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Épistémologies du genre

Partie 2. Multiplicité et intersections des rapports de domination

Introduction

Texte intégral

1La deuxième partie de cet ouvrage interroge la pluralité des rapports de domination. Il s’agit d’inviter à penser le genre comme un facteur non plus unique et isolé, mais qui peut au contraire s’articuler avec d’autres rapports de pouvoir.

2Cette manière de travailler la catégorie de genre a un certain nombre d’implications épistémologiques et méthodologiques. Il faut d’abord parvenir à observer ces multiples rapports de domination, à partir de différents matériaux empiriques de la recherche – le terrain ou le corpus. Il faut ensuite arriver à penser et à formaliser cette pluralité.

3Chacun à leur manière, les différents travaux présentés interrogent ainsi à la fois la production de savoirs intersectionnels et la manière de mener une recherche intersectionnelle.

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4Les trois premiers chapitres proposent une approche générale de la question de l’intersectionnalité. Le texte de Mélusine Dumerchat revient tout d’abord sur l’élaboration du concept, entre espaces militant et universitaire. Les connaissances produites dans ces deux territoires du savoir sont ici intrinsèquement articulées, non sans que cela occasionne quelques frictions. Le concept d’intersectionnalité, forgé par la juriste Kimberlé Crenshaw, est certes théorisé dans un texte académique, mais il s’inscrit dans une perspective concrète de défense des droits des femmes noires. Mélusine Dumerchat, après avoir souligné les craintes, de la part des milieux militants, d’une institutionnalisation ainsi que d’une dépolitisation du concept, revient sur la potentielle fécondité de son utilisation en géographie et dans les études spatiales.

5Dans le domaine de la psychologie sociale, François Ndjapou et Pascale Molinier invitent à penser le travail du care non pas uniquement au prisme du genre, comme cela a souvent été fait, mais par une approche intersectionnelle qui permette de rendre compte du racisme genré. À partir de la figure du « bouc émissaire », les auteur·e·s montrent la multiplicité des rapports de pouvoir (couleur de peau, âge, ancienneté) entre les différentes employées d’une crèche.

6Enfin, le travail de Clémence Perronnet interroge les limites d’une perspective de genre en sociologie de l’éducation en observant la mise en œuvre d’un projet éducatif d’égalité filles-garçons en « sciences » (sciences de la nature, mathématiques, physique, chimie) dans un quartier populaire. Adopter le seul point de vue du genre pourrait masquer d’autres rapports de domination, et en particulier la classe et la race. L’auteure invite ainsi à adopter une perspective intersectionnelle afin de ne pas ignorer certains rapports de pouvoir.

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7Si ces trois premiers chapitres proposent une mise en application du concept d’intersectionnalité à partir de terrains et de disciplines différentes, les deux suivants ont en commun de s’intéresser à la sexualité, et plus précisément à l’hétéronormativité. Tout d’abord, le travail de Mélanie Grué questionne les modèles et « contre-modèles » de genre dans l’œuvre de la photographe Nan Goldin. L’auteure explique, à partir des analyses de Judith Butler, comment le travail de cette photographe, en particulier dans ses clichés de drag-queens, questionne le binarisme et les modèles de genre hégémoniques tout en invitant à penser la subversion de ces injonctions. Le deuxième chapitre, écrit par Gabrielle Richard, rend compte d’une enquête sur les « hétéronormes » véhiculées dans le milieu scolaire québécois par les enseignant·e·s. Elle montre comment une certaine dénonciation de l’homophobie ne s’oppose ni au maintien de la norme hétérosexuelle, ni à la transmission d’une vision essentialiste du genre.

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8Enfin, les trois derniers textes proposent une application du concept dans une perspective historique. Dans un premier temps, Muriel Gleser-Neveu propose une étude d’histoire sociale intersectionnelle à partir du traitement politique des femmes « déchues » – prostituées, mère célibataires – à Liverpool au tournant du xxe siècle. Son analyse s’enrichit d’une perspective microhistorique qui lui permet de déconstruire la catégorie de « femmes », de se focaliser sur les expériences singulières de ces femmes minorisées et de mettre au jour les marges de liberté qu’elles possèdent. Marie Ruiz propose pour sa part une lecture critique des sources statistiques sur l’émigration féminine dans l’Angleterre victorienne, en soulignant à quel point leur production était tributaire de représentations de genre spécifiques à la période et venait, par un mouvement de balancier, les confirmer. Enfin, Jennifer Meyer ancre sa réflexion dans une perspective d’histoire politique des représentations, en analysant les croisements entre logique de race et logique de genre dans l’antisémitisme de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Elle démontre ainsi que l’antisémitisme était genré, malgré des représentations variables des différences entre les sexes au sein de la droite radicale.

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9Ce sont des rapports de dominations multiples qui sont mis au jour dans une perspective intersectionnelle. Les huit textes proposés ici témoignent ainsi de la fécondité de cette approche.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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