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Mary Wollstonecraft : aux origines du féminisme politique et social en Angleterre

La réception de l'œuvre de Mary Wollstonecraft

Margaret Fuller and Mary Wollstonecraft (1855)

George Eliot
Traduction de Nathalie Zimpfer

Texte intégral

  • 1 M. Fuller (1810-1850) : féministe américaine et première femme journaliste à travailler pour un gr (...)

1Il y a aujourd’hui pénurie d’ouvrages nouveaux, ce qui nous donne le temps de nous tourner vers des livres moins récents qui n’ont jusque-là suscité que peu d’attention ; parmi ceux-ci, nous voudrions parler de la dernière édition de La femme au dix-neuvième siècle, par Margaret Fuller,1 car il nous semble qu’elle a été injustement reléguée au second plan par des productions moins complètes et moins impartiales portant sur le même sujet. Hormis quelques fautes de goût, ainsi qu’une espèce de vague spiritualité et une certaine grandiloquence qui caractérisent tous les auteurs américains, excepté les meilleurs d’entre eux, il s’agit là d’un bon livre : il est parcouru par l’enthousiasme d’une nature pleine de noblesse et de compassion, auquel viennent s’ajouter la modération, l’ampleur et la largeur de vues d’un esprit vigoureux et cultivé. […] Il est intéressant de comparer cet essai de Margaret Fuller, dont la première publication date de 1843, avec un ouvrage sur la place des femmes écrit il y a de cela soixante ou soixante-dix ans : nous voulons parler des Droits de la femme de Mary Wollstonecraft. La rédaction de cet ouvrage fut interrompue à la fin du premier volume, mais, même si le sujet n’est que partiellement traité, la comparaison, du moins si l’on considère la grande sensibilité et la noblesse des considérations morales, n’est pas du tout au désavantage de celle des deux femmes qui vécut au siècle dernier. Il existe dans certains cercles un vague préjugé à l’encontre des Droits de la femme, qui veut que cet ouvrage ait quelque chose de répréhensible, mais les lecteurs qui l’abordent avec cette idée en tête seront surpris de constater qu’il s’agit d’un livre extrêmement sérieux, à la morale sévère, et, partant, assez indigeste ; peut-être d’ailleurs est-ce là la véritable raison qui explique qu’aucune édition n’ait paru depuis 1796 et qu’il soit à présent assez rare. Les deux ouvrages présentent plusieurs points de ressemblance, ainsi que des différences frappantes. Tous les deux témoignent d’une belle intelligence ; mais l’esprit de Margaret Fuller ressemblait à certaines régions du continent américain qui l’a vue naître, où l’on va sans cesse de « clairières » ensoleillées à la pénombre mystérieuse de la forêt broussailleuse : elle passe souvent dans un seul souffle de raisonnements vigoureux à de vagues rêveries. En outre, sa culture inhabituellement vaste lui confère un grand talent lorsqu’il s’agit d’illustrer son propos. Mary Wollstonecraft, au contraire, est avant tout un esprit rationnel ; elle n’a aucune érudition, et nulle fantaisie ne vient égayer ses pages pleines de gravité. Chez les deux auteurs l’on discerne, sous l’allure courageuse qui indique une nature forte et honnête, le battement d’un cœur de femme aimant, qui leur enseigne à ne mépriser ni les tâches domestiques les plus humbles, ni la bonté. Mais Margaret Fuller, dotée d’une sensibilité passionnée, est davantage une femme de littérature, qui n’aurait pu se passer des productions de l’esprit, tandis qu’il nous semble que Mary Wollstonecraft n’écrivait pas pour le plaisir d’écrire, mais poussée par d’autres motifs. Au-delà des différences dues à l’écart dans le temps qui sépare les deux ouvrages, leurs réflexions sont d’une ressemblance frappante et, à dire vrai, toutes les idées importantes des Droits de la femme, à l’exception de celle qui préconise d’associer l’éducation à la maison à une éducation dans un externat commun aux garçons et aux filles, se retrouvent dans le texte de Margaret Fuller. […]

2Tant Margaret Fuller que Mary Wollstonecraft ont trop de jugement pour tomber dans une outrance sentimentale. Leurs ardents espoirs quant au devenir des femmes ne les empêchent pas de voir et de dépeindre les femmes comme elles sont.

Notes

1 M. Fuller (1810-1850) : féministe américaine et première femme journaliste à travailler pour un grand journal, New York Tribune, à partir de 1844.

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