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Entre conflit et concertation

 | 
Luigi Bobbio
, 
Patrice Melé
, 
Vicente Ugalde

France, planification, concertation et conflits

Chapitre II

La gestion conflictuelle des déchets en Isère : entre blocage de la décision et mobilisations locales

Claudia Cirelli

Texte intégral

1Ce chapitre met en perspective deux situations de conflit associées à l’implantation de sites d’enfouissement de déchets en Isère. Ce département, situé entre deux importants pôles urbains du Sud-Est français, Lyon et Grenoble, présente l’intérêt d’avoir été le cadre de conflits emblématiques du blocage de la décision dans le domaine des déchets. Les deux situations choisies illustrent bien l’évolution politique et juridique associée à la gestion des déchets dans les vingt dernières années et les processus sociaux qui accompagnent ces transformations.

  • 1 Aujourd’hui la ville, essentiellement tertiaire, jouit d’une activité commerciale et culturelle no (...)

2À Vienne, ville de 30 000 habitants1, la situation de conflit analysée repose sur l’opposition d’un groupe de riverains au projet d’extension du centre d’enfouissement municipal porté par le syndicat de gestion des déchets et les collectivités territoriales (communauté d’agglomération et mairie). Après presque dix ans de mobilisation de deux associations de riverains contre les projets publics, le dernier chapitre juridique – en 2010 – semble avoir clos le dossier en faveur des opposants.

  • 2 Cette grande plaine agricole est un bassin de vie reliant la région grenobloise à la vallée du Rhô (...)
  • 3 Les déchets industriels banals (DIB), aujourd’hui renommés déchets industriels non dangereux (DIND (...)
  • 4 Le site en question devait s’étendre sur 21 hectares et permettre l’enfouissement de 3 millions de (...)

3Depuis 1989, à Izeaux, petit bourg de 2 000 habitants situé dans la plaine de la Bièvre2, un collectif très large d’acteurs locaux (riverains, habitants et élus) s’est mobilisé, contre la création d’un centre d’enfouissement technique pour déchets industriels banals3. Ce projet est porté par une entreprise privée dont l’activité repose sur une autorisation préfectorale qui, malgré les nombreux recours en justice, n’a jamais fait l’objet d’une annulation4. Pourtant l’exploitant n’a pas pu rendre active cette autorisation en raison de la mobilisation qui a empêché l’ouverture du site. L’opposition a rapidement pris la forme d’un conflit ouvert et le dossier est demeuré immobilisé pendant presque vingt ans entre sa conformité juridique et la contestation sociale. Seule une sortie « politique », rendue possible en 2005 par l’intervention du ministre de l’Intérieur, a permis de faire évoluer cette situation de blocage.

  • 5 Lors de la révision du deuxième plan, en 2008, le conseil général, suite à la demande des associat (...)

4L’évolution des relations entre processus de décision, démarches de concertation et conflit, analysées dans les deux situations choisies, montre qu’en Isère « l’affaire d’Izeaux » a pesé sur la conception et la mise en œuvre des outils et des modalités de prise de décisions successives dans le domaine des déchets : les expériences de concertation sont « une réponse politique » aux conflits que le département a connus (Reverdy 2003)5. Les situations de conflit peuvent être alors envisagées comme un espace de mise en débat des conditions de territorialisation des politiques des déchets et les processus de planification comme des espaces et des moments de négociation de ces conditions de territorialisation.

5À partir de ces situations, ce chapitre interroge les trois entrées qui structurent cet ouvrage. Tout d’abord la dimension territoriale : la création de périmètres à l’intérieur desquels un gisement de déchets est pris en charge et traité dans un équipement donné (décharge ou incinérateur, existant ou à construire) est l’un des points les plus sensibles. En effet, ces découpages se greffent sur des périmètres de gestion territoriale existants (syndicat, intercommunalités) qui vont être regroupés ou séparés, selon les cas, afin de mutualiser les équipements de traitement des déchets, devenus dans un contexte de pénurie un vrai capital pour les collectivités locales. Or, cette organisation des territoires a des effets à différentes échelles : celle de la gestion locale, qui implique des synergies et articulations ou ruptures entre collectivités territoriales (communes, intercommunalités) et celle des habitants qui souvent refusent de supporter les effets de ces agencements et de partager les logiques qui les sous-tendent. Aux logiques économiques (de rentabilité des équipements et de minimisation des coûts), techniques (caractéristiques et performances d’un équipement) et politiques (poids décisionnel des collectivités territoriales), ils opposent celle de la qualité de leur lieu de vie.

6Un des ressorts des deux mobilisations analysées est en effet leur ancrage territorial. Dans les deux cas, l’identification des opposants avec un territoire, la mise en valeur de ses particularités et leur défense, sont à la fois sources et effets du conflit. Si un ancrage préexiste pour certains des acteurs mobilisés tant à Vienne qu’à Izeaux, la mobilisation amplifie et élargit la portée de ces liens, d’autres surgissent dans le sillage du conflit. Le conflit se territorialise alors dans la mesure où des acteurs s’identifient avec les qualités et singularités d’un territoire et refusent des nouvelles affectations d’usage. Dans le cas de Vienne la mobilisation est restée localisée aux habitants du quartier à proximité du site d’enfouissement et à l’échelle de la ville, en enrôlant un nombre réduit de militants ; dans celui d’Izeaux le conflit s’est étendu à l’ensemble du territoire de la plaine de la Bièvre jusqu’à Grenoble en mobilisant plusieurs communes et les élus du conseil général.

  • 6 D’abord intitulé « plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés » ou PDEDMA, (...)

7Ensuite, le recours au droit est une dimension qui joue un rôle décisif dans les deux conflits. Le contentieux, avec ses victoires et ses défaites, scande les différentes phases des deux mobilisations. Dans le cas de Vienne, celui-ci permet aux opposants de bloquer le début des travaux. Les décisions de justice, souvent favorables, encouragent les opposants dans leur posture de contestation. Dans le cas d’Izeaux, au contraire, le droit ne fera que renforcer l’autorisation à l’origine du conflit et l’exploitant dans son droit d’exploiter un site d’enfouissement avec comme effet une radicalisation des actions de conflit. La pression politique bloquera le projet mais également le processus décisionnel qui accompagne la mise en place du plan départemental de gestion des déchets6, car le blocage d’Izeaux signifie la recherche d’autres sites et produit, par un effet domino, d’autres contestations, avec comme résultat une situation généralisée d’opposition à l’implantation de toute installation de traitement des déchets sur une partie du département.

8Enfin la troisième dimension est celle de la temporalité. Dans la gestion des déchets la dimension temporelle semble avoir une importance toute particulière dans la mesure où le domaine des déchets est soumis à des évolutions très rapides. La durée des conflits, parfois très longs à cause aussi des recours en justice, rend obsolètes les équipements contestés, du fait de l’évolution de la législation, de la technique et des politiques dans ce domaine. Par ailleurs, avoir recours à une lecture diachronique des situations étudiées permet de mieux saisir à partir d’une histoire plus longue leur propre dynamique. Dès lors, le conflit peut être analysé comme une phase de processus plus larges associés à la territorialisation des politiques des déchets.

Figure 1. Conflits et infrastructures de traitement des déchets dans le nord de l’Isère

Figure 1. Conflits et infrastructures de traitement des déchets dans le nord de l’Isère

Les dimensions territoriales du conflit

Périmètres de gestion vs périmètres de vie

9La définition des périmètres de gestion des déchets, enjeu majeur des dispositifs de planification et de leur mise en œuvre, est au cœur de controverses associées à la localisation ou à l’extension des installations. Les découpages territoriaux, les bassins de collecte et de traitement sont prévus par le plan. Il s’agit de délimiter des périmètres à l’intérieur desquels un volume suffisant de déchets est rassemblé et traité dans les équipements existants ou, le cas échéant, dans de nouvelles installations créées ad hoc. En Isère, la définition de périmètres territoriaux cohérents a constitué et constitue l’un des points les plus conflictuels de la mise en place du deuxième plan d’élimination de déchets. Ces découpages sont d’autant plus importants que des infrastructures anciennes, considérées hors norme par une nouvelle réglementation, peuvent être fermées, ce qui oblige à redessiner les circuits des déchets traités dans les sites d’enfouissement ou d’incinération les plus proches. Cela signifie, d’une part, la mutualisation des infrastructures de traitement existantes (décharges, incinérateurs, plateformes de compostage) et, d’autre part, l’élargissement du bassin de déchets collectés et l’augmentation des tonnages traités. Cette logique d’élargissement produit souvent l’opposition des riverains qui voient augmenter les nuisances dans leur périmètre de vie et l’apparition ou l’alourdissement d’inégalités qui peuvent se traduire par un sentiment d’injustice. Dans un contexte de forte tension sur tout nouveau projet, la logique est souvent l’extension d’un équipement existant plutôt que la création d’un nouveau. Ce processus renforce pour certains riverains le sentiment d’être « la poubelle du département ». On retrouve cette appréciation à la fois à Vienne en rapport au projet d’extension de la décharge et chez les élus et les opposants de la vallée de la Bièvre : ici ce sentiment est accru puisqu’il s’agit de déchets industriels non dangereux.

10La tentative de la commission de pilotage du plan de répartir les équipements sur le territoire du département en créant six zones, afin qu’aucune commune ou portion du département ne ressente leur localisation comme une injustice appliquée à leur territoire, n’a pas pu se réaliser. En effet, les spécificités territoriales du département (géologie, hydrogéologie, conditions d’urbanisation, risques d’inondation) réduisent les zones aptes à recevoir des équipements. Par ailleurs, ces nouveaux découpages territoriaux conçus pour la gestion des déchets, conduisent parfois à la création de grands regroupements de communes et d’intercommunalités pouvant produire des synergies qui dépassent les limites du département mais aussi, parfois, les périmètres et compétences territoriales des plans. Les entretiens semblent suggérer des nouvelles complémentarités territoriales et fonctionnelles, qui échappent aux logiques d’une gestion territoriale départementale basée uniquement sur la nature du déchet – dangereux et non dangereux.

  • 7 Par arrêté inter-préfectoral, puisque la nappe est partagée par les deux départements de l’Isère e (...)

11À ces périmètres de gestion des déchets se superposent parfois d’autres découpages qui viennent organiser le territoire selon d’autres logiques parfois en contradiction entre elles. Le projet de créer pour la vallée de la Bièvre un SAGE (schéma d’aménagement et de gestion des eaux) – un outil de gestion de ressource en eau à l’échelle d’une « unité hydrographique cohérente » – soutenu par les associations locales opposées au projet de décharge en est un exemple. La sollicitation de création du SAGE de la part des opposants vise à produire des conditions qui puissent rendre plus difficile voire impossible l’implantation du site d’enfouissement des déchets industriels. Il s’agit de la délimitation d’un périmètre à l’intérieur duquel sont fixés des objectifs de protection de la qualité et quantité d’eau et de sa mise en valeur. La planification d’autres activités et aménagements dans le périmètre doit être compatible avec les objectifs de protection définis par le SAGE. Le périmètre du SAGE Bièvre-Liers-Valloire a été ainsi fixé en mai 20037. La création de ce périmètre devait, dans l’esprit des opposants, signaler la présence d’une nappe souterraine importante, très étendue et très fragile, longtemps objectée, et faire reconnaître juridiquement sa valeur et la contradiction d’une installation potentiellement à risque.

  • 8 Entreprise Morillon Corvol achetée en 2008 par la société multinationale mexicaine CEMEX.
  • 9 D’ailleurs, l’entreprise exploitant la carrière, qui jouxte le site de la décharge, a partagé la p (...)

12Du point de vue territorial, les deux conflits analysés montrent que les mobilisations sont caractérisées par un fort ancrage local des opposants, mais aussi, dans le cas d’Izeaux, par une faible implantation locale du porteur du projet. À Vienne, le processus décisionnel a été au cœur de fortes critiques à cause de sa fermeture vis-à-vis des populations et d’une gestion jugée éloignée d’un service d’intérêt public. Le contrat signé par les collectivités locales – la communauté d’agglomération du pays viennois (CAPV) et le syndicat de Vienne et sa région pour les ordures ménagères (SYVROM) – et une société multinationale dans le secteur des granulats8 pour réaliser l’affouillement et exploiter la carrière (afin de permettre l’agrandissement de la décharge) a été dénoncé car il apparaissait comme poursuivant des objectifs de rentabilité économique plus que de protection de l’environnement et de la santé. Aux yeux des riverains, l’intérêt économique avait primé sur celui des habitants du quartier. À Izeaux, le porteur du projet est une société privée, Lély environnement Evac’ordures, qui exploite déjà une décharge dans le même département mais qui n’a pas d’ancrage local et qui vient réaliser une activité économique à risque au cœur de leur espace de vie. La présence dans le même espace d’une usine de décontamination d’appareils contenant du PCB joue un rôle dans ce refus de la concentration d’activités à risque dans leur espace proche, alors que la carrière, implantée depuis trente ans, n’a pas fait l’objet de protestation9 car, selon les riverains, celle-ci ne présente pas de risques pour la nappe.

  • 10 En 2011 ce centre d’enfouissement a fait l’objet d’une opération « vide de fouille » afin d’étendr (...)

13Dans d’autres travaux sur la région a été émise l’hypothèse que ce type de conflits pouvait être expliqué comme un affrontement de modèles de gestion (Reverdy 2003) : en effet, alors qu’une forte mobilisation s’est produite autour de la décharge d’Izeaux, aucune mobilisation n’a eu lieu autour de celle de déchets ménagers de Penol exploitée en régie directe, alors qu’elle est localisée dans le même périmètre de la nappe de la Bièvre, à 500 mètres d’une source d’eau potable. Les élus de la plaine, les mêmes qui se sont mobilisés contre Izeaux, ont d’ailleurs milité pour le maintien en exploitation de la décharge de Penol, dans le même périmètre10. Dans le cas d’Izeaux, le centre d’enfouissement de déchets industriels banals, provenant pour la plupart des zones industrielles de l’agglomération grenobloise et exploité par une société privée, est perçu comme une entreprise sans liens avec le territoire qui viendrait le polluer. Le représentant d’une des associations environnementalistes de la plaine, l’association Bièvre Liers Environnement, a affirmé dans une réunion sur la révision du plan qu’« il peut y avoir portage et approbation par les collectivités du projet de création d’un centre d’enfouissement quand les déchets proviennent du territoire sur lequel s’exerce la compétence ».

14En plus de la question du portage des projets par les collectivités territoriales, les débats autour du deuxième plan d’élimination des déchets ménagers (publié en 2005 et révisé en 2008), ont montré que le traitement à proximité des déchets produits localement pouvait désamorcer en partie les conflits (Reverdy 2003) ; en effet les populations semblent accepter plus facilement la proximité avec des déchets qu’elles-mêmes contribuent à produire.

Vivre à côté de la décharge : la proximité en conflit

15La proximité est un autre volet de la dimension territoriale au cœur des controverses autour des déchets. Dans les deux situations étudiées, deux dimensions de la proximité semblent s’affronter : d’une part, l’application d’un principe censé organiser la gestion de déchets au plus près des lieux de production afin d’en réduire les coûts environnementaux et économiques ; et d’autre part, le refus des riverains de vivre à proximité d’un équipement.

16Pour les riverains la question de la proximité se traduit par des nuisances et parfois des souffrances. Les contraintes imposées par l’existence d’une installation semblent être moins supportables et supportées lorsqu’il s’agit des déchets qui viennent de loin. La responsabilité qui est engagée vis-à-vis des déchets comme une « affaire de tout le monde » semble ne plus s’appliquer lorsque ceux-ci ne correspondent plus à la sphère domestique.

  • 11 Le SYVROM est aujourd’hui composé de 29 communes contre 11 en 1984, lors de sa création.

17À Vienne une des doléances des riverains tient au fait que dans le site sont enfouis des déchets « d’ailleurs » et que les volumes déposés ont augmenté depuis que le syndicat a élargi son bassin de chalandise. En effet, depuis 2002, suite à la création de la communauté d’agglomération, le périmètre de collecte s’est élargi11 : ainsi, une partie du travail de surveillance des riverains vise-t-il justement à vérifier les plaques des camions pour identifier leur département de provenance. Dans le cas d’Izeaux, la contestation vise un centre d’enfouissement qui ne correspond pas aux besoins locaux d’élimination puisqu’il va recevoir des déchets industriels banals provenant de l’agglomération grenobloise. Cette opposition rejoint plus récemment une sensibilité de plus en plus aiguë vis-à-vis de l’épandage agricole des boues d’épuration dans la plaine qui, pendant longtemps, a représenté un débouché pour les stations d’épuration et des papeteries du département. Dans ce contexte tendu, le projet d’une deuxième décharge sur la plaine (en plus du site d’enfouissement de déchets ménagers de Penol, géré par le SICTOM – syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères – des pays de la Bièvre) vient renforcer le sentiment d’un territoire poubelle du département, perception exprimée par les riverains mais également par les élus.

18Or, comme cela a été souligné dans d’autres travaux, la catégorie de « riverain » en tant qu’acteur s’ancre dans la proximité (Fourniau 2007). La proximité fonde et justifie son opposition en même temps qu’elle le rend soupçonnable d’être porteur d’intérêts particuliers. Aux yeux des gestionnaires, la condition « d’être proche », rend le riverain apte et qualifié à fournir des informations spécifiques et utiles sur les nuisances (odeurs, bruits, etc.), même s’ils considèrent que le riverain, lorsque se mobilise, défend « son pré carré ». Aux yeux des autres acteurs, la condition de proximité délégitime la contestation, alors que pour le riverain, la proximité qui le soumet en « première ligne » aux nuisances et aux risques liés à la présence d’un équipement, rend légitime son opposition. À Vienne et dans la vallée de la Bièvre, les riverains et les opposants refusent la qualification de leur opposition de phénomène NIMBY (Not in my backyard), souvent avancée à Vienne par les pouvoirs publics et par des associations de protection de la nature qui les accusent implicitement de vouloir préserver leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. Si une préoccupation associée à un bouleversement de leur cadre de vie existe à cause de l’extension ou de la création de la décharge et de l’affouillement d’une carrière, la menace des risques sanitaires et environnementaux qui viendraient s’inscrire, se territorialiser dans leur espace de vie, représente une forte justification pour rendre compte de leur engagement dans la mobilisation.

19La situation suivante est, à ce titre, éloquente. Dans le but d’améliorer la connaissance des nuisances que le centre d’enfouissement produisait et afin de les corriger, le gestionnaire viennois a sollicité, en 2003, la collaboration des riverains pour participer à une opération de suivi des odeurs, l’opération « 20 nez bénévoles ». Vingt personnes choisies parmi la population résidant dans un périmètre de deux kilomètres, devaient prêter leurs nez pour détecter les mauvaises odeurs et appeler le gestionnaire au moment où celles-ci se manifestaient. Les riverains ont refusé de participer en alléguant que cette opération de suivi et d’alerte ne pouvait pas produire de résultats probants étant donné que la plupart des riverains n’étaient pas chez eux pendant la journée. De la même manière, ils ont refusé de participer à une enquête sur le bruit afin de mesurer les effets des « tirs de mine » en vue de la réalisation de l’affouillement de la carrière essentielle à l’extension de la décharge. Si l’on peut considérer ces refus comme la volonté de ne pas cautionner la gestion d’une décharge à laquelle ils s’opposent, il faut aussi rappeler que les riverains refusent de circonscrire leur rôle au domaine de la perception des nuisances. Ils revendiquent détenir une expertise qui tient à leur condition de proximité à l’équipement, ce qui dans d’autres travaux a été défini comme un « savoir d’usage » ou « savoirs profane » (Sintomer 2008 ; Roux 2006 ; Deboulet et Nez 2013). Cette position a renforcé, aux yeux des autorités locales et des associations de protection de la nature, l’image des riverains peu collaboratifs.

20Or, les riverains des installations ont des pratiques et des connaissances du lieu qui leur permettent de développer des compétences que l’on peut définir « de terrain » (Cirelli et Rocher 2013). L’intensité des odeurs selon le vent ou la saison, la présence ou absence de certains oiseaux sur la décharge à Vienne, l’affleurement de la nappe phréatique sur le site d’Izeaux. Cette expertise de proximité est mobilisée pour une activité de surveillance de l’activité sur le site d’enfouissement : l’activité des torchères à gaz, le respect de la hauteur des casiers, la mise en décharge de déchets non autorisés. Mais celle-ci est également mise à profit pour déceler les impacts de l’installation sur le milieu (le changement des caractéristiques de l’eau du ruisseau et la disparition d’espèces locales de crustacés d’eau douce, ou la présence d’espèces nuisibles à Vienne) et sur la santé (manifestations de gênes respiratoires, saignements du nez, céphalées).

21À Vienne, les riverains surveillent l’installation afin d’identifier les signes annonciateurs des dangers liés à sa présence ; l’activité de surveillance est d’autant plus persévérante et tenace que la confiance à l’égard des pouvoirs publics a laissé la place à un sentiment de méfiance. Ce maintien d’un état de veille permanente pour empêcher un relâchement de l’alerte, de la vigilance, selon l’acception de Jacques Roux (2006) se retrouve chez les riverains d’Izeaux à des moments particuliers du conflit. Ici il s’agit d’abord d’empêcher que l’entreprise Lély démarre les travaux pour la construction du centre d’enfouissement et, par la suite, que celle-ci déverse des déchets sur le site pour maintenir effective son autorisation d’exploitation. À certaines époques, l’état de veille est devenu occupation du site. Des tentes et des abris ont été dressés devant l’entrée du centre d’enfouissement et les riverains se sont relayés en permanence pour surveiller et empêcher toute activité de déchargement de déchets. En 1998, pendant presque quatre mois, nuit et jour, femmes, enfants et personnes âgées ont campé devant le site. En 2001, après une opération de déversement de déchets réalisée pendant la nuit, les habitants d’Izeaux ont à nouveau occupé l’entrée jusqu’à ce que le préfet organise une rencontre avec les élus et les associations. À chaque fois les riverains sont épaulés par les élus qui appellent les gendarmes pour faire un constat de l’action d’enfouissement. Des actions de carottage sont demandées par les élus qui utilisent leur pouvoir de police pour stopper les opérations d’enfouissement en argumentant que celles-ci donneraient lieu à des troubles de l’ordre public organisés par les opposants.

22Les riverains déclarent étendre leur vigilance à la nappe phréatique : « On est attentif ! » Lorsque des travaux d’aménagement débutent sur le site et que de l’eau jaillit, c’est la preuve pour les riverains de la présence d’une nappe très superficielle.

Jeux d’échelles dans la mobilisation

23La stratégie des opposants d’ancrer leur contestation dans la proximité – le nom même de l’association évoque cette dimension : association des riverains de la décharge de Vienne contre les nuisances – afin d’asseoir un droit de parole (Alain 2005, p. 301) a des effets palpables sur la construction d’un espace légitime d’où protester. Toutefois, le déroulement de la situation de conflit témoigne de la nécessité de recourir à « une stratégie d’échelle » pour dépasser l’échelon de la proximité. Cette « montée en échelle » qui se traduit par un élargissement de la portée des nuisances et des risques potentiels dénoncés, du quartier à la ville de Vienne, par exemple, ou du bourg à la plaine de la Bièvre, conduit à une amplification de l’espace concerné par le conflit qui s’accompagne d’une « montée en généralité » (Lolive 1997) des arguments mobilisés contre le projet. Le refus de la décharge ne saurait dès lors être exclusivement l’expression de l’égoïsme d’un groupe de riverains contestant un équipement dans le but de protéger leur cadre de vie, mais bien le rejet d’un projet public qui affecte l’environnement et la santé d’une ville ou d’une région tout entière : « Mon souci à moi c’est de sauver le vallon, d’arrêter la pollution », déclare une riveraine de la décharge de Vienne ; « le nôtre c’est un combat pour l’eau et la vie », lui fait écho le président du comité de la qualité de vie d’Izeaux.

24Dans le conflit d’Izeaux, la controverse, comme le processus de décision, semblent fluctuer entre le niveau local et le niveau national. Il s’agit non seulement d’un emboîtement d’échelles et d’un système multi acteurs que l’on retrouve dans de nombreuses situations, mais aussi d’un déplacement des centres de décision, l’ampleur du conflit ayant conduit à sa prise en main par les autorités centrales, par l’intervention du ministre de l’Intérieur. Par ailleurs, le processus de mobilisation semble produire un collectif d’acteurs avec un fort ancrage territorial local, avec des références claires à un territoire précis : la plaine de la Bièvre-Valloire, nonobstant l’articulation de la mobilisation à différents niveaux territoriaux (la plaine, le département, la région et le territoire national). Or, si les deux mobilisations s’articulent sur des réseaux extra-locaux, elles semblent garder un fort ancrage local ; en effet, alors que dans le cas d’Izeaux le conflit est porté au niveau national, à Vienne les décisions et la portée de la mobilisation restent très localisées.

25Les deux conflits analysés montrent également que les nuisances que l’on refuse localement vont être reportées sur d’autres lieux et populations du territoire départemental qui à leur tour se mobilisent pour contrer le nouveau projet. C’est ainsi que la recherche de sites alternatifs à Izeaux produira notamment dans la partie nord et centre de l’Isère d’autres conflits, comme à Roybon dans la forêt de Chambarans, une forêt qui surplombe la plaine et pour laquelle les associations environnementalistes, la population et les élus se sont fortement mobilisés depuis que ce site a été identifié grâce à son sous-sol très imperméable comme un site alternatif possible à Izeaux.

  • 12 Toutefois la création du Comité d’Izeaux pour la défense de la qualité de vie et la mobilisation d (...)

26L’opposition aux deux projets a comme effet de créer une sociabilité locale : à Vienne les habitants qui vivent dans le quartier le plus proche de la décharge créent une association lorsqu’ils prennent connaissance du projet et, à partir des enquêtes publiques, une autre association d’un hameau voisin, préexistante au conflit, se remobilise. À Izeaux, la remobilisation du Comité pour la défense de la qualité de vie, créé quelques années plus tôt pour lutter contre une usine de retraitement du pyralène installée sur la commune12, s’élargit à la création d’un collectif de onze associations (LIANE), mobilisé sur toute la plaine de la Bièvre contre le projet.

Mise en valeur du territoire

  • 13 La vallée de Bièvre-Valloire est une ancienne vallée creusée au tertiaire (ancien cours de l’Isère (...)
  • 14 Gentiana, Flavia ou Gère Vivante.

27Les riverains mobilisés refusent la dévalorisation produite par la présence réelle ou envisagée d’une installation porteuse de stigmates ; il s’agit alors pour eux de mettre en avant les valeurs d’une portion de territoire exploité ou envisagé pour accueillir un équipement, de l’affranchir de la stigmatisation associée au déchet, pour éviter qu’il ne devienne « une gigantesque poubelle » à Vienne où la « poubelle de Grenoble, de l’Isère » ou même de la « région Rhône-Alpes » pour ce qui est d’Izeaux. Le travail de valorisation consiste alors à mettre en évidence des attributs du territoire qui semblent être ignorés par les décideurs et gestionnaires. À Vienne, il s’agit d’un espace boisé aux marges de la ville, particulièrement apprécié par les citadins, qui sera défiguré par la présence d’une énorme installation. À Izeaux, il s’agit de la mise en danger d’une ressource en eau indispensable et de très bonne qualité13. Par ailleurs, la valorisation de la qualité du site passe par un rappel de l’existence de qualifications instituées (espèces animales et végétales protégées à Vienne, périmètre de la nappe à Izeaux). Dans les deux cas c’est la mobilisation des opposants aux projets qui contribue à mettre en place ces qualifications : à Izeaux par la création d’un SAGE, et à Vienne par l’intermédiation d’associations environnementalistes spécialisées dans la flore et la faune locales14.

Figure 2. Dimension territoriale de la mobilisation à Izeaux

Figure 2. Dimension territoriale de la mobilisation à Izeaux

La dimension juridique du conflit

  • 15 À Vienne les acteurs publics, communauté d’agglomération et commune, ont recours au contentieux co (...)

28Les deux cas d’étude montrent que le recours au contentieux joue un rôle central dans le déroulement du conflit : à Vienne l’effort majeur des opposants (financier mais aussi d’engagement en termes de temps, notamment pour les leaders) se focalise sur ce domaine ; à Izeaux l’usage du droit participe d’une stratégie plus articulée qui mobilise différents répertoires et registres d’action. Plus généralement, le droit, en tant « qu’arme pour faire valoir une cause », au sens de Liora Israël (2009, p. 9) et cadre pour l’action au sens de Patrice Melé (2009), a été mobilisé par les acteurs sous différentes formes. Tout d’abord, sous forme d’un usage judiciaire par le recours des opposants aux différentes juridictions compétentes (tribunal administratif, cour d’appel, Conseil d’État, Cour de cassation, tribunal correctionnel…) ; aux huissiers de justice pour des constats (déchets enfouis sur le site à Izeaux) ; aux services de la gendarmerie et du procureur de la République (plaintes contre X)15 ; au pouvoir de police du maire (arrêté pour risques de troubles à l’ordre public). Ensuite sous forme d’un usage instrumental par l’utilisation de documents d’urbanisme et d’aménagement (PLU et PEDMA à Vienne), par la vigilance sur l’application de la réglementation sur les centres d’enfouissement (rappel des normes en matière de sécurité, contrôle des déchets enfouis…). Et enfin sous forme d’un usage symbolique par les références utilisées dans les discours des acteurs (droit à la santé), par la mobilisation de catégories juridiques (protection de l’environnement, du patrimoine) et de représentations qui renvoient au droit comme synonyme de justice. Le recours au contentieux est donc une stratégie dans le cadre du conflit, mais le domaine juridique devient aussi un contexte pour l’action. Le tribunal est un lieu où le débat contradictoire se déroule en conditions d’égalité avec la partie adverse, grâce à l’instruction de l’affaire et à sa défense lors de l’audience, et où il est possible d’exprimer une « parole » ou un « droit de parole » qui reste inaudible dans les autres dispositifs institutionnels. Ainsi, l’usage du droit et le recours répété aux institutions juridiques constituent-ils pour un certain nombre de requérants un processus d’apprentissage et de familiarisation avec l’univers judiciaire (Galanter 2013). Le recours au droit forme un cadre cognitif pour les opposants, il permet alors aux habitants de reformuler leur rapport au territoire et au politique.

Vienne : le droit d’agir

  • 16 Le premier est retiré par la suite par l’exploitant car celui-ci n’avait pas la maîtrise sur les 2 (...)

29Dans le cas de Vienne, le recours au contentieux, très utilisé par les opposants, devient une stratégie non seulement pour bloquer ou reporter le projet et réclamer ce que les riverains présentent comme leurs droits à la santé et à un cadre de vie de qualité (sans bruit, sans pollution, en préservant les aménités du site), mais également pour maintenir la pression sur les autorités publiques. L’association des riverains a en effet présenté plus d’une dizaine de recours, dont les plus importants sont ceux contre les arrêtés préfectoraux pour l’extension et pour l’affouillement d’une carrière16. Les riverains ont gagné leur recours contre la carrière (référé suspensif, annulation de l’arrêté) au tribunal administratif et également en cour d’appel car, selon le jugement, l’exploitation d’une carrière n’était pas conforme au plan d’occupation des sols de l’époque. En mai 2010, les deux arrêtés d’affouillement ont été annulés. À l’inverse, les riverains ont obtenu un jugement défavorable au tribunal administratif sur les recours relatifs à l’extension de la décharge. Toutefois le dernier chapitre juridique du conflit s’est conclu en appel, en octobre 2010, par un jugement favorable à l’annulation des deux arrêtés concernant la décharge grâce à un durcissement de la législation. En effet, depuis 2009 le casier en fonction n’était plus conforme à la norme désormais en vigueur. Cette dernière décision de justice est celle qui a mis fin à l’exploitation de la décharge et donc, puisque le troisième casier n’a pas été construit, à l’exploitation du site.

30À Vienne, si les décisions de justice favorables pèsent sur la légitimation de la mobilisation et des actions des requérants qui gagnent en visibilité dans l’espace public – grâce aussi à la presse –, les défaites judiciaires ne semblent pas affaiblir la confiance dans le contentieux comme ressource.

Izeaux : le droit d’exploiter

  • 17 Arrêté 89-773 du 28 février 1989.
  • 18 Ministère de l’Environnement en 1990, département à partir des années  quatre-vingt-dix1990 et com (...)
  • 19 Arrêté 90-4562 du 22 septembre 1990. D’ailleurs l’hydrologue qui à l’époque avait réalisé l’étude (...)
  • 20 Article 24 du décret 77 du 21 septembre 1977 relatif aux installations classées pour la protection (...)

31Dans le cas d’Izeaux, au contraire, le recours au droit ne joue pas le même rôle de renforcement des opposants ; celui-ci confortera plutôt la société exploitante dans son droit de tirer parti du site. La bataille juridique se livre autour d’une autorisation d’exploitation donnée en 1989 à la société Lély qui ne sera jamais annulée17. Cette décision préfectorale, définie par les opposants à la décharge comme « le péché originel », a été remise en question à plusieurs reprises par différents acteurs politiques sous la pression de la mobilisation locale18 et a également fait l’objet de déclarations et même de décisions administratives d’annulation. Sous la pression de la mobilisation locale qui réunit les associations et les élus, le titulaire du ministère de l’Environnement a été obligé d’intervenir pour trouver une solution alternative aux décisions de justice en demandant un retrait de l’autorisation permettant l’exploitation. Le premier arrêt a donc été retiré en 1990 en arguant que la première autorisation avait été délivrée sur la base d’un rapport hydrogéologique incomplet en ce qui concerne les dangers de pollution de la nappe19 ; un deuxième arrêté a été alors publié. Toutefois, le tribunal administratif de Grenoble, saisi par la société exploitante, a reconnu illégal ce dernier arrêté et l’a annulé en 1994, en rétablissant la validité de la première autorisation de 1989. Entre-temps, la décharge n’a pas pu démarrer mais, afin que son autorisation reste valide, la société exploitante a entretenu le site et déversé (au moins tous les deux ans) des déchets pour attester de son fonctionnement. En effet, une autorisation d’exploitation peut perdre sa validité si aucune activité n’est réalisée sur le site dans un délai de trois ans suivant sa publication ou par absence d’exploitation durant deux années consécutives20. Argument porté, d’ailleurs, en justice par les opposants.

32La mobilisation, si elle ne peut donc totalement empêcher l’exploitation de la décharge, a comme effet de renforcer les contrôles et les règles d’exploitation par l’imposition de prescriptions complémentaires. Izeaux devient paradoxalement une installation inachevée mais qui est placée sous haute surveillance. L’objectif des autorités préfectorales est de la faire fonctionner dans le plus strict respect de la loi. Le compte rendu d’une réunion technique révèle que le préfet arrivera même à proposer de faire surveiller le site par la gendarmerie pendant les heures d’ouverture pour s’assurer du respect des conditions d’exploitation, le souci de la préfecture étant de faire appliquer la réglementation : la décharge d’Izeaux est considérée comme conforme aux règlements en vigueur car les critères de protection de l’environnement de l’époque sont respectés.

  • 21 Arrêté 97-3148 du 23 mai 1997.
  • 22 Une décharge de classe III reçoit des déchets inertes (déchets du bâtiment et des travaux publics, (...)
  • 23 Notes de plaidoiries Lély c/ M.P FRAPNA – Comité d’Izeaux.

33Sous la pression de la mobilisation, en 1997, un autre arrêté vise à imposer des prescriptions d’exploitation encore plus strictes pour la décharge qui ne devra accepter que des déchets inertes21. La liste des déchets acceptés en décharge est donc corrigée pour éliminer tout ce qui pourrait représenter un danger pour la nappe. Comme le souligne un fonctionnaire du conseil général dans une note au président du département, « si les orientations proposées par le préfet sont suivies, la décharge d’Izeaux deviendrait une décharge de classe III », alors que l’autorisation préfectorale d’origine était pour une décharge de classe II22. L’exploitant estime que le nouvel arrêt lui impose des prescriptions plus sévères que celles qui au niveau national encadrent le fonctionnement des décharges, limitant d’une façon arbitraire les conditions d’exploitation et portant « atteinte à l’intégrité d’un établissement »23. La société exploitante Lély fait donc appel de cette décision, et le tribunal lui donne raison.

34Dans ce contexte, le préfet, pris entre les injonctions politiques et les décisions de justice, prend du temps et risque d’être condamné pour non-respect de la décision de la cour d’appel lui demandant d’exécuter l’arrêté de 1997. Placé dans une situation paradoxale, il doit à la fois faire respecter les droits de l’exploitant, répondre aux pressions de la mobilisation, aux exigences de sa hiérarchie et du pouvoir judiciaire, ainsi que garantir un contrôle strict des activités de la décharge.

35Les jugements rendus par les différents tribunaux, qui sont pour la plupart favorables à l’exploitant, seront à chaque fois à l’origine de fortes protestations et mobilisations des habitants et des élus de la plaine, obligeant les instances nationales à prendre des positions opposées aux résultats de justice. Le conseil général se trouvera dans un exercice politique difficile, obligé de « jongler » entre l’appui aux élus, parmi lesquels on compte également des conseillers généraux, et la collaboration avec la préfecture (notamment dans la réalisation d’études plus performantes sur la nappe et sur la recherche de nouveaux sites).

36Pour les opposants, l’application de la législation permet à l’entreprise Lély d’exploiter le site contre la volonté de toute une vallée ; la jurisprudence fonctionnerait ici en protection d’une entreprise disposant d’une autorisation préfectorale ancienne et argumentant sa capacité à respecter la législation. Une partie du travail de vigilance du comité d’Izeaux se consacre à démontrer le contraire : le recours à un huissier de justice sert de preuve dans le recours au tribunal en 2001 après un déversement de déchets dont les caractéristiques ne sont pas conformes à celles prévues par les autorisations (déchets hospitaliers selon les opposants, rebuts d’industries pharmaceutiques pour l’exploitant) ; et, en effet, l’entreprise Lély est condamnée en première instance pour exploitation illégale mais relaxée par la suite. Paradoxalement, si la loi confirme le droit de l’exploitant, le blocage de la situation le conduit à ne plus remplir les conditions pour exploiter le site.

  • 24 Un document du conseil général avançait le chiffre indicatif de 1 ou 2 millions par an.

37L’intervention en 2005 du ministre de l’Intérieur et de la ministre de l’Environnement, qui demandent au préfet d’identifier des sites alternatifs sur lesquels faire valoir l’autorisation d’exploitation en possession de l’entreprise Lély, permet une sortie politique au conflit. Or, l’annulation de l’autorisation, seule solution aux yeux des opposants à l’installation de la décharge au vu de l’ampleur de l’opposition, ne peut être prise par aucune instance politique, car cela ouvrirait la porte à une demande de dommages et intérêts de la société Lély dont l’issue juridique favorable à la société est prévisible entraînant un coût financier trop élevé24.

38Aucun nouveau site n’a été localisé, en partie aussi à cause de nouvelles oppositions locales. Aujourd’hui, les effets de la mise en œuvre d’actions en matière de prévention et de valorisation des déchets semblent avoir écarté l’ouverture du centre d’enfouissement d’Izeaux. Le plan départemental n’inventorie plus ce site parmi les centres d’enfouissement du département.

39À Vienne et à Izeaux, le recours au droit semble former un cadre pour l’action des opposants et une caisse de résonance de leur contestation. Il s’agit d’un espace permettant de construire une position d’égal à égal avec des pouvoirs publics qui mésestiment, notamment dans le cas de Vienne, les plaintes des habitants. Pour les riverains mobilisés, le recours à la justice semble offrir une réponse à la surdité des autorités. Il se constitue donc, d’une part, comme la condition pour et le lieu où faire valoir leur demandes vis-à-vis d’une administration publique qui se montre insoucieuse de leurs doléances et, d’autre part, comme la stratégie qui consiste à porter leurs arguments dans un débat contradictoire, celui ouvert par l’instruction de l’affaire. Tout se passe comme si le recours au contentieux en tant qu’espace d’échange argumentatif produisait en même temps une légitimité de leur action ; légitimité quant à la conformité au droit (le droit de recours) mais également quant à la pertinence de l’action. L’expérience de recourir au droit renforce, en effet, la construction des riverains et des habitants mobilisés comme opposants au projet.

La dimension temporelle du conflit

40La lecture diachronique de la construction d’une planification pour la gestion des déchets au niveau du département de l’Isère montre bien comment le processus décisionnel d’aujourd’hui a été fortement marqué par les situations de conflit (notamment celle d’Izeaux) du passé. Tous les acteurs interrogés semblent partager le sentiment que l’ouverture à la décision et le processus de concertation autour de la gestion des déchets qui ont accompagné la révision pour le troisième plan en 2008 sont en relation avec la longue expérience de blocage et l’incertitude associée à la mobilisation qui a investi tout un territoire, celui de la plaine de la Bièvre-Valloire, contre la décharge d’Izeaux. Ce conflit a eu selon les associations de défense de l’environnement des effets positifs quant à l’engagement des élus :

  • 25 Entretien avec G. O., association Objectif Zéro Déchet.
  • 26 Entretien avec S. S., FRAPNA.
  • 27 Entretien avec R. D. S., conseil général d’Isère.
  • 28 Entretien avec G. R., comité d’Izeaux pour la qualité de vie.

Cela a fait bouger les élus, ils se sont mouillés, ils ont basculé, à partir de leurs habitants, ils ont bougé sur leurs positions.25
La concertation ne s’effectue pas au niveau du pré-projet, c’est Izeaux qui a fait bouger les mentalités… Izeaux a déclenché tout le changement. Avant c’était décision-concertation, aujourd’hui ce rapport est inversé.26
Le conseil général dès le tout début a voulu associer […] il y avait eu Izeaux.27
À cause d’Izeaux plus personne ne veut de centre d’enfouissement.28

41Or, si ces aspects ont effectivement eu un poids dans la conduite du processus de révision et dans l’ouverture à des acteurs non traditionnels de la gestion des déchets, il est aussi vrai qu’aujourd’hui la gestion des déchets en Isère est soumise à des changements importants. La politique de réduction à l’échelle nationale et locale a eu des effets sur la production des déchets et, grâce à une plus grande valorisation du recyclage, le département peut afficher une baisse considérable des tonnages à traiter. Ce facteur oblige les acteurs à se mettre autour de la table pour pouvoir négocier les volumes nécessaires au fonctionnement de leurs structures, en particulier pour les incinérateurs. Dans le dernier plan départemental d’élimination des déchets, en vigueur jusqu’à 2014, aucune nouvelle unité n’a été prévue, les structures existantes permettant au département de répondre à ses besoins.

  • 29 Entretien avec R. D. S., conseil général d’Isère.

42Une lecture diachronique est révélatrice des conditions dans lesquelles la révision du plan a pu se réaliser, de l’importance de la superposition des temps de la révision avec des événements conjoncturels qui peuvent influencer les décisions et les modalités de construction du plan. Par exemple, comme le signale un fonctionnaire du conseil général d’Isère, au moment du lancement du processus de révision en 2005 du deuxième plan, l’incinérateur de Bourgoin-Jallieu, dans le nord de l’Isère, avait été déjà agrandi, avec des oppositions certes, mais le processus de construction de la nouvelle unité d’incinération était terminé : c’était un élément acquis du plan. Or, si « le projet de doublement de ses capacités avait dû rentrer dans la révision, cela aurait été probablement différent »29.

43Les conflits étudiés semblent faire apparaître un paradoxe temporel. Alors que les décideurs et les gestionnaires travaillent sur le processus décisionnel pour produire un cadre rassurant sur les conditions de gestion des sites, de traitement et sur les risques potentiels associés, celui-ci est mis à mal par l’évolution rapide du cadre juridique et des techniques. Ces incertitudes associées à l’évolution du champ de la gestion des déchets en termes techniques et juridiques marquent les processus de construction de l’acceptabilité des équipements et de prise de décision en Isère. Cela est particulièrement évident dans le cas de Vienne, où le centre d’enfouissement est « rattrapé » par la législation et fermé, ou à Izeaux, lorsque l’autorisation pour l’exploitation de la décharge continue d’être valide alors que les conditions géo-hydrologiques connues au moment de la publication de l’autorisation ont changé. Dans ce dernier cas, le préfet est obligé de durcir les conditions d’exploitation de la décharge sous la pression, certes, des opposants mais aussi de la législation qui change avec pour effet un site qui ne sera jamais en conformité. Les opérateurs se trouvent placés devant le paradoxe de devoir construire l’acceptabilité d’équipements qui ont de grandes chances d’être juridiquement et techniquement rapidement obsolètes.

Les effets de mémoire

  • 30 Dans la mémoire collective, « l’affaire de Montchanin » est très vive et représente pour les river (...)
  • 31 À Gilly-sur-Isère un incinérateur des années 1960, modernisé dans les années 1980, fut fermé après (...)

44Les crises sanitaires viennent en général accélérer ces processus de remise en question des conditions de traitement et d’évolution des équipements. Dans le cas d’Izeaux, l’effet de ce qu’on appellera ici « mémoire » est affiché dès le début. À la première réunion du comité de défense d’Izeaux sur la décharge, des habitants de Montchanin étaient présents pour alerter les membres du comité sur l’importance d’assurer une posture de vigilance et un travail de surveillance vis-à-vis des équipements de ce type30. Plus tard, la crise associée à l’incinérateur de Gilly-sur-Isère en 200131 a également marqué les esprits et a constitué un élément de poids dans les processus décisionnels de l’action publique environnementale départementale :

  • 32 Entretien avec un fonctionnaire du conseil général d’Isère.

Gilly a encore un impact en Rhône-Alpes, Gilly est encore là. Si la Bièvre n’a pas pu faire son incinérateur je pense c’est en partie pour ça, cette image de Gilly qu’il y avait […] aussi Montchanin, ça a un poids énorme. Je pense que si aujourd’hui on devait faire un nouveau projet ce ne serait pas facile…32

  • 33 Cet incinérateur a en effet fait l’objet d’une initiative qui est considérée comme « pilote » et « (...)

45De telles expériences, comme le souligne Danielle Salomon dans son étude sur la crise de la dioxine à Gilly-sur-Isère (Salomon 2003), façonnent des cadres interprétatifs fondés sur la défiance appliqués et utilisés dès que des controverses s’établissent au niveau local. Un effet de ces crises passées est un renforcement des contrôles sur les équipements, comme cela a été le cas pour la construction de l’incinérateur de Bourgoin-Jallieu où un protocole de surveillance environnementale très poussé a été mis en place. Les gestionnaires de cet incinérateur déclarent se soumettre à un niveau de contrôle d’éléments potentiellement polluants plus sévère et appliquer sur certaines mesures des seuils plus stricts que ceux demandés par la loi en vigueur. Le syndicat qui a en charge la gestion a également mis en place un comité de suivi, en parallèle de l’activité de la commission locale d’information et de surveillance (CLIS) prévue par la législation. Ce comité, coprésidé par le responsable du syndicat et le conseil général, regroupe une quinzaine de personnes (représentant des associations, les collectivités territoriales, l’État, le conseil général ainsi que des experts invités) et se réunit deux fois par an33. Le cas de Montchanin est également évoqué lors d’un entretien à Vienne comme illustration d’une gestion opaque des équipements et par conséquent de l’importance du travail des associations (riveraines et environnementalistes) pour alerter les populations sur les dangers possibles.

Demeurer à côté de la décharge

46Il existe un choc entre la temporalité des opposants et celle des pouvoirs publics vis-à-vis de l’équipement : pour les premiers, l’un des éléments qui entretient l’opposition est la pérennisation de la décharge dans leur territoire de vie ; pour les seconds, la temporalité d’un équipement – en l’occurrence un site d’enfouissement – est associée à sa durée de vie technique, d’une part (nombre de casiers pouvant être exploités), et à l’évolution juridique et technologique du traitement des déchets, d’autre part.

47À Izeaux l’autorisation d’exploitation donnée pour vingt-deux ans est vécue comme une hypothèque sur le destin de la commune et de ses habitants, et par extension de la plaine. Dans le cas de Vienne, où le centre d’enfouissement existait déjà, les enquêtes réalisées semblent suggérer que la perspective du projet d’extension et d’affouillement remet en cause le statu quo pour les habitants du quartier. Si la construction d’une acceptabilité sociale de la décharge avait été le résultat d’un processus d’arrangement individuel par lequel chaque riverain avait construit son rapport à l’installation en rationalisant sa situation ou son choix résidentiel, cette acceptation semble être également spécifique d’un moment particulier de la relation sociétale au déchet. En effet, jusqu’aux années 1980, la présence de décharges sur le territoire était une nuisance marquée par une certaine évidence : celles-ci étaient un « non-problème » dans le contexte municipal. La construction de la gestion des déchets comme problème public et sa mise sur l’agenda des politiques publiques ainsi que l’évolution du rapport au risque ont contribué à ce que la représentation et la perception de ces objets techniques changent ; ils sont aujourd’hui placés au centre de controverses touchant l’environnement et la santé. À Vienne, l’évolution de l’activité de la décharge et ce nouveau regard porté aux objets techniques ont contribué à changer la perception des riverains du quartier de Saint-Alban.

Quand j’ai construit, […] on ne savait pas tout ce qu’on sait maintenant sur les décharges et les problèmes pour la santé. Si je dis quelque chose ils me répondent : « Vous avez construit à côté, vous connaissiez le problème. » Mais à l’époque on ne savait pas. Malgré la décharge on a eu le permis de construire de la mairie, et pendant qu’on construisait il y a des gens qui sont venus de Grenoble [fonctionnaires de la préfecture] et ils nous ont dit que jamais il n’y aurait dû avoir un permis de construire.

  • 34 Entretiens avec M. M. et V. D., riveraines de la décharge de Saint-Alban.

Nous quand on a acheté ici on savait [la présence de la décharge], mais c’était pas… comment dirais-je… d’abord l’environnement on s’en souciait pas comme maintenant.34

48Le projet d’extension et d’affouillement d’une carrière vient donc se heurter à ces certitudes et vient introduire un doute dans l’espace et le temps de vie des habitants en pérennisant l’installation dans l’horizon de leurs existences.

  • 35 Entretien avec M. M., riveraine de la décharge.

Quand j’ai construit, en 1973, on a entendu dire que la décharge en avait encore pour trente ans, donc je me suis dit : « À la retraite, tranquille, il n’y aura plus de décharge à côté. »35

49Il ne s’agit pas pour ces habitants uniquement d’une extension spatiale, mais d’une extension temporelle qui ne leur permet plus d’imaginer ou d’espérer un avenir affranchi de la présence de la décharge. L’irréversibilité des effets de sa présence dans le temps long, leur immanence, marqueront toujours leur espace de vie, telle « une cicatrice indélébile », ainsi que leurs corps, par des odeurs, par des affections respiratoires (plusieurs riverains s’en plaignent), par la crainte de maladies plus graves. La prolongation de son exploitation marquera également leur temps de vie. Mais cette extension temporelle de la décharge ne se limite pas aux habitants du quartier de Saint-Alban : ce qui est en jeu pour les riverains « c’est également le destin de leurs petits-enfants ». Nous pouvons définir ce phénomène comme une « montée en temporalité » des effets du conflit et des temporalités concernées par le conflit.

50En se positionnant comme dépositaires de la préservation de leur espace de vie et de sa transmission, les riverains se situent sur le long terme, en opposition aux élus pour qui la temporalité est celle de la durée de vie de l’installation ou de leur mandat. En tentant de le sortir de l’échelle locale et du temps court, ils décloisonnent le débat sur la décharge. Dans cette argumentation, le territoire devient un héritage des générations passées qu’ils doivent transmettre aux générations futures.

  • 36 Entretien avec G. C., riverain de la Balme.

Les anciens romains, ils nous ont laissé un théâtre magnifique, et qu’est-ce qu’on va laisser, nous, aux générations futures ? Un énorme tas d’ordures, une énorme décharge.36

51La présence de la décharge a conditionné les représentations que les riverains se sont faites de ce territoire – par des formes de valorisation ou d’amnésie de certains aspects et séquences de l’histoire territoriale du quartier et des conditions d’exploitation de la décharge avant sa mise aux normes dans les années 1990.

52Cela est particulièrement évident lorsque, au cours des entretiens, les riverains sortent du registre du présent – de la justification de l’action – pour entrer dans celui du passé et des souvenirs :

  • 37 Entretien avec F. B., riveraine de la décharge.

C’était quand même un tas d’ordures devant ma fenêtre. Les fins de semaine étaient terribles quand les gens venaient trier [les déchets]. Il y en avait partout [des ordures], ou encore au départ, ça faisait impressionnant, pendant dix ans on a vécu dans la décharge […]. Maintenant on peut dire « notre beau quartier », car on l’a tellement vu dans un état lamentable à cause de cette décharge, que maintenant il est beau.37

53Si l’emplacement de la décharge limitait les possibilités d’agrandissement – l’installation a été créée sur le fond d’un vallon entre deux collines, aujourd’hui très proche des maisons – la certitude que la décharge allait être fermée reposait également sur des attentes, sur le rôle joué par les nouvelles dispositions juridiques nationales et européennes en matière de déchets. La loi de 1992 préconisait à partir de 2002 la seule acceptation des déchets ultimes dans des centres de « stockage » ; l’arrêté de 1997 établissait des conditions d’exploitation très strictes.

54D’ailleurs, cette interprétation des effets de l’application de la nouvelle loi sur les déchets est un point de controverse entre les élus, le gestionnaire et les associations environnementalistes. Pour ces dernières, la limitation de la mise en décharge aux seuls déchets ultimes, en 2002, ne signifie pas la disparition des centres d’enfouissement, maillon essentiel du cycle de gestion des déchets, mais leur aménagement selon des règles plus strictes de contrôle des risques et des impacts sanitaires et environnementaux. Au sein du deuxième plan départemental d’élimination des déchets, de nombreux débats se sont tenus au sujet de la difficulté de construire des accords autour de la définition de déchet ultime. Tout se passe comme si la dimension évolutive du déchet contenue dans sa définition juridique (« qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment ») imprime à sa gestion une instabilité qui vient renforcer les conflits entre acteurs.

55Par ailleurs, l’assurance de la fermeture de la décharge est renforcée par la confiance dans l’évolution des politiques environnementales. Dans cette optique, le renforcement des préoccupations sociétales pour la protection de la santé et de l’environnement ne pouvait que jouer en leur faveur. Les extraits de l’entretien suivant récapitulent bien ces arguments :

  • 38 V. D., riveraine de la décharge.

On avait l’idée que l’Europe allait faire cesser les centres d’enfouissement ; du moins qu’elle saurait gérer et contrôler différemment ; […] depuis qu’elle a été créée il y a d’énormes problèmes ; [la décharge] était sauvage au départ et tout le temps qu’elle était sauvage c’était les pompiers qui étaient là constamment, les incendies dans le quartier, c’est mémorable. Je suis d’ici, il y avait tout un tas de trucs qui brûlaient et des gens qui venaient récupérer, et après la ville de Vienne a dit : « Ça va être la décharge », à cette époque-là on disait pas centre d’enfouissement.38

  • 39 Par exemple le non-respect de la directive de 2009 concernant la réduction progressive des déchets (...)

56Dans le cas de Vienne, l’avis défavorable émis par le commissaire enquêteur sur le projet d’extension et d’affouillement met en évidence plusieurs de ces aspects temporels associés à la gestion des déchets. Tout d’abord, l’écart entre l’évolution de la législature en matière de sécurité et son application à des équipements anciens ; ensuite, le flou laissé par la législation au regard de la définition juridique de déchet ultime qui finalement permettait de prolonger la mise en décharge de déchets ménagers ou mal triés ; et finalement, l’influence de la jurisprudence européenne – de plus en plus contraignante pour les législations des États membres – sur la gestion locale des déchets39.

Conclusion

57Une mise en regard de deux cas permet de mettre en évidence que la gestion politique des dossiers techniques est marquée par une forme traditionnelle de conception de l’action publique dans laquelle les élus et les techniciens se réservent la prise de décision. Les processus décisionnels, qui ont accompagné le choix de l’extension dans un cas et de l’ouverture dans l’autre, ont été mis en place sans tenir compte ni des avis défavorables des instances concernées (commissaires enquêteurs à Vienne, direction départementale des Affaires sanitaires et direction départementale de l’Agriculture et de la Forêt à Izeaux) ni de l’opposition des populations. À Vienne la protestation contre une augmentation des nuisances de l’installation et la mobilisation pour une décharge plus contrôlée se transforma au fil du temps et des événements politiques en une opposition non seulement au projet d’extension mais également à la présence même de l’installation, jusqu’à conduire au récent arrêt de son exploitation par une décision de la préfecture de non-conformité à la législation en vigueur, confirmée en justice. À Izeaux, l’opposition à la création d’un centre d’enfouissement de déchets industriels banals est immédiate, dès la réalisation de l’enquête publique, d’abord de la part des riverains, auxquels se sont rapidement associés les élus des mairies et de deux départements concernés.

58Les arguments mobilisés dans les deux cas pour contrer les projets portent d’abord sur les impacts environnementaux et sanitaires : dans le cas de Vienne ces derniers acquièrent une portée plus concrète de par la présence de l’installation ; à Izeaux ils sont évoqués en référence à une crise sanitaire ancienne, celle de Montchanin. Si dans le cas d’Izeaux c’est la présence d’une nappe phréatique très étendue et très superficielle et les risques de sa contamination qui sont au cœur du refus, à Vienne c’est l’aggravation des conditions de vie à proximité de la décharge et les conditions d’exploitation de l’installation, jugées non conformes à la réglementation en vigueur par les riverains, qui sont affichées.

59Les références au territoire et à ses qualités singulières viennent renforcer l’argumentaire des opposants. Par ailleurs, la valorisation de la qualité du site passe par un rappel de l’existence de qualifications instituées. Si ce qui est perçu comme une atteinte à un territoire de vie est le point de départ des protestations, les opposants changent rapidement d’échelle de protestation, en ce qui concerne les arguments brandis et les espaces concernés. S’agissant de l’espace, ce n’est pas le quartier de Saint-Alban mais la ville de Vienne dans son ensemble qui sera affectée par les nuisances associées à cet équipement ; de la même manière, c’est toute la région de la Bièvre et de la Valloire et son économie vouée au tourisme qui seront condamnées par la décharge d’Izeaux. À Vienne, la perspective de l’extension touche également la dimension temporelle : c’est non seulement le destin des riverains qui est en jeu mais aussi celui des générations futures. La portée de la mobilisation prend de l’ampleur. À Vienne, il ne s’agit plus simplement de s’opposer au projet d’extension mais de participer au débat sur la gestion locale des déchets dans un cadre de référence de la mobilisation national et européen (respect de normes, pourcentage de collecte séparative, de valorisation) et de participer à la gestion de la chose publique en général.

60Dans les deux cas, le recours au contentieux joue un rôle central dans la temporalité des processus de décision et se constituera comme une arène décisive pour la résolution de la controverse dans le cas de Vienne. Dans le cas d’Izeaux, une tension entre le champ politique et le champ juridique semble s’installer et alimenter le conflit, mais dans les deux cas la loi semble suivre son cours.

61Dans ce même ordre de réflexions, au croisement entre la dimension temporelle et le recours au droit, ce que les deux cas montrent également c’est une tension entre les différentes temporalités juridiques associées aux équipements de traitement des déchets du fait des évolutions techniques et législatives. Cette évolution permanente et rapide du cadre législatif représente un point faible de la gestion et rend les équipements fragiles face aux revendications de conformité aux normes en vigueur. Tout se passe comme si l’évolution rapide du cadre juridique avait du mal à s’imposer comme un élément du contexte décisionnel, à tel point que les échéances réglementaires pour la mise aux normes des installations peuvent faire l’objet « d’un oubli » comme à Vienne et dans d’autres cas que nous avons identifiés dans le département – élément qui semble confirmer l’hypothèse d’une mauvaise communication sur l’évolution du droit de la part des agences compétentes.

62La nécessité d’installations et les difficultés rencontrées pour la création de nouveaux équipements conduisent parfois à maintenir en fonction des équipements anciens (la décharge de Vienne) conçus dans des régimes techniques moins performants et des cadres législatifs moins contraignants. Ces types d’équipements font souvent l’objet de plaintes et sont menacés d’obsolescence de par leur incapacité à suivre les évolutions des législations.

  • 40 Entre 2000 et 2008, la presse locale donne une couverture de la contestation se concrétisant en un (...)

63En matière d’actions, dans les deux cas la mobilisation se décline selon différentes modalités : troubles à l’ordre public (manifestations dans la rue, blocage de TGV ou d’installations dans la Bièvre), production d’informations pour le public (tracts, création de sites internet). L’accès aux médias locaux est déterminant pour les opposants aux projets dans la mesure où la presse joue un rôle clé dans la construction d’un espace local et régional de débat. À Vienne les journaux locaux consacrent à la contestation riveraine plusieurs articles40. Ces diverses actions sont engagées à des moments particuliers (tenue d’une enquête publique, rendus de jugement, arrêtés préfectoraux, échéances électorales) et mettent en lumière la maîtrise par les opposants des temporalités de l’action collective ainsi que leur capacité à éloigner leur opposition de la qualification de NIMBY et à investir les dossiers techniques. La participation à la mobilisation est vécue par les habitants comme une forme d’engagement dans les débats qui concernent leur quotidien et leur cadre de vie. Dans ce processus d’engagement, les habitants mobilisés développent et assemblent des connaissances et des compétences dans différents domaines qui leur permettent de débattre et de juger sur des sujets qui les concernent – des compétences propres à ce qu’on pourrait appeler la qualité de citoyen dans la mesure où celles-ci ont trait à la gestion de la chose publique. À l’époque, « le citoyen n’a pas fait son travail » déclare une riveraine lorsqu’elle raconte n’avoir pas participé à la première enquête publique sur la décharge dans les années 1980 à Vienne. « Nous ne voulons pas subir sans avoir notre droit de regard de citoyen », affirme le président du comité d’Izeaux. Ces compétences se nourrissent du contact avec les représentants de l’action publique, de l’expérience du droit, de la mobilisation et l’engagement politique (Bourdin et al. 2006).

64Dans un contexte de perte de crédibilité de la science vis-à-vis de la gestion de situations considérées à risque (Douglas 1992 ; Whatmore 2011), l’expertise scientifique, détenue par les services de l’État et les techniciens des syndicats de gestion, ne parvient pas à rassurer ou à désamorcer les conflits et est en permanence remise en cause par les opposants.

65Ainsi, l’analyse des deux cas montre-t-elle également de profondes différences. Tout d’abord concernant l’ampleur de la mobilisation : à Vienne c’est une association locale de moins de cent personnes et les actions légales d’individus insérés dans des réseaux nationaux qui arrivent à faire annuler le projet d’extension de la décharge porté par les élus locaux ; à Izeaux, en revanche c’est un large collectif d’associations d’habitants, d’associations de protection de l’environnement et d’élus qui s’oppose à un projet porté par la préfecture. De la même manière, le rapport entre les associations d’habitants et les associations de protection de l’environnement diffère notablement dans les deux cas. Alors qu’à Vienne, on observe une tension entre rivalité et, dans une moindre mesure, collaboration sur un territoire assez circonscrit, dans le cas d’Izeaux on constate une coopération stricte qui conduit à la création d’une seule organisation pour toute la plaine de la Bièvre.

  • 41 Le Dauphiné libéré, 28 janvier 2012, p. 7.

66Aujourd’hui, à Vienne, seules les activités de la déchetterie se déroulent sur le site. En 2012 le maire de Vienne avait déclaré dans la presse locale que le dossier était clos et qu’il ne souhaitait pas une réouverture du centre d’enfouissement. En 2014 le conseil municipal a voté la cessation d’activité. En septembre de la même année, un arrêté du préfet a fixé les prescriptions techniques pour la fin des activités sur le site et les conditions de post-exploitation.41

67Si les conflits de Vienne et Izeaux ont ouvert d’autres scènes de conflit, dans la mesure où les autorités publiques ont été obligées de prospecter d’autres sites possibles pour installer les nouveaux équipements, leur généralisation dans le département (tant contre les centres d’enfouissement que contre les incinérateurs) semble avoir plusieurs effets. D’abord, on l’a dit, une application plus stricte de la réglementation. Ensuite, un agrandissement ou une extension temporelle d’équipements existants (l’incinérateur de Bourgoin-Jallieu, les sites d’enfouissement de Saint-Quentin-sur-Isère ou Satolas-et-Bonce par exemple) ont été rendus nécessaires. Par ailleurs, des solutions techniques alternatives (« vide de fouille » à Penol, dans la plaine de la Bièvre) ont été expérimentées. On a noté également une plus ample participation du public dans les processus de planification et l’instauration de dispositifs de suivi et de concertation locale.

Figure 3. Schéma synoptique du conflit de Vienne

Figure 3. Schéma synoptique du conflit de Vienne

Figure 4. Schéma synoptique du conflit d’Izeaux

Figure 4. Schéma synoptique du conflit d’Izeaux

Notes

1 Aujourd’hui la ville, essentiellement tertiaire, jouit d’une activité commerciale et culturelle notable grâce à ses vestiges romains et au festival international de jazz qui se tient au début de l’été. Depuis 2002, elle est au cœur de la communauté d’agglomération des pays viennois (CAPV), qui regroupe une population de 70 000 habitants et 18 communes des départements de l’Isère et du Rhône.

2 Cette grande plaine agricole est un bassin de vie reliant la région grenobloise à la vallée du Rhône dont la particularité est d’être organisée à partir d’un réseau de bourgs de moyenne importance.

3 Les déchets industriels banals (DIB), aujourd’hui renommés déchets industriels non dangereux (DIND), sont tous les déchets qui ne sont pas générés par des ménages et qui ne sont ni « dangereux » ni inertes. S’ils ne sont pas « dangereux », ceux-ci peuvent se décomposer, brûler, fermenter ou encore rouiller.

4 Le site en question devait s’étendre sur 21 hectares et permettre l’enfouissement de 3 millions de mètres cubes de déchets pendant vingt-deux ans.

5 Lors de la révision du deuxième plan, en 2008, le conseil général, suite à la demande des associations, a souhaité mettre en place un observatoire des déchets dont l’objectif est le suivi du plan.

6 D’abord intitulé « plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés » ou PDEDMA, leur appellation a été changée depuis 2011 en « plan départemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux » ou PDPGDND, pour donner une plus grande place à la prévention.

7 Par arrêté inter-préfectoral, puisque la nappe est partagée par les deux départements de l’Isère et de la Drôme.

8 Entreprise Morillon Corvol achetée en 2008 par la société multinationale mexicaine CEMEX.

9 D’ailleurs, l’entreprise exploitant la carrière, qui jouxte le site de la décharge, a partagé la préoccupation des riverains pour la présence de cet équipement.

10 En 2011 ce centre d’enfouissement a fait l’objet d’une opération « vide de fouille » afin d’étendre sa durée de vie. Cela consiste a rouvrir les casiers du site pour récupérer les matériaux recyclables et ainsi gagner de l’espace utile.

11 Le SYVROM est aujourd’hui composé de 29 communes contre 11 en 1984, lors de sa création.

12 Toutefois la création du Comité d’Izeaux pour la défense de la qualité de vie et la mobilisation de l’époque n’avait pas empêché la mise en fonction de l’usine.

13 La vallée de Bièvre-Valloire est une ancienne vallée creusée au tertiaire (ancien cours de l’Isère) et remblayée au quaternaire par les glaciers alpins qui ont emprunté cette dépression par des formations morainiques et surtout des alluvions fluvio-glaciaires qui constituent un important réservoir d’eau souterraine. Voir Espinasse 1949.

14 Gentiana, Flavia ou Gère Vivante.

15 À Vienne les acteurs publics, communauté d’agglomération et commune, ont recours au contentieux contre les résidents mobilisés en déposant deux plaintes contre X pour diffusion de fausses nouvelles contenues dans des tracts distribués lors d’une manifestation et après un incendie survenu sur la décharge.

16 Le premier est retiré par la suite par l’exploitant car celui-ci n’avait pas la maîtrise sur les 200 mètres d’emprise au sol et à cause de la hauteur des casiers. Les autres recours ont été présentés contre : deux délibérations du SYVROM (pour l’extension de la décharge et la déclaration de projet d’intérêt général) ; le plan local d’urbanisme qui a changé l’usage du sol d’un certain nombre de parcelles dans le secteur de la décharge ; la station de transit des déchets autorisée et construite en 2007 pour faciliter le transfert des déchets et enfin contre le deuxième plan départemental d’élimination des déchets ménagers.

17 Arrêté 89-773 du 28 février 1989.

18 Ministère de l’Environnement en 1990, département à partir des années  quatre-vingt-dix1990 et communes de la plaine depuis le début du conflit.

19 Arrêté 90-4562 du 22 septembre 1990. D’ailleurs l’hydrologue qui à l’époque avait réalisé l’étude hydrologique a par la suite rejoint le mouvement d’opposition en reconnaissant l’existence d’une nappe très étendue.

20 Article 24 du décret 77 du 21 septembre 1977 relatif aux installations classées pour la protection de l’environnement : « L’arrêté d’autorisation cesse de produire effet lorsque l’installation classée n’a pas été mise en service dans le délai de trois ans ou n’a pas été exploitée durant deux années consécutives, sauf le cas de force majeure péremption. »

21 Arrêté 97-3148 du 23 mai 1997.

22 Une décharge de classe III reçoit des déchets inertes (déchets du bâtiment et des travaux publics, terres, gravats, déchets de démolition, etc.), alors que les déchets de classe II sont des déchets ménagers et assimilés et des déchets industriels banals.

23 Notes de plaidoiries Lély c/ M.P FRAPNA – Comité d’Izeaux.

24 Un document du conseil général avançait le chiffre indicatif de 1 ou 2 millions par an.

25 Entretien avec G. O., association Objectif Zéro Déchet.

26 Entretien avec S. S., FRAPNA.

27 Entretien avec R. D. S., conseil général d’Isère.

28 Entretien avec G. R., comité d’Izeaux pour la qualité de vie.

29 Entretien avec R. D. S., conseil général d’Isère.

30 Dans la mémoire collective, « l’affaire de Montchanin » est très vive et représente pour les riverains une catastrophe à laquelle ils pourraient être confrontés. Montchanin, petite commune de 6 000 habitants du département de Saône-et-Loire, avait été lourdement pollué par la présence de déchets toxiques enfouis sans précautions particulières dans la décharge municipale. L’exploitation de l’installation qui avait reçu pendant plus de dix ans 800 000 tonnes de déchets industriels spéciaux (à l’époque certains considéraient que des fûts de l’accident de Seveso avaient été enfouis illégalement dans cette décharge) fut suspendue en 1987 et sa fermeture décrétée par le Premier ministre deux ans plus tard.

31 À Gilly-sur-Isère un incinérateur des années 1960, modernisé dans les années 1980, fut fermé après une forte mobilisation des riverains car dans la zone et dans les produits agricoles (lait et viande notamment) des taux de dioxine très supérieurs aux normes avaient été retrouvés ; une augmentation des cas de cancer autour de l’usine avait également été identifiée par les médecins.

32 Entretien avec un fonctionnaire du conseil général d’Isère.

33 Cet incinérateur a en effet fait l’objet d’une initiative qui est considérée comme « pilote » et « unique » par le conseil général. L’objectif de cette « démarche de concertation » telle qu’elle est présentée par le syndicat est de devancer en matière de participation, de transparence et d’information les exigences réglementaires nationales et locales (arrêtés de septembre 2002 et arrêtés préfectoraux de 2006, 2008 et 2009 liés à l’installation) et d’établir un cadre de suivi environnemental sur la durée.

34 Entretiens avec M. M. et V. D., riveraines de la décharge de Saint-Alban.

35 Entretien avec M. M., riveraine de la décharge.

36 Entretien avec G. C., riverain de la Balme.

37 Entretien avec F. B., riveraine de la décharge.

38 V. D., riveraine de la décharge.

39 Par exemple le non-respect de la directive de 2009 concernant la réduction progressive des déchets fermentescibles mis en décharge. La réduction devrait correspondre à 75 % en 2004, 50 % en 2007 et à 35 % en 2014.

40 Entre 2000 et 2008, la presse locale donne une couverture de la contestation se concrétisant en une cinquantaine d’articles, avec un pic d’information entre 2003 et 2006 autour de moments clés de la mobilisation, notamment dans le Dauphiné libéré.

41 Le Dauphiné libéré, 28 janvier 2012, p. 7.

Table des illustrations

Titre Figure 1. Conflits et infrastructures de traitement des déchets dans le nord de l’Isère
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/6026/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 696k
Titre Figure 2. Dimension territoriale de la mobilisation à Izeaux
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/6026/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 658k
Titre Figure 3. Schéma synoptique du conflit de Vienne
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/6026/img-3.jpg
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Titre Figure 4. Schéma synoptique du conflit d’Izeaux
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/6026/img-4.jpg
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Auteur

Claudia Cirelli a une formation en anthropologie et un doctorat en géographie. Ses recherches ont porté sur deux thématiques : la gestion de l’eau et la gestion des déchets, analysées notamment à la lumière des enjeux territoriaux et des situations de conflit. Dans les deux cas, sur des terrains mexicains puis français, elle a construit des questionnements sur les dimensions sociales et territoriales des phénomènes étudiés. Elle est actuellement chargée de recherche à l’UMR CITERES, CNRS-Université de Tours.

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