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Les faiseurs de notes

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Aurélien Gras

Préface

Sylvie Granger

Texte intégral

1Est-il bien convenable de commencer une préface par un souvenir personnel ? On me le pardonnera, tant ce souvenir est révélateur sur l’auteur de l’ouvrage que vous tenez entre vos mains.

2Octobre 2011. Avec un collègue Muséfrem (programme de recherche sur les Musiques d’Église en France à l’époque moderne), je « descends » à Avignon travailler une semaine aux Archives départementales du Vaucluse. Notre mission consiste à récolter le plus possible de données sur les musiciens d’Église en activité autour de 1790. Arriver pour la première fois de sa vie aux archives du Vaucluse, c’est un choc, surtout quand on vient du nord de la Loire. À deux pas de Notre-Dame-des-Doms, quelques marches, une porte étroite fendant l’épaisse muraille, un escalier encore, et l’on pénètre dans le saint des saints, au cœur du palais, au cœur de l’histoire. Les fenêtres géminées au bout des tables de travail donnent sur d’autres tours, d’autres murailles crénelées, une cour carrée ourlée d’un demi-cloître. Des touristes y pénètrent, lèvent le nez vers nous, photographient nos fenêtres sans nous voir. Quel privilège d’être assis là, à décrypter l’histoire là-même où elle a été vécue…

3Un Conservateur averti vient nous souhaiter la bienvenue. Il nous présente un jeune homme brun en pull bleu clair qui commence un master de recherche sous la direction de Stéphane Durand, à l’université d’Avignon, sur les musiciens – pas seulement d’Église – à Avignon au XVIIIesiècle. J’éprouve une des plus grandes joies de ma vie de chercheuse lorsque le jeune homme me dit : « Vous êtes Sylvie Granger ? C’est votre livre (Musiciens dans la ville, 1600-1850, Paris, Belin, 2002) qui m’a donné l’idée et l’envie de mon sujet de master. » Le lendemain, il m’apporte son exemplaire afin que je le lui dédicace. Dos cassé, angles arrondis, crayon à papier dans les marges, Post-it colorés marquant certaines pages… le livre porte toutes les marques de l’usage intensif qui en a déjà été fait. Aurélien Gras a aussi recopié à notre intention toute une série de cotes à voir aux archives départementales, et ses premiers relevés, qu’il partage généreusement. Ainsi, avant la Toussaint de sa première année de master, à un moment où la plupart des étudiants hésitent encore quant à la définition de leur sujet, Aurélien Gras non seulement voyait clairement les contours et les problématiques du sien, mais il avait déjà lu et digéré la bibliographie de base et dépouillé assez de documents d’archives pour dialoguer d’égal à égal avec des chercheurs censés être chevronnés. Je vois là la double marque de la passion (pour un sujet, une thématique, ces musiciens et musiciennes ordinaires du quotidien urbain d’autrefois) et de la méthode (organisation claire de la recherche et de ses résultats).

4Aurélien Gras avait déjà compris, en prime, que l’avenir de la recherche, c’est le partage, la mise en commun, le développement des enquêtes collaboratives et participatives : le savoir, comme la culture en général, peut se répandre à l’infini sans appauvrir en quoi que ce soit celui qui a choisi de le partager avec d’autres. Ainsi, dès la deuxième mise en ligne Muséfrem, au printemps 2015, Aurélien Gras publiait un chapitre de synthèse « Musique et musiciens d’Église dans le département du Vaucluse autour de 1790 », accompagné de plus de 80 notices biographiques inédites de musiciens. Il commençait alors son travail de thèse.

5Car le brillant début de 2011 s’est confirmé tout au long des années suivantes. En master 1, Aurélien Gras a comme prévu traité des musiciens d’Avignon. En master 2, il a élargi sa vision à l’ensemble des États pontificaux transalpins. Et, tout naturellement, il a poursuivi en doctorat, avec une thèse soutenue le 20 juin 2018 à l’université d’Avignon. Elle étudiait les musiciens de toutes catégories dans 15 villes de l’espace provençal et pontifical, judicieusement choisies pour décliner des profils et des échelles très diverses, de Marseille avec sa population qui croît de 65 000 à 110 000 personnes au cours du siècle, à Vence avec ses 2 100 habitants.

6Ce n’est pas cette thèse que vous tenez entre les mains. En effet, passer de la thèse au livre est encore un quatrième travail, qu’Aurélien Gras a pris le temps nécessaire pour mener à bien, avec les conseils éclairés de son éditeur, Guido Castelnuovo, directeur des Éditions Universitaires d’Avignon (EUA). La réécriture partielle a tenu compte des remarques du jury et de la distance – toujours saine pour prendre de la hauteur – que le temps passant a établie par rapport à la période fiévreuse de la rédaction initiale. Certaines parties ont été supprimées, d’autres, plus souvent, compactées. Le vocabulaire a été simplifié, précisé, clarifié pour faciliter l’accès à tous les lecteurs, toutes les lectrices. L’histoire des représentations a été réduite pour donner davantage de place à celle des pratiques professionnelles et de la sociologie du groupe concerné, plus concrète et plus parlante. On entre de plain-pied dans l’intimité de ces « faiseurs de notes » comme les appelle Aurélien Gras, en une volonté affirmée de les ancrer sur le terrain du quotidien, dans la réalité du « faire ». Les réseaux de relations des musiciens ainsi que leur mobilité dans l’espace et dans le temps sont particulièrement mis en valeur. Les circulations renseignent sur l’attractivité des centres urbains et dessinent une géographie régionale contrastée, avec ses villes pôles (Marseille et Aix), ses villes étapes (Avignon, Grasse, Carpentras) et ses villes isolats (Digne, Sisteron, Forcalquier). Elles montrent aussi les liens actifs avec les espaces voisins, et notamment avec l’Italie. De l’ensemble du travail surgit un très beau portrait multifacette des 2 105 individus retenus, de toutes catégories (« du chanteur d’opéra au joueur de galoubet », pour reprendre la formule de l’un des membres du jury), sans discrimination ni hiérarchisation à priori, et ce sur une zone géographique qui jusqu’alors n’avait jamais fait l’objet d’une enquête de cet ordre.

7Ce livre passionnera d’emblée les mélomanes, musiciens et musicologues, gourmands de connaître les coulisses des œuvres qu’ils écoutent, jouent et étudient. Il passionnera tout autant l’immense famille des lecteurs curieux de mieux connaître cette belle région que, vue du nord de la Loire, on nomme simplement « Provence ».

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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