Le bonheur dans la modernité
|Chapitre II
L’invention du métier de conseiller agricole, entre prescription technique et mobilisation politique (1953-1959)
Texte intégral
- 1 AD 38, 3426W210, René Dumont, L’agriculture du Trièves évolue lentement. Rapport pour le Commissari (...)
Il n’aurait guère de bureau que sa bibliothèque, guère de papiers autres que ses résultats d’essais et ses fiches d’exploitation ; il serait la moitié du temps sur les routes, et pendant l’été de préférence les dimanches et les jours de mauvais temps, quand les paysans, non bousculés, l’écouteront plus volontiers.1
- 2 ACA 73, boîte « zones-témoins », Demandes d’agrément enregistrées par le ministère de l’Agricultur (...)
1Pour traiter les demandes d’agrément des agents techniques de zones-témoins, obligatoires après 1953, la commission d’aide technique et financière de productivité collecte des informations sur le profil des candidats2. Qui sont ces premiers conseillers agricoles ? Ce sont uniquement des hommes. À une exception près, tous sont nés entre 1920 et 1932. Plus de la moitié d’entre eux sont âgés de vingt-cinq à vingt-neuf ans. À cette homogénéité s’oppose la grande diversité de leur formation initiale. Sur trente-cinq candidats, on retrouve cinq diplômés d’une école nationale d’agriculture, onze diplômés d’écoles d’ingénieurs privées, quatre diplômés de l’Université, un bachelier, et seize diplômés d’une école régionale d’agriculture. Absents de cette liste, les ingénieurs de l’Institut national d’agronomie aspirent à des fonctions plus prestigieuses au sein de l’administration. La fonction de conseiller attire de jeunes ingénieurs d’écoles de rang inférieur. Certains sont en quête d’expérience professionnelle dans la perspective de s’établir comme ingénieurs-conseils. Ils viennent concurrencer les non-bacheliers formés par les écoles régionales, qui étaient pressentis par les instructions d’embauche lors de la création des zones-témoins. Les plus jeunes mettent en avant les stages et les voyages d’études qu’ils ont réalisés (deux faisaient partie des quarante jeunes agriculteurs envoyés par la CGA aux États-Unis). Certains ont déjà travaillé comme contrôleurs laitiers, moniteurs de MFR, ou salariés d’un organisme industriel ou coopératif. D’autres viennent seulement de quitter l’exploitation familiale.
2Au début des années 1950, la fonction d’agent technique de zone-témoin apparaît donc comme un métier flou, investi par des hommes jeunes, aux profils très variés, qui cherchent à mettre en œuvre leurs compétences techniques et leur connaissance pratique du monde agricole. Dans les années suivantes, trois séries de cadrages donnent une nouvelle consistance au métier de conseiller, ce qui se traduit par une première reconnaissance officielle en 1959. La première série de cadrages est à l’initiative des conseillers eux-mêmes, qui forgent leur identité professionnelle en tâchant de suivre la ligne de crête fixée par le projet modernisateur : sélectionner les agriculteurs en fonction de leurs capacités d’investissement sans renoncer à la promotion sociale des exploitations familiales. Ils contribuent à définir qui sont les « bons » agriculteurs, ceux sur lesquels les politiques de modernisation doivent concentrer leur soutien technique et financier. Pour convaincre ces derniers de suivre leurs préconisations, les conseillers peuvent recourir à des techniques permettant d’obtenir rapidement des augmentations spectaculaires des rendements. Mais il s’agit aussi pour eux de construire une relation de conseil basée sur la confiance, ce qui les oblige à renouveler sans cesse les preuves de leur engagement en faveur de la réussite des agriculteurs, et de leurs capacités à naviguer dans l’univers organisationnel complexe des politiques de modernisation. Deuxième série de cadrages, l’expérimentation et la mise en circulation de ces nouvelles pratiques de vulgarisation donnent lieu à un travail de stylisation du métier de conseiller au sein de différentes organisations, qui met en avant l’originalité de l’approche des conseillers par rapport aux modes antérieurs de diffusion des savoirs agronomiques. Le catholicisme social a une influence décisive dans la requalification de l’agent technique en technicien humaniste. Il s’agit désormais de généraliser les pratiques des premiers conseillers, pour fonder une relation avec les agriculteurs qui ne renvoie ni au contrôle administratif ni au démarchage commercial. La troisième série de cadrages est à mettre à l’actif des différentes institutions qui se disputent le contrôle de l’encadrement des conseillers. Les organisations professionnelles agricoles font front commun contre les directions des services agricoles. Ces dernières se trouvent peu à peu dépossédées de leurs attributions en matière de vulgarisation du progrès technique. Les chambres d’agriculture obtiennent, elles, de nouveaux moyens financiers pour assurer l’embauche et la formation des conseillers, ce qui leur permet de s’affirmer face à la FNSEA. Clôturant cette séquence, les décrets de 1959 apparaissent à la fois comme un compromis politique entre ces différents acteurs et une reconnaissance de la spécificité du métier de conseiller agricole.
3Nous verrons donc successivement comment les premiers conseillers agricoles définissent leur relation aux agriculteurs, puis la manière dont ils se placent sous l’autorité des organisations professionnelles agricoles, et enfin la création des premières institutions propres à ce nouveau métier.
1. De la vulgarisation au conseil : vers un encadrement personnalisé des agriculteurs
- 3 Jacques Rémy, « Entre familles, marchés et politiques publiques : le conseiller agricole », Revue (...)
- 4 Il s’agit également de généraliser le recours à l’emprunt dans les régions agricoles restées jusqu (...)
4Dans les années d’après-guerre, entrer dans les cours de ferme, les étables et les cuisines des petites exploitations agricoles reste un privilège rare, souvent réservé à ceux qui interviennent pour des questions de vie et de mort : le médecin, le vétérinaire, le curé3. La visite du conseiller permet d’évaluer le potentiel de l’exploitation, puis de susciter une émulation collective en comparant les résultats obtenus par les agriculteurs d’une même région. Pour convaincre l’agriculteur d’intensifier son mode de production, le conseiller doit comprendre quelles sont ses difficultés spécifiques, en prenant en compte aussi bien les bâtiments, les animaux, le matériel que les relations au sein de la famille4. L’intrusion des conseillers dans les exploitations est ambivalente, car elle est autant destinée à encourager ceux qu’ils identifient comme les plus dynamiques qu’à décourager ceux qui ne sont pas jugés capables de supporter les investissements nécessaires pour continuer leur activité. Les conseillers entretiennent ainsi une relation privilégiée avec les représentants de la petite et moyenne paysannerie en voie de modernisation qui adhèrent aux nouveaux dispositifs de vulgarisation. Le terme même de vulgarisation, qui impliquait de traiter les agriculteurs indistinctement, tend alors à s’effacer devant la personnalisation des relations de conseil et l’encadrement de plus en plus poussé des exploitations agricoles.
1.1. Encourager les « bons » agriculteurs
- 5 AD 73, M3947, Direction de la production agricole du ministère de l’Agriculture, Instruction no 3 (...)
- 6 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 22 mai 1 (...)
- 7 Delphine Berdah, « Suivre la norme sanitaire ou “périr” : la loi de 1954 sur la prophylaxie collec (...)
5Pour gagner la confiance des agriculteurs, l’agent technique de zone-témoin est incité à suivre différentes étapes5. La première phase est celle de la démonstration : des actions de base spectaculaires doivent convaincre les adhérents d’entreprendre des améliorations. L’emploi des ammonitrates sur les pâturages, qui provoque une augmentation immédiate des rendements, est par exemple un des « tours » les plus efficaces du technicien6. L’analogie avec la prestidigitation n’est pas sans fondement tant l’effet de ces engrais est spectaculaire sur le moment. Ensuite, l’agent technique doit entraîner les adhérents à passer au stade des investissements financiers. Les agriculteurs qui appliquent les nouvelles méthodes peuvent bénéficier d’une aide pour poursuivre leurs améliorations, grâce à des prêts à caractéristiques spéciales et des subventions. L’agent technique est alors chargé de définir les actions prioritaires, en fonction des résultats de son enquête initiale sur le terrain. Le développement de prêts à moyen terme permet notamment de soutenir les agriculteurs qui souhaitent acquérir de nouveaux équipements. Dans les régions de moyenne montagne, ils apportent des bouleversements considérables. Clôtures électriques, motofaucheuses, machines à traire modifient en profondeur l’organisation du travail. L’aménagement des bâtiments agricoles bénéficie lui de prêts à long terme à taux réduit. Dans un autre registre, la lutte contre les maladies contagieuses du bétail et le contrôle laitier font l’objet d’une subvention intégrale. La tuberculination, qui permet de repérer les animaux porteurs de la tuberculose et de les éliminer, s’inscrit dans un ensemble de mesures destinées à sélectionner le bétail afin d’en améliorer la productivité7. Le contrôle laitier et le contrôle de croissance des animaux permettent de mesurer les variations de production consécutives à l’adoption de nouvelles techniques. Offrant une grille de repères communs, ces enregistrements sont de puissants instruments pour persuader les agriculteurs de la validité des préconisations de l’agent technique.
- 8 AD 73, M3947, ministère de l’Agriculture, Instruction no 2 relative aux modalités d’application de (...)
- 9 AD 38, GPA du Trièves, Bulletin des adhérents, no 3, 1952.
- 10 AD 73, M3947, Direction de la production agricole du ministère de l’Agriculture, Instruction no 3, (...)
- 11 AD 38, 3426W210, GPA du Trièves, Problèmes économiques, non daté.
6L’agent technique a également une fonction de contrôle, car les promoteurs des zones-témoins craignent un détournement des crédits par les agriculteurs. En 1954, le ministère de l’Agriculture est obligé de rappeler que l’aide technique et financière de productivité est réservée aux « entreprises de production agricole », et exclut le soutien aux « exploitations de subsistance »8. La Caisse nationale de crédit agricole rappelle de son côté la responsabilité des dirigeants des GPA auxquels « il appartient de prendre les initiatives nécessaires quand ils se trouvent en présence d’un agriculteur qui ne mérite pas un plein crédit personnel »9. Les bilans intermédiaires du fonctionnement des premières zones-témoins révèlent en effet que le rapport de un à dix entre le montant des crédits de subventions et celui des crédits de prêts ouverts pour chaque zone-témoin n’est que très rarement respecté10. Les services de l’État craignent que les agriculteurs se réapproprient les moyens mis à leur disposition sans tenir compte de leurs directives. Ils redoutent en particulier la fascination exercée par le machinisme agricole. Dans le Trièves, l’agent technique produit ainsi un court fascicule destiné à « ceux qui ont pris pour une brimade le refus de leur conseil d’administration de leur financer partiellement l’achat d’un tracteur »11. Il montre qu’il est indispensable de réaliser une étude de gestion préalable à tout investissement, et insiste sur le fait que l’achat d’engrais est comparativement plus productif dans l’immédiat que celui d’un tracteur.
7Après quatre années de fonctionnement, l’agent technique distingue :
- 12 AD 38, 3426W211, Bernard Fabre, « Le paysan du Trièves dans la voie du progrès », Bulletin des adh (...)
– les adhérents par erreur, qui attendaient des subventions et ne voulaient pas prendre de risques ;
– les adhérents de bonne volonté : qui ont fait de nets progrès en productivité, mais qui ont des problèmes maintenant qu’il faut rembourser puisque l’accroissement de leurs charges financières absorbe en grande partie l’accroissement de leur revenu brut ;
– les adhérents de pointe, qui ont franchi un cap, ont doublé le rendement brut de l’exploitation, sont sympathisants des CETA, auditeurs assidus des journées d’étude, abonnés aux revues techniques, prêtant leurs terres et leur bétail à l’expérimentation et faisant appel à leurs conseillers techniques.12
8Il se dessine ici une nouvelle hiérarchie indissociablement économique et sociale, d’abord entre ceux qui adhèrent au GPA et ceux qui sont en dehors, puis à l’intérieur du groupement, en fonction du degré d’adhésion au projet. La contribution financière directe des agriculteurs à la modernisation de leurs exploitations est traduite en termes d’engagement moral auprès de la communauté formée par le GPA. Ce reclassement des agriculteurs en fonction de leur dynamisme et de leur potentiel économique se surimpose aux anciennes hiérarchies locales. Le travail de l’agent technique établit une équivalence entre les « vrais » adhérents et les « bons » agriculteurs, ceux qui partagent non seulement une même situation économique mais aussi un univers commun de pratiques professionnelles.
Encadré 2 – Mettre en scène le progrès technique : la « révolution fourragère »
L’intérêt pour les techniques de production fourragère est déjà manifeste durant l’entre-deux-guerres, dans le monde de la recherche comme dans les organisations professionnelles agricolesa. L’agronome René Dumont, déjà évoqué dans le chapitre précédent, publie en 1948 un article intitulé « La nécessaire intensification fourragère » dans lequel il fait de ce problème technique et sectoriel un enjeu socioéconomique nationalb. Le modèle anglais du ley-farming sert de point de référence : introduction de prairies temporaires dans l’assolement, emploi de semences sélectionnées (ray-grass notamment), d’engrais azotés et de machinesc. Le retournement des anciennes prairies permanentes pour semer des prairies temporaires composées de variétés sélectionnées (mélange de légumineuses et de graminées) est valorisé autant pour son efficacité agronomique immédiate que pour sa dimension spectaculaire et symbolique.
En 1948, Pierre Chazal, délégué de l’Association de propagande des engrais phosphatés (APEP) et technicien de la Fédération des producteurs de lait du bassin lyonnais, prend contact avec René Dumont après avoir lu ses articles dans Le Figaro agricole, et lui propose d’effectuer des essais sur des parcelles de sa régiond. La constitution du CETA des monts du Lyonnais en décembre 1952 puis celle du CETA de Communay en mars 1953 amplifient considérablement l’audience des expérimentations de Pierre Chazal. Ce dernier trouve là un cadre idéal pour poursuivre son travail de recherche, diffuser les résultats obtenus, et faire la preuve directe de l’intérêt de sa méthode. Le CETA de Communay devient le foyer de la « révolution fourragère », et le symbole de la réussite du mouvement des CETA de « petites cultures », démontrant la capacité des petites et moyennes exploitations familiales laitières à s’engager dans « la voie du progrès », pour reprendre la terminologie de l’époque. Les publications constituent un vecteur important de diffusion de la « révolution fourragère », les livres de Pierre Chazal sont des succès d’éditione. Mais ce sont bien les groupements techniques d’agriculteurs, zones-témoins et CETA, qui donnent une ampleur inédite à ce mouvement.
La prairie temporaire remet en cause les cadres de perception traditionnellement associés à la culture herbagère dans les sociétés paysannes. Un des procédés rhétoriques les plus employés par les techniciens consiste à établir une analogie entre la fenaison des prairies permanentes et la cueillette préhistoriquef. Les paysans réticents aux nouvelles méthodes de production fourragère sont renvoyés à l’état de nature, hors du temps de l’histoire, et leurs pratiques assimilées à celles des « hommes primitifs ». En réalité, la « révolution fourragère » transforme profondément le rapport à la terre et à la flore. La prairie temporaire nécessite un nouveau quadrillage de l’espace et du temps, plus serré et plus régulier. Le pâturage fractionné impose une accélération de la fréquence des déplacements de bétail, donc de manipulations des parcs. La mise en place de prairies artificielles vise explicitement à supprimer toute rupture dans l’approvisionnement en nourriture et même toute variation saisonnière dans la qualité nutritive de l’alimentation. Le point de fuite de cette logique est alors d’envisager « la suppression du pâturage (ou zero-grazing) et l’alimentation des bêtes en stabulation libre sur de l’ensilage ou du fourrage vert, avec mécanisation complète de la récolte, du transport et du service, pour le maximum de rendement et de productivité, [qui] achèvent de transformer la chaîne d’élevage en usine à viande ou à lait »g.
La force des dispositifs de vulgarisation des années 1950 est de combiner cette recherche de technicité qui tend vers une intensification toujours plus poussée, voire une industrialisation de la production, avec une méthode de travail qui valorise la vie en groupe, la solidarité entre agriculteurs, leur capacité à s’approprier collectivement le projet modernisateur.
a. AD 38, 139M34, Procès-verbaux des sessions ordinaires de la chambre d’agriculture de l’Isère du 15 décembre 1933 et du 9 janvier 1934.
b. René Dumont, « La nécessaire intensification fourragère », La production fourragère, no 35 du Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, décembre 1948, p. 599-604.
c. Ibid., p. 600 ; voir aussi dans le même numéro l’Avant-propos de Pierre Bailly, p. 597.
d. Jean-Pierre Houssel, « Des débuts de la révolution fourragère dans le Lyonnais à la modernisation en petite culture », Géocarrefour, vol. 81, no 4, 2006. En ligne : [http://geocarrefour.revues.org/1684] (consulté le 7 juin 2017).
e. Il s’écoule vingt-quatre mille exemplaires, en plusieurs éditions, de son ouvrage de référence intitulé La nécessaire révolution fourragère et l’expérience lyonnaise (Paris, 1954). Ibid.
f. « Le sol sans travail nous rapproche du stade de la cueillette [mot souligné par l’auteur], qui précède l’agriculture, quand l’homme se contentait du ramassage des productions spontanées, toujours insuffisantes. » René Dumont, « La nécessaire intensification fourragère », art. cité, p. 600.
g. Armand Frémont, « Les techniques de production fourragère dans les pays de la zone tempérée », Annales de géographie, vol. 73, no 397, 1964, p. 257-282.
1.2. Incarner le progrès
9À la fois proche des agriculteurs, avec lesquels il partage souvent un même univers de repères culturels, et désormais distant du monde paysan, du seul fait de la fonction qu’il occupe, le conseiller tient une position inédite dans l’espace social, qui se traduit dans sa manière de se déplacer dans l’espace réel. Il enchaîne visites d’exploitation et réunions, les trajets en voiture par tous les temps et sur toutes les routes étant constitutifs de son métier. Il possède une maîtrise pratique des lieux qui constituent l’exploitation, ce qui lui permet d’être à l’aise aussi bien aux champs, à l’étable, au seuil de la porte d’entrée qu’attablé à la table familiale. Dans ces différentes situations, il doit savoir se tenir sans avoir l’air emprunté, c’est-à-dire être capable de ne pas gêner le travail en cours, ne pas maintenir une distance excessive ou au contraire être trop intrusif une fois introduit dans l’espace domestique, adopter une attitude prudente afin d’observer les tensions internes à la famille, sans être effacé pour autant, ce qui conduirait à des moqueries sur l’inutilité de son travail.
- 13 Les informations biographiques sont tirées des entretiens réalisés par l’auteur avec les deux cons (...)
10L’examen des parcours professionnels des deux premiers techniciens non ingénieurs embauchés par les chambres d’agriculture de la Savoie et de l’Isère, respectivement en 1956 et 1958, met en lumière l’importance croissante accordée à l’expérience de terrain et aux savoirs incorporés13. Le premier est originaire de Haute-Savoie, son père est un petit exploitant de montagne. Il entre au séminaire mais refuse ensuite de devenir prêtre. Il intègre alors une école d’agriculture privée régionale, alternant travaux pratiques et cours de formation générale. Diplômé en 1950, il effectue ensuite un stage de six mois dans une ferme de Haute-Savoie tenue par un agriculteur qui tente de reproduire ce qu’il a vu lorsqu’il était prisonnier de guerre en Allemagne. À la suite de la lecture d’une annonce parue dans le journal La France agricole, il part travailler sur l’exploitation du président des Jeunes Agriculteurs du Calvados. Ce dernier lui offre de participer à des essais de machines modernes, et l’invite à des voyages d’études en Angleterre organisés par le CNJA. Après ses dix-huit mois de service militaire, il devient chef de culture d’une grande abbaye du Rhône. Il découvre ensuite, toujours dans La France agricole, l’annonce de l’ouverture de postes de techniciens dans le cadre des zones-témoins. Embauché en Savoie, il est hébergé par le président de la zone-témoin pendant plusieurs mois, et installe son bureau dans la cuisine de ce dernier. Il est recruté définitivement par la chambre d’agriculture deux ans plus tard pour suivre différents groupements d’agriculteurs de montagne.
11Le second est originaire de Paris, issu d’une famille d’ingénieurs. Il est fasciné par le travail agricole bien que sa famille n’ait aucun lien direct avec ce monde. Il profite notamment des vacances familiales pour soigner les animaux. Ses difficultés scolaires convainquent ses parents de l’envoyer dans une école privée d’agriculture en Vendée, en respectant sa volonté de devenir agriculteur. Son diplôme en poche, il effectue de nombreux stages pratiques, afin de « prendre des cals aux mains ». À vingt ans, il part au Danemark, pays de référence en matière de nouvelles méthodes d’élevage. Il obtient une bourse du gouvernement danois pour s’inscrire dans une haute école populaire, dans laquelle il apprend le danois avant d’effectuer un stage de six mois dans un élevage moderne, en 1954. À son retour en France, il est embauché dans une ferme de l’Indre. Il fait alors partie de la JAC. Il effectue ensuite trente mois de service militaire, entre l’Allemagne et l’Algérie. À son retour, après une courte période durant laquelle il est chef de culture d’une vaste ferme délabrée, il s’adresse à l’AGPB afin de trouver un nouveau stage, plus technique. Il apprend la gestion à la chambre d’agriculture du Rhône. Son maître de stage, ingénieur de l’AGPB, l’informe ensuite que la chambre d’agriculture de l’Isère recrute un technicien. Embauché, il réalise un important travail de terrain pour constituer des groupements, notamment dans les régions de moyenne montagne. Il fait ensuite carrière au sein de la chambre d’agriculture puis de l’Établissement départemental de l’élevage (EDE).
12Ces deux récits montrent d’abord la fluidité de la circulation entre les différentes organisations professionnelles agricoles. Les conseillers tirent parti du capital social qu’ils se constituent auprès des dirigeants et des salariés de ces institutions. Les deux récits confirment au passage l’importance des voyages d’études, qui permettent la circulation des savoirs et l’appropriation des expériences menées à l’étranger, notamment dans l’Europe du Nord-Ouest. Le fait que les conseillers partagent les mêmes formations et les mêmes expériences que les jeunes agriculteurs modernistes, y compris le passage par la JAC, leur permet non seulement de bénéficier des relations d’interconnaissance mais aussi, plus profondément, de s’appuyer sur des repères communs. Cette proximité permet de multiplier les arrangements, en allant au-delà des rapports formels entre employeur et employé. L’origine familiale agricole est un atout mais elle n’est pas un prérequis, à condition que le technicien fasse la preuve de son expérience pratique du travail agricole. Les récits dessinent en filigrane un tableau de l’agriculture de l’époque, marquant l’opposition entre des grands domaines agricoles peu mis en valeur, liés à l’ancienne aristocratie foncière, à l’exception de ceux qui sont tenus par les congrégations religieuses, souvent à la pointe du progrès, et les fermes de taille moyenne mais exploitées par des jeunes agriculteurs dynamiques, à même d’investir et de s’investir dans l’intensification de la production. Les conseillers entendent porter assistance à ces jeunes agriculteurs méritants auxquels ils s’identifient. Leur activisme débordant et leur enthousiasme sont autant de signes de leur adhésion au projet de modernisation défendu par leurs employeurs.
13Le conseiller doit susciter un mélange de sympathie et de respect de la part des chefs d’exploitation, mais aussi des successeurs potentiels et des épouses, sur lesquels il peut s’appuyer pour convaincre le chef de famille de procéder à tel ou tel investissement.
- 14 Ce conseiller a fait partie de la première vague d’embauche dans les chambres d’agriculture au déb (...)
Il est certain que quand on faisait une étude d’implantation du matériel, la femme qui assistait, enfin pour ma part j’ai toujours essayé de [la] faire assister au maximum dans ce genre de discussions, avait toujours un réflexe économique, car la trésorerie était dans bien des cas pas un pactole. Il fallait donc si tu veux, et c’est pour ça que j’ai utilisé le terme de compensation, si on achetait du matériel, ou si on construisait telle ou telle chose, bâtiment ou installation, il était nécessaire d’apporter une compensation, et la compensation importante à ce moment-là c’était l’eau sur l’évier.14
- 15 Rose-Marie Lagrave éd., Celles de la terre : agricultrice, l’invention politique d’un métier, Pari (...)
14Le métier du conseiller consiste ici à comprendre les implications sociales du moindre choix technique, à anticiper les tensions à venir au sein des familles, et à imaginer des compensations pour maintenir les équilibres nécessaires à la poursuite des investissements. La discussion est un moyen de parvenir à cette fin : elle ne doit pas exclure les femmes, mais au contraire prendre appui sur leur implication dans la gestion quotidienne de la trésorerie à un moment où le budget familial est encore souvent confondu avec celui de l’exploitation. La possibilité d’avoir l’eau courante représente la fin d’une corvée mais aussi un puissant symbole d’entrée dans la société du confort. Elle permet d’atténuer les réticences des femmes qui sentent plus ou moins confusément que l’investissement dans de nouveaux bâtiments ne représente pas seulement un surcoût difficile à supporter mais qu’il menace à terme de les exclure de l’exploitation en séparant de plus en plus nettement les sphères domestique et professionnelle15.
15La présence physique des conseillers dans les fermes permet des interactions simples avec les agriculteurs destinées à les mettre en confiance. C’est le « coup de main » donné pour rentrer les bêtes à l’étable, dételer une remorque ou manœuvrer un tracteur, décharger des sacs de semences, éventuellement finir la traite. En alternant rendez-vous et passages à l’improviste, le conseiller renforce l’impression de sa présence permanente sur le terrain. Il s’adapte aux rythmes des travaux journaliers et saisonniers, choisit les moments opportuns pour rencontrer ses interlocuteurs seul à seul, ou au contraire s’invite lors des temps collectifs traditionnellement consacrés à la discussion. Un conseiller explique par exemple qu’il s’arrange pour arriver au moment où les producteurs portent leur lait à la fruitière, passage obligé et quotidien qui leur a donné l’habitude de se réunir de manière informelle. Il doit alors manifester sa compréhension du patois local, tout en refusant de le parler s’il le connaît, toujours pour maintenir ce mélange de proximité, qui lui assure une compréhension pratique des situations vécues, et de distance, garantissant la crédibilité de ses conseils. C’est en démontrant sa capacité à jouer avec les codes de ses interlocuteurs qu’il obtient la reconnaissance de ses employeurs, de ses pairs, et des agriculteurs qu’il conseille. Le métier du conseiller consiste à accepter la fragilité de sa position de départ pour rééquilibrer progressivement la relation par la suite, en faisant preuve d’une certaine autorité morale, et surtout d’une grande ténacité. La persévérance du conseiller devient une marque de son engagement indissociablement professionnel et personnel auprès des agriculteurs.
1.3. Mettre la bureaucratie à distance
16Les premiers conseillers agricoles mettent un point d’honneur à différencier leur action de celle des services agricoles. Pour ce faire, ils prennent des initiatives qui ne respectent pas les procédures administratives et les hiérarchies établies. C’est une manière de montrer qu’il font passer les intérêts directs des agriculteurs avec lesquels ils travaillent avant des considérations de politique générale. Au détour du récit d’un conseiller agricole, une anecdote permet d’illustrer cette capacité à contourner les pesanteurs bureaucratiques :
- 16 Entretien réalisé par l’auteur en août 2009 avec un conseiller agricole de la chambre d’agricultur (...)
Les alpages, là au-dessus, les alpages que je vous disais tout à l’heure c’est la Combe d’Arclusaz, Bellevaux, par là à travers. Et y a pas d’eau là au-dessus. Ils avaient quelques tonneaux, ils récupéraient l’eau de pluie. Fallait faire des aménagements, fallait faire des citernes. Pas de chemins, les communes allaient pas mettre les sous pour faire des chemins. Alors on s’était dit avec le contrôleur laitier de la Compôte, y avait la base d’hélicoptères du Bourget [en Savoie] au moment de la guerre d’Algérie, et tous les hélicoptères qui s’entraînaient c’était pour aller en Algérie, c’était des Sikorsky […]. Alors on dit ces hélicoptères plutôt que de faire des manœuvres pour rien du tout, s’ils pouvaient nous monter au printemps quelques voyages de moellons, de ciment, de sel, cuves à fromage, etc., au printemps ça rendrait bien service. Alors on est allés voir le commandant de la base du Bourget. Et puis je lui explique comme ça, je lui dis : « Vous savez, les hélicoptères ça brasse et ça fait peur aux vaches là au-dessus, faudrait quand même une indemnité » [rires], et le gars il me dit « d’accord ». Il m’a dit : « Mais moi je peux pas le faire sans avoir une autorisation du ministère de la Guerre. » Alors faire appel au ministère, on avait Dumas le maire de Chambéry qui était en même temps député, on va le voir, il dit qu’il faut faire une demande au préfet, faire la demande au ministère mais passer par la préfecture et tout le reste… ça c’était au mois de février. Ça suit son cours. Avril ça va pas, au mois de mai les alpages vont bientôt commencer, fallait démarrer le truc. Alors je vais trouver le commandant, la réponse arrivait toujours pas, il me dit : « Bon on essaye quand même, allez. » On a fait ça trois ans de suite. […] Heureusement qu’on n’a pas eu d’accident parce que l’autorisation du ministère de la Guerre elle est arrivée fin août [rires].16
17Reprenant un motif courant du discours de la JAC, le récit insiste sur ce que les individus peuvent réaliser en dépit des pesanteurs institutionnelles, à condition de s’organiser. Le déficit d’aménagements utiles à l’exploitation des alpages d’un secteur de moyenne montagne suscite une initiative du conseiller et du contrôleur laitier local. Ce dernier fait remonter les problèmes et imagine des solutions avec le conseiller, qui se charge ensuite des négociations. Le conseiller prend en charge les démarches nécessaires pour obtenir un accord officiel, se plaçant de fait comme le représentant des agriculteurs auprès de ses interlocuteurs politiques et administratifs. Lorsque la situation devient urgente, les arrangements prennent le pas sur les considérations juridiques et le respect des circuits hiérarchiques malgré les risques encourus. Les accords verbaux et la reconnaissance mutuelle entre individus se substituent aux rapports institutionnels. L’interconnaissance et l’audace priment sur le respect du droit, tout en restant dans le cadre d’un service d’intérêt général. L’aptitude à fédérer les bonnes volontés et à vaincre les résistances pour monter un projet collectif s’avère être une des principales compétences des conseillers. Ces derniers agissent en dehors des cadres de leur fonction, souvent avec l’appui tacite des responsables agricoles locaux. Ils font la preuve aux yeux de tous de leur sens de l’anticipation, de leur aptitude à la négociation et même à la persuasion, de leur capacité à ne pas se conformer aux voies officielles pour au contraire naviguer à vue entre le politique, l’administratif et le juridique en respectant les prérogatives de leurs interlocuteurs mais sans jamais se laisser enfermer dans un rôle défini à l’avance.
2. La stylisation du métier de conseiller au cœur de la lutte entre les organisations professionnelles agricoles et les services agricoles
- 17 Luc Boltanski, Les cadres : la formation d’un groupe social, Paris, Minuit, 1982 ; Didier Georgaka (...)
18Les nouvelles relations de conseil qui émergent dans les différents dispositifs de vulgarisation donnent lieu à de nombreux débats au sein des organisations professionnelles agricoles et de l’administration. Le consensus des premières années d’après-guerre sur la nécessité de disposer de nouveaux intermédiaires ne suffit plus à maintenir l’unité entre les différents promoteurs des politiques de modernisation. Chacun tente de se positionner comme l’institution la plus légitime pour employer les premiers conseillers, et acquérir ainsi une position stratégique dans l’encadrement et l’orientation de l’agriculture française. Les débats qui en résultent participent directement au travail de stylisation du métier de conseiller17. Ils en accentuent les traits distinctifs et leur donnent une cohérence interne. Les pratiques des premiers conseillers, qui consistent à sélectionner les « bons » agriculteurs, à incarner le progrès et à rejeter la bureaucratie, sont traitées comme les composantes d’un domaine d’activités professionnelles autonome, qui ne peut être réduit à d’autres domaines préexistants tels que l’enseignement agricole ou le démarchage commercial.
- 18 ACA 73, « Statistiques des conseillers agricoles français », Bulletin mensuel de l’École supérieur (...)
- 19 Yves Lambert, « Développement agricole et action catholique », Sociologia ruralis, vol. 18, no 4, (...)
19Combien sont-ils en France à exercer la fonction d’intermédiaire de la modernisation agricole ? Le bulletin de l’École d’ingénieurs d’Angers donne quelques indications statistiques sur les personnels travaillant dans le conseil aux agriculteurs en 195418. Les CETA emploient trente ingénieurs à temps plein et douze à temps partiel. Les chambres d’agriculture salarient dix-sept conseillers à temps plein, les fédérations de syndicats et de coopératives, treize. Les zones-témoins et les secteurs encouragés mobilisent cinquante agents techniques, tandis que les industriels de l’APEP embauchent dix démonstrateurs. Dans le même temps, les associations spécialisées dont l’AGPB emploient trente-deux conseillers, les maisons industrielles et commerciales environ trois cent vingt agents technico-commerciaux. Pour la DSA, l’étude distingue trois cent vingt vulgarisateurs polyvalents employés à temps partiel, et quarante-neuf agents techniques spécialisés à temps plein. S’il est difficile de s’assurer de la validité de ces chiffres en l’absence de toute information sur la manière dont ils ont été collectés, une tendance générale se dessine clairement, au-delà de l’éclatement des employeurs : les conseillers agricoles employés par les chambres d’agriculture sont numériquement minoritaires par rapport aux agents des firmes industrielles et commerciales, ainsi que par rapport aux vulgarisateurs des DSA. Pourtant, l’analyse des réflexions menées sur le métier de conseiller agricole indique que les chambres d’agriculture réussissent à faire valoir leur propre conception en clivant le débat sur la vulgarisation pour l’organiser autour de l’opposition entre « l’administration » et « la profession ». C’est en leur sein que se forge un nouveau style de conseiller, sous l’impulsion conjointe des responsables professionnels et des premiers occupants des postes de conseillers agricoles. Ils partagent souvent la même vision d’un monde rural hiérarchisé mais solidaire, diffusée par l’Action catholique et retravaillée par d’autres organisations comme Économie et humanisme, ou certaines écoles privées d’ingénieurs agronomes19.
2.1. Le clivage entre « l’administration » et « la profession »
- 20 « Éditorial », Supplément pratique de L’Agriculteur du Sud-Est, mai 1954.
20En mai 1954, l’éditorial de L’Agriculteur du Sud-Est relève la coïncidence temporelle entre deux initiatives distinctes visant à définir le nouveau métier de conseiller agricole20. D’un côté, l’Union nationale des ingénieurs agricoles organise du 28 au 31 mai un congrès sur le thème « Les conseillers de l’agriculture » pour faire le bilan des réalisations aussi bien publiques que privées en matière de vulgarisation agricole, et proposer de nouvelles orientations. De l’autre, la revue Économie et humanisme consacre son numéro de mai-juin à l’étude des rapports entre les techniciens et l’agriculture. En outre, l’APPCA a décidé au mois de mai de lancer une enquête sur « le conseiller agricole et la vulgarisation » auprès de chaque chambre d’agriculture. Le métier de conseiller agricole est l’objet d’un véritable bouillonnement intellectuel, dans lequel les différentes organisations cherchent à faire valoir leur propre conception de la vulgarisation du progrès technique. Liant très fortement la compétence technique et « le sens de l’humain », ces réflexions dessinent ce que devrait être le socle de valeurs commun à tous ceux qui voudraient exercer le métier de conseiller agricole.
- 21 Denis Pelletier, Économie et humanisme. De l’utopie communautaire au combat pour le tiers-monde 19 (...)
- 22 Michel Debatisse raconte comment René Colson, secrétaire général de la JAC en 1942, entreprend de (...)
- 23 Henri Puel, Économie et humanisme dans le mouvement de la modernité, Paris, Cerf, 2004, p. 61.
- 24 Denis Pelletier, Économie et humanisme, ouvr. cité, p. 433.
- 25 Paul Houée, Le père Lebret, un éveilleur d’humanité, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997, p. 125.
21Fondée en septembre 1941 sous l’impulsion du père Louis-Joseph Lebret, l’association Économie et humanisme élabore une « économie humaine » qui intègre les apports des sciences humaines à la doctrine sociale de l’Église21. Cette association entretient des relations suivies avec certains responsables de la JAC comme René Colson22, qui se prolongent avec la nouvelle génération de responsables agricoles regroupés au sein du CNJA, pour lesquels le père Pierre Viau organise dans les années 1950 des sessions de formation à l’économie générale et agricole23. Ces hommes partagent une commune croyance dans les vertus du progrès technique et dans l’efficacité des stratégies de planification, même s’ils se méfient de toute forme d’étatisme24. Pour décrire la succession des différentes « phases de civilisation », le père Lebret a forgé le concept de « montée humaine », défini comme « un développement authentique et universel, intégral et harmonisé […], une avancée vers la civilisation universelle »25.
- 26 ACA 73, Zone-témoin, Correspondance entre le père Viau et Gilbert Delaunay, 17 décembre 1953.
- 27 Gilbert Delaunay, « Le témoignage d’un agent technique de zone-témoin », Économie et humanisme, no(...)
- 28 Ibid., p. 66.
- 29 Révérend père Viau, « Le choix des institutions », Économie et humanisme, no 85, mai-juin 1954, p. (...)
22En décembre 1953, le père Viau souhaite consacrer un numéro de la revue à la question de l’harmonisation des rapports entre techniciens et agriculteurs. Il sollicite différents contributeurs, parmi lesquels on retrouve l’agronome René Dumont, et les agents techniques des zones-témoins des Bauges et du Trièves, Gilbert Delaunay et Bernard Fabre. Dans son récit, Gilbert Delaunay insiste sur le fait qu’il faut d’abord se faire accepter en tant qu’homme avant même de songer à donner un quelconque conseil technique26. Il explique que son intégration a été facilitée parce qu’il connaissait quelques agriculteurs de la zone-témoin, et surtout parce qu’il avait été présenté par le président de la chambre d’agriculture comme un technicien choisi et rémunéré par la profession lors de la réunion de constitution du GPA27. En ce sens, il encourage d’un côté la profession à faire un effort financier pour assurer une partie du salaire des techniciens, et de l’autre côté, il invite l’administration à admettre que « les techniciens appelés à travailler avec la Profession doivent être issus d’elle pour avoir sa confiance, sans que cela exclue une aide financière de l’État »28. Sa conception s’inscrit parfaitement dans la ligne défendue par Économie et humanisme. Pour le père Viau, il importe que le corps des conseillers agricoles soit subordonné aux agriculteurs ou du moins à leurs groupements29. Il se prononce en faveur d’un modèle inspiré de l’exemple danois, dans lequel les vulgarisateurs sont embauchés par les organisations professionnelles agricoles tout en bénéficiant du soutien financier de l’État.
- 30 ACA 73, Le conseiller agricole, agent de la promotion paysanne, no 310 du Bulletin mensuel de l’Éc (...)
- 31 Le groupe des ingénieurs « agris » intègre ensuite les diplômés des écoles de Toulouse et de Nancy (...)
23En janvier 1954, l’association amicale des anciens élèves de l’École supérieure d’agriculture et de viticulture d’Angers (ENSAVA) investit le bulletin mensuel de l’école pour faire paraître un numéro spécial intitulé Le conseiller agricole, agent de la promotion paysanne30. L’École d’Angers est un établissement privé, intégré à l’université catholique de l’Ouest, formant des ingénieurs en agriculture. C’est une école de rang national, au même titre que l’École supérieure d’agriculture de Purpan ou l’Institut supérieur d’agriculture de Beauvais, délivrant des diplômes d’ingénieurs dont la validité est reconnue par l’État. Les ingénieurs issus de ces écoles se trouvent en concurrence directe avec les « agris », issus des Écoles nationales d’agriculture de Grignon, Montpellier et Rennes31. Leurs prises de position sur le métier de conseiller agricole sont à replacer dans le cadre de cette lutte pour faire reconnaître la valeur de leur formation, leur titre d’ingénieur étant toujours susceptible d’être dévalué par rapport à celui qui est délivré par les écoles publiques. En revanche, ils peuvent jouer sur le registre de la proximité avec les élites agricoles.
24Dans le bulletin de 1954, le président de l’association des anciens élèves de l’ENSAVA affirme qu’il s’agit d’abord de « sauver l’agriculture familiale », en liant progrès technique et « progrès spirituel et moral » (p. 7-8). L’objectif affiché est d’inciter les nouvelles promotions à se tourner vers le métier de conseiller agricole, en acceptant de se mettre « au service » des agriculteurs. Selon le directeur de l’ENSAVA, « le paysan paie sa liberté de son insécurité », d’où la nécessité de mettre en place un service de conseillers agricoles qui lui permette de se tenir à jour des évolutions techniques, sans qu’il ait pour autant un caractère unique et obligatoire (p. 17). L’association différencie plusieurs types de conseillers. Le conseiller de gestion se distingue par sa formation agronomique, économique et sociale complète, ses connaissances pratiques, ses qualités psychologiques. Il doit être enraciné dans la région dont il a la charge. Le vulgarisateur polyvalent est le bras droit du conseiller de gestion, il connaît bien les techniques et sait les enseigner aux agriculteurs de sa zone. Le vulgarisateur spécialisé, embauché par des firmes commerciales ou des associations spécialisées, attaché à un produit ou une technique particulière, vient donner des conseils sous le contrôle des conseillers de gestion et de vulgarisation. Enfin, l’association se prononce explicitement contre le fait que les instituteurs puissent se charger du conseil agricole, afin de bien séparer vulgarisation et enseignement.
25Ce resserrement du métier de conseiller à celui de conseiller de gestion permet une revalorisation des postes à hauteur des aspirations des ingénieurs, tandis que la fonction de vulgarisateur polyvalent pourrait être occupée par des hommes formés dans les écoles régionales d’agriculture. L’association voudrait également limiter le contrôle de l’administration sur le métier de conseiller en plaidant pour que la profession puisse « choisir en toute liberté ceux qui exerceront ce métier, sans obligation de titres et de diplômes » (p. 18), ce qui est une manière de s’assurer le bénéfice de ses liens privilégiés avec les organisations professionnelles agricoles en écartant la concurrence que pourraient représenter les ingénieurs formés dans les écoles nationales d’agriculture (p. 30). Les ingénieurs de l’École d’Angers placent clairement le métier de conseiller agricole sous la responsabilité des chambres d’agriculture, lesquelles devraient selon eux se charger de recruter leurs propres conseillers, de superviser les embauches par des organismes libres (les CETA notamment), ainsi que de contrôler les activités des conseillers spécialisés (comme ceux des firmes qui adhèrent à l’APEP évoquée dans le premier chapitre). Le financement serait assuré par les chambres, à condition que l’État leur permette d’augmenter leurs ressources grâce à une hausse de la taxe parafiscale sur le foncier non bâti, tout en faisant appel à celles des industriels et des collectivités territoriales, ainsi qu’aux crédits du Plan.
- 32 André Scoupe, « Éditorial », Les conseillers de l’agriculture, no 161 d’Agriculture, octobre 1954, (...)
- 33 Agriculture, no 160, septembre 1954.
- 34 André Scoupe, « Éditorial », art. cité, p. 3.
26Le congrès organisé à la fin du mois de mai 1954 par l’Union nationale des ingénieurs agricoles peut se lire comme une réponse au bulletin de l’École d’Angers publié en janvier. Le congrès met en rapport les différentes institutions concernées par la vulgarisation agricole pour aller vers une harmonisation des conditions de travail des « conseillers de l’agriculture ». Il s’agit de faire reconnaître le rôle indispensable de ces derniers pour mener à bien les politiques de modernisation agricole32. L’Union entend jouer un rôle de médiateur et propose de coordonner les initiatives existantes. Elle suggère une partition du conseil agricole équivalente à celle des ingénieurs d’Angers : les conseillers agricoles d’exploitation ou spécialisés, ingénieurs, se distinguent clairement des vulgarisateurs, formés dans les écoles régionales d’agriculture33. Mais contrairement aux ingénieurs de l’École d’Angers, les « agris » souhaitent se placer directement sous la tutelle du ministère de l’Agriculture34. Le clivage entre « l’administration » et « la profession » polarise aussi le champ des écoles d’ingénieurs agricoles. Les débats entre les ingénieurs des écoles privées et publiques redoublent les discussions menées entre le ministère de l’Agriculture et les organisations professionnelles agricoles, et les nourrissent dans le sens où ces ingénieurs occupent des postes clés dans toutes les organisations qui sont intéressées par la vulgarisation du progrès technique en agriculture.
2.2. « Le conseiller et la vulgarisation » selon les chambres d’agriculture
- 35 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 490.
- 36 « Le conseiller agricole et la vulgarisation dans l’agriculture », Chambres d’agriculture, no 52, (...)
27De son côté, l’APPCA tente de s’affirmer face au syndicalisme et aux services agricoles35. En 1954, elle lance une enquête auprès de toutes les chambres d’agriculture pour tenter de cerner le rôle des conseillers agricoles dans les actions de vulgarisation. Dans le texte qui présente l’enquête, l’APPCA ne manque pas de critiquer « l’inefficacité des conférences et démonstrations qui n’attirent qu’un auditoire restreint », autrement dit les méthodes des services agricoles, auxquelles elle oppose « la nécessité d’un ensemble d’actions coordonnées par quelqu’un qui est familier [des cultivateurs], qui vit continuellement avec eux, au milieu d’eux »36. Un rapide tour d’horizon permet alors de balayer les initiatives pionnières déjà entreprises par certaines chambres d’agriculture. Dans l’Eure, des vulgarisateurs se consacrent pour moitié à l’enseignement et pour moitié à la vulgarisation. Dans la Mayenne, un service de quatre conseillers est entièrement financé par la chambre, chacun d’entre eux étant attaché au suivi des agriculteurs d’un canton. Dans l’Orne, la collaboration avec la DSA est plus affirmée, et les industries participent également au financement de la vulgarisation. Dans la Seine-Inférieure, deux conseillers embauchés par la chambre sont mis à la disposition des CETA.
28Le modèle le plus abouti est incontestablement celui de la Somme où on trouve « les plus anciens conseillers, […] ceux qui répondent le mieux à la définition du conseiller agricole » (ibid.). Le premier conseiller a été embauché en février 1951. D’abord payé sur les fonds de la chambre, il bénéficie ensuite des ressources allouées par le programme d’aide technique et financière de productivité. Le service compte quatre conseillers en 1954, chacun affecté à un territoire donné. Une assemblée des agriculteurs, sans structure juridique, se prononce annuellement sur l’activité du conseiller. Elle est pilotée par un comité de suivi, analogue au conseil d’administration d’un GPA. Le conseiller doit proposer des améliorations qui ne nécessitent pas des investissements trop importants, et il doit « apprendre à ne pas bouleverser les habitudes de l’agriculteur ». Il jouit d’une grande liberté d’action mais doit tout de même rédiger un rapport d’activité hebdomadaire, participer à des réunions trimestrielles avec l’ensemble des conseillers et présenter un rapport sur son action à chaque session de la chambre d’agriculture. Celle-ci est le principal financeur, les agriculteurs versent une cotisation, et le Crédit agricole apporte un soutien ponctuel.
29L’APPCA tire de ces différents exemples des principes généraux pour guider l’organisation du conseil agricole. Le premier principe concerne l’implication des agriculteurs : ils doivent pouvoir exercer un droit de regard localement, et en retour contribuer à l’entretien du conseiller. Les qualités du conseiller sont précisées : il est polyvalent, possède une formation autant technique que pratique, qu’il est prêt à poursuivre par le biais de stages de perfectionnement, et il n’a pas de position d’autorité (ce qui exclut les instituteurs). On mesure ici le décalage avec la conception des associations d’ingénieurs. Le véritable conseiller est sur le terrain, en contact direct et régulier avec les agriculteurs, qui en retour orientent son action. Les qualités humaines d’un tel conseiller sont primordiales et pourtant difficiles à définir en toute rigueur : « Le savoir-faire pour accrocher les agriculteurs […] est un art et s’apprend difficilement » (ibid.). Le conseiller doit être un éveilleur de conscience qui sait donner la parole aux agriculteurs, et les amène à réfléchir, à se réunir, à discuter, avec l’objectif d’en faire des hommes participant à la vie du pays. Chargé d’inculquer ses idées et de s’effacer en en laissant aux agriculteurs tout le bénéfice, il se distingue par sa totale abnégation. Le style du conseiller agricole selon l’APPCA est un mélange d’implication totale et d’effacement, qui suppose la croyance partagée du conseiller et des agriculteurs en un idéal politique d’émancipation du monde agricole, qui dépasse de loin la seule notion de vulgarisation du progrès technique.
- 37 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 9 novembre (...)
- 38 Pierre Muller, Le technocrate et le paysan, ouvr. cité.
30En Isère, Albert Genin, le président de la chambre d’agriculture, se charge de répondre à l’enquête de l’APPCA37. À la fin de l’année 1954, trois agents techniques ont été recrutés par la DSA pour suivre des questions techniques spécifiques (culture du maïs, qualité du lait), mais aucun conseiller n’a encore été recruté par la chambre, bien que les CETA aient exprimé le souhait de bénéficier d’une telle assistance. Le rapporteur regrette le manque de moyens de la chambre d’agriculture pour assurer l’entretien de conseillers agricoles. Quant à la définition du métier de conseiller, il insiste lui aussi sur les « qualités psychologiques », nécessaires pour se présenter « en ami et en collaborateur », et sur l’autonomie de l’agriculteur auquel il doit apprendre à se passer de ses conseils. Ce portrait idéal du conseiller suscite la colère du directeur des services agricoles, qui regrette qu’on fasse « table rase de l’expérience d’une vulgarisation qui a commencé sous le Second Empire ». Il réfute l’idée que l’administration ne connaisse rien à la psychologie des agriculteurs et insiste sur la difficulté de recruter des vulgarisateurs compétents. Habile politique, Albert Genin reconnaît la compétence de ces techniciens, et son souhait d’une collaboration loyale, mais il rappelle le fait que les organisations professionnelles prennent une place grandissante dans le pays, plus seulement en matière de revendications mais aussi d’actions constructives. Cette passe d’armes illustre les conflits analysés par Pierre Muller pour le contrôle de la vulgarisation38. Confrontés aux nouvelles aspirations des chambres d’agriculture, les services agricoles peinent à sortir des cadres existants, ce qui les fige dans une position conservatrice.
- 39 ACA 73, Procès-verbal de la deuxième session ordinaire de chambre d’agriculture de la Savoie du 6 (...)
31En Savoie, le rapport commandé par l’APPCA établit une nette distinction entre enseignement et vulgarisation, ce qui suppose des méthodes différentes et des qualités spécifiques pour les personnes chargées d’une activité ou de l’autre. Là encore, le rapporteur insiste lourdement pour définir le conseiller agricole comme un excellent psychologue, capable de se faire adopter des agriculteurs. Il plaide pour un conseiller libre de son temps, ce qui le distingue de l’instituteur, occupé par les cours d’hiver et qui n’a pas les mêmes qualités pédagogiques, et de l’ingénieur des services agricoles, retenu par ses charges administratives. Il ne peut en aucun cas être un fonctionnaire, car « si le cultivateur pouvait croire que le conseiller lui transmet les consignes d’un bureau lointain et anonyme, quelles que puissent être ses qualités, son influence serait nulle »39. En conséquence, les organisations professionnelles, et en particulier les chambres, doivent contrôler l’embauche des conseillers et faire un effort financier pour les rémunérer, avec l’aide des cultivateurs, de l’État et des départements.
- 40 « La vulgarisation et les conseillers agricoles vus par les chambres d’agriculture », Chambres d’a (...)
- 41 « Délibération relative à la vulgarisation agricole et à l’assistant technique agricole », Chambre (...)
32Sur le plan national, le bilan de l’enquête indique que les conceptions des deux chambres étudiées ici sont largement partagées par leurs homologues des autres départements, avec des variations selon le degré de collaboration avec la DSA locale40. L’enquête permet à l’APPCA de faire voter une « délibération relative à la vulgarisation agricole et à l’assistant technique agricole » lors de sa première session ordinaire de 195541. Le choix de ce terme d’assistant technique, relativement neutre et assez restrictif, marque certainement les hésitations quant à l’appropriation définitive du terme de conseiller agricole, disputé par les associations. L’APPCA propose de distinguer entre quatre domaines étroitement liés : la vulgarisation, l’assistance technique, l’enseignement et la recherche. Elle souhaite que la vulgarisation (les actions de base) et l’assistance technique (le suivi des agriculteurs déjà engagés dans la modernisation) soient confiées aux organisations professionnelles agricoles, et plus encore, que la formation, le recrutement, le perfectionnement et l’encadrement des assistants techniques agricoles soient réservés aux chambres et à l’APPCA. Sans surprise, la place de l’administration est réduite à la portion congrue.
33Au cours de cette seule année 1954, les initiatives pour tenter de définir le travail des conseillers agricoles sont multiples et viennent à la fois des écoles d’ingénieurs, des chambres d’agriculture, ainsi que des premiers agents techniques des zones-témoins invités à s’exprimer dans la revue d’inspiration chrétienne Économie et humanisme. L’opposition centrale entre « administration » et « profession » est rejouée à différents niveaux, entre l’APPCA, la FNSEA et le ministère de l’Agriculture sur le plan national, entre la chambre d’agriculture, la FDSEA et la DSA au niveau départemental. Elle structure aussi le champ des écoles supérieures d’agriculture, les ingénieurs des écoles privées tendant à se rapprocher de la profession quand les « agris » se positionnent en faveur d’un contrôle de l’État sur les conseillers agricoles. Sur le plan local, les agents techniques des groupements techniques existants, qui ont besoin du soutien des responsables agricoles locaux pour développer leurs actions, légitiment l’autorité exercée par la profession sur leur groupement tout en négociant des conditions de travail plus stables et plus valorisantes.
2.3. Les services agricoles à contretemps
- 42 Lucien Rolland, « L’histoire de la vulgarisation agricole en France avant 1966 », Économie rurale, (...)
34Les services agricoles manquent de réactivité face aux contestations multiples dont ils sont l’objet. Pour montrer qu’ils sont capables de faire évoluer leur offre de conseil, ils lancent le dispositif des foyers de progrès agricole (FPA), directement inspiré du modèle américain. Il s’agit de rassembler des agriculteurs dans des lieux décentralisés, sous la tutelle directe du ministère de l’Agriculture, les services agricoles assurant l’encadrement technique et économique. Le FPA est d’abord conçu comme un lieu de formation et d’expérimentation, à partir duquel le progrès doit rayonner sur la zone alentour. Antenne locale de la DSA devant lui permettre de s’implanter au niveau de la petite région agricole, le FPA ambitionne de devenir un lieu d’accueil pour les groupements locaux d’agriculteurs42. Théoriquement, chaque FPA doit être animé par un ingénieur mais le manque de moyens contraint l’administration à faire régulièrement appel à des instituteurs jusque-là chargés des cours postscolaires agricoles. Ce dispositif apparaît à contretemps par rapport aux zones-témoins et aux CETA de « petites cultures », qui, en dépit de leurs difficultés de fonctionnement, ont considérablement renouvelé la réflexion sur la vulgarisation du progrès technique, notamment par l’utilisation des financements conditionnels et la création des postes d’agents techniques.
- 43 Entretiens réalisés par l’auteur entre 2009 et 2011 en Savoie.
- 44 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 20 septemb (...)
- 45 Lucien Rolland, « L’histoire de la vulgarisation agricole », art. cité, p. 15.
35Le premier FPA est créé en 1955. En Savoie, deux autres sont créés à la fin des années 1950. Celui du secteur d’Albertville n’a laissé aucune trace archivistique tangible et il y a lieu de croire que son rayonnement était limité, notamment en raison de la concurrence précoce des CETA, bien structurés dans ce secteur. Le rôle de celui de Montmélian est en revanche plus affirmé, notamment en raison de la personnalité de l’instituteur qui l’animait, devenu une figure incontournable de la vie locale43. Ce FPA entreprend des travaux pionniers sur l’étude du vignoble savoyard, domaine situé à la marge des préoccupations des membres de la chambre d’agriculture, davantage tournés vers les questions d’élevage. En Isère, quatre FPA voient le jour entre la fin des années 1950 et le début des années 196044. Sur le plan national, on comptera au maximum quatre cents FPA en 196445. Cependant, l’implantation sur le terrain est difficile, car les FPA suscitent l’hostilité ouverte – au moins sur le plan national – des responsables professionnels agricoles, qui craignent une réduction de leurs prérogatives sur le contrôle des orientations de la vulgarisation.
- 46 FNCIVAM, « Pourquoi écrire l’histoire des CIVAM ? », 2004. En ligne : [http://www.civam.org/images (...)
36L’opposition des organisations professionnelles agricoles ne relève pas seulement du calcul politique stratégique : ce sont bien deux conceptions de la vulgarisation qui s’affrontent. Les FPA se situent dans le prolongement de l’enseignement agricole, ce qui entre en contradiction avec les nouvelles pratiques de conseil développées dans les CETA et les zones-témoins. Les instituteurs chargés des cours postscolaires agricoles proposent néanmoins une véritable alternative laïque au mouvement de promotion sociale inspiré par la JAC. L’Association nationale des maîtres et maîtresses agricoles (ANMA) et la Ligue française de l’enseignement créent à partir de 1955 les premières sections d’information agricole et ménagère-agricole (SIAM), là où l’Amicale laïque est déjà implantée, et les premiers centres d’information agricole et ménagère (CIAM), quand il n’existe pas de structure d’accueil sur le terrain. Elle s’inspire du modèle des CETA, mais souhaite s’en démarquer en critiquant leur élitisme technicien. L’instituteur joue le rôle de l’animateur au service des agriculteurs, selon une conception qui relève autant de la vulgarisation technique que de l’éducation populaire. Rebaptisés CIVAM (centres d’information et de vulgarisation agricole et ménagère) après 1959, ces groupes s’implantent durablement, essentiellement dans le midi de la France46. Mais ce mouvement n’est cependant pas en mesure de contester les projets des organisations professionnelles agricoles. Le faible rayonnement des FPA et l’ancrage limité des CIVAM laissent le champ libre, ou presque, aux organisations professionnelles agricoles pour imposer leurs conceptions de la vulgarisation.
3. L’institutionnalisation du métier de conseiller
37L’alliance entre les premiers conseillers et les responsables des chambres d’agriculture pour mettre l’administration à distance se traduit par la création de nouveaux cadres institutionnels à la fin des années 1950. Les chambres acquièrent de nouveaux moyens financiers, et structurent des services techniques internes. C’est une mutation considérable pour ces structures qui n’avaient jusque-là pas ou peu de personnels. Chaque département présente une configuration particulière, en fonction du profil des exploitations et des rapports entre les organisations professionnelles et l’administration. L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA, ex-APPCA) pilote également la création d’un centre de formation destiné à la formation des conseillers agricoles. Elle se heurte à la fois à l’administration et à la FNSEA qui entend ne pas être évincée de la mise en œuvre des opérations de vulgarisation agricole. Les décrets d’avril et octobre 1959 apparaissent ainsi comme un compromis temporaire entre les différents promoteurs de la modernisation.
3.1. Les nouvelles ressources des chambres d’agriculture
- 47 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 505.
- 48 Pierre Coutin, « Fiscalité et para-fiscalité agricoles en France », Revue économique, vol. 4, no 5 (...)
- 49 D’après Gilbert Martin, en plus de la confiance réciproque entre les deux hommes, les expériences (...)
- 50 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 772-775.
38Avoir la volonté politique de salarier des agents techniques est une chose, être en mesure de financer leur salaire en est une autre. Pour structurer de véritables services techniques, les chambres d’agriculture doivent accroître leurs ressources financières. Le décret du 24 décembre 1954 « tendant à assurer la participation des chambres d’agriculture à l’expansion économique » marque un important tournant47. Le Code rural accordait jusque-là le droit aux chambres d’agriculture de récupérer le produit de la taxe parafiscale sur le foncier non bâti, dont le taux était exprimé en centimes de francs par hectare, plafonné par l’État à un niveau très bas48. Ce prélèvement couvrait les frais de représentation, les dépenses liées aux déplacements et aux repas des membres. Dans les départements les plus riches sur le plan agricole, il avait permis de lancer les premières actions techniques. L’APPCA obtient du président du Conseil Pierre Mendès France qu’il autorise le déplafonnement de la taxe parafiscale sur le foncier non bâti49. Gilbert Martin, président de la chambre d’agriculture de l’Eure et soutien actif de Mendès France aux législatives dans ce même département, s’est chargé des négociations. Ce décret autorise les chambres d’agriculture à percevoir des centimes additionnels à condition qu’elles financent la constitution de services techniques, et il permet la création d’un Fonds national de péréquation destiné à niveler les inégalités de revenus entre les chambres. Il renforce l’unité politique de l’APPCA en créant une solidarité financière entre les chambres, et il participe aussi à l’uniformisation des méthodes de travail et des procédures d’embauche50.
- 51 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 11 octob (...)
- 52 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 15 novem (...)
- 53 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 28 décem (...)
39Cependant, les configurations départementales restent très variables. En Savoie, la constitution d’un service technique se heurte au manque de ressources de la chambre d’agriculture. Les petites exploitations de montagne sont très nombreuses et ne contribuent que faiblement à la taxe parafiscale sur le foncier non bâti. Plusieurs techniciens sont néanmoins embauchés en l’espace de quelques années. En janvier 1955, l’agent technique de la zone-témoin des Bauges devient le premier conseiller technique de la chambre d’agriculture de la Savoie. Son activité s’étend : organisation de veillées-cours à la demande des jeunes d’une commune, suivi du CETA de Chambéry, poursuite de la zone-témoin, réponse aux demandes d’aide technique des présidents de syndicats agricoles locaux51. Les champs d’intervention se multiplient et il réclame la création de nouveaux postes de conseillers. En novembre 1955, la décision est prise de créer un service technique regroupant la formation professionnelle, la vulgarisation du progrès technique, l’amélioration des bâtiments ruraux, le remembrement, la comptabilité et la gestion52. Le Fonds national de péréquation entre les chambres d’agriculture est sollicité pour assurer les salaires de deux agents techniques et pour constituer un fonds documentaire. À la fin du mois de décembre 1955, un nouvel assistant technique est embauché. Ingénieur agricole, il est au service de plusieurs groupements dont les efforts doivent porter sur la production fourragère et laitière ainsi que sur la comptabilité-gestion53. Les deux techniciens salariés de la chambre d’agriculture participent également à l’organisation de réunions syndicales pour aider la FDSEA dans ses activités.
- 54 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 22 novem (...)
- 55 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 5 novemb (...)
- 56 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 26 décem (...)
- 57 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 21 mai 1 (...)
40Le service technique s’étoffe encore en 1956 avec le recrutement d’un autre assistant technique, pour prendre en charge les questions arboricoles et maraîchères54. Deux candidats sont sélectionnés pour passer un rapide examen écrit, puis un entretien individuel avec le président de la chambre d’agriculture, le directeur des services agricoles et le nouveau directeur de la chambre d’agriculture55. Le contrat d’assistant technique est relativement précaire du fait de l’absence de statut officiel56. Le technicien retenu collabore avec la DSA pour enseigner, apporte son aide à la Fédération départementale des producteurs de fruits et légumes, conseille individuellement les agriculteurs qui le sollicitent et soutient les CETA tournés vers l’arboriculture. En 1958, deux nouveaux techniciens sont embauchés pour assurer le suivi des groupements dans les zones montagneuses. L’année suivante, la création d’un centre départemental de comptabilité-gestion ravive les tensions entre la chambre d’agriculture et les services agricoles départementaux. Le directeur regrette la méfiance des agriculteurs à l’égard de ses services : « Je ne puis croire que la majorité des membres de votre Compagnie puisse avoir cette méfiance à l’égard de nos Services. »57 Il déplore que les organisations professionnelles fassent de cette supposée méfiance leur principal argument pour lancer leur propre initiative de manière autonome.
- 58 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 10 juin (...)
41De 1952 à 1957, les ressources de la chambre savoyarde ont fortement augmenté bien que le taux de la taxe parafiscale sur le foncier non bâti (dit aussi valeur du décime) reste un des plus faibles parmi les départements français. Il passe de deux cent cinquante centimes par hectare en 1952 à quatre cents à partir de 1954, auxquels viennent s’ajouter cent vingt décimes additionnels à partir de 1957, grâce à la reconnaissance officielle du service technique. Le soutien du conseil général est facilité par la présence de deux élus de la chambre d’agriculture en son sein. Il exprime plus généralement l’intérêt porté par les élus locaux à la modernisation de l’agriculture savoyarde. Les revenus tirés de la participation financière au capital des Potasses d’Alsace constituent un mécanisme de renforcement circulaire : les bénéfices réalisés par la firme productrice d’engrais (scories potassiques) peuvent alimenter des actions de vulgarisation destinées à accroître l’emploi de ces mêmes engrais. Enfin, l’autorisation accordée par l’État de percevoir des décimes supplémentaires pour entretenir des assistants techniques participe pleinement du transfert du contrôle des activités de conseil agricole de l’administration vers la profession, en donnant aux chambres d’agriculture les moyens de salarier des assistants techniques en dépit de leur manque de ressources propres. En juin 1959, Lucien Biset prend la présidence de la chambre d’agriculture. Responsable professionnel d’envergure nationale, il a notamment présidé la Fédération nationale des producteurs de lait et a siégé régulièrement à l’APPCA en tant que suppléant. Ce changement illustre l’arrivée au pouvoir de la nouvelle génération de responsables agricoles formés par la JAC et passés par le CNJA. Le ton des discours n’est plus le même : il est désormais admis que la sélection des agriculteurs est inéluctable et qu’elle doit être accompagnée au mieux, voire orientée58. Ce n’est plus le nombre des agriculteurs qui doit primer mais leur qualité. La mission du service technique de la chambre doit s’accorder à cette nouvelle donne politique, en s’appuyant sur la large autonomie d’action laissée au directeur sur le plan de l’organisation, comme aux techniciens pour leurs réalisations de terrain.
- 59 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 8 novembre (...)
- 60 AD 38, 139M62, Cercle des jeunes agriculteurs de l’Isère, Compte-rendu de l’assemblée générale du (...)
- 61 Ibid.
42Alors qu’en Savoie, la chambre s’est saisie des questions techniques en laissant les actions revendicatives au syndicalisme, en Isère, la FDSEA joue un rôle prépondérant dans tous les domaines. À la fin de l’année 1956, la FDSEA de l’Isère crée une commission technique à laquelle la chambre d’agriculture accorde immédiatement une subvention de trois cent mille francs pour élaborer un programme technique commun au syndicat et à l’institution consulaire59. Ce fonds permet d’embaucher l’agent technique du village-témoin, jusque-là salarié par l’AGPB. Le service technique de la chambre d’agriculture de l’Isère est créé à la fin de l’année 1956 grâce à la subvention du Fonds national de péréquation. Bien que la chambre et la FDSEA soient théoriquement deux entités indépendantes, le service technique travaille sous l’autorité de la commission technique du syndicat présidée par Richard Didier. Ce dernier, secrétaire général du Cercle des jeunes agriculteurs de l’Isère, se positionne en faveur d’une ambitieuse politique de concentration des exploitations, que « l’application rationnelle des découvertes scientifiques » rend indispensable, « sous peine de disparition »60. Dans cette perspective, la multiplication des postes de techniciens est à la fois une nécessité pour encadrer les exploitants, et une occasion à saisir pour les jeunes qui ne pourraient pas s’installer sur une exploitation viable mais souhaiteraient continuer à travailler en agriculture61.
- 62 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 16 mai 195 (...)
43Un centre départemental de gestion est créé en février 1957. La collecte d’informations sur chaque exploitation par le biais de fiches ouvre la possibilité d’un suivi individualisé et surtout d’analyses comparées par petits groupes, indispensables pour créer une émulation entre les exploitations qui présentent des caractéristiques similaires. Le centre est un service de la FDSEA, qui fonctionne grâce aux cotisations des adhérents, à la subvention du conseil général, et dont le conseiller est salarié de la chambre d’agriculture. Ces financements croisés entre la chambre et la FDSEA se font sous l’égide de la commission technique. Cette structure informelle apparaît ainsi comme un dispositif politique qui permet de lier, beaucoup plus étroitement qu’en Savoie, le syndicalisme à la vulgarisation et aux moyens qui lui sont alloués par l’État. Elle permet aux responsables agricoles d’affirmer la distinction entre l’assistance technique et économique agricole, « action entreprise par la profession dans le seul et unique intérêt professionnel de l’agriculteur pris en particulier », et la vulgarisation, « action systématique de propagande et de publicité menée dans le but d’influencer les exploitants en vue de certains objectifs prédéterminés »62.
3.2. La création du centre de formation de Trie-Château
- 63 A-INRA, APPCA, Compte-rendu de la réunion du groupe de travail sur la formation des assistants tec (...)
- 64 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 63-84.
- 65 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Gilbert Martin, 1976 environ, p. 26. Sur les hautes é (...)
- 66 Florent Nové-Josserand, L’étonnante histoire des Maisons familiales rurales, Paris, L’Harmattan, 2 (...)
44En décembre 1956, un groupe de travail de l’APPCA présidé par Gilbert Martin, déjà présenté plus haut, fonde une association pour assurer la formation des assistants techniques et économiques agricoles des chambres d’agriculture, l’AFPA63. Gilbert Martin entend donner une certaine autonomie à l’organisme de formation pour limiter l’emprise des fractions les plus conservatrices de l’APPCA64. Il a été très favorablement impressionné lors de son voyage en Suède par la visite des hautes écoles populaires, une institution scandinave née au début du xixe siècle qui propose des formations scolaires générales pour adultes à destination des paysans, des artisans et des ouvriers65. Il est également influencé par l’Union nationale des maisons familiales rurales (UNMFR) dirigée par Florent Nové-Josserand66. Cette dernière mène une réflexion novatrice sur la pédagogie, influencée par les « méthodes actives » basées sur l’esprit d’observation et de coopération. L’UNMFR forme ses propres enseignants, les moniteurs. Le métier de moniteur ou monitrice de MFR s’adresse essentiellement à des fils et filles d’agriculteurs, passés par la JAC. Le mouvement des Maisons familiales sert ainsi de référence pour imaginer ce que pourrait être la formation des conseillers agricoles.
- 67 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Pierre Allaire, 1976 environ, p. 7-10.
45L’association s’ouvre aux adhésions des chambres d’agriculture et des principales organisations agricoles engagées dans la vulgarisation. Les premiers conseillers des chambres s’organisent également de leur côté. À la suite des travaux de la commission de l’APPCA sur les conditions de travail des agents techniques et économiques des chambres d’agriculture, le conseiller agricole de la chambre d’agriculture de l’Orne, Pierre Allaire, organise la première rencontre nationale de conseillers agricoles à Argentan au printemps 195767. Cette réunion matérialise l’existence d’un groupe semi-formel d’une quinzaine de conseillers agricoles. Ces derniers sont partie prenante de la réflexion sur la formation. Ils souhaitent acquérir une certaine autonomie vis-à-vis de leurs employeurs sans pour autant sortir du giron des organisations professionnelles agricoles. Quand l’AFPA investit un château situé dans la commune de Trie-Château (Oise), la direction du nouveau centre de formation est ainsi confiée à Pierre Allaire.
- 68 A-INRA, JR/16, Statuts de l’AFPA.
- 69 A-INRA, 1JR2, Programme d’une session de formation de l’AFPA du 25 janvier au 6 févier 1960.
- 70 Ibid.
46Selon l’article 1er de ses statuts, l’AFPA a pour but la formation et le perfectionnement du personnel technique et administratif de la profession agricole dans les domaines technique, économique, administratif, juridique, etc.68 Les stagiaires ont des titres professionnels divers : conseillers agricoles, assistants techniques et économiques des chambres d’agriculture, ingénieurs de CETA, techniciens de GPA, ingénieurs spécialisés. Le centre de Trie-Château est un lieu de rencontre et de confrontation entre des publics qui n’ont pas le même employeur, la même formation initiale, et les mêmes objectifs concrets. À ce titre, elle est une institution clé pour cerner l’institutionnalisation du métier de conseiller agricole. Les premières sessions de formation organisées par l’AFPA durent deux semaines. Des conférences abordent les principales questions liées au conseil agricole : poser un problème, faire un exposé, animer une réunion, comprendre la psychologie de groupe, s’exprimer à l’oral69. Elles prévoient de nombreuses visites afin de familiariser les conseillers agricoles avec leur environnement de travail (laboratoires d’analyses et de recherches, centre de comptabilité, champs d’essais). Les différentes fédérations de groupements techniques viennent présenter leur formule : CETA, groupements de vulgarisation agricole (GVA), GPA. Il s’agit de proposer des enseignements qui définissent des méthodes de travail directement reproductibles par les stagiaires à leur retour dans leur département, d’où le titre de certaines séances : « Comment organiser la visite d’un champ de démonstration avec un groupe d’agriculteurs ? », « La rédaction d’un article de vulgarisation technique », « Comment constituer et animer un groupement d’agriculteurs »70.
- 71 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec M. Pousset, doc. cité, p. 14.
47Après la création du centre de Trie-Château, l’AFPA reçoit des demandes de la part de certaines chambres d’agriculture pour qu’elle prenne en charge la sélection des candidats au métier de conseiller, avant d’envisager leur formation. Ce travail repose en grande partie sur un entretien psychotechnique pour clarifier les motivations du candidat et les obstacles éventuels, autrement dit évaluer son aptitude au contact avec les agriculteurs71. Le centre de formation développe une approche du métier de conseiller qui prend en compte les méthodes élaborées dans les sciences humaines et sociales. La psychosociologie en particulier est présentée comme une ressource pour les conseillers pour décrypter les réactions des agriculteurs. Cette approche constitue la marque distinctive des formations de l’AFPA pendant les années à venir. Le centre accueille également de nombreux spécialistes des questions agronomiques, économiques, politiques. Leurs statuts sont très divers : conseillers agricoles expérimentés, ingénieurs rattachés au ministère de l’Agriculture, consultants économiques, journalistes, ingénieurs rattachés à des firmes commerciales, professeurs, chercheurs, agriculteurs, psychosociologues, responsables agricoles. Les formateurs salariés de l’AFPA bénéficient eux d’une liberté d’action considérable qui les entraîne dans un véritable processus de recherche liant pédagogie pour adultes et vulgarisation agricole. L’AFPA construit ainsi une représentation unitaire de son public et participe de ce fait à la fusion des activités de conseil agricole en un métier à part entière, avec ses règles, ses objets, ses valeurs.
3.3. Une reconnaissance officielle en forme de compromis
- 72 A-INRA, 1JR4, FNSEA, Rôle des différentes organisations professionnelles et de l’administration se (...)
- 73 Ibid.
48À la fin des années 1950, la FNSEA tente de se présenter comme la seule organisation capable de s’opposer aux visées de l’administration sur la vulgarisation, en arguant de ses capacités à mobiliser les agriculteurs aux niveaux local, cantonal, départemental et national72. Elle propose dès lors une nouvelle répartition des tâches entre les organisations professionnelles : un centre de gestion dans chaque département pour établir « les références économiques qui sont ensuite vulgarisées » ; des CETA pour établir les références techniques ; les chambres d’agriculture pour mettre à disposition les moyens financiers et les agents techniques ; les coopératives pour faire de la recherche appliquée et mettre à disposition leurs spécialistes ; l’administration pour coordonner les programmes, contrôler l’emploi des fonds, élaborer des programmes de vulgarisation et les exécuter si la profession est défaillante, et mettre à disposition ses agents spécialisés73. Mais aucune de ces organisations n’accepte les ambitions hégémoniques de la FNSEA. Et ce sont bien les chambres d’agriculture qui apparaissent en position de force, du fait de leurs capacités à salarier des agents techniques, et aussi du fait qu’elles réussissent à se placer dans une position intermédiaire entre le ministère de l’Agriculture et la FNSEA.
- 74 « Décret no 59-531 du 11 avril 1959 portant statut de la vulgarisation agricole », Journal officie (...)
- 75 Pierre Muller, Le technocrate et le paysan, ouvr. cité.
- 76 Décret no 59-531, doc. cité.
49En 1959, une série de décrets tente de clarifier la situation et de redonner une cohérence d’ensemble à des politiques de vulgarisation qui ont donné lieu à de nombreuses expérimentations. Les motifs du décret du 11 avril 1959 récapitulent ainsi les principaux objectifs : mener à bien la modernisation des structures de production, accroître la productivité des exploitations et adapter l’agriculture française aux conditions du Marché commun74. La construction d’une politique agricole commune (PAC) passe essentiellement par la question de l’organisation des marchés, l’encadrement des pratiques des agriculteurs n’est pas pensée en tant que telle au niveau européen. Le décret de 1959 définit la vulgarisation comme « la diffusion des connaissances techniques, économiques et sociales nécessaires aux agriculteurs notamment pour élever leur niveau de vie et améliorer la productivité des exploitations ». La participation effective des agriculteurs doit être assurée par la formation de « groupements librement constitués ». Le Conseil national de la vulgarisation du progrès agricole (CNVPA) élabore un plan quadriennal de vulgarisation et un plan annuel de réalisation, appuyé sur des comités départementaux. Concernant le personnel technique, le décret précise que les ingénieurs des services agricoles seront chargés de la coordination des mesures, du contrôle technique et du contrôle financier. Cette redéfinition de leur travail les éloigne du terrain, ce qui est souvent mal vécu par les intéressés75. Sur le terrain justement, le texte prévoit que « des “conseillers agricoles” mettent en œuvre les programmes, sous l’autorité des groupements d’agriculteurs »76. Les guillemets utilisés pour « conseillers agricoles » montre que la définition du terme est encore incertaine.
- 77 A-INRA, 1JR4, FNSEA, Position de la FNSEA sur le nouveau décret, document ronéotypé, 11 avril 1959
- 78 On retrouve ici le modèle de la commission technique mise en place par la FDSEA de l’Isère.
- 79 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 517.
50La FNSEA se montre très critique de ce texte, craignant la concurrence entre organisations professionnelles, puisque toutes les formes de groupements peuvent prétendre aux subventions publiques. Elle agite le spectre d’une « nationalisation de l’agriculture » en dénonçant les « ingérences des ministères économiques injustifiées en ce qui concerne les conditions d’agrément des groupements et les conditions de recrutement et de formation des conseillers »77. En réponse, elle projette la création, dans chaque département, d’un service professionnel de vulgarisation chargé de coordonner l’ensemble des activités de vulgarisation, qui court-circuiterait de fait les comités départementaux78. Ses dirigeants comptent tirer parti de l’implantation territoriale sans équivalent de la fédération : elle possède des sections syndicales dans chaque canton et souvent dans chaque village, qui peuvent facilement servir de base pour structurer les « groupements librement constitués ». La nomination de Gilbert Martin à la tête du CNVPA permet néanmoins d’apaiser les tensions entre le syndicalisme et le ministère, et contribue à faire des chambres d’agriculture une instance de régulation des conflits79. Son engagement politique aux côtés de Mendès France le fait apparaître comme un dissident par rapport aux autres responsables tels que René Blondelle, ancien syndic de la Corporation paysanne et président de l’APCA, ou Joseph Courau, président de la FNSEA, sur une ligne plus conservatrice et plus corporatiste. Si le décret de 1959 ne décide pas clairement d’un transfert d’autorité de l’administration vers la profession, il laisse suffisamment de marge de manœuvre aux organisations professionnelles, et aux chambres d’agriculture en particulier, qui bénéficient des rentrées parafiscales et ont commencé à structurer des services techniques.
- 80 « Décret no 59-1207 du 23 octobre 1959 fixant les conditions d’agrément des groupements de vulgari (...)
- 81 « Décret no 59-1208 du 23 octobre 1959 fixant les modalités de recrutement et de formation des con (...)
51Les chambres d’agriculture avaient jusque-là une grande latitude pour l’embauche de leurs collaborateurs. Mais les décrets du 23 octobre 1959 imposent un cadre commun qui constitue la première forme d’unification institutionnelle du métier de conseiller agricole. Le premier décret définit plus rigoureusement les conditions d’agrément des groupements de vulgarisation pouvant bénéficier de l’aide financière de l’État, et les oblige à se soumettre aux règles de recrutement, de formation et d’emploi de conseillers agricoles80. Le second fixe les modalités de recrutement et de formation des conseillers agricoles en élargissant la définition de « conseiller agricole », jusque-là réservée aux agents de l’administration, à tous les conseillers agricoles polyvalents de base, mais aussi aux techniciens de CETA, conseillers de gestion ou conseillers spécialisés81. La définition même du profil des candidats reste relativement ouverte. Ceux qui n’ont pas ou peu de diplômes peuvent éventuellement suivre les cours d’un centre de formation accélérée de vulgarisateurs, à condition d’avoir au moins trois ans de pratique agricole ou d’enseignement agricole. Ils doivent avoir au moins vingt et un ans et avoir rempli leurs obligations militaires, n’avoir aucune condamnation afflictive ou infamante, et pouvoir justifier de leur aptitude physique à exercer un emploi non sédentaire. Après une période d’essai de six mois, le candidat passe un examen d’aptitude professionnelle devant un jury intégrant des représentants des organisations professionnelles agricoles. Pendant la période d’essai, le conseiller doit suivre un stage de formation accélérée dans un établissement agréé, ou suivre un stage de formation pratique auprès d’un conseiller agricole de l’État ou privé. Après son embauche définitive, chaque conseiller agricole est obligé de participer chaque année à dix jours de stage de perfectionnement, et de participer à des réunions d’information sous l’égide du comité départemental de vulgarisation. Enfin, les agents employés depuis plus de six mois par les organisations professionnelles agricoles sont dispensés des stages et de l’examen d’accès à la profession.
52Les décrets constituent une forme de rationalisation a posteriori des pratiques de sélection et d’embauche. Le cadre proposé est suffisamment souple pour pouvoir être approprié par les conseillers qui peuvent s’y reconnaître, quelle que soit l’institution qui les emploie. Plus encore, il déborde largement la fonction restrictive imaginée au sein des services agricoles d’un conseiller qui ne serait que l’auxiliaire de terrain de l’ingénieur. Ces décrets marquent la première reconnaissance officielle d’une fonction qui n’est ni celle d’un simple exécutant des plans de vulgarisation, ni celle de l’ingénieur consultant occasionnel, un métier qui se différencie aussi nettement de l’instituteur agricole comme du représentant de commerce. L’institutionnalisation du métier de conseiller agricole délimite un domaine d’intervention et légitime une série de pratiques jusque-là expérimentées dans des initiatives éclatées. En ne fixant pas un cadre strict pour la suite, les décrets de 1959 semblent favorables aux conseillers embauchés par les chambres d’agriculture, qui invoquent précisément leur autonomie d’action et leur liberté de mouvement pour se rapprocher des agriculteurs avec lesquels ils travaillent, en se démarquant constamment de leurs « concurrents » embauchés par l’État, décrits comme trop gênés par les pesanteurs administratives pour être efficaces.
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- 82 La notion de « faisant-fonction » est introduite par Pierre Bourdieu dans La distinction pour qual (...)
53Les conseillers embauchés au coup par coup jusqu’à la fin des années 1950 occupent une position stratégique puisqu’ils se trouvent chargés non seulement de diffuser les connaissances techniques, mais également de relayer les aspirations du monde agricole, ou tout du moins de ses dirigeants. Ils tirent parti du flou relatif qui entoure leur métier pour affirmer la spécificité de leur action par rapport aux professionnels de la vulgarisation déjà en poste : ingénieurs des services agricoles, instituteurs chargés des cours postscolaires agricoles, démonstrateurs des firmes industrielles et commerciales, vulgarisateurs subalternes au sein de l’administration, agents technico-commerciaux des coopératives. Leur qualité de « faisant-fonction »82 leur offre la possibilité de dépasser leurs attributions contractuelles d’agents techniques, pour s’engager au service des agriculteurs « en voie de modernisation », avec lesquels ils partagent souvent le même référentiel catholique modernisateur. Leurs employeurs leur laissent des marges de manœuvres d’autant plus importantes qu’ils ont compris le parti qu’ils pouvaient tirer de la présence d’un conseiller qui sait jouer de son rapport ambivalent d’intériorité et d’extériorité avec le monde agricole. Le terme même de « conseiller agricole » se généralise après les décrets de 1959. Les conseillers sont l’instrument des politiques incitant à une augmentation sans précédent de la productivité du travail agricole. Mais ils participent aussi directement à l’affirmation politique de la fraction la plus dynamique des petits et moyens exploitants, fondée sur le double principe de sélection et de promotion des exploitations familiales. Ils ont une connaissance pratique des structures économiques et sociales du monde agricole qui leur permet de comprendre les difficultés de leurs interlocuteurs et leurs méthodes de travail en fonction des situations qu’ils rencontrent.
54Les cadres d’exercice du métier restent souples et permettent localement la circulation d’un même conseiller entre différents groupements techniques, parfois dans une seule et même journée : suivi d’un ou plusieurs CETA, conférence aux Jeunes Agriculteurs d’un canton ou à la demande du syndicat agricole d’une commune, mise sur pied des premières méthodes de gestion des exploitations, collaboration avec la DSA pour un travail de recherche spécifique. Les conseillers agricoles ne sont ni les simples courroies de transmission d’un projet global dont les objectifs leur échapperaient, ni les obligés des petits et moyens agriculteurs qu’ils assistent. Les différentes organisations professionnelles agricoles instrumentalisent le travail des conseillers pour revendiquer le contrôle des orientations des nouveaux dispositifs de vulgarisation. Solidaires lorsqu’il s’agit d’écarter les services agricoles, ces organisations sont néanmoins en concurrence. La FNSEA fait valoir son ancrage local et sa légitimité à représenter l’ensemble des agriculteurs pour s’imposer face aux CETA et aux chambres d’agriculture. Mais ces dernières peuvent s’appuyer sur les nouveaux moyens financiers dont elles disposent, sur les services techniques qu’elles ont structurés et surtout sur le soutien actif des premiers conseillers qu’elles ont salariés. Les négociations débouchent finalement sur un compromis institué par les décrets de 1959, qui marque le désengagement de l’État et le développement des initiatives structurées par les chambres d’agriculture. À partir du début des années 1960, la question de l’autonomie collective des conseillers agricoles, et donc de la formation d’un groupe professionnel à part entière, devient centrale pour la poursuite du processus de modernisation.
Notes
1 AD 38, 3426W210, René Dumont, L’agriculture du Trièves évolue lentement. Rapport pour le Commissariat général au Plan, 1951.
2 ACA 73, boîte « zones-témoins », Demandes d’agrément enregistrées par le ministère de l’Agriculture au 15 septembre 1953. Trente-cinq techniciens ont demandé leur agrément.
3 Jacques Rémy, « Entre familles, marchés et politiques publiques : le conseiller agricole », Revue de l’INRA, no 127, 2006, p. 38-40.
4 Il s’agit également de généraliser le recours à l’emprunt dans les régions agricoles restées jusque-là à l’écart du mouvement de bancarisation du monde agricole. AD 38, 3426W210, G. Raffin, Rapport sur l’évolution du Trièves sous l’influence du Groupement de productivité, 1956 environ. Pour une mise en perspective historique, voir André Gueslin, « Crédit agricole et agriculture en France au xxe siècle », Économie rurale, no 184, 1988, p. 107-115.
5 AD 73, M3947, Direction de la production agricole du ministère de l’Agriculture, Instruction no 3 relative aux modalités d’aide technique et financière de productivité, 1955.
6 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 22 mai 1953.
7 Delphine Berdah, « Suivre la norme sanitaire ou “périr” : la loi de 1954 sur la prophylaxie collective de la tuberculose bovine », Sciences, chercheurs et agriculture, ouvr. cité, p. 203‑222.
8 AD 73, M3947, ministère de l’Agriculture, Instruction no 2 relative aux modalités d’application de l’aide technique et financière de productivité, 1954.
9 AD 38, GPA du Trièves, Bulletin des adhérents, no 3, 1952.
10 AD 73, M3947, Direction de la production agricole du ministère de l’Agriculture, Instruction no 3, doc. cité.
11 AD 38, 3426W210, GPA du Trièves, Problèmes économiques, non daté.
12 AD 38, 3426W211, Bernard Fabre, « Le paysan du Trièves dans la voie du progrès », Bulletin des adhérents de la zone-témoin du Trièves, no 14, décembre 1956.
13 Les informations biographiques sont tirées des entretiens réalisés par l’auteur avec les deux conseillers et de la consultation des comptes-rendus de sessions des chambres d’agriculture qui les employaient.
14 Ce conseiller a fait partie de la première vague d’embauche dans les chambres d’agriculture au début des années 1950. Archives INRA (A-INRA), 1JR4, Retranscription d’un entretien de Jacques Rémy, sociologue, avec un conseiller agricole dans le cadre d’une recherche sur l’histoire de AFPA, 1976, p. 27-28.
15 Rose-Marie Lagrave éd., Celles de la terre : agricultrice, l’invention politique d’un métier, Paris, EHESS, 1987.
16 Entretien réalisé par l’auteur en août 2009 avec un conseiller agricole de la chambre d’agriculture de la Savoie, embauché au milieu des années 1950 et spécialisé dans l’accompagnement des groupes d’agriculteurs de montagne.
17 Luc Boltanski, Les cadres : la formation d’un groupe social, Paris, Minuit, 1982 ; Didier Georgakakis, « Les réalités d’un mythe : figure de l’eurocrate et institutionnalisation de l’Europe politique », La question technocratique. De l’invention d’une figure aux transformations de l’action publique, Vincent Dubois, Delphine Dulong éd., Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1999, p. 109-130.
18 ACA 73, « Statistiques des conseillers agricoles français », Bulletin mensuel de l’École supérieure d’agriculture d’Angers, 1954, p. 57.
19 Yves Lambert, « Développement agricole et action catholique », Sociologia ruralis, vol. 18, no 4, 1978, p. 245-254 ; Danièle Barrès et al., La JAC et la modernisation de l’agriculture, ouvr. cité.
20 « Éditorial », Supplément pratique de L’Agriculteur du Sud-Est, mai 1954.
21 Denis Pelletier, Économie et humanisme. De l’utopie communautaire au combat pour le tiers-monde 1941-1966, Paris, Cerf, 1996, p. 33.
22 Michel Debatisse raconte comment René Colson, secrétaire général de la JAC en 1942, entreprend de créer le Centre national des études rurales en s’appuyant sur les méthodes d’enquête éprouvées au sein d’Économie et humanisme. Michel Debatisse, La révolution silencieuse : le combat des paysans, Paris, Calmann-Lévy, 1963, p. 103. Voir également René Colson, Motorisation et avenir rural, Paris, CNER, 1950.
23 Henri Puel, Économie et humanisme dans le mouvement de la modernité, Paris, Cerf, 2004, p. 61.
24 Denis Pelletier, Économie et humanisme, ouvr. cité, p. 433.
25 Paul Houée, Le père Lebret, un éveilleur d’humanité, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997, p. 125.
26 ACA 73, Zone-témoin, Correspondance entre le père Viau et Gilbert Delaunay, 17 décembre 1953.
27 Gilbert Delaunay, « Le témoignage d’un agent technique de zone-témoin », Économie et humanisme, no 85, mai-juin 1954, p. 61-66.
28 Ibid., p. 66.
29 Révérend père Viau, « Le choix des institutions », Économie et humanisme, no 85, mai-juin 1954, p. 92.
30 ACA 73, Le conseiller agricole, agent de la promotion paysanne, no 310 du Bulletin mensuel de l’École supérieure d’agriculture d’Angers, janvier 1954.
31 Le groupe des ingénieurs « agris » intègre ensuite les diplômés des écoles de Toulouse et de Nancy, spécialisées dans les industries alimentaires. Les « hortis » de l’École nationale d’horticulture de Versailles ont un statut à part. Quant aux ingénieurs « agros », diplômés de l’Institut national d’agronomie, ils dominent nettement cette hiérarchie.
32 André Scoupe, « Éditorial », Les conseillers de l’agriculture, no 161 d’Agriculture, octobre 1954, p. 3.
33 Agriculture, no 160, septembre 1954.
34 André Scoupe, « Éditorial », art. cité, p. 3.
35 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 490.
36 « Le conseiller agricole et la vulgarisation dans l’agriculture », Chambres d’agriculture, no 52, mai 1954, p. 3.
37 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 9 novembre 1954.
38 Pierre Muller, Le technocrate et le paysan, ouvr. cité.
39 ACA 73, Procès-verbal de la deuxième session ordinaire de chambre d’agriculture de la Savoie du 6 janvier 1955.
40 « La vulgarisation et les conseillers agricoles vus par les chambres d’agriculture », Chambres d’agriculture, no 71, mars 1955, p. 5-16.
41 « Délibération relative à la vulgarisation agricole et à l’assistant technique agricole », Chambres d’agriculture, no 78, juin 1955, p. 16-17.
42 Lucien Rolland, « L’histoire de la vulgarisation agricole en France avant 1966 », Économie rurale, no 159, 1984, p. 15.
43 Entretiens réalisés par l’auteur entre 2009 et 2011 en Savoie.
44 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 20 septembre 1971, rapport sur le bilan de l’action des chambres dans le développement.
45 Lucien Rolland, « L’histoire de la vulgarisation agricole », art. cité, p. 15.
46 FNCIVAM, « Pourquoi écrire l’histoire des CIVAM ? », 2004. En ligne : [http://www.civam.org/images/Histoire_des_CIVAM.pdf] (consulté le 7 juin 2017).
47 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 505.
48 Pierre Coutin, « Fiscalité et para-fiscalité agricoles en France », Revue économique, vol. 4, no 5, 1953, p. 695-699.
49 D’après Gilbert Martin, en plus de la confiance réciproque entre les deux hommes, les expériences pionnières menées par les chambres d’agriculture de la Somme et de l’Eure ont contribué à emporter la décision de Mendès France. Archives INRA, 1JR4, Transcription de l’entretien de Jacques Rémy avec Gilbert Martin, 1976 environ, p. 8-10.
50 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 772-775.
51 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 11 octobre 1955.
52 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 15 novembre 1955.
53 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 28 décembre 1955.
54 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 22 novembre 1956.
55 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 5 novembre 1956.
56 ACA 73, Procès-verbal de la réunion du bureau de la chambre d’agriculture de la Savoie du 26 décembre 1956.
57 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 21 mai 1958.
58 ACA 73, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de la Savoie du 10 juin 1959.
59 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 8 novembre 1956.
60 AD 38, 139M62, Cercle des jeunes agriculteurs de l’Isère, Compte-rendu de l’assemblée générale du Cercle des jeunes agriculteurs de l’Isère de 1956, 14 janvier 1956.
61 Ibid.
62 ACA 38, Procès-verbal de la session ordinaire de la chambre d’agriculture de l’Isère du 16 mai 1957.
63 A-INRA, APPCA, Compte-rendu de la réunion du groupe de travail sur la formation des assistants techniques et économiques agricoles des chambres d’agriculture, 12 décembre 1956.
64 Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” », art. cité, p. 63-84.
65 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Gilbert Martin, 1976 environ, p. 26. Sur les hautes écoles populaires, voir G. Appell, « L’éducation au Danemark », Enfance, vol. 1, no 3, 1948, p. 275-281.
66 Florent Nové-Josserand, L’étonnante histoire des Maisons familiales rurales, Paris, L’Harmattan, 2009.
67 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec Pierre Allaire, 1976 environ, p. 7-10.
68 A-INRA, JR/16, Statuts de l’AFPA.
69 A-INRA, 1JR2, Programme d’une session de formation de l’AFPA du 25 janvier au 6 févier 1960.
70 Ibid.
71 A-INRA, 1JR4, Entretien de Jacques Rémy avec M. Pousset, doc. cité, p. 14.
72 A-INRA, 1JR4, FNSEA, Rôle des différentes organisations professionnelles et de l’administration selon la FNSEA, document ronéotypé, juillet 1957.
73 Ibid.
74 « Décret no 59-531 du 11 avril 1959 portant statut de la vulgarisation agricole », Journal officiel de la République française, 14 avril 1959, p. 4145-4146.
75 Pierre Muller, Le technocrate et le paysan, ouvr. cité.
76 Décret no 59-531, doc. cité.
77 A-INRA, 1JR4, FNSEA, Position de la FNSEA sur le nouveau décret, document ronéotypé, 11 avril 1959.
78 On retrouve ici le modèle de la commission technique mise en place par la FDSEA de l’Isère.
79 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 517.
80 « Décret no 59-1207 du 23 octobre 1959 fixant les conditions d’agrément des groupements de vulgarisation pouvant bénéficier de l’aide financière de l’État », Journal officiel de la République française, 24 octobre 1959, p. 10143.
81 « Décret no 59-1208 du 23 octobre 1959 fixant les modalités de recrutement et de formation des conseillers agricoles », Journal officiel de la République française, 24 octobre 1959, p. 10143-10144.
82 La notion de « faisant-fonction » est introduite par Pierre Bourdieu dans La distinction pour qualifier des stratégies symboliques visant à profiter du décalage entre l’ordre des mots et l’ordre des choses, autrement dit « à s’approprier les mots pour avoir les choses qu’ils désignent ou les choses en attendant d’obtenir les mots qui les sanctionnent », et ce afin d’exercer les fonctions sans avoir les titres pour le faire. Voir Pierre Bourdieu, La distinction, Paris, Minuit, 1979, p. 561.
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