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Acteurs et territoires du Sahel

 | 
Abdoul Hameth Ba

Avant-propos

Texte intégral

  • 1 Voir à ce propos : Zimet 2006 ; Lombard et al. 2006 ; Brunel 2004 ; Withol de Wendel 2005.
  • 2 Mon implication directe dans la vie de l’association interculturelle et de solidarité internationa (...)
  • 3 Les groupes pays sont des lieux d’échanges d’information et d’expérience entre les collectivités f (...)

1Cet ouvrage est réalisé à partir d’une thèse de géographie soutenue en 1999 à l’université de Paris I - Panthéon Sorbonne sous la direction de la professeur Violette Rey. Les données statistiques issues des enquêtes personnelles qui figurent dans cet ouvrage datent de cette période. Cependant, depuis 1999, la consultation des nouvelles publications scientifiques sur l’Afrique1, l’observation directe des espaces sahéliens grâce aux missions effectuées régulièrement dans le bassin du fleuve Sénégal pour le compte de l’association de solidarité internationale Tutti Frutti ou pour mes propres recherches scientifiques ont permis d’affiner et de réactualiser la problématique. En France, les contacts avec les acteurs de coopération, la participation à des colloques, des séminaires traitant du processus migratoire, de la coopération décentralisée et du rôle des organisations non gouvernementales locales ou étrangères dans le bassin du fleuve Sénégal permettent de constater quelques changements dans les pays riverains du bassin du fleuve Sénégal ces six dernières années2. En effet, à partir de 2000, des événements politiques majeurs ont marqué le Mali, la Mauritanie et le Sénégal : l’arrivée au pouvoir de nouveaux chefs d’État, les changements de régimes politiques occasionnent des transformations dans des domaines divers. Au Sénégal, par exemple, le nouveau président Abdoulaye Wade, arrivé au pouvoir en 2000, a modifié le découpage administratif : de 10 régions, le pays est passé à 11 en 2003, les limites de la nouvelle région Matam correspondant grosso modo à celles du département du même nom autrefois rattaché à la région de Saint-Louis. Le nouveau pouvoir a aussi créé de nouveaux ministères comme celui des Sénégalais de l’extérieur ou celui des Micro-financements et de la Coopération internationale décentralisée. En France, on assiste à la création de nouveaux consulats à Bordeaux, à Marseille et à Lyon, ou au renforcement du rôle des représentations consulaires au Havre dans le but de faciliter les démarches administratives (renouvellement de passeport, investissement au Sénégal...) des ressortissants sénégalais en France. La création de ces ministères et de ces consulats montre, d’une part, que l’actuel gouvernement accorde de l’importance à la « diaspora » sénégalaise et, d’autre part, que la coopération décentralisée est considérée comme un outil pour soutenir le développement des collectivités locales. Dans le domaine de la démocratie participative, une évolution de la société civile est perceptible. En considérant encore le cas du Sénégal, on observe une meilleure organisation et une augmentation rapide des associations locales ou étrangères d’appui au développement. Créé en 1982, le Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD) est passé de 78 ONG membres en 1994 à 166 en 2006. Ce même organisme indique que plus de 553 associations œuvrent au ou pour le Sénégal, parmi lesquelles des associations de ressortissants sénégalais à l’étranger. Le consulat du Sénégal à Paris estime à plus de 300 le nombre des associations d’immigrés sénégalais en France agissant en direction de leur pays d’origine. En 2006, la plate-forme des ONG européennes au Sénégal regroupe 25 membres, dont 9 françaises, 8 italiennes, 5 belges, 1 autrichienne, 1 suédoise, 1 allemande, sans compter d’autres ONG européennes qui ne font pas partie de ce réseau. Par ailleurs la coopération-jumelage entre les collectivités locales françaises et celles du Sénégal se renforce. Aujourd’hui plus de 100 collectivités locales ou territoriales et des groupements de communes sont impliqués dans le « groupe pays Sénégal » dont l’objectif est d’améliorer la coopération tant dans la forme que dans le contenu entre les collectivités3.

  • 4 Beaucoup de quotidiens français dont Le Monde ou Libération publient régulièrement des données sta (...)
  • 5 Ce colloque tenu à Lille le 16 décembre 2006 a réuni des responsables d’associations issues de l’i (...)

2Dans l’ensemble des pays sahéliens, y compris ceux qui sont riverains du fleuve Sénégal, le phénomène migratoire garde la même ampleur. Les raisons de départ n’ont pas radicalement varié, mais ce sont surtout le profil du migrant et la destination qui se diversifient. Des femmes, des urbains, des personnes de plus en plus diplômées viennent s’ajouter aux anciennes catégories de candidats à l’émigration internationale. L’Europe demeure encore l’eldorado des Sahéliens même si les autres continents (Amérique du Nord, Asie) sont devenus des lieux de destination. Les reportages récents sur les boat people africains, qui embarquent depuis les côtes sénégalaises ou mauritaniennes et tentent de pénétrer en Europe par la mer, via les îles Canaries, le confirment4. Selon divers paramètres (profil du migrant, situation politique, loi d’immigration.), le projet migratoire, le rapport au pays d’origine changent, tout comme l’organisation des immigrés dans les pays de transit ou d’installation connaît une évolution. Par exemple, la question du vieillissement dans l’immigration des Sahéliens commence à être posée, comme l’a montré le colloque « Vieillir dans l’immigration » organisé par l’association Coordination régionale de l’immigration (CRI) à Lille en décembre 20065. La création à la fin de 2005 du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), association regroupant des intellectuels africains qui revendiquent, entre autres, une participation effective à la vie politique française, constitue un autre signe des nouvelles formes d’organisation et de revendication des immigrés.

  • 6 Les pays sahéliens restent des zones de prédilection des ONG occidentales. Leur rôle dans l’appui (...)
  • 7 Les associations françaises composées majoritairement de Français d’origine étrangère constituent (...)

3La vitalité du tissu associatif issu de l’immigration, le développement de réseaux d’ONG ou de collectivités françaises œuvrant en direction du bassin du fleuve Sénégal bénéficient d’un contexte institutionnel favorable. En effet, depuis la rédaction du livre blanc à l’occasion des assises de la coopération et de la solidarité internationale à Paris en 1997 et la création du Haut Conseil à la coopération internationale, les différents acteurs de coopération décentralisée (associations d’immigrés, ONG, collectivités) obtiennent une reconnaissance plus grande et surtout un appui technique et financier de la part de différentes institutions (régionales, nationales, européennes, internationales). Les opérations de développement réalisées dans les espaces sahéliens grâce à cette forme de coopération mettent en relation acteurs et territoires. Les transformations sont inéluctables, bien qu’elles ne se présentent pas avec la même ampleur selon les échelles géographiques et les catégories sociales considérées. Les mutations sont plus perceptibles en Afrique, particulièrement en zones rurales ; mais en Europe aussi les perceptions changent, un autre regard est porté sur l’Afrique et les Africains. Au Mali, au Sénégal et en Mauritanie, la société civile se consolide, des réseaux d’ONG se multiplient et échangent les pratiques qui réussissent6. On observe récemment, par effet de mimétisme, la création d’associations villageoises de développement (AVD) dans des zones rurales à faible taux d’émigration, alors que ce type d’association a émergé et s’est multiplié dans des zones de forte émigration grâce à l’argent envoyé par les migrants. Le rôle de ces AVD est devenu très important dans le processus de développement local en Afrique sahélienne. Il apparaît de plus en plus clairement que les recherches géographiques sur les mutations des sociétés et sur l’émergence de nouveaux territoires au sein du bassin du fleuve Sénégal doivent accorder une place importante aux processus de mise en relation induits par les migrants, les différentes associations de développement, les coopérations-jumelages7.

4Plusieurs années après la fin de l’enquête en 1998, les constats et les analyses restent les mêmes. Le bassin du fleuve n’échappe pas à la mondialisation et il demeure l’espace géographique le plus lié au reste du monde grâce à l’intervention des différents acteurs de coopération et à ses ressortissants dans différents coins du monde. Cependant un affinement des données statistiques (les données statistiques mises à jour font souvent défaut dans les pays du Sud) permettrait de préciser les évolutions quantitatives. Dans tous les cas, le bassin du fleuve Sénégal reste un terrain de recherche propice pour étudier l’effet des mobilités géographiques sur le rapport à la nature, à la culture, et sur l’évolution des territoires.

Notes

1 Voir à ce propos : Zimet 2006 ; Lombard et al. 2006 ; Brunel 2004 ; Withol de Wendel 2005.

2 Mon implication directe dans la vie de l’association interculturelle et de solidarité internationale Tutti Frutti, qui est basée à Lille et, entre autres actions, développe dans la vallée du fleuve Sénégal un centre d’échanges et de formation du citoyen, me permet de suivre régulièrement l’évolution de la politique de coopération décentralisée de la région Nord - Pas-de-Calais, les stratégies et les actions des associations de développement local ainsi que les modes de financement des ONG en France et en Afrique.

3 Les groupes pays sont des lieux d’échanges d’information et d’expérience entre les collectivités françaises intervenant en coopération dans un même pays. Ils permettent la concertation entre les différents acteurs de coopération dans le but d’améliorer les modes d’action et de renforcer l’efficacité. Il existe un groupe pays par zone d’intervention. Le groupe pays Sénégal et le groupe pays Mali ont été créés en 1988, et celui de la Mauritanie en 1995. Les deux premiers regroupent chacun plus de 100 collectivités et sont très dynamiques, le dernier compte beaucoup moins de membres du fait de la nature de l’actuel régime politique en Mauritanie et de l’histoire des relations entre la France et la Mauritanie. Un grand nombre des collectivités membres de ces groupes pays interviennent en direction du bassin du fleuve. Pour obtenir des données sur la nature des opérations réalisées par ces groupes pays ou connaître les derniers séminaires ou colloques sur la coopération, on peut consulter le site Internet de CUF (Cités unies France).

4 Beaucoup de quotidiens français dont Le Monde ou Libération publient régulièrement des données statistiques, des entretiens avec des scientifiques abordant la question des flux migratoires (voir l’entretien avec François Héran, directeur de l’Institut national d’études démographiques, Le Monde, 5 janvier 2006). Parfois, ces journaux retranscrivent les points de vue d’hommes politiques et de chercheurs (Bernard Kouchner, Le Monde, 20 octobre 2005 ; Michel Wievorka, sociologue au CNRS, Libération, 29 avril 2006) traitant de la question de l’immigration clandestine et de ses drames, ou bien de la vitalité des communautés immigrées en France et de leurs apports aux pays d’origine.

5 Ce colloque tenu à Lille le 16 décembre 2006 a réuni des responsables d’associations issues de l’immigration africaine, des travailleurs sociaux et des universitaires menant des enquêtes dans différents pays (Belgique, Suisse, Allemagne, France, Angleterre). Il a permis de montrer, entre autres problèmes, la situation précaire des populations immigrées âgées et restées dans les différents pays d’accueil européens. J’ai eu le privilège de présider les différentes séances de ce colloque dont les actes sont à paraître.

6 Les pays sahéliens restent des zones de prédilection des ONG occidentales. Leur rôle dans l’appui au développement humain et la protection de la nature est de plus en plus reconnu. L’Organisation des Nations unies (ONU) subventionne certaines ONG. Par ailleurs les forums altermondiaux renforcent les liens entre ONG et rendent lisibles leurs actions et stratégies. La longévité et l’extension de la zone d’intervention d’une ONG sont liées à la stabilité politique du pays d’intervention et à la capacité de l’association à mobiliser des fonds. Au Sénégal par exemple, l’arrêt des combats entre les rebelles et l’armée régulière au début des années 2000 a ramené la paix en Casamance (région sud du Sénégal) et a permis à des ONG d’y retravailler, tel le GRDR qui vient d’ouvrir une deuxième antenne dans cette région. En revanche, certaines ONG disparaissent, comme l’ONG islamique Zakat House d’origine koweïtienne, présente au Sénégal jusque vers la fin des années 1990. Le mode de fonctionnement et de gestion des fonds n’a pas permis à cette organisation d’y pérenniser ses actions.

7 Les associations françaises composées majoritairement de Français d’origine étrangère constituent une nouvelle catégorie d’acteurs de plus en plus impliqués dans la coopération décentralisée. Cette nouvelle configuration montre que la coopération de société à société a de l’avenir et qu’elle va contribuer à façonner autrement les rapports Nord-Sud. En effet, on observe dans le cas des associations de solidarité que le choix des actions à réaliser et les zones d’intervention sont intimement liés aux trajectoires de leurs responsables.

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