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L’école et la nation

 | 
Benoît Falaize
, 
Charles Heimberg
, 
Olivier Loubes

2. Écrire le roman scolaire de la nation : le cas français

« L’Histoire était-elle donc devenue si dangereuse ? »

L’histoire dans L’école et la nation, revue du Parti communiste français, autour de 1974

Vincent Chambarlhac

Texte intégral

Contrepoint. En musique, art de superposer plusieurs lignes mélodiques ; au figuré : motif qui se superpose à un autre.

L’école et la nation, un contrepoint sur École et Nation ?

1Pourquoi L’école et la nation dans le cadre des préoccupations d’un séminaire plutôt centré sur l’histoire de l’éducation ? L’école et la nation est l’une des revues du Parti communiste français (PCF) ; sa parution s’échelonne de 1951 à 1999. Elle s’adresse à un public enseignant militant, où se marque notamment la présence des instituteurs, même si l’assiette de la revue englobe également les enseignants du secondaire. Elle constitue l’une des passerelles du PCF avec le secteur professionnel qu’est l’éducation. Parfois théorique, son propos s’attache davantage à l’examen des « problèmes de l’Éducation nationale ». L’immédiateté politique de son point de vue invite à retourner le questionnement pointé par Antoine Prost lors de ce séminaire : si la nation est bien un concept de politique intérieure dans le cadre révolutionnaire, l’interrogation de la place de l’histoire dans cette revue pédagogique du PCF peut à la fois déboucher :

  • sur l’examen de la nature politique du rôle prêté à l’enseignement de l’histoire dans une perspective communiste d’abord inscrite dans un cadre national ;
  • et, par effet retour, questionner ce discours tenu sur l’histoire à l’aune des reconfigurations épistémologiques et didactiques en cours dans cette décennie qui « digère » 68.
  • 1 Y. Vargas, « Le combat communiste des intellectuels », Nouvelles Fondations, vol. 3, nos 3-4, 2006, (...)

2L’exposé de la conception de l’histoire et des finalités de son enseignement autour de 1974 repère alors autant la spécificité du discours communiste que l’un des moments de son inflexion aux feux du programme commun. Celle-ci, selon une lecture militante et rétrospective tient autant à la « normalisation » de la question intellectuelle au sein de l’espace communiste1 qu’à l’effet de l’horizon gouvernemental de la dynamique du programme commun. Ces logiques trament la réflexion de la revue sur la discipline scolaire qu’est l’histoire. L’histoire enseignée est bien là le lieu d’un discours politique par sa finalité civique, mais il s’agit pour L’école et la nation d’en esquisser les contours, soit de pointer, à l’égard de la « modernité giscardienne » symbolisée par les propositions Haby comme des propositions venues de la gauche du PCF, la nécessité d’une défense de la discipline. Dans ce mouvement semble se déliter une part du système disciplinaire tel qu’envisagé par le PCF, qui prévoit, en bonne orthodoxie républicaine, le lien constant de l’histoire scientifique à l’histoire enseignée. La défense de la discipline apparaît donc là non plus comme l’expression politique d’une analyse des liens école/nation mais comme le refus d’une mutation de l’édifice républicain de l’histoire enseignée, au titre des vertus politiques prêtées à celle-ci. Communistes, n’enseignerait-on plus l’histoire à vos enfants ?

La singularité émondée du discours communiste sur l’enseignement de l’histoire

  • 2 Aujourd’hui l’histoire, Paris, Éditions sociales, 1974.
  • 3 J. Vigreux, « Waldeck Rochet et les intellectuels », Nouvelle Fondation, vol. 3-4, no 3, 2006 p. 13 (...)
  • 4 F. Matonti, Intellectuels politiques. Essai sur l’obéissance politique. La nouvelle critique (1867- (...)
  • 5 J. Louvrier, « Penser la controverse : la réception du livre de François Furet et Denis Richet, La (...)

3L’histoire occupe une place centrale dans la culture communiste, inhérente à l’emploi du matérialisme historique comme à l’inscription du PCF dans le temps long de la nation à l’orée du moment 68, le rapport du PCF à l’histoire mute, s’ouvre à d’autres approches historiographiques. L’enquête organisée par La Nouvelle Critique de 1967 à 1973, publiée en volume sous le titre Aujourd’hui l’histoire en 19742 témoigne d’une inflexion née des débats du Comité central d’Argenteuil (1966).3 Selon Frédérique Matonti, il s’agit alors pour le dispositif intellectuel communiste de déployer un « travail d’acculturation » à la conjoncture historiographique nouvelle, marquée par le succès de la « Nouvelle histoire », le déploiement des thématiques structuraliste et aronienne – celle-ci autour de la Révolution française.4 Cette « acculturation » implique, à côté du registre classique d’une histoire des luttes sociales en France dans une perspective marxiste, un regard renouvelé sur des problématiques historiographiques qui peuvent apparaître concurrentes – ainsi de la controverse née de la réception du Furet/Richet en 19645 – ou naguère « bourgeoises », aujourd’hui affines (le projet braudélien, son dépassement par la « Nouvelle histoire »). L’année 1974 constitue le point de fuite de ce travail engagé dès 1967, affirmé également dans les colonnes de La Nouvelle Critique et de L’école et la nation.

  • 6 Ligue communiste révolutionnaire, L’Internationale communiste et l’école de classe, Paris, Maspero, (...)

4Il prend également place dans la configuration plus large des débats sur l’École où la critique gauchiste se déploie, sous l’égide de la LCR6, des maoïstes de Forum-histoire, ou de mouvements pédagogiques divers. Un groupe de travail se constitue au sein de La Nouvelle Critique sur les problèmes de l’enseignement en 1970. Parallèle au projet du PCF d’impulser une réforme démocratique de l’enseignement, il facilite l’articulation La Nouvelle Critique L’école et la nation. Cette dernière s’offre comme la tribune naturelle de ces réflexions, dès lors qu’elles engagent le rapport du parti aux professions de l’éducation. Les deux revues s’associent pour la publication d’un numéro spécial consacré à la Commune, Expériences et langages de la Commune à l’occasion de son centenaire (1971). Si ce numéro s’inscrit classiquement dans le registre commémoratif des luttes ouvrières, propre à construire et pérenniser une culture militante inscrite dans un récit national de classe, il dénote aussi les inflexions en cours que précise, pour notre propos, le numéro de juin 1971 de L’école et la nation consacrée à Un siècle d’enseignement sous la IIIe République. La description du rapport séculaire de la République à l’enseignement de l’histoire débouche sur une peinture des professeurs (Etya Sorel), des instituteurs (Nadia Michel) qui, depuis un siècle, s’est systématiquement achevée sur les promesses de l’Union de la gauche en matière d’enseignement. L’ubiquiste F. Hincker (régulièrement présent dans les colonnes de La Nouvelle Critique et de L’école et la nation) précise le propos en 1973, lorsqu’il signe l’article « Notre conception de l’enseignement de l’histoire » dont l’analyse décalque des propositions qui seront ensuite davantage développées dans l’introduction à L’Histoire aujourd’hui.

5L’opération s’appuie sur un constat : depuis une trentaine d’années le « caractère scientifique de l’histoire a été radicalement remis en cause » par l’effet, observe F. Hincker, du structuralisme et de la philosophie de l’histoire aronienne. Face à ces remises en cause, il réaffirme que l’histoire est une science, pour ensuite avancer les propositions du PCF en matière de réforme de l’enseignement. La norme de l’enseignement de l’histoire doit selon lui être la confrontation dans la « clarté des idéologies » :

  • 7 F. Hincker, « Notre conception de l’enseignement de l’histoire », L’école et la nation, no 223, avr (...)

À propos de telle « question du programme » il sera normal (et d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement ? n’est-ce pas ainsi que les choses dans l’ensemble se passent déjà ?) que le professeur marxiste enseigne en marxiste, le professeur chrétien en chrétien, le professeur positiviste en positiviste. Telle est la conception de la laïcité des communistes.7

6Ce discours de main tendue appliqué à l’enseignement se comprend dans l’horizon de l’Union de la gauche. La singulière définition de la laïcité tient à au nœud qui lie la scientificité de l’histoire avec l’idéologie du professeur : explicitée et explicite, celle-ci trouve, dans un rapport le plus scientifique possible aux documents produits lors du cours, ses conditions d’approbation ou de réfutation par l’élève, qui construit ainsi sa conscience civique car critique. Le coût épistémologique implicite de cette position assise sur la scientificité de la méthode historique tient à la reconnaissance d’une historiographie distincte du marxisme. La « Nouvelle histoire », l’histoire économique et sociale trouvent les conditions de leur reconnaissance par les intellectuels communistes, la composition d’Aujourd’hui l’histoire en témoigne. À ce point de l’exposé de F. Hincker, l’histoire enseignée convoque le cadre national, seul lieu possible de l’expérience politique :

  • 8 Ibid., p. 30.

Il sera indispensable et conforme aux acquis de la recherche d’atténuer le caractère européano-centriste des programmes actuels, sans pour cela atténuer le privilège accordé au cadre national français, non point par un quelconque chauvinisme, mais parce que l’histoire générale, le mouvement des sociétés, est saisi dans l’expérience à travers la réalité nationale : l’étude de celle-ci est donc le chaînon dont il faut s’emparer pour approcher la totalité historique.8

7F. Hincker prend cependant soin de distinguer les propositions du parti de la mission étroitement politique qu’avait l’histoire aux temps héroïques de la IIIe  République.

  • 9 Ibid., p. 29.

Les marxistes pensent que l’enseignement de l’histoire n’a pas besoin de recevoir de mission aussi étroitement politique [que celle assignée naguère par les républicains, nda]. Ils pensent que l’enseignement même de l’histoire, y compris par des enseignants nullement révolutionnaires mais animés de l’esprit scientifique […] est une aide précieuse pour le mouvement démocratique et révolutionnaire, que l’enseignement de l’histoire est en lui-même une instruction civique, c’est-à-dire une instruction tendant à faire saisir à l’individu sa nature d’être social.9

  • 10 F. Matonti, Intellectuels politiques. Essai sur l’obéissance politique. La nouvelle critique (1867- (...)
  • 11 Ce travail de réfutation et de critique incombe dans le dispositif communiste à La Nouvelle Critiqu (...)

8L’article a valeur programmatique. Il est republié in extenso en juin-juillet 1975 dans le cadre d’un dossier consacré à l’histoire. Frédérique Matonti caractérise les interventions de F. Hincker dans La Nouvelle Critique comme directement politiques10 ; le constat sied également à ses écrits de L’école et la nation. S’énonce ainsi le rapport du PCF à l’enseignement de l’histoire. Science, ayant évidemment implicitement partie liée au matérialisme historique, l’histoire est politique par l’expérience même du cadre national qu’elle suppose. On saisit là que le récit national a valeur politique mais, à suivre F. Hincker, ce récit s’articule scientifiquement par le recours aux documents, aux méthodes de l’histoire sociale et économique. Cette position, qui suppose une attention soutenue portée à la formation universitaire des enseignants (niveau maîtrise), implique d’abord et avant tout la défense de la discipline historique sui generis, tout en spécifiant à l’histoire enseignée la nécessité civique de son inscription régulière et privilégiée dans le cadre national. Cette inscription se décline dans la logique de l’Union de la gauche : elle est donc tout à la fois politique et non partisane ; un credo scientiste affleure sans doute dans cette proposition qui réclame la réfutation de la philosophie aronienne pour qui l’histoire n’est pas exactement science.11

L’histoire dénaturée

9En juin-juillet 1975, L’école et la nation propose un dossier complet consacré à l’histoire. Il comprend des interventions de communistes (C. Mazauric, J. Bruhat, J. Lacherez, J. Duma, E. Sorel) entrecoupées de courts articles de spécialistes universitaires : C. Mesliand, R. Mandrou, J. Le Goff. La reprise de l’article de 1973 de F. Hincker clôt ce dossier entièrement consacré à la question de l’histoire enseignée, et des menaces pesant sur cette discipline. Si la composition du dossier semble s’inscrire dans la configuration précédente, sa tonalité tranche. Il s’ouvre sur l’article de C. Mazauric, L’histoire dénaturée. Ramassons ses propositions.

10Pour lui, l’histoire est dénaturée car intégrée au sein du bloc des sciences humaines, donc escamotée, par les propositions de réforme du nouveau ministre Haby, qualifiées « d’entreprise de révision générale ». La charge est politique et mérite que l’on s’y attarde. Arguant que l’offensive Haby a pu « se fonder » sur certaines habitudes pédagogiques inhérentes à l’histoire des civilisations en lycée depuis les années 1960, C. Mazauric questionne :

  • 12 C. Mazauric, « L’histoire dénaturée », L’école et la nation, no 252, juin-juillet 1975, p. 40-43.

Mais qui ne voit que sous couvert de « changement » dans le contexte de la société et de l’école actuelles, avec ce Pouvoir ce que l’on entreprend n’est pas de favoriser un meilleur enseignement de l’histoire, plus scientifique, plus libérateur, plus transformateur du réel présent, mais de distiller dans un ensemble sans statut scientifique reconnu des « savoirs » et des « vocabulaires » mystificateurs, au terme d’une démarche essentiellement téléologique, sans même l’inventaire ni la mise en forme préalable des objets de connaissance, de concepts et des méthodes qui s’imposent à tout enseignement objectif.12

  • 13 Ibid., p. 43.

11Face à cela, une affirmation : « Pour nous, l’Histoire est utile. […]. L’Histoire est utile parce qu’elle devient de plus en plus scientifique, lieu et enjeu des grands affrontements idéologiques de notre temps, école de rigueur devant la réalité sociale et nationale. » Les historiens et enseignants d’histoire communiste doivent donc combattre contre « l’obscurantisme moderne »13.

12Les propositions de Claude Mazauric débordent le seul cadre de l’opposition aux propositions de René Haby. Elles signifient, par d’amples allusions, la défense d’une conception singulière de l’histoire enseignée devant des mutations en cours. Le PCF, dans son rapport à l’histoire enseignée, parait là contextuellement contraint. Cette contrainte n’est pas seulement l’effet mécanique de l’opposition au projet gouvernemental. Dans l’économie de ce dossier de L’école et la nation, l’obscurantisme moderne se déploie sur plusieurs fronts. Il tient aux médias de masse qui produisent un discours historique, au sein duquel l’enseignement de l’histoire, devenu l’un des éléments du bloc des sciences humaines, doit s’inscrire. Il s’agit ici, à suivre C. Mazauric, d’un ajustement de l’école

  • 14 Ibid., p. 41.

qui vise à éliminer du champ des préoccupations intellectuelles de l’enseignement les rapports sociaux dans les sociétés, de classes constituées dans l’histoire comme rapports sociaux d’exploitation et la réalité sociale comme réalité objective susceptible d’être connue et transformée parce que scientifiquement appréhendée.14

  • 15 « Pour enseigner une autre histoire », Le Monde de l’éducation, avril 1975.

13Ce lien au régime des médias – encore sous monopole d’État malgré la relative libéralisation liée au démantèlement de l’ORTF – est l’occasion de pointer la faiblesse de la bourgeoisie au pouvoir, incapable d’affirmer clairement la mission politique – inhérente au modèle républicain – de l’histoire enseignée. « L’Histoire était-elle donc devenue si dangereuse ? » interroge l’auteur. La question peut sembler rhétorique à ce point de la démonstration. Elle rebondit pourtant de considérations sur les conceptions de l’enseignement de l’histoire dans l’horizon de l’union de la gauche. C. Mazauric, puis J. Bruhat dénoncent le manifeste « Pour enseigner une autre histoire » paru dans le Monde de l’éducation15 à l’initiative du Groupe de formation permanente de Villetaneuse où l’on retrouve – notamment – Suzanne Citron. Dans ce manifeste, une phrase que ne manquent pas de relever les intervenants de L’école et la nation :

  • 16 Ibid.

Nous pensons qu’il faut avoir le courage et l’honnêteté intellectuelle de poser le problème : aucun mythe, aucune tradition, aucune tactique opportuniste ne doit dissimuler que sous sa forme actuelle l’enseignement de l’histoire est indéfendable, et qu’il faut donc proposer des changements profonds.16

  • 17 J. Bruhat, « Papa, explique-moi donc à quoi sert l’histoire ? », L’école et la nation, juin-juillet (...)
  • 18 F. Dosse, « Mai 68, les effets de l’histoire sur l’Histoire », Politix, vol. 2, no 6, 1989, p. 47-5 (...)
  • 19 K. Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Bruxelles, Complexe, 2005.
  • 20 Histoire du réformisme en France, tome II, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 315-329.

14La position du PCF est donc visée au cœur comme posture corporatiste, et si Jean Bruhat ne remet pas en cause « la bonne foi » des collègues signataires – ce d’autant qu’ils acquiescent à la démarche du matérialisme historique – c’est pour rappeler la nécessité de faire front, et « de ne pas se tromper de cible ».17 Plus pragmatique, C. Mazauric assimile la position du manifeste à l’initiative de constitution d’un forum-histoire les 24 et 25 mai 1975 à Jussieu18 venue « d’un autre bas-côté du réformisme ». L’expression mérite d’être située. La condamnation de Forum-histoire, expression d’un anarcho-maoïsme partisan d’une « liquidation de l’histoire » procède de la lutte du PCF face au gauchisme post-68, perçu comme une menace politique.19 Du point de vue épistémologique et politique, la proposition d’une Histoire-guérilla par Forum-histoire est irrecevable, d’autant plus que celui-ci déploie une autre conception du matérialisme historique, lequel engage le caractère scientifique de l’histoire enseignée pour le PCF (voir supra). Le regard jeté sur le Groupe de Villetaneuse, plus mesuré, participe lui d’un nouvel état du rapport du PCF au PS. L’union (de la gauche) devient un combat pour les communistes – François Mitterrand reprend plus tard l’expression à son compte. La tenue des Assises du socialisme (1974), qui voit l’entrée dans le parti socialiste d’une part du courant chrétien, tend à bouleverser l’équilibre de l’attelage PCF/PS au profit du second, et éventuellement à amender le programme commun.20 La reproduction de l’article de F. Hincker implique, qu’en l’espèce, toute réécriture est impossible.

15Faire front sur la question de l’histoire enseignée c’est alors défendre un statu quo. Plus que la réforme Haby qui se profile, « l’obscurantisme moderne » dénoncé C. Mazauric tient à ces propositions, nées au mitan des années 1960, amplifiées par l’effet de mai 1968 sur la question de l’éducation. La position impose la défense de la chronologie, une part conséquente réservée au national, mais aussi une formation universitaire plus poussée des enseignants, gage d’une réaffirmation de la spécificité disciplinaire. La logique corporatiste du propos tient autant à l’ombre portée de la question syndicale qu’à la conception communiste de l’histoire enseignée.

Logique(s) contrapontiste(s)

16Laissons là le débat ouvert dans les colonnes de la revue ; il campe l’un des instants d’une longue séquence sur la crise de l’enseignement de l’histoire qui trouve dans le colloque de Montpellier (1984) une éphémère conclusion. En contrepoint à ces journées consacrées à l’école et la nation, ce court épisode autorise trois remarques qui retentissent à leur manière sur la configuration contemporaine des débats sur l’histoire enseignée.

17La première tient de l’évidence, si l’on se situe dans l’œil de la revue. L’école est un lieu politique, et dans cet horizon, l’histoire enseignée est une discipline privilégiée. Cette conception porte la marque de l’héritage républicain. Dans les colonnes de la revue, cet héritage se conjugue à la bigarrure idéologique du corps professoral qui, dans la pratique d’un cours construit sur le rapport au document, doit s’expliciter afin que l’élève forge lui-même sa conscience critique. On saisit là que la politisation du cours ne réside, ni dans l’agencement des programmes, ni dans l’autorité du maître, mais dans la méthodologie même de l’histoire enseignée, et dans le statut de la preuve documentaire qu’elle réclame à l’élève. Le surplomb professoral tient là uniquement à la nécessité d’inculquer une méthodologie scientifique. L’histoire enseignée est là science, et le credo scientiste du PCF trouve dans ce lien consubstantiel le lieu même du politique dans la discipline.

18La seconde découle de cette évidence politique de l’histoire enseignée. Elle réclame que soit privilégié le cadre national. La nation paraît bien là ce concept de politique intérieure repérée par A. Prost pour la Révolution française qui, par extension, peut s’appliquer à toutes les propositions sur l’école émancipatrice. Cette position a un prix que l’on décèle implicitement : une forme de mésentente semble s’instituer entre les propositions communistes sur l’enseignement de l’histoire et les écrits de représentants de la « Nouvelle histoire » alors (R. Mandrou, J. Le Goff). L’écart réside dans la prescription du cadre national pour l’enseignement et son inefficacité sur le front de la recherche. On le pressent, le caractère politique de l’histoire enseignée implique structurellement des liens plus lâches dans l’organisation de la circulation des savoirs de la recherche à l’enseignement. L’école et la nation conjure dialectiquement cet écart par l’argument de règles communes du métier, s’appuyant sur le consensus d’Aujourd’hui l’histoire… La conjuration est momentanée.

19Enfin, l’évidence politique de l’école et de l’histoire enseignée dans un horizon émancipateur implique une position de surplomb de l’enseignant d’histoire face à d’autres médias. Dans la configuration des années 1968, cette position résonne des théories de Louis Althusser sur les appareils idéologiques d’État (AIE). Au nom des règles du métier, une attention soutenue est portée à la défense de la discipline, à la formation des enseignants. Celle-ci engage un niveau universitaire conséquent – les termes de cette logique peuvent s’entendre dans la mastérisation. Elles manifestent également qu’en regard du caractère scientifique de la discipline, il s’agit d’en hiérarchiser les usages, soit autoriser soit disqualifier tel ou tel discours tenu dans l’espace publique. En l’espèce, la parole du maître est politique, car scientifique ; est-elle démocratique ?

Notes

1 Y. Vargas, « Le combat communiste des intellectuels », Nouvelles Fondations, vol. 3, nos 3-4, 2006, p. 120-126.

2 Aujourd’hui l’histoire, Paris, Éditions sociales, 1974.

3 J. Vigreux, « Waldeck Rochet et les intellectuels », Nouvelle Fondation, vol. 3-4, no 3, 2006 p. 139-141.

4 F. Matonti, Intellectuels politiques. Essai sur l’obéissance politique. La nouvelle critique (1867-1980), Paris, La Découverte, 2005, p. 255.

5 J. Louvrier, « Penser la controverse : la réception du livre de François Furet et Denis Richet, La Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, no 351, janvier-mars 2008.

6 Ligue communiste révolutionnaire, L’Internationale communiste et l’école de classe, Paris, Maspero, 1974.

7 F. Hincker, « Notre conception de l’enseignement de l’histoire », L’école et la nation, no 223, avril 1973, p. 29.

8 Ibid., p. 30.

9 Ibid., p. 29.

10 F. Matonti, Intellectuels politiques. Essai sur l’obéissance politique. La nouvelle critique (1867-1980), Paris, La Découverte, 2005, p. 127-129.

11 Ce travail de réfutation et de critique incombe dans le dispositif communiste à La Nouvelle Critique.

12 C. Mazauric, « L’histoire dénaturée », L’école et la nation, no 252, juin-juillet 1975, p. 40-43.

13 Ibid., p. 43.

14 Ibid., p. 41.

15 « Pour enseigner une autre histoire », Le Monde de l’éducation, avril 1975.

16 Ibid.

17 J. Bruhat, « Papa, explique-moi donc à quoi sert l’histoire ? », L’école et la nation, juin-juillet 1975, p. 48-49.

18 F. Dosse, « Mai 68, les effets de l’histoire sur l’Histoire », Politix, vol. 2, no 6, 1989, p. 47-52.

19 K. Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Bruxelles, Complexe, 2005.

20 Histoire du réformisme en France, tome II, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 315-329.

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