Lectures de Michel Foucault. Volume 2
|Introduction
Texte intégral
1Les motifs ne sont pas les mêmes, qui invitent ou contraignent chacun à croiser Foucault au gré de recherches ou de simples lectures, et les rencontres qui ont donné lieu à cet ouvrage ont d’ailleurs révélé une grande diversité d’approches, de compréhensions, d’utilisations de la même « œuvre ». Toutefois, au fil d’interventions et de discussions – parfois vives – la présence quasi obsédante d’un même texte de Foucault semblait donner l’impression qu’en-deçà ou au-delà des motifs dispersés, un « souci » commun animait chacun des participants.
2Ce texte, explicitement sollicité ou discrètement présent, est un des derniers qu’écrivit Michel Foucault : il s’agit de son commentaire de Was ist Aufklärung ? de Kant. Sa lecture, et les implications qu’il en tire quant à ce que pourrait être aujourd’hui une « vie philosophique » sont sans doute les raisons essentielles de la fascination exercée par ces lignes et de leur fréquente sollicitation ; comme s’il se fût agi, pour chacun de ceux qui les croisaient, de se « situer » à l’égard du dernier Foucault. Par une forme de nécessité qui semblait excéder les réquisits de l’argumentation, il fallait que chacun, de manière ou d’autre, s’expliquât avec ce texte.
3C’est que l’êthos philosophique de la modernité, que Foucault définit à l’issue de ce commentaire comme une « ontologie critique de nous-mêmes », c’est-à-dire comme la conjugaison d’une analyse historique des limites qui nous sont posées et de l’épreuve de leur franchissement possible, nous invite à mettre réellement en question la manière dont notre pensée s’éprouve comme liberté, dès lors qu’elle réfléchit comme problème le sens, les conditions et les fins de nos conduites. Cette idée d’un « travail de nous-mêmes sur nous-mêmes en tant qu’êtres libres », en quoi tient tout entière une attitude de modernité ouverte à l’épreuve de l’actuel, semble à bien des égards austère, par son exigence d’attention et de diagnostic du présent. Travail d’enquêtes diverses nous dit Foucault, par lesquelles la singularité de nos rapports aux choses, aux autres et à nous-mêmes se voit éclairée à la lumière de leur formation historique. Travail risqué également, qui aux antipodes de projets radicaux, exige une mise à l’épreuve circonstanciée de ce savoir dans des pratiques concrètes afin d’en capter les possibles points de franchissement.
4Une histoire de la pensée plutôt qu’une histoire des idées : répétée ad nauseam, cette formule par laquelle Foucault n’a cessé de définir son travail ne prend pourtant tout son sens que si l’on saisit l’identité fondamentale entre pensée et liberté, malgré les apparences d’une décevante banalité. Enchâssées dans la même expérience d’une subjectivité accédant à elle-même dans le dépassement d’un mode d’être historiquement contingent, et qui invente de nouvelles possibilités d’être, pensée ou liberté forment la condition non abstraite d’une critique pratique. « La pensée, écrit-il, n’est pas ce qui habite une conduite et lui donne un sens ; elle est plutôt ce qui permet de prendre du recul par rapport à cette manière de faire ou de réagir, de se la donner comme objet de pensée et de l’interroger sur son sens, ses conditions et ses fins. »
5En somme, et s’il fallait une fois de plus justifier l’importance de débats consacrés à la « boîte à outils foucaldienne », celle-ci pourrait bien se résumer à cette exigence d’un libre travail de soi sur soi, en vertu duquel nulle familiarité ne saurait être durablement acquise. Et la présence entêtante du commentaire de Was ist Aufklärung ? s’explique peut-être par une volonté d’éclairer peu ou prou ce que nous lui devons : un souci d’ordonner nos pratiques quotidiennes au libre exercice de nos pensées.
6Pour dispersées qu’elles puissent apparaître, les interventions réunies ici ont participé néanmoins d’un projet commun : donner la parole aux lecteurs de Foucault qui lui consacrent leurs recherches aussi bien qu’à ceux qui le lisent à partir d’autres champs d’investigation. Enrichies ou renouvelées par les Dits et écrits, ces lectures sont autant de manières singulières d’entrer dans l’œuvre, de la réactiver, de la critiquer.
7Jacques d’Hondt questionne ici le rapport de Foucault à l’épistémologie discontinuiste ; Béatrice Han étudie les transformations du concept d’a priori historique de la méthode archéologique à la méthode généalogique ; Olivier Remaud confronte Foucault et Spinoza ; Didier Ottaviani mène une enquête comparative sur les sociétés de discipline et de contrôle chez Foucault et Deleuze ; Philippe Artières montre l’efficace des normes chez les auteurs (déviants, criminels, prisonniers) d’écritures ordinaires ; Tristan Dagron lit Les Mots et les choses en rapportant notamment l’espace de dispersion de la prose du monde aux textes de Pic de la Mirandole et Giodarno Bruno ; Franck Fischbach enfin se penche sur la question de la constitution de soi comme sujet de son temps en partant de la lecture foucaldienne du texte de Kant Was ist Aufklärung ?
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