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Le marché des matières premières dans l’Antiquité et au Moyen Âge

 | 
Didier Boisseuil
, 
Christian Rico
, 
Sauro Gelichi

Transport et circulation des matières premières

D’argent, de verre et de plomb : maximisation de la production et économie de pénurie dans les mines de Melle au haut Moyen Âge

Florian Téreygeol, Guillaume Sarah et Bernard Gratuze

Résumé

Le gisement d’argent de Melle a été ouvert au cours du VIe siècle de notre ère. L’exploitation prend son essor dans la seconde moitié du VIIe siècle pour décliner et s’éteindre au Xe siècle. Ainsi, durant près de 4 siècles, Melle aura été un haut lieu de la production d’argent en Europe, et sûrement le premier de l’Empire carolingien. Mais il n’est plus possible de réduire au seul métal blanc la production minière melloise du haut Moyen Âge. Le plomb, sous-produit évident de cette métallurgie basée sur la transformation de la galène argentifère, doit être pris en considération. Plus inattendu, le verre est également inclus dans ce schéma technique et économique. Les travaux engagés portant sur la diffusion des produits de cette mine à travers l’Europe associés aux fouilles des sites archéologiques mellois mettent en lumière la logique productive qui sous-tend cette exploitation minière de premier plan et dont la première victime a été le couvert forestier voisin.

Entrées d'index

Texte intégral

Introduction

  • 1 Lecointre-Dupont 1840.
  • 2 Rondier 1870.
  • 3 De Bonnard 1823, p. 491-498 ; Cressac – Manes 1830, p. 169-278.
  • 4 Barrandon – Dumas 1990, p. 901-906.
  • 5 Voir les actes du colloque « Mine, Métal, monnaie. Autour du cas de Melle, les voies de la quantif (...)

1Dès le XIXe siècle, il est apparu évident que Melle en Poitou avait été le lieu d’une intense activité minière qui avait largement participé à l’essor de la monétarisation de l’économie du monde franc. Ce sont plus particulièrement les travaux de G. Lecointre-Dupont qui ont mis en lumière la relation entre cette petite cité et l’impressionnant numéraire au nom de METALLUM et de ses dérivés retrouvés sur l’ensemble du territoire1. R.F. Rondier, juge de paix à Melle de 1830 à 1853, approfondit le sujet en soulignant le lien entre l’existence du monnayage d’argent mellois et la présence de la mine pour la période carolingienne2. Plus que les géologues de Bonnard, Cressac et Manes3, il est le premier à avoir une vision confinant à l’archéologie minière. Cependant, jusqu’à la fin du XXe siècle, le débat est principalement centré sur la numismatique et l’élaboration d’un corpus typo-chronologique fiable. Ces questions ne sont pas encore épuisées, et le recours à la physique a permis d’ouvrir de nouvelles pistes mettant en jeu les rapports isotopiques du plomb contenu dans les monnaies4. La mise en place d’un programme de recherche portant sur l’archéologie minière et métallurgique entre 1995 et 2003, puis un second de 2009 à 2011 se focalisant sur les produits de la mine5 ont permis de combiner des données provenant aussi bien de la numismatique, de l’archéométrie que du terrain. C’est le croisement des résultats issus de ces différentes disciplines qui autorise aujourd’hui une réflexion sur la nature des productions melloises au haut Moyen Age et sur leur importance. En l’état de la recherche, trois matériaux sont considérés ici : deux sont métalliques, le plomb et l’argent, le troisième, plus inattendu, est le verre (fig. 1).

Fig. 1 – Localisation de Melle et diffusion extrême des produits de la mine.

Fig. 1 – Localisation de Melle et diffusion extrême des produits de la mine.

L’environnement minier

  • 6 Coiteux 1982.

2Avant de rentrer dans le détail des productions altomédiévales, il n’est pas possible de faire l’économie d’un survol des conditions géologiques qui ont permis à cette exploitation d’exister. Les études géologiques conduites depuis la seconde moitié du XXe siècle permettent de poser sans trop de risque que le minerai exploité est une galène. Il s’agit d’un sulfure de plomb légèrement argentifère6 dont la teneur en métal précieux ramenée au plomb évolue entre un et cinq pour mille. Il n’a jamais été caractérisé pour ce gisement autre chose que ce sulfure. La sphalérite (sulfure de zinc) est bien présente, mais à titre anecdotique, et aucune relation métallogénique n’a été établie entre elle et l’argent comme cela peut être le cas pour les gisements du groupe Pb-Zn-Ag auquel appartient celui de Melle. L’exemple se présente ainsi assez simplement sur le plan de la minéralisation et offre un cas rare d’exploitation exclusive de galène argentifère.

  • 7 Les premières prospections ont eu lieu en 1957 : J. Lougnon, Programme de travaux de reconnaissanc (...)

3La distribution du gisement sur le territoire de Melle et des communes voisines est également bien cernée suite à l’étude conduite par le BRGM dans la seconde moitié du XXe siècle7. La minéralisation prend place dans un karst. Elle s’inscrit dans un quadrilatère de dix kilomètres de côté et couvre dans cet espace 47 km², avec Melle dans la bordure sud (fig. 2). Les carottages géologiques conduits en divers points du gisement donnent une image de la répartition verticale de la galène dans le karst du calcaire du Pliensbachien. La partie minéralisée de cette formation secondaire se trouve entre zéro et six mètres, directement sous les marnes bleues du Toarcien. Sa concentration a été estimée mètre par mètre en commençant par le toit de la couche. Dans le premier mètre, on trouve 1,6 % de la teneur totale en plomb. Entre les mètres deux et cinq, soit les deux tiers de la puissance du niveau minéralisé, se concentre la majeure partie de la galène (96,3 %). Le dernier mètre ne tient que 2,1 % de la teneur totale en plomb. Le gisement en lui-même est stratiforme, avec un pendage réduit de l’ordre de 1 %. Ces recherches géologiques avaient pour finalité d’estimer le potentiel économique de ce dépôt dans l’optique d’une réouverture. Une estimation des ressources encore disponible a donc été posée par les géologues : 750 000 tonnes de plomb et 1400 tonnes d’argent. C’est une première information d’importance montrant que le gisement n’a pas été épuisé par l’exploitation médiévale.

Chronologie de l’activité minière et métallurgique

  • 8 Gesta Dagoberti I regis francorum, éd. B. Krusch, MGH. SRM., t. II, Hanovre, 1888, c. 40, p. 419 : (...)

4Dès le début du VIIe siècle, à en croire la Gesta Dagoberti8, Melle est en mesure de délivrer tous les deux ans un cens de 8000 livres de plomb. Ce texte est apocryphe, pourtant les datations radiocarbones obtenues sur les sites d’exploitation du mellois montrent, avec l’imprécision inhérente à la méthode, que le gisement a été effectivement mis en exploitation dès la période mérovingienne : les premières occurrences inscrivent les prémices de cette exploitation au VIe siècle. Une de ces deux dates hautes à notre disposition a été obtenue sur un atelier d’enrichissement de minerai scellé par l’édification de l’église Saint-Pierre dans l’actuelle agglomération. Il daterait de la période comprise entre 565 et 770. Mais la date la plus ancienne a été obtenue sur une halde, en tête de puits, dans le secteur de Mouchedune (commune de Saint-Léger-de-la-Martinière, limitrophe de Melle). Elle marque un travail minier prenant place entre 410 et 615. À ce jour, aucune date plus haute n’a été obtenue et l’on peut avancer que l’exploitation ne doit rien au monde romain. Le VIIe siècle voit un réel accroissement de l’exploitation qui ne se démentit pas jusqu’à la fin du IXe siècle. Le Xe siècle marque à la fois un repli puis l’arrêt de l’activité. Il faut noter comme un fait exprès que, sur les 30 dates 14C réalisées, aucune n’excède l’an Mil.

5La distribution spatiale des premières occurrences pour chaque site daté est également intéressante (fig. 2). Après la découverte du gisement, les mines se développent au VIIe siècle sous l’actuelle agglomération. Au VIIIe siècle, le plateau compris entre Melle et le village de Saint-Martin-les-Melle est à son tour mis en exploitation. Et au IXe siècle, la totalité de la minéralisation a été repérée comme l’atteste l’apparition des ateliers dans la partie la plus septentrionale du gisement situé à une dizaine de kilomètres de Melle.

Fig. 2 – Le gisement de Melle et la distribution chronologique des mines et des ateliers de surface.

Fig. 2 – Le gisement de Melle et la distribution chronologique des mines et des ateliers de surface.
  • 9 Ce mode d’extraction, parmi les plus anciens, consiste à chauffer la paroi. Sous l’effet de la cha (...)
  • 10 Téreygeol 2014, p. 55-76.
  • 11 Téreygeol – Dubois 2003, p. 91-102.

6Le déclin de la production minière au cours du Xe siècle repose vraisemblablement sur un ensemble de facteurs, au premier rang desquels se trouve l’accès au combustible. En effet, l’extraction se fait intégralement par abattage au feu9. Selon nos expérimentations, il faut à Melle 1 kg de bois pour extraire 1 kg de roche10. Les études anthracologiques conduites dans un réseau minier exploité du VIIe au Xe siècles ont montré une évolution rapide du choix des essences à brûler dans la seconde moitié du IXe siècle11. Cette modification trahit vraisemblablement un recul des espaces boisés et une ouverture du paysage assez brutale au tournant du Xe siècle. Sans bois à proximité immédiate du gisement, les mineurs se trouvent dans l’incapacité d’extraire leur précieux minerai. À cette raréfaction du combustible, il faut ajouter des facteurs politiques avec l’avènement du féodalisme, et technique comme l’approfondissement des travaux miniers qui nécessite la mise en place d’ouvrages d’aérage de plus en plus difficiles et couteux à réaliser.

Les productions melloises

  • 12 Nous ne considérons que la période allant du VIe siècle au Xe siècle. Le Ve siècle n’apparait qu’a (...)

7Au cours de ces cinq siècles d’activité minière12, Melle fournit au monde franc et au-delà à la fois de l’argent, du plomb et du verre. Si les deux premiers produits métalliques sont évidents, il faut s’arrêter un instant sur le troisième qui semble assez atypique dans le cadre d’une entreprise minière sur un gîte métallique et pour lequel s’affiche d’emblée une production dans le cadre d’une pénurie bien identifiée à l’échelle de l’Europe occidentale.

La monnaie d’argent mérovingienne

  • 13 Bien que les monnaies soient d’argent, elles contiennent une fraction de plomb toujours suffisante (...)

8De par la chronologie de l’exploitation, Melle apparaît structurellement liée à l’avènement du denier d’argent vers 675. Pourtant, sous les mérovingiens, seules des monnaies d’or au nom de MEDOLUS sont reconnues avec certitude. L’exploitation du gisement est admise mais faute d’un monnayage d’argent identifié, il est difficile d’attester de l’installation d’un atelier monétaire sur les lieux même de l’extraction. Pour tenter d’apporter une réponse à cette difficile question, une approche par l’analyse isotopique du plomb13 a été tentée sur une série de monnaies provenant d’ateliers situés sur la façade ouest de la France. Ces monnaies sont principalement issues de trésors et proviennent majoritairement de la collection du Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France.

  • 14 Prou 1892.
  • 15 Bougenot – Prou 1907, p. 184-228, 362-396, 481-514.
  • 16 Clairand – Téreygeol 2009, p. 31-48.

9Il s’agit des trésors de Plassac (170 monnaies trouvées en 1850), Cimiez (2294 monnaies, toutes données ou vendues au Cabinet)14 et de celui de Bais (401 monnaies)15. Le reste des découvertes concerne quelques trésors de moindre importance numérique (Nohent, St-Pierre-les-Etieux…) et des monnaies isolées pour lesquelles il n’existe pas une étude synthétique. Ce sont quelques 46 monnaies qu’il a été possible de doser pour définir leurs rapports isotopiques16. Les monnaies de Brioux et de l’abbaye de Saint-Maixent forment le premier cercle au contact immédiat de Melle. Poitiers représente la plus proche agglomération du gîte. Enfin, nous avons choisi des cités dont les rôles économique et politique justifient que l’on s’intéresse au métal blanc utilisé pour leurs frappes (Limoges, Bourges, Angers, Tours, Le Mans).

10A cette approche géographique, il faut ajouter deux types monétaires particuliers. D’une part, il s’agit des deniers au E à la traverse crucifère dont la fréquence de découverte sur la façade ouest de la France pourrait conduire à un reclassement puisque, classiquement, elles sont données pour être émises à Paris. D’autre part, le type au M (ou ME) est de longue date donné à Metz. Ici encore des découvertes plus occidentales reposent la question de l’attribution à cette cité.

Les deniers au E et au M, les deniers de Melle ( ?)

11Quinze deniers dont deux au M ont pu être analysés. Dans la mesure où ces pièces ne proviennent pas de cités à proximité de Melle selon le classement officiel, elles sont traitées sur le même graphique comme un seul et même ensemble bien qu’il s’agisse de trois types différents (fig. 3, a). Les deniers attribués à Metz ont une signature très clairement éloignée de celle du minerai mellois. L’analyse de ces deux exemplaires renforce leur attribution et clôt cet axe de recherche. Ces pièces ne sont pas en argent de Melle.

12Parmi les neuf deniers attribués à Paris, trois ne correspondent pas non plus à la signature recherchée. Les six autres exemplaires intègrent en revanche le domaine de la galène de Melle. De fait, les deux tiers du corpus analysé peuvent avoir été faits avec de l’argent de ces mines poitevines. Cette proportion prédominante, sans qu’elle soit absolue, devrait conduire à repenser l’attribution de ces deniers au E à la traverse crucifère. Leur fréquence d’apparition sur la façade ouest peut être mise en relation avec la proximité des mines de Melle. Il est possible également que le type ne soit pas exclusif d’un atelier ou d’une zone géographique à l’instar de ce qui se produira pour les deniers au temple de l’époque carolingienne.

13Enfin quatre monnaies dont l’origine géographique n’est pas définie, ont été intégrées dans le lot analysé car une d’entre elles a été trouvée à Melle. Cet exemplaire local ainsi qu’un second ne sont pas frappés dans le métal blanc recherché. Les autres s’inscrivent correctement dans le domaine défini par le minerai. La faiblesse du corpus ne permet pas d’émettre une hypothèse.

14Ce premier lot montre les incertitudes et les limites dans l’interprétation des résultats isotopiques. Seul le cas des deniers de Paris permet d’aboutir à un constat notamment car il est corrélé à la distribution géographique des découvertes sur la façade ouest et non dans la zone parisienne.

Les deniers des cités voisines

15Les monnaies des cités de Limoges, Tours, Le Mans, Angers et Bourges ont pu être échantillonnées. L’attention est donc portée sur les ateliers des régions circonvoisines (fig. 3, b). L’Aquitaine n’est pas représentée car les lieux de frappe y font défaut. Le résultat est sans appel. Quelle que soit la cité considérée, les monnaies analysées s’inscrivent parfaitement dans le domaine du minerai de Melle. Il reste à comprendre pourquoi, et comment, l’argent de Melle atteint des cités aussi éloignées que Bourges qui est distante de plus de 250 km. Nous touchons ici à une des limites de l’approche isotopique sur le monnayage mérovingien. Les corpus conservés sont relativement réduits et peuvent entrainer des biais statistiques de recrutement. Trois des cinq cités émettrices ne sont représentées dans cette série analytique que par un unique exemplaire. Ce problème ne peut être dépassé sauf à attendre une hypothétique découverte de nouvelles monnaies. Pris dans sa globalité, le résultat montrerait une influence régionale très nette des mines de Melle dans l’approvisionnement en métal blanc. Mais la prudence s’impose comme le montre l’exemple du monnayage de Poitiers.

16La faiblesse de l’analyse repose sur la représentativité numérique de chaque cité. Certes, dix pièces ont été analysées et, dix fois, la signature correspond à celle du plomb de Melle. Mais certaines cités comme Limoges, Le Mans et Angers, ne sont représentées que par un unique exemplaire. Pris dans sa globalité, le résultat montrerait une influence régionale très nette des mines de Melle dans l’approvisionnement en métal blanc. L’exemple de Poitiers contrebalance fortement cette hypothèse.

Les deniers de Poitiers

  • 17 A. Blanchet, chronique, R.N., 5e s., t. III, Paris : Belles Lettres, p. 133. Repris par G. Depeyro (...)
  • 18 Marcoux 1986, avec annexes et planches photographiques.

17Les deniers de Poitiers, issus aussi bien de la Cité que de l’Église, sont indéniablement hors du domaine du minerai de Melle (fig. 3, c). L’hypothèse de Blanchet ne tient plus : « Elle [la ville de Melle] a fourni la matière d’un grand nombre de monnaies du Poitou, depuis l’époque mérovingienne au moins, car il est probable que le métal de nombreux deniers de Poitiers vient de là »17. La mine de Melle a sûrement été utilisée comme source d’approvisionnement en argent pour les frappes de la façade ouest. Le cas précédent semble vouloir l’illustrer mais il n’apparait pas que Melle ait fourni l’intégralité des ressources en métal neuf pour le Poitou puisque les monnaies connues et attribuées à Poitiers ne s’accordent pas avec ce gisement. Pour autant ce résultat est loin d’être décevant ! L’importance de l’information réside dans la concentration des points d’analyse qui semble signifier que ce monnayage a été exécuté avec un lot métallique homogène. Cette image est d’autant plus surprenante que les monnaies proviennent de trésors bien différents (Saint-Pierre-les-Etieux, Plassac, Nice-Cimiez) et sont de types et d’âges distincts. Si l’on se fie aux travaux des numismates portant sur la période mérovingienne, il faudrait alors considérer que Poitiers a été approvisionné en métal blanc par une source primaire qui reste à découvrir. Les travaux menés par les géochimistes ne permettent pas de localiser ce gisement18.

Les deniers de Brioux et Saint-Maixent

  • 19 Bourgeois – Téreygeol 2005, p. 77-112.

18À proximité immédiate de Melle, seuls deux lieux se signalent en termes de frappes monétaires : Brioux dont, ici encore, un seul denier est connu, et l’abbaye de Saint-Maixent dont neuf monnaies sont conservées au Cabinet des Médailles. Parmi ce lot de dix pièces, seules deux monnaies au nom de Saint-Maixent ont pu être frappées avec de l’argent de Melle (fig. 3, d). Le résultat n’est pas en soi très étonnant vu la proximité des sites. En revanche, la distribution des huit autres monnaies permet d’émettre une hypothèse intéressante. Elles se trouvent sur l’isochrone du gisement de Melle. Ce positionnement peut signifier que, dans le métal ayant servi à la frappe de la monnaie, se trouve une part non négligeable d’argent de Melle. À la fin du VIIe siècle et au début du VIIIe siècle, Melle semble bien fournir du métal à l’atelier qui effectue les frappes au nom de Saint-Maixent sans que cette mine en soit pour autant le fournisseur unique. Il faut rappeler ici qu’une des deux paroisses de Melle est dans la dépendance de cette abbaye bénédictine19. De la même manière, la mention de la rente en plomb due à l’abbaye de Saint-Denis, à laquelle l’abbaye de Saint-Maixent est affiliée, fait écho aux liens unissant ces deux lieux.

Fig. 3 – Comparaison de la signature isotopique du plomb du gisement de Melle avec les monnayages d’argent mérovingiens (cités de l’ouest de la France, type au E et deniers circonvoisins de Melle) selon les rapports Pb206/Pb204 sur Pb207/Pb204.

Fig. 3 – Comparaison de la signature isotopique du plomb du gisement de Melle avec les monnayages d’argent mérovingiens (cités de l’ouest de la France, type au E et deniers circonvoisins de Melle) selon les rapports Pb206/Pb204 sur Pb207/Pb204.
  • 20 Téreygeol – Dubois 2013.

19Comme l’attestent la géographie des frappes mérovingiennes d’or et d’argent, et les découvertes archéologiques, la production de deniers apparait plus conséquente sur la façade ouest de la Gaule. Mais ce n’est pas la découverte du gisement de Melle qui a entrainé en 670/675 le passage du monométallisme or au monométallisme argent. En effet la mise en exploitation du lieu intervient bien avant même si le rôle des mines de Melle dans la production monétaire à la fin de la période mérovingienne est maintenant établi. Dès le dernier quart du VIIe siècle, Melle se positionne comme un important pourvoyeur d’argent neuf. Il est également possible que cette production de métal monétaire aille de pair avec l’installation d’un atelier de frappe sur les lieux même de l’extraction comme c’est le cas pour la période carolingienne. Si l’exploitation de l’argent à Melle a bien lieu avant l’avènement du denier, l’imposition du monométallisme argent n’a pas eu de répercussions sur la production minière que nous puissions suivre au travers de son impact environnemental20. Il a pourtant pu déclencher une accélération des travaux sur les zones connues. La dynamique chronologique du site indique un début de l’exploitation centrée sur l’actuelle ville de Melle implantée sur la partie sud du gisement. Au VIIIe siècle, les travaux miniers atteignent la commune de Saint-Martin-les-Melle mais sont toujours confinés à la zone sud du gisement. La mise en exploitation de la partie septentrionale n’intervient pas avant le IXe siècle alors même que les travaux miniers se poursuivent sur les premières zones (fig. 2).

Le plomb

20Ce métal gris est un sous-produit de la production de l’argent. Il est issu de la transformation de la galène et doit faire l’objet d’un traitement spécifique au terme de la production de l’argent pour être disponible sous sa forme métallique : la revivification. Faute de quoi, il n’est accessible que sous forme de litharge (un oxyde de plomb formé lors de l’affinage de l’argent) dont l’intérêt est limité avant le Xe siècle. Autres difficultés inhérentes à ce matériau, il se refond très simplement et ne fait pas l’objet d’une production standardisée et marquée comme dans le cas de la monnaie. Son attribution à une zone de production est donc délicate alors même qu’il s’agit en masse de la première production de Melle. Avec un kilogramme de minerai de cette mine, 870 g de plomb sont potentiellement disponibles et seulement 2 g d’argent ! La composition isotopique reste donc la seule méthode envisagée pour comprendre la distribution de ce métal gris tout en sachant que les chances de succès sont faibles. Pour tenter une telle approche, deux corpus ont été réunis. Le premier est régional : des plombs de pêches provenant du site altomédiévale de Taillebourg sur la Charente. Le second, plus réduit, provient de prélèvements sur un scellement de la ceinture de fer du IXe siècle sur la chapelle de Charlemagne à Aix-la-Chapelle.

  • 21 Mariotti et al. 2006, p. 220-229.

21Parmi les 63 objets de plomb associés à une activité halieutique, neuf ont fait l’objet d’une analyse isotopique : sept plombs naviformes et deux masses de plomb. Le choix s’entend eu égard à la forme spécifique de ces objets. Bien que tous aient été trouvés dans le même contexte, il semblait pertinent de s’intéresser à la famille des plombs dont la forme évoque un bateau stylisé assez caractéristique des représentations connues dans le monde scandinave puisque Taillebourg est reconnu comme l’un des rares établissements scandinaves au sud de la Loire21.

22Sur les 9 pièces étudiées, trois ont des rapports isotopiques très semblables (fig. 4). Elles pourraient non seulement provenir d’un plomb issu des mines de Melle mais avoir été coulées à partir d’un même lot métallique. Quatre autres pièces appartiennent également au domaine du minerai de Melle. Leur dispersion sur l’isochrone qualifie des apports en plomb non mellois réelles mais restant limités. Enfin deux pièces sortent légèrement du domaine mellois. Néanmoins les rapports isotopiques de ces deux derniers plombs se placent sur l’axe moyen du domaine considéré. Une conclusion s’impose : en croisant les différentes informations archéologiques, chronologiques et isotopiques, il semble bien que du plomb de Melle ait servi à la fabrication de ces objets. Le plus étonnant reste la grande similitude des rapports isotopiques entre chaque plomb qui traduit le faible impact des plombs allogènes. De deux choses l’une, ou ces plombs ont été fabriqués dans un laps de temps relativement court à partir d’un stock de métal unique, ou l’importance de la production melloise fait que, sur un temps plus long, on observe toujours une signature similaire. La première hypothèse ne peut être ni étayée ni démontrée en l’état des connaissances sur le site de Taillebourg et des alentours. La seconde apparait comme la plus simple et autorise à poser un premier jalon pour définir la zone d’influence de la mine de Melle en relation avec sa production de métal gris. Cette limite s’étend au moins vers le sud jusqu’à 60 km du gisement mellois.

23Un test équivalent a été tenté à l’occasion d’un prélèvement de plomb de scellement sur la ceinture de fer de la Chapelle de Charlemagne à Aix-la-Chapelle (fig. 4). Ce choix repose à la fois sur l’importance avérée de la production minière de Melle au cours de la période carolingienne et sur le caractère prestigieux du monument dans lequel le plomb a été utilisé. Sur un même scellement, quatre prélèvements ont été effectués. En s’appuyant sur les rapports isotopiques 206/207 sur 208/207 et 207/204 sur 206/204, il ressort qu’un échantillon a une signature isotopique comparable au domaine du minerai mellois. Sachant que ces 4 échantillons proviennent d’un même scellement, nous devons conclure qu’il n’y a pas de lien entre ce plomb et le plomb de Melle. Il apparait également que nous sommes face à un scellement fait à partir de coulées successives avec des plombs d’origines différentes sans qu’il soit possible de les préciser.

Fig. 4 – Comparaison de la signature isotopique du plomb du gisement de Melle avec les plombs halieutiques et de construction selon les rapports Pb206/Pb204 sur Pb207/Pb204, et Pb208/Pb207 sur Pb206/Pb207.

Fig. 4 – Comparaison de la signature isotopique du plomb du gisement de Melle avec les plombs halieutiques et de construction selon les rapports Pb206/Pb204 sur Pb207/Pb204, et Pb208/Pb207 sur Pb206/Pb207.
  • 22 Téreygeol 2013, p. 5-15.
  • 23 Téreygeol – Arles 2014, p. 193-210.

24Grâce au croisement des données acquises par les études géologiques, archéologiques et archéométriques, nous pouvons approcher la quantité moyenne de plomb qui a pu être extraite à Melle. Elle est estimée à 90 000 t sur la durée totale de l’exploitation soit une production annuelle de 80 à 150 t en tenant compte des incertitudes cumulées sur la durée de l’exploitation, la teneur du gisement et la perte au feu lors des différentes opérations métallurgiques22. C’est un ordre de grandeur et le plomb de Melle apparait bien comme un matériau abondant. Pourtant il reste difficile de le retrouver une fois passé une échelle régionale. La faute en incombe à la fois à la facilité de réemploi de ce métal, à sa relative rareté sur des sites fouillés pour le haut Moyen Âge, et à la difficulté d’analyse de ce type de matériau. Aujourd’hui seul ce dernier verrou a été levé23. S’il faut encore attendre une multiplication des fouilles pour que le corpus de plomb s’étoffe et que son histoire puisse s’écrire, une première tendance se dégage bien de cette série d’analyses à l’échelle d’une économie locale. Elle trouve d’ailleurs un écho inattendu avec l’artisanat verrier.

Le verre

  • 24 Dekovna 1981, p. 145-160.

25Dans l’histoire du verre, le VIIIe siècle marque l’entrée dans une phase de transition entre le modèle antique et la mise en place de l’artisanat verrier médiéval. La perte consommée d’accès à la matière première, le groisil venant de Syrie et de Palestine, et le recours de plus en plus difficile au verre antique faute de matière à recycler obligent les verriers d’Europe à trouver de nouvelles recettes. La mise en évidence de cette tendance lourde n’est pas nouvelle24 mais Melle offre sûrement un des exemples les plus caractéristiques.

  • 25 Si certains galets proviennent de contextes datés du IXe siècle, la majorité semble plutôt proveni (...)
  • 26 Gratuze – Foy – Téreygeol – Lancelot 2003, p. 101-107.
  • 27 Idem.
  • 28 Wedepohl 2001, p. 257-270.
  • 29 Vrielinck – Mathis 2012, p. 119-143.
  • 30 Bayley 2009, p. 255-260.
  • 31 B. Gaut, J. Henderson, Vessel glass from Kaupang : redistribution, recycling, or consumption ?, Co (...)
  • 32 Scapova 1992, p. 231-243.

26Dans cette économie du verre, la production melloise joue un rôle grâce à un déchet, plus qu’à un produit de son industrie métallique. Lors de la transformation du minerai en métal, de la scorie vitreuse s’écoule hors du four. Habituellement, ce déchet est délaissé et vient former des amas, ou crassier, qui marquent les emplacements des ateliers métallurgiques. À Melle, rien de tel. Face à l’énorme production de plomb et d’argent, l’archéologue ne peut que constater un défaut criant de déchets liés à cette industrie. La fouille d’une fonderie des IX-Xe siècles a permis de comprendre cet état de fait. Au cours de la fonte du minerai, deux phénomènes participent à la formation d’une matière première utile à l’industrie verrière. En premier lieu, la silice présente naturellement dans la roche se combine au plomb du minerai pour former un verre. Mais ce verre est impur et comporte notamment une quantité appréciable de billes de plomb riche en argent. Très classiquement, la scorie fait donc l’objet d’un concassage pour récupérer ces billes. La spécificité du retraitement à Melle tient dans la volonté des métallurgistes de maximiser cette récupération en installant de véritables unités de lavage des sables de scories. Ils sont alors à même de prélever les billes de plomb piégées dans le verre jusqu’à une masse de 0,006 g (soit moins de 1 mm de diamètre). La fraction inférieure est perdue. Ainsi, à l’issue de ce traitement, des sables de verre débarrassés de la fraction grossière de billes de plomb sont disponibles (fig. 5). Ils forment une matière première bon marché qui se retrouve dans deux familles d’objets : la gobeleterie et les galets en verre (ou « lissoir »). Ces galets peuvent être considérés, à juste titre, comme l’un des objets emblématiques des productions verrières de la fin de la période carolingienne25. Les premières études menées sur leur composition au début des années 200026, ont montré qu’ils ont été élaborés suivant deux compositions principales très différentes : d’une part des galets en verre calco-potassique, que l’on pourrait qualifier de traditionnels, et d’autre part des galets fabriqués à partir d’un verre silico-alumino-calcique au plomb. À ce jour, cette composition a été observée aussi bien sur des galets retrouvés en France27, en Allemagne28, en Belgique29 que dans les îles Britanniques30, en Norvège31 et en Russie32. Sur 308 de ces objets analysés, 65 exemplaires sont en verre silico-alumino-calcique au plomb soit un peu plus de 20 % du corpus. Mais surtout les analyses chimiques ont montré la filiation étroite existant entre ce type de galet au plomb et la composition du verre de scorie de Melle. Pour corroborer ces résultats, des analyses isotopiques ont été conduites sur le plomb contenu dans ces objets trouvés des sites français (Melle et Bressuire, Deux-Sèvres ; Distré, Maine-et-Loire ; Saint-Denis, Seine-Saint-Denis ; Nevers, Nièvre) comme étrangers (Kaupang, Norvège ; York, Royaume-Uni ; Dublin, Irlande et Ribe, Danemark). Les résultats obtenus montrent que l’ensemble des galets étudiés a une signature isotopique homogène identique à celle du corpus mellois de référence. Si la finalité de cet objet reste sujet à discussion, il ne fait plus de doute que la famille des galets silico-alumino-calcique au plomb provient bien majoritairement d’un réemploi de la scorie melloise.

Fig. 5 – Accumulation en dépôt de lavage du verre de scorie sur la fonderie de la Fontaine-du-Triangle (commune de Sepvret, nord de Melle).

Fig. 5 – Accumulation en dépôt de lavage du verre de scorie sur la fonderie de la Fontaine-du-Triangle (commune de Sepvret, nord de Melle).

27Cette découverte amène à s’interroger sur la nature des verres carolingiens utilisés dans la région de Melle. Une étude exploratoire a été menée sur de la gobeleterie provenant de deux sites carolingiens se trouvant au nord de Melle : ceux de Bressuire et de Faye-sur-Ardin. Bien que présentant un corpus cumulé réduit de tessons de verre (3 à Bressuire et 29 à Faye-sur-Ardin), l’observation de ces fragments montrait de manière assez inattendue un verre ayant un bon état de conservation dans plus de la majorité des cas. La totalité des fragments ont fait l’objet d’un dosage élémentaire. Trois groupes de composition ont été identifiés. Si un fragment de panse est issu du recyclage de verre antique et si deux bords sont produits à partir de sable et de cendres végétales, le reste du corpus affiche une filiation claire avec la scorie de Melle (fig. 6). Il s’agit des premiers objets de verrerie commune identifiés avec ce type de composition. Mieux, dans le cas des décors à filets blancs qui ornent les bords de gobelet, ce n’est pas seulement le corps du verre qui est issu de la valorisation des scories mais aussi le décor en verre opaque blanc. L’opacification a donc été effectuée au sein même de l’atelier à partir de scories auxquelles il a été ajouté l’opacifiant, ici de l’oxyde d’étain, et probablement de l’oxyde de plomb. Ce réemploi de la scorie qui reste sans équivalent à ce jour pour cette période, présente deux avantages pour les verriers. Il leur offre un produit de substitution pour faire face à la pénurie de verre sodique rencontrée à cette époque, et il leur permet une réelle économie de combustible évitant de placer leur travail en concurrence avec celui des mineurs et des métallurgistes sur le plan de l’accès au bois de chauffe.

Fig. 6 – Diagramme binaire Al2O3-PbO pour l’ensemble des verres de Bressuire et Faye-sur-Ardin et les galets en verre au plomb.

Fig. 6 – Diagramme binaire Al2O3-PbO pour l’ensemble des verres de Bressuire et Faye-sur-Ardin et les galets en verre au plomb.

Conclusion

28Le travail de la mine à Melle au haut Moyen Âge autorise donc une triple production : la monnaie, le plomb métal, et le verre sous formes de lissoir et de gobelet. Selon le niveau d’observation, ces produits s’inscrivent autant dans une maximisation de la production que dans une économie de pénurie. Il s’agit d’abord d’une question d’échelles de production et de diffusion (cf. fig. 1).

29Le plomb, produit en énorme quantité, semble le parent pauvre de cette industrie minière. Les facilités de recyclage tendent à l’occulter au travers des mélanges dont il peut faire l’objet sans que ces qualités n’en soient altérées. Nous arrivons à suivre ce métal à l’échelle régionale mais sa trace se perd à moins d’une centaine de kilomètres de Melle. Certes le texte de la Gesta Dagoberti tendrait à accréditer une circulation de ce plomb jusqu’en région parisienne mais le document est apocryphe et nous n’avons pas eu l’occasion d’analyser les isotopes d’un plomb issu de l’abbatiale de Saint-Denis. Sous-produit le plus commun des mines d’argent à Melle comme ailleurs, il ne s’inscrit ni dans une logique de pénurie, ni dans une recherche de maximisation.

30À l’inverse, la monnaie d’argent est au cœur du système d’échange de l’Empire. Dès l’avènement du denier, une production voit le jour à Melle. La diffusion de cet objet mobile par nature est évidente. La frappe avec l’argent de Melle est renforcée d’abord avec l’installation d’un atelier au sortir même de la mine, puis, à partir de l’Edit de Pîtres en 864, avec l’inscription de Melle parmi les dix officines autorisées à frapper monnaie au sein de l’Empire.

31Cette centralisation voulue de la frappe monétaire a une conséquence perverse. Parmi les dix ateliers nommés, Melle est le seul à disposer des ressources minières. Mais il est aussi le seul à se trouver dans un lieu isolé qui n’a pas rang de cité. Sa production monétaire est directement tributaire des capacités d’extraction alors que pour les neuf autres ateliers autorisés, elle repose également sur le recyclage d’argent déjà en circulation sous forme monétaire ou non.

32L’augmentation du numéraire en circulation dans la seconde moitié du IXe siècle, sensible à Melle comme sur les autres lieux de frappe, rompt l’équilibre entre extraction et ressource en combustible. La forêt melloise recule et avec elle les capacités d’extraction comme de fonte. Cette maximisation a été efficace à court terme mais a conduit à la ruine de l’exploitation minière au Xe siècle.

  • 33 Sarah – Bailleul 2014, p. 46-55.

33Durant 3 siècles, le denier de Melle a été une monnaie souvent de bon aloi33. Il garde cette image jusqu’à la fin du XIIe siècle avec la poursuite d’une frappe régionale au nom de Melle bien longtemps après que la mine ait été abandonnée et l’atelier monétaire désaffecté.

34La volonté de produire du verre alors que la manière première fait défaut a obligé les verriers d’Europe occidentale à trouver de nouvelles recettes. Dans le cas de Melle, la solution est venue d’un déchet spécifique, la scorie concassée et lavée qui est produite involontairement. Ce traitement de la scorie est à classer au rang des solutions apportées pour répondre à une demande accrue en métal blanc. À cette échelle locale, l’innovation verrière s’inscrit bien dans une économie de pénurie en permettant la production d’une gobeleterie qui, surement par sa fragilité, ne peut pas circuler loin de son lieu d’élaboration. Mais parallèlement, l’artisanat verrier des environs de Melle réalise des galets de verre dont la zone de diffusion dépasse largement les limites de l’Empire. Face à une pénurie verrière généralisée à l’Europe, les verriers poitevins ont su trouver une solution locale mais également mettre en place une production s’exportant jusque dans les mondes nordiques.

35Ainsi des mines de Melle sortent deux matières qui voyagent : l’argent et le verre, alors que le plomb, le troisième produit bien moins noble, ne se laisse tracer qu’à une faible distance des mines. Malgré les quantités produites de métal gris, potentiellement très supérieures à celles d’argent et de verre, il reste invisible du fait de sa facilité de refonte et de sa dilution avec d’autres plombs à mesure que l’on s’éloigne du lieu d’extraction.

36Les productions les plus rares restent celles que nous sommes à même de pister le mieux et le plus loin grâce aux études archéométriques. Les galets de verre sont repérés à plus de 2500 km avec un exemplaire trouvé sur les fouilles de Novgorod en Russie. L’argent mellois est monnayé dans un rayon de 300 km alors que le denier au nom de Melle se retrouve bien au-delà notamment dans les danegeld des IXe-Xe siècles. En revanche, le plomb dont la production sur la période est estimée à 90 000 tonnes n’a pu être identifié à guère plus de 60 km de son lieu de production.

Notes

1 Lecointre-Dupont 1840.

2 Rondier 1870.

3 De Bonnard 1823, p. 491-498 ; Cressac – Manes 1830, p. 169-278.

4 Barrandon – Dumas 1990, p. 901-906.

5 Voir les actes du colloque « Mine, Métal, monnaie. Autour du cas de Melle, les voies de la quantification de l’histoire monétaire du haut Moyen Âge » organisé par Marc Bompaire, Guillaume Sarah et Florian Téreygeol, à paraître.

6 Coiteux 1982.

7 Les premières prospections ont eu lieu en 1957 : J. Lougnon, Programme de travaux de reconnaissance de la minéralisation plombo-argentifère de Melle, tapuscrit, BRGM, 1957, 13 p. Elles s’échelonneront jusqu’en 1980.

8 Gesta Dagoberti I regis francorum, éd. B. Krusch, MGH. SRM., t. II, Hanovre, 1888, c. 40, p. 419 : denique eodem tempore plumbeum quod ei ex Metallo censitum in secundo semper anno solvebatur, libras octo millia ad cooperiendam eamdem supra dictorum beatorum martyrum ecclesiam concessit.

9 Ce mode d’extraction, parmi les plus anciens, consiste à chauffer la paroi. Sous l’effet de la chaleur une partie de la roche se délite et une autre est fragilisée. À l’issu d’un feu, le mineur vient récolter le minerai abattu au feu et purge la paroi avant de remonter un nouveau foyer.

10 Téreygeol 2014, p. 55-76.

11 Téreygeol – Dubois 2003, p. 91-102.

12 Nous ne considérons que la période allant du VIe siècle au Xe siècle. Le Ve siècle n’apparait qu’au travers d’une seule date qu’aucune autre information ne vient corroborer.

13 Bien que les monnaies soient d’argent, elles contiennent une fraction de plomb toujours suffisante pour conduire une analyse isotopique.

14 Prou 1892.

15 Bougenot – Prou 1907, p. 184-228, 362-396, 481-514.

16 Clairand – Téreygeol 2009, p. 31-48.

17 A. Blanchet, chronique, R.N., 5e s., t. III, Paris : Belles Lettres, p. 133. Repris par G. Depeyrot 2001, p. 113 : « cette production [de Poitiers] ne peut, d’ailleurs, qu’être liée à la mise en exploitation des mines de Melle qui durent fournir une partie du métal nécessaire aux frappes ».

18 Marcoux 1986, avec annexes et planches photographiques.

19 Bourgeois – Téreygeol 2005, p. 77-112.

20 Téreygeol – Dubois 2013.

21 Mariotti et al. 2006, p. 220-229.

22 Téreygeol 2013, p. 5-15.

23 Téreygeol – Arles 2014, p. 193-210.

24 Dekovna 1981, p. 145-160.

25 Si certains galets proviennent de contextes datés du IXe siècle, la majorité semble plutôt provenir de contextes datés de la seconde moitié du Xe siècle à la fin du XIe siècle.

26 Gratuze – Foy – Téreygeol – Lancelot 2003, p. 101-107.

27 Idem.

28 Wedepohl 2001, p. 257-270.

29 Vrielinck – Mathis 2012, p. 119-143.

30 Bayley 2009, p. 255-260.

31 B. Gaut, J. Henderson, Vessel glass from Kaupang : redistribution, recycling, or consumption ?, Communication par poster 17e congrès de l’Association Internationale pour l’Histoire du Verre, Livre des résumés 2006, p. 119.

32 Scapova 1992, p. 231-243.

33 Sarah – Bailleul 2014, p. 46-55.

Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Localisation de Melle et diffusion extrême des produits de la mine.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7882/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 273k
Titre Fig. 2 – Le gisement de Melle et la distribution chronologique des mines et des ateliers de surface.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7882/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 446k
Titre Fig. 3 – Comparaison de la signature isotopique du plomb du gisement de Melle avec les monnayages d’argent mérovingiens (cités de l’ouest de la France, type au E et deniers circonvoisins de Melle) selon les rapports Pb206/Pb204 sur Pb207/Pb204.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7882/img-3.png
Fichier image/png, 27k
Titre Fig. 4 – Comparaison de la signature isotopique du plomb du gisement de Melle avec les plombs halieutiques et de construction selon les rapports Pb206/Pb204 sur Pb207/Pb204, et Pb208/Pb207 sur Pb206/Pb207.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7882/img-4.png
Fichier image/png, 42k
Titre Fig. 5 – Accumulation en dépôt de lavage du verre de scorie sur la fonderie de la Fontaine-du-Triangle (commune de Sepvret, nord de Melle).
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7882/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 371k
Titre Fig. 6 – Diagramme binaire Al2O3-PbO pour l’ensemble des verres de Bressuire et Faye-sur-Ardin et les galets en verre au plomb.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7882/img-6.jpg
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