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Le bonheur dans la modernité

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Sylvain Brunier

Introduction

Texte intégral

  • 1 Georges Perec, « Le bonheur dans la modernité », propos recueillis par Jean Duvignaud, Le Nouvel O (...)

Et moi, ce que je veux dire, c’est qu’il y a une espèce de bonheur de la modernité, même dans l’impossibilité ou la déception. Oui, c’est cela « le bonheur dans la modernité ».1

  • 2 Paul Veyne, L’inventaire des différences : leçon inaugurale au Collège de France, Paris, Seuil, 19 (...)
  • 3 Michel Serres, Temps des crises, Paris, Le Pommier, 2012.
  • 4 Fernand Braudel, L’identité de la France, t. 3 : Les choses et les hommes II, Paris, Arthaud-Flamm (...)

1Si faire de l’histoire consiste à faire « l’inventaire des différences » entre notre monde et les mondes passés, l’agriculture apparaît comme un objet d’étude particulièrement intéressant2. La transformation de l’agriculture est un des bouleversements majeurs de l’histoire contemporaine3. En France, le « grand chambardement » du monde rural commence véritablement après la Seconde Guerre mondiale4. L’ampleur de ce changement, qui engage aussi bien les modes de production que les modes de vie des agriculteurs, de leurs familles et des populations qu’ils nourrissent, doit nous inciter à être particulièrement attentifs à l’intrusion des questions morales et des « enjeux de civilisation » dans l’analyse des faits politiques, économiques et sociaux et leur mise en perspective chronologique. Travailler en historien implique de suspendre son jugement sur les conséquences positives ou négatives de la modernisation de l’agriculture française après-guerre telles qu’elles nous apparaissent aujourd’hui, pour restituer ce que les acteurs percevaient sur le moment et analyser dans quelles configurations sociales ils inscrivaient leurs actions. Pour échapper à la fausse alternative entre la déploration de « la fin des paysans » et la célébration de « la révolution silencieuse », ce livre propose une relecture « par le bas » des politiques de modernisation. Dans quelles conditions les agriculteurs ont-ils accepté de se conformer aux préconisations indissociablement techniques, économiques et sociales de ces politiques de modernisation ? Comment se fait-il que les agriculteurs – ou au moins une large partie d’entre eux – aient adhéré à des politiques qui ont abouti à diviser par dix la population active agricole en l’espace de quatre décennies ? Comment cette question de « l’adhésion » est-elle devenue un enjeu central dans l’immédiat après-guerre ?

2Pour faire un pas de côté, prêtons attention à un récit légèrement dissonant par rapport aux représentations dominantes sur cette période de la modernisation agricole dans la France des Trente Glorieuses. Il émane d’un conseiller agricole embauché par une chambre d’agriculture au début des années 1960 pour accompagner des petits groupes d’agriculteurs :

  • 5 Entretien réalisé par l’auteur en mai 2011 avec un des premiers conseillers agricoles embauchés pa (...)

J’avais été un peu dans le [massif des Monts]. J’avais dit au président de la vulgarisation [au niveau du département] […] : « Dans les Monts on peut faire quelque chose. » […] J’ai insisté, j’ai trouvé deux bons leaders agricoles et on a monté un groupement de vulgarisation agricole. […] Deux bons leaders agricoles qui m’ont bien défendu, mais effectivement là c’était le b.a.-ba. […] Ils connaissaient la clôture électrique parce qu’un marchand était passé, mais ils ne connaissaient pas les barbelés. Donc les vaches ne restaient pas dehors, parce que, on envoyait le gamin ou la grand-mère pour garder les vaches. Au bout d’une heure et demie elles revenaient la panse pleine, mais elles n’étaient pas dehors. Au bout d’un an, je me suis posé un peu la question, j’ai réfléchi à ce que j’avais fait. Je n’avais rien fait au bout d’un an mais j’avais acquis la confiance des gens, et ça c’était important. Mais autrement sur le plan technique rien. […] Alors je me suis accroché, et je me suis rendu compte que leur bétail était uniquement de la race [locale], qui est une vieille race, qui avait été exploitée un peu pour tout, pour le travail mais ils ne travaillaient plus avec, pour le lait et la matière grasse, très riche en matière grasse, et puis la viande. Je me suis dit : « La flore locale c’est les Préalpes, ça ressemble beaucoup au Jura. » Et alors je me suis employé à inciter les gens à acquérir du bétail Montbéliard. Alors c’était l’épopée. Ils n’avaient pas d’argent, ce sont de petites structures, donc on faisait des virées dans le Doubs, le Haut-Doubs surtout, pour acheter des veaux génisses. […] Alors on partait à trois heures du matin avec trois agriculteurs, j’avais une deux-chevaux, en hiver hein, et on allait dans le Haut-Doubs, et les contrôleurs laitiers locaux avaient repéré des veaux génisses. On en sélectionnait quarante ou cinquante et on revenait sur les coups de trois heures du matin, on partait vingt-quatre heures, c’était fou et imprudent, avec le verglas, la neige. Et quelques jours après les commerçants en bestiaux ramenaient les veaux, on les mettait en vrac dans une grange et on les tirait au sort pour ceux qui avaient commandé des génisses. […] Et je m’étais rendu compte que je pouvais donner des conseils aux gens, ça ne servait à rien […] si je n’avais pas convaincu les femmes, les femmes qui gardent le porte-monnaie. Quand je disais qu’il fallait acheter une machine ou de l’engrais ou je ne sais quoi, tant que la femme n’était pas d’accord ça n’était pas la peine.5

3Le conseiller joue un rôle moteur dans la formation des groupes, en persuadant le responsable syndical départemental de l’intérêt de prendre en considération cette région de moyenne montagne, et en sollicitant deux agriculteurs de ce territoire pour qu’ils deviennent des « leaders » auprès des exploitants qui hésiteraient à adhérer et à suivre les préconisations du conseiller. Une première hypothèse en découle : les conseillers, intermédiaires dont il s’agira de qualifier le nombre, le profil, les ressources et les aspirations, sont des acteurs centraux, et méconnus, de la mise en œuvre des politiques de modernisation. Le conseiller incite les agriculteurs à adopter un nouveau modèle de production, ici la spécialisation en production laitière, en introduisant une nouvelle race de vaches plus productive que la race locale. Il manifeste ainsi peu de considération pour les savoirs et les pratiques existants. La modernisation apparaît comme une rupture brutale, une violence faite aux exploitants et à leurs familles. Mais le récit permet également de ne pas en rester à la critique de l’imposition de nouvelles pratiques : le conseiller ne s’appuie pas sur une autorité administrative, économique ou intellectuelle. Il cherche d’abord à gagner la confiance des agriculteurs. Pour ce faire, il entraîne certains d’entre eux dans une « épopée » pour organiser l’achat de nouvelles bêtes, en s’impliquant personnellement dans ce projet. Une deuxième hypothèse se fait jour : la relation entre le conseiller et certains agriculteurs n’est pas réductible à l’imposition d’une autorité extérieure, le registre de la confiance et de l’incitation mérite d’être interrogé en tant que tel. Pour obtenir l’adhésion des agriculteurs, le conseiller doit prendre en compte la dimension familiale des exploitations en impliquant les épouses dans les prises de décision.

4Envisager la question de « l’adhésion » comme une construction sociale et historique articulée autour du groupe professionnel des conseillers permet de tenir à distance deux thèses couramment évoquées. La modernisation agricole renverrait à un processus d’ajustement économique inéluctable, à un moment de mise en conformité du monde agricole avec l’ordre capitaliste des choses et des hommes. Dans ce schéma, il n’est pas question d’adhésion mais de capacités des agriculteurs à s’adapter et à saisir les opportunités économiques. La dimension programmatique des politiques de modernisation est ici entièrement évacuée ou tout au plus présentée comme un processus d’ajustement superficiel. Une autre thèse voudrait assimiler les politiques de modernisation à une vaste manipulation des comportements des agriculteurs. Les élites industrielles et politiques seraient en mesure de dicter leurs volontés à l’ensemble des producteurs en contrôlant l’information scientifique et technique et en imposant des cadres réglementaires favorables à l’intensification des productions. Cette perspective suppose une complète adéquation entre ce qui est décidé, ce qui est mis en œuvre et ce qui est effectivement appliqué par les agriculteurs. Sous couvert de compassion pour la paysannerie, ces deux lectures de l’histoire dénient aux agriculteurs la capacité de s’organiser collectivement et d’influer sur les politiques dont ils sont l’objet. En revanche, revenir sur l’histoire des conseillers agricoles permet de prendre au sérieux la question de la construction de l’adhésion des agriculteurs aux politiques de modernisation, en décrivant les modalités concrètes de production de « l’élan » modernisateur négociées entre l’État et les organisations professionnelles agricoles.

Le chaînon manquant

  • 6 Dominique Veillon, Vivre et survivre en France, 1939-1947, Paris, Payot & Rivages, 1995.
  • 7 Philippe Mioche, Le plan Monnet. Genèse et élaboration 1941-1947, Paris, Publications de la Sorbon (...)
  • 8 Pierre Cornu, Jean-Luc Mayaud éd., Au nom de la terre : agrarisme et agrariens, en France et en Eu (...)

5À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture apparaît comme un secteur stratégique non seulement du fait de la pénurie alimentaire mais aussi de l’ambition de développer l’industrie, ce qui nécessite de réaliser des gains de productivité considérables dans le secteur agricole afin de libérer une main-d’œuvre nombreuse et de diminuer la part consacrée à l’alimentation dans le budget des ménages6. Une nouvelle conception des politiques de modernisation agricole émerge, portée par des hommes politiques, des hauts fonctionnaires, des chercheurs, des industriels, et des grands exploitants opposés à l’autorité des notables traditionnels sur le monde agricole. Ces promoteurs de la modernisation plaident pour une intensification sans précédent des modes de production. Ils inscrivent la transformation planifiée des structures économiques et sociales de l’agriculture dans un vaste programme de modernisation, impulsé notamment par le Commissariat général au Plan créé en décembre 1945, et financé en partie par les crédits du plan Marshall7. Ce projet est en rupture avec l’ancienne conception de la modernisation agricole, pensée comme un processus lent, que les gouvernements doivent conduire prudemment, dans le respect des hiérarchies traditionnelles, afin de garantir la stabilité politique et sociale du pays8.

  • 9 Claude Servolin, L’agriculture moderne, Paris, Seuil, 1989.
  • 10 Christophe Bonneuil, François Hochereau, « Gouverner le “progrès génétique” », Annales. Histoire, (...)
  • 11 Claude Servolin, L’agriculture moderne, ouvr. cité.
  • 12 Pierre Muller, Le technocrate et le paysan : essai sur la politique française de modernisation de (...)
  • 13 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire : l’Assemblée permanente des chamb (...)
  • 14 Paul Houée, Les étapes du développement rural, t. 2 : La révolution contemporaine, Paris, Économie (...)

6Le projet modernisateur doit convaincre un grand nombre de producteurs de s’engager dans un bouleversement complet de leurs manières de travailler. Sur le plan technique, l’intensification des méthodes productives se caractérise par une sélection de plus en plus poussée des espèces végétales et animales et une maîtrise croissante des moyens de production (mécanisation, intrants chimiques)9. Les travaux des chercheurs en phytogénétique, à qui est confiée la direction du nouvel Institut national de la recherche agronomique (INRA), imposent la réduction de la diversité des variétés et favorisent la généralisation de l’usage des espèces les plus adaptées à une exploitation intensive10. Sur le plan économique et social, les politiques de modernisation ambitionnent de mettre en œuvre des dispositifs de protection (organisation des marchés, assurances mutuelles contre les accidents, protection sociale), de favoriser le recours au crédit bancaire, et de mettre en place un appareil de vulgarisation du progrès technique plus efficace11. Ce dernier point fait l’objet d’intenses débats entre les différents promoteurs des politiques de modernisation, chacun essayant d’imposer sa propre conception de la vulgarisation la plus efficace. Les services agricoles du ministère de l’Agriculture sont chargés de cette question depuis le début du xxe siècle12. Mais ils sont en concurrence avec les initiatives développées par différentes organisations professionnelles agricoles, Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et chambres d’agriculture en tête13. Ces dernières font valoir la nécessité de rompre avec la pédagogie traditionnelle pour acter l’implication volontaire de la petite et moyenne paysannerie dans le processus de modernisation. Au cours des années 1950, la constitution de petits groupes d’agriculteurs, relativement autonomes et bien ancrés localement, offre une alternative aux interventions ponctuelles des ingénieurs des services agricoles, parfois encore surnommés les « professeurs d’agriculture ». Le fonctionnement par groupes permet de multiplier les comparaisons entre exploitations sur un même territoire et de générer une émulation collective conduisant à la généralisation des nouvelles méthodes de production. En opposant cette conception « ascendante » de la vulgarisation à l’ancienne conception « descendante », les responsables professionnels agricoles revendiquent le fait d’être les seuls en mesure d’assurer une adhésion réelle des agriculteurs au projet modernisateur14.

  • 15 Pierre Muller, « L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l (...)
  • 16 Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin éd., La construction du sens dans les politiques publiq (...)
  • 17 Bruno Jobert, Pierre Muller, L’État en action : politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF, (...)
  • 18 Philippe Warin, « Les politiques publiques, multiplicité d’arbitrages et construction de l’ordre s (...)
  • 19 Pierre Muller, « Les politiques publiques comme construction d’un rapport au monde », La construct (...)

7La rivalité entre « l’administration » et « la profession » pour le contrôle de l’appareil de vulgarisation agricole a fait l’objet d’une abondante littérature, mais le processus par lequel les ambitions politiques affichées par les promoteurs des politiques de modernisation se traduisent par des changements effectifs dans les exploitations est plus rarement étudié de front. À partir de l’observation de l’évolution des services agricoles départementaux depuis le début du xxe siècle, les travaux de Pierre Muller analysent les politiques de modernisation agricole après-guerre comme un « référentiel sectoriel » articulé à l’avènement d’un « référentiel global » modernisateur15, partagé par les élites politiques et économiques du Plan et de la Cinquième République dans la perspective de la reconstruction du pays16. Le passage du global au sectoriel est assuré par des « médiateurs », ici les cadres du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), la branche « jeunes » du syndicalisme dominant incarné par la FNSEA. Ces derniers traduisent les nouvelles exigences politiques de rationalisation et d’augmentation de la productivité conformément à leurs intérêts corporatifs17. Mais certains auteurs ont aussi souligné que cette approche « par le haut », centrée sur les élites, accordait une trop grande autonomie aux constructions idéologiques et laissait en suspens la compréhension de la mise en œuvre effective des politiques publiques18. Pierre Muller a lui-même qualifié d’« un peu mystérieux » le processus de médiation par lequel se constitue « un véritable continuum allant du conflit père/fils autour de l’achat du tracteur à la rencontre entre la direction du CNJA et les conseillers du Premier ministre »19.

  • 20 Michel Debatisse, La révolution silencieuse : le combat des paysans, Paris, Calmann-Lévy, 1964.
  • 21 Henri Mendras, La fin des paysans. Changement et innovations dans les sociétés rurales françaises, (...)
  • 22 Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1 (...)
  • 23 Pierre Coulomb, Henri Nallet, « Les organisations syndicales à l’épreuve de l’unité », L’univers p (...)

8Les organisations syndicales agricoles ont elles-mêmes participé à l’entretien de ce mystère en mettant en scène l’effort immense et sacrificiel accompli par les petits et moyens agriculteurs pour accéder à la modernité. Leur récit évoque des paysans déconsidérés mais courageux, qui ont su collectivement « prendre leur destin en main » afin de réaliser une « révolution silencieuse », lourde de conséquences sur le plan culturel et social, mais qui leur permet désormais de parler d’égal à égal avec l’ensemble des groupes sociaux20. Dans cette perspective, la « fin des paysans » leur apparaît comme un événement inéluctable, qu’il s’agit d’organiser plutôt que de subir, quitte à en accélérer l’avènement21. La « révolution silencieuse » des paysans serait alors un cas particulier de la « révolution invisible » de l’ensemble de la société française, qui a conduit à un accroissement sans précédent de la productivité du travail et à un bouleversement complet des modes de vie22. Ces constructions narratives oscillent entre la description des nécessités économiques auxquelles les acteurs ont été obligés de se confronter, et la mise en valeur des réalisations des pionniers qui ont su susciter un élan collectif dans leur sillage. Elles renforcent le mythe de « l’unité paysanne »23, et de là, l’emprise des organisations professionnelles dominantes, et de la FNSEA en particulier, sur l’ensemble du monde agricole. Là encore, le processus de mise en œuvre des politiques de modernisation est occulté par la description de l’adhésion spontanée des agriculteurs aux nouveaux impératifs de productivité.

  • 24 Archives de la chambre d’agriculture de l’Isère (ACA 38), Compte-rendu de la session ordinaire du (...)

9Ces récits occultent les moyens concrets par lesquels les agriculteurs ont été incités à s’engager dans la modernisation de leurs exploitations, alors même que cette question était au cœur des débats au moment de la Libération. En deçà de la diversité des formes de groupements techniques d’agriculteurs et des affrontements institutionnels, la grande innovation de l’après-guerre en matière de vulgarisation réside certainement dans la généralisation du recours à un nouveau type de personnel intermédiaire, entre les promoteurs du projet modernisateur et les agriculteurs. Cette idée est déjà évoquée en mai 1936 dans un rapport adressé par la chambre d’agriculture de l’Isère à l’Assemblée permanente des présidents de chambres d’agriculture (APPCA) : le rapporteur suggère la création d’un corps de « réviseurs » qui seraient chargés d’apporter une assistance technique et économique aux coopératives de production et de transformation24. Le débat qui suit anticipe sur les grandes interrogations de l’après-guerre puisque les responsables professionnels échangent sur les moyens de financer une telle mesure et sur les attributions de ces agents : doivent-ils se limiter à un rôle de contrôleurs financiers ou doivent-ils également être compétents sur le plan technique ? Si le président de la chambre d’agriculture demeure sceptique quant à la possibilité de disposer d’un réviseur « universel », d’autres membres de l’assemblée projettent de généraliser le recours à de tels intermédiaires au niveau local, dont l’approche serait à la fois technique, financière, et commerciale. Ce débat reste lettre morte, mais il suggère que la question du renouvellement des formes de conseil en agriculture est déjà émergente avant-guerre.

  • 25 Pierre Fromont, Cours de législation et économie rurale, Paris, Les Cours de droit, 1944, 40 pages
  • 26 Ibid., p. 22.

10Cette réflexion n’est pas cantonnée aux seules organisations professionnelles agricoles puisqu’on en retrouve également la trace dans un cours dispensé en 1943-1944 par Pierre Fromont, professeur à la faculté de droit de Paris25. Partant du fait que l’adaptation continuelle de la production aux « progrès scientifiques » et « aux nouvelles conditions économiques » est hors de portée de la grande majorité des agriculteurs français, et que le développement de l’enseignement agricole ne peut suffire à résoudre le problème, Fromont propose de « préparer les esprits des exploitants à accueillir volontiers les conseils qui leur sont donnés par un spécialiste, c’est-à-dire former leurs esprits à avoir confiance dans des conseillers, qui, eux, seront des ingénieurs agronomes, pourront se tenir minutieusement au courant de toutes les expériences et viendront leur donner continuellement les indications nécessaires pour s’adapter à une nouvelle situation ». Il s’agit « moins de communiquer au paysan des connaissances positives qui seront toujours dépassées par les événements, que de lui communiquer une certaine confiance dans la parole des conseillers agricoles »26. En quelques phrases, Fromont vient de poser ce qui devient la problématique centrale de la vulgarisation agricole après-guerre : comment établir une relation de confiance entre les agriculteurs et les conseillers, qui permette d’entraîner les premiers dans le mouvement de la modernisation ?

  • 27 Maria Fernanda Rollo, « Ambiciones frustradas : las vías de modernización y el programa de asisten (...)
  • 28 Hélène Brives, « La voie française : entre État et profession, l’institution du conseil agricole » (...)
  • 29 Jacques Galas, « Cinquante ans de statistiques agricoles », Courrier des statistiques, no 83‑84, d (...)

11Le détour par l’international joue un rôle important dans la structuration de cette réflexion, d’abord dans les échanges entre agronomes qui relaient les initiatives originales en matière de vulgarisation du progrès technique – l’organisation de l’agriculture danoise sert par exemple de modèle aux réflexions de Fromont –, ensuite dans le cadre des « missions de productivité », les voyages d’études financés et organisés par le plan Marshall. Les travaux d’historiens de différents pays européens ont mis en lumière l’importance de la référence au modèle américain dans le processus d’élaboration des politiques de modernisation agricole après-guerre. En Espagne et au Portugal, l’assistance américaine joue un rôle important non seulement dans la formation des ingénieurs et techniciens chargés de la vulgarisation agricole, mais aussi dans la structuration de services administratifs traitant cette question27. Par contraste, le cas français montre que le modèle américain est davantage mis à distance, utilisé par les différents participants aux missions de productivité (hauts fonctionnaires, agronomes et responsables d’organisations professionnelles agricoles) pour justifier leur propre conception de la mise en œuvre des politiques de vulgarisation. En dépit de leurs divergences, tous s’accordent sur les principes de fonctionnement à mettre en œuvre dans des dispositifs locaux : le travail en groupe, l’implication des responsables professionnels locaux, la généralisation des méthodes permettant l’intensification, et surtout, la présence permanente d’un conseiller sur le terrain, aux côtés des agriculteurs28. Ce dernier est chargé de suivre les réalisations des adhérents du groupe et d’encourager leurs initiatives. Il doit aussi faire respecter les programmes techniques définis par ses employeurs et contrôler l’usage des financements accordés. Surtout, il est chargé de la collecte des références techniques et économiques, autrement dit de rendre visibles les pratiques individuelles des agriculteurs qui échappent encore pour l’essentiel aux enregistrements de la statistique publique29. Cet agent est présenté comme le « pivot », la « cheville ouvrière », le « relais indispensable », du renouvellement de l’entreprise de vulgarisation.

Le métier de conseiller

  • 30 Jean Chombart de Lauwe, « La vulgarisation agricole dans les zones déprimées », Économie rurale, n(...)
  • 31 Jean-Pierre Darré, Liberté et efficacité des groupes de travail, Paris, Éditions ouvrières, 1978 ; (...)
  • 32 Patrick Pharo, Jean-Paul Schaff, Pierre Simula, Les agents de développement agricole, Paris, La Do (...)
  • 33 Bruno Lémery, Lectures sociologiques des activités de conseil en agriculture. Essai sur les proces (...)
  • 34 Hélène Brives, Mettre en technique : conseillers agricoles et pollution de l’eau en Bretagne, thès (...)
  • 35 Florence Hellec, « Des formes méconnues de conseil aux agriculteurs. L’exemple de l’inséminateur d (...)
  • 36 Pierre Labarthe, La privatisation du conseil agricole en question : évolutions institutionnelles e (...)
  • 37 Hélène Brives, « La voie française : entre État et profession, l’institution du conseil agricole » (...)

12Le conseil en agriculture a longtemps été appréhendé de manière fonctionnelle par les sociologues et les économistes qui se sont focalisés sur la diffusion des innovations, sans chercher à rendre compte de l’épaisseur sociale de la relation de conseil30. Mais à partir des années 1970, la remise en cause du monopole des organisations professionnelles dominantes sur la représentation politique du monde agricole et l’émergence d’une pluralité de modèles de développement amènent certains chercheurs à étudier plus particulièrement les conseillers, leur fonction politique, la nature de leurs rapports aux agriculteurs, la spécificité de leur travail par rapport aux autres formes d’encadrement des agriculteurs31. Différentes enquêtes s’engagent au début des années 1980 pour mieux cerner la population des agents de développement, vaste catégorie regroupant l’ensemble des personnels intervenant auprès des agriculteurs32. L’existence du groupe des conseillers agricoles reste en permanence problématique, puisqu’elle ne renvoie pas à une appartenance institutionnelle bien définie, ni à la seule possession d’un titre, mais bien au partage de pratiques, de valeurs et de normes. Les travaux postérieurs renoncent d’ailleurs à caractériser un groupe spécifique devant la diversification croissante des situations observées, et se focalisent plutôt sur la relation de conseil, dans la perspective de parvenir à un échange équilibré entre les savoirs pratiques des agriculteurs et les connaissances techniques apportées par les conseillers de toute sorte33. Plus récemment, les recherches se sont focalisées sur le renouvellement des formes de conseil, qu’il s’agisse de l’adaptation des chambres d’agriculture aux nouveaux enjeux environnementaux34, de la capacité de certains agents techniques à élargir leur domaine de compétence35, ou de la montée en puissance des opérateurs privés dans ce secteur d’activité36. Mais peu de travaux prennent le temps d’une mise en perspective historique, ce qui ne permet pas de rendre compte de la spécificité de la séquence de l’après-guerre37.

  • 38 Odile Join-Lambert, Le receveur des Postes, entre l’État et l’usager (1944-1973), Paris, Belin, 20 (...)

13Pour analyser l’émergence et le devenir du groupe professionnel des conseillers agricoles, et le rôle clé qu’ils vont occuper dans la mise en œuvre des politiques de modernisation, nous proposons de croiser deux types de questionnements. D’une part, le recours à ce nouveau type d’intermédiaires incarné par les conseillers indique un profond renouvellement des modes d’action publique dans cette période d’après-guerre. D’autre part, on peut se demander dans quelles dynamiques professionnelles et organisationnelles s’inscrit l’émergence de ce nouveau métier. L’étude entend donc croiser les approches des travaux de la sociologie de l’action publique et de la sociologie des professions, sans renoncer à travailler en historien. L’ouvrage s’inscrit ici dans la perspective sociohistorique ouverte par des travaux portant sur des professions aussi différentes que le receveur des postes ou le publicitaire, qui permet de dessiner la trajectoire d’un groupe professionnel spécifique jouant un rôle clé dans la transformation d’un secteur entier de la société38.

  • 39 Andrew Abbott, The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, The U (...)
  • 40 Jacques Rémy, « La crise de professionnalisation en agriculture : les enjeux de la lutte pour le c (...)

14La constitution du métier de conseiller dans les années 1950 ne peut être comprise que relativement aux dynamiques des segments professionnels concurrents39. Elle est profondément liée au travail effectué par les organisations professionnelles agricoles pour se positionner comme des acteurs incontournables dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de modernisation. Le métier de conseiller se définit par opposition aux autres professionnels de la vulgarisation du progrès technique : d’un côté les enseignants et ingénieurs qui représentent l’administration, de l’autre les techniciens et démonstrateurs affiliés aux grandes industries. Le conseiller doit défendre les intérêts des agriculteurs avant de répondre aux directives de l’État ou aux injonctions commerciales. Cette éthique de service public professionnel est néanmoins sélective : il s’agit de favoriser l’émergence d’une petite et moyenne paysannerie « en voie de modernisation », qui refuse l’état de paysan et aspire au titre d’agriculteur40. Le conseiller se distingue par son adhésion profonde à un projet de modernisation qui implique simultanément un accroissement de la productivité du travail, donc une forme de sélection économique des exploitants, et un mouvement de promotion sociale des exploitations familiales. L’étude permet de mieux comprendre comment les politiques de modernisation agricole contribuent à faire (puis à défaire) le groupe professionnel des conseillers agricoles, et réciproquement, comment ce même groupe influe directement sur la conduite de la modernisation de l’agriculture française après-guerre.

  • 41 Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Minuit, 1982 ; Simona Cerutti, (...)
  • 42 Pierre Coulomb, Henri Nallet, Le syndicalisme agricole et la création du paysan modèle, Paris, COR (...)
  • 43 Pierre Coulomb, « Présentation. L’exploitation familiale en question ? », Les paradoxes de l’agric (...)
  • 44 Bernard Bruneteau, Les paysans dans l’État : le gaullisme et le syndicalisme agricole sous la VR (...)
  • 45 Jacques Rémy, « “Le développement” : instrument de la formation d’un groupe social », Éducation pe (...)

15La définition de l’identité du groupe professionnel des conseillers, et de son périmètre, n’est donc pas seulement un enjeu interne au groupe41. L’émergence des conseillers agricoles va de pair avec la formation du groupe professionnel des petits et moyens exploitants en voie de modernisation. Majoritairement issus des régions de petites exploitations laitières, souvent formés au sein de la Jeunesse agricole catholique (JAC), investissant en particulier la branche « jeune » du syndicalisme agricole après la Libération, ils font de la promotion sociale du monde agricole un objectif central de la modernisation42. Ils défendent un nouveau modèle d’exploitation familiale en rejetant dos à dos le collectivisme et le capitalisme débridé. De leur point de vue, l’exploitation familiale n’est pas seulement une structure économique mais aussi un idéal politique justifiant une transformation profonde des rapports familiaux43. L’adoption de nouvelles méthodes plus productives et l’accroissement de l’investissement dans le capital productif vont de pair avec l’incitation à la décohabitation entre générations et la distinction de plus en plus nette entre exploitants et salariés agricoles. De nombreuses études ont souligné le rôle clé joué par cette nouvelle génération d’agriculteurs, en analysant l’action du CNJA, qui acquiert une relative autonomie par rapport à la FNSEA et se pose au début des années 1960 en interlocuteur du Premier ministre Robert Debré et des ministres de l’Agriculture successifs44. Les multiples dispositifs de vulgarisation ont en effet joué un rôle structurant pour faire émerger un groupe social relativement homogène – les agriculteurs en voie de modernisation – qui devient partie prenante de l’action publique45. Animateurs de ces dispositifs, les conseillers agricoles ont donc partie liée avec cette fraction émergente de la paysannerie française en déclin.

  • 46 Christophe Bonneuil, Gilles Denis, Jean-Luc Mayaud éd., « Pour une histoire des acteurs et des ins (...)
  • 47 Armand Hatchuel, « Les marchés à prescripteurs. Crises de l’échange et genèse sociale », L’inscrip (...)
  • 48 Ibid., p. 206.
  • 49 Sylvain Brunier, « Le travail des conseillers agricoles entre prescription technique et mobilisati (...)

16Les conseillers agricoles interagissent et sont en concurrence avec une foule d’autres agents qui participent au travail de prescription du changement : enseignants, agents des coopératives, du Crédit agricole ou des mutuelles, représentants de commerce, ingénieurs de l’administration, techniciens des organismes de contrôle, animateurs et militants syndicaux46. Mais ils se distinguent par la relation qu’ils entretiennent avec les responsables de la politique de modernisation d’un côté, et les agriculteurs de l’autre. Toute la difficulté de la tâche du conseiller consiste à construire une relation de confiance avec les agriculteurs en faisant valoir l’indépendance de son regard et sa connaissance pratique des problèmes qu’ils rencontrent, sans pour autant se soustraire au contrôle de ses employeurs qui entendent faire respecter les cadres techniques et financiers du projet modernisateur, et renforcer leur emprise sur le monde agricole grâce à une connaissance plus fine des pratiques au sein de chaque exploitation. Je propose de définir donc les conseillers comme des prescripteurs de modernisation47. Ils contribuent à « créer ou déformer l’espace de la prise de décision »48 qui doit conduire l’agriculteur à s’engager dans un cycle d’investissements sans précédent. Mais ils ne se contentent pas de faire valoir leur expertise technique, puisqu’ils mobilisent également des ressources incorporées qui leur permettent de gagner la confiance de leurs interlocuteurs. Les conseillers coproduisent des nouvelles normes qui participent à la délimitation d’un monde ancien et d’un monde moderne tout en se tenant à la frontière des deux. Nous montrerons que c’est de la tension entre les différents cadrages imposés par les politiques publiques et les attentes des agriculteurs que naît cette résolution singulière des conseillers agricoles à effectuer un travail de prescription technique qui soit aussi un travail de mobilisation politique49.

17Nous analyserons dans ce livre comment un groupe professionnel des conseillers agricoles émerge au cours des années 1950-1960, cherche à se stabiliser, puis s’efface progressivement devant la fragmentation croissante de l’offre de conseil à partir du milieu des années 1970. Sélectionnés par les responsables professionnels agricoles parmi un ensemble de techniciens pour leurs capacités d’adaptation, leur connaissance pratique du monde agricole, et leur esprit d’initiative, les conseillers agricoles s’investissent professionnellement et personnellement dans la mise en œuvre du projet modernisateur, tout en essayant de conquérir une autonomie collective. Il ne s’agit pas seulement d’enseigner de nouvelles méthodes productives, mais d’incarner un projet de transformation politique et sociale du monde agricole dans son ensemble. Le fait de privilégier le recrutement de candidats d’origine agricole ou rurale, ayant une connaissance pratique du fonctionnement des exploitations agricoles modestes, permet de faciliter la prise de contact entre le conseiller et les agriculteurs, et la construction d’un rapport de confiance. Le conseiller ne doit pas se faire agriculteur pour autant, mais plutôt faire preuve de sa capacité à jouer avec les codes culturels de ses interlocuteurs, pour introduire de nouvelles références dans leur univers. La présence permanente des conseillers sur le terrain a également un effet induit : ils incarnent un avenir pour les enfants d’agriculteurs. Les métiers du secteur para-agricole en pleine croissance constituent à partir des années 1960 un débouché professionnel non négligeable pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent reprendre la suite de leurs parents.

  • 50 Luc Boltanski, Les cadres, ouvr. cité. Certains conseillers, en particulier ceux qui sont les mieu (...)
  • 51 Didier Demazière, Charles Gadéa, Sociologie des groupes professionnels, acquis récents et nouveaux (...)

18Les conseillers se rapprochent de la catégorie des cadres par certains côtés – le principal syndicat de conseillers agricoles est par exemple affilié à la Confédération générale des cadres (CGC) – mais ils s’en éloignent si on considère que les cadres se distinguent par leurs fonctions de commandement à l’intérieur des entreprises, alors que les conseillers se définissent plutôt par leur fonctionnement relativement autonome50. Si les conseillers encadrent les agriculteurs, ces derniers ne sont jamais considérés pour autant comme leurs subordonnés. Les conseillers restent des salariés aux revenus modestes pour la plupart d’entre eux, résidant dans des zones rurales ou résidentielles éloignées des centres-villes, et partageant des références culturelles communes avec les agriculteurs qu’ils conseillent, au moins jusque dans les années 1970, avant que le recrutement ne se diversifie. La notion de groupe professionnel se différencie de celle de profession dans le sens où elle est plus large, insistant sur le processus de constitution du groupe, et évite la confusion avec l’usage américain du mot profession réservé pour qualifier les « professions établies » (médecins, avocats, etc.)51. Au-delà de cette dénomination large, le groupe professionnel des conseillers agricoles est difficile à qualifier. Ils sont pour la plupart salariés des organisations professionnelles agricoles, techniciens dans le secteur para-agricole, avec des niveaux de formation divers puisque des ingénieurs côtoient ceux qui sont issus des filières de « promotion sociale », permettant d’accéder à la formation de conseiller sans être titulaire d’un brevet de technicien agricole (BTA).

  • 52 Marie Cartier, Yasmine Siblot, Jean-Noël Retière éd., Le salariat à statut : genèses et cultures, (...)
  • 53 Les professions à pratique prudentielle (comme les architectes ou les médecins) sont celles qui so (...)

19Mais cette catégorisation laisse échapper ce qui fait la richesse et la spécificité même de leur métier : la relation de confiance avec les agriculteurs, l’esprit d’initiative, l’engagement en faveur de la promotion sociale du monde agricole. Bien qu’ils s’en rapprochent, les conseillers ne sont pas véritablement des « salariés à statut », la reconnaissance de leur statut restant un sujet éminemment conflictuel avec leurs employeurs jusque dans les années 197052. De par leurs manières de faire, les conseillers apparaissent comme des travailleurs relativement autonomes, confrontés à des situations mouvantes dans lesquelles ils doivent faire preuve de clairvoyance afin de donner le conseil adéquat, ce qui pourrait faire tendre leurs pratiques vers la définition de la « profession à pratique prudentielle », mais ils ne sont pas suffisamment protégés pour entrer véritablement dans cette catégorie53. Leur rapport au métier s’inscrit dans des manières de faire, des tours de main qui priment sur les connaissances techniques. La cohésion du groupe repose davantage sur le partage de conditions de travail similaires plutôt que sur le fait d’être régis par les mêmes statuts.

L’enquête

20L’histoire du groupe professionnel des conseillers n’est pas réductible à la description de leurs parcours individuels. Comme le souligne avec force Jean-Claude Passeron :

  • 54 Jean-Claude Passeron, « Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », Revue française de sociolo (...)

L’étude de la mobilité sociale, intra- et inter-générationnelle, constitue certes un champ de recherche, mais elle laisse ouvert le champ d’une autre description historique qui reste en principe irréductible à la première, celle du devenir des classes sociales dont la biographie collective ne se déduit pas des biographies individuelles.54

21Il s’agit alors moins d’intégrer les multiples points de vue sur le métier de conseiller que de travailler sur les écarts entre les différentes sources afin de mettre en lumière les conflits, les démarcations, les réappropriations, qui fondent à la fois la diversité des pratiques des conseillers et l’unité de leur style. En parallèle, il est nécessaire de prendre en compte les moyens par lesquels le groupe des conseillers se donne à voir, et est donné à voir, c’est-à-dire de mettre en relation les différentes prises de position publiques qui reconnaissent l’existence de ce groupe, ou au contraire font silence sur son travail. Saisir la logique pratique de l’action des conseillers impose donc de confronter les descriptions normatives de leur action, celles-ci constituant autant de points de repère qui permettent de structurer une identité collective, avec les comptes-rendus d’activité internes à l’appareil de vulgarisation, et les témoignages des acteurs (conseillers et conseillères, responsables professionnels agricoles et agriculteurs).

  • 55 Dans sa thèse soutenue en 1991, Lémery notait : « Le métier de conseiller est apparu au fil des en (...)
  • 56 Jacques Revel éd., Jeux d’échelles : la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Seuil, 1996

22L’enquête s’est confrontée à la nécessité de reconstituer le fonctionnement de l’appareil de développement agricole sans se fier aux seuls organigrammes, à la dispersion des fonds, à l’absence de politique de conservation rigoureuse des archives des organisations professionnelles agricoles, et à l’effacement de la mémoire collective des conseillers55. Il fallait être particulièrement attentif aux jeux d’échelle en opérant des allers et retours entre les différents niveaux : le détour par l’international peut servir à appuyer une prise de position nationale, la valorisation des initiatives locales peut être instrumentalisée par l’échelon départemental contre l’autorité nationale, la participation à des débats internationaux peut venir renforcer le prestige d’un responsable départemental. Il s’agit donc moins d’opposer un niveau à un autre que de comprendre en quoi l’émergence du métier de conseiller est le produit de ces logiques enchevêtrées56. Il est particulièrement éclairant de suivre comment les organisations départementales s’approprient les instructions nationales, afin de préserver leur autonomie et la cohérence de leur propre politique. Les cadres de ces organisations, notamment les directeurs de chambres d’agriculture et directeurs de services techniques, jouent un rôle prépondérant dans ce travail, en alimentant les débats des responsables professionnels par des notes de synthèse, des programmes, des rapports d’études et des bilans, quand ils ne négocient pas directement eux-mêmes la mise en œuvre des opérations de vulgarisation.

  • 57 Pierre Barral, Le département de l’Isère sous la Troisième République : histoire sociale et politi (...)
  • 58 Pour une histoire indigène, voir Jean de Livonnière, Une doctrine, une action, une étape : histoir (...)
  • 59 Danièle Barrès et al., La JAC et la modernisation de l’agriculture, ouvr. cité.

23Resserrer ponctuellement la focale du récit sur deux départements contrastés, l’Isère et la Savoie, permet d’être attentif aux variations des contextes locaux. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les agriculteurs de ces deux départements sont très largement catholiques, plutôt conservateurs sur le plan politique. Les modes de faire-valoir peuvent varier, mais globalement, la petite propriété domine. La principale césure à l’intérieur des deux départements oppose les exploitations de plaine et de montagne : les premières sont plus vastes, plus spécialisées (arboriculture, céréaliculture, maraîchage), quand les secondes sont davantage tournées vers des systèmes de polyculture-élevage57. L’Union des organisations agricoles du Sud-Est, catholique et conservatrice, est active dans les deux départements à travers ses mutuelles, ses organismes de crédit, ses syndicats locaux, et ses cours par correspondance58. Mais elle perd progressivement de son influence face aux Fédérations départementales des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA). La JAC, très dynamique, forme une nouvelle génération de responsables agricoles sur laquelle s’appuient certains responsables plus anciens, qui affichent leur volonté de rompre avec le conservatisme de leurs prédécesseurs59. Les chambres d’agriculture, qui se restructurent à partir de la fin des années 1940, ont des ressources financières inégales et élaborent des stratégies de développement différentes, l’Isère encourageant la formation des grandes coopératives quand la Savoie mise davantage sur les collectivités territoriales. Ces différents éléments de contexte permettent de montrer comment les évolutions observées au niveau national s’inscrivent dans des configurations organisationnelles locales. En retour, ces analyses nourrissent notre compréhension du processus de constitution du groupe professionnel des conseillers agricoles à l’échelle nationale.

  • 60 Didier Demazière, « L’entretien biographique comme interaction : négociations, contre-interprétati (...)
  • 61 Sylvain Brunier, Chloé Pons, Le nom des fleurs, film documentaire, Grenoble-Paris-Angoulême, SHI P (...)

24Différents fonds d’archives ont été mobilisés, dont certains constitués ou triés pour les besoins de cette recherche. Les archives des chambres d’agriculture, principal employeur des conseillers durant la période étudiée, donnent à lire l’évolution des méthodes employées par les conseillers en même temps que leur relation aux adhérents se transforme : formulaires d’enquêtes, tableaux récapitulatifs, graphiques sont les supports matériels qui alimentent les comparaisons entre agriculteurs et les discussions avec le conseiller. Elles peuvent être complétées par la consultation des versements réalisés par les services agricoles aux Archives départementales. L’enquête s’appuie également sur les nombreux bulletins édités aux différents échelons des organisations professionnelles agricoles, ce qui laisse entrevoir la manière dont les informations sont diffusées, et de là, comment les normes et les valeurs sont produites et mises en circulation. Les syndicats de conseillers agricoles ont également édité des bulletins. Leurs archives sont parfois conservées par les grandes centrales syndicales (CFDT et CGC). D’une manière plus générale, les archives privées des conseillers ont constitué une source non négligeable d’informations : documents de travail, photographies, revues techniques. Les archives de l’Association de formation et de perfectionnement agricoles (AFPA) qui gérait le centre de Trie-Château, principal établissement de formation des conseillers et conseillères éclairent tout un pan de l’histoire de la formation du groupe professionnel. En outre, quarante entretiens individuels, conduits de manière semi-directive, ont permis de recueillir des récits de carrières de conseillers et de conseillères agricoles, ainsi que de responsables d’organisations professionnelles60. Par ailleurs, certains films conservés par la cinémathèque du ministère de l’Agriculture se sont révélés des documents précieux, mettant en scène la vulgarisation et donnant un aperçu de l’évolution des questionnements et des représentations. Enfin, une enquête filmée auprès d’une conseillère agricole et d’anciennes adhérentes des groupements de vulgarisation féminine a permis de réaliser un travail ethnographique sur les liens tissés dans le cadre de ces groupes61.

Périodisation

25Au carrefour de l’histoire rurale, de la sociologie de l’action publique et de la sociologie des professions, cette recherche a pour ambition de mettre en lumière le devenir d’un nouveau groupe professionnel en France, les conseillers et conseillères agricoles, depuis sa formation à la Libération jusqu’à sa décomposition/recomposition au début des années 1980. L’étude permet de lire différemment la chronologie des politiques de modernisation agricole, classiquement articulée autour des lois d’orientation de 1960 et 1962, qui incitent les plus âgés à cesser leur activité, encadrent la recomposition foncière des exploitations, et encouragent l’investissement des jeunes. Elle permet aussi de mettre en lumière la spécificité du métier de conseiller par rapport à l’ensemble des agents techniques et économiques qui interviennent auprès des agriculteurs, en montrant qu’il constitue une institution en soi, à laquelle se réfère l’ensemble des acteurs des politiques de modernisation.

26Le premier chapitre est consacré à l’analyse du processus par lequel les différents promoteurs des politiques de modernisation agricole s’entendent sur la nécessité de disposer d’un nouveau type d’intermédiaire pour assurer la mise en œuvre de ces politiques dans l’immédiat après-guerre. Ce dernier devra être capable d’inciter les petits et moyens agriculteurs à investir et à s’investir dans la modernisation de leurs exploitations. Le projet modernisateur prend véritablement corps avec la création de dispositifs territorialisés qui articulent l’intervention d’un agent technique ou d’un ingénieur et la constitution d’un groupe local d’agriculteurs. Ces dispositifs permettent aux conseillers agricoles de se forger un premier répertoire d’actions : réunion, visite individuelle, financement conditionnel, étude comparative.

27Le deuxième chapitre revient sur l’invention du métier de conseiller en tant que tel. De nombreux débats théoriques et politiques sur la définition du rôle et du profil du conseiller idéal émaillent les années 1950. Les conseillers tentent de se démarquer des autres agents de vulgarisation en travaillant sur la nature de la relation qu’ils entretiennent avec les agriculteurs. Au-delà de leurs connaissances techniques, ils doivent sans cesse renouveler les preuves de leur engagement en faveur de la promotion des exploitations familiales, et de leur ingéniosité pour s’adapter aux contraintes du travail agricole. Le décret du 23 octobre 1959 apparaît comme la première reconnaissance officielle du métier de conseiller.

28Le troisième chapitre analyse la dynamique de professionnalisation des conseillers. À partir du début des années 1960, les groupements techniques se multiplient. L’essor du conseil de gestion et de la vulgarisation agricole féminine participe à la diversification de l’offre de conseil. La structuration des services techniques des chambres d’agriculture offre un premier cadre institutionnel au groupe professionnel des conseillers. Ces derniers se dotent de leurs propres syndicats. Cependant, la professionnalisation des conseillers apparaît comme un processus inachevé, la spécialisation des tâches et des compétences fragilisant l’unité du groupe. Surtout, les conseillers restent sous la tutelle de leurs employeurs et subissent de ce fait de plein fouet la crise institutionnelle de l’appareil de développement agricole au début des années 1970.

29Le quatrième chapitre revient sur cette rupture du consensus entre les différents promoteurs de la modernisation agricole. Le ministère de l’Agriculture impose l’usage de nouveaux instruments de gestion pour contrôler à la fois l’organisation du travail des conseillers et les investissements financiers des agriculteurs. En dissolvant l’identité professionnelle des conseillers dans la catégorie administrative des agents de développement, ces réformes entraînent une bureaucratisation du travail des conseillers. Leur groupe professionnel s’en trouve fragilisé, d’autant que les coopératives et une partie de la FNSEA remettent en question la prééminence des chambres d’agriculture dans la conduite des actions de développement agricole.

30Le cinquième chapitre, enfin, se focalise sur les formes de recompositions du travail de conseil au début des années 1980. Les marges de l’agriculture apparaissent alors comme des espaces propices pour mener de nouvelles expérimentations. La montagne est un terrain privilégié pour certains conseillers agricoles qui entreprennent des initiatives novatrices en matière d’aménagement rural et de valorisation des produits de qualité. Impulsée par la gauche, l’organisation des États généraux du développement agricole en 1982-1983 est une tentative pour redonner une cohérence à des politiques de plus en plus différenciées. Mais cette large consultation ne se traduit pas par une réorientation profonde de la politique agricole. Le groupe professionnel des conseillers s’efface progressivement, bien que l’imaginaire associé au métier persiste.

Notes

1 Georges Perec, « Le bonheur dans la modernité », propos recueillis par Jean Duvignaud, Le Nouvel Observateur, no 57, 15-21 décembre 1965. Repris dans Dominique Bertelli, Mireille Ribière, Georges Perec. En dialogue avec l’époque et autres entretiens, Paris, Joseph K, 2011, p. 29.

2 Paul Veyne, L’inventaire des différences : leçon inaugurale au Collège de France, Paris, Seuil, 1976.

3 Michel Serres, Temps des crises, Paris, Le Pommier, 2012.

4 Fernand Braudel, L’identité de la France, t. 3 : Les choses et les hommes II, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986.

5 Entretien réalisé par l’auteur en mai 2011 avec un des premiers conseillers agricoles embauchés par la chambre d’agriculture de l’Isère à la fin des années 1950.

6 Dominique Veillon, Vivre et survivre en France, 1939-1947, Paris, Payot & Rivages, 1995.

7 Philippe Mioche, Le plan Monnet. Genèse et élaboration 1941-1947, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987 ; Gérard Bossuat, « Le plan Marshall dans la modernisation de la France », L’année 1947, Serge Berstein, Pierre Milza éd., Paris, Presses de la FNSP, 2000, p. 45-73. Pour une mise en perspective européenne, voir René Girault, Maurice Lévy-Leboyer éd., Le plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe : colloque tenu à Bercy les 21, 22, 23 mars 1991, Paris, CHEFF - Imprimerie nationale, 1993.

8 Pierre Cornu, Jean-Luc Mayaud éd., Au nom de la terre : agrarisme et agrariens, en France et en Europe, du xixe siècle à nos jours, Paris, La Boutique de l’histoire, 2007.

9 Claude Servolin, L’agriculture moderne, Paris, Seuil, 1989.

10 Christophe Bonneuil, François Hochereau, « Gouverner le “progrès génétique” », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 63, no 6, 2008, p. 1305-1340. La « maîtrise de la génération animale » est également un enjeu central de la modernisation de l’agriculture française après-guerre, qui sous-tend notamment la loi sur l’élevage du 28 décembre 1966. Voir Bertrand Vissac, Les vaches de la République : saisons et raisons d’un chercheur citoyen, Paris, INRA, 2002.

11 Claude Servolin, L’agriculture moderne, ouvr. cité.

12 Pierre Muller, Le technocrate et le paysan : essai sur la politique française de modernisation de l’agriculture, de 1945 à nos jours, Paris, Les Éditions ouvrières, 1984.

13 Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire : l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (1924-1974), thèse d’histoire, Université Lyon 2, 2010.

14 Paul Houée, Les étapes du développement rural, t. 2 : La révolution contemporaine, Paris, Économie et humanisme - Les Éditions ouvrières, 1972.

15 Pierre Muller, « L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique », Revue française de science politique, vol. 50, no 2, 2000, p. 189-208 ; Pierre Muller, « Peut-on (encore) penser le global à partir du rural ? Réflexions d’un politiste », Économie rurale, no 300, 2007, p. 105-109.

16 Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin éd., La construction du sens dans les politiques publiques : débats autour de la notion de référentiel, Paris, L’Harmattan, 1995.

17 Bruno Jobert, Pierre Muller, L’État en action : politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF, 1987.

18 Philippe Warin, « Les politiques publiques, multiplicité d’arbitrages et construction de l’ordre social », La construction du sens dans les politiques publiques, ouvr. cité, p. 85-101 ; Iannis Papadopoulos, « Référentiel, médiateurs et démocratie », Une « French touch » dans l’analyse des politiques publiques ? Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet éd., Paris, Presses de la FNSP, 2015, chap. 4, p. 103-124.

19 Pierre Muller, « Les politiques publiques comme construction d’un rapport au monde », La construction du sens dans les politiques publiques, ouvr. cité, p. 153‑179.

20 Michel Debatisse, La révolution silencieuse : le combat des paysans, Paris, Calmann-Lévy, 1964.

21 Henri Mendras, La fin des paysans. Changement et innovations dans les sociétés rurales françaises, Paris, Armand Colin, 1967.

22 Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979.

23 Pierre Coulomb, Henri Nallet, « Les organisations syndicales à l’épreuve de l’unité », L’univers politique des paysans dans la France contemporaine, Yves Tavernier, Michel Gervais, Claude Servolin éd., Paris, Armand Colin, 1972, p. 379-413.

24 Archives de la chambre d’agriculture de l’Isère (ACA 38), Compte-rendu de la session ordinaire du 19 mai 1936.

25 Pierre Fromont, Cours de législation et économie rurale, Paris, Les Cours de droit, 1944, 40 pages.

26 Ibid., p. 22.

27 Maria Fernanda Rollo, « Ambiciones frustradas : las vías de modernización y el programa de asistencia técnica americana a la agricultura portuguesa en la posguerra (1948 -1956) », Agriculturas e innovación tecnológica en la península ibérica (1946-1975), Daniel Lanero Taboas, Dulce Freire éd., Madrid, Ministerio de Medio Ambiente, 2011 p. 107-133 ; Alba Diaz-Geada, Mudar en común. Cambios económicos, sociais e culturais no rural galego do franquismo e da transición (1959-1982), thèse d’histoire, Université Saint-Jacques de Compostelle, 2013.

28 Hélène Brives, « La voie française : entre État et profession, l’institution du conseil agricole », Conseiller en agriculture, Jacques Rémy, Hélène Brives, Bruno Lémery éd., Dijon, Éducagri, 2006, chap. 1, p. 15-36 ; Jean-François de Caffarelli, Le conseil agricole et la modernisation de l’agriculture française, supplément à la revue Chambres d’agriculture, no 637-638, 1978.

29 Jacques Galas, « Cinquante ans de statistiques agricoles », Courrier des statistiques, no 83‑84, décembre 1997. En ligne : [https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/14351/1/cs83-84.pdf] (consulté le 7 juin 2017).

30 Jean Chombart de Lauwe, « La vulgarisation agricole dans les zones déprimées », Économie rurale, no 29, 1956, p. 23-29 ; Pierre Boisseau, « Sociologie de la tache d’huile : innovations et rapports sociaux dans le processus de modernisation de l’agriculture française », Économie rurale, no 103, 1974, p. 34-37 ; Maryvonne Bodiguel, Les paysans face au progrès, Paris, Presses de la FNSP, 1975.

31 Jean-Pierre Darré, Liberté et efficacité des groupes de travail, Paris, Éditions ouvrières, 1978 ; Michèle Salmona, Souffrances et résistances des paysans français, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Jacques Rémy, « Le “malaise des conseillers” ou l’histoire d’une institution pédagogique », Éducation permanente, no 37, janvier-février 1977, p. 63-84.

32 Patrick Pharo, Jean-Paul Schaff, Pierre Simula, Les agents de développement agricole, Paris, La Documentation française, 1980 ; Jacques Rémy, « Portrait social des conseillers : retour sur image », Conseiller en agriculture, ouvr. cité, p. 83-99.

33 Bruno Lémery, Lectures sociologiques des activités de conseil en agriculture. Essai sur les processus de rationalisation, thèse de sociologie, Université Lyon 2, janvier 1991. Cette approche a été prolongée par les travaux du Laboratoire de recherche sur les innovations socio-techniques et organisationnelles en agriculture de Dijon (LISTO-D, aujourd’hui fusionné avec le laboratoire CESAER). Voir notamment Claude Compagnone, Caroline Auricoste, Bruno Lémery éd., Conseil et développement en agriculture : quelles nouvelles pratiques ? Versailles-Dijon, Quæ-Éducagri, 2009.

34 Hélène Brives, Mettre en technique : conseillers agricoles et pollution de l’eau en Bretagne, thèse de sociologie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2001.

35 Florence Hellec, « Des formes méconnues de conseil aux agriculteurs. L’exemple de l’inséminateur de bovins », Conseil et développement en agriculture, ouvr. cité, p. 201-218.

36 Pierre Labarthe, La privatisation du conseil agricole en question : évolutions institutionnelles et performances des services de conseil dans trois pays européens (Allemagne, France, Pays-Bas), thèse d’économie, Université de Marne-la-Vallée, 2006 ; Claude Compagnone, Frédéric Goulet, Pierre Labarthe, Conseil privé en agriculture. Acteurs, pratiques et marché, Versailles-Dijon, Quæ-Éducagri, 2015.

37 Hélène Brives, « La voie française : entre État et profession, l’institution du conseil agricole », Conseiller en agriculture, ouvr. cité, p. 15-36.

38 Odile Join-Lambert, Le receveur des Postes, entre l’État et l’usager (1944-1973), Paris, Belin, 2001 ; Marie-Emmanuelle Chessel, La publicité. Naissance d’une profession (1900-1940), Paris, CNRS Éditions, 1998.

39 Andrew Abbott, The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, The University of Chicago Press, 1988 ; Rue Bucher, Anselm Strauss, « Professions in process », American Journal of Sociology, vol. 66, no 4, 1961, p. 352-334.

40 Jacques Rémy, « La crise de professionnalisation en agriculture : les enjeux de la lutte pour le contrôle du titre d’agriculteur », Sociologie du travail, no 4, 1987, p. 415-441.

41 Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Minuit, 1982 ; Simona Cerutti, « La construction des catégories sociales », Passés recomposés. Champs et chantiers de l’Histoire, Jean Boutier, Dominique Julia éd., Paris, Autrement, 1995, p. 224-234 ; Alain Desrosières, Laurent Thévenot, Les catégories socioprofessionnelles, Paris, La Découverte, 1988.

42 Pierre Coulomb, Henri Nallet, Le syndicalisme agricole et la création du paysan modèle, Paris, CORDES-INRA, 1980 ; Yves Lambert, « Développement agricole et action catholique », Sociologia ruralis, vol. 18, no 4, 1978, p. 245-254 ; Danièle Barrès, Françoise Bourquelot, François Colson, Henri Nallet, La JAC et la modernisation de l’agriculture, Paris, INJRA-EHESS, 1980.

43 Pierre Coulomb, « Présentation. L’exploitation familiale en question ? », Les paradoxes de l’agriculture française : essai d’analyse à partir des États généraux du développement agricole, Nicole Eizner, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 5-49 ; Jacques Rémy, « L’exploitation agricole : une institution en mouvement », Déméter, no 19, 2013, p. 357-384.

44 Bernard Bruneteau, Les paysans dans l’État : le gaullisme et le syndicalisme agricole sous la VRépublique, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Édouard Lynch, « Le “moment Debré” et la genèse d’une nouvelle politique agricole », Michel Debré Premier ministre, 1959-1962, Serge Berstein, Pierre Milza, Jean-François Sirinelli éd., Paris, PUF, 2005, p. 335-363.

45 Jacques Rémy, « “Le développement” : instrument de la formation d’un groupe social », Éducation permanente, no 77, p. 107-116.

46 Christophe Bonneuil, Gilles Denis, Jean-Luc Mayaud éd., « Pour une histoire des acteurs et des institutions des sciences et techniques de l’agriculture et de l’alimentation », Sciences, chercheurs et agriculture : pour une histoire de la recherche agronomique, Paris-Versailles, L’Harmattan-Quæ, 2008, p. 5-44.

47 Armand Hatchuel, « Les marchés à prescripteurs. Crises de l’échange et genèse sociale », L’inscription sociale du marché, Annie Jacob, Hélène Vérin éd., Paris, L’Harmattan, 1994.

48 Ibid., p. 206.

49 Sylvain Brunier, « Le travail des conseillers agricoles entre prescription technique et mobilisation politique (1950-1990) », Sociologie du travail, vol. 57, no 1, janvier-mars 2015, p. 104-125.

50 Luc Boltanski, Les cadres, ouvr. cité. Certains conseillers, en particulier ceux qui sont les mieux dotés en capital scolaire, aspirent à devenir des cadres des organisations professionnelles agricoles, après avoir fait leurs preuves sur le terrain comme conseillers de secteur. Mais les places sont rares, ce qui limite les possibilités d’ascension professionnelle. Cette question de l’évolution de carrière est une préoccupation constante des syndicats de conseillers tout au long de la période étudiée. Elle est partiellement résolue à partir de la fin des années 1960 lorsqu’il est proposé aux conseillers de se spécialiser dans leur domaine de prédilection (bâtiment, machinisme, machines à traire, etc.) afin de pouvoir intervenir dans l’ensemble du département, et plus seulement auprès des groupements qu’ils suivent.

51 Didier Demazière, Charles Gadéa, Sociologie des groupes professionnels, acquis récents et nouveaux défis, Paris, La Découverte, 2009. Sur la notion de « professions établies », voir Jean-Michel Chapoulie, « Sur l’analyse sociologique des groupes professionnels », Revue française de sociologie, vol. 14, no 1, 1973, p. 86-114.

52 Marie Cartier, Yasmine Siblot, Jean-Noël Retière éd., Le salariat à statut : genèses et cultures, Rennes, PUR, 2010.

53 Les professions à pratique prudentielle (comme les architectes ou les médecins) sont celles qui sont parvenues à convaincre que des protections étaient nécessaires pour qu’elles apportent des solutions pertinentes aux cas auxquels elles sont confrontées. Voir Florent Champy, Nouvelle théorie sociologique des professions, Paris, PUF, 2011.

54 Jean-Claude Passeron, « Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », Revue française de sociologie, vol. 31, no 1, 1990, p. 8.

55 Dans sa thèse soutenue en 1991, Lémery notait : « Le métier de conseiller est apparu au fil des entretiens comme un métier sans “mémoire”. Que l’on vive dans la nostalgie, que l’on insiste sur le retour cyclique du même (les “modes” qui se succèdent et reviennent…), ou que l’on insiste sur le changement radical auquel correspondrait le moment présent, il ne semble pas y avoir capitalisation et intégration des expériences. Sur ce plan aussi, donc, la constitution d’une identité professionnelle apparaît difficile. » Bruno Lémery, Lectures sociologiques des activités de conseil en agriculture, ouvr. cité, p. 50, note 43.

56 Jacques Revel éd., Jeux d’échelles : la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Seuil, 1996.

57 Pierre Barral, Le département de l’Isère sous la Troisième République : histoire sociale et politique, Paris, Armand Colin, 1962 ; André Palluel-Guillard, Christian Sorrel, Guido Ratti, La Savoie, de la Révolution à nos jours : xixe-xxe siècle, Rennes, Ouest-France, 1986.

58 Pour une histoire indigène, voir Jean de Livonnière, Une doctrine, une action, une étape : histoire de l’Union du Sud-Est et de ses organisations, Lyon, Éditions du Sud-Est, 1975 ; voir aussi Mélanie Atrux-Tallau, Histoire sociale d’un corps intermédiaire, ouvr. cité, p. 94-95.

59 Danièle Barrès et al., La JAC et la modernisation de l’agriculture, ouvr. cité.

60 Didier Demazière, « L’entretien biographique comme interaction : négociations, contre-interprétations, ajustements de sens », Langage et société, no 123, 2008, p. 15-35.

61 Sylvain Brunier, Chloé Pons, Le nom des fleurs, film documentaire, Grenoble-Paris-Angoulême, SHI Productions, 2013, couleur, 52 minutes.

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