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Mary Wollstonecraft : aux origines du féminisme politique et social en Angleterre

La réception de l'œuvre de Mary Wollstonecraft

Introduction

Texte intégral

  • 1 H. Walpole, The Letters of Horace Walpole, P. Toynbee éd., Oxford, Oxford University Press, 1903-1 (...)

1« Hyène en jupons » ou « Jeanne d’Arc » des temps modernes : pour excessives qu’elles soient, ces deux formules n’en sont pas moins représentatives des réactions à la fois extrêmes et opposées que suscita Mary Wollstonecraft de son vivant et bien plus tard encore.1 Le caractère révolutionnaire de la pensée de Wollstonecraft ne suffit pas à lui seul à expliquer la diabolisation dont elle fit bien souvent l’objet et c’est vers son mari, le philosophe William Godwin, qu’il faut se tourner pour comprendre la genèse du climat passionnel qui entoura la réception de l’œuvre de la mère du féminisme anglais.

  • 2 Cité par E. W. Sunstein, Mary Shelley : Romance and Reality, Baltimore, The Johns Hopkins Universi (...)

2Le poète romantique Robert Southey (1774-1843) disait de lui qu’il avait « mis son épouse défunte à nu » en écrivant sa biographie de manière aussi franche.2 De fait, rarement hommage passionné aura eu d’aussi funestes conséquences. Selon la légende, moins d’une semaine après le décès de son épouse, il se lançait dans la rédaction des mémoires de celle-ci. Mais après la parution de Memoirs of the Author of a Vindication of the Rights of Women, en 1798, il se trouva bien peu de femmes pour oser soutenir ouvertement une consœur qui, apprenait-on, avait eu une aventure avec une homme marié, dont elle avait eu une fille, avait tenté par deux fois de mettre fin à ses jours à une époque où l’Église anglicane définissait le suicide comme un péché et vécu avec un autre homme bien avant leur mariage. Qui plus est, celle-ci, affirmait-il, avait refusé d’invoquer Dieu alors qu’elle était à l’article de la mort. La presse populaire se livra alors à une véritable diabolisation de Wollstonecraft, n’hésitant pas à dépeindre celle-ci sous les traits d’une prostituée impie ; les effets de cette campagne de dénigrement perdurèrent jusqu’à la fin du xixe siècle.

  • 3 V. Woolf, « Four Figures », The Common Reader, p. 163.

3Il fallut attendre la fin du xixe siècle et l’essor du féminisme anglo-saxon pour voir Wollstonecraft réhabilitée par la critique qui, délaissant les vicissitudes de sa vie privée, fit d’elle une figure de proue du féminisme. En 1890, la féministe Millicent Garrett Fawcett (1847-1929) avait publié une nouvelle édition de A Vindication of the Rights of Woman, assortie d’une longue introduction, qui permit de redonner une légitimité certaine à Wollstonecraft. En 1929, Virginia Woolf décrivait la remarquable « forme d’immortalité » qu’avait acquise celle qu’elle considérait comme la pionnière des droits de la femme : « Elle est vivante et active, elle débat et expérimente, nous entendons sa voix et percevons son influence encore aujourd’hui parmi les vivants. »3

  • 4 R. M. Wardle, Mary Wollstonecraft : A Critical Biography, p. 341.
  • 5 E. Goldman, « Mary Wollstonecraft : Her Tragic Life and Her Passionate Struggle for Freedom », dan (...)

4Enfin, depuis quelques décennies, Wollstonecraft n’est plus seulement envisagée comme la « mère du féminisme anglo-saxon », mais a accédé au statut de penseur politique de plein droit, au même titre qu’Edmund Burke ou Thomas Paine. Pourtant, les effets délétères de cet intérêt plus ou moins malsain pour la vie de Wollstonecraft perdurent jusqu’à aujourd’hui, au point que l’auteur de la première biographie sérieuse de Wollstonecraft, Ralph Wardle, soutenait que pour une seule personne qui avait lu A Vindication of the Rights of Woman, des « dizaines » avaient été enthousiasmées par le courage et l’idéalisme de leur auteur sans l’avoir jamais lue.4 Mais c’est avec l’anarchiste américaine Emma Goldman (1869-1940), qui se passionnait pour la « vie tragique » de Wollstonecraft et pour « son combat passionné pour la liberté », que cette tendance atteint son apogée : « Quand bien même Mary Wollstonecraft n’aurait pas écrit une seule ligne, sa vie fournirait matière à réflexion », affirmait-elle.5

5Les extraits qui suivent sont de nature et de longueur variées. Pourtant, tous sont représentatifs de la manière dont Wollstonecraft fut perçue, quoique de manière différente : aux propos nuancés s’opposent les jugements lapidaires, et les analyses tentant de saisir un être humain dans toute sa complexité voisinent avec les portraits réducteurs préférant la censure à l’explication. L’intérêt de ces textes réside également dans leur double juxtaposition diachronique et synchronique : sont ainsi présentés des extraits datant de la même époque, mais offrant des jugements diamétralement opposés sur l’œuvre et la vie de Mary Wollstonecraft, afin de donner la plus juste image d’une réception aussi complexe que diverse.

Notes

1 H. Walpole, The Letters of Horace Walpole, P. Toynbee éd., Oxford, Oxford University Press, 1903-1905, vol. XV, p. 337 ; cité par E. Robins Pennell, Life of Mary Wollstonecraft, Boston, Roberts Borthers, 1884, vol. I, p. 33.

2 Cité par E. W. Sunstein, Mary Shelley : Romance and Reality, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1991 [1989], p. 19.

3 V. Woolf, « Four Figures », The Common Reader, p. 163.

4 R. M. Wardle, Mary Wollstonecraft : A Critical Biography, p. 341.

5 E. Goldman, « Mary Wollstonecraft : Her Tragic Life and Her Passionate Struggle for Freedom », dans Mary Wollstonecraft, A Vindication of the Rights of Woman, C. H. Poston éd., 2e édition, New York, Norton, 1988, p. 256.

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