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L’école et la nation

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Benoît Falaize
, 
Charles Heimberg
, 
Olivier Loubes

8. Les contextes post-coloniaux

Place de "l'héritage impérial" dans l'enseignement de l'histoire

Laurent Wirth

Texte intégral

  • 1 Programme de troisième applicable à la rentrée de 1971 et programme de terminale applicable à la re (...)

1Le fait colonial était très présent dans l’enseignement scolaire de l’histoire aux temps glorieux de l’empire français, comme l’a expliqué Marie-Albane de Suremain. L’exaltation de la « plus grande France » pouvait notamment se lire sur les cartes murales qui ornaient les salles de classe et dans les manuels décrivant l’œuvre civilisatrice de la « patrie des droits de l’homme ». Une telle vision ne pouvait plus avoir cours quand s’est affirmée la décolonisation, ce fait essentiel du second xxe siècle qui est entré dans les programmes de l’enseignement secondaire depuis une quarantaine d’années.1

2Quelle est la place aujourd’hui de « l’héritage impérial » dans l’enseignement de l’histoire au collège et au lycée ?

Place de « l’héritage impérial » dans les nouveaux programmes : continuité et nouveautés

  • 2 Publiés en 2008 pour le collège, 2009 pour les lycées professionnels, 2010-2011 pour les séries gén (...)

3L’examen des nouveaux programmes d’histoire des collèges et des lycées2 est révélateur.

4L’étude de la colonisation et de la décolonisation occupe toujours une place importante dans ces nouveaux programmes, particulièrement dans les classes de 4e, 3e, 1re des séries générales et terminale professionnelle. Ils se situent de ce point de vue dans la continuité des programmes qui se sont succédé depuis un demi-siècle.

5Mais ces nouveaux programmes comportent cependant un certain nombre de nouveautés sur ce plan.

  • 3 Programme d’histoire de la terminale S défini par l’arrêté du 30 juillet 2002.
  • 4 Arrêté du 21 juillet 2010.

6L’une d’entre elles n’est pas à proprement parler une nouveauté car la piste avait été ouverte dans le cadre des programmes précédents pour la terminale de la seule série S.3 Il s’agit de l’étude liée de la colonisation et de la décolonisation. Cette nouveauté, dont la mise en œuvre a été un succès en terminale S, a maintenant été généralisée à toutes les séries générales dans le cadre du nouveau programme de la classe de 1re de ces séries.4

  • 5 BO spécial no 6 du 28 août 2008.
  • 6 Arrêté du 8 avril 2010.

7L’approche de civilisations précoloniales est une autre nouveauté qui n’en est pas vraiment une, dans la mesure où les programmes dits « Braudel », entrés en vigueur au début des années 1960, avaient introduit une telle approche en terminale. Mais ce que Braudel avait appelé la « grammaire des civilisations » s’était heurté à une telle résistance à l’époque que cette partie du programme avait été progressivement retirée des programmes du baccalauréat et avait été de ce fait abandonnée. Cette dimension est de nouveau ouverte avec l’introduction dans les programmes de cinquième de l’étude d’« une civilisation de l’Afrique subsaharienne au choix parmi les suivantes : l’empire du Ghana (viiie-xiie siècle), l’empire du Mali (xiiie-xive siècle), l’empire Songhaï (xiie-xvie siècle), le Monomotapa (xve-xvie siècle) »5, et dans ceux de seconde avec celle d’« une cité précolombienne confrontée à la conquête et à la colonisation européenne »6.

8L’étude des traites négrières et de l’esclavage n’était certes pas absente des programmes précédents, mais sa place est maintenant affirmée de façon beaucoup plus explicite dans les nouveaux programmes de cinquième (« Les traites orientale, transsaharienne et interne à l’Afrique noire : les routes commerciales, les acteurs et les victimes du trafic »), de quatrième (« La traite atlantique dans le cadre du commerce triangulaire et de l’économie de plantation, inscrite dans le contexte général des traites négrières », « L’abolition de l’esclavage en 1848 »), de seconde générale et technologique (« Les abolitions de la traite et de l’esclavage et leur application ») et de seconde professionnelle (« Nantes et Bordeaux et le commerce triangulaire » ; « Une plantation »).

9La place de l’histoire de l’immigration est maintenant nettement affirmée : en troisième (étude de « l’histoire d’un siècle d’immigration en France »), en seconde (étude de « l’émigration d’Européens vers d’autres continents au xixe siècle » qui permet de montrer que l’Europe a été un continent d’émigration avant de recevoir à son tour des migrants), et en première des séries générales (« l’immigration et la société française au xxe siècle »).

La question de la mise en œuvre

10On ne peut se borner à un simple examen des dimensions nouvelles des programmes d’histoire du secondaire, il faut se préoccuper de leur mise en œuvre. Cela est d’autant plus important que certaines questions, outre leur nouveauté, peuvent être considérées comme « sensibles » et nécessitent d’autant plus un accompagnement. Les études de la colonisation et de la décolonisation, qui ne sont pas nouvelles, étaient déjà des questions « socialement vives » comme l’ont montré notamment :

  • les polémiques autour de l’enseignement de la guerre d’Algérie à la suite des déclarations du général Aussaresses en 2000, qui avaient amené le ministère de l’Éducation nationale à organiser une université d’été en 2001 consacrée à cet enseignement7 ;
  • celles qui avaient été soulevées par l’article 4 de la loi de février 2005, relatif à « l’enseignement des aspects positifs de la colonisation » ;
  • la plainte déposée la même année par deux associations contre l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, plainte qui avait provoqué une autre polémique autour de la question de l’étude et de l’enseignement des traites négrières et de l’esclavage.

11Tout cela montre combien il est nécessaire de donner aux enseignants des instruments destinés à les aider à traiter ces questions. De ce point de vue plusieurs éléments sont à prendre en compte :

  • des journées nationales et académiques de formation sur les nouveaux programmes ont été organisées par les corps d’inspection ;
  • des fiches ressources pour traiter les différents programmes, et notamment ces questions, proposant des pistes problématiques, signalant les pièges à éviter et donnant des indications documentaires, sont en ligne sur le site de la Direction générale de l’enseignement scolaire Eduscol ;
  • on peut trouver également sur Eduscol un site dédié aux ressources pour l’enseignement des traites et de l’esclavage ;
  • des contacts ont été pris avec les partenaires (CNDP, CRDP, TDC, Documentation photographique,en vue de susciter des publications sur les questions nouvelles, dont celles qui nous intéressent ici ;
  • un portail numérique disciplinaire d’histoire et de géographie est opérationnel sur Eduscol depuis la rentrée 2011 et on y retrouve toutes les ressources concernant ces questions ;
  • des contacts précoces ont été pris avec le SNE (Syndicat national des éditeurs) afin de transmettre, par son intermédiaire, à tous les auteurs de manuels des indications leur permettant de bien cerner les nouvelles questions.

12La place de « l’héritage impérial » dans les nouveaux programmes n’est pas nouvelle mais elle comporte des approches qui n’étaient pas ou peu présentes jusqu’alors.

13On ne peut plus d’ailleurs se contenter de parler de la place d’un « héritage impérial » dans la mesure où, dans ces nouveaux programmes, des regards sont portés sur des civilisations précoloniales en amont de la colonisation (« Regards sur l’Afrique » en cinquième par exemple).

14Quant à l’étude de « l’héritage impérial » proprement dit, elle n’est plus, depuis un demi-siècle, placée sous le signe de la glorification. La décolonisation est passée par là et les aspects violents de la colonisation et des guerres coloniales sont pris en compte dans l’enseignement. La tentative de 2005 pour prescrire l’étude des « aspects positifs de la colonisation » s’est heurtée à une résistance significative de nombreux historiens et enseignants.

  • 8 Cette pétition a débouché sur la constitution d’une association présidée par Pierre Nora.

15Cette étude ne doit pas être placée pour autant sous le signe de la culpabilisation et de la repentance. L’autre polémique qui a marqué cette même année 2005, concernant les traites négrières et l’esclavage, a débouché sur la pétition « liberté pour l’histoire », soutenue par des historiens de renom8.

16L’histoire n’est pas la mémoire (les mémoires devrait-on dire aujourd’hui) et son enseignement ne consiste pas à inciter à un « devoir de mémoire », d’autant plus que la mémoire se décline au pluriel. Comme l’a dit Pierre Nora, il vaut mieux parler d’un « droit à la mémoire » et d’un « devoir d’histoire ».

  • 9 La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.

17L’histoire comme son enseignement sont avant tout des procédures de vérité et, pour reprendre la belle formule de Paul Ricœur, doivent « permettre de réconcilier les mémoires blessées et aveugles au malheur des autres ».9

Notes

1 Programme de troisième applicable à la rentrée de 1971 et programme de terminale applicable à la rentrée de 1983.

2 Publiés en 2008 pour le collège, 2009 pour les lycées professionnels, 2010-2011 pour les séries générales des lycées.

3 Programme d’histoire de la terminale S défini par l’arrêté du 30 juillet 2002.

4 Arrêté du 21 juillet 2010.

5 BO spécial no 6 du 28 août 2008.

6 Arrêté du 8 avril 2010.

7 Apprendre et enseigner la guerre d’Algérie et le Maghreb contemporain, D. Borne, J.-L. Nembrini et J.-P. Rioux dir., Buc, CRDP de Versailles (Les Actes de la DESCO), 2002.

8 Cette pétition a débouché sur la constitution d’une association présidée par Pierre Nora.

9 La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.

Auteur

Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale

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