Version classiqueVersion mobile

Le bonheur dans la modernité

 | 
Sylvain Brunier

Chapitre IV

Sortir du champ : des conseillers aux agents de développement agricole (1972-1980)

Texte intégral

  • 1 Michèle Salmona, Souffrances et résistances des paysans français, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 50. (...)

Cette pénétration régulière dans l’espace privé, familial, domestique, est une des caractéristiques de l’action des fantassins du développement sur le groupe de travail familial. Les salariés ne sont pas « pénétrés » directement par les agents d’encadrement de leur entreprise. Tandis que chez les travailleurs indépendants l’espace privé est totalement envahi par la présence physique des conseillers et experts. L’ensemble de la famille est interpellé par les obligations et les injonctions liées à l’incitation.1

  • 2 Jean-Pierre Bompard, Jean-Paul Girard, Gilles Postel-Vinay, « Le crédit, les agriculteurs et la cr (...)
  • 3 Pierre Alphandéry, Pierre Bitoun, Yves Dupont, Les champs du départ : une France rurale sans paysa (...)
  • 4 Voir l’intervention de Jacques Cambolive, député socialiste de l’Aude, devant l’Assemblée national (...)

1La politique de développement agricole est profondément remise en question au début des années 1970. Cette crise a trois dimensions : économique, en raison des difficultés de financement de l’ANDA, sociale, du fait de l’accélération de la sélection des exploitations, et politique, avec les premières contestations radicales du quasi-monopole des organisations professionnelles dominantes sur la représentation syndicale. Le ralentissement économique global amorcé par le choc pétrolier de 1973 est particulièrement sensible dans le secteur agricole, menaçant la pérennité d’exploitations conduites par des agriculteurs qui ont pourtant accepté de jouer le jeu de la modernisation en procédant à des investissements considérables2. L’accroissement du rythme des départs des agriculteurs, qui prennent leur retraite ou qui abandonnent le métier, affaiblit considérablement l’adhésion des agriculteurs à la politique de développement agricole : ceux qui étaient montés dans « le train du progrès » n’étaient pas censés devoir en descendre en cours de route3. La croyance en cette logique méritocratique de la modernisation est d’autant plus fragilisée que la politique agricole se fait beaucoup plus hésitante. Si le président de la République Valéry Giscard d’Estaing vante en décembre 1977 les mérites du « pétrole vert de la France », et si le Premier ministre Jacques Chirac annonce peu de temps après « une politique active de réanimation de la France rurale pour enrayer la dévitalisation qui frappe nos campagnes », leurs déclarations ne se traduisent pas par des plans de modernisation aussi volontaristes qu’au début des années 19604. Au niveau européen, les directives « socio-structurelles » de la PAC prises en 1972 accentuent encore la différenciation des exploitations en durcissant les conditions d’accès aux aides à l’investissement.

  • 5 Philippe Bezès, « État, experts et savoirs néo-managériaux », Actes de la recherche en sciences so (...)

2Dans ce contexte, les critiques à l’encontre des conseillers se multiplient, soit pour leur imputer l’accélération de la sélection économique des agriculteurs, soit au contraire pour leur reprocher leur manque d’efficacité et le coût trop élevé de leurs actions. Les conseillers peuvent difficilement répondre collectivement, en raison de leur manque de cohésion, de la division de leurs syndicats, du poids de leurs employeurs, autrement dit, de l’inachèvement de leur professionnalisation analysé dans le chapitre précédent. Tout au long des années 1970, les réformes successives de la politique de développement agricole ne cessent de remettre en question les fondements même du métier de conseiller, et d’abord la spécificité de son domaine d’intervention, en favorisant l’essor de formes concurrentes de vulgarisation liées aux grandes entreprises agricoles (coopératives, groupements de producteurs, industries) et fondées sur la primauté accordée aux performances économiques des exploitations. Cette exigence d’efficacité se traduit par l’imposition de nouvelles procédures d’encadrement des conseillers afin d’ajuster en permanence les actions entreprises aux résultats observés. Ce principe d’application d’une boucle de contrôle se retrouve à la fois dans les nouveaux dispositifs incitatifs à destination des exploitations agricoles, et dans les nouveaux cadres réglementaires régissant le travail des conseillers agricoles. Les méthodes et les indicateurs des sciences de gestion deviennent les instruments privilégiés pour aider aux prises de décisions à tous les échelons de l’appareil de développement, du conseiller agricole travaillant auprès de l’exploitant aux instances départementales et nationales élaborant des programmes sur plusieurs années. L’usage de ces outils s’inscrit dans le programme de rationalisation des choix budgétaires (RCB), première politique d’envergure s’attachant à la « réforme de l’État », dans le sens formalisé par la doctrine néolibérale émergente5. Privilégiant le soutien aux entreprises agricoles les plus performantes, il entre en concurrence avec l’ancienne ambition de promotion des exploitations familiales les plus dynamiques.

  • 6 Tiré des travaux d’Everett Rogers, sociologue américain, le concept de la diffusion des innovation (...)

3Les cadres de travail des conseillers sont profondément bouleversés du fait de l’introduction des méthodes managériales. La question de la mesure de l’efficacité des conseillers repose sur une critique implicite du modèle de diffusion des innovations par effet d’entraînement et d’imitation, ce que la théorie sociologique des années 1960 qualifie de diffusion « en tache d’huile »6. Alors que leur culture professionnelle valorisait le sens de l’adaptation et de l’improvisation, la mise en œuvre des impératifs gestionnaires entraîne une forme de bureaucratisation de leurs activités, antinomique avec le style d’intervention qu’ils ont forgé puisque c’est en limitant au maximum la « paperasse » et les procédures qu’ils se sont différenciés des ingénieurs des services agricoles. De même, la nouvelle place accordée aux grandes entreprises agricoles dans l’appareil de développement trouble la frontière établie entre le métier de conseiller et le démarchage technico-commercial. Dans les centres de formation et les syndicats, les questions liées au rapport salarial et à la prestation de services prennent désormais le pas sur la réflexion sur la relation de conseil. Dès lors, les conseillers rencontrent des difficultés croissantes pour faire valoir la spécificité de leur métier par rapport à l’ensemble des agents de développement qui interviennent auprès des agriculteurs. Nous verrons tout d’abord comment le consensus autour du projet modernisateur se délite en quelques années, puis quelles sont les conséquences des réformes managériales des années 1970, en examinant successivement la bureaucratisation du travail des conseillers, et l’affaiblissement des institutions de leur groupe professionnel.

1. La rupture du consensus modernisateur

4La différenciation de plus en plus marquée entre différentes fractions du monde agricole, selon leur degré d’intégration à la logique de production industrielle, fragilise la position des conseillers agricoles, attachés à la promotion des exploitations familiales. Entre 1968 et 1972, différents rapports critiquent les politiques de modernisation agricole de l’après-guerre, et convergent sur la nécessité de réorganiser « l’appareil de développement ». Au sein des administrations européenne et nationale, des hauts fonctionnaires dénoncent le coût de la politique de développement et regrettent les concessions faites aux organisations professionnelles en 1966. Mais la critique émane aussi du champ des organisations professionnelles agricoles. Alors qu’ils avaient été tenus à l’écart de la réforme de 1966, les organismes économiques, et en particulier les coopératives, entendent désormais prendre une part active à l’élaboration de la politique de développement. La crise du financement de l’ANDA, alimentée par les conflits entre les différentes filières de production agricole, est l’occasion d’une importante remise à plat. En 1972, la « réforme de Grignon » pose les bases d’un nouveau compromis, dans lequel la prépondérance des chambres d’agriculture est clairement revue à la baisse. L’exploitation familiale agricole, modèle de référence des politiques précédentes, est mise en concurrence avec diverses formes d’entreprises capitalistes spécialisées.

1.1. Naissance de la « crise du développement »

5En 1967, le directeur de la chambre d’agriculture de Savoie rappelle la contradiction originelle dans laquelle sont pris les conseillers de terrain :

  • 7 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 4 décemb (...)

Faut-il toucher la masse quitte à avoir l’impression d’être peu efficace et de travailler souvent avec des gens déjà condamnés ou se réserver sur l’élite, mais à condition alors qu’il ne leur soit pas reproché dans le même temps d’avoir eux-mêmes condamné les agriculteurs qui sont encore des contribuables ?7

6Ce dilemme n’est pas nouveau dans son énoncé puisque dès les années 1950 se pose la question de la sélection des agriculteurs « les mieux disposés à marcher », selon la formule de l’époque. Mais ce qui apparaissait aux fractions modernistes des agriculteurs, Jeunes Agriculteurs en tête, comme une entreprise politique maîtrisable et souhaitable est en passe de devenir un processus incontrôlé, menaçant désormais ceux qui se sont prêtés au jeu de l’investissement et de l’intensification. Le directeur de la chambre savoyarde dénonce le fait que certains dirigeants puissent jouer un double jeu, laissant les conseillers seuls au moment d’affronter les conséquences sociales de la sélection des agriculteurs.

  • 8 Pour le plan Mansholt, voir Mémorandum sur la réforme de l’agriculture dans la Communauté économiq (...)

7La publication successive, en 1968 et 1969, du rapport du commissaire européen à l’agriculture, Sicco Mansholt, sur la modernisation de l’agriculture européenne, et du rapport de la commission du ministère de l’Agriculture sur l’avenir à long terme de l’agriculture française, présidée par Georges Vedel, fragilise encore davantage le discours des organisations professionnelles agricoles sur l’unité paysanne8. Le rapport Mansholt et le plan Vedel partagent les mêmes conclusions sur la faible productivité du secteur agricole en France et préconisent des mesures radicales comme le gel d’une partie des terres et la concentration des exploitations. Mais en programmant explicitement la disparition des agriculteurs « marginaux », ces travaux vont à l’encontre du flou entretenu par les organisations professionnelles sur la question de la sélection. Ces dernières réagissent pour dénoncer des propositions qui ébranlent leurs bases idéologiques et divisent leurs adhérents de base. Loin de se ralentir comme ses promoteurs l’avaient espéré, la course à l’agrandissement des exploitations et à l’intensification des méthodes de production se poursuit et menace de s’accélérer.

  • 9 Cette dissension marque le début de l’organisation du mouvement des Paysans travailleurs. Voir Jea (...)
  • 10 Perspectives à long terme de l’agriculture française, ouvr. cité.

8En 1970, le rejet in extremis du contre-rapport présenté par Antoine Richard au congrès national du CNJA révèle au grand jour la difficulté de maintenir le consensus modernisateur à l’intérieur même du syndicalisme9. Les dirigeants syndicaux laissent alors planer l’idée qu’il pourrait s’agir d’un échec du système de vulgarisation plus que des responsables professionnels. La commission Vedel ne tient d’ailleurs pas un discours très différent lorsqu’elle recommande de « s’interroger sur les limites de l’influence exercée par les vulgarisateurs actuels » et d’élucider « la rationalité de la résistance au changement »10. L’ouverture de ce débat fonctionne comme un contre-feu permettant d’esquiver une réflexion plus radicale sur la contradiction originelle des politiques de modernisation : maintenir le plus grand nombre tout en sélectionnant les plus performants. Placés au centre du débat, les conseillers agricoles sont instrumentalisés en fonction des intérêts politiques de leurs employeurs, intérêts desquels il leur est difficile de se démarquer après avoir passé près de deux décennies à affirmer leur dévouement sans faille comme une valeur cardinale de leur groupe professionnel.

  • 11 Cour des comptes, Rapport au Président de la République suivi des réponses des administrations, an (...)
  • 12 Pierre Coulomb, Henri Nallet, Le syndicalisme agricole et la création du paysan modèle, ouvr. cité

9Poursuivant ce travail critique, le rapport de la Cour des comptes sur le développement agricole publié en 1972 critique sèchement la complexité des structures et des circuits financiers, l’imprécision des objectifs annoncés et des programmes établis. Il souligne en particulier l’insuffisance du contrôle administratif sur les réalisations et l’emploi des fonds11. Les rapporteurs notent que c’est la « finalité même du développement agricole » qui pose un problème, car le public visé n’est jamais déterminé avec précision. Cet argument, qui semble l’évidence même, révèle un renversement du regard sur la politique agricole. Son efficacité reposait depuis deux décennies sur la fiction de l’unité du monde agricole dont il fallait assurer la promotion globale, chaque action particulière rejaillissant sur l’ensemble des agriculteurs et construisant la figure d’un paysan modèle12. La recherche d’efficacité impose désormais de différencier des actions de développement, ajustées aux attentes spécifiques des publics qu’elles ciblent. Dénonçant la multiplication incontrôlée des institutions émargeant au budget de l’ANDA, le rapport suggère de financer désormais des actions et non plus directement des organismes, ce qui nécessite de disposer d’une vision synchronique et synoptique de l’ensemble des initiatives entreprises sur le plan national et départemental.

  • 13 Certains auteurs parlent d’une « rente céréalière » pour décrire cette politique des prix élevés. (...)
  • 14 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole (1972-1977), mémoire de DEA, Paris, INRA (...)
  • 15 Pierre Coulomb, Henri Nallet, « Les organisations syndicales à l’épreuve de l’unité », L’univers p (...)

10Dans une certaine mesure, le rapport de la Cour des comptes apparaît comme un nouvel épisode de la rivalité entre les services du ministère de l’Agriculture et les organisations professionnelles agricoles pour le contrôle de l’appareil de développement. Cependant, les injonctions de la Cour bénéficient cette fois d’une large audience du fait des tensions internes à l’ANDA, entre organisations agricoles concurrentes. Au sortir de la guerre, la contribution des fractions du monde agricole les plus aisées, céréaliers et betteraviers en tête, au financement de la vulgarisation avait été pensée comme la contrepartie de la garantie par l’État de prix élevés sur les marchés13. Désormais, les associations spécialisées qui défendent les intérêts des grands producteurs réclament et obtiennent la contribution d’autres filières. La perception de la taxe alimentant l’ANDA est ainsi étendue aux producteurs d’oléagineux, de viande et de vin14. Ce raisonnement en termes de filières bien différenciées met à mal le mythe de l’unité syndicale entretenu par la FNSEA15. Les réactions au rapport de la Cour des comptes cristallisent ainsi les divergences entre organisations professionnelles agricoles. Une partie des dirigeants de la FNSEA et des coopératives agricoles remet alors en question la prééminence des chambres d’agriculture dans la conduite des actions de développement agricole. L’ancienne conception du développement, qui liait l’augmentation de la productivité du travail agricole à la promotion sociale des exploitations familiales, est désormais concurrencée par un modèle plus entrepreneurial, insistant sur la spécialisation et l’intensification des productions.

1.2. La réforme de 1972

  • 16 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole, ouvr. cité, p. 112-113.

11Les cadres de travail des conseillers sont profondément remis en cause. Le compromis trouvé en 1972 entre l’administration et les différentes organisations professionnelles, aussi appelé la « réforme de Grignon », impose de maîtriser les coûts liés à l’appareil de développement, c’est-à-dire d’en limiter le volume et d’en contrôler la répartition, et d’adapter le travail des conseillers agricoles aux nouvelles exigences d’une production pensée en termes de filières commerciales plutôt que d’exploitations familiales. L’attribution des financements nationaux est modulée en fonction du respect des directives préconisées aux organisations départementales. De nouveaux instruments d’enregistrement et d’analyse sont nécessaires pour mesurer l’efficacité des opérations de développement16. Dans chaque département, le SUAD doit passer une convention avec l’ANDA afin d’obtenir les fonds nécessaires à la réalisation de son plan pluriannuel de développement agricole (PPDA). Élaboré par la direction du SUAD en concertation avec la direction départementale de l’agriculture, et après consultation de l’ensemble des organismes départementaux et locaux, le PPDA repose sur la définition d’objectifs précis et chiffrés, hiérarchisés en sous-objectifs, eux-mêmes décomposés en critères de réalisation. Ce programme, établi en fonction d’une analyse de la situation du département, est soumis à l’ANDA qui peut alors exiger des modifications avant de donner son agrément.

  • 17 Ibid., p. 116-117.
  • 18 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts : l’organisation de la prévision économique au ministè (...)
  • 19 Philippe Bezès, « État, experts et savoirs néo-managériaux », art. cité.

12La méthode de la RCB guide les différentes opérations qui conduisent à l’élaboration et à la validation du PPDA. L’APCA édite ainsi une brochure afin d’exposer les principes de la RCB aux responsables des SUAD pour les aider dans leur tâche17. La RCB est présentée comme une procédure devant faciliter la prise de décision par décomposition du travail en différentes phases : observation, définition et mise en ordre des objectifs et moyens d’action, évaluation prévisionnelle, exécution, contrôle des résultats et réévaluation des objectifs. Le programme RCB a été mis au point autour de 1968 par la direction de la prévision et de l’analyse économique du ministère des Finances18. Le programme, qui fait l’objet d’un financement interministériel, sert de point d’appui à l’élaboration d’un nouveau corpus de doctrines reprenant les méthodes gestionnaires élaborées aux États-Unis. Le management public apparaît encore comme une collection de savoirs pratiques fragmentés, subordonnés aux savoirs juridiques seuls légitimes à prétendre guider l’action de l’État19. Dans les années 1970, la mise en œuvre de la méthode RCB se traduit dans la plupart des ministères par des études et des recherches sur différents domaines de l’action publique (social, santé, transports, environnement, aide aux entreprises, etc.). Cependant, dans le secteur agricole, la RCB prend une dimension supplémentaire en servant de référentiel pour la réforme de l’ANDA. Elle a ainsi des conséquences directes sur le modèle de développement agricole et le travail des conseillers sur le terrain.

  • 20 APCA, « Une démarche nouvelle pour l’élaboration et la gestion des programmes de développement agr (...)

13Dans une perspective opposée à l’approche globale qui avait guidé les actions de développement agricole jusque-là, le PPDA vise à identifier des « groupes-cibles », en tenant compte de la diversité des productions et des conditions de production. La version finale se présente sous forme d’un graphe pyramidal à quatre niveaux. Au sommet, le quatrième niveau est celui des missions permanentes (augmentation des niveaux de vie, amélioration des revenus), en dessous, le troisième niveau récapitule les objectifs stratégiques (développer telle ou telle production), en dessous encore, le deuxième niveau présente les objectifs tactiques (développer telle ou telle technique), enfin, à la base, le premier niveau est celui de la présentation des réalisations pratiques (telle opération à tel endroit)20. En théorie, les différents niveaux du graphe sont accompagnés d’indicateurs chiffrés permettant de hiérarchiser les objectifs en fonction du calcul de leur « coût-efficacité » et de leur « coût-avantage ». S’il est impossible d’évaluer la valeur monétaire de ces indicateurs, la méthode prévoit de donner une note à chaque mission permanente en fonction de son importance, puis à chaque objectif, sous-objectif et réalisation en fonction de l’intensité de sa contribution à la réalisation de l’objectif qui lui est supérieur. Il devient alors possible de traiter les informations recueillies de manière mécanographique afin d’établir quels sont les chemins prioritaires à emprunter, depuis l’action de base jusqu’à la mission permanente.

  • 21 Louis Malassis, « Commentaires à propos des plans départementaux de développement », Économie rura (...)

14En pratique, la mise au point des PPDA est beaucoup plus chaotique que les textes réglementaires ne le prévoient. Si la réforme ne modifie pas fondamentalement la répartition des rôles entre les différentes organisations professionnelles agricoles et l’État, elle introduit de nouveaux instruments élaborés dans la perspective d’une généralisation des méthodes du management public. L’application de la méthode RCB doit servir non seulement à réduire le coût des actions de développement, mais aussi à arbitrer les différends entre organisations professionnelles agricoles dont les rivalités se trouvent exacerbées par les restrictions budgétaires. L’objectif est aussi d’associer plus étroitement les firmes agroalimentaires et les coopératives aux actions de développement. En différenciant clairement les exploitations « bloquées » de celles qui sont aptes à une « promotion économique », les PPDA recentrent les moyens du développement sur les secondes, notamment en ajustant stratégies de production et stratégies de commercialisation21. Cependant, la réalisation de ces projections implique un travail considérable, ne serait-ce que pour définir le contenu de chaque PPDA. Les directeurs de SUAD, les services techniques des chambres d’agriculture, se trouvent quelque peu démunis devant les nouvelles exigences de l’ANDA, qui imposent une formalisation beaucoup plus importante des actions de développement. Ils doivent en outre tenir compte de la place croissante prise par le conseil technique délivré par les coopératives, lesquelles contestent de plus en plus ouvertement l’hégémonie des chambres d’agriculture sur la mise en œuvre des actions de développement agricole.

1.3. La différenciation des modèles de développement

15La réforme de 1972 ambitionne de résoudre les multiples conflits créés par les décrets de 1966 : entre l’État et les organisations agricoles pour le contrôle des financements publics ou parapublics, entre les céréaliers et les autres filières productives pour élargir les sources de contributions au financement de l’ANDA ; entre la recherche publique, les instituts techniques nationaux proches des associations spécialisées et les services techniques départementaux des chambres d’agriculture pour la légitimité à produire des référentiels techniques ; entre les services départementaux et les groupes d’agriculteurs locaux souhaitant conserver leur autonomie. L’État se concentre sur les questions d’enseignement et de recherche, délaissant les dispositifs de développement. Mais loin d’aplanir les tensions, la nouvelle donne managériale reconfigure les rapports entre les organisations professionnelles agricoles en permettant la cristallisation de deux conceptions différentes du développement agricole.

  • 22 Philippe Nicolas, « Émergence, développement et rôle des coopératives agricoles en France : aperçu (...)
  • 23 Jacques de Saint-Martin, « Les conflits sources de progrès », Économie rurale, no 99-100, 1974, p. (...)
  • 24 François Colson, Jacques Rémy, « Le développement, un enjeu de pouvoir », Les agriculteurs et la p (...)

16Tenu à l’écart de la réforme de 1966 sur le développement agricole bien qu’il soit reconnu comme une organisation professionnelle agricole majeure, le Centre national de la coopération agricole (CNCA) met à profit les difficultés rencontrées par l’ANDA pour affirmer ses propres conceptions en matière de développement22. Il propose une « voie coopérative » pour le développement qui serait plus efficace et plus rapide, en revendiquant pouvoir toucher l’ensemble des agriculteurs. Il entend tirer profit de la stabilité des structures coopératives pour lancer de véritables programmes de recherche appliquée, en réorganisant l’ensemble des actions de vulgarisation autour de fermes expérimentales appartenant aux coopératives. Ce projet renvoie dos à dos le manque de moyens de l’INRA et l’inertie des chambres d’agriculture, et propose de dépasser l’ancien clivage entre l’administration et la profession en vantant la souplesse des coopératives et leur forte implantation à l’échelle de la petite région. Bien qu’il s’en défende, le CNCA se pose en rival des chambres d’agriculture lorsqu’il réclame un financement de l’État pour organiser le développement agricole. Les fédérations de coopératives entendent tirer parti des nouvelles exigences de contrôle de l’ANDA, en faisant valoir qu’elles sont déjà habituées à fixer des objectifs, à contrôler leur exécution et à prendre des sanctions le cas échéant23. Elles peuvent compter sur l’appui du Crédit agricole et, dans une certaine mesure, des représentants des industries agroalimentaires. Cette prise de position suscite l’opposition des chambres d’agriculture et l’inquiétude des groupes de développement locaux mais trouve un écho favorable au sein du syndicalisme (FNSEA et CNJA) dont certains responsables souhaiteraient limiter les prérogatives des chambres et se diriger vers une conception plus entrepreneuriale du développement agricole24.

  • 25 Ibid., p. 200.
  • 26 Archives de l’INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Gérard de Caffarelli (président de l’ANDA (...)
  • 27 Archives de l’INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Pierre Cormorèche, 1976, p. 15-16. On prê (...)
  • 28 Geoffrey Guens, « Avant-propos : thinks tanks, experts et pouvoirs », Quaderni : communication, te (...)

17Un groupe de pression se structure sur ces bases pour appeler à une refonte complète de la politique de développement agricole. Dans un rapport intitulé « Horizon 80 », ce groupe entend restreindre le rôle des chambres d’agriculture à un conseil de gestion, les entreprises d’amont et d’aval (firmes et coopératives) se chargeant de la vulgarisation technique, et le syndicalisme assurant la fonction d’animation25. Dans les régions où la coopération est puissante, les programmes départementaux de développement doivent être ajustés en fonction des stratégies et des possibilités des principales coopératives. D’une manière générale, il s’agit de donner une place prépondérante aux organismes économiques, et de redéfinir l’agriculteur comme un chef d’entreprise, le seul critère d’appréciation du succès des opérations de développement devenant le résultat des entreprises26. Le groupe de pression n’a pas d’existence institutionnelle : il regroupe principalement des représentants des grandes coopératives et de la FNSEA, mais aucun responsable ne s’en revendique publiquement. Il est soutenu par l’entourage du ministre de l’Agriculture, Christian Bonnet, ce dernier se montrant plutôt favorable aux conclusions avancées27. Le travail réalisé par ce groupe se situe dans la tradition des groupes d’influence agricoles (le plus connu étant certainement la SAF fondée en 1867) et précède l’éclosion des think tanks contemporains28. Les acteurs d’Horizon 80 sont d’autant plus difficiles à identifier que leur travail ayant suscité une mobilisation inattendue contre ses conclusions, personne ne souhaite s’en revendiquer directement. Mais l’analyse de ces tensions donne l’occasion de saisir des rapports de force internes aux organisations professionnelles agricoles qui restent le plus souvent invisibles, leurs prises de position officielles demeurant souvent consensuelles.

  • 29 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole, ouvr. cité, p. 129-132.

18Le groupe Horizon 80 préconise de donner la prépondérance à la vulgarisation par produit, c’est-à-dire au conseil technique et technico-économique mis en œuvre par les coopératives et les firmes, à qui il faudrait en conséquence transférer les moyens correspondants, financiers et humains, ce qui en ferait de facto les principaux employeurs des agents de développement29. En parallèle, les chambres conserveraient la maîtrise du conseil de synthèse, c’est-à-dire de gestion des exploitations, en liaison étroite avec le Crédit agricole. L’information générale incomberait au syndicalisme. Il s’agit de transformer l’appareil de développement pour en faire l’instrument direct de la politique agricole. Des services d’utilité agricole départementaux « rénovés », intégrant les organismes économiques, seraient chargés de l’élaboration et du suivi des programmes, mais n’emploieraient plus de personnel, cette fonction étant endossée directement par les organisations nationales. Ces dernières affecteraient les moyens humains et financiers dont elles disposent en fonction de leurs buts politiques. Le groupe de pression n’oublie pas de donner des gages à l’administration en affirmant que les organisations professionnelles sont prêtes à accepter l’extension des taxes parafiscales au plus grand nombre de produits, ce qui permettrait de limiter la contribution des céréaliers et betteraviers, et mettrait ainsi fin à la crise du financement de l’ANDA.

  • 30 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Jean Pousset, 1976, p. 42-44.
  • 31 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Pierre Cormorèche, 1976, p. 2 ; A-INRA, 1JR4, Entreti (...)

19Le rapport « Horizon 80 » suscite une grande inquiétude dans les chambres d’agriculture, réactivant de fait la solidarité entre les conseillers agricoles et leurs employeurs, au nom de la défense de leur autonomie respective. C’est d’ailleurs un des principaux syndicats de conseillers, affilié à la CFDT, qui rend publique la note complémentaire au rapport « Horizon 80 » afin de dénoncer les tractations secrètes entre le groupe de pression et le ministère. Malgré les rapports tendus que le syndicat entretient avec l’APCA, les deux parties s’allient pour s’opposer au projet de réforme30. À la fin des années 1960, la CFDT s’était affirmée comme un acteur majeur de la négociation des conventions collectives régissant le travail des conseillers agricoles, jouant la thématique de la lutte des classes contre la conception corporatiste qui prévalait parmi les responsables agricoles. Pourtant, la remise en cause brutale opérée par le rapport fédère contre elle les anciens adversaires, au nom de la défense de leur conception commune du développement agricole, qui ne saurait sacrifier la promotion des exploitations familiales et l’autonomie d’action des conseillers, contre une approche strictement gestionnaire privilégiant une standardisation et une intensification toujours plus poussées des productions. Ce blocage institutionnel oblige le ministère de l’Agriculture et les responsables professionnels agricoles qui avaient soutenu « Horizon 80 » à revenir à des positions plus consensuelles, en se contentant simplement d’appeler à une meilleure coordination des différentes parties pour l’embauche des techniciens31. Mais cet épisode révèle que le consensus modernisateur a vécu. Le travail des conseillers agricoles, dont la légitimité de l’intervention reposait sur la force de ce consensus, en est profondément bouleversé.

2. La bureaucratisation du travail de conseil

20De nouveaux instruments de gestion émergent dans les années 1970, pour encadrer à la fois le rapport des conseillers aux agriculteurs et le rapport des conseillers à leurs employeurs. Le PPDA, principale innovation portée par la « réforme de Grignon » en 1972, rompt avec la logique de bricolage institutionnel qui avait prévalu jusque-là dans les SUAD. Le plan de développement agricole (PDA) constitue une nouvelle procédure d’encadrement des investissements des agriculteurs, dans laquelle les conseillers jouent un rôle prépondérant. La transformation des conditions d’exercice du métier de conseiller et l’exécution des nouvelles tâches qui leur sont confiées participent d’un mouvement du bureaucratisation de leur travail. Les nouvelles exigences de rentabilité, réclamant une diminution des coûts ainsi qu’un emploi rationalisé des moyens, prennent le pas sur l’idéal de promotion sociale des exploitations familiales. Les différents espaces, notamment les syndicats et les centres de formation dans lesquels le groupe professionnel des conseillers prenait corps, perdent en autonomie. Ces évolutions contribuent à effacer la spécificité professionnelle des conseillers par rapport à l’ensemble des agents intervenant auprès des agriculteurs.

2.1. Planification des tâches et multiplication des intervenants

  • 32 Roger Le Guen, « Les relations employeurs-employés : des affinités électives à la prise de distanc (...)
  • 33 ACA Savoie, procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 29 n (...)

21À partir de 1974, les PPDA sont l’occasion pour l’ANDA de mettre en place une politique contractuelle avec les différents organismes de développement qui jouent le rôle de maîtres d’œuvre. Le programme prévoit pour chaque action un instrument de mesure ou une série d’indicateurs qui permettent de mesurer son efficacité et de décider de sa prolongation ou non dans le plan suivant. Le système d’évaluation des résultats a posteriori tranche avec la gestion jusque-là très empirique du développement agricole dans le cadre des SUAD32. Toutes les actions de base doivent désormais être mises en fiches comportant une présentation sommaire, les agriculteurs ciblés, les objectifs à réaliser, les indicateurs d’objectifs, la zone de réalisation, les objectifs visés au niveau supérieur, un planning financier avec les différentes sources de financement et un descriptif des actions élémentaires (maître d’œuvre, nombre de personnes touchées, nombre de journées consacrées à l’action par technicien, coût total)33. Cette logique est antinomique avec la manière dont les conseillers travaillent sur le terrain. Ce décalage suscite non seulement les critiques ouvertes de certains conseillers qui voient là une restriction de leur autonomie d’action, mais aussi les réserves de certains responsables de chambres d’agriculture pour qui un tel dispositif est inapplicable. Ils s’opposent de manière directe ou détournée à ce qu’ils considèrent comme une profonde remise en cause de la spécificité de leur mission, fondée sur la promotion des exploitations familiales, la personnalisation du lien avec les agriculteurs, l’émergence de dynamiques locales. Cette situation affermit la volonté des chambres d’agriculture de défendre leur propre conception du développement agricole, et de revaloriser les interventions de leurs conseillers par rapport à celles des agents technico-commerciaux embauchés par les organismes économiques, alors que l’ANDA tend à entretenir la confusion entre les deux.

  • 34 ACA Savoie, procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 n (...)
  • 35 ACA Savoie, procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 24 n (...)

22La préparation du deuxième PPDA en 1978 montre que ces tensions sont de plus en plus vives. L’ANDA menace de représailles financières les départements qui ne joueraient pas le jeu selon les nouvelles règles. Les critères chiffrés (nombre d’agriculteurs touchés, nombre de dossiers traités, nombre de stages accomplis, etc.) sont devenus prépondérants pour évaluer le premier plan et justifier les orientations du second. Il est difficile de ne pas voir dans l’exposition de ces chiffres la recherche d’un effet d’affichage, bien que les documents officiels assurent qu’il s’agit d’un bilan objectif des réalisations accomplies. En 1981, le directeur du SUAD de Savoie reconnaît d’ailleurs qu’il a toujours cherché à « réduire au maximum les charges administratives consécutives aux réformes permanentes du développement », ce qui accrédite l’idée d’une alliance entre les conseillers et les responsables départementaux contre la tutelle de l’ANDA, chaque décision nationale étant sujette à traduction départementale voire locale34. Pour autant, il ne faudrait pas sous-estimer l’impact des instruments gestionnaires : les discussions internes aux chambres d’agriculture pour définir les orientations à venir se font désormais sur la foi des indicateurs mis en place pour évaluer les différentes actions du PPDA35. Plus profondément, la généralisation de l’usage des instruments de gestion dans le développement agricole légitime un renversement idéologique du sens donné au projet modernisateur.

  • 36 Cinémathèque du ministère de l’Agriculture, Le visiteur, réalisé par Armand Chartier, Ministère de (...)

23Par rapport à l’immédiat après-guerre, les formes d’encadrement des agriculteurs ont profondément changé. Alors qu’ils étaient les seuls, ou presque, à entrer dans les cours de ferme, ils doivent désormais composer avec la présence de toutes sortes d’intervenants. Cette multiplication des interventions extérieures dans les exploitations est par exemple évoquée dans un film commandé par le ministère de l’Agriculture en 1973 et intitulé Le visiteur36. Un jeune agriculteur, critiqué par son père pour avoir choisi de se spécialiser dans la production de viande bovine au détriment du maintien d’une activité laitière sur l’exploitation, reçoit les visites successives d’une quinzaine de visiteurs différents. Le cadre choisi est celui d’une exploitation familiale déjà engagée dans la modernisation : le mari est aux champs sur son tracteur tandis que son épouse se charge de nourrir les veaux. Le défilé des visiteurs commence par l’entrée en scène du représentant commercial en machines agricoles qui incite le couple à faire de nouveaux investissements. Il est suivi du conseiller de gestion qui s’inquiète d’un endettement excessif, rappelle la nécessité de respecter le plan de production élaboré l’année précédente et incite l’agriculteur à tenir une comptabilité. Le marchand de linge fait ensuite son apparition et s’entretient uniquement avec la fermière. Puis c’est le conseiller du groupement interprofessionnel de la volaille de Bresse qui encourage son mari à construire de nouveaux bâtiments, suivi du patron de l’abattoir qui lui demande d’augmenter sa production pour pouvoir suivre la demande, et du directeur du centre de sélection qui lui vend des poussins et l’informe sur les techniques d’élevage.

24Les visites se poursuivent avec trois interventions tournées vers les questions foncières. Puis le conseiller d’exploitation de la chambre d’agriculture aide l’agriculteur à préparer un plan de développement rural afin de déterminer les investissements et les orientations de l’exploitation sur les cinq prochaines années. La suite du film met en scène une dizaine d’autres visites : le vendeur ambulant d’ouvrages techniques et de romans, le technicien de la station d’expérimentation qui souhaite élargir la collecte de références techniques, le délégué cantonal de la FDSEA à la recherche de nouveaux responsables, le représentant de la firme d’aliments du bétail, le délégué du Centre départemental des jeunes agriculteurs (CDJA) organisant une session de formation sur l’élevage bovin, le conseiller fiscal de la Fédération départementale des coopératives agricoles préconisant l’assujettissement à la TVA calculée au réel et non plus au forfait, le représentant de la Mutuelle incendie proposant de nouveaux contrats pour couvrir le mobilier et les nouvelles machines, le président de la coopérative laitière regrettant d’avoir perdu un adhérent, et enfin, le représentant de la caisse locale de crédit agricole, celui « qui détient le nerf de la guerre » selon le commentaire en voix off, conseillant au couple de solliciter un prêt spécial bâtiment d’élevage.

25Cette longue litanie est entrecoupée de scènes au cours desquelles l’agriculteur fait part de ses questions, le défilé des visiteurs ajoutant à sa confusion. Il en vient à douter des motivations de ses interlocuteurs, le commentaire s’interrogeant alors : « Tous ceux qui défilent, est-ce qu’ils n’ont pas tous un petit peu quelque chose à vendre ? » Les plans de coupe choisis par le réalisateur ajoutent une certaine ironie à la situation : des grenouilles dans une mare, des pigeons, un moineau sur une ligne électrique, l’agriculteur dressant son chien dans la cour de la ferme en lui mettant un sucre sur le nez et en lui demandant de ne pas bouger. L’agriculteur, dont l’épouse apparaît en fonction des sujets abordés, est représenté comme un jeune homme courageux et dynamique, mais pourtant plongé dans le doute en raison des incitations multiples et parfois contradictoires avec lesquelles il doit composer. Le film illustre le renversement de perspective opéré par la politique de développement agricole : la figure du conseiller, celle du référent unique ou presque, spécifiquement chargé du suivi des exploitations familiales, s’est effacée devant la fragmentation des métiers du conseil, laissant l’agriculteur seul aux prises avec une multitude d’intervenants. Le partage des fonctions opéré par l’institution du métier de conseiller entre enseignement, vulgarisation et commerce est ici complètement brouillé, embarrassant l’agriculteur qui doit trancher entre les différentes orientations proposées par ses « visiteurs ». Dans le film, le conseiller d’exploitation de la chambre d’agriculture apparaît comme un visiteur parmi d’autres, chargé uniquement de la préparation du PDA, et dont le rôle est moins valorisé que celui du représentant du Crédit agricole.

2.2. Monter et suivre des dossiers de financement : un premier tournant de la PAC

  • 37 Claude Servolin, L’agriculture moderne, ouvr. cité, p. 209-210.

26La bureaucratisation du travail des conseillers ne s’exprime pas seulement dans l’imposition de nouveaux cadres visant à renforcer le contrôle de leurs employeurs sur leurs activités. Elle se traduit aussi par un profond renouvellement des instruments utilisés par les conseillers pour mener à bien les actions de développement. Promulguées en 1972, les directives dites « socio-structurelles » de la PAC introduisent le PDA comme un nouvel outil de répartition des aides européennes. Destinés aux seuls exploitants capables, en six ans, d’atteindre un revenu comparable à celui des activités non agricoles de la région, le PDA pose un premier jalon en vue d’un « régime sélectif d’encouragement des exploitations agricoles en mesure de se développer »37. Les critères d’éligibilité visent à rapprocher l’exploitation agricole du modèle de l’entreprise classique : activité agricole à titre principal (pas de pluriactivité), possession d’une capacité professionnelle suffisante, engagement à tenir une comptabilité dès le début du plan, approbation du plan de développement de l’entreprise par les autorités compétentes. En contrepartie, le PDA facilite la mise à disposition des terres libérées, offre une bonification des taux d’intérêt sur les prêts nécessaires aux investissements, des garanties pour les prêts contractés, ainsi que des primes supplémentaires d’encouragement pour la production de viande bovine.

  • 38 Albert Ledent, Philippe Burny, La politique agricole commune des origines au 3e millénaire, Gemblo (...)
  • 39 Claude Servolin, L’agriculture moderne, ouvr. cité, p. 96-100, 135-138.

27Bien que la garantie des prix continue d’absorber l’essentiel des ressources allouées à l’agriculture, ces mesures introduisent une logique inédite d’orientation des structures agricoles au niveau communautaire. Jusque-là, la PAC mise en application à partir de 1962 consistait essentiellement en un système de gestion des marchés agricoles reposant sur trois piliers : l’unicité du marché entre les États membres, la préférence communautaire et l’intervention commune sur les marchés38. Autrement dit, la PAC préconise la libre circulation des marchandises dans la Communauté européenne, la protection contre les cours faibles et instables des marchés mondiaux, le financement des achats d’intervention et du stockage ainsi que la subvention aux exportations sur les marchés mondiaux. Cette politique est calquée sur le système d’intervention français créé en 1953, le Fonds d’orientation et de régulation des marchés agricoles (FORMA)39. Les pouvoirs publics et les organisations de producteurs (céréales, lait, viande) négocient annuellement un prix d’intervention déclenchant automatiquement l’intervention de l’État : quand le prix du marché descend en dessous de ce niveau, l’État s’engage à acheter, au prix d’intervention, les excédents. L’État soulage également le marché intérieur en subventionnant directement l’exportation : l’exportateur reçoit du fonds d’intervention une somme équivalente à la différence entre le prix auquel il a vendu le produit à l’étranger et le prix d’intervention. Au niveau de la communauté européenne, le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) permet de garantir les prix d’intervention, selon les mêmes mécanismes que le FORMA.

  • 40 François Clerc, « Une invention de l’Europe : les plans de développement. Origine, bilan », Économ (...)

28Les trois directives européennes de 1972 marquent une première inflexion de cette politique, en tentant cette fois d’agir directement sur les structures agricoles. Elles reprennent les propositions du plan Mansholt présentées en 1968 et ajournées en raison de l’hostilité qu’elles avaient suscitée40. Elles visent à réduire le coût de la PAC à moyen terme, en encourageant la cessation d’activité pour les plus âgés, en élevant le niveau de qualification des personnes travaillant dans l’agriculture, et surtout, en instaurant des PDA. Cette nouvelle politique, qui entre en vigueur en 1974, donne un poids considérable aux organisations professionnelles agricoles qui ont la maîtrise des structures chargées d’instruire les dossiers de plan de développement (services des chambres d’agriculture, centres de gestion et d’économie rurale, caisses régionales de crédit agricole). Clairement tournée vers la sélection des exploitations agricoles les plus performantes, elle est tempérée en 1975 par une nouvelle mesure instituant des indemnités de compensation des handicaps naturels (ICHN) afin de soutenir l’agriculture dans les régions défavorisées et donc de prendre en compte les inégalités territoriales.

  • 41 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 5 juille (...)
  • 42 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 novem (...)

29Les dossiers des PDA sont instruits au niveau des Associations départementales pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (ADASEA) qui gèrent déjà notamment les dossiers d’indemnités viagères de départ. Chaque dossier doit être constitué par l’exploitant en collaboration avec un technicien agréé de l’ADASEA. Bien qu’elles soient tenues par le syndicalisme, les ADASEA sont obligées de se tourner vers les structures déjà existantes – chambres d’agriculture et centres de gestion – en raison de leur manque de personnel qualifié pour cette tâche. En Savoie par exemple, la chambre prend position pour affirmer que seuls les conseillers de centre de gestion et d’économie rurale remplissent les conditions pour exercer cette fonction : ils répondent aux exigences du décret du 4 octobre 1966, ils possèdent une expérience sérieuse du conseil de gestion, et ce choix respecte l’incompatibilité entre les fonctions de conseil et d’instruction41. C’est une manière pour la chambre d’éviter la dispersion des activités de conseil en dépit de la création de nouvelles institutions introduites par les réformes du développement. Si le nombre de dossiers reste limité, avec quatre-vingt-treize PDA réalisés entre 1976 et 1981 et une seule demande refusée, ce nouvel instrument du conseil agricole a un impact considérable sur la manière dont les conseillers envisagent leur travail42.

  • 43 Sur les cent trente-six exploitations iséroises tenant une comptabilité à partie double en 1977, s (...)

30Instrument d’une sélection économique et symbolique des agriculteurs « capables » de moderniser leur exploitation, c’est-à-dire en mesure de faire la preuve de leur potentiel économique, le PDA valide la prééminence du conseil de gestion individualisé par rapport au conseil technique appuyé sur des groupements. De plus, le PDA peut être combiné à d’autres mesures sélectives, comme la dotation jeunes agriculteurs (DJA) : une aide financière sous forme de subventions et de bonifications de prêts versée à condition que le projet valide un certain nombre de critères assurant de sa validité économique. En Isère, cent trente DJA sont ainsi accordées entre 1974 et 1977. En outre, le PDA peut aussi permettre d’encourager la formation de GAEC dont les dossiers de constitution sont l’occasion pour les conseillers de gestion d’introduire des méthodes comptables perfectionnées43. Ces mesures socio-structurelles n’empêchent pas les formes plus classiques du développement agricole de continuer, mais elles renforcent la primauté désormais accordée à l’impératif d’efficacité économique dans les politiques de développement agricole. Les conseillers qui s’investissent dans cette voie bénéficient d’un soutien matériel et symbolique leur permettant d’expérimenter de nouvelles techniques, notamment l’informatique appliquée à la gestion.

  • 44 Gilles Bazin, Jean-Christophe Kroll, Jeanne-Marie Viel, « La politique des plans de développement (...)
  • 45 Danièle Godard, « La mise en place des plans de développement et ses répercussions », Économie rur (...)
  • 46 Michèle Salmona (Souffrances et résistances des paysans français, ouvr. cité) a bien décrit les ef (...)
  • 47 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 64-84.
  • 48 Michèle Salmona parle ainsi des « fantassins du développement » sans opérer de distinction entre l (...)

31Sur le plan national, près de huit mille PDA sont mis en œuvre entre 1975 et 1978. Le bilan effectué en 1981 indique que l’accroissement du volume de la production et de la productivité est tangible mais que l’objectif de la parité de revenu avec les salariés non agricoles n’a pas été atteint44. Surtout, les PDA ont modifié la répartition des rôles au sein du développement agricole, en introduisant les nouveaux acteurs que sont les ADASEA, contrôlées par les FDSEA, et les caisses régionales de crédit agricole pour contrôler la validité économique des orientations envisagées, en généralisant le calcul économique prévisionnel, en obligeant les exploitants soutenus à tenir une comptabilité rigoureuse45. Les PDA constituent un instrument majeur de réorientation de la politique de développement agricole. C’est la structure même de la population des agents de développement agricole qui se trouve bouleversée, les centres de gestion multipliant les embauches afin de suivre les nouvelles comptabilités, les ADASEA et les caisses de crédit agricole recrutant leurs propres collaborateurs pour instruire les dossiers. La poursuite de l’intensification des modes de production signifie désormais une rupture avec le cadre de l’exploitation familiale, ou tout au moins un bouleversement des rapports à l’intérieur même de la famille lorsque la forme exploitation familiale se maintient. La dissolution des anciens cadres sociaux et spatio-temporels est la source d’une indéniable souffrance pour de nombreux agriculteurs et leur famille46. Les conseillers eux-mêmes sont plongés dans un profond malaise devant cette accélération du processus de sélection, d’autant que les PDA excluent de fait certains agriculteurs qui ont été les bons élèves de la vulgarisation puis du développement durant les années 1960 mais ne sont plus en mesure de procéder à de nouveaux investissements47. En plus de nuire à l’équilibre interne de la famille, la multiplication des interventions des agents de développement au sein des exploitations fragilise la relation de confiance établie entre le conseiller et les agriculteurs, ce qui leur vaut d’être durement critiqués48.

  • 49 Éric Marshall, « D’une formation centrée sur un savoir disciplinaire à une formation centrée sur l (...)
  • 50 François Colson, Jacques Rémy, « Le développement, un enjeu de pouvoir », Les agriculteurs et la p (...)
  • 51 Entretien réalisé en août 2009 avec une ancienne conseillère à la chambre d’agriculture de la Savo (...)

32Parallèlement à cette politique de sélection par l’investissement, de nouveaux moyens sont attribués à la formation professionnelle des agriculteurs. Concrètement, l’ensemble des agriculteurs, et plus seulement les responsables agricoles, ont la possibilité de s’inscrire à des stages de courte durée, pendant lesquels ils sont rémunérés à hauteur du manque à gagner dû à leur absence sur l’exploitation. Les jeunes agriculteurs souhaitant bénéficier de la DJA et les agriculteurs engagés dans un PDA sont eux obligés de suivre une formation attestant leur « capacité professionnelle » d’un volume total de deux cents heures, où la moitié du temps doit être consacrée à leur formation économique49. La FNSEA parvient à soustraire cette question de la formation professionnelle au contrôle direct des SUAD, grâce à la création du Fonds d’action formation des exploitants agricoles (FAFEA)50. Sur le plan départemental, les FDSEA maîtrisent donc les crédits permettant l’organisation de ces formations, mais elles font largement appel aux conseillers des SUAD pour exercer la fonction de formateur. Ces derniers, et notamment les conseillères encore chargées de la vulgarisation féminine, peuvent retrouver dans l’animation de ces stages les marges de liberté et les moyens financiers qui leur sont de plus en plus difficiles d’accès du fait de la pression imposée par le PPDA51. Mais sur un plan plus général, cette réorganisation du développement dissociant l’enseignement et le conseil technico-économique revient à rétablir la division de la vulgarisation du progrès technique en agriculture antérieure à l’invention du métier de conseiller.

2.3. Un projet avorté : la reconstitution d’une « filière du progrès » sous l’autorité de l’État

  • 52 Jacques Pélissier, Rapport Pélissier sur le développement en agriculture. Rapport du groupe de tra (...)
  • 53 Raymond Mérillon, « La politique de vulgarisation-développement », La formation des acteurs de l’a (...)

33En 1979, une commission mandatée par l’ANDA et le ministère de l’Agriculture effectue un audit dans le but d’apaiser les tensions entre les différentes conceptions du développement agricole, et de proposer une nouvelle réforme de cette politique qui ne satisfait aucune des parties en présence. Présidée par Jacques Pélissier, la commission enquête notamment dans le département de la Savoie, territoire jugé représentatif des zones dans lesquelles les actions de développement sont difficiles à mener du fait des structures économiques et sociales qui se prêtent mal à une intensification rapide des productions52. Les membres du groupe de travail sont des hauts fonctionnaires du monde de la recherche et du ministère de l’Agriculture ainsi que des responsables agricoles. Ils procèdent à l’audition de différentes personnalités participant à la mise en œuvre de la politique de développement, et effectuent des missions d’observation sur le terrain (en Savoie donc, mais aussi en Mayenne, en Autriche et en Grande-Bretagne). Le rapport, adressé au ministre de l’Agriculture Pierre Méhaignerie, déplore l’insuffisance de la formation des agriculteurs et des conseillers, la perte d’expertise agronomique des ingénieurs du ministère accaparés par les tâches administratives, et le manque de liaison entre les instituts techniques contrôlés par les organisations professionnelles agricoles et l’établissement public qu’est l’INRA53. Les conclusions du rapport envisagent la réorganisation simultanée de la recherche, de l’enseignement et de la vulgarisation.

34Le diagnostic opéré n’est pas surprenant, mais l’explication donnée dans le rapport mérite par contre d’être relevée :

  • 54 Jacques Pélissier, Rapport Pélissier sur le développement en agriculture, ouvr. cité, p. 12.

Désorientés par l’absence d’objectifs quantifiés de production auxquels les premiers Plans les avaient habitués, les agriculteurs s’intéressent moins à l’innovation technique qu’au cours des années 1950, alors même que le maintien des positions françaises dans la CEE et la nécessité de payer par des exportations agro-alimentaires une partie des importations pétrolières exigent une agriculture plus compétitive.54

  • 55 Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », Actes de la recherche (...)

35Les hauts fonctionnaires et les élites de la politique de développement interprètent ici les comportements des agriculteurs en leur prêtant leurs propres schèmes de raisonnement. Penser que les agriculteurs travaillaient en fonction des objectifs quantifiés de production du Plan revient à universaliser un peu rapidement leur propre expérience : ce sont d’abord les élites formées au sein du Commissariat du plan qui ont acquis cette culture commune du respect impératif des objectifs quantifiés55. C’est précisément parce que cette universalisation n’a rien d’automatique que les politiques de modernisation ont dû recourir à des conseillers agricoles. Le rapport Pélissier apparaît ici à contretemps sur ces questions, en réactualisant les anciennes manières de penser la vulgarisation.

  • 56 Archive en ligne, Ministère de l’Agriculture, Direction générale de l’Enseignement et de la Recher (...)

36Le rapport conforte les vues du directeur général de l’Enseignement et de la Recherche au ministère de l’Agriculture, l’économiste Louis Malassis, qui conceptualise en 1980 une « filière du progrès » associant recherche, vulgarisation et enseignement56. Critiquant le développement agricole tel qu’il a été mené au cours des deux décennies précédentes, la nouvelle directive rejette « l’autonomie de la diffusion des connaissances ». Autrement dit, elle entend précisément revenir sur le travail effectué au cours des années 1950 par les organisations professionnelles agricoles pour instituer la vulgarisation comme un domaine à part entière qui ne relevait ni de l’enseignement, ni de la simple démonstration technique à visée commerciale. Il s’agit de redonner aux services de l’État un rôle majeur de coordination, à tous les niveaux de la filière du progrès. La directive prévoit ainsi la mise en place du Réseau national d’expérimentation et de développement (RNED) pour collecter des références par filières issues des travaux de l’INRA et des instituts techniques, la création d’une conférence départementale de l’agriculture pour coordonner les actions des ADASEA et des SUAD en matière d’installation et d’incitation au développement, l’ajustement des programmes de formation initiale de l’enseignement agricole et de formation continue du FAFEA, la définition d’une méthodologie du développement et de l’enseignement basée sur l’analyse de la prise de décision des exploitants.

37Ce projet d’un retour spectaculaire de l’État, la directive effaçant d’un seul coup près de deux décennies de cogestion du développement agricole, suscite de nombreuses oppositions, et d’abord celles du gouvernement lui-même, peu enclin à entrer dans un conflit à l’issue incertaine avec les organisations professionnelles agricoles à un moment où les échéances électorales approchent. La loi d’orientation agricole du 4 juillet 1980, que le ministère de l’Agriculture avait initialement conçue comme la première réforme législative d’envergure depuis 1966, reste prudente. Alors que les réformes successives de l’ANDA, les directives européennes, les transformations internes au champ des organisations professionnelles agricoles ont profondément modifié le contenu de la politique de développement agricole et donc le travail des conseillers, le gouvernement privilégie, du fait même de l’absence de décrets d’application, une sorte de statu quo qui, à défaut de suivre une ligne politique claire, a l’avantage de n’offrir aucun prétexte à une manifestation publique de mécontentement. L’arrivée au pouvoir de la gauche en mai 1981 enterre définitivement cette loi d’orientation. Mais si le retour de l’État dans la conduite du développement agricole a avorté en 1980, les réflexions menées renforcent le consensus autour de la requalification des conseillers en agents de développement agricole, et accentuent le processus de bureaucratisation de leur travail, en dépit des résistances de ceux qui défendent l’autonomie de ce métier.

3. L’effacement du groupe professionnel des conseillers

38La maîtrise des bricolages institutionnels, le sens de l’improvisation, la confiance mutuelle, la parole donnée sont autant d’éléments constitutifs du métier de conseiller et de l’unité du groupe professionnel qui n’ont plus leur place selon la nouvelle donne managériale. La bureaucratisation du travail des conseillers efface les limites difficilement instituées avec d’autres formes de vulgarisation. Les organisations qui avaient soutenu la professionnalisation des conseillers lors de la période précédente ménagent des résistances possibles, mais elles sont de plus en plus coûteuses. La dissolution de l’AFPA, un des principaux foyers de réflexion sur l’autonomie professionnelle des conseillers, remet en question le principe d’une formation spécifique au métier de conseiller. Sur le plan syndical, les prises de position des différentes organisations divergent de plus en plus. Enfin, les allers et retours opérés assez librement par les conseillers entre leur SUAD et leurs groupements sont devenus l’objet de réglementations plus contraignantes, qui entraînent de nouvelles tensions entre conseillers, employeurs et « usagers » du conseil. Un mouvement global de déprofessionnalisation s’amorce, mais paradoxalement, les tensions repérées dans le fonctionnement des diverses institutions montrent que le métier de conseiller tel qu’il a été imaginé au cours des années 1950 demeure un horizon de référence, en dépit des critiques répétées dont il fait l’objet.

3.1. La dissolution de l’AFPA

  • 57 A-INRA, JR/14, Convention AFPA-CNCA-IGER sur la préparation au métier de conseiller agricole, 4 no (...)

39Au début des années 1970, l’AFPA traverse une crise profonde, car elle est affaiblie par la volonté de l’APCA de régionaliser l’offre de formation. De plus, l’arrêté du 7 septembre 1970, qui institue un diplôme unique de conseiller agricole sans faire de distinction entre les diverses formes de conseil à l’intérieur des SUAD ni même avec les agents technico-commerciaux des coopératives, oblige l’AFPA à modifier le contenu de ses formations et à ouvrir des négociations avec l’IGER ainsi que le CNCA. La convention tripartite signée en décembre 1971 pose que « les aptitudes fondamentales nécessaires à l’exercice des fonctions de conseiller, que l’on soit conseiller de développement, conseiller de coopérative, SICA ou groupement de producteurs, ou conseiller de gestion sont globalement de même nature ». C’est un renversement complet de perspective par rapport au travail accompli depuis 195957. L’AFPA garde des prérogatives importantes, que ce soit pour l’examen de sélection, la définition des conditions de la préparation au métier, ou le contrôle et la sanction de la formation, du fait de son savoir-faire en matière d’enseignement de la méthodologie du conseil. Mais la convention attribue à chacun des partenaires un droit de regard sur chacun des trois types de conseillers à former : à l’IGER les conseillers de gestion, au CNCA ceux de coopératives et organismes économiques, et à l’AFPA les conseillers d’orientation.

  • 58 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 68-70.

40La réforme institue un tronc commun initial de formation (le cycle « Méthodes et métiers ») complété par des cycles optionnels ainsi que des stages sur le terrain organisés par chacun des trois partenaires. La mise en œuvre du cycle « Méthodes et métiers » se révèle très délicate, en raison des conceptions de plus en plus divergentes des différents acteurs de la formation (formateurs, stagiaires, représentants des chambres d’agriculture, du syndicalisme agricole et de la coopération)58. Les critiques se concentrent essentiellement sur les méthodes d’apprentissage employées au sein de l’AFPA. Ces méthodes fédèrent contre elles une partie des conseillers qui se trouvent désorientés par certains formateurs animant leurs sessions selon le principe de non-directivité des psychosociologues américains. Cette fronde reste limitée, mais elle est exploitée par les responsables des organisations professionnelles agricoles qui n’ont jamais accepté la relative indépendance dont jouit l’AFPA. Ils critiquent les formations proposées, jugées trop coûteuses et trop lointaines des problèmes concrets des conseillers sur le terrain. Ils craignent également qu’un centre de formation autonome subvertisse le rapport d’autorité qu’ils exercent sur les conseillers, en donnant à ces derniers l’occasion d’échanger librement sur leurs conditions de travail et de se regrouper en dehors du contrôle des organisations professionnelles agricoles.

  • 59 A-INRA, 1JR7, Procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de l’AFPA, 1975.
  • 60 Ibid., p. 6.
  • 61 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 71.

41Les échanges au sein du conseil d’administration de l’AFPA se font de plus en plus vifs tout au long de l’année 1975, jusqu’à la dissolution de l’AFPA le 31 décembre, immédiatement recréée sous la forme d’un service d’utilité agricole (SUA) interne à l’APCA59. L’AFPA et son centre de formation de Trie-Château constituaient un point fixe autour duquel pouvaient se déployer les aspirations des conseillers à l’autonomie professionnelle. Cette réorganisation doit permettre un contrôle plus serré de la formation des conseillers par les directions des principales organisations professionnelles agricoles. En outre, les centres régionaux acquièrent de nouvelles responsabilités. Les opposants à cette réforme, parmi lesquels on retrouve les représentants des syndicats de conseillers agricoles, dénoncent le fait qu’ils soient écartés du futur comité de direction du SUA et relégués dans un rôle consultatif60. En dépit des dénégations des responsables des principales organisations (APCA, ANDA, Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles – CNMCCA), la liquidation de l’AFPA ne constitue pas un simple ajustement administratif : elle marque la fin de la convergence politique au niveau national entre les conseillers et leurs employeurs. Pourtant, les acquis de la période précédente ne sont pas entièrement effacés. La création de la formation de conseiller de synthèse d’exploitation agricole, chargé de suivre l’exploitation familiale dans sa globalité, répond à la demande des chambres qui souhaitent continuer à embaucher des conseillers qui ne soient pas de simples agents techniques61. Alors que le projet de l’AFPA était de donner un style commun à des conseillers ayant des activités très différentes, le nouveau système de formation tend à parcelliser le métier de conseiller en valorisant la « synthèse » comme une capacité parmi d’autres.

  • 62 Jean-François de Caffarelli, Le conseil agricole et la modernisation de l’agriculture française, o (...)
  • 63 Ibid., p. 28.
  • 64 A-INRA, 1JR6, Synergie-ROC, Étude sur les conseillers agricoles, 31 juillet 1961.

42Cette évolution va de pair avec la lente transformation de la population des stagiaires aspirant au métier de conseiller. Une étude de l’AFPA portant sur quelques dizaines de candidats à l’examen d’entrée au cycle de préparation au métier, en 1971, 1974 et 1977, indique que la proportion de candidats d’origine citadine augmente régulièrement, tandis que celle des candidats d’origine agricole baisse en passant de 77,4 % à 67,1 % puis 62,9 %62. Même s’il baisse, ce taux important de candidats ayant des origines agricoles est le signe de la conservation d’une identité spécifique : les conseillers restent majoritairement des agents qui ont partie liée avec le monde agricole dont ils ont une intime connaissance. Si la référence au « sens rural » des conseillers n’est plus aussi valorisée dans les discours institutionnels, elle reste implicitement un critère important dans le choix de ce métier et dans le recrutement des candidats. La filière dite de « la promotion sociale », c’est-à-dire des candidats ayant suivi une préformation (dite Centre A) pour être admissibles à la formation de conseiller proprement dite (Centre B), est l’objet de toutes les attentions depuis les années 1960. En 1977, l’étude de l’AFPA révèle que si la part des conseillers titulaires d’un BTSA acquis par la voie de la « promotion sociale » a diminué de moitié entre 1971 et 1977, leur taux de réussite aux examens d’entrée reste sensiblement équivalent à celui obtenu par les ingénieurs, et largement supérieur à celui des candidats titulaires d’un BTSA obtenu par la voie scolaire classique63. L’entrée dans le métier des candidats issus de la promotion sociale reste facilitée à un moment où la compétence technique est largement mise en avant, où le niveau général de formation tend à s’élever et où la proportion de citadins tend continuellement à augmenter. Cela s’explique notamment par l’introduction précoce de la psychosociologie dans les méthodes de recrutement et de formation au métier de conseiller, cette approche valorisant les candidats dont les dispositions, historiquement et socialement acquises, sont ajustées au contact des agriculteurs64.

  • 65 Entretien avec l’ancienne comptable du centre d’Anjou de 1959 à 1969, réalisé par l’auteur en janv (...)
  • 66 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Jean Casaubielh, alors directeur du centre de formati (...)

43En dépit de la dissolution de l’AFPA, qui était sous sa forme initiale relativement indépendante vis-à-vis des organisations professionnelles dominantes, d’autres lieux continuent d’entretenir leur spécificité et prolongent les réflexions des années 1960 sur l’autonomie des conseillers. En Isère, après une fermeture imposée du fait des difficultés de financement, le centre d’Anjou rouvre au début des années 1970 sous l’impulsion notamment de l’association des anciens élèves65. Le centre d’Etcharry au Pays basque poursuit lui ses activités et parvient à préserver son autonomie en se tenant à l’écart des grands conflits nationaux66. Sur le plan régional, les sessions de perfectionnement à destination des conseillers permettent de nouer des liens, bien que le poids des départements reste prépondérant dans la manière dont les conseillers et conseillères tissent des relations entre eux. Il n’empêche que la dissolution de l’AFPA, institution emblématique de l’implication des conseillers dans le projet modernisateur, laisse le champ libre à la critique managériale de l’inefficacité des conseillers et à la justification d’un renforcement du contrôle bureaucratique de leurs activités. Les syndicats de conseillers n’ont pas été en mesure de s’opposer à ce mouvement de reprise en main de la formation par les employeurs, malgré le soutien affiché à certains responsables de chambres d’agriculture rejetant les réformes managériales du développement agricole.

3.2. Les divisions des syndicats de conseillers agricoles

44Tout au long des années 1960, les syndicats de conseillers agricoles ont participé activement à la professionnalisation du groupe en cherchant à en donner une représentation unitaire, notamment lors des grands congrès de l’UNATCA. Mais au début des années 1970, la rupture entre les deux principaux syndicats, le SNCA affilié à la CGC, et le SNATPA affilié à la CFDT, compromet l’action de l’UNATCA. Désormais, deux analyses s’opposent à l’intérieur du champ syndical : le SNATPA s’attache à replacer les conseillers et leur action dans la perspective de la lutte des classes et de la défense des salariés, quand le SNCA, devenu le Syndicat national des conseillers de développement agricole (SNCDA), revendique l’implication des conseillers dans la définition de la politique de développement et la conservation de l’idéal de promotion collective des agriculteurs et de leurs conseillers. Ces syndicats sont confrontés à la question de l’évaluation des actions des conseillers, à la suite des revendications de la coopération et du syndicalisme agricoles sur le contrôle de l’appareil de développement, et aux nouvelles exigences de l’administration en matière de contrôle budgétaire. Ils doivent également prendre en considération la transformation de la structure de la population de leurs adhérents potentiels, du fait de la croissance globale des effectifs des agents du développement agricole, et en particulier de l’importance prise par les agents techniques (contrôleurs laitiers, inséminateurs,…).

  • 67 A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Rapport d’activité lors de l’assemblée générale du SNATPA, mai 1974, p. 1
  • 68 A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Plaidoyer pour un développement agricole cohérent et efficace, 9 et 10 fé (...)
  • 69 L’UNATCA n’a plus de fonction syndicale représentative en tant que telle, mais elle continue de pu (...)

45Pour faire face aux incertitudes exprimées lors de son congrès de 1971, le SNCDA lance une série d’enquêtes pour identifier les problèmes concrets auxquels sont confrontés ses adhérents. Les responsables du syndicat ont perçu le changement de direction de l’ANDA en 1972, avec l’arrivée du nouveau président Gérard de Caffarelli venu de la FNSEA et d’un nouveau directeur, M. Le Gouis, venu du ministère des Finances, comme une menace pour leur autonomie professionnelle, un rapport évoquant même un développement qui serait désormais « en liberté surveillée »67. Le SNCDA entend répondre aux critiques qui viennent à la fois des responsables agricoles et des hauts fonctionnaires, les premiers se plaignant du coût et de l’inefficacité des conseillers quand les seconds pourraient tenter d’imposer le retour des services agricoles68. Face à la montée en puissance de la coopération et du syndicalisme agricoles, le SNCDA réaffirme son attachement aux SUAD et aux valeurs d’indépendance du métier de conseiller agricole, contre une conception technocratique du développement qui serait imposée aux groupements locaux. Une première enquête, menée auprès de quarante-cinq conseillers, sert de base à la rédaction d’un « plaidoyer pour un développement agricole cohérent et efficace », diffusé aux présidents et directeurs de chambres d’agriculture et de centres de gestion, ainsi qu’à l’ensemble des techniciens répertoriés par l’UNATCA69. Fidèle aux conceptions élaborées durant les années 1960, le SNCDA exprime sa crainte que les sanctions et les contrôles annoncés par l’ANDA ne reviennent à dessaisir les agriculteurs de la responsabilité du développement, et à déposséder les conseillers de l’essence même de leur travail.

  • 70 A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Analyse des conventions signées, novembre 1973, 33 pages ; A-INRA, 1JR7, S (...)
  • 71 B. Dupuis, « Les conseillers agricoles face au développement », Économie rurale, no 99-100, 1974, (...)

46Cette identification des intérêts des conseillers à ceux des agriculteurs se double de revendications plus spécifiques sur les conditions d’emploi des conseillers. Deux enquêtes, lancées en 1973, examinent ainsi comment se déroule la mise en œuvre d’une convention collective dans chaque département, et quelles sont les modalités de remboursement des frais de déplacement, préoccupation prosaïque mais très sensible pour les adhérents du syndicat qui passent un temps considérable sur les routes70. Les résultats de ces travaux mettent en lumière les disparités encore importantes entre les départements : des écarts subsistent notamment au niveau de l’application du droit syndical, des conditions de recrutement, de rémunération et d’avancement, de l’obtention d’un supplément familial ou encore d’indemnités de licenciement. Sur ce point, le SNCDA est rejoint par le SNATPA-CFDT mais l’analyse qui s’ensuit diffère radicalement. Le premier continue de se présenter comme un interlocuteur privilégié pour les organisations professionnelles agricoles, et les chambres d’agriculture en particulier, ayant sa place dans la définition de la politique de développement. Le second prend acte de l’évolution des formes de conseil et de la technicité croissante du métier : « Au conseiller homme de contact, libre et indépendant (image d’Épinal bien sûr), se substitue un technicien dont on cherche à préciser les objectifs d’action, à quantifier le travail, à évaluer le rendement. »71 À partir de ce présupposé, le SNATPA veut créer une conscience plus nette de salarié, quitte à renoncer à la spécificité du lien du conseiller et de l’agriculteur, conception jugée passéiste, et à dissoudre la « conception centralisatrice du métier » (matérialisée notamment par le diplôme unique) dénoncée comme un facteur de blocage de la promotion des techniciens.

  • 72 SNCDA information, no 9, 4e trimestre 1980. La collection est partiellement conservée à la Bibliot (...)

47En septembre 1973, une circulaire du ministre de l’Agriculture Jacques Chirac adressée aux inspecteurs des lois sociales relance la signature de conventions collectives entre les syndicats et les chambres d’agriculture. De leur côté, les syndicats de conseillers établissent des textes types qui précisent à leurs délégués départementaux les points cruciaux sur lesquels ils ne doivent pas céder durant les négociations : refuser les conditions de bonne moralité, appliquer la convention à l’ensemble du personnel, faire respecter le droit syndical, éviter l’emploi de personnel stagiaire. La signature des conventions collectives progresse au coup par coup, au gré des arrangements trouvés dans chaque département, et semble devoir se généraliser en quelques années (en 1978, soixante-douze conventions départementales ont été validées)72. Mais sur le plan national, les rapports entre les syndicats et leurs employeurs se tendent très fortement lors de la publication du rapport « Horizon 80 », évoqué dans la première partie de ce chapitre. Alors que leurs lignes politiques divergent de plus en plus depuis la fin des années 1960, le SNCDA et le SNATPA se retrouvent pour faire front commun et s’opposer de manière virulente aux vues de ce groupe de pression qui entend imposer un bouleversement radical de la logique même du développement agricole.

  • 73 SNCDA information, no 5, 1er trimestre 1978, p. 1-2.
  • 74 SNCDA information, no 10, 2e trimestre 1981.
  • 75 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole, ouvr. cité, p. 136.

48Le SNCDA dénonce le projet d’agrément des techniciens de coopératives et de groupements de producteurs ainsi que des animateurs syndicaux au titre d’agents de développement, qui permettrait aux structures qui les emploient de bénéficier plus largement des crédits de l’ANDA. Contre cette réforme qui reviendrait à « brader la profession de conseiller », le SNCDA appelle à défendre la qualification nationale reconnue par le ministère sur la base de la démonstration d’un niveau de compétence et d’une aptitude à exercer le métier73. Le syndicat publie en 1976 un rapport dans lequel il rappelle son attachement aux valeurs humanistes de ce métier, à l’autonomie de décision, aux vertus du travail collectif et à la solidarité avec l’ensemble des agriculteurs74. Cette position reste d’ailleurs inchangée jusqu’au début des années 1980. De son côté, le SNATPA s’oppose lui aussi à « Horizon 80 » mais sur des bases différentes. Il est le premier à rendre publique l’existence d’une note complémentaire au rapport « Horizon 80 », dans laquelle les rapporteurs abandonnent toute prudence et révèlent leur intention de bouleverser entièrement l’appareil de développement. Le 2 juin 1976, le syndicat organise même une manifestation de trois cents personnes devant l’immeuble de l’APCA, puis une délégation tente d’intervenir pendant la session de l’APCA, mais elle est refoulée par la police75.

  • 76 Archives CFDT (ACFDT), 60G 18, USNATPA-FGA, Colloque sur le développement agricole, novembre 1974.
  • 77 Ibid.

49Le SNATPA dénonce l’instrumentalisation des agents de développement comme « agents de transmission des valeurs de la société de consommation et des outils d’intégration des agriculteurs au mode de production capitaliste » quand ils ne seraient pas réduits à une fonction d’assistance sociale76. Il critique l’alignement de la politique de développement agricole sur les exigences des firmes agroalimentaires, dans une perspective productiviste, élitiste, économiste, et privatisée. Et il ne se prive pas de fustiger les comportements hésitants des agents de développement, entre « le fonctionnaire qui fait ce qu’on lui dit et se fout du reste », et « le petit notable qui dans sa région veut faire partie des professions libérales »77. Le SNATPA veut imposer un rapport de force qui soit avant tout une lutte de salariés contre leurs employeurs, et permette de former une coalition composée de l’ensemble des salariés de l’agriculture. En dépit de leurs profondes divergences, l’union des syndicats contre le projet défendu dans le rapport « Horizon 80 » contribue à son abandon dès l’été 1976.

  • 78 ACFDT, 23G 49, APCA, Rapport de l’APCA sur les questions de personnel, septembre 1975.
  • 79 ACFDT, 60G13, APCA, Rapport sur les règles définissant les modalités d’exercice de la fonction d’a (...)
  • 80 ACFDT, 60G10, USNATPA-FGA, Document récapitulatif sur les négociations portant sur le statut du pe (...)

50Malgré leur opposition commune à ce projet, les rapports des syndicats de conseillers avec l’APCA demeurent difficiles. Habitués à un règlement des conflits sur un mode paternaliste, les responsables de l’APCA se plaignent de l’influence négative des organisations syndicales dont le discours dénonce le principe de solidarité organique des conseillers et de leurs employeurs78. L’APCA refuse de négocier la convention collective nationale réclamée par les syndicats. Cette affirmation d’autorité découle aussi de la méfiance grandissante qu’inspirent les conseillers à leurs employeurs. Un rapport de l’APCA de 1976 croit bon de préciser que « les agents de développement ne peuvent utiliser leur situation pour tenter d’infléchir dans quelque sens que ce soit les intentions des agriculteurs lors des élections professionnelles ou politiques »79. Dans ce climat tendu, avec même une grève ponctuelle des conseillers agricoles en mai 1977, les négociations nationales s’avèrent très difficiles et la réforme du statut du personnel technique se trouve bloquée, ou cantonnée aux conventions collectives départementales jusqu’au début des années 198080. Les syndicats de conseillers constituent une force politique non négligeable, mais ils ne sont plus en mesure de formuler un projet commun : le SNATPA-CFDT s’est définitivement tourné vers la défense des droits des salariés et la normalisation des conditions d’emploi des agents de développement agricole, tandis que le SNCDA tente toujours de faire valoir les conceptions du métier de conseiller et du développement agricole élaborées lors des décennies précédentes sans bénéficier du même soutien de la part des responsables professionnels agricoles.

3.3. La diversification des formes de conseil

  • 81 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 10 décem (...)
  • 82 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 26 novem (...)

51Au cours des années 1970, la croissance des effectifs salariés des SUAD se poursuit, mais elle change de rythme et de nature. En 1971, la chambre d’agriculture de la Savoie emploie vingt-neuf agents dont dix-neuf exercent une activité de conseil (quatorze dans le cadre du SUAD et cinq dans celui de l’EDE)81. En 1975, sept nouveaux contrats ont été signés, contre un seul au départ. La stagnation des ressources parafiscales de la chambre, limitées par les directives nationales à l’augmentation du taux d’inflation, impose une diversification des sources de financement, et par suite, des fonctions des employés : un poste de conseiller créé dans une région de montagne grâce à un financement spécial consenti par l’ADNA ; un poste d’agent technique au service de remplacement financé par les contributions sociales ; un poste d’agent technique spécialisé dans la fabrication du fromage de Beaufort et les machines à traire, embauché grâce à un versement de l’Union des producteurs de Beaufort (UPB) ; un poste mixte pour un conseiller dont le temps de travail est réparti entre le centre de gestion et le conseil en bâtiments d’élevage ; un poste de conseiller de promotion des produits agricoles soutenu par les groupements de producteurs concernés82. Le poste supprimé de conseiller viticole est en fait repris sous la forme d’un emploi de secrétaire de la Fédération des vins de Savoie. Quant aux études techniques réalisées par la chambre, elles sont davantage confiées à du personnel temporaire.

  • 83 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 30 décem (...)
  • 84 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 novem (...)

52Cette diversification illustre bien la mutation interne des SUAD en quelques années, sous l’effet conjugué des coupes budgétaires, des nouvelles exigences des producteurs et de l’affirmation de l’intérêt des organismes économiques pour le développement. Elle va de pair avec une différenciation croissante des types de conseil proposés par la chambre d’agriculture : quatre conseillers départementaux (deux conseillers de gestion, un conseiller d’élevage et un conseiller spécialisé) occupent une position supérieure aux huit conseillers de secteur ayant une spécialisation, eux-mêmes étant au-dessus de la dizaine de conseillers moins qualifiés83. Le rythme des embauches se ralentit nettement par la suite, si ce n’est la titularisation de trois agents employés à temps partiel jusqu’en 1981 et l’embauche d’un nouveau conseiller de gestion84. Alors que le service technique, puis le SUAD avaient constitué un outil d’homogénéisation des cadres de travail pour les premiers conseillers, les années 1970 sont plutôt un moment d’éclatement des missions, des objectifs et des employeurs en dépit de la conservation d’une unité administrative.

  • 85 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 18 novembr (...)
  • 86 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 28 novembr (...)

53En Isère, l’évolution est différente, car les moyens plus importants dont dispose la chambre d’agriculture lui permettent d’étoffer ses effectifs sans recourir aussi systématiquement à la diversification de ses activités. En 1974, le SUAD emploie vingt-sept conseillers (dont six conseillères, contre trois en Savoie au même moment). Trois ans plus tard, les effectifs se montent à trente-trois conseillers (dont toujours six conseillères), chiffre qui tend à se stabiliser les années suivantes. Ils se répartissent de la manière suivante : quatre conseillers spécialisés, seize conseillers de secteur dont quatre sont responsables d’une petite région, six conseillères animant vingt-deux groupements féminins, cinq conseillers de gestion, ainsi que huit conseillers d’élevage et seize contrôleurs laitiers sous la tutelle de l’EDE85. Cette légère croissance des effectifs de conseillers pourrait laisser croire à une extension progressive des opérations de développement agricole à l’ensemble du territoire du département. Mais ce serait laisser échapper la mutation fondamentale que représente le recours de plus en plus systématique à des agents techniques, à l’instar des contrôleurs laitiers, chargés de collecter des données auprès des agriculteurs et de les transmettre aux conseillers qui doivent eux faire preuve de leurs capacités à proposer de nouvelles orientations en fonction des résultats de chaque exploitation86. Ce modèle est particulièrement bien structuré au sein des EDE, et il tend à s’imposer à l’ensemble des conseillers.

  • 87 A-INRA, 1JR8, APCA, Rapport sur l’efficacité du développement, février 1980, p. 58.
  • 88 Elle recense deux mille vingt contrôleurs laitiers, deux mille deux cents inséminateurs, mille cin (...)
  • 89 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 29 novem (...)

54Sur le plan national, l’ANDA recense ainsi en 1978 un total de deux mille cinq cent soixante et un conseillers de terrain et animateurs, auxquels elle ajoute mille six cent cinquante-cinq cadres départementaux pour arriver au total de quatre mille huit cent dix-huit agents départementaux de conseil, d’appui et d’encadrement répartis entre les SUAD, les centres de gestion et les EDE87. Elle distingue de cette première catégorie les six mille six cent quatre-vingt-douze agents d’appui technique, économique et comptable (contrôleurs laitiers, inséminateurs, comptables, agents relation culture des coopératives88) dont elle estime qu’ils consacrent 20 à 30 % de leur temps à des actions de développement. Les agents techniques sont désormais plus nombreux que les conseillers agricoles. Le développement agricole, de plus en plus technicisé et spécialisé, accorde une place prépondérante à la collecte de références et aux méthodes de gestion. La délégation de la collecte des informations et des conseils pratiques les plus simples aux agents techniques permet aux conseillers de valoriser leur approche globale de l’exploitation. Cette évolution met en difficulté les moins formés des conseillers et ceux qui sont cantonnés à un domaine plus restreint, comme les conseillères. Les conflits du travail, rares ou inexprimés dans des années 1960, deviennent plus fréquents, sur le plan local comme sur le plan départemental. Le contrôle resserré des activités des conseillers est d’autant plus mal vécu qu’il coïncide avec un relatif désengagement des agriculteurs des groupes locaux de développement, perceptible dans les difficultés de renouvellement des équipes dirigeantes, ce qui oblige les conseillers à endosser des fonctions d’animation89.

55Les difficultés rencontrées peuvent être ressenties par les conseillers comme un échec personnel et professionnel en raison de leur fort investissement dans leur travail, et ce d’autant plus que leurs employeurs laissent planer le doute quant à leur responsabilité directe dans l’échec du projet de promotion collective du monde agricole. Comme l’écrit le directeur de la chambre d’agriculture de la Savoie :

  • 90 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 novem (...)

Il faut donc savoir ce que l’on veut que les techniciens fassent, mais ils ne peuvent être au four et au moulin, assister les agriculteurs en difficulté et apporter un appui technique aux agriculteurs de pointe, tout en assurant la diffusion de masse ; ils ne peuvent accepter et ils n’acceptent pas, alors qu’on les avait autrefois ignorés, qu’on les considère maintenant comme responsables du fait que les agriculteurs, surtout en montagne, n’arrivent pas à compenser l’augmentation considérable des charges et la stagnation des prix de vente des produits.90

56Sur le terrain, les conseillers subissent en outre la concurrence accrue des agents des coopératives, de leurs démonstrations spectaculaires, et de leurs méthodes souvent radicales. Un conseiller raconte ainsi comment il a abandonné son travail de conseiller de secteur :

  • 91 Entretien avec un conseiller agricole de la chambre d’agriculture de l’Isère embauché au début des (...)

Un des facteurs déclenchants, c’est que je me suis retrouvé un jour avec un agriculteur qui me dit : « Tiens, viens voir, j’ai mon orge là. » C’était au printemps, au mois de mars. « J’ai de l’orge qui est jaune, qui est pas belle, qui démarre mal, il doit y avoir un problème. » Alors je suis allé sur la parcelle, on a tourné bien en rond là-dessus. J’ai dit : « Écoute, moi je vois pas de maladie, pas de septoriose [maladie fongique], on vient de traverser une période froide, je pense que la végétation a été stoppée, l’azote a pas nitrifié, donc à mon avis, c’est simplement ça, carence de soleil, s’il arrive une pluie chaude derrière, ton orge il va repartir sans problème. » Bon. Et puis quelques jours après, je repassais dans le coin, je m’arrête, je lui dis : « Alors, cet orge, ça va mieux ? » Il me dit : « Ben oui, ça y est, c’est reparti, mais je sais pas d’où ça venait. Le technicien de la coopérative il est passé après toi et il m’a fait traiter avec un fongicide. » J’ai dit : « T’as laissé un morceau, une parcelle témoin pour qu’on voie s’il y a une différence ? » Il me dit : « Oh ben non j’ai traité partout. » Je lui ai dit : « Bon ben ça va. » Moi j’avais rien à vendre, je suis à peu près sûr de ce que j’ai dit mais… Alors que mon camarade de la coop il avait un produit qu’il fallait fourguer. Donc il a été plus écouté par… Le vendeur a été plus écouté que le conseiller indépendant et ça, ça m’a semblé un petit peu… ça enlève rien d’ailleurs de l’amitié que j’avais pour le collègue de la coop… Mais […] je me suis dit : « Le commercial est en train de primer. »91

57Ce récit met en scène le conseiller dans son travail quotidien : déplacement, contact avec l’agriculteur, diagnostic technique, suivi du problème dans la durée. L’intervention du technicien de la coopérative s’oppose à la sienne sur le plan des méthodes : alors que le conseiller privilégie l’observation et l’expérimentation, l’agent de la coopérative préconise un traitement uniforme et immédiatement efficace. Cette différence d’approche n’est pas nouvelle, elle existe déjà à la fin des années 1950. Ce qui crée la rupture, c’est le renversement de la hiérarchie des relations de l’agriculteur avec chacun des deux agents : toute la légitimité du conseiller repose sur la relation de confiance avec l’agriculteur, ce qui donne un plus grand poids à sa parole qu’à celle des autres agents de développement. Son indépendance garantit cette confiance qu’il réclame. Lorsque le conseiller s’aperçoit qu’un technicien pris dans une logique commerciale est plus écouté que lui, il ressent une grande désillusion vis-à-vis de son métier. Ce récit d’une expérience individuelle illustre la description du processus global de fragilisation du métier de conseiller au cours des années 1970, l’effacement des anciens cadres collectifs qui en délimitaient la pratique se traduisant par une moindre protection des individus. Le plus petit des conflits apparaît dès lors comme une remise en cause globale du sens même du travail effectué jusque-là, et fait douter certains conseillers de l’utilité de poursuivre leur action.

*

58Lorsque le développement était d’abord défini comme un élan, reposant sur la valeur performative de la parole des responsables agricoles et des conseillers, la recherche de nouveaux moyens financiers et humains et leur emploi étaient subordonnés à de multiples arrangements départementaux et locaux. La nouvelle donne managériale introduite dans le sillage de la réforme de Grignon et des directives européennes socio-structurelles en 1972, relayée par la Coopération et une partie du syndicalisme agricole, impose de faire exactement l’inverse : contrôler rigoureusement l’emploi des moyens humains et financiers pour faire de la mesure de l’efficacité de chaque action de développement le critère décisif de la poursuite de chaque réalisation. La crise du financement des institutions du développement agricole au début des années 1970 constitue un contexte favorable pour imposer ces nouvelles techniques de gestion, inspirées de la méthode de RCB, au niveau de l’encadrement du travail des conseillers agricoles comme du suivi de l’investissement des agriculteurs.

59La bureaucratisation du travail de conseil et la fragmentation des métiers du conseil accompagnent la spécialisation toujours plus poussée des exploitations, quitte à susciter un certain désarroi chez les agriculteurs livrés à eux-mêmes, l’intensification de leur travail ayant brisé les anciennes solidarités et les cadres spatio-temporels traditionnels. Les conseillers qui s’opposeraient à cette logique au nom de la préservation de leur propre autonomie de décision et de celle des agriculteurs risqueraient d’être renvoyés à l’ambivalence des méthodes qu’ils utilisent depuis les années 1950 pour emporter la conviction des agriculteurs : le respect scrupuleux de l’indépendance de leurs interlocuteurs s’est toujours effacé devant la démonstration de l’irrationalité de telle ou telle orientation et de l’inéluctabilité de telle ou telle décision, chiffres à l’appui. Le miroir tendu par le réformateur gestionnaire au conseiller récalcitrant lui renvoie l’image de l’agent de développement qu’il aurait toujours été sans le savoir, exécuteur des basses œuvres de sélection de la modernisation déguisé en ami des agriculteurs. Pour subvertir cette assignation, les conseillers les plus imaginatifs entreprennent alors de réinventer la relation qui les unit aux agriculteurs en inscrivant leur action dans des contextes qui résistent à l’impératif productiviste.

Notes

1 Michèle Salmona, Souffrances et résistances des paysans français, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 50. Michèle Salmona, sociologue, s’est intéressée à partir des années 1970 à la manière dont les familles agricoles sont déstructurées par l’intensification des modes de production.

2 Jean-Pierre Bompard, Jean-Paul Girard, Gilles Postel-Vinay, « Le crédit, les agriculteurs et la crise », Économie rurale, no 139, 1980, p. 23-30.

3 Pierre Alphandéry, Pierre Bitoun, Yves Dupont, Les champs du départ : une France rurale sans paysans ? Paris, La Découverte - Cahiers libres, 1988.

4 Voir l’intervention de Jacques Cambolive, député socialiste de l’Aude, devant l’Assemblée nationale, Journal officiel de la République française, 8 novembre 1979, p. 9616.

5 Philippe Bezès, « État, experts et savoirs néo-managériaux », Actes de la recherche en sciences sociales, no 193, 2012, p. 16-37. La politique RCB est directement inspirée du Planning Programing Budgeting System américain. Officiellement abandonnée en 1984, elle a servi de terreau à l’introduction du nouveau management public à partir des années 1980. Dans une certaine mesure, la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) adoptée en 2001 reprend l’héritage de la RCB. Voir Bernard Perret, « De l’échec de la rationalisation des choix budgétaires (RCB) à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) », Revue française d’administration publique, no 117, 2006, p. 31-41.

6 Tiré des travaux d’Everett Rogers, sociologue américain, le concept de la diffusion des innovations en tache d’huile est notamment repris dans des travaux français. Voir Maryvonne Bodiguel, Les paysans face au progrès, ouvr. cité ; Pierre Boisseau, « Sociologie de la tache d’huile », art. cité.

7 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 4 décembre 1967.

8 Pour le plan Mansholt, voir Mémorandum sur la réforme de l’agriculture dans la Communauté économique européenne, Bruxelles, Secrétariat général de la Commission des Communautés européennes, 1968 ; et pour le plan Vedel, voir Perspectives à long terme de l’agriculture française, 1968-1985. Rapports remis les 27 juin 1968 et 20 juin 1969 à M. le ministre de l’Agriculture par la Commission présidée par M. le doyen Georges Vedel, Paris, La Documentation française, 1969. Pour une mise en perspective de ces travaux par rapport à la construction de la PAC, voir Ève Fouilleux, La politique agricole commune et ses réformes : une politique européenne à l’épreuve de la globalisation, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 223‑255.

9 Cette dissension marque le début de l’organisation du mouvement des Paysans travailleurs. Voir Jean-Philippe Martin, Histoire de la nouvelle gauche paysanne : des contestations des années 1960 à la Confédération paysanne, Paris, La Découverte, 2005.

10 Perspectives à long terme de l’agriculture française, ouvr. cité.

11 Cour des comptes, Rapport au Président de la République suivi des réponses des administrations, année 1970, Paris, Journaux officiels, 1972, p. 53-57 (rapport), p. 135-137 (réponse du gouvernement). Pour une analyse éclairante de ce rapport, voir Alain Brun, Jean-Pierre Deffontaines, Pierre-Louis Osty, Michel Petit, « Une équipe de recherches face aux problèmes de développement », Économie rurale, no 99-100, 1974, p. 105-114.

12 Pierre Coulomb, Henri Nallet, Le syndicalisme agricole et la création du paysan modèle, ouvr. cité.

13 Certains auteurs parlent d’une « rente céréalière » pour décrire cette politique des prix élevés. Voir Claude Servolin, L’agriculture moderne, ouvr. cité, p. 176.

14 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole (1972-1977), mémoire de DEA, Paris, INRA, 1978, p. 17.

15 Pierre Coulomb, Henri Nallet, « Les organisations syndicales à l’épreuve de l’unité », L’univers politique des paysans dans la France contemporaine, ouvr. cité, p. 379-413.

16 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole, ouvr. cité, p. 112-113.

17 Ibid., p. 116-117.

18 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts : l’organisation de la prévision économique au ministère des Finances, 1948-1968, Paris, CHEFF, 2002.

19 Philippe Bezès, « État, experts et savoirs néo-managériaux », art. cité.

20 APCA, « Une démarche nouvelle pour l’élaboration et la gestion des programmes de développement agricole », Chambres d’agriculture, no 553-554, avril 1975, p. 1-14.

21 Louis Malassis, « Commentaires à propos des plans départementaux de développement », Économie rurale, no 99-100, 1974, p. 102.

22 Philippe Nicolas, « Émergence, développement et rôle des coopératives agricoles en France : aperçus sur une histoire séculaire », Économie rurale, no 184-186, 1988, p. 116-122.

23 Jacques de Saint-Martin, « Les conflits sources de progrès », Économie rurale, no 99-100, 1974, p. 86.

24 François Colson, Jacques Rémy, « Le développement, un enjeu de pouvoir », Les agriculteurs et la politique, ouvr. cité, p. 199.

25 Ibid., p. 200.

26 Archives de l’INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Gérard de Caffarelli (président de l’ANDA depuis 1972, architecte de la réforme de Grignon, et soutien du rapport « Horizon 80 »), 1976, p. 14-15.

27 Archives de l’INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Pierre Cormorèche, 1976, p. 15-16. On prête au ministre de l’Agriculture de l’époque une hostilité particulière aux conseillers agricoles, l’un d’entre eux s’étant présenté contre lui aux élections législatives dans sa circonscription du Morbihan.

28 Geoffrey Guens, « Avant-propos : thinks tanks, experts et pouvoirs », Quaderni : communication, technologie, pouvoir, no 70, 2009, p. 5-9.

29 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole, ouvr. cité, p. 129-132.

30 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Jean Pousset, 1976, p. 42-44.

31 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Pierre Cormorèche, 1976, p. 2 ; A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Gérard de Caffarelli, 1976, p. 16.

32 Roger Le Guen, « Les relations employeurs-employés : des affinités électives à la prise de distance », Conseiller en agriculture, Jacques Rémy, Hélène Brives, Bruno Lémery éd., Dijon, Éducagri, 2006, chap. 4, p. 71-82.

33 ACA Savoie, procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 29 novembre 1974.

34 ACA Savoie, procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 novembre 1981.

35 ACA Savoie, procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 24 novembre 1977 ; ACA Isère, procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 18 novembre 1977.

36 Cinémathèque du ministère de l’Agriculture, Le visiteur, réalisé par Armand Chartier, Ministère de l’Agriculture - Les Films du Centaure, 1973, couleur, 32 minutes.

37 Claude Servolin, L’agriculture moderne, ouvr. cité, p. 209-210.

38 Albert Ledent, Philippe Burny, La politique agricole commune des origines au 3e millénaire, Gembloux, Les Presses agronomiques de Gembloux, 2002, p. 37-38.

39 Claude Servolin, L’agriculture moderne, ouvr. cité, p. 96-100, 135-138.

40 François Clerc, « Une invention de l’Europe : les plans de développement. Origine, bilan », Économie rurale, no 141, 1981, p. 5-7.

41 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 5 juillet 1975.

42 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 novembre 1981.

43 Sur les cent trente-six exploitations iséroises tenant une comptabilité à partie double en 1977, soixante-quatorze sont des GAEC. ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 18 novembre 1977.

44 Gilles Bazin, Jean-Christophe Kroll, Jeanne-Marie Viel, « La politique des plans de développement en France. Des principes avancés à la réalité des faits », Économie rurale, no 141, 1981, p. 11-16.

45 Danièle Godard, « La mise en place des plans de développement et ses répercussions », Économie rurale, no 141, 1981, p. 31-36.

46 Michèle Salmona (Souffrances et résistances des paysans français, ouvr. cité) a bien décrit les effets psychopathologiques de la mise en œuvre des PDA à l’intérieur des familles agricoles, et les formes de résistance ou de réappropriation qu’elle suscite.

47 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 64-84.

48 Michèle Salmona parle ainsi des « fantassins du développement » sans opérer de distinction entre les différents agents de développement : Souffrances et résistances des paysans français, ouvr. cité, p. 50.

49 Éric Marshall, « D’une formation centrée sur un savoir disciplinaire à une formation centrée sur les problèmes économiques des agriculteurs », Économie rurale, no 136, 1980, p. 19. La définition d’une capacité professionnelle constitue une étape importante dans le processus de professionnalisation des agriculteurs. Voir Jacques Rémy, « La crise de professionnalisation en agriculture : les enjeux de la lutte pour le contrôle du titre d’agriculteur », Sociologie du travail, no 4, 1987, p. 415-441

50 François Colson, Jacques Rémy, « Le développement, un enjeu de pouvoir », Les agriculteurs et la politique, ouvr. cité, p. 199.

51 Entretien réalisé en août 2009 avec une ancienne conseillère à la chambre d’agriculture de la Savoie, embauchée en 1960 pour animer les premiers groupements de vulgarisation féminine agricole.

52 Jacques Pélissier, Rapport Pélissier sur le développement en agriculture. Rapport du groupe de travail sur le développement agricole, Paris, 25 janvier 1980.

53 Raymond Mérillon, « La politique de vulgarisation-développement », La formation des acteurs de l’agriculture. Continuités et ruptures, 1945-1985, Michel Boulet éd., Dijon, Éducagri, 2003, p. 52.

54 Jacques Pélissier, Rapport Pélissier sur le développement en agriculture, ouvr. cité, p. 12.

55 Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, no 2-3, 1976, p. 3-73.

56 Archive en ligne, Ministère de l’Agriculture, Direction générale de l’Enseignement et de la Recherche, Directive sur la formation, la recherche, l’expérimentation et la diffusion du progrès en agriculture à destination des ingénieurs généraux d’agronomie et des directeurs d’établissements d’enseignement et de formation professionnelle, 21 mai 1980. En ligne : [url : http://www.agropolis.fr/pdf/actu/directive_malassis.pdf] (consulté le 7 juin 2017).

57 A-INRA, JR/14, Convention AFPA-CNCA-IGER sur la préparation au métier de conseiller agricole, 4 novembre 1971.

58 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 68-70.

59 A-INRA, 1JR7, Procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de l’AFPA, 1975.

60 Ibid., p. 6.

61 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 71.

62 Jean-François de Caffarelli, Le conseil agricole et la modernisation de l’agriculture française, ouvr. cité, p. 27-28.

63 Ibid., p. 28.

64 A-INRA, 1JR6, Synergie-ROC, Étude sur les conseillers agricoles, 31 juillet 1961.

65 Entretien avec l’ancienne comptable du centre d’Anjou de 1959 à 1969, réalisé par l’auteur en janvier 2011.

66 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Jean Casaubielh, alors directeur du centre de formation d’Etcharry, 1976.

67 A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Rapport d’activité lors de l’assemblée générale du SNATPA, mai 1974, p. 1.

68 A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Plaidoyer pour un développement agricole cohérent et efficace, 9 et 10 février 1973, 20 pages.

69 L’UNATCA n’a plus de fonction syndicale représentative en tant que telle, mais elle continue de publier un annuaire des agents de développement agricole.

70 A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Analyse des conventions signées, novembre 1973, 33 pages ; A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Résultats de l’enquête sur les conditions d’emploi des conseillers agricoles, novembre 1973, 13 pages ; A-INRA, 1JR7, SNCDA-CGC, Résultats de l’enquête frais de déplacements, 42 pages.

71 B. Dupuis, « Les conseillers agricoles face au développement », Économie rurale, no 99-100, 1974, p. 153.

72 SNCDA information, no 9, 4e trimestre 1980. La collection est partiellement conservée à la Bibliothèque nationale de France.

73 SNCDA information, no 5, 1er trimestre 1978, p. 1-2.

74 SNCDA information, no 10, 2e trimestre 1981.

75 Pierre-Jean Raugel, La crise de la vulgarisation agricole, ouvr. cité, p. 136.

76 Archives CFDT (ACFDT), 60G 18, USNATPA-FGA, Colloque sur le développement agricole, novembre 1974.

77 Ibid.

78 ACFDT, 23G 49, APCA, Rapport de l’APCA sur les questions de personnel, septembre 1975.

79 ACFDT, 60G13, APCA, Rapport sur les règles définissant les modalités d’exercice de la fonction d’agent de développement agricole, 1976, p. 15.

80 ACFDT, 60G10, USNATPA-FGA, Document récapitulatif sur les négociations portant sur le statut du personnel, 1978.

81 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 10 décembre 1971.

82 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 26 novembre 1975.

83 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 30 décembre 1975.

84 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 novembre 1981.

85 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 18 novembre 1977.

86 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 28 novembre 1975.

87 A-INRA, 1JR8, APCA, Rapport sur l’efficacité du développement, février 1980, p. 58.

88 Elle recense deux mille vingt contrôleurs laitiers, deux mille deux cents inséminateurs, mille cinq cent soixante comptables, cinq cent trente-deux agents relation culture à dominante développement. Ibid.

89 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 29 novembre 1974.

90 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 19 novembre 1981.

91 Entretien avec un conseiller agricole de la chambre d’agriculture de l’Isère embauché au début des années 1960, réalisé par l’auteur en juin 2011.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search