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Le costume de prince

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Philippe Le Doze

La personne du prince

« Professeurs des dieux » : les maîtres des princes héritiers, d’Auguste aux Sévères

Anne Gangloff

Résumé

Cette étude est centrée sur le rôle des professeurs des princes héritiers pour préparer leurs élèves à leurs futures fonctions politiques et en particulier pour leur transmettre un modèle de comportement, les faire entrer dans une persona. La première partie analyse la place et l’identité de ces professeurs dans les sources antiques, souvent lacunaires vis-à-vis de ces personnages. La deuxième partie examine les acteurs et les motifs du choix des professeurs, ainsi que l’éventail des fonctions que ceux-ci remplissaient pour la domus impériale. La troisième partie s’attache plus précisément à la période antonine, époque où se fixe la figure du bon prince : de Marc Aurèle à Caracalla, il est possible de montrer dans le domaine de la rhétorique grecque que la transmission d’un modèle politique bien défini a reposé sur la double continuité des hommes et du discours.

Texte intégral

  • 1 Philostr., VS, 607.

1« Professeur des dieux » était le nom flatteur donné par ses élèves et auditeurs au sophiste Antipater de Hiérapolis, qui avait enseigné la rhétorique grecque à Caracalla et Géta1. Ce personnage s’impose pour ouvrir notre étude, car il est représentatif aussi bien du prestige et du pouvoir qu’apportait au professeur la proximité avec les princes héritiers, que de la difficulté à inculquer, de manière durable, de sages conseils et de bons modèles à des élèves destinés à devenir, tôt ou tard, des êtres divins.

  • 2 Sur l’éducation des princes : Bardon [1940] 1968 (uniquement l’éducation littéraire) ; Rifner Park (...)

2Peu de noms de professeurs des princes sont mentionnés dans nos sources, ce qui explique probablement le faible nombre d’études synthétiques portant sur ces personnages : la plupart des contributions sont davantage centrées sur le contenu de l’enseignement que sur les professeurs eux-mêmes2. Nous nous proposons ici de replacer sur l’avant de la scène les acteurs de la transmission eux-mêmes, afin d’examiner comment ils ont contribué à façonner et à faire perdurer la figure du bon prince.

  • 3 Le rôle des préfets du prétoire dans la formation militaire du prince est souligné par Mordford 19 (...)
  • 4 Quint. 4, Pr. 2 ; M. Aur. Med., 1, 4, a appris de son bisaïeul qu’il ne fallait ménager aucune dép (...)
  • 5 Sur les conseils de Macron : Philo, Leg., 41-51 ; In Flacc., 14-15 ; sur Macron lui-même, PIR2 N 1 (...)
  • 6 Sur les attentes vis-à-vis de la culture des empereurs, voir la contribution de G. Zecchini dans c (...)
  • 7 Suet., Gram., 17 ; Aug., 64, 5 ; Wolff 2015, p. 16-17 et 20.
  • 8 Poll., Onom., I, 1-2 (cité infra).
  • 9 SHA, Ant. Pius, 10, 4 ; Marc., 3, 1 ; Wolff 2015, p. 129.

3La mémoire et l’imitation constituaient deux piliers de l’éducation antique, ce qui suggère le rôle fondamental, direct ou indirect, des professeurs pour donner des modèles au jeune prince : mais ce rôle n’est pas si évident dans les sources, comme on le verra. Il n’existait bien évidemment pas de professeur de sciences politiques, mais un rôle d’éducation politique était spécialement dévolu aux spécialistes de rhétorique et de philosophie, ainsi qu’aux préfets du prétoire, qui avaient peut-être part à la formation militaire du prince3. En quoi consistait l’éducation des princes héritiers, en quoi se distinguait-elle de l’éducation des autres aristocrates sous le Haut-Empire ? les princes étaient formés par des enseignants choisis, les meilleurs ou les plus prestigieux spécialistes de l’époque4 : ainsi Sénèque pour Néron, Quintilien pour les petits-neveux de Domitien, Fronton, Alexandre de Cotyaion et Hérode Atticus pour Marc Aurèle. Ils étudiaient les mêmes disciplines que les autres jeunes aristocrates, mais la formation était adaptée aux futurs devoirs qui les attendaient, comme on peut le voir à partir des exemples de Macron, le préfet du prétoire qui donnait à Caligula des conseils de maintien et de comportement appropriés à son rang, et de Fronton préparant Marc Aurèle à prononcer des discours d’éloge et de remerciement devant son père adoptif5. On attendait d’un empereur qu’il ait une culture large6, à la fois physique et intellectuelle, mais les prédilections des jeunes princes pour la musique ou la peinture, par exemple, semblent avoir été respectées, pourvu que l’enseignement rhétorique de base fût dispensé. Cet enseignement a-t-il évolué dans le temps ? C’est difficile à dire en raison du manque de sources : l’éducation qu’Auguste a fait donner à ses petits-fils est d’une part traditionnelle, très républicaine, dans la mesure où il s’est attaché lui-même à leur apprendre les premiers rudiments (alphabet, écriture, natation) ; d’autre part, il leur a choisi un professeur de grammaire réputé pour sa pédagogie innovante7. L’importance du modèle paternel perdure8. Normalement les professeurs venaient au palais impérial, mais ce n’était pas toujours le cas : on connaît l’exemple d’Apollonios de Chalcédoine, le professeur de philosophie de Marc Aurèle, qui imposa à son élève de venir à son école comme le faisaient ses autres disciples9. Les professeurs ne renonçaient pas non plus à avoir d’autres élèves. De toute façon, au moins sous les Julio-Claudiens, les héritiers étaient éduqués avec d’autres princes ou bien avec des enfants de l’aristocratie, comme ce fut le cas pour Titus et pour Britannicus.

  • 10 Men. 2, 371, 19 éd. Russell – Wilson : ἁλουργίδες τὰ σπάργανα ; voir Hdn. 1, 5, 5 (au sujet de Com (...)

4Cette étude est centrée sur les professeurs des héritiers nés ou grandis dans la pourpre10, sur l’éducation desquels on est plus ou moins documenté : Caius et Lucius César, Néron et Britannicus, Marc-Aurèle et Lucius Vérus, Commode, Caracalla et Géta, Sévère Alexandre. Sans doute n’est-ce pas un hasard si ce sont justement ces exemples-là sur lesquels on a le plus d’informations. Nous nous demanderons qui étaient les professeurs des princes héritiers et comment ils étaient choisis, avant de montrer quel fut leur rôle dans la transmission de normes du pouvoir et dans la pérennisation de ces normes à travers les exemples de Marc Aurèle, Commode, Caracalla et Géta.

Identité et importance des professeurs dans les sources

  • 11 C’était le cas d’Anicetus, le pédagogue de Néron (Tac., Ann., 14, 3, 3 ; PIR2 A 589), de M. Aureli (...)

5Il faut commencer par souligner les lacunes, les biais et les questionnements des textes antiques au sujet des professeurs des princes. Si l’importance de l’éducation pour les dirigeants est de plus en plus formulée au IIe siècle, ce n’est pas le cas de celle des professeurs, dont le nom est rarement transmis. Est-ce parce que, notamment pour les tropheis/nutritores qui veillaient à la petite enfance du prince et qui étaient souvent des affranchis11, ou bien pour les professeurs des études primaires, ceux-ci n’appartenaient pas aux couches sociales supérieures ? C’est l’une des raisons que l’on peut alléguer, mais la principale est certainement la focalisation de la plupart des sources antiques sur la figure du prince.

  • 12 Sur cette méfiance, voir Gangloff 2018, p. 111-112, 130, 191, 246, 269, 402, 404, 442. Voir cepend (...)
  • 13 SHA, Marc., 4, 9 ; Seu. Alex., 27, 9-10 ; Men. 2, 371, 24-372, 2.
  • 14 Tac., Ann., 12, 42 ; 13, 2, 1. Aucun texte ne dit que Burrus a supervisé la formation physique et (...)
  • 15 Sur l’influence exercée par Macron sur Caligula, voir Philo, Leg., 41-51 ; In Flacc., 14-15 ; Tac. (...)
  • 16 Cette liste est étudiée de manière détaillée infra.

6Est aussi notable le fait que les sources des IIe et IIIe siècles mettent l’accent sur l’éducation libérale et non sur l’entraînement physique et militaire. Cela peut s’expliquer par une certaine méfiance pour la figure du prince qui aime la guerre12. Cette remarque n’est cependant plus valable pour la fin du IIIe et le IVe siècles : l’Histoire Auguste, énumérant les matières enseignées aux bons modèles de princes que sont Marc Aurèle et Sévère Alexandre, témoigne que l’éducation sportive n’était pas négligée, mais le IIIe siècle avait replacé sur le devant de la scène l’importance cruciale pour l’empereur d’être un bon combattant, comme on l’observe aussi dans le canevas de l’éloge du roi transmis par le deuxième traité attribué à Ménandre le Rhéteur, probablement daté à la fin du IIIe siècle13. Le préfet du prétoire paraît avoir été un choix tout indiqué pour diriger la préparation militaire du prince, mais on a peu d’éléments pour étayer cette hypothèse : elle repose surtout sur la nomination de Burrus au poste de préfet du prétoire en 51, à l’instigation d’Agrippine qui redoutait la proximité que les anciens préfets du prétoire avaient avec les enfants de Messaline, et sur le rôle de Burrus, aux côtés de Sénèque, pour diriger le tout jeune empereur14. Une telle spécialisation pédagogique pourrait aussi expliquer le rapprochement du préfet du prétoire Macron et de Caligula à la fin du règne de Tibère15. Burrus et Macron ont surtout, d’après les sources, tenté d’apprendre à leur élève à entrer dans la persona du prince ou du moins à se maintenir dans des limites tolérées, ce qui ne signifie pas, a contrario, qu’ils n’ont pas été chargés de son entraînement physique : car la liste établie par Marc Aurèle au premier livre de ses Écrits pour lui-même pour rendre grâce à ses professeurs et conseillers de tout ce qu’ils lui ont appris montre que les enseignements n’étaient pas seulement techniques. Ceux qui sont évoqués par Marc Aurèle avaient en tout cas une portée morale ou politique, adaptée au futur métier d’empereur16.

7Concernant l’enseignement des princes, une question fondamentale était posée, qui est également susceptible d’expliquer le silence à l’égard des professeurs : l’art royal peut-il s’enseigner ? Le témoignage le plus évocateur du débat qui existait à propos de cette interrogation, lourde de conséquences quant au crédit que l’on pouvait accorder aux professeurs des princes, nous est fourni par la mise en scène du rejet de Macron par Caligula, au début de son règne, dans l’Ambassade à Gaius de Philon :

  • 17 Philo, Leg., 52-56 : Τοιούτοις κατεπῇδεν ὁ δυστυχής, ὥστε βελτιῶσαι τὸν Γάιον. Ὁ δὲ φίλερις καὶ φι (...)

Telles étaient les leçons qu’il serinait, le malheureux, pour amender Caius. Celui-ci, chicaneur et querelleur, détournait son esprit dans le sens contraire, comme si c’était de ce côté qu’il y était invité, et il s’enhardissait jusqu’à faire la tête en face à son précepteur ; parfois même du plus loin qu’il le voyait arriver, il tenait à ceux qui étaient près de lui des propos tels que celui-ci : « Voilà le professeur de celui qui n’a plus besoin d’apprendre, le pédagogue de celui qui n’est plus un enfant, l’administrateur de qui est plus sensé que lui, l’homme qui demande à l’empereur d’obéir à celui qui est son sujet ; qui se donne pour un maître expérimenté et un maître dans la science du gouvernement, pour avoir appris l’art de gouverner auprès de je ne sais trop qui. Moi, dès mes langes j’ai eu une foule de maîtres : parents, frères, oncles, cousins, grands-pères, ancêtres jusqu’aux chefs de la famille, qui par le sang tous, des deux côtés, paternel et maternel, ont été dotés de pouvoirs impériaux, sans préjudice du fait que dès leur conception il y avait en eux ces puissances d’ordre royal qui font les chefs. De même que les ressemblances physiques et spirituelles, pour la beauté, les attitudes, les gestes, les tendances et les actes se maintiennent dans les divers atavismes, de même est-il vraisemblable que s’esquisse de façon plus caractéristique encore dans ces mêmes atavismes la ressemblance qui concerne l’exercice de l’autorité. Et après cela, à moi qui, dès avant ma naissance, alors que j’étais encore dans l’officine de la nature, fus façonné empereur, on a la prétention de me donner des leçons ; un ignorant, à moi qui possède le savoir ? Un de ces jours les simples particuliers auront le droit, ma parole, de s’occuper des questions qui exigent une âme faite pour gouverner ? Ils osent avec un toupet sans vergogne jouer les hiérophantes et donner l’initiation aux mystères du gouvernement, eux qu’on admettrait à peine au rang de mystes »17.

8La confrontation entre Caligula et Macron fait apparaître trois composantes de l’art royal : les conseils d’un guide sage, les modèles constitués par les ancêtres et les vertus innées pour le commandement. Pour Caligula, qui refuse la première composante, l’art royal est un art strictement familial et héréditaire.

  • 18 Dion Chrys., Or., 4, 26-35 ; DC 57, 18, 6 (Germanicus), et 72, 35-36, 1-3 (Marc Aurèle) ; sur la V (...)
  • 19 Sur la nécessité dans la République de conjoindre harmonieusement une excellente nature et la meil (...)
  • 20 Men. 2, 371, 24-372, 2.
  • 21 DC 61, 10.
  • 22 Épictète semble avoir rencontré la même difficulté pour enseigner la philosophie aux aristocrates (...)

9Au IIe et au début du IIIe siècles, la théorie de la double paideia, associant la nature vertueuse de l’élève et l’accompagnement d’un pédagogue sage, semble prédominante chez les intellectuels grecs comme Dion de Pruse, Dion Cassius et Philostrate18. Elle s’inscrit dans le prolongement de la position de Platon dans la République19. L’éducation du jeune prince est aussi un topos de l’éloge rhétorique grec de l’empereur, le basilikos logos (tel qu’il a été fixé à la fin du IIIe siècle chez Ménandre le Rhéteur). Ce topos fait porter l’accent sur la bonne nature du prince, et non sur ses professeurs : il apparaît en effet comme le lieu où se révèlent tôt les excellentes qualités du prince20. A contrario, la postérité a fait reproche à Sénèque d’avoir été le « précepteur d’un tyran »21. On constate ainsi une indéniable ingratitude par rapport à la figure du professeur du prince héritier, dont l’échec est personnel, alors que la réussite est rapportée aux qualités de son élève. Le passage de Philon cité plus haut met en évidence la difficulté d’enseigner à l’héritier du pouvoir : encore fallait-il qu’un tel élève, dont la supériorité sociale était incontestable, acceptât l’autorité d’un maître qui était forcément son inférieur22.

  • 23 SHA, Marc., 3, 1-8 ; Ver., 2, 4-11 ; Seu. Alex., 3 ; 27, 5-10.

10L’Histoire Auguste donne les noms des maîtres de Marc Aurèle – car celui-ci constituait un modèle d’empereur « démocrate », au sens où il écoutait les avis de ses professeurs et conseillers – et ceux de son frère adoptif Lucius Vérus, qui partagea son éducation, mais avait neuf ans de moins, ce qui peut expliquer qu’ils aient eu des professeurs différents, ainsi que les noms des maîtres de Sévère Alexandre qui représente le meilleur modèle politique aux yeux de l’auteur23. Dans ce dernier cas, ces noms ont probablement été inventés car on n’a retrouvé aucune autre trace de ces personnages. Peut-être l’auteur de l’Histoire Auguste ne disposait-il d’aucune source sur les professeurs de Sévère Alexandre. Mais cela ne semble pas avoir eu d’importance à ses yeux : l’objectif de la liste qu’il fournit est de montrer que Sévère Alexandre, comme Marc Aurèle, avait bénéficié de la meilleure éducation possible et qu’il avait su en tirer parti.

  • 24 Voir infra.

11À cette indifférence des sources historiques focalisées sur la personne du prince, on peut opposer le contrepoint apporté par les Vies de sophistes de Philostrate, qui met en scène d’illustres spécialistes de l’enseignement, et laisse deviner les réseaux et stratégies mis en place, parfois sur la longue durée, par les professeurs et les membres de la famille impériale24.

  • 25 SHA, Com., 1, 5. La Préface de l’Onomasticon de Pollux souligne les compétences professorales du p (...)
  • 26 Philostr., VS, 557.

12À la lecture des sources, on doit aussi se poser une autre question, qui est cette fois toute moderne : qu’appelait-on un professeur ? Dans le passage de Philon cité ci-dessus, le terme διδάσκαλοι englobe les membres de la domus impériale, qui jouent également un rôle essentiel au livre I des Écrits de Marc Aurèle. Celui-ci a donné des professeurs à Commode, mais aurait aussi assuré lui-même une partie de sa formation25. Les professeurs chargés d’éduquer le ou les héritiers du trône sont pour la plupart des professionnels de l’enseignement, mais ce n’est pas le cas de tous : Sénèque, Junius Rusticus, Claudius Severus Arabianus et Claudius Maximus sont des conseillers, ou des amis du prince (Junius Rusticus était membre du conseil de Marc Aurèle). Les frontières sont floues, et l’éducation du prince ne concerne pas seulement les périodes de l’enfance et de la jeunesse, elle se prolonge sur celle de la maturité, comme on le constate avec l’exemple de Marc Aurèle qui suivait les cours du fameux philosophe Sextus de Chéronée à un âge déjà avancé26.

Choisir les professeurs des princes héritiers

13Qui choisissait les professeurs des héritiers, et à partir de quels critères ? quelles missions attendait-on d’eux ?

  • 27 Suet., Aug., 64, 5 ; SHA, Marc., 4, 1 ; Ant., 10, 4.
  • 28 Tac., Ann., 11, 1.
  • 29 Tac., Ann., 12, 8 ; Suet., Ner., 7, 1, et 52 ; DC 60, 32, 3. Voir Gangloff 2018, p. 41-42.
  • 30 Hdn. 5, 10 ; SHA, Seu. Alex., 3 ; 27, 5-10.

14Les sources montrent bien que le choix revenait en priorité à l’empereur ou bien à la mère du prince : c’est Auguste qui a en effet choisi le professeur de ses petits-fils, et Hadrien, puis Antonin, ceux de Marc-Aurèle27. Le rôle des femmes de pouvoir dans la direction de l’éducation des princes est aussi souligné. Sosibios, le précepteur de Britannicus, semble avoir servi les intérêts de Messaline qui l’avait peut-être choisi elle-même28. Après avoir épousé Claude, Agrippine obtint le retour d’exil de Sénèque pour lui confier l’éducation de Néron (vers 50), et elle semble s’être montrée dirigiste également par rapport au programme destiné à son fils, puisqu’elle n’aurait pas permis qu’il reçoive une formation philosophique poussée, qu’elle considérait comme inutile à un futur empereur29. Julia Maesa et Julia Mamaea, la grand-mère et la mère de Sévère Alexandre, paraissent aussi s’être particulièrement préoccupées de l’éducation du jeune prince30.

  • 31 CIL VI 41118 (AE, 1961, 280) : T(ito) Aio Sancto co(n)s(uli) / procur(atori) alimentorum / praef(e (...)
  • 32 Oliver 1950, p. 178 ; AE 1952, 6 ; CP, n° 180 bis ; Pflaum 1972, p. 201.
  • 33 Tac., Ann., 13, 2, 1 ; DC 61, 3-4.

15On peut deviner des luttes d’influence et la formation d’alliances autour de cet enjeu si important qu’était l’éducation du prince : une inscription de Rome relative au rhéteur T. Aius Sanctus, qui fut le maître de Commode tout en réalisant une belle carrière administrative, précise qu’il avait désigné à sa mort comme héritier Cléandre, le tout puissant affranchi de l’empereur, a cubiculo (majordome) et a pugione (chargé des prérogatives du préfet du prétoire)31. L’influence de Cléandre sur Commode étant apparue très tôt, puisqu’il fut son tropheus, on peut supposer qu’Aius fut appointé sur la recommandation de Cléandre32. L’inscription mentionne un second héritier, un certain Asclépiodotos, a rationibus (à la tête du fisc impérial) et a memoria (chargé de conserver la mémoire des décisions du prince), et montre ainsi la proximité de ces ministres de l’empereur. Ceci rappelle naturellement l’entente entre Sénèque et Burrus et leur volonté de prendre en main, ensemble, le début du règne du jeune Néron. L’intimité que les professeurs entretenaient avec le prince leur permettait éventuellement de contrôler celui-ci, aussi le contrôle de ces mêmes professeurs représentait-il un enjeu politique de premier plan33.

  • 34 Tac., Ann., 12, 8 : At Agrippina ne malis tantum facinoribus notesceret ueniam exilii pro Annaeo S (...)
  • 35 DC 60, 32, 1 et 5-6 ; Tac., Ann., 12, 41 ; la plupart des études modernes ont suivi la lecture pol (...)
  • 36 CIL VI 1598 ; SHA, Ver., 2, 8 ; CP, n° 163.

16Les principaux maîtres semblent ainsi avoir été choisis soit parce qu’ils étaient des hommes de parti, soit pour le devenir. Selon Tacite, le choix de Sénèque fait par Agrippine était politique : la décision aurait été motivée, dès l’origine, par le sens de la publicité et de l’intrigue politique de l’Augusta. Sénèque était en effet célèbre pour ses travaux littéraires et philosophiques (au moins les Consolations à Marcia, à Helvia et à Polybe), ce qu’Agrippine voulait exploiter pour donner d’elle une image positive. Elle espérait qu’il formerait intellectuellement son fils, mais voulait aussi tirer profit des conseils d’un homme politique avisé et nouer avec lui une alliance contre Claude, pour porter son fils au pouvoir : car Sénèque lui était redevable d’un bienfait, alors qu’il en voulait à l’empereur à cause d’un tort que celui-ci lui avait fait34. Il n’est pas exclu que l’historien ait reconstruit les motivations politiques d’Agrippine à partir de ce qui s’est produit plus tard : l’alliance entre le jeune prince et le philosophe s’est effectivement réalisée, mais au détriment d’Agrippine, dès l’accession au pouvoir de Néron jusqu’en 62. L’interprétation du choix d’Agrippine en termes de stratégie politique est néanmoins confirmée par son ingérence dans l’éducation de Britannicus. L’impératrice poussa en effet Claude à se débarrasser des meilleurs professeurs de son fils, pour les remplacer par des maîtres choisis par elle-même afin de surveiller le jeune prince et de réduire ses apparitions en public ; Sosibios, accusé de conspirer contre Néron, fut exécuté en 5035. On peut aussi prendre l’exemple de l’affranchi L. Aurelius Nicomedes, qui fut d’abord a cubiculo de L. Aelius Caesar, le premier héritier choisi par Hadrien. À la mort de son patron, Nicomedes devint nutritor du fils de celui-ci, le jeune Lucius Vérus, adopté par Antonin le Pieux et donc devenu, à son tour, héritier impérial36. Hadrien ou Antonin avaient fait le choix d’un personnage de confiance, qui appartenait à la familia de L. Vérus, et qui bénéficia dès lors de la protection de l’empereur Antonin.

  • 37 Tac., Ann., 14, 3, 3 ; 14, 7-8 ; DC 62, 13, 2-5. Ce faisant, Anicetus (comme Sénèque) trahit pour (...)
  • 38 Tac., Ann., 14, 3, 62 ; Suet., Ner., 35, 2. Anicetus, pour sa part, passa la fin de sa vie dans un (...)
  • 39 DC 79, 38, 3 ; 80, 6, 1.
  • 40 Tac., Ann., 13, 3 ; DC 61, 3.
  • 41 Griffin 1976.
  • 42 Philostr., VS, 524 (Celer) et 607 (Antipater). Selon Bardon [1940] 1968, p. 192 n. 2, Néron aurait (...)
  • 43 CIL VI 41118 (AE, 1961, 280). Voir Pflaum 1972, p. 200-202 (p. 201 pour la citation) ; l’auteur pr (...)

17On demandait au professeur une loyauté absolue et l’on exploitait ses talents, quels qu’ils fussent. L’affranchi Anicetus, ancien pédagogue de Néron, devenu préfet de la flotte de Misène, participa activement au meurtre d’Agrippine37. Il s’accusa ensuite, à la demande de l’empereur, d’avoir commis un adultère avec Octavie, pour fournir un prétexte à condamner celle-ci38. Gannys, le tropheus d’Élagabal, fut un acteur déterminant de sa prise du pouvoir en mai-juin 21839. Sénèque écrivait les discours de Néron40, jouant auprès de son élève le rôle de « conseiller en communication », comme l’a bien montré M.T. Griffin41. Il était courant que les professeurs de rhétorique participent à cette communication du pouvoir. Des maîtres de rhétorique grecque des princes ont été chargés de la correspondance impériale en grec, comme ce fut le cas, à la fin du règne d’Hadrien ou bien au début de celui d’Antonin, de Celer, le maître de Marc Aurèle, et, sous Septime Sévère, d’Antipater de Hiérapolis, professeur de Caracalla et Géta : Celer et Antipater ont excellé dans cette fonction selon Philostrate42. H.-J. Pflaum a considéré la carrière de T. Aius Sanctus, professeur de Commode, comme exemplaire du cursus d’abord équestre, puis sénatorial, que pouvait suivre un rhéteur au service de l’empereur : « Le cursus mixte de Sanctus correspond parfaitement à la suite des postes qu’on a coutume de confier à un rhéteur, puisqu’il débute dans la chancellerie grecque avec un salaire de 200 000 sesterces, avance ensuite à la direction de la fortune personnelle de l’empereur (procurator rationis priuatae) pour être promu au poste tricénaire très important d’a rationibus. Nous savons que sa préfecture d’Égypte se place dans les années 179 et 180 (P. Oxy III, 635) et que c’est donc sous le règne de son ancien disciple Commode qu’il aura été anobli. Devenu sénateur par adlectio inter praetorios, puisqu’il revêtira le poste de praefectus aerari (certainement Saturni), il gérera les faisceaux consulaires en qualité de consul suffect et terminera sa carrière comme praef(ectus) alimentorum43. »

  • 44 Tac., Ann., 11, 1 et 4.
  • 45 DC 73, 12-13.
  • 46 CP, n° 163.

18Le suicide de Sénèque qui s’était éloigné de Néron à partir de 64, et celui d’Antipater qui avait osé reprocher à Caracalla le meurtre de Géta, montrent assez les dangers inhérents à cette charge de professeur du prince, en cas de défection. Inversement, on a de nombreuses preuves des récompenses remarquables que les professeurs recevaient : elles prenaient la forme de gratifications, de charges considérables, de protection et de prestige. Claude donna ainsi un million de sesterces, soit le cens sénatorial, à Sosibios, pour le remercier des leçons qu’il dispensait à Britannicus et des conseils politiques qu’il lui avait donnés à lui-même44. Le tropheus/nutritor qui a souvent, dans les sources, le statut d’affranchi, pouvait ainsi bénéficier d’une ascension sociale exceptionnelle, ce qui explique aussi le mépris que pouvait susciter un personnage comme Cléandre, mépris qui est bien sensible chez Dion Cassius45. H.-G. Pflaum a mis en évidence la subtilité avec laquelle ont été choisies les charges confiées à Nicomedes, l’ancien nutritor de Lucius Vérus, de manière à ne pas susciter de scandale, à récompenser comme il se devait un serviteur et familier loyal, en le faisant avancer dans la carrière équestre sans faire d’envieux46.

  • 47 SHA, Marc., 2, 5 et 3, 3-4 ; pour Eutychius Proculus, voir PIR2 E 131.
  • 48 Fronto, ad M. Caes., 3, 3, 2-3 ; 3, 4 ; ad Ant., 3, 4 ; ad Ver., 1, 8, 1, éd. Van den Hout.
  • 49 Philostr., VS, 559-561. Sur les relations d’Hérode avec les empereurs, voir Oliver 1970, p. 66-84.

19C’est surtout sur la gratitude de Marc Aurèle envers ses professeurs que nous sommes le mieux renseignés. L’Histoire Auguste a souligné ses bienfaits envers Fronton, homme nouveau qui obtint le consulat en 143 et l’honneur insigne d’une statue par le Sénat, envers Junius Rusticus (consul suffect en juillet 133, consul ordinaire bis en 162, préfet de la ville de 160 à 167 et membre du conseil du prince), et envers Eutychius Proculus, de Sicca, que l’empereur éleva jusqu’au proconsulat en assurant lui-même les frais de sa carrière47. Marc Aurèle étendit aussi sa protection sur Hérode Atticus, qui avait un caractère irascible et s’était fait de nombreux ennemis. La Correspondance de Fronton témoigne de l’intervention de l’empereur en faveur du sophiste lors de procès48. Marc Aurèle l’innocenta à Sirmium, en 173/174, d’une accusation de tyrannie qu’avait fomentée contre lui ses ennemis à Athènes49.

  • 50 CIL VI 1598 ; CP, n° 163.

20La reconnaissance de l’empereur envers ses anciens professeurs est présentée comme une caractéristique du bon prince dans l’Histoire Auguste. L’épigraphie permet toutefois de corriger la perspective moralisante de l’historiographie, en témoignant, avec l’exemple de T. Aius Sanctus, que la reconnaissance montrée par le prince envers ses anciens professeurs n’était pas l’apanage exclusif des « bons princes ». C’est en effet sous le règne de Commode qu’Aius entra au Sénat, à un rang d’abord prétorien, puis consulaire. De même avec Lucius Vérus, qui ne s’est jamais séparé de son ancien nutritor, L. Aurelius Nicomedes : protégé par Antonin, Nicomedes avait entamé une carrière équestre dans l’administration civile (procuratèle ad silices, pour veiller au pavage des rues de Rome, préfecture des véhicules) ; à partir de 162, il accompagna son ancien élève en Orient, chargé de la responsabilité du ravitaillement des troupes qui faisaient la guerre contre les Parthes, avant d’obtenir, entre 166 et 169, la procuratèle summarum rationum50.

  • 51 M. Aur. Med., 1 et 5, 31 ; CP, p. 471.
  • 52 Veyne 1961, p. 221.
  • 53 DC. 80, 6, 1-3 ; SHA, Marc., 3, 5.
  • 54 Oliver 1950 ; AE, 1952, 6.
  • 55 I. Ephesos 2026, l. 16-17 ; CP, 469-471.

21Cette reconnaissance était donc bien plutôt quelque chose de normal, relevant de la réciprocité des relations sociales fondées sur le beneficium, à quoi pouvait s’ajouter l’affection que pouvait éprouver un ancien élève pour son maître. Au fur et à mesure que le pouvoir impérial s’est personnalisé, mettre en avant l’importance sociale et politique de la proximité avec le prince est probablement aussi apparu comme une évidence. Deux listes dans les Écrits de Marc Aurèle permettent de comprendre la position privilégiée des professeurs par rapport à la famille impériale51 : les tropheis et didaskaloi sont mentionnés après les membres de la famille et (globalement) avant les amis, ils occupent un statut intermédiaire, d’ailleurs flou, qui montre la proximité qu’ils entretenaient avec la famille (en tant qu’affranchis, les tropheis entraient dans la famille comme « parents de seconde zone »52). Le meurtre de Gannys est considéré, chez Dion Cassius, comme une preuve d’impiété, ce que l’on peut rapprocher d’une anecdote symbolique rapportée par l’Histoire Auguste, selon laquelle Marc Aurèle était si attaché à ses didaskaloi qu’il les aurait fait entrer, après leur mort, dans son laraire53. La familiarité avec le prince était susceptible de bouleverser l’ordre de préséance qui reposait traditionnellement sur la fonction exercée, comme l’a bien montré H.-G. Pflaum en rapprochant la composition d’un conseil impérial de Commode, dans laquelle Cléandre, a cubiculo (poste qui n’appartenait pas, sous le Haut-Empire, à la hiérarchie des procurateurs équestres), est mentionné avant deux chefs des bureaux palatins en sa qualité de tropheus de l’empereur54, et l’énumération des membres d’un conseil de Caracalla, dans laquelle Antipater, ab epistulis Graecis, précède Aelius Coeranus, a libellis, parce qu’il est didaskalos kai philos de l’empereur55.

  • 56 Philostr., VS, 607.
  • 57 CIL XI 6334 (ILS 1129) : M(arco) Aufidio Frontoni / pronepoti M(arci) Corneli / Frontonis oratoris (...)

22Au moins au début du IIIe siècle, le prestige social du professeur des princes apparaît comme éclatant. Comme on l’a vu, Antipater était honoré par ses auditeurs du qualificatif de « professeur des dieux »56. L’épitaphe de l’arrière-petit-fils de Fronton laisse éclater la fierté familiale pour l’illustre orateur : c’est d’abord par rapport à son arrière-grand-père qu’est identifié le défunt, et la gloire de Fronton est rappelée par la triple mention de sa qualité d’orateur exceptionnel, de son consulat et de sa fonction de maître des empereurs Lucius et Antoninus (magister imperatorum Luci et Antonini)57.

  • 58 Le seul de ses discours qui a peut-être partiellement survécu (si l’attribution est correcte) n’es (...)
  • 59 Sylloge3 863, n. 1.
  • 60 Hérode Atticus refusa un deuxième consulat en 160, alors qu’il était en pleine crise familiale, ac (...)
  • 61 Philostr., VS, 571.
  • 62 Voir en particulier l’épisode de Sirmium évoqué supra : Philostr., VS, 559-561.
  • 63 Philostr., VS, 563 : Ηρώδης Κασσίῳ; ἐμάνης. On peut naturellement s’interroger sur la véracité de (...)
  • 64 Luc., Eun., 3 ; Oliver 1981, p. 216-217 ; Toulouse 2008, p. 143-145.

23Le choix des professeurs appelés à former le prince héritier peut également s’expliquer, pour les plus éminents d’entre eux, parce qu’ils étaient des hommes de réseaux et d’écoles. C’était le cas notamment des plus fameux sophistes grecs, et en particulier d’Hérode Atticus (ca 101-177), le « milliardaire antique », qui fut, comme Fronton, le maître de Marc Aurèle et de Lucius Vérus. Ce personnage n’était peut-être pas le plus talentueux des sophistes sur le plan littéraire, mais, outre son immense richesse, il provenait d’une famille toute-puissante à Athènes, qui avait entretenu des relations avec le pouvoir impérial depuis les Julio-Claudiens58. Quand il est devenu le professeur de rhétorique grecque des héritiers impériaux, entre environ 141 et 146, il avait déjà fondé à Athènes une école de rhétorique célèbre. Il était en train de réussir brillamment une double carrière politique, à Athènes (archonte éponyme en 126/127) et à Rome (questure remplie aux côtés d’Hadrien avec le rang d’ami59, correcteur des cités libres d’Asie en 134/135), couronnée par le consulat obtenu en 14360. Il entretenait des liens étroits avec la famille impériale : durant son enfance à Rome, il avait vécu dans la maison du grand-père de Marc Aurèle, P. Calvisius Tullus Ruso ; vers 140, il épousa Appia Annia Regilla, issue d’une famille patricienne de rang consulaire et apparentée à Faustine l’Ancienne, l’épouse d’Antonin, par les Annii. Or, à cette époque, un mariage entre aristocrates grec et romain était exceptionnel. On peut donc considérer qu’Hérode Atticus, durant la période où il fut le professeur de Marc Aurèle et de Lucius Vérus, incarna l’exemple de la meilleure intégration possible d’un aristocrate grec dans la société romaine. Il a, par ailleurs, joué le rôle d’arbitre suprême du monde intellectuel grec, comme en témoigne la déférence dont Philostrate l'Athénien fait preuve à son égard dans les Vies de sophistes. On se contentera de prendre ici pour exemple l’anecdote relative à la conférence que le sophiste Alexandre de Séleucie, nommé ab epistulis Graecis de Marc Aurèle (sans doute de 169/170 à 175), donna à Athènes : le récit est centré sur le désir qu’avait l’orateur de plaire à Atticus et sur le jugement de celui-ci61. En dépit des alea dus à l’attitude orgueilleuse et irascible du sophiste62, il était très utile à Marc Aurèle de pouvoir s’appuyer sur un homme qui était au centre des réseaux de l’élite socioculturelle grecque. En 175, l’usurpateur Avidius Cassius fit à Atticus, qui était à Athènes, des ouvertures auxquelles l’ancien maître de l’empereur aurait donné une réponse cinglante : « Hérode à Cassius : tu es devenu fou63. » Après cet épisode, Marc Aurèle renforça encore la prééminence d’Atticus, en lui accordant de choisir les premiers philosophes à placer sur les chaires de philosophie qu’il venait d’instituer à Athènes, en 176, pour les quatre écoles principales (stoïcienne, platonicienne, épicurienne et péripatéticienne)64.

  • 65 Suet., Aug., 48.
  • 66 SHA, Marc., 3, 3.
  • 67 PIR2 A 1393 ; Pflaum 1956 ; Pflaum 1966, n° 9 ; Pflaum 1970, p. 212.

24Pendant son éducation, le prince héritier avait également l’occasion de nouer des liens avec ses pairs, voire de commencer à se constituer un réseau, qu’il pouvait ensuite exploiter une fois parvenu au pouvoir. Au début du principat, les princes orientaux retenus en otage à Rome étaient ainsi éduqués avec les princes julio-claudiens65. Autre exemple, celui de Marc Aurèle qui se fit des amis sûrs et fidèles dans les écoles des déclamateurs66. Parmi les noms mentionnés par l’Histoire Auguste, H.-G. Pflaum a attiré l’attention sur la carrière très brillante de C. Aufidius Victorinus, qui devait devenir le gendre de Fronton : il fut préfet de la Ville à la fin du règne de Marc Aurèle et consul bis avec Commode en 183. Son cursus prouve la grande confiance qu’accorda Marc Aurèle, pendant tout son règne, à son condisciple, envoyé combattre les Chattes en Germanie Supérieure dès 162, et doté du statut de comes des co-empereurs au cours de la campagne de Germanie de 168-16967.

25Le choix des professeurs des princes héritiers apparaît donc comme un choix politique, d’une part en raison de l’influence qu’ils étaient susceptibles d’exercer sur le prince et du fait qu’ils représentaient un moyen de contrôler celui-ci, et d’autre part parce que le professeur entrait au service de la famille impériale et qu’il lui incombait alors de remplir diverses tâches de nature politique : conseils, communication, administration de l’Empire, partage d’un réseau social. L’une de ces tâches était la transmission à l’héritier d’un modèle du « bon prince », comme on va le voir à présent. Cette transmission ne peut pas être analysée pour le début du Principat, par défaut de sources, mais aussi parce que la figure du bon empereur ne s’est vraiment cristallisée que sous les Antonins, qui ont accentué dans la durée la dimension héréditaire et sacrée – par le biais de la consecratio – de la dynastie impériale.

Le rôle des professeurs dans la création et la transmission du modèle antonin du bon prince

  • 68 Les Écrits de Marc Aurèle ont probablement été rédigés entre 170 et 180 : voir Hadot 1998, p. xlvi (...)

26Les Écrits pour lui-même de Marc Aurèle constituent une source très précieuse pour prendre la mesure des apports de ses professeurs aux yeux de leur disciple déjà âgé68.

  • 69 M. Aur. Med., 6, 30.
  • 70 SHA, Marc., 2-4. Ne sont pas mentionnés, pour les petites classes : Euphorion pour la littérature (...)

27Au livre I, après avoir énuméré ce qu’il doit aux membres de sa famille naturelle, Marc Aurèle mentionne ses professeurs et conseillers, avant de développer ce dont il est redevable à Antonin le Pieux, dans un passage qui constitue une sorte de « miroir au prince » intériorisé, et, pour finir, ce qu’il doit aux dieux : ce passage met en relief l’importance des modèles familiaux, le rôle déterminant de l’éducation intellectuelle, et, comme on l’a déjà noté, le caractère flou de la frontière entre les professeurs, les conseillers et les parents (Marc Aurèle se présente ainsi lui-même comme le disciple de son père Antonin69). Marc Aurèle ne mentionne pas tous les enseignants dont l’Histoire Auguste nous a fourni la liste, mais seulement une sélection de ceux auxquels, à la fin de sa vie, il se sent redevable70. Parmi les professeurs, amis et conseillers, mêlés, sont évoqués :

28- le précepteur de sa petite enfance (tropheus), dont le nom n’est pas donné (1, 5) ;

  • 71 SHA, Marc., 4, 9 ; Hadot 1998, p. lxxxi-lxxxiv.
  • 72 SHA, Marc., 6 (12 ans). Les deux témoignages, Écrits et Histoire Auguste, vont dans le même sens s (...)

29- son professeur de dessin Diognète (1, 6)71, qui a pris part à l’éducation encore enfantine : c’est lui qui lui donna le désir de pratiquer la philosophie, qui se développa assez tôt selon l’Histoire Auguste72 ;

  • 73 DC 72, 35, 1 ; SHA, Marc., 3, 3-4 ; PIR2 I 814 ; Hadot 1998, p. lxxxiv-lxxxix.
  • 74 Hadot 1998, p. lxxxviii-lxxxix.

30- le sénateur stoïcien Q. Junius Rusticus, l’un des principaux amici de Marc Aurèle (1, 7)73. Il était le petit-fils de Q. Junius Arulenus Rusticus, sénateur républicain qui avait été partisan du sénateur stoïcien Thrasea Paetus (condamné à mort par Néron en 66), et qui fut lui-même condamné à mort par Domitien en 93. Junius Rusticus avait peut-être suivi les cours d’Épictète, c’est du moins ce qu’on peut supposer du fait, mentionné par Marc Aurèle, qu’il lui a prêté ses propres notes prises au cours du philosophe74. Il n’est probablement pas intervenu dans la formation de Marc Aurèle avant que celui-ci n’ait été adopté par Antonin, en 138, et ne soit venu partager l’existence de son père adoptif dans la maison de Tibère sur le Palatin ;

  • 75 DC 72, 35, 1 ; SHA, Ant., 10, 4 ; PIR2 A 929 ; Follet – Goulet 1989 ; Hadot 1998, p. xc-xcv. Apoll (...)

31- le philosophe stoïcien Apollonios de Chalcédoine (1, 8), qu’Antonin fit venir de Chalcédoine à Rome pour l’éducation de son fils adoptif, et qui ouvrit une école dans la capitale75 ;

  • 76 Philostr., VS, 557 ; SHA, Marc., 3, 2, et 8, 3-4 ; PIR2 S 693 ; Hadot 1998, p. xcv-xcvii ; Puech 2 (...)

32- le philosophe stoïcien Sextus de Chéronée (1, 9), neveu de Plutarque, dont Marc Aurèle fréquenta l’école même après avoir accédé au pouvoir en 16176 ;

  • 77 Ael. Aristid., Or., XXXII, 8 et 12 ; SHA, Marc., 2, 3 ; PIR2 A 502.

33- Alexandre de Cotyaion (1, 10), grammairien qui fut le maître d’Aelius Aristide et qui, selon celui-ci, aurait pu prétendre au titre de rhéteur ou de sophiste77 ;

  • 78 DC 72, 35, 1 ; SHA, Marc., 2, 4-5 ; PIR2 C 737 ; Hadot 1998, p. c-cvii.
  • 79 Van den Hout 1988, p. 292-294 pour la datation des lettres ; Van den Hout 1999, p. 62-63 sur les r (...)

34- le rhéteur et sénateur Fronton (ca 95-entre 163 et 170), consul en 143 (1, 11)78. Il est difficile de savoir quand a commencé son enseignement (la date la plus couramment admise est ca 135, en fonction de l’âge de Marc Aurèle), et la correspondance échangée entre Marc Aurèle et Fronton est datée – non sans problème – par M. van den Hout entre 139 et 167. L’hostilité de Fronton envers Hadrien – partagée par un grand nombre de sénateurs et d’intellectuels – n’implique pas, à notre avis, qu’il faille attribuer le choix de Fronton à Antonin, comme le présume M. van den Hout. Si l’on considère néanmoins que c’est le cas, il faut privilégier la date de 138 pour le début de l’enseignement, qui correspondrait donc peu ou prou avec le début de la correspondance79 ;

  • 80 Philostr., VS, 570.
  • 81 Bowersock 1969, p. 53-54, et Millar 1977, p. 6 et 91 (auxquels renvoie Hadot 1998, p. cvii) ; PIR2(...)

35- Alexandre le Platonicien (1, 12), qui n’est pas mentionné dans l’Histoire Auguste et qui pose un problème d’identification : la mention des lettres, dans le témoignage de Marc Aurèle, fait songer au sophiste Alexandre de Séleucie, dit Péloplaton (ca 115-175), élève de Favorinus. En 140 il fut l’ambassadeur de sa cité devant Antonin80, et c’est peut-être à cette occasion que Marc Aurèle le rencontra pour la première fois. Le sophiste devint procurator ab epistulis Graecis, chargé de la correspondance en grec de l’Empereur lorsque celui-ci était en Pannonie, donc probablement entre 169/170 et 17581 ;

  • 82 SHA, Marc., 3, 2 ; Pflaum 1970, p. 210-211 ; Follet 1994, p. 399-400 n° 128 ; Puech 2002, p. 501 ; (...)

36- le Stoïcien Cinna Catulus (1, 13), mentionné aussi par l’Histoire Auguste, mais qui n’est pas connu autrement que par ces deux sources. H.-G. Pflaum a supposé qu’il appartenait à l’ordre sénatorial et qu’il s’agissait peut-être d’un descendant indirect du fameux Cinna auquel Auguste avait accordé son pardon (Cn. Cornelius Cinna Magnus)82 ;

  • 83 SHA, Marc., 3, 3 ; Pflaum 1970, p. 211 ; Birley 1987, p. 95-96 ; Hadot 1998, p. cxiv-cxv. Voir PIR(...)
  • 84 Gal., De praecognitione, t. XIV, p. 613 éd. Kühn.

37- le sénateur péripatéticien Claudius Severus (ca 113- ?), dans lequel on s’accorde à reconnaître Cn. Claudius Severus Arabianus, consul en 146 (1, 14)83. Son fils, qui appartenait à la même école philosophique84, épousa, peut-être en 162-163, Annia Galeria Aurelia Faustina, la fille aînée de l’empereur.

  • 85 SHA, Marc., 3, 2 ; Pflaum 1970, p. 210 (avec bibliographie) ; Hadot 1998, p. cxv-cxvii. Il finit s (...)
  • 86 Hadot 1998, p. cxvii, qui renvoie pour cette proximité aux Écrits, 1, 17, 10 ; 8, 25.

38- le sénateur stoïcien Claudius Maximus (début du IIe siècle-ca 160 ?), consul suffect probablement en 141-142 (1, 15)85. Il semble avoir été lié intimement à la famille impériale, à Antonin notamment, et Marc-Aurèle a pu le fréquenter régulièrement pendant les années où sa carrière lui permettait de vivre à Rome, soit 140-150 et après 15086.

  • 87 Caninus Celer (professeur de rhétorique grecque), Hérode Atticus, Fronton, Apollonios de Chalcédoi (...)

39Notons que, pour la plupart, les professeurs, conseillers et amis mentionnés, semblent être intervenus dans la formation de Marc Aurèle, selon toute vraisemblance, après 138, c’est-à-dire quand il était officiellement héritier du trône (voire lorsqu’il était déjà empereur) ; ils ont donc joué leur rôle de formateurs lors d’un enseignement « supérieur », l’élève ayant 17 ans passés, sous l’égide d’Antonin, et cette formation était tournée vers la préparation à la charge impériale. Marc Aurèle a d’ailleurs partagé certains de ses professeurs avec son jeune frère par adoption Lucius Vérus87.

  • 88 À l’exception du professeur de dessin, qui a servi d’introduction à la philosophie, d’Alexandre de (...)
  • 89 Dans cette perspective philosophique, on ne s’étonnera pas qu’Hérode Atticus ne fasse pas partie d (...)

40Ce qu’il reconnaît devoir à ses maîtres n’entre pas dans le domaine des compétences « pratiques », qui pourrait englober, si l’on prend l’exemple de l’utilité politique de l’éloquence, soulignée dans les lettres de Fronton, l’art de convaincre les sénateurs ou bien de haranguer les troupes, à l’exception peut-être d’une certaine souplesse dans les relations sociales susceptible d’entrer dans cette catégorie. Il remercie ses maîtres de lui avoir enseigné des qualités morales, des principes de vie, ce qui n’a rien d’étonnant puisque les personnages sélectionnés sont surtout des philosophes au sens large du terme, soit des professeurs de philosophie, soit des sénateurs profondément influencés par la philosophie88. On retrouve ces qualités et principes énoncés dans le portrait d’Antonin le Pieux qui s’apparente, dans une certaine mesure, à un « miroir au prince » intériorisé : simplicité, énergie, constance, douceur, bienveillance, maîtrise de soi et de ses passions, relations avec les autres fondées sur la tolérance et le respect89.

  • 90 Cogitore 2011, p. 214-215 ; Gangloff 2018, p. 279.

41À partir de la mention de Claudius Severus et Claudius Maximus, les apports mentionnés sont plus ouvertement politiques. Maximus représente déjà, avant l’exemple d’Antonin le Pieux, un modèle de comportement politique, et Claudius Severus Arabianus est celui qui a transmis les bons modèles politiques – ceux de Thrasea Paetus, Helvidius, Caton le Jeune, Dion de Sicile, Brutus – qui renvoient à la réflexion sur la libertas et la démocratie, c’est-à-dire à l’idéal d’un gouvernement « démocratique », ou plus exactement aristocratique, qui est la marque de la dynastie antonine90.

  • 91 Hadot 1998, p. c, renvoyant à Tobacco 1985.
  • 92 Plut., Mor. (De la curiosité), 522 D-E.
  • 93 Plin., Ep., 6, 29, 1 ; 9, 13, 15 ; 17 ; PIR2 A 1410 ; Jones 1971, p. 24.
  • 94 Entr., 1, 2 (Comment on peut toujours sauvegarder sa dignité personnelle), 19-24.

42Dans une perspective proche, Fronton est remercié pour avoir enseigné à son élève la haine des tyrans, et l’on s’est interrogé sur le sens de cette expression : il est possible que Marc Aurèle ait fait référence aux exercices de la rhétorique latine qui faisaient fréquemment intervenir des figures de tyran, en soulignant les maux consécutifs à leur mode de gouvernement égoïste91. Le choix de Sextus de Chéronée comme professeur, de même que celui de Junius Rusticus comme amicus, sont aussi intéressants dans ce sens : ces deux personnages créent en effet un lien avec le groupe des partisans de Thrasea, qui sont devenus les opposants de Domitien, symbole d’un pouvoir tyrannique, à l’opposé du gouvernement « démocratique », prônant la Libertas, du bon prince antonin. Ce lien est clair pour Junius Rusticus, descendant de Q. Junius Arulenus Rusticus, plus diffus pour Sextus de Chéronée : mais l’oncle de celui-ci, Plutarque, avait eu pour auditeur à Rome, vers la fin du règne de Vespasien, ce même Arulenus Rusticus92, et il avait pour ami Avidius Quietus, lié à Thrasea93. Ce lien passait aussi par Épictète, dont Junius Rusticus avait peut-être suivi les cours : car le philosophe stoïcien avait, selon Arrien, mis en scène dans un objectif parénétique la confrontation entre le sénateur Helvidius Priscus et l’empereur Vespasien94. Ainsi, la référence à ces deux maîtres, Junius Rusticus et Sextus de Chéronée, peut entrer en résonance avec le discours de Claudius Severus Arabianus sur les exemples de Thrasea, Helvidius, Caton le Jeune et Brutus. Une culture politique bien précise est alors évoquée aussi bien par la mention de contenus enseignés que par l’identité même des professeurs.

  • 95 Poll., Onom., 1, 1-2 : « La vertu, tu en trouves l’enseignement dans l’exemple de ton père ; quant (...)

43Dans le domaine de la rhétorique grecque, il est possible de montrer le rôle des maîtres dans la transmission, en premier lieu à Commode, d’un modèle politique caractérisant les Antonins. On peut prendre comme point de départ l’Onomasticon de Pollux de Naucratis, ouvrage lexicographique en dix volumes, dédié à Commode du vivant de Marc-Aurèle. La lettre liminaire adressée au prince ne permet pas d’affirmer de façon assurée que Pollux fut son professeur officiel, mais elle met néanmoins en avant la volonté qu’avait l’auteur de participer à l’éducation du fils de Marc Aurèle en contribuant à sa formation rhétorique95, ce qui constitue encore un élargissement possible de la notion de professeur.

  • 96 Avotins 1975, p. 313-324, date l’obtention de la chaire impériale de Rome par Hadrien en 180 ; Swa (...)

44À la fois professeur de rhétorique et sophiste, Pollux de Naucratis (ca 135-début des années 190) a également composé pour le mariage de Commode avec Bruttia Crispina en 177 un éloge intitulé Epithalame pour Commode César. Il fut aussi l’auteur d’un Discours romain, sans doute un éloge de Rome comme le fameux En l’honneur de Rome d’Aelius Aristide. Il obtint de Commode la chaire impériale d’Athènes – où il succéda peut-être à son maître Hadrien de Tyr qui reçut, vers 180, la chaire impériale de Rome – et mourut, âgé de 58 ans, sous le règne du même Commode96.

  • 97 Gangloff 2018, p. 401-409.

45Nous avons montré ailleurs que les listes de mots propres à l’éloge du roi et au blâme du tyran dans l’Onomasticon renvoient à la figure du bon empereur qui s’est dessinée sous les Antonins, construite par opposition au tyran et par parallélisme avec le roi des dieux, et que l’on trouve de nombreux échos, dans la liste des termes laudatifs, au vocabulaire employé par Dion de Pruse dans le premier discours Sur la royauté, destiné à Trajan97. Les similitudes entre les qualités – évoquées plus haut – qui sont dévolues au bon empereur dans le livre I des Écrits et la liste des termes réalisée par Pollux pour faire l’éloge du bon empereur sont également frappantes. Le basileus loué par Pollux est en effet :

  • 98 Poll., Onom., 1, 40-41 (éd. Bethe, trad. personnelle) : Πατήρ, ἤπιος, πρᾷος, ἥμερος, προνοητικός, (...)

Père, bienveillant, doux, courtois, prévoyant, équitable, philanthrope, magnanime, libérateur, au-dessus de l’argent, à l’abri des passions, maître de soi, dominant les plaisirs, usant de la raison, pénétrant, vif, avisé, de bon conseil, juste, tempérant, serviteur des dieux et gardien des hommes, constant, solide, infaillible, doté de pensées élevées, doté de pensées fortes, énergique, qui mène à terme, qui se soucie des sujets, sauveur, enclin aux bienfaits et lent à punir, sûr, à l’abri des erreurs, ferme, très attentif à la justice de l’autorité, facile d’abord, facile d’accès, affable, agréable, qui adoucit, plaisant, qui prend soin de ses sujets, qui aime l’armée, bon guerrier qui n’aime pas la guerre, pacifique, qui fait la paix, gardien de la paix, pédagogue, apte au pouvoir, législateur, né pour faire de bonnes actions, semblable aux dieux98.

  • 99 Il suivit son enseignement à Athènes probablement entre 130 et 140 : Puech 2002, p. 56-57 et 285. (...)
  • 100 Ameling 1983, II, p. 187.
  • 101 I. Ephesos 1539, l. 14 pour la prostasia ; sur Claudius Severus fils, voir PIR2 C 1024 ; voir Groa (...)
  • 102 Souda A 528. Le Celer qui fut chargé de la correspondance impériale grecque probablement à la fin (...)
  • 103 Philostr., VS, 588-589 ; Claudius Severus intervient encore au cours de cet épisode, de manière cr (...)
  • 104 Philostr., VS, 590.

46Or, cette continuité des idées transmises peut s’expliquer, entre autres, par une forte continuité des acteurs de la transmission. Hadrien de Tyr (ca 112-192), le maître de Pollux, fut en effet l’élève favori d’Hérode Atticus qui avait enseigné la rhétorique grecque à Marc Aurèle99. Hadrien de Tyr était lié à Claudius Severus, le gendre de Marc Aurèle, qui était lui-même un ami d’Hérode Atticus100 : il honora Severus d’une statue à Éphèse (où il avait fondé son école) entre 163 et 169, sous le règne conjoint de Marc Aurèle et de Lucius Vérus, et l’inscription souligne la protection (prostasia) dont le sophiste a bénéficié de la part de l’illustre sénateur, apparenté à Marc Aurèle101. Il a probablement aussi été lié à Caninius Celer, le maître de rhétorique grecque de Marc Aurèle et Lucius Vérus, car la Souda lui attribue un discours de consolation destiné à Celer102. Alors qu’il était déjà détenteur de la chaire de rhétorique d’Athènes (avant 176), Marc Aurèle alla l’écouter déclamer et l’admira tant qu’il le fit couvrir d’honneurs civiques insignes (sitèsis, proédrie, atélie, prêtrises) et lui offrit ainsi qu’à sa famille des dons précieux103. Commode en fit son procurateur ab epistulis Graecis peu avant sa mort, soit à un âge très avancé puisqu’il mourut à 80 ans, ce qui laisse penser que cette nomination était surtout honorifique104.

  • 105 Philostrate, qui lui consacra une courte biographie (VS, 606-607), fut son auditeur. Voir PIR2 A 1 (...)
  • 106 Philostr., VS, 607 ; voir CP, n° 205. Sur la famille, voir Bowersock 1969, p. 22 et 55-56.
  • 107 Rémy 1988, p. 82, date le gouvernement du Pont-Bithynie entre 205 et 211 ; Leunissen 1989, p. 261 (...)
  • 108 I. Ephesos 2026, l. 16-17 ; Antipater est mentionné avant le responsable a libellis, en dépit de l (...)

47Hadrien et Pollux furent à leur tour les maîtres du brillant Antipater de Hiérapolis (ca 144-212), qui devint le professeur de Caracalla et de Géta105. Aelius Antipater avait pour père un chevalier qui avait été deux fois avocat du fisc et qui était l’un des premiers notables de sa cité106. Septime Sévère, dont il écrivit une histoire des hauts faits, le nomma ab epistulis Graecis avant de l’élever au consulat et de lui donner le proconsulat de Pont-Bithynie (qui lui fut retiré parce qu’il aurait été trop prompt à condamner à mort) à des dates difficiles à préciser, dans la première décennie du IIIe siècle107. Dans une lettre envoyée à Éphèse probablement en 200 ou 201, le jeune co-empereur Caracalla désigne Antipater comme son professeur (didaskalos) et son « ami » (philos) – ce qui signifie que le sophiste était membre du Conseil impérial – et le responsable de la correspondance impériale en grec, poste qui justifie la participation au Conseil108.

  • 109 Philostr., VS, 607.
  • 110 Philostr., VS, 607.
  • 111 DC 78, 4, 1 ; SHA, Car., 4, 1 (sur Papinien) et Get., 6, 3 ; Car., 4, 4, sur Sammonius Serenus, do (...)
  • 112 DC 78, 4, 2-5 et 5, 1 ; SHA, Car., 4, 5-6.

48De même qu’il y avait des dynasties impériales, il y eut donc une sorte de dynastie de professeurs des princes en rhétorique grecque, si bien que le lien de filiation fictive que Septime Sévère créa avec Commode et Marc Aurèle fut aussi élaboré dans le domaine de la paideia. Cette continuité fut rompue brutalement, à la fin de 211, par le meurtre de Géta, qui ne pouvait être intégré au cadre de cette paideia. La réaction d’Antipater condamnant l’assassinat, et soulignant, selon Dion Cassius, que cet acte contrevenait à son enseignement109, marqua à la fois la fin de ce lien symbolique, la fin de la possibilité qu’avait Caracalla de se couler dans le moule du bon prince antonin, en même temps que la mort du professeur, qui se suicida peu après avoir perdu la faveur de l’empereur selon Philostrate110. Le rhéteur n’aurait peut-être pas survécu longtemps, car Caracalla fit exécuter les serviteurs, amis et maîtres de son frère après avoir éliminé celui-ci : deux autres intellectuels perdirent la vie dans cette circonstance, le grand juriste Papinien, qui était préfet du prétoire, et l’érudit Sammonius Serenus111 ; et Caracalla aurait fait exécuter son propre tropheus, le précepteur de sa petite enfance, L. Fabius Cilo, ancien préfet de la Ville, si celui-ci n’avait pas été secouru par le peuple et par des soldats des cohortes urbaines112.

Pour conclure

49En dépit de sources souvent peu prolixes, on peut donc constater, dès le milieu du Ier siècle (dès Claude et Néron), que le rôle de professeur des princes héritiers est important et de nature politique, car les professeurs sont choisis pour entrer au service de la famille impériale. Le rôle des professeurs dans la stratégie déployée par Agrippine pour faire de son fils un futur empereur, et empêcher Britannicus de le devenir, est de ce point de vue significatif. Les maîtres des princes héritiers étaient appelés, en récompense de leurs loyaux services, à devenir des dignitaires de l’Empire (quand ils ne l’étaient pas dès avant leur appointement, puisque, comme on l’a souligné, tous les professeurs n’étaient pas des professionnels de l’enseignement).

50Dès Caligula, un professeur comme Macron a pour objectif d’entraîner le prince à jouer son rôle de chef politique de l’Empire, à se comporter en public comme on l’attendait d’un empereur ou d’un futur empereur, à entrer dans le « costume », ou bien la persona du princeps. À côté de l’enseignement proprement dit d’une discipline, les professeurs du prince lui dispensaient des conseils ou bien le faisaient profiter de leurs discussions, nourries d’une solide paideia et de leur propre expérience du jeu politique.

51De Marc Aurèle à Caracalla, on a pu montrer, dans le cas de la rhétorique grecque, le caractère renforcé de la transmission d’une culture politique impériale bien définie, grâce à des professeurs (au sens large antique) liés entre eux, qui transmettaient aux princes héritiers des mots, discours et idées politiques semblables ou comparables. C’est une analyse que l’on ne peut pas faire pour les époques antérieures, faute de renseignements suffisants sur les professeurs : mais c’est justement sous les Antonins que se cristallise l’idée d’un « bon prince » entouré de bons professeurs qu’il écoute. Nous ferions volontiers l’hypothèse que le rôle et le statut de professeur des princes héritiers est devenu plus important, plus prestigieux également, au IIe et au début du IIIe siècles, quand les empereurs ont pu s’appuyer sur les réseaux sociaux et politiques des sophistes et des philosophes grecs, qui étaient non seulement des spécialistes de la paideia, mais aussi, pour beaucoup, de grands notables, qui participaient désormais à la gestion de l’Empire, aux postes les plus élevés. De notre étude ressortent deux éléments qui ont joué un rôle non négligeable pour stabiliser, fixer cette culture politique impériale autour de la figure du bon prince antonin : sur le plan chronologique, la continuité de la transmission par des hommes qui ont eu entre eux des relations de maître à élève ; à l’échelle de l’empire, le fait que le même personnage – ainsi T. Aius Sanctus, Caninius Celer et Antipater de Hiérapolis – ait pu à la fois enseigner à Rome aux princes héritiers le comportement et les qualités attendues chez un empereur, et diffuser largement ce même type de discours politique dans les provinces hellénophones par le biais de la correspondance impériale.

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Notes

1 Philostr., VS, 607.

2 Sur l’éducation des princes : Bardon [1940] 1968 (uniquement l’éducation littéraire) ; Rifner Parker 1946 ; Morford 1968 ; Demougin 2010 ; Wolff 2015, p. 127-130.

3 Le rôle des préfets du prétoire dans la formation militaire du prince est souligné par Mordford 1968.

4 Quint. 4, Pr. 2 ; M. Aur. Med., 1, 4, a appris de son bisaïeul qu’il ne fallait ménager aucune dépense pour l’éducation de ses enfants. Voir Demougin 2010, p. 26 ; Wolff 2015, p. 16-17.

5 Sur les conseils de Macron : Philo, Leg., 41-51 ; In Flacc., 14-15 ; sur Macron lui-même, PIR2 N 12. Sur l’enseignement des vertus du prince par le biais de l’éloge rhétorique, voir Fronton : Ep. Graec., 6 ; ad M. Caes., 3, 7 ; 3, 8 ; ad Ant., 2, 2 (éd. Van den Hout 1988). De même, l’abréviateur de DC 80, 6, 3, a souligné les efforts de Gannys, le tropheus d’Élagabal, pour convertir son protégé, monté sur le trône, à la tempérance et à la prudence.

6 Sur les attentes vis-à-vis de la culture des empereurs, voir la contribution de G. Zecchini dans ce volume.

7 Suet., Gram., 17 ; Aug., 64, 5 ; Wolff 2015, p. 16-17 et 20.

8 Poll., Onom., I, 1-2 (cité infra).

9 SHA, Ant. Pius, 10, 4 ; Marc., 3, 1 ; Wolff 2015, p. 129.

10 Men. 2, 371, 19 éd. Russell – Wilson : ἁλουργίδες τὰ σπάργανα ; voir Hdn. 1, 5, 5 (au sujet de Commode).

11 C’était le cas d’Anicetus, le pédagogue de Néron (Tac., Ann., 14, 3, 3 ; PIR2 A 589), de M. Aurelius Cléander, tropheus de Commode (AE, 1952, 6 ; CP, n° 180 bis), de L. Aurelius Nicomedes, celui de Lucius Vérus (SHA, Ver., 2, 8 ; CIL VI 1598 ; CP, n° 163), et peut-être aussi celui de Gannys, le tropheus d’Élagabal, qui avait été élevé par Julia Maesa (comme un esclave né à la maison ? DC 80, 6, 1 ; PIR2 G 74).

12 Sur cette méfiance, voir Gangloff 2018, p. 111-112, 130, 191, 246, 269, 402, 404, 442. Voir cependant Suet., Cal., 3, 1-3 : l’éloge de Germanicus met en avant surtout l’érudition et les compétences rhétoriques en latin et en grec du prince, mais il fait apparaître aussi sa valeur militaire en mentionnant notamment la pratique quotidienne de l’équitation. Suet., Ner., 10, 5, évoque les exercitationes campestres de Néron (équitation et maniement des armes) qui étaient pratiqués publiquement, sous les yeux de la plèbe, jusqu’au début de son règne. Sur l’éducation physique à Rome, voir Wolff 2015, p. 97-102.

13 SHA, Marc., 4, 9 ; Seu. Alex., 27, 9-10 ; Men. 2, 371, 24-372, 2.

14 Tac., Ann., 12, 42 ; 13, 2, 1. Aucun texte ne dit que Burrus a supervisé la formation physique et militaire du jeune Néron.

15 Sur l’influence exercée par Macron sur Caligula, voir Philo, Leg., 41-51 ; In Flacc., 14-15 ; Tac., Ann., 6, 45-46 ; DC 58, 28, 4 ; Suet., Cal., 12, 2.

16 Cette liste est étudiée de manière détaillée infra.

17 Philo, Leg., 52-56 : Τοιούτοις κατεπῇδεν ὁ δυστυχής, ὥστε βελτιῶσαι τὸν Γάιον. Ὁ δὲ φίλερις καὶ φιλόνεικος ὢν ἐπὶ τἀναντία τὴν διάνοιαν ἔτρεπεν, ὥσπερ εἰς ἐκεῖνα παρακληθείς, καὶ τὸν σωφρονιστὴν ἄντικρυς ἀπεθάρρει δυσωπεῖν, ἔστι δὲ ὅτε καὶ πόρρωθεν ἀφικνούμενον ὁρῶν πρὸς τοὺς πλησίον ταυτὶ διελάλει· « Πάρεστιν ὁ διδάσκαλος τοῦ μηκέτι μανθάνειν ὀφείλοντος, ὁ παιδαγωγὸς τοῦ μηκέτι παιδὸς ὄντος, ὁ νουθετητὴς τοῦ φρονιμωτέρου, ὁ τὸν αὐτοκράτορα τῷ ὑπηκόῳ πειθαρχεῖν ἀξιῶν, ἐθάδα τῆς ἡγεμονικῆς ἐπιστήμης καὶ παιδευτὴν ἑαυτὸν γράφει, παρὰ τίνι μαθὼν τὰ ἀρχικὰ ἔγωγε οὐκ οἶδα. Ἐμοὶ μὲν γὰρ ἐξ ἔτι σπαργάνων μυρίοι διδάσκαλοι γεγόνασι, πατέρες, ἀδελφοί, θεῖοι, ἀνεψιοί, πάπποι, πρόγονοι μέχρι τῶν ἀρχηγετῶν, οἱ ἀφ´ αἵματος πάντες καθ´ ἑκάτερον γένος τό τε πατρῷον καὶ μητρῷον, αὐτοκρατεῖς ἐξουσίας περιποιησάμενοι, χωρὶς τοῦ κἀν ταῖς πρώταις τῶν σπερμάτων καταβολαῖς εἶναί τινας δυνάμεις βασιλικὰς τῶν ἡγεμονικῶν. Ὡς γὰρ αἱ τοῦ σώματος καὶ τῆς ψυχῆς ὁμοιότητες κατά τε τὴν μορφὴν καὶ σχέσεις καὶ κινήσεις βουλάς τε καὶ πράξεις ἐν τοῖς σπερματικοῖς σῴζονται λόγοις, οὕτως εἰκὸς ἐν τοῖς αὐτοῖς ὑπογράφεσθαι τυπωδέστερον καὶ τὴν πρὸς ἡγεμονίαν ἐμφέρειαν. Εἶτα ἐμὲ τὸν καὶ πρὸ τῆς γενέσεως ἔτι κατὰ γαστρὸς ἐν τῷ τῆς φύσεως ἐργαστηρίῳ διαπλασθέντα αὐτοκράτορα τολμᾷ τις διδάσκειν, ἀνεπιστήμων ἐπιστήμονα; Ποῦ γὰρ τοῖς ἰδιώταις πρὸ μικροῦ θέμις εἰς ἡγεμονικῆς ψυχῆς παρακύψαι βουλεύματα; Τολμῶσι δὲ ὑπ´ ἀναισχύντου θράσους ἱεροφαντεῖν καὶ τελεῖν τὰ ἡγεμονικὰ μόλις ἂν ἐν μύσταις ἀναγραφέντες, trad. A. Pelletier, légèrement modifiée.

18 Dion Chrys., Or., 4, 26-35 ; DC 57, 18, 6 (Germanicus), et 72, 35-36, 1-3 (Marc Aurèle) ; sur la Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate, voir Flinterman 1995, p. 208 ; Gangloff 2018, p. 341, 369.

19 Sur la nécessité dans la République de conjoindre harmonieusement une excellente nature et la meilleure éducation pour viser à la vertu (c’est-à-dire la justice dans l’État) : Rep., 4, 424a ; 487a ; 491d et 495a (à propos de l’éducation des Gardiens). Sur les débats au sujet de la possibilité d’enseigner la vertu, possibilité très contestée dans l’Antiquité, voir Barnes 1991 ; voir aussi Wolff 2015, p. 126-127 sur les opinions des Romains et Grecs d’époque impériale sur ce sujet.

20 Men. 2, 371, 24-372, 2.

21 DC 61, 10.

22 Épictète semble avoir rencontré la même difficulté pour enseigner la philosophie aux aristocrates à Rome : Entr., 2, 12, 17-25. On notera, par ailleurs, le parallélisme entre le rejet (puis l’élimination) de Macron par Caligula, et le meurtre de Gannys par Élagabal, que son ancien tropheus voulait aussi former à la tempérance et à la prudence qui sont, chez Dion Cassius, des qualités essentielles pour exercer le pouvoir : DC 80, 6, 3.

23 SHA, Marc., 3, 1-8 ; Ver., 2, 4-11 ; Seu. Alex., 3 ; 27, 5-10.

24 Voir infra.

25 SHA, Com., 1, 5. La Préface de l’Onomasticon de Pollux souligne les compétences professorales du père de Commode, mais aussi son manque de temps, qui justifie d’avoir recours à l’aide apportée par des spécialistes professionnels.

26 Philostr., VS, 557.

27 Suet., Aug., 64, 5 ; SHA, Marc., 4, 1 ; Ant., 10, 4.

28 Tac., Ann., 11, 1.

29 Tac., Ann., 12, 8 ; Suet., Ner., 7, 1, et 52 ; DC 60, 32, 3. Voir Gangloff 2018, p. 41-42.

30 Hdn. 5, 10 ; SHA, Seu. Alex., 3 ; 27, 5-10.

31 CIL VI 41118 (AE, 1961, 280) : T(ito) Aio Sancto co(n)s(uli) / procur(atori) alimentorum / praef(ecto) aerari(i) praef(ecto) / Aegypti a rationibus / proc(uratori) ration(is) privatae / ab epistulis Graecis / M(arcus) Aurelius Cleander / a cubicul(o) et a pugione / Imp(eratoris) Commodi Aug(usti) et / Asclepiodotus a rat(ionibus) / et a memoria / heredes / pro voluntate e[ius]. Voir Pflaum 1972, p. 200-202 : la mort d’Aius est survenue vers 189-190.

32 Oliver 1950, p. 178 ; AE 1952, 6 ; CP, n° 180 bis ; Pflaum 1972, p. 201.

33 Tac., Ann., 13, 2, 1 ; DC 61, 3-4.

34 Tac., Ann., 12, 8 : At Agrippina ne malis tantum facinoribus notesceret ueniam exilii pro Annaeo Seneca, simul praeturam impetrat, laetum in publicum rata ob claritudinem studiorum eius, utque Domitii pueritia tali magistro adolesceret et consiliis eiusdem ad spem dominationis uterentur, quia Seneca fidus in Agrippinam memoria beneficii et infensus Claudio dolore iniuriae credebatur. Le ressentiment du sénateur pour l’empereur semble avoir été bien réel, car il s’est manifesté aussitôt après la mort de Claude, dans les discours officiels (notamment le discours d’ouverture de règne que Sénèque avait écrit pour Néron) aussi bien que dans l’Apocoloquintose : Tac., Ann., 13, 3 ; 13, 4, 1-2. Sur les relations antérieures entre Sénèque et les sœurs de Caligula, et sur la vie publique de Sénèque sous cet empereur et sous Claude avant sa relégation, voir Griffin 1976, p. 51-62.

35 DC 60, 32, 1 et 5-6 ; Tac., Ann., 12, 41 ; la plupart des études modernes ont suivi la lecture politique de Tacite : Rifner Parker 1946, p. 45-49 ; Bardon [1940] 1968, p. 192-195 et 274-275 ; Morford 1968, p. 57-65 ; Wolff 2015, p. 129.

36 CIL VI 1598 ; SHA, Ver., 2, 8 ; CP, n° 163.

37 Tac., Ann., 14, 3, 3 ; 14, 7-8 ; DC 62, 13, 2-5. Ce faisant, Anicetus (comme Sénèque) trahit pour son ancien protégé celle qui l’avait très probablement choisi comme pédagogue.

38 Tac., Ann., 14, 3, 62 ; Suet., Ner., 35, 2. Anicetus, pour sa part, passa la fin de sa vie dans un exil doré en Sardaigne.

39 DC 79, 38, 3 ; 80, 6, 1.

40 Tac., Ann., 13, 3 ; DC 61, 3.

41 Griffin 1976.

42 Philostr., VS, 524 (Celer) et 607 (Antipater). Selon Bardon [1940] 1968, p. 192 n. 2, Néron aurait peut-être eu comme pédagogue Béryllos, qu’il chargea par la suite de la correspondance impériale grecque : Joseph., AJ, 20, 183. T. Aius Sanctus obtint aussi le même poste : CIL VI 41118 (AE 1961, 280) ; Pflaum 1972, p. 200-202.

43 CIL VI 41118 (AE, 1961, 280). Voir Pflaum 1972, p. 200-202 (p. 201 pour la citation) ; l’auteur préfère corriger procur(ator) alimentorum en praefectus alimentorum. Voir aussi CP, p. 1002-1007 n° 178 bis.

44 Tac., Ann., 11, 1 et 4.

45 DC 73, 12-13.

46 CP, n° 163.

47 SHA, Marc., 2, 5 et 3, 3-4 ; pour Eutychius Proculus, voir PIR2 E 131.

48 Fronto, ad M. Caes., 3, 3, 2-3 ; 3, 4 ; ad Ant., 3, 4 ; ad Ver., 1, 8, 1, éd. Van den Hout.

49 Philostr., VS, 559-561. Sur les relations d’Hérode avec les empereurs, voir Oliver 1970, p. 66-84.

50 CIL VI 1598 ; CP, n° 163.

51 M. Aur. Med., 1 et 5, 31 ; CP, p. 471.

52 Veyne 1961, p. 221.

53 DC. 80, 6, 1-3 ; SHA, Marc., 3, 5.

54 Oliver 1950 ; AE, 1952, 6.

55 I. Ephesos 2026, l. 16-17 ; CP, 469-471.

56 Philostr., VS, 607.

57 CIL XI 6334 (ILS 1129) : M(arco) Aufidio Frontoni / pronepoti M(arci) Corneli / Frontonis oratoris / consulis magistri / Imperatorum Luci / et Antonini nepoti{s} / Aufidi Victorini / praefecti urbis bis consulis / Fronto consul / filio dulcissimo ; Demougin 2010, p. 29.

58 Le seul de ses discours qui a peut-être partiellement survécu (si l’attribution est correcte) n’est pas très bien considéré par la critique moderne : voir Albini 1968, p. 22-23 sur les doutes de l’éditeur quant à l’attribution d’un texte aussi maladroit et ampoulé à celui qui était qualifié par ses admirateurs contemporains de « roi des discours » et « langue des Grecs » (Philostr., VS, 586 et 598) ; Mariotta 2006 propose une autre attribution. Sur Hérode : Philostr., VS, 546-566 ; voir notamment PIR2 C 802 ; Graindor 1930 ; Ameling 1983 ; Tobin 1997 ; Prosopography of Greek Rhetors, n° 487.

59 Sylloge3 863, n. 1.

60 Hérode Atticus refusa un deuxième consulat en 160, alors qu’il était en pleine crise familiale, accusé du meurtre de sa femme par son beau-frère, Appius Annius Attilius Bradua.

61 Philostr., VS, 571.

62 Voir en particulier l’épisode de Sirmium évoqué supra : Philostr., VS, 559-561.

63 Philostr., VS, 563 : Ηρώδης Κασσίῳ; ἐμάνης. On peut naturellement s’interroger sur la véracité de cette anecdote, comme toujours chez Philostrate. Concernant sa probabilité, on notera qu’Avidius Cassius était le fils du célèbre rhéteur grec C. Avidius Heliodorus, qui fut ab epistulis Graecis d’Hadrien, puis préfet d’Égypte à la fin du règne de celui-ci (DC 69, 3-5 ; CP, n° 106) ; selon toute vraisemblance, C. Avidius Heliodorus et son fils avaient noué des relations avec Hérode Atticus. L’anecdote est au moins révélatrice de la position sociale prééminente, du poids financier, et donc politique, d’Hérode dans le monde gréco-romain.

64 Luc., Eun., 3 ; Oliver 1981, p. 216-217 ; Toulouse 2008, p. 143-145.

65 Suet., Aug., 48.

66 SHA, Marc., 3, 3.

67 PIR2 A 1393 ; Pflaum 1956 ; Pflaum 1966, n° 9 ; Pflaum 1970, p. 212.

68 Les Écrits de Marc Aurèle ont probablement été rédigés entre 170 et 180 : voir Hadot 1998, p. xlvi-liii.

69 M. Aur. Med., 6, 30.

70 SHA, Marc., 2-4. Ne sont pas mentionnés, pour les petites classes : Euphorion pour la littérature (PIR2 E 120), Geminus pour l’art dramatique (PIR2 G 161), Andron pour la musique et la géométrie (PIR2 A 583) ; pour le cycle du grammairien : Trosius Aper de Pola (PIR2 T 354) ; Eutychius Proculus, de Sicca (PIR2 E 131) ; pour l’apprentissage de l’éloquence : les rhéteurs grecs Aninius Macer (PIR2 A 606) ; Caninius Celer (PIR2 C 388 ; mentionné par Marc Aurèle dans les Écrits, 8, 25, 1) ; tous les philosophes, en revanche, sont évoqués par Marc Aurèle au livre I, sauf un certain Commodus (SHA, Marc., 2, 7, précise qu’il devint parent de Marc Aurèle, ce qui est surprenant ; le passage est très discuté, voir Chastagnol 1994, p. 122 n. 3) ; pour le droit, le célèbre juriste L. Volusius Maecianus, qui entra au Sénat sous le règne conjoint de Marc Aurèle et de Lucius Vérus (PIR2 V 973 ; CP, n° 141). Sur les noms des grammairiens et du rhéteur grec Aninius Macer, voir Birley 1968 ; Pflaum 1970, p. 203-206. DC 72, 35, 1, évoque quatre professeurs de Marc Aurèle : Fronton, Hérode Atticus, Junius Rusticus et Apollonios de Chalcédoine.

71 SHA, Marc., 4, 9 ; Hadot 1998, p. lxxxi-lxxxiv.

72 SHA, Marc., 6 (12 ans). Les deux témoignages, Écrits et Histoire Auguste, vont dans le même sens sur ce point.

73 DC 72, 35, 1 ; SHA, Marc., 3, 3-4 ; PIR2 I 814 ; Hadot 1998, p. lxxxiv-lxxxix.

74 Hadot 1998, p. lxxxviii-lxxxix.

75 DC 72, 35, 1 ; SHA, Ant., 10, 4 ; PIR2 A 929 ; Follet – Goulet 1989 ; Hadot 1998, p. xc-xcv. Apollonios était venu à Rome avec des disciples, et il refusa de dispenser son enseignement à Marc Aurèle dans la maison de Tibère : non forcément par vanité, comme le sous-entend l’Histoire Auguste, mais peut-être parce qu’il concevait son enseignement au sein de son école, parmi un auditoire de plusieurs disciples. Marc Aurèle semble s’être déplacé aussi pour suivre les cours de Sextus de Chéronée, selon Philostr., VS, 557.

76 Philostr., VS, 557 ; SHA, Marc., 3, 2, et 8, 3-4 ; PIR2 S 693 ; Hadot 1998, p. xcv-xcvii ; Puech 2016, p. 263-264 n° 70.

77 Ael. Aristid., Or., XXXII, 8 et 12 ; SHA, Marc., 2, 3 ; PIR2 A 502.

78 DC 72, 35, 1 ; SHA, Marc., 2, 4-5 ; PIR2 C 737 ; Hadot 1998, p. c-cvii.

79 Van den Hout 1988, p. 292-294 pour la datation des lettres ; Van den Hout 1999, p. 62-63 sur les relations entre Fronton et Hadrien, et l’appointement du premier par Antonin.

80 Philostr., VS, 570.

81 Bowersock 1969, p. 53-54, et Millar 1977, p. 6 et 91 (auxquels renvoie Hadot 1998, p. cvii) ; PIR2 I 503 ; Follet 1989 ; Hadot 1998, p. cvii-cxii ; Prosopography of Greek Rhetors, n° 41. Voir Philostr., VS, 570-576 ; Souda A 1128.

82 SHA, Marc., 3, 2 ; Pflaum 1970, p. 210-211 ; Follet 1994, p. 399-400 n° 128 ; Puech 2002, p. 501 ; Hadot 1998, p. cxii-cxiv. Voir PIR2 C 737.

83 SHA, Marc., 3, 3 ; Pflaum 1970, p. 211 ; Birley 1987, p. 95-96 ; Hadot 1998, p. cxiv-cxv. Voir PIR2 C 1027.

84 Gal., De praecognitione, t. XIV, p. 613 éd. Kühn.

85 SHA, Marc., 3, 2 ; Pflaum 1970, p. 210 (avec bibliographie) ; Hadot 1998, p. cxv-cxvii. Il finit sa carrière comme proconsul d’Afrique (sans doute en 158-159) où il eut à juger du procès de magie intenté à Apulée ; PIR2 C 934.

86 Hadot 1998, p. cxvii, qui renvoie pour cette proximité aux Écrits, 1, 17, 10 ; 8, 25.

87 Caninus Celer (professeur de rhétorique grecque), Hérode Atticus, Fronton, Apollonios de Chalcédoine et Sextus de Chéronée ; sur les maîtres de Lucius Vérus, SHA, Ver., 2, 5-6 ; Demougin 2010, p. 32-33.

88 À l’exception du professeur de dessin, qui a servi d’introduction à la philosophie, d’Alexandre de Cotyaion et de Fronton, ce qui confirme le lien privilégié de Marc Aurèle avec Fronton, souligné dans l’Histoire Auguste ; voir Hadot 1998, p. cii-civ ; Richlin 2006 ; Demougin 2010, p. 30-31 ; voir ead. p. 27-28, pour la liste complète des professeurs de Marc Aurèle.

89 Dans cette perspective philosophique, on ne s’étonnera pas qu’Hérode Atticus ne fasse pas partie de la liste des maîtres de Marc Aurèle dans le livre I des Écrits. Sur cette idée de miroir au prince intériorisé, voir Pernot 2003 ; Gangloff 2018, p. 263-267.

90 Cogitore 2011, p. 214-215 ; Gangloff 2018, p. 279.

91 Hadot 1998, p. c, renvoyant à Tobacco 1985.

92 Plut., Mor. (De la curiosité), 522 D-E.

93 Plin., Ep., 6, 29, 1 ; 9, 13, 15 ; 17 ; PIR2 A 1410 ; Jones 1971, p. 24.

94 Entr., 1, 2 (Comment on peut toujours sauvegarder sa dignité personnelle), 19-24.

95 Poll., Onom., 1, 1-2 : « La vertu, tu en trouves l’enseignement dans l’exemple de ton père ; quant au langage, si lui-même avait du loisir, il t’aurait permis de te passer entièrement de nous. Mais comme la préservation de l’oikoumène le prive de loisir, je veux contribuer, sur un point au moins, à la formation de ton éloquence », trad. C. Mauduit dans Mauduit 2013, p. 8.

96 Avotins 1975, p. 313-324, date l’obtention de la chaire impériale de Rome par Hadrien en 180 ; Swain 1990, p. 214-216, argumente en faveur de 178. On manque d’éléments décisifs pour trancher. Sur Pollux, voir Souda P 1951 ; Philostr., VS, 592-593 ; Bethe 2017 ; T. Renzo, s.v. « I. Pollux [IV 17] », New Pauly Online (URL=https://referenceworks-brillonline-com.janus.biu.sorbonne.fr/entries/der-neue-pauly/iulius-e600580#e60254), consulté le 12 juin 2018 ; PIR2 I 474 ; Prosopography of Greek Rhetors, n° 868 ; Bearzot et al. 2007 ; Zecchini 2007 ; Mauduit 2013.

97 Gangloff 2018, p. 401-409.

98 Poll., Onom., 1, 40-41 (éd. Bethe, trad. personnelle) : Πατήρ, ἤπιος, πρᾷος, ἥμερος, προνοητικός, ἐπιεικής, φιλάνθρωπος, μεγαλόφρων, ἐλευθέριος, χρημάτων κρείττων, ἔξω παθῶν, ἑαυτοῦ κρατῶν, ἄρχων ἡδονῶν, λογισμῷ χρώμενος, ὀξύς, ἀγχίνους, περιεσκεμμένος, εὔβουλος, δίκαιος, σώφρων, θεῶν ἐπιμελής ἀνθρώπων κηδεμών, στάσιμος, βέβαιος, ἀνεξαπάτητος, μεγαλογνώμων, ἰσχυρογνώμων, ἐνεργός, τελεσιουργός, φροντιστὴς τῶν ἀρχομένων, σωτήρ, πρόχειρος εἰς εὐεργεσίαν βράδυς εἰς τιμωρίαν, ἀσφαλής, ἀπλανής, ἀκλινής, ἀκριβέστερος πρὸς τὸ δίκαιον ζυγοῦ, εὐπρόσιτος, εὐπρόσοδος, εὐπροσήγορος, εὐέντευκτος, μειλίχιος, προσηνής, ἐπιμελὴς τῶν ὑπηκόων, φιλοστρατιώτης, πολεμικὸς μὲν οὐ φιλοπόλεμος δέ, εἰρηνικός, εἰρηνοποιός, εἰρηνοφύλαξ, παιδευτικός, ἀρχικός, νομοθετικός, εὖ ποιεῖν πεφυκώς, θεοειδής.

99 Il suivit son enseignement à Athènes probablement entre 130 et 140 : Puech 2002, p. 56-57 et 285. C’est lui qui eut l’honneur de faire son éloge funéraire, Philostr., VS, 586. Voir Philostr., VS, 585-590 ; Souda A 528 ; PIR2 H 4 ; Puech 2002, n° 128 ; Campanile 2003 ; Prosopography of Greek Rhetors, n° 434.

100 Ameling 1983, II, p. 187.

101 I. Ephesos 1539, l. 14 pour la prostasia ; sur Claudius Severus fils, voir PIR2 C 1024 ; voir Groag 1902 et, sur les hypothèses relatives à la nature de la protection exercée par Claudius Severus, Puech 2002, p. 286-287.

102 Souda A 528. Le Celer qui fut chargé de la correspondance impériale grecque probablement à la fin du règne d’Hadrien ou bien au début de celui de Marc Aurèle (Philostr., VS, 524 ; Ael. Arist., Or., 50, 57) est généralement identifié au Caninius Celer mentionné parmi les maîtres de rhétorique grecque de Marc Aurèle et de Lucius Vérus dans l’Histoire Auguste, voir supra. Voir PIR2 C 388 ; Prosopography of Greek Rhetors, n° 567.

103 Philostr., VS, 588-589 ; Claudius Severus intervient encore au cours de cet épisode, de manière critique envers Hadrien de Tyr auquel il reproche de se complaire dans les déclamations sophistiques, au lieu de développer une éloquence « pour les luttes » (pros tous agônas), donc de type judiciaire ou peut-être délibérative.

104 Philostr., VS, 590.

105 Philostrate, qui lui consacra une courte biographie (VS, 606-607), fut son auditeur. Voir PIR2 A 137 ; CP, n° 230 ; Ritti 1988 ; Rémy 1989, n° 81 ; Puech 2002, n° 22 ; Prosopography of Greek Rhetors, n° 87.

106 Philostr., VS, 607 ; voir CP, n° 205. Sur la famille, voir Bowersock 1969, p. 22 et 55-56.

107 Rémy 1988, p. 82, date le gouvernement du Pont-Bithynie entre 205 et 211 ; Leunissen 1989, p. 261 et 396, place l’acquisition du statut sénatorial en 200-204, le gouvernement du Pont-Bithynie après 202.

108 I. Ephesos 2026, l. 16-17 ; Antipater est mentionné avant le responsable a libellis, en dépit de l’ordre de préséance normal, voir supra.

109 Philostr., VS, 607.

110 Philostr., VS, 607.

111 DC 78, 4, 1 ; SHA, Car., 4, 1 (sur Papinien) et Get., 6, 3 ; Car., 4, 4, sur Sammonius Serenus, dont les ouvrages étaient très appréciés par Géta : Get., 5, 6. Voir aussi le jugement élogieux de Macrob., Sat., 3, 9, 6.

112 DC 78, 4, 2-5 et 5, 1 ; SHA, Car., 4, 5-6.

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