Version classiqueVersion mobile

Épistémologies du genre

Partie 1. Pluralité et croisements des disciplines

Introduction

Texte intégral

1Chacun des six chapitres de cette partie participe d’un questionnement sur ce que le genre fait aux disciplines (en l’occurrence l’histoire, la littérature, les STAPS, les sciences de l’information et de la communication, la linguistique et la philosophie), et sur les possibilités de le penser comme point de rencontre ou de rupture épistémologique. Au-delà de la simple prétention pluridisciplinaire cumulative, il s’agit donc de mettre au jour à la fois la transversalité du genre et les désaccords et tensions liés à ses différentes actualisations.

2Les deux premiers chapitres sont centrés sur les évolutions des conceptions et des usages du genre en histoire et en études littéraires. Michelle Zancarini-Fournel propose un parcours de ces évolutions en revenant sur la longue tradition positiviste des recherches françaises en histoire, et en développant un questionnement historiographique remontant à la fin du xixe siècle et à l’émergence de la discipline historique, en tant que discipline « républicaine ». Son travail pose donc une critique des prétentions (pas toujours explicitées) à un universalisme « neutre » de l’histoire économique et politique traditionnelle, au profit d’une conception inclusive de l’histoire des individus et des groupes enrichie par les recherches féministes et sur le genre. Avec la même volonté de retracer les différents usages du genre au sein d’un champ disciplinaire précis, Christine Planté analyse les différents points de résistance au genre en littérature et dans les études littéraires, malgré le double constat d’un lien généalogique entre développement des études de genre et littérature, et d’une possibilité pour cette dernière d’offrir un espace privilégié d’exploration au-delà des normes de genre. Tendances décontextualisantes, faible visibilisation des productions de femmes, lectures androcentrées sont autant de biais des études littéraires que le genre permettrait de penser et de bousculer.

3Les deux chapitres suivants interrogent les apports du genre pour penser les catégorisations normées des corps et savoirs. Dans son chapitre sur les STAPS, Sigolène Couchot-Schiex met en regard deux approches pédagogiques (l’une différentialiste, l’autre débinarisante) intégrant les réflexions sur le genre aux pratiques professorales en classe d’EPS. Ce travail permet d’analyser certaines des actualisations, notamment corporelles, des éducations genrées et sexuées. Le chapitre de Florence Salanouve questionne les façons dont les catalogues de bibliothèque participent d’une hiérarchisation genrée des savoirs en reproduisant dans les pratiques de classification les biais disciplinaires mentionnés plus haut : normalisation d’un modèle masculin, minorisation des écrits de femmes mais aussi des productions féministes et sur le genre. Bibliothèques et cours d’EPS constituent donc deux lieux de production et de reproduction matérielle des dissymétries genrées, qui restent à visibiliser comme tels.

4Enfin, les deux derniers chapitres de cette partie montrent comment l’intégration des réflexions sur le genre à des disciplines réticentes comme la linguistique ou la philosophie peut permettre un renouvellement épistémologique profond, au service d’autres manières de penser la scientificité et le rapport entre sujets et objets de la recherche. Dans son texte centré sur l’analyse du discours, Marie-Anne Paveau remet en cause les définitions courantes et largement diffusées du genre comme outil, prisme ou objet préexistant. En s’appuyant sur ce qu’elle nomme les « bloqueurs » disciplinaires aux pensées du genre, elle propose une relecture de celui-ci comme « épistémologie contributive », qui ne viendrait pas s’ajouter à la boîte à outils de l’analyse du discours, mais permettrait d’en reconfigurer les structures mêmes. Claude Gautier interroge quant à lui les postures scientifiques d’objectivité et de neutralité à travers les épistémologies féministes du standpoint. Alors que les premiers chapitres de cette partie s’attardent plutôt sur les produits d’une scientificité universalisante, celui de Claude Gautier est centré sur le positionnement des producteurs/trices des discours de savoir. Il travaille notamment la question d’une « position de sujet-femme-de-connaissance » (position collective ? individuelle ?), ainsi que les façons dont cette position informe les « objets » du savoir, ou du moins leurs conditions de production et d’existence.

5Les six chapitres de cette première partie proposent un parcours assez large des résistances, discussions et renouvellements que provoque l’intégration du genre à des domaines disciplinaires déjà établis (mais plus ou moins nouveaux). Ils permettent aussi de penser la façon dont les épistémologies du genre traversent et relient les différents espaces disciplinaires, que ce soit par la critique des prétentions universalisantes et/ou neutralisantes, ou par la visibilisation des biais de la recherche et des pratiques androcentrées.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search