester de la réalité des droits de propriété44.

24En revanche, lorsque nous observons la réalisation d’une véritable matrice cadastrale enregistrant les mutations de propriété, la succession des opérations est plus évidente. C’est, nous semble-t-il, parce qu’on n’a pas toujours suffisamment distingué les deux derniers types de procédures que l’on a souvent confondu les deux formes de rapports entre propriétaires et arpenteurs.

  • 45 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit. Statuts de Serrapetrona, Livre I, rubr. 27, 30 (...)

25Qu’il s’agisse des matrices cadastrales de Fano dès le XIIIe siècle, Macerata en 1360, Ascoli en 1381 ou Camerino en 1474, ou encore des méthodes de cadastration prévue par les statuts de Serrapetrona ou Camporotondo (1475)45, la redondance du vocabulaire pour définir l’achèvement de la procédure est significative : le résultat est un « catasto seu extimo », une source fiscale complète qui inventorie et évalue – et même réévalue au gré des transactions – les bases d’imposition réelle. Les arpenteurs y tiennent toujours un rôle important lors de l’étape constitutive qui semble être systématiquement, dans ce cas, une enquête parcourant le territoire. Mais ensuite, l’autorité des notaires, investis par les magistrats communaux dont ils appliquent les décisions, reprend l’initiative, et c’est alors, de manière absolument systématique, que l’on se fonde sur la déclaration volontaire des propriétaires vendeurs ou acquéreurs de nouvelles parcelles – déclarations surveillées et contrôlées par la menace d’amende en cas de faux. L’arpenteur est donc exclu de la mise à jour régulière du cadastre, car les mesures des pièces de terrain ont été levées, pour ainsi dire, une fois pour toutes. La fréquence très espacée de l’appel aux arpenteurs se comprend dans une structure foncière où domine le micro-parcellaire : les pièces de terre qui sont vendues par part ou en entier sont assez rares.

  • 46 Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello... », art. cité, p. 630. La documentation montre q (...)

26La dernière phase, plus délicate, doit aboutir à l’évaluation du patrimoine recensé. Elle exige un minimum de consensus de la collectivité pour aboutir ; pour cette raison, elle est placée sous la responsabilité des notaires qui, contrairement aux arpenteurs, sont le plus souvent membres de la collectivité civique. En fait, à l’exception notable du cadastre de Senigallia, l’arpenteur ne décide jamais des critères d’imposition. À Iesi, c’est le conseiller Lodovico di Battista Levi qui les a proposés ; il est lui-même un riche propriétaire et préside une commission qui surveille le travail de l’arpenteur avec deux autres citoyens de la commune qui appartiennent au même groupe des possédants fonciers46.

III. Des reflets de cultures et de compétences différentes

27L’intervention de l’arpenteur, homme de savoir et de référence, est décisive dans l’élaboration du document cadastral, même si les finalités de la procédure ne relèvent pas de sa décision. Il apporte à la réalisation du document la précision d’une connaissance géométrique qui garantit une représentation plus exacte de la propriété et du terroir. Mais il doit souvent partager les normes de ce savoir avec les responsables de l’évaluation fiscale, qui introduisent les critères d’une culture comptable. L’exactitude des relevés opérés par l’arpenteur devient une référence d’arbitrage, qui confère une dimension juridique à son intervention.

  • 47 Cf. Jean-Claude Maire Vigueur, « Communi e signorie in Umbria, Marche, Lazio », Storia d’Italia, so (...)

28Le recours à l’expertise de l’arpenteur, nous l’avons vu, n’est pas indispensable pour dresser une liste d’estime générale. Mais une mutation historique intervient au début du XIVe siècle dans les Marches et en Ombrie. À ce moment, les simples listes d’estimes disparaissent et les cadastres qui comportent un relevé mesuré des propriétés se généralisent. Les conditions historiques d’une telle mutation paraissent multiples. La cadastration coïncide avec la stabilisation, et quelquefois le triomphe des régimes du peuple dans les communes, la fin des affrontements avec les seigneurs de la terre. La propriété laïque passe alors en majorité aux mains des citadins, par la conjonction d’une accélération des transactions foncières au profit des détenteurs du numéraire, et de l’émigration rurale qui fait entrer de nombreux propriétaires de la terre dans la citoyenneté urbaine47.

  • 48 Voir, a contrario, pour Lucques, l’intervention du prof. Pinto, dans ce volume.

29Les arpenteurs eux-mêmes participent de cette culture urbaine et comptable des négociants et artisans qui gouvernent les communes. Mais leur savoir géométrique a été acquis aux écoles et non dans la pratique des offices ; il conjugue les éléments et les méthodes d’une connaissance systémique qui se manifeste dans deux modalités principales de leur intervention. Pour mesurer avec précision les propriétés agraires, il faut en fixer les confronts, repérer les limites sur le terrain – sans que soit pour autant jamais conservée, dans les Marches, la trace d’un relevé dessiné48 – et définir les unités de superficie à partir desquelles on peut procéder à l’évaluation.

  • 49 Giustiniano degli Azzi, Gli statuti di Perugia dell’anno MCCCXLII. Corpus Satutorum Italicorum, Rom (...)
  • 50 Ibid., p. 413 : « gle savie huomene a quiste cose alette e mandate per lo comuno... »
  • 51 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., p. 27 (1531) : « Dictus liber (appassus) expedi (...)

30La parenté entre le relevé d’arpentage et les opérations officielles de bornage des territoires apparaît à l’évidence dans les statuts de Pérouse en 1342 : le chapitre XV décrit avec force détails les bornages des propriétés publiques de la commune, notamment en direction du Val di Chiusi. En pareil cas, presque systématiquement, l’arpenteur s’efface totalement derrière le magistrat chargé de la gestion des biens communaux. On a cependant peine à imaginer que le Capitaine du Peuple Giuliano dell’Ugone ait pu procéder lui-même au relevé dont les opérations sont décrites en termes absolument transposables à une cadastration49. On peut présumer, sans grand risque de se tromper, que les « hommes sages à qui ces choses ont été ordonnées et préparées par la commune »50 qui accompagnent le Capitaine du Peuple dans ces opérations, sont des arpenteurs. Deux siècles plus tard, pour décrire le processus d’enregistrement cadastral, la commune de Fano se réfère à « l’ancienne tradition décrite par le livre des confins »51. Tout semble indiquer que, dans les régions ici étudiées, la pratique de bornage des territoires communaux, qui devait s’entourer de grandes précautions de procédure et de localisation, en raison des conflits qu’il s’agissait de résoudre, servit de terrain d’expérimentation et d’application pour la connaissance géométrique dont les arpenteurs étaient dépositaires. Les autorités communales semblent s’être lancées dans l’opération beaucoup plus vaste et systématique des délimitations de toutes les propriétés à partir du moment où elles maîtrisèrent parfaitement la procédure de reconnaissance sur le terrain.

  • 52 Ibid., p. 10-11 : « Die martis XVIII martii appassate fuerunt predicte possessiones per Cagnum de S (...)
  • 53 Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello... », art. cité. Cette procédure est également uti (...)
  • 54 Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà… », art. cité, p. 41. Ces deux citoyens sont (...)

31La plupart du temps, l’arpenteur recense les parcelles lors d’une tournée qui a une double et identique valeur de vérification et de probation : presque toujours, des habitants de la commune l’accompagnent quotidiennement pour identifier les propriétés. Le relevé est un travail d’équipe qui associe expert étranger et citoyens. À Fano, le cadastre de 1348 porte en préambule le nom de deux citoyens désignés comme assignatores, c’est-à-dire « ceux qui attribuent », identifient le propriétaire d’un bien ; ils sont associés à l’appassator, l’homme qui mesure par la méthode des pas52. La même procédure est attestée à Iesi en 147253, et à Senigallia, deux hommes accompagnent l’arpenteur Michelangelo da mastro Ugolino et ses trois aides54.

32Le savoir géométrique triomphe d’autre part dans l’utilisation des mesures agraires complexes, qui ne sont pas d’un usage courant. Les propriétaires, lorsqu’ils déclaraient les mutations intervenues, se référaient en général aux unités les plus répandues, fondées sur des mesures de rendement, comme le muid (moggio) ou le setier (sestaio). Ces unités sont d’un usage systématique dans la série des cadastres de Macerata, mais également à Camerino et Tolentino.

  • 55 Voir les études citées d’Elisabetta Insabato, Angela Maria Girelli, Sergio Anselmi.
  • 56 Pour Iesi, cf. Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello... », art. cité. À Fano, la canne d (...)
  • 57 La canne carrée équivaut à une superficie de 16,02 m2 à Iesi, selon Elisabetta Insabato, 23,07 m2 à (...)

33En revanche, les unités de mesures utilisées dans les grandes révisions cadastrales ordonnées par les seigneuries princières du nord des Marches sont plus complexes : les cannes carrées utilisées à Fano, Iesi, Senigallia, les coupes (coppa) ou libra également utilisées à Senigallia, sont des mesures agraires obtenues à partir d’un relevé méticuleux des dimensions de chaque parcelle. Pour obtenir une telle précision, la procédure de mesure au pas (ad passum) ne suffit pas ; il faut recourir à des instruments de mesure, ce qui allonge encore la durée du relevé55. L’utilisation de ces unités ne révèle pas seulement leur usage coutumier dans le territoire cadastré. Elle procède, bien au contraire, d’une réflexion a priori, à laquelle ont collaboré les experts de la mesure et les responsables communaux de la fiscalité. On observe en effet que, bien que ces unités de superficies ne constituent pas un système de mesures entre lesquelles existent des proportions simples à définir, elles sont combinées avec des paramètres d’évaluation des cultures, dans le but d’obtenir un barème qui propose des rapports simples d’estimation. À Iesi, une canne carrée de vigne vaut trois cannes carrées d’olivaie ou de prés, six cannes carrées de jardins ou de champs. À Fano, où le terroir, plus étendu, offre une variété supérieure de rendements, la valeur de la canne carrée de vigne vaut, selon les propriétés, de 2 à 2,5 fois la canne carrée de terre cultivée56. À Senigallia, où le type de culture n’est pas pris en compte, le système d’évaluation repose également sur des proportions simples : la canne carrée vaut 1 denier ; 20 cannes sont évaluées à un sou et 400 cannes à une livre ou 20 sous. Ce tarif établit une proportionnalité dégressive pour des superficies comprises entre 1 et 20 cannes carrées, progressive ensuite : il reflète donc la volonté de favoriser fiscalement la catégorie des petits et moyens propriétaires urbains possédant au moins 5 ares, et surtaxe les microfundi57.

  • 58 Dans les sources que nous avons utilisées pour cette étude, seul le cadastre de Tolentino est levé (...)
  • 59 Les données dont on dispose sur la durée de réalisation des cadastres sont rares. Il a fallu trois (...)
  • 60 Voir Francesco di Balduccio Pegolotti, La pratica della Mercatura, éd. A. Evans, Cambridge, 1936 ; (...)

34Dans la partie septentrionale des Marches, et peut-être à partir de l’influence des pratiques émiliano-romagnoles, les arpenteurs ont, par leur culture, introduit un degré supplémentaire de rationalité abstraite dans la mesure de l’espace. Toutefois, ils ne peuvent atteindre seuls à ce degré de perizia, et ce pour plusieurs raisons. Les exemples cités montrent que les unités choisies pour dresser l’état des propriétés ne sont jamais retenues pour elles-mêmes, mais aussi en fonction du résultat comptable qui est attendu : la projection de l’estimation, affaire des officiers de finance, influence la procédure du relevé. D’autre part, les arpenteurs ne sont pas des ressortissants de la commune58 ; ils doivent être capables de lever les mesures de la propriété avec des unités qui ne leur sont pas familières et qui – les exemples précédents le prouvent – peuvent varier du simple au double sous la même dénomination, dans des territoires proches les uns des autres. A contrario, la capacité démontrée par les équipes itinérantes d’arpenteurs à maîtriser des systèmes de mesures différents confirme leur compétence. Ils passaient systématiquement dans des communes dont ils n’étaient pas originaires, mais ne pouvaient y revenir fréquemment : une enquête d’arpentage cadastral pouvait durer de six mois à trois ans59. Au cours de leurs tournées dans la province, ils acquéraient un savoir qui n’était pas second par rapport à la connaissance des prix et des monnaies étrangères que maniaient les marchands60.

35Manieur des mesures géométriques, l’arpenteur étranger à la commune qu’il inspecte ne peut posséder une connaissance intime du terroir et de sa disposition. C’est peut-être un facteur de la rareté des représentations figurées. La perception du paysage demeure en effet tributaire d’un certain nombre de repères physiques et de divisions d’usage qui évoluent très peu et qui l’emportent sur une projection planimétrique de l’espace. Guidés par les propriétaires de la commune, les arpenteurs localisaient ainsi les terres par contracte et, à l’intérieur de ces subdivisions territoriales, par noyaux ou unités d’habitats : castelli, ville, plus rarement parrochia. Leur intervention aboutit par conséquent rarement à une réappropriation de l’espace distribué selon des critères distincts des localisations topographiques traditionnelles.

  • 61 Pour Macerata, voir Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 375-377. Pour Camerino (...)

36Lorsque le cadastre fait apparaître une redéfinition plus rationnelle de l’espace, celle-ci résulte obligatoirement d’une collaboration plus étroite entre arpenteurs et spécialistes fiscaux, qui accentue en définitive la prépondérance de ces derniers. L’exemple des territoires des Marches centrales, à Macerata ou Camerino, le confirme. Tandis que les spécialistes des mesures ne parviennent pas à modifier l’usage traditionnel des unités agraires commodes pour les propriétaires, le territoire est redécoupé en zones dissociées du réseau d’habitats : c’est le système des senaytas. Dans ces communes, le territoire est divisé en plusieurs zones (cinq à Macerata) ; à l’intérieur de chacune d’elles, la valeur de l’unité de terrain est sensiblement égale, et dans un rapport de rapide décroissance de l’une à l’autre. Aucun texte ne mentionne des bornes délimitant ces zones ; elles sont bien l’expression d’une reconstruction fiscale et théorique de l’espace cultivé et habité, fondée sur des critères de distance à l’habitat, d’accessibilité et de qualité du terrain. Dans les cadastres maceratais, la superposition des localisations toponymiques (que les arpenteurs continuent d’utiliser comme repères) et des senaytas traduit la confrontation des deux savoirs et des deux perspectives. À Camerino, en 1424, les statuts confirment, en mentionnant l’existence de senaytatores seu extimatores recrutés parmi les citoyens de la commune61, la prééminence de l’oligarchie locale dans les choix des critères fiscaux. À Camerino, la réorganisation du territoire, plus tardive qu’à Macerata, modifie complètement l’assiette fiscale traditionnelle qui reposait sur des distinctions de relief du terrain.

  • 62 Michelangelo de Maestro Ugolino de Serra S. Quirico, magister mensurator, est entouré de Benedetto (...)
  • 63 Ainsi, les Riformanze de Iesi du 13 janvier 1472 stipulent : « Confalones et priores debeant eliger (...)
  • 64 Les équipes étaient différentes pour chaque quartier, mais avec des origines géographiques semblabl (...)
  • 65 Voir le préambule du registre du quartier Saint-Jean de Macerata dans le cadastre de 1268 : « Hoc e (...)

37Les choix des unités de mesure et de découpage territorial à valeur fiscale sont sources de conflits avec les propriétaires. L’arpenteur, seul ou en équipe, peut jouer un rôle d’arbitre entre ceux-ci et les autorités urbaines. C’est la raison pour laquelle, presque systématiquement, les arpenteurs recrutés par les communes des Marches étaient des forains. Ainsi, ils étaient censés échapper à toute pression ou forme de patronage de la part de tel propriétaire du lieu. Néanmoins, on préfère agir avec des hommes connus, au sujet desquels on peut s’informer a priori. Leur recrutement se fait le plus souvent dans des communes proches, avec lesquelles les autorités locales sont en relations fréquentes : Macerata fait intervenir en 1268 des arpenteurs d’Osimo et Recanati, et de San Severino en 1360 ; Ascoli fait appel à des équipes de Sarnano, Fano à des ombriens de Spello – un peu plus lointains –, tandis qu’à Senigallia intervient un géomètre de Serra San Quirico ; il prend comme assistants des hommes résidents sur le territoire de la commune mais qui sont tous identifiés comme d’origine étrangère62. Dans l’ordre de la fiscalité, sa fonction est comparable à celle du podestat dans le domaine de la justice. Deux faits renforcent encore ce rapprochement : comme les podestats, les « maîtres mesureurs » qui agissent rarement seuls, même si certains statuts prévoient une telle possibilité,63 constituent autour d’eux une équipe soudée, de gens proches par leur origine, avec qui ils ont l’habitude de travailler. A Ascoli, la cadastration fut réalisée par six arpenteurs, tous d’origine ombrienne, qui furent sans doute recrutés par le chancelier d’Ascoli, messer Nicolao de Pérouse, chargé de superviser en personne le relevé64. À Macerata, les arpenteurs demeurent indépendants à l’égard des prieurs de la commune : ils forment une équipe avec leurs propres notaires et sont directement rattachés à l’autorité du podestat et de son juge adjoint, comme s’ils faisaient partie de sa suite65.

  • 66 Lodovico Zdekauer et Pietro Sella (éd.), Statuti di Ascoli…, op. cit., Livre I, rubr. 37, p. 252- 2 (...)
  • 67 AC Tolentino, n° 1081, fol. 62 r° : « Hic est liber sive catastus quarterii S. Iohannis. Et scriptu (...)

38Le souci de neutralité dans l’évaluation des biens est quelquefois poussé plus loin et introduit des procédures de contrôle réciproque, surtout dans les plus grandes communes. Les statuts d’Ascoli prévoient que l’enquête des arpenteurs forains, marchésans et ombriens, sera à son tour contrôlée par un notaire, lui-même non ressortissant de la cité, et que l’estimation des biens sera ensuite mise à jour par un autre officier forain : « Nous ordonnons que dans la cité d’Ascoli il y ait un officier lettré, expert et prudent, que l’on appelle "exécuteur", dont l’office dure seulement six mois. Et ledit officier doit être ecclésiastique, et issu de la terre ecclésiastique, à une distance d’au moins trente milles de la cité d’Ascoli, qu’il soit homme catholique et dévot de la Sainte Eglise Romaine »66. Bref, le portrait idéal d’un clerc guelfe, recruté dans les états pontificaux, assez éloigné de la ville par ses fonctions pour n’y avoir pas en principe, d’attaches fortes. On pense avoir peut-être affaire à un collecteur, mais nous avons déjà vu que sa fonction comporte l’obligation de faire inscrire les possessions dans le cadastre. Et même lorsque, par exception, la commune de Tolentino fait appel à un arpenteur local, maître Antonello Catervi, pour établir le cadastre du XVe siècle, celui-ci confie la rédaction du registre à un notaire venu de Mogliano67. À Camerino également, les « extimatores » sont systématiquement accompagnés de notaires chargés de transcrire les délimitations et estimations proposées.

39Cette recherche de la neutralité foraine ne doit pas faire illusion : ce qui est demandé aux experts, c’est de fournir avec rigueur et précision des bases pour le calcul d’une évaluation des biens dont ils ne définissent pas eux-mêmes les règles. Au point de départ de la constitution du cadastre, nous trouvons toujours une décision des oligarchies communales, celles-là mêmes qui représentent les propriétaires qui acceptent de se soumettre à l’enregistrement. Lorsque le Conseil de la commune décide de faire rédiger les registres cadastraux, comme à Osimo, il définit en même temps les principes de discrimination dans la valeur des terres. Ainsi, à Camerino, donner une valeur différente à la superficie de terre selon qu’elle est localisée « in monte », « in valle » ou « in villa », c’est introduire un critère d’évaluation du point de vue du propriétaire, qui n’en tirera ni le même revenu, ni le même prix de vente ; ce n’est pas un critère de mesure de spécialiste.

40Conclure ces observations, c’est d’abord rappeler que de nombreuses questions demeurent ouvertes ; elles appellent des études complémentaires et comparatives pour vérifier des remarques, que nous formulons, dans certains cas, comme hypothèses d’interprétation. Les sources ne nous ont guère renseigné sur l’identité, l’origine sociale des protagonistes : le rapport entre les hommes de mesure et les estimateurs, au sein des réseaux de sociabilité, reste à préciser et à affirmer. Même forains, les arpenteurs ne sont pas à ce point étrangers que l’on puisse imaginer l’absence totale de lien préalable avec les autorités qui font appel à eux. La cadastration étant une manifestation de pouvoir fiscal, mais aussi juridique, l’opération est toujours placée sous le contrôle des magistrats communaux ou du prince, autorités qui appartiennent souvent au groupe des propriétaires ou sont proches de leurs intérêts et connaissent d’avance les limites d’imposition acceptables.

41Les « coutumes » ou habitudes administratives qui justifieraient les différences observables entre les registres cadastraux, par « familles » régionales nous paraissent un facteur explicatif moins probant que les objectifs fonctionnels poursuivis. Nous avons tenté d’en distinguer trois types principaux, qui vont de la simple liste d’estime à la constitution d’un bureau cadastral contrôlé par les notaires communaux capables de suivre en continu l’évolution de la propriété, en passant par l’enquête générale et attentive de révision cadastrale. Le degré d’intervention des hommes de l’art, en équipes plus ou moins nombreuses, introduit aussi des différences et met en évidence, notamment dans le nord de la province, une série de cadastres reposant sur le calcul d’unités de superficie plus finement modulées. Ces évolutions perceptibles semblent de surcroît rendre compte d’une évolution chronologique : les simples « estimes » datent toutes du XIIIe siècle, tandis que les matrices cadastrales apparaissent dans la seconde moitié du XIVe siècle et se généralisent au XVe. S’agit-il d’une spécificité proprement marchésane, ou peut-on les observer dans d’autres contrées ? Seule la multiplication des études permettra d’y répondre.

Notes

1 Élisabeth Carpentier, Orvieto à la fin du XIIIe siècle : ville et campagne dans le cadastre de 1292, Paris, Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1986, 321 p. ; p. 289. Ces qualificatifs étaient déjà énoncés dans l’introduction, p. 12.

2 Christiane Klapisch-Zuber, « Le catasto florentin et le modèle européen du mariage et de la famille », dans Jean-Louis Biget, Jean-Claude Hervé et Yvon Thébert (éd.), Les Cadastres anciens des villes et leur traitement par l’informatique, Actes de la table ronde organisée par le Centre d’histoire urbaine de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Rome, École française de Rome, 1989, p. 21.

3 Rappelons ainsi, à la suite d’Élisabeth Carpentier elle-même, que le cadastre d’Orvieto qu’elle considère comme « partial, partiel, statique et simplifié » était qualifié dans la première moitié du XVe siècle de « général et somptueux » par le chroniqueur Luca di Domenico Manenti (RIS, t. XV, 5-1, p. 322-324). (Élisabeth Carpentier, Orvieto à la fin du XIIIe siècle..., op. cit., p. 11).

4 Philippe Jansen, « Statuer et amender. Rédaction et promulgation des statuts et de leurs riformanze dans les communes des Marches aux XIVe-XVe siècle », « Faire bans, edictz et statuz ». Légiférer dans la ville médiévale. Sources, objets et acteurs de l’activité législative communale en occident, ca. 1200-1550, Actes du colloque international de Bruxelles, 17-20 novembre 1999, sous la dir. de Jean-Marie Cauchies et Eric Bousmar, Bruxelles, 2001, p. 461-487.

5 Archivio storico comunale Tolentino, reg. 1081 et 1082.

6 Cf. Prospero Varese et Giuseppe Angelini Rota, Il catasto ascolano del 1381, extrait des Atti e Memorie della Deputazione di Storia Patria per le Marche (désormais : AMM), série VI, vol, II, 107 p., s. d.

7 Archivio Priorale di Macerata (désormais APM), à l’Archivio di Stato, Catasti nos 469 à 471 (1268) ; 474 (1360), 475-477 (1481), 478 (1560). Le plus ancien cadastre, de 1268, analysé par Raffaele Foglietti (Il catasto di Macerata dell’anno 1268, Macerata, 1881, 39 p.) a été étudié par Etnilia Saracco-Previdi, « Per unaricerca sulla situazione economica e sociale di un catasto dell’anno 1268 » et « I possessi immobiliari da un catasto Maceratese del 1268 », dans Convivere nella Marchia durante il Medioevo, indagini e spunti di ricerca, Ancone, Depart, di Stor. patria 1986, p. 57-77 et 81-97. Nous avons consacré un chapitre de notre thèse à l’étude du cadastre de 1360 (daté par erreur de 1374 dans l’inventaire des archives) qui avait été présenté par Luigi Colini-Baldeschi en annexe de son étude « Vita pubblica e privata nel Maceratese nel duecento e trecento », AMM, VI, 1903, p. 262-269 : Philippe Jansen, Démographie et société dans les Marches à la fin du Moyen Age, Macerata aux XIVe et XVe siècles, Rome, École française de Rome, 2001, 756 p. ; p. 363-424. Aucune étude n’a été publiée à ce jour au sujet du cadastre de 1481, tandis que celui de 1560 a été minutieusement analysé, du point de vue de sa composition, par Guiscardo Moschetti, Il catasto di Macerata dell’anno 1560 e la bolla « Ubique Terrarum » di Paolo IV del 18 maggio 1557 : contributo metodologico storico-giuridico sulla formazione del catasto e sulle complesse vicende di un ’imposta pontificia nello stato della Chiesa, Naples, 1978, 427 p.

8 Réf. dans Collezione di documenti storici antichi inediti ed editi rari delle città e terre marchigiane, sous la dir. de Carlo Ciavarini, t. II, Ancône, 1882, p. LVII.

9 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano del XIII al XVIII secolo, Vérone, 1971, 98 p., p. 12-21.

10 Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello : 1471 e 1568 », Nelle Marche centrait. Territorio, economia, società tra Medioevo e Novecento : l’area iesino-misena, sous la dir. de Sergio Anselmi, Iesi, 1979, p. 629-685.

11 Sur Fano et Iesi, voir les études citées aux notes précédentes ; en revanche, le cadastre contemporain de Senigallia ne mentionne que les superficies : cf. Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà nel ducato Roveresco : la catastazione del 1489-1490 », Quaderni Storici, XXVIII, 1975, p. 37-86. Au XVIe siècle, le type de culture apparaît dans des cadastres confectionnés plus au sud, à Macerata en 1560 (Guiscardo Moschetti, Il catasto di Macerata…, op. cit., p. 61-63) et à Tolentino en 1570 (Augusta Palombarini, « Proprietà e colture a Tolentino tra 1570 e 1603 », Scritti storici in memoria di Anzo Piscitelli, sous la dir. de Renzo Paci, Padoue, 1982, p. 158-200).

12 Cf. Emila Saracco-Previdi, « L’organizzazione dell’entroterra marchigiano da estimi della metà del secolo XIII a quelli del XV : comuni e territorio », Convivere nella Marchia durante il Medioevo…, op. cit., p. 191-203 (p. 195).

13 Pour une représentation succincte de cet ensemble de sources fiscales, Giovanni Cherubini, « La Tavola delle possessioni de la commune de Sienne », dans Les cadastres anciens des villes..., op. cit., p. 7-19.

14 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano..., op. cit., appendice, p. 58-68. Les registres de ce travail préliminaire portent les cotes 6, 7, 16, 23, 24, 30, 32, 38,48, 52, 58, 59, 60, 61, 63.

15 Emilia Saracco-Previdi, « L’organizzazione dell’entroterra marchigiano… », art. cité, p. 194- 195 ; les cinq fragments de cadastres sont parfois eux-mêmes constitués par la réunion de plusieurs cahiers différents, chacun d’eux enregistrant la propriété d’un castrum différent (Archivio di Stato di Camerino, V 8, Frammenti di Appretia ; en revanche, le cadastre de 118 fol., vers 1283, est inventorié Ibid., Fondo Catasti, 1).

16 Le fragment du cadastre de Fano datant de la deuxième moitié du XIIIe siècle mesure 53 x 40,5 cm (Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., p. 8) ; le premier cadastre de Macerata, de 1268, est collationné sur 4 registres d’identique format (environ 30 x 25 cm) ; le second, de 1360 environ, subsiste dans un registre de 45,5 x 35 cm. Les 9 registres en parchemin du grand cadastre ascolan, qui ont conservé leurs reliures de bois, mesurent environ 50 x 35 cm. Le grand cadastre de Senigallia de 1489-1490 est transcrit sur un registre papier de 49 x 29 cm. Le même matériau est utilisé pour le cadastre maceratais de 1481, dont le format est sensiblement identique à celui des registres de délibérations du conseil communal (29 x 22 cm). Ces larges feuillets favorisent une mise en page aérée, avec un texte sur une colonne. Ils se distinguent de l’usage ombrien, qui recourt à des cahiers hauts et étroits (52 x 28 cm à Orvieto : Élisabeth Carpentier, Orvieto à la fin du XIIIe siècle..., op. cit., p. 15). Seuls les registres de Fermo se rapprochent de ce format (30 x 10 cm), mais il s’agit peut-être ici des relevés d’arpenteurs, transportables.

17 Dans le cadastre de Macerata, en 1360, le module des minuscules est en général de 2 mm de haut ; l’encre est grasse et appuyée ; les lignes sont séparées par un écart moyen de 5 mm. Le souci de clarté et de présentation n’est pas moindre dans le plus ancien cadastre de Fano, qui utilise une minuscule de chancellerie parfaitement régulière, appuyée sur un tracé de lignes très visible (Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., fig. 1).

18 Mais dans le cadastre de San Marcello en 1471-1472, chaque nom de propriétaire est inscrit en lettres imitant les capitales de chancelleries (Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello : 1471 e 1568 », art. cité, ill. p. 680).

19 Indication de l’estime à la fin de la ligne dans les cadastres de Fano du XIIe siècle, d’Ascoli, Macerata 1268 et 1360 ; le cadastre de Sorbolongo en 1348 (Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., fig. 2), ou celui de Macerata en 1481 placent l’estimation dans la marge droite, après une accolade ; ce système se généralise à la fin du XVe siècle. L’estimation est alors toujours portée par la même main que la description du bien.

20 Le cadastre de Macerata de 1360 porte la trace d’au moins dix mains différentes, dont les interventions s’échelonnent, d’après le relevé des dates marginales, jusqu’en 1434 : Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 364-368.

21 Sergio Anselmi, propos introductif du séminaire « Fonti censuarie locali europee nei secoli XII-XV : catasti, estimi, imposizioni, fuochi », organisé par l’Università degli Studi della Repubblica di San Marino, 13-14 décembre 1993 (inédit).

22 Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 368-370.

23 Voir Prospero Varese et Giuseppe Angelini Rota, Il catasto ascolano..., op. cit., p. 5-8 et Lodovico Zdekauer et Pietro Sella (éd.), Statuti di Ascoli-Piceno dell’anno MCCCLXXVII, Fonti per la Storia d’Italia, 47, Rome, 1910. Les rubriques qui prévoient, de façon très détaillée, la rédaction d’un nouveau cadastre sont au livre I, chap. 37,44, 46 à 50.

24 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., p. 13, et Elisabetta Insabato, qui souligne la parenté entre cette décision et les objectifs de la cadastration roveresque à Senigallia vingt ans plus tard.

25 Statuti di Perugia dell’ano MCCCXLII, éd. Giustiniano degli Azzi, Corpus Statutorum Italicorum, 2 vol., Rome, 1913 et 1916. Sur l’enregistrement des biens des propriétaires, Livre II, rubr. 73 (t. I, p. 396-398) ; Livre III, rubr. 188, t. II, p. 213 : « En alcuno castello overo villa del contado de Perosia non possa essere alcuno vicario, né alcun altro offitiale de quingnunque nome sia mentionato, el quale non sia allibrato en lo catasto de glie citadine overo contadine de Peroscia ».

26 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423), Fiastra (1436), Serrapetrona (1473), Camporotondo (1475), Macerata, 1971. Statuts de Fiastra, Livre I, rubr. 12, p. 128-129 : « Et nullus possit eligi vel vocari in consilarium credentie vel scindicum generalem qui non respondeat in comuni in omnibus obsequiiis realibus et personalibus et pro integro fumante et non habeat bona sua extimata in catasto dicti communis ad minus in quantitate C solidorum. ; statuts de Camporotondo, livre I, rubr. 10, p. 462.

27 Statuti di Perugia dell’ano MCCCXLII, op. cit., t. II, p. 413-424.

28 Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà… », art. cité, p. 38-39. L’auteur rappelait lui-même l’objection de son contradicteur Renato Zangheri, qui doutait de la rigueur de l’opération cadastrale, rendant impossible une telle planification foncière ; que les moyens techniques et les méthodes n’aient pas été à la hauteur du résultat escompté n’enlève rien, à notre avis, à l’intention manifestement régulatrice de certaines de ces cadastrerions.

29 Fabrizio Ciaparoni, Statuta comunis et populi civitatis Camerini (1424), Pubbl. della Facoltà di Giurisprudenza dell’Università di Camerino, Camerino, 1977, notamment Livre I, rubr. 143, p. 43 : « Quod omnes qui sunt appreciati in civitate teneantur continue habitare in ipsa civitate ». Plus loin, la rubr. 179, p. 53, précise que la levée des taxes directes et les obligations de défense de l’enceinte urbaine sont liées à l’inscription au cadastre de la ville ; mais l’obligation vaut seulement à partir du moment où la propriété urbaine est enregistrée au cadastre, et non pas dès l’entrée en possession du bien. Tant que la mise à jour n’est pas faite, comme pour un vrai rôle fiscal, le contribuable continue à payer ses taxes au castrum de son précédent domicile.

30 Lodovico Zdekauer et Pietro Sella (éd.), Statuti di Ascoli…, op. cit., Livre I, rubr. 37, p. 252- 53 : « ... Lu quale executore sia tenuto et debia scotere et fare scotere tucte colte… et fare ponere le case e l’al tri possexiune in ne lu extemo overo catasto de quilo que poscede et levare de l’exteme de colui che vende over aliena, overo de quillo che non poscede... »

31 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit. Statuts de Serrapetrona, Livre I, rubr. 27, p. 304 : « Statuimus et ordinamus quod quicumque emerit vel quocumque alio titulo acquisiverit aliquam possessionem debeat ipsam poni facere in appretio suo in otto dies post ipsam emptionem seu aquisitionem ».

32 APM Macerata, reg. 472, fol. 95 v°, note marginale de la rubr. Bernardus Particelle, dont l’enregistrement premier contenait cinq « lignes » ou parcelles différentes.

33 Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 367.

34 Les statuts de la commune de Macerata de 1342 (Livre III, rubr. 12, fol. 6) et 1432 (Livre III, rubr. 15, fol. 22 v°) précisent que les parties d’une transaction doivent faire déclaration de la mutation au notaire et faire rayer la possession du cadastre du vendeur pour l’inscrire à la propriété de l’acheteur ; chaque partie verse 2 deniers au notaire ; le tarif est relevé en 1432 à 2 sous pour chaque partie lors de la première transaction, 6 deniers pour les suivantes.

35 Par exemple pour la Libra de Pérouse en 1285 (Alberto Grohman (éd.), L ’imposizione diretta a Perugia, Rome, 1986, p. 153) : « Hic est liber commis Perusii scriptus per me Bovicellum notarium, in quo continetur omnes libre... » ; pour Tolentino au XVe siècle : « Hic est exemplum assorti et adpretii communis et hominum Tholentini… et summarum dicti adpretii scripti manu Venuti de Colmurano notarii », AC Tolentino, reg. 1082, fol. 148 r°.

36 A.S. Ascoli, Cod. Vol. I à III : chaque registre, correspondant à un quartier, a été rédigé par un notaire différent, tous originaires de Sarnano. Pour le registre I, le nom du notaire figure dès le 1er feuillet, immédiatement après la désignation du quartier ; la liste des arpenteurs figure seulement au fol. 2 v°, et ils sont explicitement placés sous l’autorité du chancelier communal (Prospero Varese et Giuseppe Angelini Rota, Il catasto ascolano..., op. cit., p. 5-21). Pour Tolentino, cadastre de 1462 (AC Tolentino, reg. 1081, fol. 62 v°) : « Hic est liber sive catastus quarterii S. Iohannis et scriptus manu mei Marini Iohannis Corradini de Castro Moliani comitatus civitatis Firmi et notarius, Magister Antonelli Catervi misurator communis terre Tolentini ».

37 Préambule de la Libra (Alberto Grohman, L ’imposizione diretta…, op. cit., p. 153) : « Hic est liber commuais Perusii scriptus per me Bovicellum notarium, in quo continetur omnes libres seu librarum adjustationes omnium hominum civitatis et burgiporte Sancte Susanne que sunt inferius per parrochias denotatii, secundum adjustationes factas per quinque bonos homines per quamlibet portam dicte civitatis, electos ad scrutinium per rectores artium... ».

38 Emilia Saracco-Previdi, « I possessi immobiliari da un catasto Maceratese del 1268 », Convivere nella Marchia durante il Medioevo…, op. cit., p. 82.

39 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit., p. 240 : Statuts de Fiastra, Livre IV, rub. 55 : De renovatione catasti communis.

40 Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà... », art. cité, p. 41-42. Le maître-arpenteur enquête avec trois aides professionnels et deux propriétaires désignés chaque jour.

41 Sur le rôle des architectes et ingénieurs dans l’entourage des princes, cf. notamment Patrick Boucheron, Le pouvoir de bàtir, urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècle), Rome, École française de Rome, 1998 et Pouvoir et édilité, les grands chantiers dans l’Italie communale et seigneuriale, sous la dir. d’Élisabeth Crouzet-Pavan, Rome, École française de Rome, 2003.

42 À Iesi, les conseillers font élire « unum appassatorem sufficientem et intelligentem qui habeat appassandum et mensurandum omnia terrena exina » (Riformanze, vol. VIII, fol. 71 r°, 13 janvier 1472, cité par Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello : 1471 e 1568 », art. cité, n. 40). Mais il doit être accompagné de deux citoyens sur le terrain. Pour Senigallia, voir Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà… », art. cité note 40.

43 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit., p. 240 : Statuts de Fiastra, Livre IV, rub. 55 : « unum bonum et expertume notarium… ad scribendum et in scriptis reducendum quantitate dictarum terrarum et possessionum et earum extimationes… duos bonos et idoneos massarios... ad extimandum et appretiandum terras et possessiones mensurandas per dictos agrimessores. »

44 Les registres de Fano (Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., p. 8-12), de Macerata (Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 364-370) ou de Camerino (Emilia Saracco-Previdi, L’organizzazione dell’entroterra marchigiana…, op. cit., p. 191-203) portent des additions marginales ou entre les rubriques ; elles ont été ajoutées à la rédaction primitive, pendant plusieurs années. Les statuts des communes rurales du contado de Camerino édités par Dante Cecchi (cf. note 26), prévoient explicitement la mise à jour obligatoire des mutations foncières par déclaration des propriétaires : « quod quicumque emerit vel quocumque alio titulo acquisiverit aliquam possessionem debeat ipsam poni facere in appretio suo in otto (sic) dies post ipsam emptionem… » (Statuts de Serrapetrona, livre I, rubr. 27, ibid. p. 304). Les statuts de Camporotondo justifient la désignation d’un nouveau syndic par la nécessité de réviser le cadastre, parce que de nombreux propriétaires ont omis de s’y inscrire depuis plusieurs années (Livre I, rubr. 16, ibid., p. 464-465). Le syndic sera responsable de l’inscription régulière des propriétaires (Livre I, rubr. 32, p. 491-492). À Ascoli, la rubrique XLVII des statuts qui, dès 1377, prévoyait la réalisation d’un nouveau cadastre, stipulait « che tucte possexiune beni e cose de li homini de la cipta d’Asculi et de lu soi distrecto de novo se externe, mesurese et renovese per li extimaturi forestieri » (Prospera Varese, Giuseppe Angelini Rita, Il catasto ascolano…, op. cit.).

45 Dante Cecchi, Gli Statuti di Sefro (1423)…, op. cit. Statuts de Serrapetrona, Livre I, rubr. 27, 30, et surtout 34 : « Quod libra extimi nostri communi perpetuo utilis conservetur » et 54 : « Quod liber statutorum communis Serre copietur et copiam et appretium et quaterni ipsius communis sedeant in volta ecclesie Sancti Clementis » (p. 305-322) ; Statuts de Camporotondo, Livre I, rubr. 16 : « De electione unius scindici generalis et de eius officio » et 20 : « De electione registrarorum », p. 464-468.

46 Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello... », art. cité, p. 630. La documentation montre que la procédure réellement mise en place ici en 1472 est conforme aux principes énoncés dans les statuts de Fiastra : lorsque l’arpenteur intervient, il reçoit les références de mesures et d’estimations qu’il appliquera à son relevé.

47 Cf. Jean-Claude Maire Vigueur, « Communi e signorie in Umbria, Marche, Lazio », Storia d’Italia, sous la dir. de Giuseppe Galasso, vol. VII, t. 2, Turin, 1987, p. 469-484.

48 Voir, a contrario, pour Lucques, l’intervention du prof. Pinto, dans ce volume.

49 Giustiniano degli Azzi, Gli statuti di Perugia dell’anno MCCCXLII. Corpus Satutorum Italicorum, Rome, 1916, t. II. Livre IV, rubr. 141, p. 413 : « Le divisions, termenatione, deffinitione, tavolatione, mensuratione e pilastratione fatte et ordenate ». À l’exception de l’installation systématique des bornes (pilastratione), on observe que le travail sur le terrain est également retranscrit sur des tablettes ou des cahiers, comme pour un recensement cadastral. Il est remarquable que la rubrique fasse expressément référence aux normes établies par le notaire Bovicello, ce qui renvoie probablement au rédacteur de la Libra de 1285.

50 Ibid., p. 413 : « gle savie huomene a quiste cose alette e mandate per lo comuno... »

51 Angela Maria Girelli, I catasti di Fano…, op. cit., p. 27 (1531) : « Dictus liber (appassus) expediatur et describatur iuxta morem antiquum in libro confinium descriptum ».

52 Ibid., p. 10-11 : « Die martis XVIII martii appassate fuerunt predicte possessiones per Cagnum de Spello Appassatore et assigntores fuerunt dictarum possessionum et huic diey Paulinus Zanis de contrada S. Marci Bagnarius et Gregorius Marcutii Ugolini ». Les citoyens étaient relevés chaque jour.

53 Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello... », art. cité. Cette procédure est également utilisée à Macerata en 1515. Cf. Guiscardo Moschetti, Il catasto di Macerata…, p. 13-18. Deux citoyens sont élus pour chaque quartier afin d’accompagner les arpenteurs. Aucune trace de ce cadastre n’est conservée.

54 Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà… », art. cité, p. 41. Ces deux citoyens sont renouvelés chaque jour.

55 Voir les études citées d’Elisabetta Insabato, Angela Maria Girelli, Sergio Anselmi.

56 Pour Iesi, cf. Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello... », art. cité. À Fano, la canne de terra culta est estimée entre 2 et 3,20 deniers, celle de vigne entre 4 et 8 deniers (Angela Maria Girelli, Icatasti di Fano…, op. cit., p. 21).

57 La canne carrée équivaut à une superficie de 16,02 m2 à Iesi, selon Elisabetta Insabato, 23,07 m2 à Fano d’après Angela Maria Girelli et 31,20 m2 à Senigallia d’après les équivalences données par Sergio Anselmi, « Insediamenti, Agricoltura, Proprietà... », art. cité. p. 41.

58 Dans les sources que nous avons utilisées pour cette étude, seul le cadastre de Tolentino est levé par un arpenteur originaire de la commune.

59 Les données dont on dispose sur la durée de réalisation des cadastres sont rares. Il a fallu trois ans à Ascoli pour passer de la décision de lever le cadastre à sa réalisation en 1381 (cf. Prospero Varese et Giuseppe Angelini Rota, Il catasto ascolano…, op. cit.). À Macerata, un magister mensurator de San Severino est payé en 1365 « pour deux jours de travail avec son roncin », ce qui peut être mis en relation avec des vérifications relatives au cadastre commencé en 1360 (Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 369). À Senigallia, l’ensemble de la procédure dure 18 mois, de mars 1489 à fin août 1490. L’étude minutieuse de G. Moschetti sur le cadastre maceratais du XVIe siècle montre que l’opération a duré environ 10 mois, entre le 21 novembre 1568 et septembre 1569 (Guiscardo Moschetti, Il catasto di Macerata…, op. cit, p. 253-256).

60 Voir Francesco di Balduccio Pegolotti, La pratica della Mercatura, éd. A. Evans, Cambridge, 1936 ; Antonio da Uzzano, Pratica della Mercatura (1442), éd. G. F. Pagnini, Della Decima e delle altre gravezze imposte dal comune di Firenze, della moneta e della mercatura dei Fiorentini fino al secolo XVI, Florence-Lucques, 1766.

61 Pour Macerata, voir Philippe Jansen, Démographie et société..., op. cit., p. 375-377. Pour Camerino, cf. F. Ciapparoni, Statuta communis et populi civitatis Camerini (1424), Camerino, 1977 ; Livre I, rubr. 141, p. 31-33 : « quod sint novem estimatores communis scilicet de qualibet contratta sive terzerio tres… qui quidem synaitatores seu extimatores exerceant officium… quod ad petitionem cuiuslibet teneantur ire ad senaytas et terminationes facientes… »

62 Michelangelo de Maestro Ugolino de Serra S. Quirico, magister mensurator, est entouré de Benedetto de Pergola, habitant de Macerata, Giacomo de Clemente de Retorsio et Tommaso de Castro Canche. Cf. Sergio Anselmi, « Insedian menti... » art-cité p. 4055.

63 Ainsi, les Riformanze de Iesi du 13 janvier 1472 stipulent : « Confalones et priores debeant eligere et deputare unum appassatorem bonum et sufficientem et intelligentem… » (Riformanze, vol. VIII, fol. 74 v°). La formule évoque une vérification des capacités professionnelles et une sélection possible. Il n’est pas question ici de désigner des représentants de la commune pour accomplir le travail à côté de l’arpenteur. Elisabetta Insabato, « I catasti di San Marcello... », art. cité, p. 630.

64 Les équipes étaient différentes pour chaque quartier, mais avec des origines géographiques semblables : pour le quartier de S. Emidio, il s’agit de Maestro Beninteso Cola di mastro Benencase, Paoluccio Angelelli de Foligno, Valentino Massi d’Assise, Matteo di mastro Guillelmuccio d’Amandola.

65 Voir le préambule du registre du quartier Saint-Jean de Macerata dans le cadastre de 1268 : « Hoc est appretium Castri Macerate de quarto Sanci lohannis, factum per mensuratores Auximi et Racanati et per notarium dictarum terrarum, tempore potestarie nobilis viri domini Huguiccionis domini Martini de Fano potestatis dicti Castri nec non domini lohannis de Sancto Andrea iudicis et vicarii dicte terre Macerate... » AP Macerata, Catasto n° 470 ; cité par E. Saracco-Previdi, dans Convivere nella Marchia durante il Medioevo…, op. cit., p. 82.

66 Lodovico Zdekauer et Pietro Sella (éd.), Statuti di Ascoli…, op. cit., Livre I, rubr. 37, p. 252- 253 : « ordinemo che ne la ciptà d’Ascoli sia ed essere debia uno officiale licterato, experto et prudente, lu quale se chiama exequutore, lu cui officio dura per sei mesi tanto. Et lu dicto officiale sia ecclesiastico et de la terra ecclesiastica la quale sia distante de la ciptà d ’Ascoli per spatio de trenta miglia et sia homo captolico et devoto de la Sancta Romana Ecclesia ».

67 AC Tolentino, n° 1081, fol. 62 r° : « Hic est liber sive catastus quarterii S. Iohannis. Et scriptus manu mei Marini Iohannis Corradini de Castro Moliani comitatus civitatis Firmi et notarius Magistri Antonelli Catervi misurator communis terre Tholentini ». Mogliano est distant de Tolentino de 20 km environ.

Auteur

Ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé d’histoire, est professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Nice-Sophia Antipolis et membre de l’UMR 6130, Centre d’étude de la préhistoire, de l’antiquité et du Moyen Âge. L’Italie médiévale est son domaine principal de recherche. Après avoir étudié les expressions de la sainteté dans les Marches aux XIIIe et XIVe siècles, dans une thèse de 3e cycle soutenue en 1982 à l’Université de Paris-I, il a abordé l’étude de la société urbaine et les phénomènes d’organisation communale dans cette province des Marches qui appartenait aux États de l’Église. L’habilitation à diriger les recherches, soutenue en 1996 sous la direction du professeur Pierre Toubert à l’Université de Paris I, a été publiée en 2001 dans la Collection de l’École française de Rome sous le titre Démographie et Société dans les Marches à la fin du Moyen Âge : Macerata aux XIVe et XVe siècles. Il a consacré à cette région d’Italie une vingtaine d’articles et contributions scientifiques, consacrés aux élites urbaines et aux relations entre les communes et l’État, à travers les statuts et la fiscalité. À partir de l’observation sur les particularités d’une province dépourvue de grande commune, il anime depuis 1999 un groupe de recherche sur les petites villes au Moyen Âge, et a organisé à Nice deux rencontres scientifiques sur ce sujet, en 2001 et 2004 (édition des actes en préparation).

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