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De la rente immobilière à la finance

 | 
Loïc Bonneval
, 
François Robert

Partie 2. La gestion rentière d’une grande société immobilière

Chapitre IV

La gestion immobilière

Texte intégral

1. L’évolution du patrimoine immobilier entre 1858 et 1910

1Gage de l’emprunt contracté au début de l’opération, le patrimoine immobilier évolue peu. Il ne reste toutefois pas figé et va se modifier tout au long de la période. Les administrateurs vont chercher à le compléter, à saisir les opportunités qui se présentent pour le faire évoluer mais aussi étudier les possibilités de participer aux opérations urbaines dans leur périmètre d’intervention.

1.1. Un parc immobilier stable

  • 1 Traité du 7 septembre 1859 entre la SRI et Vaïsse. AG du 29 avril 1860. « La ville de Lyon et la s (...)
  • 2 La SRI rétrocèdera une somme de 150 000 F à Berloty et Gignoux qui ont effectué une avance de trés (...)
  • 3 La SRI a construit un grand magasin avec caves, rez-de-chaussée et un étage, et le loue à un comme (...)
  • 4 Le prix de vente est échelonné (300 000 F au comptant, 50 000 en janvier 1873, 50 000 en janvier 1 (...)
  • 5 Les importants travaux à réaliser dans l’hôtel conjugués aux importants frais d’entretien et à la (...)
  • 6 Voir AG du 5 avril 1892 et ADR 3334 w 346.

2La rentabilité des opérations immobilières présentes ou à venir dicte toutes les décisions prises par les administrateurs. Ainsi, dès qu’ils perçoivent que la gestion du marché couvert des Cordeliers s’avère trop onéreuse, ils décident de le vendre à la ville en septembre 1859, soit six mois après son ouverture (mars), malgré la garantie d’un revenu net annuel de 155 000 F. Le traité signé met fin à la gestion du marché par la SRI qui devait en assurer la gestion pendant 50 ans.1 Le prix de vente de 3,1 MF correspond peu ou prou aux coûts de construction (490 000 F) et au prix du terrain (5 176 m2 à 500 F / m2)2. De même, dès que des opportunités se présentent, la SRI n’hésite pas à réaliser de bonnes opérations immobilières. Tout d’abord, elle vend, en avril 1867, l’hôtel Collet situé au 62 rue Impériale avec une plus-value de 100 000 F sur le prix, estimé par la commission d’architectes de la SRI à 700 000 F. Puis, elle n’hésite pas à réaliser une forte plus-value en vendant, l’année suivante, l’immeuble occupé par le grand magasin de la place des Cordeliers, au 31 rue de la République, sur une surface de 1372 m2.3 L’immeuble est vendu 1,5 MF4 en septembre 1868 alors qu’il était inscrit à l’inventaire des constructions pour la somme de 1,16 MF (voir plus loin). Dans les deux cas, ce sont les montants de la transaction qui ont déterminé les décisions des administrateurs. Même s’ils n’avaient aucune inquiétude sur les sources de revenus produits par des baux à long terme, ils ont anticipé les frais à venir.5 Enfin, dans le cadre des travaux du futur quartier Grolée, le grand immeuble situé au no 53 est exproprié en 1890 et la SRI reçoit une indemnisation de 1,87 MF.6

  • 7 AG des 14/01/1868 et 24/01/1863. Nous n’avons pu localiser la parcelle.

3Ces trois ventes, les seules réalisées jusqu’en 1904, vont leur permettre d’acquérir et de construire des immeubles afin de disposer de masses cohérentes. Ainsi, une partie du montant de ces transactions servira à la construction d’un immeuble rue Childebert dont la SRI avait acquis le terrain en 1862.7

  • 8 ADR 3334 W 181 et 346. 4507 W.

Tableau 22. Ventes et acquisitions de terrains et d’immeubles (1859-1907)8

Année Ventes Acquisitions
Prix (F) Nb Prix (F) Nb
1859 273 570 6
1860 24 265 2
1862 38 682 1
1867 800 000 1
1868 1 500 000 1
1872 50 507 1
1885 100 000 1
1886 906 500 1
1889 100 000 1
1890 1 870 000 1 154 500 1
1892 118 000 1
1896 112 000 2
1897 82 000 2
1898 648 000 2
1904 1 875 000 2
1906 352 500 1
1907 487 000 2
Total 6 342 835 13 3 149 189 16
  • 9 Le nom de la rue change en 1870 (rue de Lyon) puis en 1878 (rue de la République). ADR 3334 W 181. (...)
  • 10 ADR 3334 W 181. Acquisition enregistrée le 20 juin 1885 au prix de 100 000 F. AG du 13 avril 1886.
  • 11 Les négociations qui s’étaleront sur plusieurs mois correspondent à un marchandage commun : mis à (...)

4Toutes les acquisitions visent à améliorer le bâti existant de la rue Impériale. Par exemple, l’achat en 1872 d’un immeuble no 35 rue Dubois est effectué dans l’objectif de fournir une desserte plus convenable au no 18 de la rue de Lyon (anciennement rue Impériale).9 De même, l’acquisition en 1885 de l’immeuble situé au no 4 rue de l’Hôpital permet d’éclairer les arrières des magasins des immeubles des 63-65 rue de la République (anciennement rue Impériale).10 La quasi-totalité des autres achats concerne des bâtis contigus. C’est les cas des immeubles situés au no 18 rue Mulet contigu au no 13 rue de la rue République (1890), aux no 11 et no 11 bis rue Confort jouxtant les nos 48 et 50 rue de la République (1896), aux nos 11-13 rue Palais Grillet pour les mettre en communication avec les nos 26-28 rue de la République (1897), aux no 17 rue Gentil / no 14 rue Neuve situé derrière le no 17 rue de la République (1898) et au no 2 rue Stella contigu au no 53 rue de la République (1906).11 Enfin, la SRI modifie ses choix en acquérant le no 24 rue Confort en 1892 pour le revendre quelques années plus tard (1904). Il s’agit ici non pas d’une recherche de plus-value (+ 7 000 F) mais d’une modification de politique d’acquisition.

Tableau 23. Parc immobilier de la SRI en 1858, 1872 et 1910

Année Nb d’immeubles Surface bâtie
1858 44 28 200
1872 41 21 100
1910 52 27 100
  • 12 Cet hôtel est géré par la Société anonyme du grand hôtel Collet & Continental de Lyon créée en 188 (...)
  • 13 AG du 5 avril 1887.
  • 14 CA des 6 septembre et 18 octobre 1907 et ADR 4507 W.

5Deux cas viennent compléter l’emprise de la SRI sur la rue. Il s’agit, tout d’abord, du rachat du Grand Hôtel Collet12 que la SRI avait vendu en 1867, 808 000 F et qui est proposé à 990 000 F. Ce rachat est justifié d’une part, par la plus-value du quartier et des travaux d’amélioration réalisés depuis, et d’autre part, par un fort rendement, supérieur à 5 %, « impossible à rencontrer désormais dans le centre de Lyon et qui suffit amplement à contrebalancer les chances que peut présenter le caractère un peu industriel d’une location à un hôtel ».13 Ensuite, l’acquisition du no 73 rue de la République appartenant à deux propriétaires permet, en 1907, à la SRI d’investir le seul îlot où elle était absente (îlot rue Impériale/Bellecordière).14 Parfois, leurs tentatives d’acquisition se soldent par un échec en raison notamment de prix de vente jugés trop élevés :

  • no 67 rue de la République mise à prix 190 000 F (revenu 14 000 F annuel) vendu à 261 000 F (1897) ;
  • no 43 rue de la République à 325 000 F (1905) ;
  • no 54 rue de la République mis à prix 350 000 F (1907) ;
  • no 1 rue de la République à 1,5 MF (1906) ;
  • no 42 rue de l’Hôtel de Ville mis à prix 350 000 F vendu à 480 000 F alors que la Cie en proposait 440 000 F (1907).
  • 15 CA du 5 septembre 1902.
  • 16 Le Crédit lyonnais voulait un rabais de 250 000 sur le prix de 1 850 000 frs demandé par la Cie. D (...)

6À l’inverse, la SRI est sollicitée pour céder certains de ses immeubles comme ceux du massif des Terreaux pour lesquels un acheteur propose, en 1902, 4 MF, ce que le conseil d’administration refuse.15 Les aliénations sont rares et quand elles aboutissent, le montant de la transaction dépasse le million de francs. La dernière en date concerne le no 18 rue de la République vendu après de longues négociations au Crédit lyonnais pour 1,75 MF.16

  • 17 Une seule fois, la SRI acquiert des immeubles avenue Jean-Jaurès sur la rive gauche du Rhône en 19 (...)

7Le bilan des ventes et acquisitions reste très positif (+ 3,193 millions) et la SRI, par des ventes judicieuses, a pu consolider son emprise immobilière par une politique d’achat rationnelle. À travers ces mouvements de transactions, on commence à percevoir le frémissement d’un mouvement qui ira, par la suite, en s’amplifiant comme nous le verrons plus loin. Jusqu’au début du xxe siècle, presque toutes les opérations restent concentrées dans le périmètre originel de la rue Impériale. Les administrateurs commencent ensuite à manifester de l’intérêt pour des immeubles ou terrains situés dans les nouveaux quartiers de la rive gauche du Rhône.17

1.2. Les réticences à prendre part aux projets de rénovations urbaines

8Les acquisitions opérées par la SRI ne sont que des ajustements ponctuels. Vue comme un modèle de réussite, la SRI est aussi sollicitée pour des grands projets mais elle manifeste une certaine réticence. Après les réalisations de la rue Centrale, rue Saint-Pierre, rue Impériale, massif des Terreaux et du marché couvert, la ville continue les travaux de reconfiguration de l’espace de la presqu’île. Bien que sollicitée, elle ne participe pas aux deux grands chantiers sur les terrains adjacents aux siens, celui de la rue de l’Impératrice (1860-1863) et du quartier Grolée à la fin du xixe siècle, évoqué ci-dessus. Il faut aussi mentionner des projets de percements annexes. Confrontée à ces grands projets, la SRI hésite à s’engager.

1.2.1. Rue de l’Impératrice

  • 18 D. Bertin, Les transformations de Lyon sous le préfet Vaïsse : étude de la régénération du centre (...)
  • 19 Vermorel, AML 3 ii 39. La surface bâtie est de 19 225 m2.

9Tout d’abord, la SRI, à peine sortie du vaste chantier de la rue Impériale, ne souhaite pas se lancer dans celui de la rue de l’Impératrice. Sollicité pour établir un projet, Poncet ne donne pas suite en raison du refus du conseil d’administration de participer à cette nouvelle opération. Même si le conseil ne donne aucune explication, la SRI est, à cette date, lourdement endettée et un projet de cette taille nécessiterait d’autres emprunts qui pourraient, de ce fait, mettre en difficulté toute l’entreprise. D’autre part, il n’est pas à exclure que ce refus soit guidé par la crainte d’une concurrence néfaste qui affaiblirait la place de la rue Impériale. Les administrateurs jugent nécessaire de démentir auprès de Vaïsse une rumeur selon laquelle la SRI prendrait la direction des travaux. La mairie peine à trouver le financement et décide, après plusieurs échecs, de vendre à des propriétaires des parcelles pour la construction d’immeubles.18 À l’inverse de la percée de la rue Impériale, il n’y pas ici de direction unique mais un grand nombre d’investisseurs et de constructeurs. Le chantier qui débute en 1860 est à la hauteur de celui de la rue Impériale : 151 immeubles sont démolis libérant une surface de 34 097 m2 et 92 immeubles reconstruits (25 612 m2).19 Dès 1864, la rue est pratiquement terminée. La modification de la trame viaire aère le tissu urbain et bonifie les emplacements des constructions de la rue Impériale même si jamais les administrateurs n’évoquent cet aspect.

1.2.2. Rue Grolée

  • 20 Dès avril 1889, c’est-à-dire avant le début des expropriations, les actionnaires donnent tous pouv (...)
  • 21 F. Rivet, Une réalisation d’urbanisme à Lyon à la fin du xixe siècle : l’aménagement du quartier G (...)
  • 22 AG du 9 avril 1889.

10L’aménagement du quartier Grolée à la toute fin du xixe siècle représente une autre occasion ratée pour la SRI, à une période où sa situation financière est plus favorable. À l’origine, la SRI se montre hostile au projet qui menace de créer un autre quartier résidentiel dans le centre dont les beaux immeubles leur feraient concurrence.20 Habilement, elle dit souhaiter au contraire un projet plus social avec des logements à prix modérés pour la population ouvrière employée dans le centre.21 Sa crainte n’était pas infondée au vu de l’ampleur du projet puisque la surface bâtie représente 15 000 m2 soit environ moitié moins que celle de la rue Impériale (26 949 m2). Toutefois, dès que le projet va être lancé, les administrateurs demandent aux actionnaires leur assentiment pour qu’ils puissent y participer notamment par des opérations d’achat, d’échange ou de construction d’immeuble.22 Dans un premier temps, la SRI accepte de vendre l’immeuble situé au no 53 rue de la République pour le percement de la future rue du président Carnot.

  • 23 En 1897, le total des emprunts de la ville s’élève à 35,7 MF avec des annuités de 1,5 MF. F. Rivet (...)

11Empêtrée dans une série de difficultés financières et de procès23, la mairie de Lyon propose en 1897 à la SRI d’apurer la situation en se portant acquéreur du quartier Grolée. Benjamin Chomel, alors directeur de la Société de la rue Impériale, répond à la sollicitation du maire Gailleton :

  • 24 Ibid., p. 64.

Notre conseil d’administration est très disposé à faciliter à la ville de Lyon la liquidation de l’affaire du quartier Grolée […]. Il ne cherche pas à faire une spéculation, ni même une bonne affaire, mais seulement à pouvoir présenter aux capitalistes auxquels il devait recourir, une affaire saine, honnête et sûre.24

  • 25 CA du 22 juin 1897. (3 % aux actions pendant 15 ans, 4 % pendant 5 ans puis 5 % jusqu’à la libérat (...)
  • 26 CA du 15 septembre 1899. Ferrand demande en échange 1 million en titres libérés de la future socié (...)
  • 27 CA du 20 décembre 1899. Sur la période 1902 à 1908, les calculs donnent une recette de 10,4 M, pou (...)
  • 28 Chomel s’exprimant sur le rachat de l’ensemble pour 23 MF juge que « l’opération, sans être brilla (...)
  • 29 CA du 15 juin 1900.

12À les lire, leur intervention éventuelle est généreuse, conciliante, sans visée spéculative. Pourtant, les calculs montrent que le montage financier n’a rien d’une entreprise charitable. Plusieurs plans de financement sont proposés aux actionnaires. En juin 1897, la nécessité de faire appel au marché financier pour lever des capitaux importants de l’ordre de 26,30 MF est soumise à leur approbation. Le montage comprend une partie sous la forme d’actions (45 000 actions de 250 F) et d’obligations (45 000 obligations de 500 F) pour payer 21 MF à la ville, 4 MF à Ferrand, l’architecte en charge de l’opération jusqu’ici, ainsi que les intérêts inhérents à l’emprunt.25 Le directeur est assez réticent en raison de l’incertitude sur les revenus locatifs. Le plan est finalement revu à la baisse avec un capital de 23 M. Il nécessiterait la création d’une nouvelle société. À la fin de l’année 1899, un projet moins ambitieux est proposé par un des acteurs de l’opération du quartier Grolée qui suggère le rachat des apports de Ferrand (4 MF) par la SRI. Ce nouveau montage requiert un capital de 5 MF. Même si la marge bénéficiaire espérée s’avère minime, la peur de voir des concurrents prendre l’affaire semble emporter l’adhésion.26 Les calculs de rentabilité donnent une faible marge, de l’ordre de 1,5 % du capital investi en plus des intérêts.27 Finalement, la SRI reprend l’idée d’achat de l’ensemble sans grand enthousiasme28 en envisageant la création d’une nouvelle société qui devra par la suite fusionner avec la SRI. La ville, en définitive, ne donna pas suite à ces dernières propositions jugées peu avantageuses, mettant fin brusquement à une éventuelle participation de la SRI dans le projet Grolée.29 La SRI n’est pas mentionnée dans l’ouvrage que Félix Rivet consacre à l’aménagement du quartier Grolée alors qu’elle a été très près d’y jouer un rôle central et que la municipalité a sérieusement pensé à elle pour dénouer les conflits qui y avaient vu le jour, sur fond de rivalité entre l’entrepreneur parisien Ferrand et les architectes lyonnais. On en retiendra principalement ici le fait que les administrateurs, dans un contexte financier favorable pour la SRI, envisagent très sérieusement des investissements d’envergure.

  • 30 CA du 21 avril et 4 novembre 1898.

13Tous les projets ne suscitent pas la même réaction de la part des administrateurs de la SRI. La rue de l’Impératrice et le quartier Grolée sont des aménagements de grande ampleur. Dans d’autres cas, comme celui du projet de percement d’une rue entre les places Bellecour et des Célestins, l’anticipation de la plus-value pousse les administrateurs à investir. La SRI achète ainsi, en 1898, un immeuble au no 2 de la place Bellecour au prix de 400 000 F générant un revenu de 28 500 F (7 %). Il constitue un placement spéculatif dans l’attente d’une acceptation du projet au conseil municipal.30

Photo 7. Rue de la République avant 1904

Photo 7. Rue de la République avant 1904

Vue sud/nord de la rue à partir de la place de la République. À gauche, Aux Deux Passages, à droite, le café Riche.

Source : AML, 38 PH 56-30. Carte postale éditée par Giletta avant 1904. Bibliothèque municipale de Lyon / B01CP69000 000524.

2. L’exploitation des immeubles

2.1. Du succès des premières locations à la stabilisation de l’exploitation

14Les premiers baux signés sont antérieurs à la construction des immeubles. Lors de l’assemblée générale du 24 mai 1855, alors que la démolition est en cours, le rapport des administrateurs indique qu’ils se montent à 108 000 F pour la seule rue Impériale. Cela comprend le bail de la Compagnie du chemin de fer du Grand Central, première grande société à en souscrire un. Peu de choses sont dites sur les autres baux en discussion.

[…] ce que nous considérons pour les souscrire ainsi d’avance, c’est surtout l’influence qu’auront sur l’avenir de la rue Impériale les établissements, les industries et les locataires qui veulent donner la première impulsion.

15Il semble plutôt que ce ne soit pas encore la priorité :

Au reste messieurs, nous nous sommes assez peu inquiétés de ces locations anticipées et, sans les négliger lorsqu’elles se présentent dans de bonnes conditions, nous ne les recherchons pas. Rien ne séduit moins qu’un plan superficiel : il faut trop d’imagination pour y voir ce que doit être un jour, pour animer ces lignes froides et régulières, les revêtir de devantures élégantes et se figurer la foule attirée sur un trottoir de cinq mètres, par les merveilles et les coquetteries de l’étalage.

16En 1856, la tonalité est quelque peu différente, moins par l’approche de l’échéance qu’en raison de la nécessité de rassurer les actionnaires sur l’attrait des constructions nouvelles et à venir. Ainsi, après une exposition de l’état des baux signés dans la rue Impériale, le rapport des administrateurs conclut :

  • 31 AG du 10 janvier 1856.

Messieurs, au regard de résultats aussi satisfaisants que définitivement acquis, vous laisserez-vous alarmer par quelques voix hostiles ou irréfléchies qui vont criant que nos baux ne sont pas sincères et qu’un mécompte infaillible nous attend lorsqu’on devra les renouveler.31

17Les baux signés ne portent en réalité que sur 7 % des surfaces et le satisfecit des administrateurs provient du calcul qu’il est possible de faire en appliquant aux surfaces restant à louer le même niveau de loyer, qui aboutit à 1,8 MF (voir Tableau 24). La société obtiendrait ainsi plus de 2 MF par an de ses locations (176 000 F déjà signés, 1,8 MF anticipés, auxquels ajouter la location de l’hôtel estimée à au moins 65 000 F annuels). Ce total est fièrement mis en avant : « Nous trouvons un total de revenu brut égal à 2 061 114 F. Cette somme dépasse de plus de 200 000 F celle du revenu que nous osions espérer ou prévoir, pour la seule rue Impériale, indépendamment des annexes ». Les premiers résultats semblent donc indiquer que l’exploitation des immeubles se révèle plus profitable encore que prévu.

Tableau 24. État des locations en 1856 (AG du 10 janvier 1856)

Étage Surfaces louées (m2) Prix/ m2 des locations (F) Montant des locations (F) Surface restant à louer (m2) Montant anticipé des locations restantes (F) Surface totale (m2) % de surfaces louées
RdC 2 489 34 84 626 21 290 723 860 23 779 10 %
Entresol 0 10 0 12 250 122 500 12 250 0 %
1er étage 3 046 20 60 920 20 733 414 660 23 779 13 %
2e étage 1 132 13,5 15 282 21 347 288 184 22 479 5 %
3e étage 1 494 8 11 952 20 985 167 880 22 479 7 %
4e étage 850 4,50 3 825 21 629 97 330 22 479 4 %
Mansardes 0 0 2 500 10 000 2 500 0 %
Total 9 011 176 605 120 734 1 824 414 129 745 7 %

18On peut penser que l’optimisme des anticipations vise surtout à convaincre des actionnaires que l’on imagine sensibles aux aléas de la construction, aux rumeurs et, sans doute, à une baisse de l’enthousiasme de l’opinion publique. Il n’est cependant pas dénué de fondements. En effet, les parties louées ne sont pas nécessairement les mieux situées de telle sorte qu’il n’est pas irréaliste de penser que le même prix au mètre carré pourra être appliqué aux locations futures. En revanche, on notera que les surfaces indiquées conduisent à surestimer la taille du parc mis en location, plus proche de 20 000 m2 par étage que de 23 000 m2. Plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer cet écart, la plus probable nous paraissant être la prise en compte de terrains qui seront finalement vendus mais que la société, en 1856, imagine bâtir.

19Un second état descriptif par étages est présenté aux actionnaires l’année suivante, au cours de l’AG du 30 avril 1857 (Tableau 25). Cette fois, les surfaces indiquées correspondent bien aux réalisations de la société (20 400 m2 au sol, soit près de 110 000 m2 mis en location). Ce récapitulatif permet de mesurer la progression des baux signés, alors même que les constructions ne sont pas encore terminées : 42 % des surfaces sont louées, pour une somme de 801 200 F, et les locations restantes laissent espérer 931 347 F de plus, soit un total de 1,7 MF. Ce total est inférieur à celui espéré l’année précédente, moins à cause des valeurs des loyers (qui sont même légèrement supérieures à celles de 1856) que du fait de la réduction de la surface réellement mise en location.

Tableau 25. État des locations en 1857 (AG du 30 avril 1857)

Étages Surfaces louées (m2) Prix / m2 des locations (F) Montant des locations (F) Surface restant à louer (m2) Montant anticipé des locations restantes (F) Surface totale (m2) % de surfaces louées
RdC 10 855 35 383 450 9 545 336 988 20 400 53 %
Entresol 1 995 12 23 700 7 765 91 627 9 760 20 %
1er étage 9 940 17 171 400 10 460 179 912 20 400 49 %
2e étage 9 125 14 126 000 9 915 137 322 19 040 48 %
3e étage 7 130 8 55 000 11 910 92 898 19 040 37 %
4e étage 6 085 7 41 650 13 625 92 650 19 710 31 %
Total 45 130 801 200 63 220 931 347 108 350 42 %
  • 32 Chiffres fournis lors de l’AG du 12 janvier 1864.
  • 33 AG du 19 avril 1858.

20Le rythme des mises en location semble donc se maintenir et offrir de bonnes conditions mais la tonalité du rapport des administrateurs à cette assemblée générale est un peu moins enthousiaste. Les prévisions qui sont faites tiennent compte d’un rabais sur les locations restantes, au cas où les locataires seraient difficiles à trouver. Ce rabais est estimé à 17,5 % « dans le pire des cas », de telle sorte que le revenu de la rue Impériale se monterait au total à 1,575 MF. Même si les comptes rendus d’assemblée générale ne reviennent pas sur ce point, on peut supposer que l’évaluation d’un revenu locatif brut de 1,5 MF est juste, il correspond en tout cas aux recettes de loyers portées au bilan. Celles-ci passent à 1,7 MF en 1859, mais les locations des annexes (massif des Terreaux notamment) viennent alors s’ajouter à celles de la rue Impériale. Les deux premières années de gestion sont marquées par des non-valeurs (vacances et impayés de loyers) relativement importantes, qui se résorbent dès le début des années 1860 : 3,7 % en 1859, 0,74 % en 1862 et 0,67 % en 1863.32 Les premières années de gestion du massif des Terreaux ne sont pas décevantes, comme semblaient le craindre certains actionnaires, les premiers baux étant souscrits aux mêmes conditions que ceux de la rue Impériale.33

  • 34 AG du 12 janvier 1864.

21Quelques dépenses supplémentaires sont réalisées pour parvenir à éviter la vacance des locaux : elles se montent par exemple à 67 907 F en 1863 pour « grosses réparations, appropriation nouvelle de certains locaux, créations de chambres, agrandissement ».34 L’environnement urbain change à la fin des années 1850, notamment avec l’ouverture des rues de l’Impératrice et de la Bourse, sans bouleversement majeur pour la SRI.

La concurrence des nouvelles voies ouvertes à la circulation a fait ressortir une fois de plus la préférence si justifiée qu’on accorde à la rue Impériale, mais en présence des facilités et des concessions en tout genre par lesquelles on sollicite nos locataires, il eut été malhabile d’élever trop nos prétentions. Cette épreuve qui, selon des prévisions peu bienveillantes et peu éclairées, devait porter un coup sensible à notre crédit n’aura fait au contraire que le consolider : elle ne nous aura coûté qu’un peu plus de dépenses pour les agencements et la réparation des locaux à relouer.

22Au total, les locaux ont donc rapidement trouvé preneur aux conditions espérées par les administrateurs, même si l’engouement premier a légèrement ralenti à partir de 1856, suscitant quelques inquiétudes dont l’assemblée générale du 10 janvier 1856 se fait l’écho. Passée ces tout premiers temps, et dès que l’on envisage les loyers sur un temps plus long, l’impression de stabilité domine. Les non-valeurs deviennent insignifiantes, ce dont se félicitent longuement les administrateurs dans leurs rapports aux actionnaires, notamment lors de l’AG du 9 avril 1878 :

Le chiffre des non-valeurs en 1877 tant sur les locations de l’exercice que sur les locations arriérées a été de 414 F. Ce tribut de 414 F imposé par l’impéritie ou le malheur à une recette de 1 884 378 F est le meilleur éloge qu’on puisse faire de la sagesse et de la vigilance de votre direction, si l’on tient compte des arriérés devenus irrécouvrables, il représente à peine 2 centimes par 100 F du montant annuel des loyers, et ce qui prouve encore mieux l’habilité aussi prudente que ferme de notre gestion, c’est qu’avec près de 600 locataires, nos frais judiciaires sont à peu près nuls. Locataires et régisseurs qui font toujours bon ménage : c’est l’âge d’or de la propriété.

23Les deux tableaux précédents montrent également que la vocation commerciale de la rue ne s’affirme pas que dans les discours. Elle se traduit d’abord par le fait que les locaux commerciaux sont les plus rapidement loués : 53 % de la surface des rez-de-chaussée est louée en 1857, contre 41 % des surfaces en étage, destinées aux habitations. Surtout, les commerces des rez-de-chaussée se louent beaucoup plus cher que les appartements (35 F le m2 en moyenne, soit le double d’un appartement au 1er étage ou le triple d’un appartement au 3e) et représentent 41 % des revenus locatifs pour seulement 19 % des surfaces louées. Après les commerces, les étages nobles sont les plus rapidement loués, suivis des 3e et 4e étages. Les « mansardes » du 5e étage n’apparaissent plus dans le récapitulatif de 1857 car elles sont majoritairement habitées par des domestiques employés par les occupants des 1er et 2e étages qui en payent le loyer.

2.2. Les loyers : aperçu sur le long terme

  • 35 AG du 16 mai 1871. « Le présent est si menaçant encore et l’avenir est enveloppé de si redoutables (...)

24Il y a peu à dire sur l’évolution ultérieure des loyers, qui est retracée dans le Graphique 12. Après une montée en charge, pour ainsi dire, jusqu’en 1862, les loyers bruts connaissent une brève décrue jusqu’à la guerre de 1870, où le directeur peine à relouer les locaux commerciaux à cause du ralentissement de l’activité économique35. La pression économique sur les locataires ne semble pas négligeable puisque le CA du 27 janvier 1871 se fait l’écho d’une pétition des locataires pour baisser les loyers, pétition à laquelle il n’est pas donné suite. On assiste ensuite à une remontée et une croissance continue qui ne se tasse qu’à partir de 1905. Le niveau symbolique des 2 MF est atteint en 1883-1889 si, comme sur le graphique, on calcule en francs constants. Les variations du nombre d’immeubles ne changent que très peu la courbe générale des revenus locatifs qui dépend quasi exclusivement du parc immobilier initial.

Graphique 12. Évolution des loyers et des charges (1856-1910) en francs constants (francs de 1910)

Graphique 12. Évolution des loyers et des charges (1856-1910) en francs constants (francs de 1910)

25Les charges prises en compte ici sont les dépenses d’entretien, ainsi que les impôts et autres charges immobilières et foncières : on ne tient pas compte par exemple du remboursement de l’emprunt. L’entretien lui-même se monte à 130 000 F annuels en moyenne, soit 6 % du total des loyers brut. Ce taux est bas, ce dont on peut trouver l’explication lors de l’AG du 14 janvier 1869

[…] nous continuerons à appliquer avec avantage le système de régie que nous avons adopté pour certaines spécialités de travaux de réparation et d’entretien. Cette année nous avons pu constater, sur ce chapitre important de nos dépenses, une économie de 28 %, en comparant nos prix de revient aux tarifs usuels les plus modérés, et nous avons obtenu une meilleure exécution.

26Les charges sont plus importantes à deux moments : dans les années 1890, avec les travaux (notamment de réfection des toitures) qui commencent à prendre de l’importance près de 50 ans après la construction des immeubles, et en 1905-1906 pour le blanchiment des façades.

  • 36 L. Bonneval et F. Robert, L’immeuble de rapport, Rennes, PUR, 2013.

27Le principal changement dans la gestion est la fin de l’exemption d’impôt foncier en 1879, pour les 25 ans de la société. Il se monte à 280 000 F en moyenne jusqu’aux années 1890 puis monte aux alentours de 320 000 F par an. En 1879, les charges passent donc de 6 % à 18 % des loyers bruts, puis continuent à monter jusqu’à en représenter le quart à la Belle Époque. Cette proportion n’est pas très élevée si on la compare à d’autres immeubles lyonnais tels que ceux que nous avons étudiés36 pour lesquels elle s’élève plutôt à un tiers du revenu locatif.

28Le passage des 25 ans marque une étape dans la fiscalité appliquée à la SRI. Elle a aussi une valeur symbolique qui transparaît dans le discours prononcé par Alphonse de Boissieu au nom du conseil d’administration à l’occasion de l’AG anniversaire. Il n’est pas inintéressant de le citer car, outre qu’il s’agit d’un nouveau morceau tout à fait typique du style du président de la SRI, on y trouve condensé tout l’esprit qui anime la société et ses administrateurs.

En se reportant 25 ans en arrière, votre conseil, messieurs, éprouve une satisfaction qui est rarement accordée à des administrateurs, même très méritants et très dévoués. […] Messieurs le mérite vous en revient en grande partie. Pour justifier la confiance dont vous nous avez constamment honorés, nous nous sommes inspirés de vos propres sentiments ; vous avez voulu faire une opération sérieuse, une opération d’avenir et de père de famille sans avoir eu recours à l’agiotage, ni aux réclames ni même à la publicité. Vous avez approuvé toutes nos mesures de modération et de prudence, vous en récoltez les fruits et nous sommes heureux de vous dire au début de cette période de droit commun, ou plutôt de charges communes dans laquelle nous entrons sans crainte, période regardée comme critique pour nous, que ces fruits vous sont désormais définitivement assurés.

  • 37 AG du 9 avril 1880.
  • 38 AG du 13 avril 1885.

29On comprend l’importance de la date anniversaire, et la crainte qu’a suscitée le retour aux « charges communes ». Du point de vue de la gestion, la hausse des charges est pourtant absorbée en quelques années par la croissance lente et régulière des loyers bruts. Certes, la part des charges a augmenté mais le revenu net croît de façon continue pendant les soixante premières années d’exploitation de la rue. Il présente également une stabilité remarquable dont témoignent la faiblesse des non-valeurs et l’absence d’aspérités du graphique précédent. Même le poids d’événements exceptionnels, comme l’incendie de quatre locaux dans le massif des Terreaux au début de l’année 1880 apparaît insignifiant.37 Les fluctuations économiques ne jouent finalement qu’à la marge : on l’a vu avec la guerre de 1870, mais c’est encore le cas après le krach de l’Union générale en 1882 sur laquelle la SRI avait une créance de 87 440 F38. Cette très grande stabilité est le signe que la rue reste attractive tout au long de la deuxième moitié du xixe siècle et que les commerces qui s’y sont installés prospèrent même si certains choix techniques de la modernité ont posé problème.

3. Les fèces cachées de la modernité

30Les immeubles nouvellement construits incarnaient ce qu’il y avait de mieux en matière d’habitat. Malheureusement, nous ne possédons pas de données sur l’agencement technique de ces immeubles. Les plans du bâti de certains d’entre eux ne donnent aucune indication sur les réseaux techniques d’eau, de gaz puis d’électricité et d’évacuation des eaux usées et des matières fécales. Seuls les contrats signés entre la SRI et les compagnies de distribution que ce soit le gaz (Cie du gaz de Lyon) ou l’eau (Cie générale des eaux) indiquent que les locaux en étaient pourvus. Un luxe qui dénote tout le degré de confort des appartements proposés à la bourgeoisie lyonnaise. La rue Impériale devient par ces équipements le symbole de la modernité.

31Nous souhaiterions centrer notre propos sur ce qui constitue à notre avis l’un des points qui condense tout le paradoxe de la modernité à savoir la gestion des matières excrémentielles. En effet, comme nous l’avons vu dans la première partie, les immeubles de la SRI ont bénéficié d’une dispense d’établissement de fosses d’aisances ce qui constitue un gain financier considérable. Les administrateurs défendent bec et ongles ce privilège, sans pour autant avoir de réflexion sur les effets des choix techniques dans le nouvel environnement. Pourtant, dès lors qu’on les replace dans l’espace dans lequel ils se situent, on perçoit les conséquences des choix techniques opérés par la municipalité qui auront un impact sur la perception olfactive de la rue.

  • 39 À Lyon, le réseau de distribution d’eau et les égouts sont étroitement liés puisque la Cie général (...)
  • 40 Des collecteurs centraux (égouts) dans les rues Impériale et Impératrice. F. Scherrer, ibid., p. 1 (...)
  • 41 Le décret-loi du 26 mars 1852 sur les rues de Paris est devenu applicable à Lyon par le décret du (...)
  • 42 Par le traité du 24 mai 1855, la SRI peut déverser directement, par des branchements particuliers, (...)

32Le grand chantier de la rue Impériale s’inscrit dans une série de travaux publics (digues, exhaussements des quais, collecteurs, etc.) dont ceux concernant l’alimentation en eau de la ville qui obligent la municipalité à repenser le réseau d’assainissement.39 En 1853, date à laquelle commence le chantier, la réglementation oblige les propriétaires à créer des fosses d’aisance dans chaque maison. Plusieurs arrêtés municipaux vont réglementer la vidange des fosses notamment pour éviter entre autres les nuisances dues aux odeurs. Au vu du nombre de fosses (7737), beaucoup d’immeubles n’en étaient pas pourvus en 1852. Avec la construction des égouts40, il devient alors possible pour les propriétaires, moyennant autorisation municipale, de déverser non seulement leurs eaux ménagères mais aussi leurs liquides issus des fosses d’aisances à condition d’installer un séparateur liquide/solide.41 Ce premier pas vers un tout-à-l’égout s’arrête là. Il n’est jamais question de déverser les matières fécales. Or, lors de la construction des immeubles de la rue Impériale, la SRI bénéficie du privilège de déverser directement par des branchements particuliers toutes les matières dans l’égout collecteur en vertu du traité du 24 mai 1855 passé avec le préfet Vaïsse.42

  • 43 Le Salut public et Le Progrès des 10 et 14 novembre 1862 cités par Morel, Périat frères et Guinet, (...)

33Ce système de tout-à-l’égout est très vite critiqué. À certaines époques de l’année, les matières solides restent dans l’égout collecteur car les eaux (voierie, pluviale, ménagère) sont insuffisantes pour les évacuer et dégagent des odeurs pestilentielles. La population se plaint des odeurs nauséabondes qui s’en dégagent. À la suite de nombreuses plaintes, Le Progrès et le Salut public s’emparent de ce problème, publient des articles dénonçant ces nuisances et proposent des solutions pour les éliminer.43

Un journal de Lyon [Le Salut public] trace un tableau très sombre des inconvénients qui résultent pour les rues nouvellement établies à Lyon [rues Impériale et Impératrice] de la non-existence de fosses d’aisance dont le service est fait par un canal en communication directe avec l’égout collecteur. Chaque jour, et c’est ladite feuille qui le constate, fait éclater tout ce qu’il y a, dans ce système de construction, d’incommode et de nuisible pour l’hygiène publique, les matières solides restent dans l’égout que les eaux ménagères et les eaux de voirie sont impuissantes à balayer,

  • 44 Le Progrès (14 novembre 1862). « On avait sans doute espéré que cet afflux continuel de liquides d (...)

34notamment pendant certaines saisons où les pluies ne sont pas assez abondantes.44 Pour supprimer ces nuisances, plusieurs solutions sont envisagées dont la construction de fosses d’aisances dans les immeubles qui en sont dépourvus. La SRI n’était pas la seule à bénéficier d’une exception. La Société de la rue de la Bourse et plus généralement les propriétaires des quartiers où se construisent des immeubles bourgeois, avant 1871 (comme la rue de l’Impératrice), obtiennent des privilèges équivalents, tout comme d’ailleurs, les HCL ainsi que les bâtiments municipaux. Comme depuis 1854, date à laquelle se constitue un service technique de voirie, la ville a la charge de l’entretien et le nettoyage des égouts, le problème relève donc de la municipalité.

  • 45 R. Barre-Suquet, L’assainissement à Lyon de 1850 à 1914, ouvr. cité.
  • 46 J.-P. Aguerre, « Scatophobie des villes, scatophilie des champs. Gestion et utilisation des fèces (...)

35Hénon, maire de Lyon, prend un arrêté le 19 septembre 1871 qui restreint l’usage des égouts et somme les propriétaires de doter leurs immeubles de véritables fosses d’aisance.45 Même si l’arrêté a laissé subsister les connections existantes, il a provoqué une violente réaction des administrateurs de la SRI.46

  • 47 Voir S. Frioux, Les batailles de l’hygiène. Ville et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuse (...)
  • 48 CA du 13 février 1874 et AG du 31 mars 1874.

Cette ordonnance émanait d’une autorité qui n’avait ni l’intelligence ni le respect des lois. L’administration de la Cie n’avait pas à se préoccuper ; mais elle ne s’en croyait pas atteinte puisque par ses conventions avec la ville elle se trouvait dans une position exceptionnelle. Lorsqu’en 1873, le pouvoir fut revenu en des mains honnêtes47, elle jugea de s’assurer des sentiments de l’autorité à son égard et de ne laisser pour l’avenir aucune incertitude relative à son droit. […] la Cie entra en pourparlers avec Mr Schneider conducteur des travaux de la voirie. Celui-ci déclara que l’autorité n’avait pas l’intention de troubler la Cie dans la jouissance qui lui était acquise pour la rue Impériale par la construction simultanée de l’égout et des canaux d’écoulement provenant des maisons.48

  • 49 CA du 13 février 1874. Ils séparent les fonctions des égouts, les eaux dans l’égout de la rue lant (...)

36Pour s’assurer que la ville ne remette en cause l’existence de ces canaux, la direction de la SRI attend, avant d’entreprendre des travaux d’entretien, une condamnation de la SRI en simple police pour non-entretien qui viendrait, en quelque sorte, légitimer les connexions. C’est ce qui se fit. Parallèlement, la SRI, va modifier, en commun accord avec la voirie, les connexions entre les immeubles du massif des Terreaux et les égouts de la rue Lanterne et de la place des Terreaux.49 Ce qui revient, là aussi, à réaffirmer leurs privilèges.

Photo 8. Le tout-à-l’égout de l’immeuble situé au no 2 rue de la République

Photo 8. Le tout-à-l’égout de l’immeuble situé au no 2 rue de la République

Source : AML, 187 ii 30. Plan du sous-sol. Les canaux (en bleu) sont directement reliés au collecteur central et aux WC des étages.

  • 50 F. Scherrer, L’égout, patrimoine urbain, ouvr. cité, p. 160.

37La ville va maintenir sa politique dérogatoire en matière du tout-à-l’égout. D’un côté, elle impose aux propriétaires le système de fosses d’aisance et de l’autre, elle accorde, par exemple, aux immeubles du nouveau quartier Grolée, construits par une entreprise privée pour son compte, les mêmes droits que ceux de la rue Impériale.50 Dès lors, la SRI s’estime hors de portée d’une éventuelle modification de ses droits. La question réapparaît en 1901 lorsque la ville de Lyon établit une taxe de 3 % sur le revenu des maisons dont les canalisations se déversent dans les égouts. Elle adresse à la SRI des avis de paiement pour tous ces immeubles mais les administrateurs refusent de la payer en s’appuyant sur le traité de 1855. S’ensuit une longue procédure judiciaire qui déboutera la SRI de sa demande d’exonération de la taxe et l’obligera, en 1921, à l’acquitter (voir plus loin). L’obligation du tout-à-l’égout s’imposera finalement en 1958, soit un siècle après le privilège accordé à la SRI en la matière.

4. Les principes de gestion

4.1. Les principes généraux

  • 51 En 1878, les administrateurs parlent de régisseurs (« Locataires et régisseurs qui font toujours b (...)

38La gestion immobilière semble reposer sur les mêmes principes d’économie et de prudence que la gestion financière. Les locations ne sont pas confiées à des régisseurs mais traitées directement par la SRI.51 Le directeur a la charge de négocier le renouvellement des baux commerciaux, qui sont approuvés par le CA. Les locations d’appartements ne sont pas discutées en CA mais directement gérées par le personnel de la SRI.

  • 52 P. Leverne, Une grande entreprise immobilière, la société immobilière marseillaise, Marseille, Imp (...)
  • 53 P. Leverne mentionne ainsi le règlement de 1873 qui instaure le bureau des locations : « L’écueil (...)

39Celui-ci compte huit personnes plus les concierges (une quarantaine). On ne dispose que de peu de comparaisons avec d’autres sociétés immobilières ou de régisseurs, mais ce nombre semble très faible. À titre de comparaison, la Société immobilière marseillaise (SIM) compte, dans les années 1920, une soixantaine d’employés, sans compter les concierges ni les ouvriers52 (alors que, rappelons-le, la SRI applique un système de régie pour les travaux). Il est vrai que le parc géré par la SIM est beaucoup plus important (600 immeubles). De plus, cette société compte un corps d’inspecteurs (chargés de passer dans les immeubles), un bureau des locations (pour la sélection des locataires) et des encaisseurs embauchés de façon temporaire, deux fois par an à la date du terme, pour collecter les loyers. Rien de tout cela à la SRI où la gestion semble facilitée par la forte demande, l’absence de vacance et de non-valeurs, ainsi que par le niveau social des locataires qui tranchent avec la situation de l’immobilière marseillaise.53 Des conditions aussi confortables permettent de limiter le personnel et donc les coûts afférents, qui ne représentent qu’un tiers de celui de l’entretien, autour de 30 000 F par an. Les traitements sont précisés dans le Tableau 26. Il montre que près de la moitié des coûts salariaux servent aux gages des concierges alors qu’ils représentent 8 employés sur 10. Leur rémunération est faible, même comparée aux garçons de bureau, mais on peut penser qu’elle est complétée par les étrennes des locataires et la gratuité du logement.

Tableau 26. Personnel de la SRI et traitements en 1866 (AG du 12 janvier 1867)

Fonctions Traitement annuel en 1866 (F)
Directeur 6 000
Caissier 2 500
Comptable 3 000
Commis comptable 1 200
Architecte 3 000
Commis architecte 1 200
Garçon de bureau 1 300
Garde 1 200
Concierges Environ 40 (total : 15 700)
Ensemble des frais de personnel 35 000
  • 54 A.-S. Beau, Grand Bazar modes d’emploi, les salariés d’un grand magasin 1886-1974, thèse pour le d (...)

40Pour autant que l’on puisse en juger, car les points de comparaison ne sont pas légion, les traitements se situent dans la moyenne des différentes catégories. Un vendeur au Grand Bazar perçoit par exemple 1 500 F par an dans les années 189054, à comparer aux 1 300 F d’un garçon de bureau de la SRI en 1866. Il convient d’ajouter à ces dépenses des primes et gratifications supplémentaires se montant à 2 700 F. Le montant des jetons de présence des administrateurs s’élève à 1 500 F en 1866, soit 300 F par administrateur, et à 5 000 F en 1897 (1 000 F par administrateur).

  • 55 Loi du 17 mars 1909 (JO du 19 mars – Vente et natissement des fonds de commerce).
  • 56 Société anonyme créée en 1892 au capital de 2,2 MF.

41L’effectif limité du personnel de la SRI atteste une gestion sans heurts. On ne dispose malheureusement que de peu d’éléments sur la pratique quotidienne de la gestion immobilière, et notamment sur la sélection des locataires résidents, au point qu’elle semble peu intéresser les administrateurs et les actionnaires. En revanche, les commerces mobilisent beaucoup plus d’attention. On ne saurait trop insister sur la spécificité des locations commerciales par rapport à celles d’habitation, même si l’inscription juridique de cette spécificité, et notamment la reconnaissance du fonds de commerce, est tardive.55 Les baux commerciaux sont souscrits pour de longues périodes, au cours desquelles le niveau des loyers peut fortement évoluer, de telle sorte que la renégociation du bail est un enjeu crucial : le propriétaire souhaite ramener le loyer au niveau du marché, tandis que le commerçant a intérêt à s’éloigner le moins possible des conditions présentes du bail. Par ailleurs, et cela vaut surtout pour les commerces les plus importants (grands magasins ou hôtels), le rapport de force est différent de celui qui s’établit entre un bailleur et un particulier. Pour la SRI, il s’agit de tirer le meilleur loyer de ses locations mais aussi de maintenir le standing de la rue et de dynamiser son commerce : la question de la concurrence d’autres emplacements, avec le percement d’autres rues, est ainsi régulièrement évoquée lors des conseils d’administration et des assemblées générales. Les commerçants cherchent à limiter le coût des locations tout en restant dépendants du prestige de l’adresse et du fait que l’emplacement est un élément essentiel de leur fonds de commerce. Ces intérêts à la fois conflictuels et convergents ne ressortent pas seulement à l’occasion du renouvellement du bail mais également lors des travaux de réparation, d’aménagement ou d’amélioration. Les deux acteurs se livrent alors à des négociations pour déterminer quelles opérations chacun prendra en charge. La nature des relations entre la SRI et le commerce est alors primordiale. Le conseil d’administration du 19 janvier 1900 en donne deux exemples. La demande de la Société anonyme des grands magasins de nouveautés Aux Deux Passages56, qui gère le commerce de nouveautés du même nom situé aux nos 34-36-38, d’une aide de 2 000 F pour la réfection des parquets est acceptée, bien que ce ne soit pas compris dans le bail « eu égard à l’importance de la location et aux bons rapports entretenus avec la Société Aux Deux Passages ». De la même façon, la demande de la Société du Grand Bazar de l’Hôtel de Ville (passage des Terreaux) pour que la SRI fasse l’avance de travaux, moyennant amortissement de 6 % est approuvée car « le directeur expose l’intérêt qu’il peut y avoir à favoriser la réussite de cette affaire qui assurera la location de notre Massif et le relèvement des prix de location ».

42Il serait sans doute abusif de parler d’une politique commerciale formelle mais quatre principes reviennent régulièrement dans son action.

43– Le premier est celui d’une intervention dans la gestion même des commerces. Bien qu’elle ne soit ni systématique ni même fréquente, les administrateurs ne se privent pas de s’en mêler, surtout pour les plus importants d’entre eux : d’une part certains versent une partie de leurs actions à titre de dépôt de garantie (c’est le cas de la Société Aux Deux Passages ou des Houillères du Nord), ce qui donne accès à leurs bilans. D’autre part, des administrateurs de la SRI siègent parfois à leur conseil d’administration. On en verra l’exemple le plus achevé avec le cas du Grand Hôtel de Lyon (voir plus loin).

  • 57 En plus des raisons évoquées par les administrateurs de non-concurrence, on peut noter que ce refu (...)

44– Le deuxième renvoie à l’attention portée aux rapports entre les commerces de la rue et en particulier à une certaine limitation de la concurrence. Cet aspect est rarement abordé en conseil d’administration mais il peut servir d’argument dans la sélection des demandes de locations commerciales. Lors du CA du 2 avril 1897, le bail concédé à Lévy le 5 mars au no 30 de la rue de la République (en remplacement d’un magasin de fleurs artificielles) est annulé car il souhaite faire de la confection sur mesure, « ce qui nous eut amené des difficultés avec le tailleur déjà locataire du no 30 ».57 La société exerce donc un contrôle sur la nature des activités exercées par ses locataires.

  • 58 CA du 18 avril 1890.

45– Le troisième concerne les travaux d’amélioration des immeubles. Ils sont la plupart du temps subordonnés à un projet de relocation qui nécessite des transformations. Il s’agit plus de reconversions de locaux que de montée en gamme. Par ailleurs, il est demandé aux locataires d’y contribuer – quand les travaux ne proviennent pas directement de l’initiative des locataires et des gérants (comme c’est le cas pour les ascenseurs dans les hôtels, voir plus loin). La réalisation de travaux d’amélioration intéresse aussi bien le locataire (attractivité du commerce) que la SRI (augmentation de la valeur de l’immeuble), ce qui signifie aussi qu’elle peut être de la responsabilité des deux. La SRI sait jouer de cette ambiguïté pour ne pas avoir elle-même à effectuer les travaux. Même lorsque des travaux concernant le gros œuvre deviennent nécessaires, par exemple sur les toitures 50 ans après la construction, la SRI tente de mettre les locataires à contribution. Les conseils d’administration ne montrent pas non plus d’intention de mener une politique d’intervention sur l’ensemble des immeubles, alors que la fin du xixe siècle est marquée par des innovations importantes dont l’électrification n’est pas la moindre. Par exemple, les devis pour l’éclairage électrique du passage du massif des Terreaux ne sont réalisés qu’à la suite de la sollicitation d’une société locataire (Alliot et Cie).58 Les ascenseurs sont souvent installés sur demande des locataires (grands magasins, hôtels, mais aussi médecins des premiers étages) pour leur clientèle. Ils sont alors mis à contribution pour financer l’installation. L’éclairage électrique apparaît dans les frais d’exploitation présentés aux actionnaires en 1901 et les ascenseurs en 1903 (mais il est vrai que ces comptes sont moins détaillés avant). Alors que les rapports aux assemblées générales soulignent l’attention portée à l’entretien des immeubles, l’intégration d’éléments de confort ou de modernité est peu mentionnée, et toujours subordonnée à la possibilité d’améliorer le revenu d’une location.

  • 59 D. Harvey, Paris capitale de la modernité, Paris, Les prairies ordinaires, 2012.
  • 60 CA du 29 mars 1895.
  • 61 CA 24 avril 1904. 
  • 62 CA des 24 avril et 16 octobre 1903.

46– Le quatrième relève des représentations que les administrateurs ont de la rue et de ce qu’elle doit être. Cette représentation mêle l’image d’une rue active, centre du commerce lyonnais et dont les vitrines attirent l’œil à une morale bourgeoise et religieuse qui s’explique par la composition sociale du conseil d’administration. Les salles de spectacle, typiques de la « modernité » urbaine qui s’impose après les grands travaux du Second Empire59, ne sont pas dans les immeubles de la SRI : les deux grands théâtres bourgeois (Grand Théâtre et théâtre des Célestins) sont situés sur deux places proches (respectivement place de l’Hôtel de ville et place des Célestins). On compte des cafés-concerts dans la rue de la République, mais ils sont dans des immeubles gérés par d’autres propriétaires tout au long de la deuxième moitié du xixe siècle : c’est le cas de l’immeuble du Casino des Arts, du théâtre Bellecour (dans l’immeuble du journal Le Progrès), ou encore des Scala-Bouffes (rue Thomasin). La réserve des administrateurs se manifeste à plusieurs reprises en conseil d’administration (et sans doute aussi beaucoup en amont, dans la discussion entre le directeur et le candidat locataire). Ainsi, Frizon, cafetier au no 44 de la rue, demande d’autoriser le service par les filles. Le conseil « refuse absolument toute autorisation de ce genre, estimant que ce ne peut pas être pour M. Frizon un moyen honnête de ramener la prospérité dans son établissement ».60 En 1904, l’Agence Fournier demande de mettre une enseigne sur la toiture du no 49. L’un des administrateurs, Antoine Riboud, demande à voir le dessin et note aussi le « mauvais goût » de la devanture Old England au no 28. Il « demande qu’on n’autorise pas de pareilles déformations de nos immeubles ».61 Cet aspect intervient également pour de plus grosses opérations, mêlé à d’autres considérations. C’est en particulier le cas lors de la mise en vente, en septembre 1902, pour 700 000 F, des immeubles occupés par le Casino des Arts (situé aux nos 77-79 rue de la République et no 16 rue Bellecordière). Si dans un premier temps, le CA ne veut pas dépasser 0,85 MF, il décide, après un refus du propriétaire de le céder à ce prix, de ne pas « miser » (on appréciera le choix du terme…), pour trois raisons complémentaires : l’exiguïté de la façade, la « nature de la location », ainsi que les « chances qu’il y aurait à immobiliser une grosse somme en cas de reconstruction ».62 La morale s’allie ici à l’économie dans le choix des administrateurs. Le rigorisme bourgeois et religieux des administrateurs a donc joué un rôle non négligeable dans le façonnement de la rue et des commerces. Il est certain que c’est l’absence de vacance et l’attrait de la rue qui leur a permis d’arbitrer ainsi systématiquement en ce sens.

4.2. Les grands commerces

  • 63 Qui est vendu en 1904, voir chapitre sur le patrimoine bâti.
  • 64 La SA lyonnaise d’emploi de fonds et de crédit l’Omnium est dissoute en 1892.
  • 65 J. Gaillard, Paris la ville (1852-1870), Paris, L’Harmattan, 2000.

47Ces principes de gestion sont exacerbés avec les plus grands établissements commerciaux, principales vitrines de la rue de la République et facteurs structurants de son espace. Ainsi, au nord de la rue, jusqu’à la partie occupée par le palais du Commerce entre la place de la Bourse et celle des Cordeliers, l’espace est marqué par les grands établissements bancaires : Banque de France au no 14 (non géré par la SRI), immeuble du Crédit lyonnais63 au no 18 mais aussi l’Omnium64 au no 13 (puis la banque Saint Olive), la Société générale au no 6, Aynard et fils au no 19 et Morin-Pons qui s’installe au no 12 au début du xxe siècle. Le Grand Hôtel de Lyon se situe aussi dans cette partie de la rue, au no 16 où s’installera, le temps de sa brève existence, l’Union générale. La rue compte un autre hôtel dans sa partie sud, au no 62 et deux grands magasins de nouveautés : Aux Deux Passages (no 34, dont la galerie s’étend rue du Palais-Grillet) et ce qui reste dans la mémoire lyonnaise comme le Grand Bazar au no 31, tous deux au sud de la place des Cordeliers. L’émergence de ce type de commerce et de nouvelles formes de consommation représentent, à l’instar de ce que Jeanne Gaillard a montré pour Paris65, un débouché pour la soierie. Rappelons à cet égard la présence de soyeux parmi les actionnaires et les administrateurs.

Photo 9. Magasins de la place de la République dans les années 1910

Photo 9. Magasins de la place de la République dans les années 1910

Source : AML, 187 ii 606.

  • 66 Ce que Tisseur résume fort bien : « Poncet n’avait pas songé qu’en créant la rue Impériale, il ava (...)

48Au tournant du siècle, le Bazar de l’hôtel de ville s’installe dans le massif des Terreaux, jusque-là occupé par de petits commerces dont le développement avait été entravé par celui de la rue Impériale.66 D’autres établissements tout aussi emblématiques s’installent tout au long de ce premier demi-siècle d’existence, comme la bijouterie Augis au no 32, implantée dès l’ouverture de la rue et encore présente, le bar américain ou encore les tailleurs Moréteau au no 48 (qui y demeurent jusqu’à la fin du xxe siècle). Dans la plupart des cas, les rapports de location avec ces sociétés ne sont même pas mentionnés en conseil d’administration, mais quelques situations nous paraissent devoir être développées car elles sont révélatrices des rapports entre un bailleur de cette importance et ses principaux locataires : celle du Grand Bazar et, surtout, celle des hôtels.

Carte 3. Principaux établissements de la rue de la République au début du xxe siècle

Carte 3. Principaux établissements de la rue de la République au début du xxe siècle

4.1.1. Le Grand Bazar

  • 67 A.-S. Beau, Grand Bazar mode d’emploi, ouvr. cité, p. 46.
  • 68 La remarque vise la structure métallique du magasin.

49Le propriétaire peut avoir intérêt à vendre au locataire. C’est ce qui s’est passé avec l’immeuble d’un étage situé au no 31, donnant sur la place des Cordeliers, au sud du palais du Commerce. Avec une emprise au sol de 1 600 m2, il est conçu spécifiquement pour un grand magasin et abrite dès 1856 le magasin de nouveautés « À la ville de Lyon » dirigé par Jean Dabonneau. On sait que la concurrence avec l’autre grand magasin de nouveautés de la rue, Aux Deux Passages, d’Henri Perrot (situé plus au sud, passage de l’Argue) cause des difficultés au premier qui déménage en 1885 et fait faillite en 1892.67 Perrot est alors chargé d’y installer le Grand Bazar, dont il fait un modèle ayant peu à envier à celui décrit par le Zola d’Au bonheur des dames. Mais cette histoire ne concerne déjà plus la SRI qui a vendu l’immeuble en 1868, au prix de 1,5 MF. L’important pour nous est la façon dont cette vente retentissante est présentée aux actionnaires lors de l’AG du 14 janvier 1869 : « votre opinion comme celle du public a applaudi », même s’il est fait mention de critiques adressées par voie de presse et anonymement à la SRI à propos de la vente. Plusieurs motifs ont présidé à la vente : bail longue durée, risques sur l’évolution à terme de cette « grande industrie », frais d’entretien entraînés par « la spécialité de cette construction68 », risque d’un impôt élevé à venir et « par dessus tout, la somme importante que cette vente assurait dès ce jour à notre liquidation ». On le voit, les contraintes de gestion l’emportent ici sur les perspectives offertes par le loyer d’une telle entreprise. Ce n’est pas toujours le cas : la société Aux Deux Passages ou le Bazar de l’hôtel de ville (dans le massif des Terreaux) restent bien plus longtemps la propriété de la SRI.

4.1.2. Les grands hôtels

50Les hôtels font également l’objet d’une grande attention de la part de la SRI. Ils sont conçus dès l’origine comme des établissements essentiels à l’image et à l’attrait de la rue, comme il est rappelé lors de l’assemblée générale du 9 avril 1879 :

Au début de notre entreprise on avait pensé qu’un vaste hôtel présentant toutes les conditions de luxe et de confortable que les étrangers recherchent et trouvent ailleurs donnerait à la Rue Impériale une animation qui profiterait à ses magasins. Cette création semblait devoir combler une lacune dans notre ville et compléter la série des grands établissements de crédit, d’arts et de commerce que nous nous efforçons d’attirer sur notre périmètre.

  • 69 Le Grand Hôtel compte 41 employés au recensement de 1861 (ADR 6MP 180) : 29 employés, 8 femmes de (...)
  • 70 AG du 18 mars 1858.
  • 71 AG du 9 avril 1879.

51En 1858, on compte non pas un mais deux hôtels dans le patrimoine de la SRI : dans la partie nord le Grand Hôtel de Lyon au no 16 de la rue, à proximité des banques et du palais du Commerce, et dans la partie sud le Grand Hôtel Collet69, au no 62, plus proche de la place Bellecour. Tous deux ont connu des difficultés. Les déboires du Grand Hôtel Collet sont mentionnés dès 1858.70 La responsabilité de la direction est mise en cause. Ceux du Grand Hôtel de Lyon apparaissent plus tardivement et sont imputés au percement du col du Mont-Cenis (à la frontière italienne) qui raccourcit la durée des séjours à Lyon.71 Les deux grands hôtels connaissent alors des traitements et des trajectoires différenciés, se dénouant à la toute fin du xixe siècle.

  • 72 AG du 12 janvier 1867.

52Comme indiqué dans le chapitre sur le patrimoine bâti, le Grand Hôtel Collet est vendu puis racheté. Sa situation économique se détériore dans les années 1860 et l’idée de vendre progresse, suscitant des rumeurs sur lesquelles revient le rapport des administrateurs.72

La rumeur publique a porté à votre connaissance la vente d’un de nos immeubles, l’hôtel Collet. Nous aurions voulu être les premiers à vous en instruire ; mais si, comme on le dit, les murs parlent, les murs d’un hôtel doivent être moins discrets encore et on leur fait dire bien des choses que nous tenons à compléter, expliquer ou rectifier.

  • 73 AG du 5 avril 1887.
  • 74 François Faraut, Histoire de La Belle Jardinière, Paris, Belin, 1987.
  • 75 CA du 23 juillet 1897. Une décision de justice contraint l’hôtel à supprimer ces machines électriq (...)

53Il est alors précisé que le prix de vente demandé est supérieur de 100 000 F à l’évaluation qu’en avait faite la commission d’architectes chargés d’évaluer les immeubles de la SRI lors de leur livraison. La plus-value aurait pu être plus importante si la vente se faisait après le bail de Collet, mais celui-ci court encore sur huit ans, tandis que d’importants travaux de réparation sont à réaliser. La plus-value paraît donc lointaine et peu assurée. Après des pourparlers pour un renouvellement de bail anticipé, le seul accord trouvé est la mise en vente. L’immeuble est vendu à la fin de l’année 1867 pour 800 000 F. On l’a vu, il est racheté 990 000 F en 1886. Le CA explique ce rachat par le rendement de l’immeuble (59 000 F de loyers, soit 5 %) en précisant que les travaux réalisés depuis la première vente (sous-sol, ciel vitré, galeries architecturales dans la cour, ascenseur) justifient la hausse du prix.73 L’exploitation de cet hôtel semble ensuite de moins en moins intéresser les administrateurs qui accueillent favorablement la proposition de La Belle Jardinière, succursale du grand magasin parisien de confection masculine alors en pleine expansion74, de reprendre la location. En 1897, au motif de l’installation de machines électriques, la SRI demande la résiliation du bail du Grand Hôtel Collet.75

Photo 10. Grand Hôtel vers 1909

Photo 10. Grand Hôtel vers 1909

Source : AML, 4 FI 9260. À droite, la Banque de France, en face, le palais de la Bourse.

  • 76 CA du 4 novembre 1898.
  • 77 CA du 30 décembre 1898.
  • 78 CA du 22 janvier 1899.
  • 79 AG du 5 avril 1887 : à cette date seuls 108 000 F (sur les 800 000) ont été versés.

54Les administrateurs souhaitent réaliser une substitution de baux, ce qui nécessite une entente entre le Grand Hôtel Collet et La Belle Jardinière obtenue à la fin de l’année 1898.76 La SA du Grand Hôtel Collet est alors dissoute et un accord est trouvé entre l’architecte de la SRI et celui de La Belle Jardinière pour une transformation se montant à 150 000 F77, aboutissant à un règlement de plans78 puis à l’ouverture du magasin. Il est possible que les mauvaises relations avec la famille Collet, gérante de l’immeuble, et en particulier les retards de paiement de Mme Collet suite à la vente de 186779, aient joué un grand rôle dans la décision de faciliter la reconversion des lieux.

  • 80 AG du 9 avril 1879.

55Le destin du Grand Hôtel de Lyon est différent puisque les administrateurs s’attachent à en conserver la vocation malgré les difficultés. Son cas est détaillé en 1879.80 Le projet initial consistait à « réduire les proportions de l’hôtel et en distraire presque toute la partie Nord pour la disposer en magasins ». Mais il a évolué suite à la création de l’Union générale en 1878 :

  • 81 Ibid.

La fondation d’une nouvelle banque a modifié les projets et a permis de faire, à moins de frais, deux parties distinctes de cet immeuble. L’hôtel, avec un bail réduit de moitié, un personnel plus restreint, aura encore assez de place et de chambres pour suffire au mouvement des voyageurs ; le service simplifié ne s’appliquera plus à des appartements trop souvent inoccupés ; un ascenseur construit aux frais du locataire facilitera les communications avec les étages supérieurs, et son chiffre d’affaires se développera en même temps que ses charges auront notablement diminué. Pour nous, sans rien perdre du revenu de cet important immeuble, nous aurons fixé dans notre antre un nouvel établissement de crédit qui, dès sa création, s’est placé au rang des plus honorables et des plus solides. Ajoutons que parmi les frais que l’Union Générale a pris à sa charge, se trouvent compris d’importants sous-sols à transformer et une façade à construire en pierre de taille dans la galerie couverte qui dessert ses bureaux. Ces deux améliorations considérables resteront la propriété de votre compagnie.81

  • 82 CA du 17 mars 1899.
  • 83 CA du 21 avril 1899. Les administrateurs sont Rathyé, Kussler, Faure et Perrachon. Deux nouveaux s (...)
  • 84 CA du 2 novembre 1900.
  • 85 CA du 9 avril 1902.
  • 86 CA du 18 avril 1902. Le nom du gérant n’est pas mentionné mais on peut penser qu’il s’agit de Jean (...)

56Il est évident que le krach de l’Union générale en 1882 invalide ce calcul. Là n’est pourtant pas l’essentiel. Ce passage, outre son intérêt pour comprendre la répartition des travaux et de l’entretien entre le propriétaire et le locataire, montre que les administrateurs s’accrochent à l’idée de conserver un hôtel à cet emplacement, fût-il amputé de la moitié de sa surface. Il faut toutefois attendre la fermeture du Grand Hôtel Collet pour que les affaires du Grand Hôtel de Lyon redémarrent vraiment. Même si elle n’est pas la seule à investir, la SRI joue un rôle essentiel pour le redynamiser. Les conditions sont favorables au projet, du fait de la fermeture du Grand Hôtel Collet et de la persistance de l’idée selon laquelle « il est indispensable qu’il y ait dans la rue du centre des affaires un grand Hôtel de premier ordre pour les étrangers et le haut commerce ». La famille Rathyé (gérante de l’hôtel) signe alors une convention avec une société qui vient de se former, la Société du Grand Hôtel, pour que l’hôtel occupe à nouveau la totalité du bâtiment, avec un loyer fixé à 90 000 F.82 Cette société a un capital de 0,60 MF, dont 100 000 F souscrits par la SRI (en réemploi de la vente du mobilier du Grand Hôtel Collet).83 Chomel, directeur de la SRI, en est le directeur. S’ensuit alors une période de conflits avec les gérants de l’hôtel, Georges Rathyé et sa fille, soutenus par leur conseil d’administration mais contestés par l’assemblée des actionnaires de la société du Grand Hôtel et par la SRI qui les jugent incompétents.84 La SRI propose une entente à la famille Rathyé sur les bases suivantes : démission de Mlle Rathyé avec indemnité (10 000 F), maintien de Georges Rathyé « pour sauvegarder l’amour propre de cette famille » et des autres administrateurs actuels. Si cette proposition n’est pas acceptée, Chomel est invité par le CA à utiliser les actions détenues par la SRI pour demander la nomination de nouveaux administrateurs « qui aideront aux mesures énergiques à prendre pour sauver la situation de la société des Grands hôtels ».85 Cette solution conclut le conflit avec la famille Rathyé et Chomel parvient à imposer un nouveau gérant.86 Cet épisode est sans doute l’un de ceux où la SRI intervient le plus dans la gestion des affaires d’un de ses locataires, en prenant la main sur son conseil d’administration. Sur une longue période, les péripéties autour du Grand Hôtel de Lyon montrent aussi l’obstination des administrateurs à maintenir un hôtel à cet emplacement (bien plus que dans le sud de la rue avec le Grand Hôtel Collet), signe de la marque qu’ils entendent imprimer.

5. Les locataires, sociologie d’une rue bourgeoise

  • 87 F. Prieur, « Une ville en ordre, l’étatisation de la police lyonnaise 1848-1862 », Revue d’histoir (...)
  • 88 C. Brun, « Les violences contre les italiens de Lyon suite à l’assassinat du président Sadi-Carnot (...)

57Plusieurs travaux, ainsi qu’une iconographie conséquente, nous fournissent des éléments de connaissance des espaces publics de la rue. Sans tous les mentionner, il en ressort schématiquement l’idée d’un équilibre fragile et constamment renégocié entre la foule des usagers et le caractère policé de cet espace vitrine de la ville de Lyon. La réorganisation des forces de police au début des années 1850, qui instaure la pratique de l’îlotage, renforce la présence des sergents de ville dans les espaces centraux, et tout particulièrement dans la rue Impériale.87 Malgré la préoccupation sécuritaire, la centralité de la rue l’expose aux débordements, y compris dans les situations les plus dramatiques comme celles de l’assassinat du président Sadi-Carnot et des violences contre la communauté italienne qui ont suivi. Sadi-Carnot est assassiné le 24 juin 1894 devant le 21 rue de la République par l’anarchiste italien Caserio. Dans un contexte de forte hostilité à la communauté italienne, des manifestations et des mises à sac de commerces italiens s’ensuivent dans plusieurs endroits de la ville, notamment à proximité du lieu de l’attentat (café d’Isaac Casati rue du Bât-d’Argent, restaurant de Philippe Casati place Bellecour88). Il est à noter que les sources de la SRI ne font aucune mention de ces événements.

  • 89 Tous les éléments relatifs au tramway sont issus de : L. Baldasseroni, La bataille de la rue : la (...)

58Le long des larges trottoirs (5 m), de nombreux usages se côtoient. La rue Impériale, qui devient rue de la République, est une rue d’affaires, de commerces et de consommation, de spectacles et de promenades, mais aussi une artère essentielle dans la structure des flux de circulation à l’échelle de la ville. Tous les ponts sur le Rhône, entre la rive gauche et la Presqu’île débouchent ainsi sur la rue. Si le transport de marchandises est réduit par l’interdiction des activités de roulage en 1858, la mise en place de transports en commun intensifie les flux. La compagnie des Omnibus et tramways de Lyon (OTL), créée en 1879 (et dont plusieurs administrateurs de la SRI sont actionnaires, voire administrateurs) installe deux de ses sept lignes le long de la rue de la République.89 En 1887, plus de 20 000 voyageurs utilisent chaque jour la ligne 7 qui parcourt la rue de la République, avec une cadence d’un tramway toutes les cinq minutes. Les stations d’attente ajoutent à l’encombrement des trottoirs. Lorsque le conseil municipal discute du remplacement des voitures à cheval par la traction électrique, il interdit l’utilisation d’un fil aérien pour des raisons esthétiques et pousse la compagnie OTL à recourir à un « fil souterrain en grand caniveau ». Ce procédé coûteux est souvent utilisé à Paris mais dans aucune autre rue de Lyon. Dans les années qui suivent, la ville réaménage la chaussée pour faciliter la circulation (suppression de certains caniveaux, ou encore du « jardinet » au sud de la place de la République). L’OTL contribue à améliorer l’éclairage de la rue en acceptant de fournir l’électricité nécessaire. La SRI bénéficie de ces aménagements publics et privés qui maintiennent l’attractivité de la rue.

  • 90 On en exclut par exemple l’immeuble de la Banque de France, ou encore celui du Grand Hôtel, qui so (...)

59Les habitants et les commerces sont relativement moins connus. Les archives de la société ne sont pas suffisantes pour dresser le portrait des locataires de la rue impériale au xixe siècle. En effet, les registres de locataire ne sont disponibles qu’à partir de 1895 (à l’exception de l’année 1861) et ne donnent pas d’informations sur les ménages. Ils mentionnent le nom du locataire, l’étage, le loyer et la destination du local (commercial ou d’habitation, mais ils restent flous sur les locaux professionnels, bureaux, cabinets de médecin, etc.) Il existe également des bilans d’immeuble qui donnent la composition des locataires en 1886 et, parfois, en 1934 mais ils ne mentionnent pas toujours la profession du chef de ménage. Sur le début de la période, nous pouvons surtout nous appuyer sur les recensements de population qui sont de bons outils pour connaître la population résidente, mais qui ne disent rien ni de la répartition par étage ni des commerces et autres locaux d’activité. Cette difficulté est en partie palliée par le fait que les commerçants résident souvent sur place jusqu’à la fin du xixe siècle, et les recensements montrent bien la présence de commis et employés de magasin dans les ménages de commerçants. À partir des années 1890, on peut également utiliser les annuaires Henry et Fournier qui donnent la liste des commerces, mais aussi de la plupart des locataires en précisant le plus souvent leur profession. Aucune de ces sources n’est exhaustive et il faut les associer pour parvenir à une bonne vision des occupants de la rue Impériale et des évolutions tout au long de la seconde moitié du xixe siècle. Nous nous attachons ici essentiellement à 35 immeubles construits et gérés par la SRI le long de la rue Impériale.90

  • 91 C. Lévy-Vroelant, « Petit commerce et habitat entre 1930 et 1950 à Paris : de l’imbrication à la d (...)
  • 92 Rappelons qu’il y avait environ 7 000 habitants avant le percement.

60Le dénombrement des appartements et des locaux est en lui-même une tâche malaisée car les modes d’occupation évoluent. Bien qu’il n’y ait pas de reconfiguration majeure, on peut observer des fluctuations : tel rez-de-chaussée peut successivement être occupé par quatre puis cinq commerces, sans que sa surface soit modifiée. De la même façon, un appartement peut être loué par un ménage puis par une société, et ensuite par plusieurs sociétés, sans qu’il y ait pour autant de transformation physique lourde. Ajoutons à cela le fait que, selon la source, les entresols et les mansardes peuvent aussi bien être comptés comme des locaux indépendants que rattachés à un appartement principal, on comprendra qu’il convient de se montrer prudent dans les tentatives de recensement. Pour cette raison, il est important de partir d’un ordre de grandeur. Les 35 immeubles comptent environ 500 locaux, sans compter les entresols et les mansardes, dont 150 commerces et 350 appartements. Bien sûr, la distinction n’est pas aussi nette : beaucoup de commerçants vivent sur place et beaucoup d’appartements sont aussi des lieux d’activité (pour les professions libérales, et notamment les médecins), voire entièrement convertis en bureaux. Ainsi, on comptabilise 412 ménages au recensement de 1861, ce qui signifie qu’au moins 70 commerçants (environ un sur deux) sont comptés comme des habitants. Résident-ils pour autant dans une partie de leur local commercial ? Ce n’est pas certain. Le recoupement de l’espace domestique et de celui de la boutique est habituellement associé aux quartiers populaires. On a tendance à penser que l’organisation de l’immeuble haussmannien a contribué à la séparation des espaces.91 Il semble ici que ce ne soit pas systématiquement le cas, du moins au cours des premières années d’existence de la rue Impériale. Cependant, étant donné le caractère spacieux des locaux et leur agencement, la superposition des espaces est sans doute limitée. La population des 35 immeubles se monte à 1 560 personnes (2 600 pour l’ensemble de la rue Impériale92), soit 3,78 personnes par ménage. Ce ratio relativement élevé (rappelons qu’il était de 3,08 personnes par ménage avant le percement de la rue) ne s’explique pas seulement par la taille des familles mais aussi par la présence des domestiques et autres employés de maison.

  • 93 Les dénominations professionnelles dans les recensements privilégient davantage les appellations a (...)

61On ne s’étonnera pas de ce que les locataires appartiennent à des catégories sociales nettement supérieures à celles qui prédominaient avant le percement de la rue. En 1861, la catégorie la plus représentée est celle des commerçants (35 % des chefs de ménage), dont 16 % dans le secteur du textile et de l’habillement (chapeliers, modes, nouveautés, marchands de rubans, soie, lingerie, auxquels ajouter la confection et une vingtaine de tailleurs et marchands tailleurs), 2 % dans la bijouterie ou l’horlogerie, 4 % dans la restauration (surtout des cafetiers), 4 % dans l’alimentation (dont seulement 4 épiceries, à comparer aux 67 qui étaient implantées avant la percée), et 9 % de commerces divers (librairies, merceries et pharmacies pour les plus nombreux). Les artisans sont moins nombreux (7 % des chefs de ménage). Artisans et commerçants sont donc extrêmement présents dans les premières années de la rue, dans des secteurs très différents de ceux qui caractérisaient l’ancien quartier. Le luxe (bijouteries) et les modes, nouveautés et soieries, florissantes à l’aube de l’essor des grands magasins, sont le signe distinctif de la rue Impériale. Cette population commerçante est sans doute hétérogène, présentant un continuum entre l’appartenance aux catégories supérieures et la survivance du petit commerce local de la première partie du siècle. Aux côtés des commerçants les plus fortunés, différentes composantes de la bourgeoisie sont également bien présentes. Les rentiers représentent 17 % des chefs de ménage, les négociants et fabricants 8 % et les professions libérales (médecins et avocats, avec lesquels on compte quelques professeurs) 13 %, soit 38 % que l’on peut rattacher à la bourgeoisie. D’ailleurs, près des trois quarts de ces ménages ont des domestiques. Certains n’en ont qu’un seul mais il n’est pas rare d’en compter plusieurs : femmes de chambre, cuisiniers, nourrices voire institutrices. Ainsi, Benjamin Chomel, directeur de la SRI entre 1886 et 1921, qui réside en 1876 au numéro 49 avec ses six enfants, emploie une cuisinière, deux domestiques et une nourrice. Le point notable est la quasi-absence d’entrepreneurs, directeurs de sociétés et autres industriels, pourtant typiques des nouvelles fractions des élites lyonnaises. Même en tenant compte du fait qu’une partie des « négociants » sont en fait des industriels93, la fonction traditionnelle du négoce, notamment celui de la soie mais pas exclusivement, semble bien la plus représentée. Les employés constituent 16 % des chefs de ménage, dont 6 % de représentants et voyageurs de commerce. Les ouvriers sont en revanche très peu nombreux (3 % des chefs de ménages), comptant quelques ouvrières du textile (passementière, ourdisseuse, etc.), lingères et garçons de peine, auxquels on peut ajouter les concierges et leurs conjoints.

62La sociologie des autres immeubles de la rue n’est pas radicalement différente, du moins pour les immeubles neufs non gérés par la SRI. Il n’y a pas, du moins dans le peuplement initial, de distinction entre les immeubles gérés par la société et les autres. La seule portion de rue qui s’en distingue réellement est celle de l’ancienne rue Bellecordière. Elle demeure plus traditionnelle et plus populaire que le reste de la rue, avec proportionnellement quatre fois plus d’ouvriers que dans les immeubles de la SRI (16 %), mais deux fois moins de négociants et d’employés (respectivement 4 % et 7 %). Il subsiste également des activités qui rappellent la période antérieure à la percée (quatre cordonniers, deux corroyeurs, deux menuisiers). Bien que ne restant pas épargnée par les changements, la partie non détruite de la rue conserve donc des caractères anciens au début des années 1860.

63Le nombre de ménages diminue rapidement au cours des quinze premières années d’existence de la rue, puis plus lentement, passant de 412 à 366 au recensement de 1876 et à 346 en 1891. L’explication tient dans la diminution, en effectif comme en valeur relative, des commerçants résidant sur place (et non du nombre de commerces) : on passe ainsi de 143 chefs de ménages commerçants en 1861 à 80 en 1876 et à 67 en 1891. Au cours des quinze premières années suivant l’ouverture de la rue, la part des commerçants résidant sur place diminue, montrant une dissociation accrue entre l’espace résidentiel et celui du commerce qui laisse à penser que la relative imbrication des deux n’était qu’une survivance. Un autre facteur contribue à la baisse du nombre de ménages résidents : la conversion d’appartements en bureaux dans les étages. On ne peut malheureusement pas réellement suivre cette évolution sur les premières années de la rue. Il est certain cependant que le processus s’accélère à la fin du xixe siècle. Les bureaux représentent 10 % des locaux en 1890, 19 % en 1914 soit un quasi-doublement. Le nombre de compagnies d’assurances passe de 13 à 23 (la Nationale, la Lutèce, la Providence, etc.) tandis que les sièges de sociétés industrielles apparaissent (13 en 1914 dont 4 compagnies houillères). Ces bureaux s’installent sur l’ensemble de la rue. On le voit sur la Carte 4 : si les établissements bancaires et les agents de change sont assez concentrés autour du palais du Commerce et dans la partie nord de la rue, les assurances sont disséminées avec, il est vrai, une forte présence autour de la place de la République.

Carte 4. Spatialisation des banques, assurances et agents de change au début du xxe siècle

Carte 4. Spatialisation des banques, assurances et agents de change au début du xxe siècle

64La rue est également le siège du cercle du Commerce (au no 16) et du Jockey-Club (au no 19), ainsi que d’autres associations comme la chambre syndicale de l’association de la Fabrique lyonnaise en 1890 (no 7) ou le syndicat lyonnais de l’horlogerie en 1914 (au no 48). La part des commerces et des lieux d’exercice des professions libérales reste constante (respectivement un tiers et 5 % des locaux) mais celle du résidentiel diminue mécaniquement devant l’augmentation du nombre de bureaux. Elle n’est plus que de 41 % en 1914. La conversion des « quartiers bourgeois » en « quartiers d’affaires » mise en évidence par M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot sur les boulevards de l’ouest parisien à la fin du xxe siècle n’est donc pas réservée à la période actuelle. Avec une ampleur moindre, elle est à l’œuvre, et plus qu’en germe, dans la rue Impériale dès la Belle Époque. Il est vrai que sa vocation commerciale a été affirmée dès sa création. Cela montre à quel point, malgré le développement de nouveaux quartiers rive gauche du Rhône, la rue de la République conserve et accentue son rôle de centre des affaires.

  • 94 P. Cayez, Crises et croissance de l’industrie lyonnaise 1850-1900, Paris, Éditions du CNRS, 1980. (...)

65Ces tendances sont concomitantes de deux autres transformations : le renforcement de la part des catégories bourgeoises traditionnelles et le développement des classes moyennes salariées (voir Graphique 13). Les rentiers et les négociants sont en effet plus nombreux en 1876 qu’en 1861 (en effectifs comme en valeur relative) puis se stabilisent. La proportion de professions libérales (comptées avec les « autres » sur le graphique) reste stable aux alentours de 15 %. Le nombre de chefs de ménage ouvriers a quant à lui été divisé par deux. L’embourgeoisement de la rue progresse donc tout au long du Second Empire, sans pour autant que les nouvelles couches fortunées nées de la prospérité économique et de la diversification du tissu industriel lyonnais94 y fassent leur entrée. Entrepreneurs et industriels sont tout aussi peu présents en 1891 qu’en 1861. Le mouvement d’embourgeoisement, signe du succès des locations se tasse à partir des années 1870, peut-être du fait de la conjoncture économique. La proportion de domestiques suit très exactement cette évolution : 33 % de ménages ont des domestiques en 1861, 48 % en 1876 et 47 % en 1891.

Graphique 13. Principales catégories sociales des locataires de la rue Impériale d’après les recensements de population en 1861, 1876 et 1891

Graphique 13. Principales catégories sociales des locataires de la rue Impériale d’après les recensements de population en 1861, 1876 et 1891
  • 95 L. Bonneval et F. Robert, « Peuplement du centre-ville et mobilité des locataires. Lyon, 1891-1968 (...)
  • 96 On sait que la désignation « employé » qui figure dans les recensements, le plus souvent sans aucu (...)

66L’accroissement des classes moyennes salariées, c’est-à-dire essentiellement des employés, est quant à elle continue : 16 % des ménages en 1861, 18 % en 1876 et 21 % en 1891. De ce point de vue, la tendance est assez conforme aux transformations profondes de la structure de l’emploi et du peuplement des centres-villes, même si elle est précoce.95 Les employés de 1891 ne sont plus tout à fait ceux de 1861 : les employés de commerce, voyageurs et représentants ont reculé (8 % à 2 % des ménages) face aux employés de bureau (7 % à 18 % des chefs de ménage). Ils forment une population hétérogène96 comme le montre par exemple le fait qu’un quart d’entre eux emploie un ou plusieurs domestiques.

  • 97 Il ne s’agit pas nécessairement de commerces bas de gamme : ainsi, l’une des quincailleries est pr (...)

67La nature des commerces ne change pas profondément sur l’ensemble de la période. Le textile et l’habillement (y compris la chaussure et la chapellerie) restent dominants avec une cinquantaine d’établissements, et ce malgré le succès des grands magasins de nouveautés. Il connaît toutefois quelques évolutions qui vont dans le sens de l’idée d’une prospérité croissante de la rue : entre 1890 et 1914, les bijoutiers et orfèvres voient leur nombre passer de 10 à 15, de 8 à 2 pour les bimbeloteries et quincailleries.97 À l’intérieur d’un même secteur d’activité, les commerces se renouvellent. On peut le voir sur le Tableau 27 avec l’habillement.

Tableau 27. Commerces d’habillement en 1861, 1890 et 1914

1861 1890 1914
Bonneterie 4 1
Chapellerie 8 5 2
Chaussure 2 3 15
Chemiserie 3 6 2
Corset 2 2 4
Gant 3
Lingerie 2 2 4
Modes et nouveautés 5 5 10
Soierie, broderie 10 8 5
Tissus 2 1
Autres 15 15 9
Total 48 51 55

68Trace de l’évolution des modes de consommation, les chapeliers et marchands de soierie et broderie ont tendance à décliner, de même que les tissus, au profit des marchands de chaussures, de modes et de nouveautés (malgré la concurrence des grands magasins) et dans une moindre mesure de gants, corsets et lingeries. L’une des évolutions majeures au tournant du siècle est l’implantation de la Belle Jardinière, grand magasin de confection pour hommes, à la place du Grand Hôtel Collet. Avec Aux Deux Passages, cette implantation rééquilibre l’organisation spatiale des grands magasins en donnant plus de poids au sud de la rue. Pour autant, la distribution spatiale des commerces ne laisse pas apparaître de spécialisation notable. La place de la République, autour de laquelle se trouvent les plus grands immeubles gérés par la SRI, concentre presque mécaniquement le plus grand nombre de commerces mais sans pour autant qu’un type ou un autre de commerce y soit surreprésenté. Certes, les répartitions dans l’espace ne sont pas homogènes. Les magasins de modes se répartissent sur l’ensemble de la rue tandis que les chemiseries sont concentrées dans le nord de la rue, en amont du secteur des banques et de la bourse. Les schémas d’implantation peuvent donc varier sans qu’il y ait de regroupement suffisamment fort pour parler de spécialisation.

Conclusion de la deuxième partie

69La gestion de la SRI la distingue des autres sociétés immobilières de grande taille créées durant le Second Empire. Elle se plie aux rigueurs d’une politique de désendettement en modérant la croissance du dividende versé et en s’abstenant de tout réel projet d’expansion jusqu’à la fin des années 1890. Elle parvient à rembourser intégralement son emprunt avant l’échéance prévue, après avoir payé 27 MF d’intérêts (soit l’équivalent de son capital social) étalés sur une cinquantaine d’années. Cette discipline, parfois contestée, repose sur un noyau d’actionnaires socialement homogène qui maintient l’emprise originelle d’une fraction de la bourgeoisie lyonnaise sur la société. Les familles dont le CA représente les intérêts ont tenu d’abord à liquider l’emprunt avant de se lancer dans d’autres opérations. Les actionnaires à la recherche de profits immédiats ont assez rapidement revendu leurs actions et renforcé, par là-même, le groupe social des actionnaires majoritairement composé de rentiers/propriétaires. La vision à long terme a donc prévalu et s’est imposé « naturellement ».

70Cette mainmise sur la SRI se superpose à celle que l’on peut observer dans l’espace urbain. La rue Impériale représente une véritable vitrine de la modernité et de la bourgeoisie lyonnaise triomphante. Certes, elle reste à l’écart des opérations d’aménagement et de l’installation du tramway, mais ces transformations urbaines contribuent à l’attractivité de la rue et à l’augmentation de la valeur des loyers. La SRI bénéficie ainsi des investissements d’autres acteurs, publics comme privés. Elle joue surtout un rôle dans la nature des commerces qui bordent la rue. Les administrateurs les sélectionnent soigneusement, en s’assurant la cohésion commerciale de la rue et de la bonne morale, dédaignant notamment les entreprises de spectacles. Les mésaventures des Grands Hôtels et l’obstination à vouloir conserver dans la rue ce type d’établissement montrent que les présupposés des administrateurs sont parfois pris en défaut. Néanmoins, avec plus de 2,2 MF de loyers annuels, les administrateurs peuvent entrevoir d’autres possibilités d’expansion à la veille de la Première Guerre mondiale.

Notes

1 Traité du 7 septembre 1859 entre la SRI et Vaïsse. AG du 29 avril 1860. « La ville de Lyon et la société de la rue Impériale ont reconnu qu’il était fort difficile de correspondre pour l’administration de ce marché à leurs vues et à leurs intérêts respectifs ; que cette administration donnerait lieu à des règlements compliqués, assujettirait la ville au contrôle d’une perception très détaillée, […]. » En conséquence, la SRI renonce à la jouissance du marché. AML 321 Wp 175.

2 La SRI rétrocèdera une somme de 150 000 F à Berloty et Gignoux qui ont effectué une avance de trésorerie pour permettre le lancement de travaux supplémentaires consistant à équiper le marché de caves individuelles pour les commerçants. Ces modifications sont jugées nécessaires pour assurer la location des emplacements. (CA du 30 avril 1858)

3 La SRI a construit un grand magasin avec caves, rez-de-chaussée et un étage, et le loue à un commerçant, Jean Dabonneau, à raison de 55 000 F par an, qui installe son magasin de nouveautés sous l’enseigne « Grands magasins à la ville de Lyon ». En septembre 1868, la Cie le vend à Louis Arnoult, négociant. (ADR, Conservation des hypothèques, volume 1191, no 6395 du 28 septembre 1868). Par la suite, Henry Perrot rachètera le bâtiment en 1886 pour ouvrir le Grand Bazar.

4 Le prix de vente est échelonné (300 000 F au comptant, 50 000 en janvier 1873, 50 000 en janvier 1874 et 1,1 MF le 15 janvier 1909) avec un intérêt à 5 % annuel sur la somme due. Louis Arnoult récupère l’exemption fiscale pour une durée de 4 ans. Conservation des hypothèques volume 1191 no 6395 du 28 septembre 1868.

5 Les importants travaux à réaliser dans l’hôtel conjugués aux importants frais d’entretien et à la forte augmentation des impôts avant l’expiration du bail pour les grands magasins ne sont pas étrangers à ces aliénations. AG du 14 janvier 1868 et 1869.

6 Voir AG du 5 avril 1892 et ADR 3334 w 346.

7 AG des 14/01/1868 et 24/01/1863. Nous n’avons pu localiser la parcelle.

8 ADR 3334 W 181 et 346. 4507 W.

9 Le nom de la rue change en 1870 (rue de Lyon) puis en 1878 (rue de la République). ADR 3334 W 181. Acquisition enregistrée les 12 avril et 3 juin 1872 au prix de 50 507 F. AG du 8 avril 1873. La Cie détruira l’immeuble de la rue Dubois pour le reconstruire ensuite à ses frais. Seul le gros œuvre est pris en charge par la SRI, le Crédit lyonnais locataire (bail de 20 ans) prend à son compte les autres frais (agencement, distributions). Le no 11 de la rue Childebert contigu au no 44 de la rue République, acquis d’après un récapitulatif de la SRI en 1880, ne possède aucune inscription dans les registres des transcriptions.

10 ADR 3334 W 181. Acquisition enregistrée le 20 juin 1885 au prix de 100 000 F. AG du 13 avril 1886.

11 Les négociations qui s’étaleront sur plusieurs mois correspondent à un marchandage commun : mis à prix à 400 000 F pour un revenu brut de 24 500 F (6,2 %), prix proposé par la SRI 375 000 F et une vente à 387 000 F. CA du 1er septembre, 3-17 novembre et 1er décembre 1905.

12 Cet hôtel est géré par la Société anonyme du grand hôtel Collet & Continental de Lyon créée en 1883 au capital social de 700 000 F dont 43 % est possédé par la veuve Collet. A. Bozon, Manuel des sociétés par actions de la région lyonnaise, Lyon, 1893, p. 584.

13 AG du 5 avril 1887.

14 CA des 6 septembre et 18 octobre 1907 et ADR 4507 W.

15 CA du 5 septembre 1902.

16 Le Crédit lyonnais voulait un rabais de 250 000 sur le prix de 1 850 000 frs demandé par la Cie. Dans un premier temps, le conseil d’administration refuse le marchandage puis consent à une réduction de 100 000 F. CA du 6 novembre 1903 à avril 1904.

17 Une seule fois, la SRI acquiert des immeubles avenue Jean-Jaurès sur la rive gauche du Rhône en 1904. Curieusement cette acquisition n’est pas enregistrée au bureau des hypothèques.

18 D. Bertin, Les transformations de Lyon sous le préfet Vaïsse : étude de la régénération du centre de la presqu’île. 1853-1864, thèse d’histoire de l’art, Université Lyon 2, 1987, p. 246 et suiv.

19 Vermorel, AML 3 ii 39. La surface bâtie est de 19 225 m2.

20 Dès avril 1889, c’est-à-dire avant le début des expropriations, les actionnaires donnent tous pouvoirs au CA pour l’acquisition ou échange d’immeubles. AG du 9 avril 1889.

21 F. Rivet, Une réalisation d’urbanisme à Lyon à la fin du xixe siècle : l’aménagement du quartier Grolée (1887-1908), Lyon, 1955, p. 26.

22 AG du 9 avril 1889.

23 En 1897, le total des emprunts de la ville s’élève à 35,7 MF avec des annuités de 1,5 MF. F. Rivet décrit ce chantier comme « un véritable nid à procès » entre la mairie et la société de Delamarre et Ferrand (maître d’œuvre) mais aussi avec les entrepreneurs. Procès dans lesquels la mairie est tantôt demandeuse tantôt défenseuse. F. Rivet, ibid., p. 61 et suiv.

24 Ibid., p. 64.

25 CA du 22 juin 1897. (3 % aux actions pendant 15 ans, 4 % pendant 5 ans puis 5 % jusqu’à la libération du capital par amortissement des obligations au bout de 80 ans.)

26 CA du 15 septembre 1899. Ferrand demande en échange 1 million en titres libérés de la future société et 3 millions en espèces. Le revenu brut des loyers devant s’élever à 1,4 M, il resterait, toutes charges payées, un intérêt de 4 % du capital (220 000 F de bénéfices). Chomel, le directeur, revoit le revenu des loyers à la baisse, 1,25 M en raison du poids des charges (250 000 au lieu de 170 000) mais pense que l’opération est réalisable. La valeur locative, après une étude, se monterait à 1,1 M (CA du 8 décembre).

27 CA du 20 décembre 1899. Sur la période 1902 à 1908, les calculs donnent une recette de 10,4 M, pour 7,8 M de dépenses. Le solde se répartit entre la rémunération du capital à 4 % (1,6 M) et la mise ne réserve d’1 M.

28 Chomel s’exprimant sur le rachat de l’ensemble pour 23 MF juge que « l’opération, sans être brillante, nous paraît pouvoir se tenir ». F. Rivet, Une réalisation d’urbanisme à Lyon à la fin du xixe siècle, ouvr. cité, p. 65.

29 CA du 15 juin 1900.

30 CA du 21 avril et 4 novembre 1898.

31 AG du 10 janvier 1856.

32 Chiffres fournis lors de l’AG du 12 janvier 1864.

33 AG du 19 avril 1858.

34 AG du 12 janvier 1864.

35 AG du 16 mai 1871. « Le présent est si menaçant encore et l’avenir est enveloppé de si redoutables ténèbres que toute vie commerciale et industrielle semble être suspendue. » Il reste alors pour 400 000 F de baux à renouveler.

36 L. Bonneval et F. Robert, L’immeuble de rapport, Rennes, PUR, 2013.

37 AG du 9 avril 1880.

38 AG du 13 avril 1885.

39 À Lyon, le réseau de distribution d’eau et les égouts sont étroitement liés puisque la Cie générale des eaux va aussi construire la moitié des égouts secondaires. Les deux réseaux sont étroitement liés bien que le traité passé avec la ville porte essentiellement sur la fourniture à la ville, d’eau pour le lavage des rues, l’alimentation des fontaines publiques et secondairement la distribution dans les maisons bourgeoises. Cette partie du réseau correspond donc à l’association d’une fonction édilitaire de l’eau et d’une fonction de confort limité aux quartiers résidentiels notamment ceux du centre ville. F. Scherrer, L’égout, patrimoine urbain. L’évolution dans la longue durée du réseau d’assainissement de Lyon, thèse d’urbanisme, Université Paris 12, 1992, p. 146.

40 Des collecteurs centraux (égouts) dans les rues Impériale et Impératrice. F. Scherrer, ibid., p. 145.

41 Le décret-loi du 26 mars 1852 sur les rues de Paris est devenu applicable à Lyon par le décret du 13 décembre 1853.

42 Par le traité du 24 mai 1855, la SRI peut déverser directement, par des branchements particuliers, toutes les matières dans l’égout collecteur à condition d’être abonné aux eaux de la ville, d’installer des appareils séparant les liquides des solides et de laisser couler librement les liquides au fur et à mesure de leur émission. « Seules ces deux dernières conditions ne paraissaient pas convenablement remplie. » AML 923 Wp 11, notice sur les établissements particuliers dont les fosses communiquant directement avec les égouts en vertu de droits particuliers de R. Busques (4 juin 1896). R. Barre-Suquet, L’assainissement à Lyon de 1850 à 1914, mémoire de maîtrise, Université Blaise-Pascal, 1995, p. 30 et suiv.

43 Le Salut public et Le Progrès des 10 et 14 novembre 1862 cités par Morel, Périat frères et Guinet, Étude d’un avant-projet de désinfection des égouts des rues impériale, impératrice, Centrale et Saint Dominique par un mode de vidange permanentes et complètement inodores, Lyon, 1862, p. 3. AML 1 I 268.

44 Le Progrès (14 novembre 1862). « On avait sans doute espéré que cet afflux continuel de liquides déterminerait dans les égouts un courant de nature à ne pas laisser séjourner d’impuretés. » Le Salut public du 10 novembre 1862.

45 R. Barre-Suquet, L’assainissement à Lyon de 1850 à 1914, ouvr. cité.

46 J.-P. Aguerre, « Scatophobie des villes, scatophilie des champs. Gestion et utilisation des fèces à Lyon à la fin du 19siècle », Ruralia, 12/13, 2003, mis en ligne le 1er juillet 2007 : [https://journals.openedition.org/ruralia/343], consulté le 22 mai 2018.

47 Voir S. Frioux, Les batailles de l’hygiène. Ville et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, Paris, PUF, 2013. L’auteur décrit des situations analogues et plaide pour une lecture politique de l’assainissement. Les administrateurs de la SRI ne devaient pas apprécier les premiers maires républicains (Hénon et Barodet). De 1873 à 1874, la ville est dirigée par une commission nommée puis élue mais sans véritables pouvoirs. Ce n’est qu’en 1881 que la mairie retrouvera son indépendance.

48 CA du 13 février 1874 et AG du 31 mars 1874.

49 CA du 13 février 1874. Ils séparent les fonctions des égouts, les eaux dans l’égout de la rue lanterne et les matières fécales dans celui de la place.

50 F. Scherrer, L’égout, patrimoine urbain, ouvr. cité, p. 160.

51 En 1878, les administrateurs parlent de régisseurs (« Locataires et régisseurs qui font toujours bon ménage… » AG du 9 avril 1878, voir plus haut paragraphe 2.1.) en faisant référence au personnel chargé d’encaisser les loyers et non à une fonction extérieure à la SRI. Il existe une régie de la rue Impériale, que l’on connait à travers les plans déposés aux archives (AML 167 ii) mais dont les administrateurs ne parlent jamais. Il s’agit probablement d’un service autonome plus spécifiquement chargé de la réalisation des travaux.

52 P. Leverne, Une grande entreprise immobilière, la société immobilière marseillaise, Marseille, Imprimerie Leconte, 1925.

53 P. Leverne mentionne ainsi le règlement de 1873 qui instaure le bureau des locations : « L’écueil du Bureau des Locations est de donner entrée, sans informations suffisantes, à tout venant. Les trop nombreuses non-valeurs qui s’ajoutent chaque jour à notre compte de pertes, ne justifient que trop la réputation acquise à la Compagnie d’être le refuge de tous les expulsés, de toutes les défroques des autres propriétaires ». Ibid., p. 94. On peut penser que, dans le cas de la SRI, la réputation et la recommandation jouent un rôle essentiel dans la sélection des locataires.

54 A.-S. Beau, Grand Bazar modes d’emploi, les salariés d’un grand magasin 1886-1974, thèse pour le doctorat d’histoire, Université Lyon 2, 2001.

55 Loi du 17 mars 1909 (JO du 19 mars – Vente et natissement des fonds de commerce).

56 Société anonyme créée en 1892 au capital de 2,2 MF.

57 En plus des raisons évoquées par les administrateurs de non-concurrence, on peut noter que ce refus se déroule en pleine affaire Dreyfus.

58 CA du 18 avril 1890.

59 D. Harvey, Paris capitale de la modernité, Paris, Les prairies ordinaires, 2012.

60 CA du 29 mars 1895.

61 CA 24 avril 1904. 

62 CA des 24 avril et 16 octobre 1903.

63 Qui est vendu en 1904, voir chapitre sur le patrimoine bâti.

64 La SA lyonnaise d’emploi de fonds et de crédit l’Omnium est dissoute en 1892.

65 J. Gaillard, Paris la ville (1852-1870), Paris, L’Harmattan, 2000.

66 Ce que Tisseur résume fort bien : « Poncet n’avait pas songé qu’en créant la rue Impériale, il avait lui-même ruiné d’avance son entreprise des Terreaux. Il avait déplacé l’axe de la ville ; il avait transporté les affaires ailleurs avec la Bourse et le Tribunal de commerce, etc. Il s’était fait son propre concurrent et son concurrent heureux. […] Il jugeait qu’un passage bien plus large, bien plus commode que ceux de Paris, devait avoir au moins, toute proportion gardée, le même succès, et il considérait volontiers, selon l’expression lyonnaise, le massif des Terreaux comme le « rognon » de l’affaire de la rue Impériale. […] Les marchands, qui avaient, plus que Poncet lui-même, le flair de ce qui était bon et de ce qui était mauvais, ne se présentèrent pas, et encore moins lorsqu’ils virent que personne ne passait dans le passage. Celui-ci, pour lequel on avait rêvé des magasins tout en glaces et en dorures, dut être livré, et encore à la longue, aux petits bazars, aux vendeurs de bric-à-brac, aux cabinets de lecture et aux marchandes d’oranges. […] Non seulement la rue Impériale avait à tout jamais tué l’affaire des Terreaux, mais Poncet n’avait pas pris garde que son passage n’aboutissait à rien. Il venait se heurter contre les maisons du côté ouest de la rue Lanterne. Il ne pouvait servir qu’à se promener. Or, les habitudes lyonnaises ne sont pas les parisiennes. On ne se promène pas à Lyon, on va à ses affaires, et si l’on prend un moment de repos, c’est sur la place Bellecour, s’il fait beau ; s’il fait mauvais, dans un café ». C. Tisseur, dans « Benoît Poncet et sa part dans les grands travaux publics de Lyon », Annales de la Société Académique d’Architecture de Lyon, tome IV, exercice 1881-1882, p. 105-188.

67 A.-S. Beau, Grand Bazar mode d’emploi, ouvr. cité, p. 46.

68 La remarque vise la structure métallique du magasin.

69 Le Grand Hôtel compte 41 employés au recensement de 1861 (ADR 6MP 180) : 29 employés, 8 femmes de chambre, 3 garçons d’hôtel. On peut y ajouter le directeur et sa famille. L’hôtel Collet en emploie 36. Son équilibre économique nécessite 25 voyageurs par jour.

70 AG du 18 mars 1858.

71 AG du 9 avril 1879.

72 AG du 12 janvier 1867.

73 AG du 5 avril 1887.

74 François Faraut, Histoire de La Belle Jardinière, Paris, Belin, 1987.

75 CA du 23 juillet 1897. Une décision de justice contraint l’hôtel à supprimer ces machines électriques sous peine de résiliation du bail (CA du 11 février 1898).

76 CA du 4 novembre 1898.

77 CA du 30 décembre 1898.

78 CA du 22 janvier 1899.

79 AG du 5 avril 1887 : à cette date seuls 108 000 F (sur les 800 000) ont été versés.

80 AG du 9 avril 1879.

81 Ibid.

82 CA du 17 mars 1899.

83 CA du 21 avril 1899. Les administrateurs sont Rathyé, Kussler, Faure et Perrachon. Deux nouveaux sont nommés en 1900 : Leau et Verdalier (CA du 2 novembre 1900).

84 CA du 2 novembre 1900.

85 CA du 9 avril 1902.

86 CA du 18 avril 1902. Le nom du gérant n’est pas mentionné mais on peut penser qu’il s’agit de Jean Dufour qui apparaît dans le recensement de 1906 – ADR 6MP 493. Le notaire de la SRI, Berloty, est également pressenti pour rejoindre le conseil d’administration de la Société du Grand Hôtel.

87 F. Prieur, « Une ville en ordre, l’étatisation de la police lyonnaise 1848-1862 », Revue d’histoire urbaine, no 6, 2002, p. 87-113.

88 C. Brun, « Les violences contre les italiens de Lyon suite à l’assassinat du président Sadi-Carnot », L’atelier numérique de l’histoire. En ligne : [http://atelier-histoire.ens-lyon.fr/AtelierHistoire/episodes/view/98], consulté le 29 septembre 2017.

89 Tous les éléments relatifs au tramway sont issus de : L. Baldasseroni, La bataille de la rue : la voirie lyonnaise partagée entre les mobilités urbaines, 1879-1969, mémoire de master 2 à l’université de Lyon 3, 2014.

90 On en exclut par exemple l’immeuble de la Banque de France, ou encore celui du Grand Hôtel, qui sont occupés par un locataire unique.

91 C. Lévy-Vroelant, « Petit commerce et habitat entre 1930 et 1950 à Paris : de l’imbrication à la dissociation », N. Coquery dir., La boutique et la ville, Tours, Publication de l’université de Tours, 2000, p. 423-446.

92 Rappelons qu’il y avait environ 7 000 habitants avant le percement.

93 Les dénominations professionnelles dans les recensements privilégient davantage les appellations ayant trait au commerce qu’à l’industrie. Voir J.-L. Pinol, Les mobilités de la grande ville, Paris, PFNSP, 1991.

94 P. Cayez, Crises et croissance de l’industrie lyonnaise 1850-1900, Paris, Éditions du CNRS, 1980. L. Pierre, Géographie de la fortune et structures sociales à Lyon au xixe siècle (1815-1914), Lyon, Centre d’histoire économique de la région lyonnaise, 1974.

95 L. Bonneval et F. Robert, « Peuplement du centre-ville et mobilité des locataires. Lyon, 1891-1968 », Le Mouvement social, 2012, no 239.

96 On sait que la désignation « employé » qui figure dans les recensements, le plus souvent sans aucune précision, est assez floue. S’il s’agit le plus souvent d’employés de bureau, le terme peut concerner aussi des postes mieux payés et à responsabilité.

97 Il ne s’agit pas nécessairement de commerces bas de gamme : ainsi, l’une des quincailleries est présentée ainsi dans l’annuaire : « quincaillerie, articles de Paris, bimbeloterie, articles de voyage ».

Table des illustrations

Titre Photo 7. Rue de la République avant 1904
Légende Vue sud/nord de la rue à partir de la place de la République. À gauche, Aux Deux Passages, à droite, le café Riche.
Crédits Source : AML, 38 PH 56-30. Carte postale éditée par Giletta avant 1904. Bibliothèque municipale de Lyon / B01CP69000 000524.
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 748k
Titre Graphique 12. Évolution des loyers et des charges (1856-1910) en francs constants (francs de 1910)
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Titre Photo 8. Le tout-à-l’égout de l’immeuble situé au no 2 rue de la République
Crédits Source : AML, 187 ii 30. Plan du sous-sol. Les canaux (en bleu) sont directement reliés au collecteur central et aux WC des étages.
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Photo 9. Magasins de la place de la République dans les années 1910
Crédits Source : AML, 187 ii 606.
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 811k
Titre Carte 3. Principaux établissements de la rue de la République au début du xxe siècle
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-5.jpg
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Titre Photo 10. Grand Hôtel vers 1909
Crédits Source : AML, 4 FI 9260. À droite, la Banque de France, en face, le palais de la Bourse.
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 806k
Titre Carte 4. Spatialisation des banques, assurances et agents de change au début du xxe siècle
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 496k
Titre Graphique 13. Principales catégories sociales des locataires de la rue Impériale d’après les recensements de population en 1861, 1876 et 1891
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/12738/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 108k

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