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Écrire, compter, mesurer / 2

 | 
Natacha Coquery
, 
François Menant
, 
Florence Weber

« À la conquête de la science des comptes »

Variations autour de quelques manuels de comptabilité des xviie et xviiie siècles1

Yannick Lemarchand

Texte intégral

  • 1  Une première version de ce texte a été publiée sous le titre suivant : « À la “conquête de la scie (...)
  • 2  Les références complètes des ouvrages et articles cités en notes sont indiquées dans la bibliograp (...)
  • 3  Signalons cependant la remarquable étude menée par J. Bottin (« Entreprise et place de commerce… » (...)

1La comptabilité en partie double prend naissance aux alentours du xive siècle en Italie du Nord et se répand à travers toute l’Europe marchande à partir de la fin du xve siècle. Si les premiers pas de cette technique, de même que certains des développements intervenus à partir du xixe siècle, sont assez bien connus, il n’en est pas de même de la période intermédiaire, longtemps considérée comme une période de stagnation2. Le xviie siècle, en particulier, reste peu exploré, notamment en raison de la rareté et de la dispersion des fonds d’archives. Pour la France tout au moins, la littérature elle-même n’a fait l’objet d’aucune étude d’ensemble réellement approfondie3. D’ailleurs en dehors de quelques exceptions, on ne connaît guère les auteurs, sinon par les maigres éléments de biographie qu’ils ont eux-mêmes glissé dans leurs ouvrages et qu’il est prudent de considérer d’un œil critique.

  • 4  Cf. J. Hoock et P. Jeannin, Ars mercatoria…, t. II.
  • 5  Pour une vue d’ensemble de la diffusion des ouvrages destinés aux marchands et des stratégies édit (...)
  • 6  Sur les divers aspects de la formation des marchands, voir l’ouvrage dirigé par F. Angiolini et D. (...)

2Durant le dernier tiers du xviie siècle, on observe une multiplication des ouvrages destinés aux marchands et plus particulièrement des traités de tenue des livres4. Ce mouvement accompagne les prémices d’une croissance de l’activité commerciale qui fera de la France du xviiie siècle l’une des toutes premières nations marchandes de l’Europe. Il prend en compte l’existence de besoins spécifiques de formation et témoigne de la constitution d’un véritable marché spécialisé5. En effet, la formation des négociants6 et de leurs teneurs de livres ne peut se limiter à la seule transmission orale des savoirs au sein du comptoir. Certaines techniques, dont la comptabilité, nécessitent le recours à d’autres vecteurs. Le manuel et les leçons d’un maître spécialisé viennent apporter un indispensable complément à l’apprentissage.

3Le livre est souvent le prolongement d’activités d’enseignement et d’expertise ; sans doute sert-il aussi de support au développement de ces activités, par la notoriété qu’il confère à son rédacteur. Les auteurs de manuels se trouvent naturellement en situation de concurrence et chacun d’eux tente d’attirer la clientèle en vantant son produit. L’argumentaire ne varie guère, chacun prétendant avoir réussi à mettre au point la méthode la plus claire et la plus efficace. Mais sur ce marché où chacun est libre de choisir l’ouvrage ou le maître qui lui plaît, la concurrence peut se faire très vive et revêtir parfois des formes peu civiles. C’est au moins l’indice de l’importance relative de certains enjeux.

4Élément plus fondamental enfin, l’examen des traités publiés en France ou écrits par des Français, au xviie et au début du xviiie siècle, fait apparaître un changement assez net dans leur contenu. Des modifications significatives interviennent dans la façon de transmettre les connaissances et les options pédagogiques évoluent nettement. On passe de catalogues, plus ou moins raisonnés, qui entendent couvrir toute la gamme des opérations susceptibles d’être réalisées par un marchand, à des ouvrages plus dépouillés, dans lesquels on tente de dégager des règles de portée générale. Plus distancié, moins empirique, l’exposé de la technique se veut plus rationnel. Sur une période qui coïncide à peu de choses près avec le règne de Louis XIV, on voit se réaliser un changement qui constitue une étape importante de l’évolution de la comptabilité en France.

1. Le livre et le marché de la formation comptable

5L’évolution de la production de traités de comptabilités doit être mise en regard des différentes composantes du marché de la formation. Les apprentis marchands et leurs futurs commis constituent probablement l’essentiel des acheteurs potentiels de ces ouvrages. La demande de manuels est donc liée à l’essor du commerce et à celui des débouchés offerts aux teneurs de livres. Il en va de même du développement d’une profession de comptables indépendants se consacrant à la fois à l’enseignement, à l’expertise et à la tenue des livres, et qui a fourni à la littérature comptable du moment certains de ses meilleurs auteurs.

1.1. Les manuels et leurs utilisateurs

  • 7  Les références précises des ouvrages évoqués ici sont fournies dans la bibliographie.
  • 8  Cf. A. Dupont, Quelques documents…, qui donne une reproduction partielle de cette instruction.
  • 9  B. de Renterghem, Instruction nouvelle… ; Z. de Hoorebeke, L’Art de tenir… ; Henry Waninghen, Le T (...)
  • 10  Sur Dassié, voir E. Stevelinck, « Comment tenir ses livres en 1676 ».
  • 11  Il y aurait en outre une Instruction sur la tenue des livres italienne, publiée en 1621 par le Die (...)
  • 12  Signalons P. Gireaudeau l’Ainé, L’Art de dresser…, avec un Supplément publié à Genève en 1754, ces (...)

6Les premiers traités de tenue des livres en langue française7 furent écrits par des Flamands : Jan Ympyn Christoffels d’abord, en 1543, puis Valentin Mennher de Kempten, dont l’ouvrage publié à Anvers en 1550 fut réédité à Lyon cinq ans plus tard. C’est à Anvers encore, en 1567, que fut publié le premier traité français ; œuvre du Lyonnais Pierre Savonne, il fut lui aussi réédité à Lyon, refondu et enrichi, en 1581, 1588 et 1608. Éditée à Paris en 1588, l’Arithmétique abrégée… de Martin Fustel contenait une instruction « pour seulement tenir les livres de comptes8 » ; mais elle est particulièrement succincte, si bien qu’on ne peut guère l’assimiler aux ouvrages qui vont être évoqués. Tandis que quelques manuels en français paraissent aux Pays-Bas9, il faut attendre le début du xviie siècle pour que de nouveaux traités de tenue des livres voient le jour en France. Il y a ceux du Rouennais d’origine flamande Michel Van Damme en 1606, du Lyonnais Claude Boyer en 1627, réédité en 1645, puis d’un Suisse installé à Lyon, Matthieu Thomas, en 1631. À Paris paraissent en 1636 et 1640 les deux ouvrages de Jean André, puis le traité de Legendre en 1658. Le rythme des publications reste assez lent, mais il va s’accélérer légèrement dans le dernier quart du siècle, avec les manuels de Pierre Pourrat à Lyon et Dassié10 à Rouen, tous deux en 1676, Irson à Paris en 1678, réédité en 1682 et 1687 et enfin Mathieu de la Porte en 1685, réédité en 1692, 1699, 1716, 1743 et 1760, puis dans une traduction en italien en 1786 et enfin en portugais en 1794. Bien qu’elle soit très brève et ne concerne que la comptabilité en partie simple, on peut également ajouter à cette liste11 la partie comptable du Parfait Négociant de Jacques Savary, publié à Paris en 1675. Le premier quart du xviiie siècle voit se poursuivre le mouvement avec Pierre Gobain et Jean Moulinier à Bordeaux, respectivement en 1702 et 1704, Mathieu de la Porte pour un nouveau manuel, en 1704 également, Samuel Ricard à Amsterdam et Bernard d’Hénouville à Paris, tous deux en 1709, Barrême en 1721, toujours dans la capitale, et enfin Jean-Pierre Ricard, fils de Samuel, à Amsterdam en 1724, pour une réédition largement modifiée de l’ouvrage de son père. Mis en regard de la relative faiblesse quantitative de la production nouvelle durant le reste du siècle12, le rythme des rééditions de La Science des négociants de Mathieu de la Porte, montre à quel point la période étudiée constitue un moment-clé dans l’évolution des connaissances comptables et de leur mode de transmission : 1712, 1714, 1715, 1732, 1741, 1748, 1753, 1754, 1759, 1762 et 1764 en allemand, 1769, 1770 (deux éditions), 1781, 1782, 1783, 1785, 1787, 1792, 1797, 1798 et 1799, pour les seules éditions dont des exemplaires ont été repérés. En 1798, P.J. Migneret publia un ouvrage qui, outre le format, faisait de larges emprunts à La Science des négociants. Deux ans plus tard, le Bordelais Boucher publia sous son nom une version à peine retouchée du célèbre manuel, tout en prenant soin de préciser La Science des négocians et teneurs de livres par feu de la Porte.

  • 13  C. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, p. 766.
  • 14  J. Meyer, L’Armement nantais…, p. 127-129.
  • 15  Portant sur une période plus tardive, l’analyse menée par Serge Chassagne sur une douzaine de bibl (...)
  • 16  Cf. J. Cavignac, Jean Pellet…, p. 37.
  • 17  P. Jeannin, « Les manuels de pratique commerciale… ».

7On s’est parfois demandé si ces manuels avaient une réelle utilité, quelques observations, certes partielles et isolées, semblant indiquer que les marchands eux-mêmes ne possédaient guère d’ouvrages de technique comptable. En examinant les inventaires après décès des bibliothèques d’une vingtaine de négociants marseillais du xviiie siècle, Charles Carrière a pu constater que pas un seul n’en possédait13. Jean Meyer a effectué le même constat à Nantes14 . Selon Charles Carrière, « le commerçant était un praticien consommé, connaissant parfaitement tous les aspects et toutes les exigences de son métier, attendant peu des ouvrages qui décrivaient avec de nombreux détails ce que lui-même pratiquait journellement. » À moins qu’ainsi que le suggère Jean Meyer, certains négociants n’aient abandonné ce travail aux seuls commis spécialisés, soit par incompétence, soit par mépris pour une technique jugée indigne de l’état social du commerçant. Il semble pourtant curieux que les négociants qui faisaient tenir leurs livres en partie double n’aient pas possédé quelques rudiments de cette technique, ne serait-ce qu’aux fins d’être en mesure d’exercer un certain contrôle. Les données que nous venons d’évoquer sont beaucoup trop fragmentaires pour en tirer des conclusions générales15 ; d’ailleurs, il n’y a pas lieu de s’étonner outre mesure de l’absence de ces manuels sur les rayons des bibliothèques de négociants. Si, en 1718, l’armateur bordelais Pierre Pellet achète un exemplaire de La Science des négociants16, on ne le retrouve pas dans l’inventaire de sa bibliothèque car, ainsi que l’écrit Pierre Jeannin17, la place d’un manuel technique est au comptoir, à la disposition des commis, et non aux côtés des ouvrages de lecture et de culture. Face à telle ou telle difficulté liée à l’enregistrement d’une opération un tant soit peu inhabituelle, le manuel offrira l’amorce de sa résolution, voire une solution toute faite. Il appartient à la documentation technique du professionnel et n’a rien d’un ouvrage d’agrément.

  • 18  J. Savary, Le Parfait Négociant, 1re partie, livre III, chap. II, p. 134 de l’édition de 1757. Rap (...)

8En outre, on doit le considérer au premier chef comme un instrument de formation, destiné, selon les propres termes de Mathieu de la Porte en 1685, aux « apprentis marchands, banquiers et autres négociants ». La tenue des livres fait partie des connaissances indispensables au marchand et l’ordonnance du commerce de mars 1673 prévoit d’ailleurs que « l’aspirant à la maistrise sera interrogé sur les livres et registres à partie double et à partie simple, sur les lettres et billets de change, sur les règles d’arithmétique ». Lorsque Savary traite de ce que doivent savoir les commis qui serviront les marchands en gros, ou ceux qui se destinent à exercer eux-mêmes ce commerce, il ne manque pas de mentionner la tenue des livres en partie double, mixte ou simple18.

  • 19  Les mémoires de Jean Maillefer ont été éditées par H. Jadart, Mémoires de Jean Maillefer…

9C’est aussi le conseil que donne le marchand rémois Jean Maillefer19, dans un dialogue imaginaire avec son fils, écrit en 1667 :

- Le père : Pour être marchand, faut acheter et vendre, et tenir de bons livres par parties doubles.
- Le filz : Je souhaitterois sçavoir tenir les parties doubles.
- Le père : C’est une très belle science et très nécessaire à un marchand, et les livres de l’espargne se tiennent ainsy. Un de mes camarades, pendant que je demeurois à Lion, demanda à son père que il lui envoyast quarante escus pour aprendre les parties doubles. Son père qui estoit de Tours, luy feit responce que il n’en estoit pas besoing et que il les sçavoit faire triple. (C’estoit un desbauché qui depuis se fit capucin). Ce n’est pas come cela que je voudroi que vous les sceussiés ; on apelle cela donner rencontre à tout, et vous voyés nettement en peue d’heures vos receptes et vos mises, vos achapts et ventes. Il faut la pratique journalière quy en aprend plus que les maistres n’en sauroient monstrer ; vous le cognoistrés mieux par les livres dont je me sers et par un inventaire que j’adjouteray à ce chappitre, et croyés que il ne vous faut guère moins d’aplication, d’estude et d’attention, que s’il faillioit vous apprendre toutes les parties de la philosophie […]
- Le filz : Il me tarde déjà que je ne sçache ceste science.

  • 20  H. Jadart, Mémoires de Jean Maillefer…, p. 96.

10La tenue des livres demanderait-elle donc autant d’application, d’étude et d’attention que toutes les parties de la philosophie ? Notons que Maillefer considère cependant qu’il est lui-même suffisamment compétent pour l’enseigner à son fils. On le voit d’ailleurs affirmer un peu plus loin : « [Je] puis deffier sans vanité qui que ce soit de m’en donner des leçons […] Ceste science resemble toutte les autres, on l’aprend, et la pratiquant tous les jours devient fort facile20. » Mais les futurs négociants et teneurs de livres ne bénéficieront certainement pas tous des conseils d’un père ou d’un maître aussi avisé que Maillefer. L’apprentissage sur le tas n’est pas toujours la méthode la plus appropriée à la transmission de certaines techniques. L’enseignement de la comptabilité suppose une prise de distance que ne réalise pas forcément le praticien, fut-il un excellent commis. Une telle responsabilité risque en outre de distraire une partie importante de son temps.

  • 21  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2. Fonds Doré-Dupéron, 4 octobre 1775.
  • 22  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2, 22 mars 1776.
  • 23  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2, 29 décembre 1777.
  • 24  A.D. Loire Atlantique, 119 J 1.

11Permettant de suivre Doré fils dans son apprentissage, la correspondance du négociant nantais Doré-Dupéron vient confirmer l’idée d’une double formation. En octobre 1775, le jeune homme se rend à Marseille, chez un certain Jouvan21. En mars 1776, le négociant phocéen écrit à son confrère nantais : « Il a bonne envie de tout savoir et conçoit aisément […] il n’a encore d’autre société que moi et mon teneur de livres, homme au fait et prudent [… ]22 ». En janvier 1777, on retrouve Doré fils chez le négociant bordelais Belloc. Quelques temps plus tard, ce dernier rend compte des débuts du séjour : « J’ay beaucoup approuvé qu’il [Monsieur votre fils] aye pris un maître qui luy enseigne à tenir les livres avec un peu d’application, ce à quoi je l’engage23 ». Doré fils retournera à Nantes en avril 1779, emportant dans ses bagages un manuscrit intitulé Méthode pour apprendre à tenir les livres en parties doubles du commerce24 , parvenu jusqu’à nous, mais dont le texte est d’un intérêt technique limité. L’important, pour notre propos, est de constater qu’après avoir passé plus d’un an auprès d’un teneur de livres, Doré fils a éprouvé le besoin – ou s’est vu conseiller – de prendre des leçons auprès d’un maître. Le comptoir ne suffit donc pas, les leçons apportent un complément appréciable, sinon indispensable. Mais l’étude d’un manuel peut venir s’y ajouter ou s’y substituer.

  • 25  B. Grosperrin, Les Petites Écoles…
  • 26  « Factum pour Claude Irson contre François Barrême », Bibliothèque Nationale, 4° Fm 15869.
  • 27  A.D. Gironde, 7 B 1829, 26 août 1718, cité par J. Cavignac, Jean Pellet…, p 37.
  • 28  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2.

12En effet, en dépit de sa cherté, le livre était sans doute un moyen d’apprendre à meilleur compte qu’auprès d’un maître. Selon Bernard Grosperrin, les maîtres écrivains dispensaient « un véritable enseignement professionnel, pour lequel ils demandaient des rétributions élevées25 ». En 1677, c’est 66 livres que réclame Claude Irson à François Barrême, pour avoir appris à son fils Gabriel « les changes étrangers et les comptes doubles26 ». À titre de comparaison, Jean Pellet paye 5 livres pour La Science des négociants27 en 1718, tandis que la première édition du Traité des parties doubles de Barrême est mise en vente 10 livres en 1721, et que celle de 1728 n’en coûtera plus que 4. Même si l’inflation n’est pas négligeable, ces sommes sont insignifiantes par rapport aux 7 394 livres déboursées par Doré père, à la veille de la Révolution, pour les trois années et demi d’apprentissage de son fils28 .

  • 29  Datant de 1743, le premier de ces manuscrits a pour titre Instruction pour apprendre à tenir les l (...)
  • 30  A.N. 62 AQ 11 et 12.
  • 31  Parfait exemple des pièges tendus aux historiens par les livres de comptes, les écritures de ces r (...)
  • 32  P. Gobain, Le Commerce en son jour, p. 105.
  • 33  À Amiens, en 1765, un postulant à la maîtrise joint à sa requête « trois sortes d’écritures qu’il (...)

13Les apprentis ne sont d’ailleurs pas les seuls acheteurs potentiels de manuels. Les commis déjà engagés dans la profession peuvent également souhaiter se perfectionner. Nous allons bientôt voir que leurs émoluments leur permettent de s’offrir ces ouvrages. En outre, ceux qui enseignent la comptabilité sont certainement eux-mêmes des acheteurs. Hier comme aujourd’hui, les enseignants utilisent les manuels pour préparer leurs propres cours. Deux manuscrits d’élèves transcrits par Jean Meyer viennent en témoigner29. Ils présentent en effet de troublantes similitudes de forme avec le Guide des négocians et teneurs de livres de Mathieu de la Porte, et l’on trouve dans l’un d’eux de nombreux emprunts à La Science des négociants et teneurs de livres, du même auteur. Datés de 1722 et censés avoir été tenus à Amsterdam par le Rouennais François Dugard, alors âgé de 17 ans, un journal et un grand livre30 rassemblent des enregistrements très proches des exemples du traité de Samuel Ricard31. Ainsi que le rapporte Gobain, les maîtres « font écrire à un écolier un brouillard, journal et grand livre qu’il emporte chez lui [… ]32 » Il n’y a rien d’étonnant à ce que ces cahiers reprennent des exemples tirés des ouvrages alors disponibles33.

  • 34  « Mémoire pour le sieur Moreau… contre les dits sieurs Cropp et compagnie… », 1759, A.D. Loire Atl (...)

14Enfin, directement ou par l’entremise d’un teneur de livres, certains avocats des places commerçantes ont pu avoir recours à cette documentation. Dans le cadre de la faillite de la société Cropp et Cie, un mémoire34 présenté au nom d’un groupe de créanciers, au rang lesquels figurent quelques-uns des négociants les plus importants de la place de Nantes, nous en fournit la preuve. On y trouve cités Jacques Savary, Claude Irson et Mathieu de la Porte, aux côtés des jurisconsultes les plus renommés. On rencontrerait sans doute bien d’autres exemples, en dépouillant les collections de factums des bibliothèques des villes commerçantes. Pour autant, cette dernière utilisation n’a vraisemblablement qu’un caractère marginal. Si l’on considère que le livre est au premier chef un instrument de formation, sa demande est liée à l’importance des débouchés qui s’offrent aux futurs commis.

1.2. Les débouchés offerts aux teneurs de livres

15Leur spécialisation semble les promettre à un bel avenir. C’est au moins ce que prétend Pierre Pourrat, selon lequel l’un des « principaux avantages qu’apporte la science des contes doubles » est « l’avancement aux honneurs ». En effet,

  • 35  On aura bien sûr reconnu Colbert, lequel avait eu l’occasion de prendre contact avec les technique (...)
  • 36  P. Pourrat, Le Bilan…

« dans le siècle où nous sommes, on voit rarement faire fortune à un homme d’estude ou de lettre, mais bien ceux-là la font qui ont l’esprit ouvert aux affaires du monde par le moyen des contes doubles, comme on le remarque dans les premiers ministres d’Estat et de plusieurs autres qui s’avancent à la Cour35 […] Le moindre émolument qu’on donne à un homme pour les tenir est de cinq ou six cent livres par an, y en ayant qui en ont jusqu’à deux mille, voire dans les compagnies des Indes jusques à trois mille, de sorte, qu’il ne faut pas beaucoup de temps comme l’on voit pour rendre un homme assez riche. »36

  • 37  Cf. H. Roseveare, Markets and Merchants…, p. 4 et 85.

16Voilà certainement un bon argument de vente, mais correspond-t-il à la réalité ? Il est certain que des compétences confirmées de teneur de livres constituent un sérieux atout pour celui qui postule à un emploi de commis. En 1668, c’est grâce à sa qualification en la matière que le Rouennais Jacob David est recruté par le marchand londonien Charles Marescoe, sur les recommandations d’un négociant de Rouen qui l’avait précédemment employé37. En outre, un savoir qualifié se monnaye d’autant plus facilement que l’accès y est réputé difficile. Si l’on s’en réfère à Mathieu de la Porte, un teneur de livres doit réunir nombre de qualités :

  • 38  M. de la Porte, Le Guide des négocians, p. 19. Cette énumération sera reprise, presque mot pour mo (...)

« Il faut qu’il soit bon arithméticien, bien versé dans les changes, les réductions des monnoyes, poids et mesures étrangers, d’un esprit posé, expérimenté en tout ce qui dépend de son ministère, et qu’il sçache trouver les véritables débiteur et créancier de chaque article, par théorie ou règles certaines. »38

  • 39  H. Jadart, Mémoires de Jean Maillefer…, p. 96.
  • 40  A.D. Rhône, 8 B 826-3, contrat du 30 mai 1738. Quelques années plus tôt, en 1734, Jean-Henri Désag (...)
  • 41  J. Meyer, L’Armement nantais…, p. 129.
  • 42  A.D. Loire Atlantique, 8 J 21. Albert, teneur de livres, reçoit 4 470 livres pour 3 ans, 8 mois et (...)
  • 43  J. Meyer, L’Armement nantais…, p. 130.

17C’est donc théoriquement un commis qualifié, parfaitement rodé à toutes les subtilités des spéculations commerciales, qui peut effectivement percevoir une bonne rémunération ; Jean Maillefer dit ainsi avoir connu « des caissiers à Lion qui ont bons gages come des comis dans les finances39 ». En 1627, se mettant lui-même en scène, Boyer débite le compte « dépenses générales » de 1 000 livres « pour gages d’un an de Claude Boyer, pour avoir tenu l’escripture de cette négociation ». En mai 1738, Jean-Henri Désaguliers, un teneur de livres hollandais d’origine française, maniant parfaitement le néerlandais, l’anglais et le français, est embauché à Marseille par la maison Vernet, Whatley, Gampert ; on lui promet, outre le gîte et le couvert, 400 livres la première année, 500 la deuxième, 600 la troisième, 700 la quatrième, 800 la cinquième et enfin 1000 la sixième40. En 1739 à Nantes, les gages annuels du commis de la société d’assurances maritimes Rozée-Portier s’élèvent à 700 livres41. Dans la même ville, c’est 1200 livres que recevra le teneur de livres de l’armateur négrier François Deguer en 177242. Tout cela est conforme à l’ordre de grandeur donné par Pourrat. Jean Meyer constate d’ailleurs que les commis des négociants nantais jouissent d’une incontestable aisance ; les rôles de capitation distinguent les « commis de négociants », riches et estimés, des commis ordinaires, situés en bas de l’échelle sociale43.

  • 44  Cf. R. Gascon, « La France du mouvement… », p. 314-316.
  • 45  Cf. G. Fagniez, L’Économie sociale de la France sous Henri IV, p. 220 sq.
  • 46  Cf. J. Hoock et J. Bottin, « Structures et formes d’organisation… »
  • 47  J. Savary, Le Parfait Négociant.

18Mais ces débouchés sont-ils importants ? Ils dépendent bien sûr de la diffusion de la technique, en liaison avec le développement de l’activité commerciale. Bien que nous ne disposions à cet égard que de renseignements fragmentaires, il est probable qu’au début du xviie siècle, l’utilisation de la partie double par les marchands français reste relativement limitée. On la rencontre surtout dans les villes ayant bénéficié de l’influence italienne, telles Lyon44 et Toulouse45, ou flamande comme Rouen46. La seconde moitié du siècle est manifestement une époque charnière à cet égard, dans la mesure où elle prépare une plus large diffusion de cette méthode. Celle-ci est de toute façon l’apanage du grand négoce : lorsque Savary l’évoque, c’est seulement à propos du commerce de gros, en raison des facilités qu’elle offre pour le suivi des lettres de change et des affaires en participation47 .

  • 48  C. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, p. 763.
  • 49  L’inventaire de ces archives a été publié sous la direction de P. Léon, 1976.
  • 50  A.D. Loire-Atlantique C 645. « Projet d’une déclaration du Roy… », 2 août 1732, art. 10.
  • 51  C. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, p. 762.

19Elle devient en particulier indispensable dès que l’activité dépasse le cadre hexagonal. Ainsi que le souligne Charles Carrière, cette technique constitue un langage international : chaque négociant se doit d’entendre parfaitementlevocabulaireetlapratiquecomptablesdesescorrespondants étrangers. Les teneurs de livres marseillais y excellent ; commentant leur travail, Charles Carrière n’hésite pas à parler de perfection, une perfection acquise dès le début du xviiie siècle48. Il n’est que de parcourir quelques-uns des principaux ensembles d’archives comptables du très riche fonds du tribunal de la Conservation49 de Lyon, pour éprouver une impression semblable. Mais les disparités régionales restent importantes. Dans un projet de réforme de l’ordonnance de 1673, élaboré en 1732, les juges consuls nantais prennent bien soin de recommander l’utilisation de la méthode italienne : « Enjoignons à tous négocians de tenir eux-mêmes leurs livres ou de les faire tenir sous leurs yeux par leurs commis […] autant que faire se pourra dans la métode dite à parties doubles50. » Tandis qu’à Marseille, « dès le début du siècle [xviiie], des commerçants d’importance secondaire, plus marchands que négociants, pratiquaient la partie double comme une technique très familière.51 »

  • 52  Ainsi J. Cocault, « Histoire des praticiens… »
  • 53  C. Irson, Méthode… .
  • 54  Cf. Y. Lemarchand, Du dépérissement à l’amortissement…, p. 145.
  • 55  En 1670, un mémoire de Colbert recommande aux directeurs de la Compagnie des Indes Orientales d’ét (...)
  • 56  « Mémoire et observations sur l’administration de la Compagnie des Indes », 1755, A.N. Colonies C2 (...)
  • 57  Il en est ainsi à la Manufacture des serges façon de Londres, créée en 1667, ou à la Manufacture d (...)

20La demande de commis qualifiés ne pouvait venir que des maisons d’une certaine importance. On a même prétendu que c’étaient les grandes compagnies de commerce qui avaient fait naître la profession de teneur de livres52. Certes, Pourrat évoque les compagnies des Indes, Irson y fait également allusion dans l’épître qu’il dédie à Colbert53. Les statuts de ces sociétés prévoyaient effectivement l’utilisation de la partie double54. En outre, leur organisation supposait l’embauche d’un nombre important de commis spécialisés55. En 1755, le « bureau des livres » situé au siège parisien de la Compagnie employait, à lui seul neuf personnes : un chef inspecteur des livres, un premier teneur de livres, trois teneurs de livres et quatre commis aux écritures56. Dans certaines des manufactures créées sous l’impulsion du contrôleur général, on prévoyait également d’utiliser la partie double57. Mais des négociants lyonnais ou marseillais employaient des teneurs de livres bien avant que ces compagnies soient constituées. Ce fut précisément le cas de Claude Boyer et de Matthieu Thomas. D’une façon générale, c’est la lente mais sûre montée en puissance du grand négoce français qui a offert des débouchés aux teneurs de livres qualifiés. Nous devons maintenant nous tourner vers ceux qui les ont formés.

1.3. La naissance d’un corps de comptables indépendants

21Les tendances que nous observons paraissent significatives de la constitution et de la légitimation progressive d’une profession hybride, dont les membres sont à la fois enseignants, experts et teneurs de livres.

  • 58  R. de Lespinasse, Les Métiers et corporations…, p. 667.
  • 59  Cf. P.-L. Menon, « Un grand comptable d’autrefois » et E. Stevelinck, « Mathieu de la Porte ».
  • 60  B. Grosperrin, Les Petites Écoles…, p. 56.
  • 61  J. Cocault, « Histoire des praticiens… » Dans son contrat de mariage daté du 25 septembre 1653 — A (...)

22Au xviiesiècle, à Paris, ceux qui enseignent la tenue des livres appartiennent à divers métiers. Certains sont membres de la communauté des maîtres écrivains, encore désignés comme maîtres des écoles publiques, qui furent organisés en métier juré par lettres patentes de Charles IX en novembre 157058. Martin Fustel figurait d’ailleurs parmi ceux qui présentèrent requête au Roi pour obtenir les lettres patentes. De la Porte y sera admis, en 1684, après avoir abjuré la foi protestante59. Spécialistes et normalisateurs de la calligraphie, les maîtres écrivains détenaient le monopole de son enseignement et celui de la vérification des écritures. Ils se heurtèrent d’ailleurs rapidement aux maîtres des petites écoles, qui leur faisaient une sérieuse concurrence. Placés sous l’autorité du chantre de l’Église métropolitaine60, ces établissements diffusaient un enseignement élémentaire – lecture, écriture, grammaire, calcul – aux enfants issus de milieux modestes. Selon Jean Cocault, lequel omet de préciser ses sources, Claude Irson enseigna dans le cadre de cette institution61. Étant devenu « seul juré teneur de livres, nommé par Sa Majesté pour l’ordre et l’examen et vérification, et liquidation de toutes sortes de comptes », par lettres patentes accordées à Nancy le 25 septembre 1673, nous savons qu’il eut alors ses propres élèves. Il y avait enfin des arithméticiens indépendants, tel Bertrand-François Barrême. En 1704, la communauté des maîtres écrivains les intégra ; les lettres patentes du 30 janvier 1727 donnèrent à ses membres le titre de « juré écrivain expéditionnaire et arithméticien, teneur de livres de comptes, établi pour les vérifications, comptes et calculs contestés en justice ».

  • 62  Cf. V. Fruit, « La communauté… ».
  • 63  Cf. H. Chisick, « L’éducation élémentaire… ».
  • 64  Cf. M. Garden, « École et maître… ».
  • 65  Ibid., p. 136.
  • 66  M. Garden, « École et maître… », p. 138.
  • 67  M. Garden, « École et maître… », p. 144.

23On retrouve des corps de métiers identiques dans plusieurs villes ; par exemple à Rouen62, à Amiens63, à Lyon64 ou encore à Bordeaux. Au début du xviiie siècle, deux auteurs de manuels déjà évoqués, Pierre Gobain et Jean Moulinier, se présentent respectivement comme « syndic des écrivains jurez de Bordeaux » et « ancien syndic des maîtres écrivains et arithméticiens jurés de Bordeaux ». Au xviie siècle, à Lyon, les maîtres écrivains sont admis à « tenir école publique d’écriture, d’arithmétique, d’orthographe et livres de négoce65 » et disposent des mêmes prérogatives que leurs confrères parisiens. Même si elle ne comporte que peu de membres – une vingtaine en 1736 –, leur communauté semble suffisamment forte pour faire échec assez longtemps aux maîtres des petites écoles66. On y voit même se constituer de véritables dynasties, tels les Gaspard, qui se succédèrent sans discontinuité de 1700 à 179167.

24À l’instar de la plupart des membres des autres métiers, ces professionnels sont généralement regroupés dans les mêmes quartiers. À Lyon, nombreux sont ceux qui se pressent autour de Saint-Nizier, tandis qu’à Paris, on les rencontre entre les anciennes halles et l’actuel centre Beaubourg. En 1677, Barrême ouvre une chambre d’instruction à l’angle de la rue aux Ours et de la rue Quincampoix. De la Porte demeure « rue Saint-Denis, vis-à-vis de la rue de la Feronnerie, au coin de la rue Trousse-Vache ». Non loin de là, toujours rue Saint-Denis, mais cette fois-ci, vis-à-vis de la Fontaine des Saints-Innocents, exerce Pierre Bernard d’Hénouville.

25Dans leurs ouvrages, certains décrivent l’éventail de leurs activités. De la Porte

  • 68  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

« […] enseigne à tenir les livres de comptes à parties doubles, les changes étrangers, l’arithmétique appliquable à toutes sortes d’affaires, la réduction des monnoyes, poids et mesures des pays étrangers en leur valeur en France. Il traduit, réduit et vérifie toutes sortes de comptes et factures étrangers, tient les livres de comptes chez les négocians, expert pour la vérification de ceux qui sont embrouillez, ou contestez en justice, et règle les affaires et comptes entre les négocians et associez. »68

  • 69  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…

26Bernard d’Hénouville enseigne lui aussi l’arithmétique, les changes étrangers et la tenue des livres, de même qu’il tient les écritures pour les négociants et les banquiers69. En revanche, pas de travaux d’expertise, mais des compétences variées, car il enseigne encore l’arpentage, les toisés de maçonnerie, les traits de compas, la trigonométrie et la levée des plans. Dans l’un comme dans l’autre cas, on ne sait quelles sont les parts respectives du réel et du souhaité. Considérons qu’il s’agit là de l’ensemble des tâches et missions auxquelles ces professionnels entendent pouvoir prétendre. On peut les regrouper en trois activités principales : l’enseignement, l’expertise et la tenue des livres.

  • 70  Cf. D. Julia, « L’éducation des négociants français… », p. 233-238.

27La première s’exerce dans le cadre de cours organisés par le maître70 ou dépendants d’une organisation plus large. On ne dispose, à ce sujet, que de renseignements fragmentaires. Selon un mémoire des échevins marseillais, rédigé en 1726,

  • 71  Bibliothèque Nationale, Ms. fr. 22945, « Mémoire des échevins adressé au Parlement d’Aix, 18 mars  (...)

« […] Il y a, en la ville de Marseille, outre le collège public que les Pères de l’Oratoire ont, et les petites écoles charitables établies dans chaque paroisse, plus de trois cent écoles particulières […] il y en a plus de cent qui sont des grandes écoles d’arts libéraux dépendant du commerce, dont ceux qui les tiennent se qualifient maîtres écrivains jurés, en l’art de l’arithmétique, d’écrire, tenir les livres de commerce à double et à simple partie et montrer les changes étrangers […], et où les jeunes hommes destinés au commerce, à la banque, au change […] vont apprendre. »71

28Datée du 2 avril 1672, une lettre de Colbert, au lieutenant général de Rouen, nous apprend qu’un marchand de cette ville se proposait d’y ouvrir un établissement de ce type :

  • 72  A.N. Marine, B7 50. Correspondance de Colbert concernant le commerce, 1670-1673.

« Le Sieur Prévost marchand de vostre ville ayant demandé au Roy la permission d’y establir une escolle publique, affin d’y montrer à tenir les escritures et livres de comptes en parties doubles, Sa Majesté m’a ordonné de vous faire cette lettre pour vous dire qu’auparavant de luy accorder cette grâce, elle désire que vous me fassiez sçavoir si cet establissement sera avantageux aux négotians […]. »72

  • 73  Cf. C. Port, Dictionnaire historique…, t. II, p. 220.
  • 74  L’exemple d’Amiens montre la complémentarité ; Cf.H. Chisick, « L’éducation élémentaire », 1979-19 (...)
  • 75  Cf. D. Julia, « L’éducation des négociants français… », p. 238-255.
  • 76  M. Garden, « École et maître… », p. 155.
  • 77  Cf. A. Engel, « Rapport… », p. 337-352.
  • 78  Cf. F. Angiolini et D. Roche (dir.), Cultures et formations négociantes…

29En 1764, après avoir exercé le commerce à Nantes durant 22 ans, Gaignat de Laulnais se présente, comme professeur d’une grande école du commerce à Paris73. L’expression « grandes écoles » doit évidemment s’entendre par opposition aux « petites écoles »74, et nombreuses étaient sans doute celles qui ne regroupaient qu’une poignée d’élèves autour d’un unique maître écrivain. Mais à la fin du xviiie siècle, il y eut un important développement des pensions privées, dont certaines visaient le public spécifique des enfants de négociants75. À la même époque, quelques collèges lyonnais employaient des maîtres écrivains et arithméticiens, celui de Trévoux précisant même dans ses annonces qu’il formait aux métiers du commerce76. On sait enfin qu’à la veille de la Révolution fonctionnait à Mulhouse77 une école qui préfigure les premières écoles de commerce, qui se mirent en place au siècle suivant. Mais le développement de ces institutions – une tendance que l’on observe au même moment dans d’autres pays d’Europe78 –, ne passe pas nécessairement par l’embauche de maîtres-écrivains.

  • 79  Cf. J. Bonzon, La Corporation des maîtres écrivains…
  • 80  J. Godart, La Juridiction consulaire à Lyon, p. 144.
  • 81  A.D. Hérault, 1 B 10 310. Cour des comptes, aides et finances, dossier Villeneuvette, 1683.
  • 82  A.D. Loire-Atlantique C 718.
  • 83  Cf. A.N. G 7 1708, pièce 124.

30Sur les missions d’expertise, les informations restent maigres. On doit d’ailleurs distinguer deux catégories d’expertises : celle des écritures et celle des comptes. La première était la spécialité traditionnelle des maîtres écrivains, alors que les expertises de comptes ne concernaient vraisemblablement que ceux qui, parmi eux, s’étaient plus ou moins spécialisés dans la tenue des livres79. L’exploration des fonds des tribunaux consulaires permettrait d’approcher de plus près leur travail. Justin Godart, qui a étudié les archives de la Conservation des privilèges des foires lyonnaises, mentionne la désignation de l’auteur comptable Claude Boyer en tant qu’expert dans la faillite d’Octavio Mey80, en 1637. On lui confie la mission de dresser le « grand livre de raison » du failli. Un autre expert, nommé Jean Feuillet, est également désigné pour effectuer le dépouillement des livres d’une société à laquelle participait le marchand. En 1683, à Montpellier, Estienne Courcelles, teneur de livres de la Compagnie du Levant, est appelé pour mettre de l’ordre dans les comptes de la manufacture de Villeneuvette, lesquels « n’ont pas esté tenus avec toutte la régularité et l’exactitude qui eut été à souhaiter81 ». À Nantes, un intéressant factum, daté de l’an 1700, nous montre deux teneurs de livres, Simon et Denis Valckenaar, commis pour dresser la balance des livres du défunt Gérard Pieters, marchand hollandais établi sur les rives de la Loire82. Mentionnons enfin le rôle important joué par Nicolas Barrême dans les affaires politico-financières sous la Régence. Petit-fils de François et vraisemblable préfacier, sinon véritable auteur, du Traité des parties doubles, généralement attribué à son grand-père bien que publié vingt-huit ans après son décès, il se vit confier par les frères Paris la responsabilité technique du visa qui fit suite à la déconfiture de John Law, et devint l’un des directeurs de la compagnie des Indes en 172483. L’ancêtre de l’expert-comptable apparaît donc d’abord comme un expert judiciaire, un professionnel agréé auprès des tribunaux, que l’on sollicite en cas de litige, de faillite, d’héritage, etc.

  • 84  A.D. Loire-Atlantique, 16 J, fonds Bertrand de Cœuvres.

31La tenue des livres ou l’exécution de divers travaux comptables pour un négociant, dans un statut d’indépendance à son égard, était-elle véritablement répandue ? Il semble que l’on ne dispose guère de renseignements précis sur ce sujet et l’on a quelque peine à imaginer plusieurs négociants d’une même place confiant les secrets de leurs livres au même individu. Sauf à celui-ci d’avoir fait la preuve d’une probité exemplaire. Certaines comptabilités, comme celle du Nantais Bertrand de Cœuvres84, contiennent cependant des livres dans lesquels les opérations sont périodiquement enregistrées en bloc, au lieu de l’être quotidiennement. Ceci laisse à penser que Bertrand de Cœuvres, qui avait de nombreux intérêts dans l’armement nantais, mais n’exerçait pas directement le négoce, avait effectivement recours à un teneur de livres indépendant. Sans doute faisait-on également appel aux services d’un maître écrivain, dès lors qu’il s’agissait de tenir les comptes de l’une de ces multiples et éphémères sociétés en participation qui formaient une bonne part de l’activité des marchands.

2. Concurrence et comportement des auteurs

32Même si l’on doit se défier des assimilations hâtives, notamment parce que les motivations sont complexes, les auteurs de manuels sont des producteurs qui cherchent à assurer le succès de leurs produits. Les méthodes mises en œuvre ne varient guère de l’un à l’autre, l’argumentaire développé s’apparente à une sorte de rituel ; mais attention à celui qui s’en éloigne un peu trop, il y a des risques d’affrontement.

2.1. L’argumentaire

  • 85  Cf. H. Vivarez, « Barrême, arithméticien et poète » ; P.-L. Menon, « Bertrand-François Barrême...  (...)

33Sans posséder nécessairement un sens de la publicité aussi aiguisé que celui d’un Bertrand-François Barrême85, aucun auteur ne se dispense de vanter l’ouvrage qu’il propose au public. Et ce même dans la première moitié du xviie siècle, lorsque le rythme des publications est encore très lent et que la concurrence n’est sans doute pas encore très vive, même si le marché reste étroit. Quelle que soit l’époque, l’argumentaire s’articule autour des mêmes thèmes. Le désintéressement et le sens du devoir d’abord : il n’était plus possible de garder au seul bénéfice d’un individu des connaissances aussi utiles au bien public ; au besoin, d’amicales pressions avaient achevé de convaincre l’auteur. La nouveauté de la démarche suivie ensuite, celle-ci étant censée aller dans le sens d’une plus grande simplicité de l’exposé et donc d’une plus grande facilité d’apprentissage ; l’un des objectifs souvent proclamés étant de permettre à l’acheteur de se passer d’un maître. Enfin, quelques innovations, dans le contenu et la thématique abordée, voire même la présentation matérielle, contribuent à différencier le produit et le rendre plus attrayant.

2.1.1. L’altruisme

  • 86  M. Van Damme, Manière la plus industrieuse…

34« Messieurs [les prieur et consuls des marchands à Rouen] je serois grandement à blasmer voire coulpable de crime, si je dissimulois la science qu’il a pleu à Dieu me donner, […] ». Sans cette crainte salutaire, nous ne disposerions pas aujourd’hui du traité de Michel Van Damme86 ! En regard, le propos de Claude Boyer paraît empreint d’une grande sobriété, mais le fond est identique :

  • 87  C. Boyer, Briefve Méthode…

« Dans cette petite partie de la science des nombres qui nous est restée, qui ne contient rien de si nécessaire que celle des comptes doubles, et livres de raison, il se rencontre encor des routes si malaisées, qu’elles surmontent bien souvent la subtilité des plus habiles : ce qui m’oblige à mettre à jour des règles infaillibles, touchant cette doctrine, afin de ne point refuser à l’utilité publique ce que j’ay peu apprendre […]. »87

  • 88  C. Irson, Méthode… .

35On ne s’étonnera guère que la plus grande satisfaction d’Irson soit de communiquer ce qu’il a reçu88, et l’on ne peut s’empêcher de frémir à l’idée que Mathieu de la Porte eut pu céder à l’égoïsme :

  • 89  M. de la Porte, Le Guide des négocians…, préface.

« Mon dessein n’étoit pas de donner ce traité au public, mais de me le réserver pour enseigner ceux qui me font l’honneur de prendre mes instructions, […] mais la prière qu’ils m’ont faite de le faire imprimer jointe à celle de plusieurs de mes amis experts en cette science m’y a fait résoudre, quoy que c’est découvrir cette science à tout le monde. De plus j’ai considéré que c’est pour le bien et l’utilité du public, et que je donneray lieu à beaucoup de personnes qui s’étudient en cet art de s’y perfectionner en peu de temps. »89

  • 90  J. André, Traité de comptes…

36Tous les auteurs tiennent un discours identique et il ne nous appartient pas de juger de leur sincérité. Ont-ils pu apprécier de leur vivant les résultats de leur action ? Nous n’en savons rien, mais chacun pensait peut-être, à l’image d’André : « j’auray pour le moins la satisfaction d’avoir tesmoigné à ma patrie la volonté que j’ay de la secourir […]. »90

2.1.2 Simplicité, clartéet critique des prédécesseurs

  • 91  J. Moulinier, Le Grand Trésor des marchands…
  • 92  M. Thomas, Le Stile des marchands…

37Autre leitmotiv, celui d’une « méthode toute nouvelle et méthodique pour apprendre sans maître cet art ingénieux », pour reprendre l’expression de Moulinier qui donne à la partie comptable de son traité ce titre symbolique : « la clef du grand trésor des livres de comptes à double partie, pour tous banquiers, marchands et négocians. »91 Matthieu Thomas use d’une autre métaphore : « ainsi que l’on ne peut traverser les mers sans quadran ; de mesme aussi l’art de tenir livres de comptes est le vrai quadran du commerce », et lui aussi vante l’originalité de son propos : « […] il ne s’est encore trouvé aucun autheur qui ait escrit de la sorte, ni donné de si faciles enseignemens […]. »92

  • 93  E. Degrange, La Tenue des livres rendue facile (1826), p. VI.

38L’apport pédagogique est le principal argument de promotion avancé. Simplicité et clarté deviennent les maîtres mots des « avis aux lecteurs » qui déclinent à l’envi les qualités des manuels. Hier comme aujourd’hui, la comptabilité est considérée comme une technique compliquée et obscure – les « parties troubles » écrira un jour Degrange93 –, il importe donc de ne pas rebuter le novice. Pour bien lui montrer que l’on est le seul à lui présenter de façon simple cette science réputée difficile, on n’hésite pas à égratigner au passage ses prédécesseurs. Cela se fait le plus souvent d’une façon très générale ; ainsi André :

  • 94  J. André, La Science des comptes.

« […] les difficultés qui se sont opposées aux efforts de ceux qui ont tenté la conqueste des comptes doubles, par l’étude des instructions cy-devant imprimées, m’ont puissamment convié à traitter la même matière, plus amplement en maximes, plus succinctement en discours, et plus clairement en intéligence qu’elle n’avoit esté. »94

  • 95  F. Legendre, 1665.

39Ou encore Legendre95 : « je me suis servi d’une méthode particulière et plus relevée qu’aucune autre qui ait esté jusqu’à présent mise au jour pour me faire entendre avec plus de facilité. »

40On rencontre un discours voisin chez Mathieu de la Porte, lequel s’autorise d’avis éminents mais anonymes :

  • 96  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

« Cet ouvrage a plu beaucoup à quantité des particuliers sçavans et experts en cet art, lesquels m’ont unanimement assurez n’avoir veu jusqu’à présent (sur ce sujet) rien de si instructif que ce traité, il y a eu des auteurs qui ont fait des grands volumes, mais forts obscurs et embarrassans, […] Je ne me suis pas contenté de me faire entendre aux sçavans, j’ay encore tâché de me rendre familier à ceux qui ne sont que fort peu, pour ne pas dire point du tout, versez en cette science […] »96

41La critique est parfois plus directe. Soulignant la supériorité du journal sur le grand livre, en matière de force probante, André s’en prend à Claude Boyer, sans toutefois le nommer :

  • 97  J. André, La Science des comptes, p. 42.

« Peut-estre que si quelques modernes eussent pris garde à cette remarque, l’opinion qu’il ont eu de la superfluité du journal dans l’usage des comptes doubles n’auroit pas laissé des marques de leur ignorance dans leurs ouvrages qui, purgez de cette erreur et des autres qu’il traîne après soy, seroient indubitablement plus capables de produire du fruict. »97

42En effet, l’auteur lyonnais détaille les différentes opérations de façon discursive, sans aucun exemple d’écritures au journal et présente simplement un grand livre, ce qui n’était guère de nature à faciliter l’apprentissage. Rééditant son ouvrage en 1645, il ne manque pas de relever l’attaque :

  • 98  C. Boyer, 1645.

« Si seulement ils [quelques envieux] avaient lu attentivement et sans passion mon avertissement sur l’instruction générale que j’en donne, ils auraient sans doute trouvé de quoi se satisfaire et ne m’auraient pas ainsi faussement imputé cette superfluité prétendue du journal. Ils auraient vu que je n’avais fait le précédent livre que pour donner des instructions aux marchands qui en ont déjà commencement […] »98

43Malgré tout, la remarque n’a pas été sans effet ; sous le prétexte de satisfaire au désir de la jeunesse qui souhaite acquérir la science des comptes doubles, Boyer introduit cette fois-ci un exemple de journal.

44Il n’en a pas terminé pour autant avec les critiques. Pourrat, dont l’ouvrage est édité à Lyon en 1676, tient à se démarquer du dernier auteur lyonnais l’ayant précédé :

  • 99  P. Pourrat, Le Bilan…

« Ce discours comme l’on verra est accompagné d’exemples de tous les livres qui sont nécessaires dans un négoce, lesquels exemples quelques personnes pourront trouver médiocres n’estant comme ils sont ni trop longs ni trop majestueux en comparaison de ceux que Boyer a donnez au public où il fait négocier ses marchands de plusieurs marchandises et en beaucoup d’endroits, ayant sans doute coppié les livres de certains marchands de Lyon où il avoit demeuré, et c’est tout ce qui se trouve de somptueux dans son ouvrage […] »99

45Cette fois, pas d’hypocrisie : Boyer est nommé. Mais était-il indispensable de s’attaquer à lui, plus de trente ans après la dernière édition de son ouvrage ? Sans doute était-il bon d’en prévenir de nouvelles et de montrer l’intérêt d’un autre modèle aux maîtres écrivains.

  • 100  J. Savary, Le Parfait Négociant, 1re partie, livre II, chap. III, p. 47 de l’édition de 1757.
  • 101  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…, p. 129.
  • 102  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…, p. 7 et 16.

46Chose suffisamment rare pour la mentionner, il arrive néanmoins que l’on trouve des éloges, voire même des conseils d’achat. Évoquant les difficultés des conversions de mesures, Savary conseille aux apprentis d’acheter « les livres composés par le sieur Barrême, fameux arithméticien, dont la lecture leur sera très profitable ; et j’avoue ingénument que j’ai beaucoup appris de lui100. » Mais il est vrai qu’il n’y a pas de concurrence directe en l’espèce. Bernard d’Hénouville n’hésite pas à qualifier Jean André de « très bon arithméticien101 », dans un ouvrage qui ne traite guère d’arithmétique, mais ne cite Claude Irson que sous les initiales MCI102, alors que ce dernier semble l’avoir, pour le moins, notablement inspiré.

  • 103  Il faudra attendre le suisse Jean Isler (Nouvelle Méthode Suisse…) qui, dans la préface de son man (...)

47Claude Irson se trouve d’ailleurs être le premier à effectuer un tour d’horizon assez large des auteurs qui l’ont précédé. De la Porte en mentionnera quelques-uns dans La Science des négociants, et d’Hénouville reprendra une formule voisine de celle d’Irson. Mais ce sont là des cas isolés103. Citer ses prédécesseurs et inspirateurs est l’indice d’une attitude nouvelle chez ces auteurs ; ils témoignent ainsi d’une insertion consciente dans un processus plus large de production et de diffusion de connaissances. Cette pratique est l’un des éléments constitutifs d’une démarche de caractère scientifique, mais s’entourer de références prestigieuses est aussi une façon efficace de donner du poids à son discours. Reste à savoir si la clientèle y était sensible.

  • 104  Journal des sçavans, 1679, p. 80.

48Irson disposait d’atouts supplémentaires pour faire valoir la qualité de son ouvrage. Selon les termes du privilège d’impression du 3 mars 1678, il le composa, à la demande de Colbert, pour fournir « une méthode générale qui pust servir de formule aux gardes des corps des marchands, aux négocians, aux aspirans, et à tous autres pour l’exécution de nostre édit [de mars 1673]. » Recevoir pareille demande était déjà suffisamment prestigieux, mais l’ouvrage fut ensuite examiné, sur ordre de Colbert, par quelques membres influents de son entourage, tels Bellinzani et Pocquelin. Leur approbation, ajoutée à celles de trois avocats au Parlement, conférait une autorité particulière à son travail. L’annonce de sa publication par le Journal des sçavans du 11 juillet 1678 est sans doute tout autant l’effet de solides appuis, que l’indice d’une promotion bien orchestrée. Les rédacteurs de cette illustre revue ne semblent en effet guère enclins à s’intéresser aux problèmes de la comptabilité marchande et les quelques lignes consacrées au livre d’Irson ont certainement un caractère exceptionnel. Une seule suffit pour signaler Le Parfait Négociant de Savary, parmi les « livres nouveaux ou nouvellement reçus à Paris104 ».

2.1.3. Diversification

  • 105  C. Boyer, Breifve Méthode…

49Une façon de séduire la clientèle consiste à élargir et diversifier le contenu, de manière à répondre à des besoins spécifiques. Boyer le sait bien et tente de répondre aux attentes des négociants lyonnais ; son ouvrage traite des aspects internationaux du négoce de sa ville, « car Savonne qui en a amplement descrit, n’estend son négoce que par la France, et maintenant la plupart des marchands négocient non seulement en France, ains en Italie, Espagne, Flandres, Allemaigne, Angleterre, Turquie, et autres pays estrangers »105. À l’image de Savonne et Thomas, il présente également certaines « spécialités lyonnaises » que sont les carnets et autres bilans utilisés lors des payements – périodes de compensation des créances commerciales – des quatre grandes foires annuelles.

  • 106  J. André, La Science des comptes.
  • 107  P. Pourrat, Le Bilan…

50Certains auteurs n’abordent que la seule partie double et n’évoquent la partie simple que pour mieux la condamner. Ainsi André, qui n’en donne qu’une définition par la négative : « sous ce titre [les comptes simples] nous comprenons toutes les autres méthodes contraires à celle que prescrit cette science [les comptes doubles]106 ». Pourrat se livre même à des comparaisons hardies pour montrer la supériorité de la partie double. Selon lui, ceux qui tiennent leurs livres selon cette méthode hésitent à les montrer dans le cadre d’une contestation, « sçachant fort bien qu’on y découvriroit plus de raison qu’en leur bouche » ; en revanche, ceux qui les tiennent en partie simple n’éprouvent pas cette crainte, car « on peut dire d’eux qu’ils tiennent leurs livres en forme de crochet, ou peson, qui est de plus difficile vérification qu’une balance107 ».

  • 108  C. Irson, Méthode… Sur la comptabilité en recette et dépense, son rôle et son importance relative (...)
  • 109  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…
  • 110  Barrême, Traité des parties doubles…

51D’autres auteurs tiennent comptede lavariété des systèmes comptables offerts aux marchands. Irson considère que toutes les manières de tenir les livres se réduisent à trois : par recette, dépense et reprise, en débit et crédit – ce que d’autres désignent par l’expression partie simple – et par parties doubles. La première ne se rencontre dans aucun ouvrage antérieur destiné aux marchands et se trouve être « celle dont les gens de finance se servent et qui est ordinairement en usage dans toutes les redditions de comptes en justice [… ]108 ». Persuadé de la supériorité technique de la dernière, Irson propose un modèle de journal et de grand livre en partie double pour les fermiers du sel et l’accompagne du projet d’un compte à rendre à la manière des financiers à partir des données ainsi obtenues. Empruntant très largement à Irson, d’Hénouville ne proposera comme seule méthode que celle des finances, l’utilisant même pour présenter les comptes d’armement et désarmement d’un navire109. L’idée d’appliquer la partie double au maniement des deniers de l’État sera reprise dans le Traité des parties doubles de Barrême, où l’on trouve un Plan d’une recette générale des finances tenue en parties doubles110.

  • 111  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 6.

52La partie simple est largement présentée et développée par Mathieu de la Porte dans son second ouvrage. Elle est vue simultanément comme une introduction pédagogique au maniement des comptes tenus en doit et avoir, donc à la partie double, et comme un modèle utilisable par « les marchands qui vendent en détail et ceux qui font des affaires peu considérables111 ». On retrouvera cette succession, dans l’ordre d’exposition, dans nombre d’ouvrages de comptabilité, jusqu’au début de notre siècle. Notons également que de la Porte agrémente son ouvrage de l’étude des effets de commerce, des changes étrangers, des conversions de poids et mesures, […] et même de modèles d’écriture. L’adjonction d’une partie proprement commerciale constitue une innovation qui sera elle aussi reprise par beaucoup d’auteurs.

  • 112  Barrême, Traité des parties doubles…

53Chacun cherche finalement à toucher le public le plus large qui soit. Pourrat estime que son traité est nécessaire « non seulement aux marchands, mais à toutes les gens d’affaires, œconomes publics et particuliers, et aux personnes qui désirent de se pousser dans les affaires ». De la Porte destine la Science des comptes aux « négocians, marchands et banquiers, financiers, trésoriers, receveurs et autres […] ». À une liste à peu près identique, Barrême ajoutera les magistrats112. Quant au Guide des comptables de Bernard d’Hénouville, bien qu’il ne traite que de « l’hypothèse de la recette, de la dépense et de la reprise », il n’en est pas moins

« […] nécessaire à tous commis employés pour le recouvrement dans la finance, aux receveurs de communautés et d’hôpitaux, tuteurs, fermiers judiciaires, séquestres, gardiens, commissionnaires pour le fait du commerce de terre et de mer, caissiers de compagnies et de sociétés pour des entreprises, et autres gens d’affaires […] »

54Enfin les aspects les plus pratiques ne sauraient être négligés et de la Porte n’oublie pas de signaler que c’est à dessein qu’il a souhaité un format de poche pour son Guide des négociants :

  • 113  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

« […] comme les apprentis marchands, banquiers et autres négocians, mêmes les jeunes négocians se doivent faire une affaire sérieuse de bien étudier ce présent traité comme étant (pour ainsi dire) le gouvernail de leur barque, j’y ay voulu contribuer autant qu’il m’a esté possible en toutes sortes de manières. J’ay fait un livre en un volume propre à porter sur soy, quoy que la nature du sujet en demanda un plus grand ; mais j’ay accommodé les choses d’une manière à leur donner la commodité de s’y étudier aux moments de loisir, en tout temps. »113

2.2. Rivalités et conflits, le « deffy arithméticien » de Barrême

55Au-delà de ce que révèlent les manuels, la concurrence que se livrent les enseignants et auteurs de traités destinés aux marchands peut revêtir des formes moins civiles. Demeurées jusque-là inédites, certaines pièces relatives à une série de procès opposant Claude Irson à Bertrand-François Barrême en fournissent une illustration qui nous paraît aujourd’hui plus cocasse que dramatique, mais qui ne faisait guère sourire les protagonistes.

  • 114  H. Vivarez, « Barrême, arithméticien et poète », p. 113.

56Nous avons déjà fait allusion au sens de la publicité du fameux arithméticien. Qu’il s’agisse des affiches à sa propre gloire, des gravures qui ornaient ses ouvrages, ou encore des sonnets et autres jeux, mathématiques ou alphabétiques, dédiés aux puissants du jour, « toutes ces amusettes innocentes et d’un goût médiocre nous révèlent Barrême comme un homme candide et sans malice, mais très imbu de son mérite et très soucieux de la réclame114 ». C’est là l’opinion exprimée par Vivarez, au début de ce siècle. L’affaire que nous allons relater semble confirmer ce jugement, mais en partie seulement, car une apparente candeur, voire un brin de naïveté, n’excluent nullement une certaine malice.

« Si François Barrême n’est pas le plus habile aritméticien du monde, il fait bien son possible pour le paroître par le nombre des livres qu’il met sous la presse, par le soin qu’il prend d’en faire souvent renouveler les affiches à tous les carrefours, par les louanges qu’il se donne sur son intelligence dans l’aritmétique […] »

  • 115  « Factum pour Claude Irson… et Pierre Desenne… contre François Barrême soy disant arithméticien, d (...)
  • 116  Sur le problème et sa résolution, cf. V. Bérard et Y. Lemarchand, Le Miroir du marchand, 141-145.

57Ainsi commence un factum présentant les griefs de Claude Irson et de Pierre Desenne à l’encontre de François Barrême115. Justement piqués au vif par un défi qui mettait en cause leurs compétences, les deux enseignants réclamaient sa condamnation. En effet, s’inspirant d’une pratique ancienne chez les mathématiciens, Barrême avait décidé de jeter un défi aux arithméticiens de la place de Paris. Nous en donnons le texte, non pour les subtilités du problème de change soumis à la sagacité des arithméticiens116, mais pour la forme et la tonalité du propos.

Deffy aritméticien

Celuy qui fera bien les deux changes suivans,
par là peut faire voir qu’il est des plus sçavans.
Et je m’oblige à luy par ce défy louable,
de lui faire un présent riche et considérable.

Mais je ne pense pas qu’aucun maistre à Paris,
par sa juste réponse en prétende le prix,
que si quelqu’un le fait, ce qui n’est pas à craindre
de ce que je promets il me pourra contraindre.

Ils seront sans excuse à ce travail d’esprit,
s’ils ne me font tenir la règle par écrit ;
et qui m’apportera la règle avec justesse,
j’observeray ce mot qui vaut une promesse.

Ceux qui voudront sçavoir le prix de ce présent,
ils sçauront qu’il consiste en deux flambeaux d’argent.

Barrême, aritméticien

Question
Ordre de commission à faire ou à prouver.
De Paris vient ordre à Francfort de donner commission à Anvers de tirer sur Londres 111 livres 11 sols 11 deniers sterlin, à 34 sols 5 deniers 1/2 de gros, et d’en remettre la valeur audit Francfort à 82 deniers 3/8 de gros, pour le remettre enfin au commettant de Paris à 74 creuzers 3/4 ; mais le commissionnaire d’Anvers, au lieu de 34 sols 5 deniers 1/2 ne trouve à tirer qu’à 34 sols 1 denier 3/4.

On demande deux choses.

La première, à quel prix sera la dernière remise de Francfort à Paris, et quelle somme on remettra, afin que la commission demeure justement effectuée.

La seconde est la règle du retour, c’est-à-dire la preuve, et c’est ce qu’on ne fera point, quoy qu’au feuillet 20 j’en ouvre le chemin.

Si quelqu’un veut douter que je ne les sçais point,
qu’il vienne voir chez nous travailler sur ce point.
J’ay des fils de marchands qui sont assez habiles,
pour en faire et prouver d’autres plus difficiles.
Faire afficher ce que l’on ne sçait pas,
c’est tromper le public sur des points délicats.
Comment peut-on dresser un journal et grand livre,
si l’on ne sçait pas bien les ordres qu’il faut suivre ?
S’ils n’entendent pas bien une commission,
peuvent-ils s’acquitter de leur profession.
Enfin de les sçavoir il est de conséquence
pour bien tenir un livre avec correspondance.

58Pierre Desenne, « professeur en arithmétique », avait eu connaissance du défi, par des fuites – organisées ou non ? –, avant même que l’impression en fut achevée. Irson en avait également reçu le texte, expédié par Barrême lui-même et accompagné, aux dires du destinataire, d’une lettre au contenu injurieux. L’un, soucieux de défendre la réputation de la profession, et l’autre, désireux de voir son honneur réparé, assignèrent conjointement Barrême devant le lieutenant civil du Châtelet, en février 1677. Ceci, après avoir résolu le problème mais essuyé le refus de Barrême de leur délivrer le prix promis. Quatre experts, dont deux désignés par l’auteur du défi, jugèrent correctes les solutions proposées par les demandeurs. Au terme d’une série d’épisodes décrits au long du factum et qu’il serait superflu de relater ici, nous les retrouvons réclamant toujours leurs flambeaux d’argent, et nous ignorons, pour le moment, quelle fut la décision du tribunal.

59Au demeurant, il n’est pas inutile de rappeler l’une des considérations formulées par Irson et Desenne dans leur demande. En dehors de leur propre préjudice, ils ne manquent pas de faire valoir l’intérêt du public à une condamnation du défendeur. C’est là une bonne occasion de disqualifier ce concurrent :

« Si l’ignorance de Barrême ne prenoit pas d’effort et ne se produisoit point par des livres, elle seroit indifférente à tout le monde ; mais comme il publie en fait de changes, des faux principes, et qu’il s’ingère à professer la méthode de tenir les livres à partie doubles qu’il ne sçait pas, il tend des pièges nuisibles à tous ceux qui n’ont pas la capacité d’en faire le discernement. »

60Donné en appendice au factum, un relevé complet des décisions, résultant des différentes procédures ayant opposé Irson et Barrême, nous apprend également que ce dernier se prévalait, à tort, du titre d’arithméticien du Roi et prétendait être le seul de la place à enseigner certaines matières commerciales. Le 15 janvier 1678, Irson obtint la sentence suivante :

« […] tous les placards et affiches que ledit Barrême a fait mettre aux carrefours et lieux publics de cette ville de Paris et qu’il distribue manuellement seront lacérez et biffez, et en conséquence faisons deffences audit Barrême de prendre la qualité d’arithméticien du Roy, et de ne plus afficher ny distribuer de semblables placards, ou autres, dans lesquels il se dise le seul qui professe les changes, la réduction des monnoyes, l’arithmétique, les comptes doubles, ny de se servir dans iceux d’aucun termes qui puisse préjudicier directement ou indirectement audit demandeur. »

61À la suite d’un recours de Barrême, la sentence fut confirmée le 10 mars 1678, par un arrêt qui précisa également : « ne pourrons ny l’une ny l’autre des parties poser tableaux ny affiches portant qu’ils enseignent seuls à l’exclusion l’un de l’autre. »

  • 117  Cf. également un autre factum relatif à ce litige : B.N. 4° Fm 15869.

62On mesure ainsi l’âpreté de la lutte qui opposait les deux hommes. Mais le défi arithméticien et l’usurpation de titre n’étaient pas les seuls éléments de discorde. Le factum dont nous venons de parler nous fait part d’un autre conflit relatif à des leçons de comptabilité prises par Gabriel Barrême auprès d’Irson117 :

« Il est impossible de trouver une preuve plus forte que Barrême ne sait pas tenir les livres par parties doubles que celle qu’il en a donné luy-mesme en envoyant son fils chez le dit Irson pour en apprendre la méthode […] »

63Nous apprenons ainsi que c’est en dissimulant son identité que Gabriel Barrême se présenta chez Irson. Plus tard, une fois celle-ci découverte, son père se refusa à régler ce qui restait dû sur le prix des leçons, au prétexte qu’elles étaient mauvaises. Il fut cependant condamné à en effectuer le paiement par décision du 22 mai 1675.

3. Systématisation et rationalisation : « à la conqueste de la science des comptes »

64Affiché par la plupart des auteurs, le souci de clarté et de simplicité ne reçoit de traduction effective que chez certains d’entre eux. Dans le courant du xviie siècle, quelques-uns s’efforcent de parvenir à une présentation plus didactique. On passe de manuels qui se caractérisent par le souci du réalisme et accumulent les exemples, afin de présenter la totalité des opérations possibles, à des traités dans lesquels le nombre d’exemples est plus réduit, et où l’on cherche à dégager des règles générales. Celles-ci sont censées s’appliquer au sein d’un cadre que l’on cherche à cerner de façon plus précise. Parce qu’elles constituent, de fait, une ébauche de théorisation de la comptabilité, les tentatives de classification des comptes constituent l’une des contributions essentielles des auteurs de cette période.

3.1. Intention pédagogique et souci didactique

  • 118  M. Van Damme, Manière la plus industrieuse…
  • 119  Sur Van Damme, cf. J. Hoock et J. Bottin, « Structures et formes d’organisation… », Bottin, « Entr (...)
  • 120  J. André, Traité de comptes…

65Pour la plupart, les premiers manuels commencent par un bref exposé des principaux aspects de la méthode et une énumération des livres à tenir. On ouvre ensuite un journal – parfois précédé d’un mémorial – dans lequel on enregistre une série d’opérations variées, puis l’on présente le grand livre correspondant. Il est habituel de faire suivre ces documents d’un second ensemble journal-grand livre, généralement moins volumineux et dont la seule raison d’être est de permettre d’illustrer les procédures de clôture et de réouverture des livres. Un indice ou index, énumération plus ou moins ordonnée des opérations comptabilisées, permet à l’apprenti de retrouver l’écriture dont il a besoin. Publié au tout début du xviie siècle, l’ouvrage de Michel Van Damme est l’archétype de cette catégorie de traités118. Ce marchand rouennais, qui dit n’avoir jamais tenu que ses propres livres, offre un catalogue de toutes les opérations susceptibles d’être comptabilisées par un marchand119. Constituant davantage une sorte d’étude de cas qu’un véritable manuel, il reprend toute une série d’écritures, vraisemblablement enregistrées par l’auteur lui-même dans les livres de son commerce. Moins exhaustifs, les traités de Boyer, Thomas et Legendre, ou encore le premier livre de Jean André120 rentrent cependant dans cette catégorie.

  • 121  J. André, La Science des comptes.
  • 122  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

66Dans le courant du xviiesiècle, certains auteurs abandonnent la présentation d’écritures données à titre d’exemples. C’est ce que fait André dans son second traité121, en tentant d’organiser la matière de façon plus logique que celle d’une série d’opérations se succédant au rythme des affaires d’un commerce fictif. Dans le Guide des négociants, de la Porte procède d’une façon analogue, tout en adoptant un mode de présentation pédagogique celui des questions-réponses122 : le sous-titre promet « environ trois cent questions avec leurs solutions ou réponses, sur toute sortes de négociations qui peuvent arriver aux marchands, banquiers et autres négocians ». Ces deux ouvrages sont les seuls du genre, la présentation d’un ensemble journal-grand livre restera une caractéristique des manuels jusqu’à la fin du xixe siècle. Néanmoins, le texte prend désormais une importance croissante. La formule questions-réponses est partiellement réutilisée par de la Porte dans La science des négociants. Gobain fait de même :

  • 123  P. Gobain, Questions les plus curieuses et les plus délicates du commerce…, p. 105.

[…] c’est la meilleure méthode pour rendre une science sensible et palpable aux moins intelligens : parce que des demandes et des réponses toujours nouvelles et entre-coupées, au lieu d’ennuyer un jeune homme amateur de la nouveauté, réveillent ses esprits et l’engagent à chercher de bonnes raisons pour résoudre les propositions qui lui sont faites […] s’il se trompe l’on le tire d’erreur et l’on voit par cette pratique qu’insensiblement il se perfectionne [… ]123.

  • 124  La frontière entre les deux professions n’est pas forcément étanche. Ainsi que nous l’avons déjà s (...)
  • 125  Cette indication est fournie par l’auteur dans un autre de ses ouvrages (J. André, Nouveau Manuel (...)
  • 126  Sauf exceptions signalées, ce qui suit fait référence au second ouvrage de l’auteur, J. André, La (...)

67Les modifications de forme s’accompagnent de changements dans le contenu. Des conseils de méthode apparaissent dans certains ouvrages, lesquels fournissent à l’apprenti un matériau qui se veut de plus en plus approprié à une étude rationnelle de la discipline. Parmi les auteurs de la période, Jean André est l’un des plus curieux et des plus intéressants. Bien que n’appartenant pas au monde des enseignants – au moins pour ce que nous en savons124 –, ce marchand parisien, originaire d’Espalion en Rouergue125, énonce quelques principes de méthode dans lesquels l’influence de Descartes est patente et qui dénotent un louable souci pédagogique126. On peut les résumer de la façon suivante :

  • choisir le meilleur auteur et s’y tenir ;

  • acquérir une « parfaite intelligence des termes de l’Art » sans laquelle « il seroit plus difficile de venir à bout du dessein d’acquérir la science dont il s’agiroit, en la façon que nous disons, qu’il ne seroit malaisé à un aveugle de traverser sans guide et sans broncher, une épaisse forêt dans laquelle il n’auroit jamais passé ».

  • lire avec une grande attention tout le livre – ou les livres – de l’auteur choisi, sans en omettre une partie et en suivant l’ordre ;

  • ne jamais passer à un nouveau chapitre sans avoir parfaitement assimilé le précédent ;

  • en cas de difficulté dans un passage, ne pas aller au-delà avant de l’avoir compris, le cas échéant en se faisant aider ;

  • procéder à plusieurs lectures du même ouvrage, car il ne suffit pas de lire une fois pour en tirer tout l’enseignement.

  • 127  J. André, Traité de comptes…

68Afin que le lecteur puisse mettre en œuvre le second précepte, André livre les définitions des principaux termes techniques utilisés, ce qui est également nouveau. Legendre, Irson, puis de la Porte, offriront eux aussi un lexique et cette pratique se généralisera au xviiie siècle. Il faut encore rendre hommage à André, pour avoir été le premier, en France tout au moins, à énoncer une loi générale d’imputation, susceptible de guider le teneur de livre dans l’enregistrement de n’importe quelle opération : « Qui entrera ou recevra sera débiteur, et qui sortira ou baillera sera créditeur127. »

3.2. Règles générales et classification des comptes

  • 128  P. Pourrat, Le Bilan…

69On va retrouver la même préoccupation d’organiser la matière chez Pourrat, Irson et de la Porte. La partie discursive est de plus en plus clairement structurée. Tous ces auteurs affirment la nécessité de mettre en évidence des règles et principes généraux. Ainsi Pourrat, après avoir critiqué Boyer pour sa prolixité, se propose-t-il de ne donner que les exemples principaux, « et par le moyen des règles que je donne l’on pourra aisément comprendre de la fasson qu’on peut coucher toutes sortes de choses128. » Il propose également une définition de la comptabilité – chose assez rare chez les auteurs du temps – qui met clairement en évidence les différents objectifs assignés à la technique, en particulier celui de rendre compte des modifications de valeur du patrimoine :

« […] la science des contes doubles est un arrangement naturel de nostre bien, où nous contemplons à toute heure sa totalité, son détail, sa nature, son augmentation, ou sa diminution, jusques à un denier. »

70Pourrat ébauche enfin une classification des comptes qui découle manifestement de sa définition :

  • Meubles et immeubles

  • Argent

  • Marchandises, pertes ou profits

  • Débiteurs.

  • 129  J. Bellay, Science de l’administration commerciale…

71On ne voit en effet apparaître que les seuls comptes d’actif, « notre bien », à ceci près que le compte pertes ou profits ne saurait être considéré comme appartenant à cette catégorie. Pour autant, sa présence n’est guère étrange aux côtés des comptes de marchandises, puisque c’est à leur niveau que sont déterminés les résultats. Pourrat complète son tableau avec l’indication suivante : « Tous ces comptes sont débités de ce qu’ils ont coûté, on crédite les créanciers et l’on se met soi-même au rang de créanciers, par conte de fonds ». Le capital apparaît alors comme la différence « actif moins dettes » ; on a souvent reproché à ce genre de conception d’ignorer la nature économique du capital, il n’en reste pas moins vrai que la tentative de classification de Pourrat est particulièrement intéressante. Se « mettre soi-même au rang des créanciers » est une façon d’isoler l’entreprise – ce que certains appelleront plus tard « l’être moral du commerce129 » – de son propriétaire : une étape fondamentale dans le raisonnement comptable. Pour autant, il faut se défier d’attribuer aux auteurs anciens des raisonnements théoriques qu’ils n’ont pas forcément tenus.

  • 130  Cf. L. Zan, « Towards a history of accounting stories… »

72Le début du xviiie siècle voit apparaître les deux grandes catégories de classifications qui domineront toute la littérature comptable française, voire étrangère130, jusqu’au début de ce siècle. Chez de la Porte d’abord, une division en trois classes : comptes du chef, comptes des effets et comptes des correspondants. Chez Barrême ensuite, qui introduit le concept de comptes généraux, représentant le propriétaire, opposés aux comptes ouverts aux tiers, les comptes particuliers.

73De la Porte ne semble pas avoir eu connaissance du manuel de Pourrat, à moins qu’il ait choisi de l’ignorer :

  • 131  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 180.

[…] jusqu’à présent il n’y a encore eu personne qui ait fixé le nombre des sortes de comptes, et qui en ait expliqué l’usage ; ainsi cette partie est entièrement nouvelle, et aussi curieuse et particulière qu’utile131.

74En toute hypothèse, les écrits de Mathieu de la Porte se distinguent nettement de ceux de ses prédécesseurs par leur clarté et leur sobriété. Son second ouvrage est un modèle à cet égard. Sa démarche analytique semble elle aussi se situer dans le droit fil du cartésianisme. Chaque problème est scindé en problèmes élémentaires, par partitions successives ; chaque chapitre étant construit selon une arborescence descendante, du général au particulier. Sa classification – qu’il en ait la paternité ou non – s’inscrit parfaitement dans cette démarche. Détaillée dans le tableau 1, elle se trouve fondée sur le sujet auquel est ouvert le compte :

  • Le chef ou le négocian lui-même

  • Les effets en nature

    • 132  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 181.

    les correspondans, ou personnes avec qui on traffique132

  • 133  Le mot provision est utilisé ici dans un sens totalement différent de son sens comptable actuel. L (...)

75Les premiers « servent à faire voir au chef ou négociant les particularités de ses affaires, où personne n’a aucune part ». Dépenses, provisions133 et assurances sont toutes les trois soldées par profits et pertes, ce dernier compte l’étant lui-même par capital lors de la clôture des livres. Sa fonction est donc d’enregistrer les variations de capital consécutives à l’activité de l’entreprise, c’est-à-dire les résultats. Les seconds « servent pour la régie des effets en nature, dont ils font voir l’entrée et la sortie, et le profit ou la perte que l’on y a faite » et sont donc également soldés par profits et pertes, si nécessaire. Enfin, la dernière classe, celle des comptes des correspondants, « contient les comptes que l’on donne aux personnes avec qui on négocie ».

  • 134  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 182.

Tableau 1 Classification des comptes de Mathieu de la Porte (1704)134

Tableau 1 Classification des comptes de Mathieu de la Porte (1704)134
  • 135  A. De Graaf, Instructie…, p. 12-16. La chose a été signalée par E. Stevelinck in La Comptabilité à (...)
  • 136  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 181-201.

76Il est fort probable que de la Porte ait emprunté cette classification au Néerlandais Abraham de Graaf135. Ce dernier distinguait lui aussi trois classes de comptes : van de persoon zelfs (propriétaire), van andere persoonen (tiers), van de goederen (marchandises). Les éléments de chacune sont très proches de ceux retenus par de la Porte, qui pouvait effectivement avoir eu connaissance de l’ouvrage de son compatriote, publié une dizaine d’années plus tôt. N’ayant ni à condamner ni à décerner des satisfecit, l’essentiel reste pour nous que de la Porte présente et développe cette classification et en fasse l’application, qu’il en ait ou non la paternité. Les règles de comptabilisation sont données et explicitées en suivant les différentes classes et leurs subdivisions136.

  • 137  L. Gomberg, L’Économologique (science comptable) et son histoire, p. 52.

77Léon Gomberg137 a vu chez de la Porte l’énoncé de la « personnification morale de la maison, indépendante de la personnalité du négociant ». Nous avons montré que l’on pouvait dire la même chose de Pourrat, seulement ni l’un ni l’autre ne formulent explicitement un tel principe. On peut certes interpréter et extrapoler leur pensée, mais il paraît plus simple de s’en tenir à leur discours, lequel est déjà suffisamment riche. Il est d’ailleurs intéressant d’effectuer une comparaison entre la classification de Mathieu de la Porte et celle que l’on trouve chez Barrême et Jean-Pierre Ricard.

  • 138  J.-P. Ricard, L’Art de bien tenir les livres de compte…, p. 42.
  • 139  Barrême, Traité des parties doubles…, p. 11.
  • 140  E. Degrange, La Tenue des livres rendue facile (1795).
  • 141  M. F. Bywater et B. S. Yamey, Historic Accounting Literature, p. 123-126.
  • 142  W. Van Gezel, Kort begryp… .

78Cette dernière repose sur une distinction qui est peut-être plus immédiate à établir : d’un côté les comptes de personnes, comptes particuliers, de l’autre les comptes généraux. Utilisés seuls, les premiers donnent le modèle de la partie simple. Quant aux comptes généraux, ils ont été « inventés par ceux qui ont imaginé l’art des parties doubles, pour servir de rencontre à certains articles qui se présentent à coucher [… ]138 », ce sont « les comptes du négociant, à qui les livres appartiennent139 ». Barrême en donne une liste, assez désordonnée, dans laquelle on relève : caisse, capital, billets de l’État, remises actives, marchandises générales, profits et pertes, traites passives, dépense domestique, ainsi que des comptes ouverts à divers lots de marchandises. L’énumération fournie par Ricard est assez voisine. Edmond Degrange reprendra l’idée, dans un manuel qui sera réédité un siècle durant, à l’image de celui de Mathieu de la Porte140. Il réduira le nombre des comptes généraux à cinq, tous les autres n’étant que des subdivisions de l’un d’eux. Pour ces différents auteurs, ces comptes représentent le commerçant ; en débiter un ou le créditer, c’est tout simplement débiter ou créditer ce dernier. La fameuse règle traditionnelle d’imputation, déjà rencontrée chez André, peut dès lors s’appliquer, sans difficulté, à la quasi-totalité des enregistrements à effectuer. Notons que, là encore, la littérature hollandaise a pu être une source d’inspiration. En 1681, selon Bywater et Yamey141, Willem Van Gezel142 distinguait lui aussi les comptes « propres » (eigene) – les comptes du propriétaires – et les comptes « opposés » (tegengestelde).

79Pratique et efficace, cette conception reste quelque peu simpliste, et la classification de Mathieu de la Porte semble plus intéressante. Réaliste, elle prend acte du fait que l’on puisse ouvrir des comptes à des biens et à des personnes, sans chercher à assimiler à toutes forces les premiers aux secondes. Sans aller jusqu’à suivre Gomberg, on doit reconnaître qu’en isolant le propriétaire des moyens d’action mis en œuvre dans l’entreprise, de la Porte donne lui aussi une classification qui débouche potentiellement sur la classique équation du bilan : actif-passif = situation nette. Seulement, les conditions de l’activité commerciale du moment font que nous n’avons pas de distinction actif-passif au sein des comptes de tiers, la catégorie globale correspondants étant beaucoup plus pertinente qu’une partition clients-fournisseurs.

  • 143  P. P. Scali, Trattato del modo di tenere la scrittura… Sur cet auteur, cf. F. Melis, Storia della (...)
  • 144  J.-J. Jaclot, La Tenue des livres, p. 53-58 ; 133-171.
  • 145  G. Faure, Cours de comptabilité, p. 201.
  • 146  Fondé en 1926, par des collaborateurs d’Henri Fayol (décédé en 1925) et des disciples français de (...)
  • 147  G. Faure, Cours de comptabilité, p. 166.

80La classification de Mathieu de la Porte sera reprise par de nombreux auteurs. Signalons, entre autres, Pietro Paolo Scali, considéré comme l’auteuritalienleplusimportantduxviiie siècle143,puisleFrançaisJ.-J Jaclot144 au xixe siècle. Enfin, plus près de nous, deux siècles après Mathieu de la Porte, Gabriel Faure présente une classification très proche (tableau 2145). Maître de conférences à l’École centrale, membre influent de la Société de comptabilité de France, président de la commission de comptabilité du CNOF146 entre les deux guerres, cet auteur est considéré comme l’un des théoriciens comptables français qui a marqué la première moitié du xxe siècle. Lui aussi divise les comptes en trois classes – les mêmes que de la Porte – mais il attribue à la seconde une nature un peu différente, se refusant à y voir uniquement des « comptes de choses ». Pour lui, « tous les comptes représentent des personnes147 », les comptes de la seconde classe sont ouverts au gérant qui prend en charge les valeurs fournies par le capitaliste, avec pour mission de les faire fructifier. Le capitaliste et le gérant peuvent être une seule et même personne, c’est un simple cumul d’attributions qui ne modifie pas la nature du découpage. Tout en isolant l’entreprise du propriétaire, ce que ne faisait pas la classification de Barrême, même reprise par Degrange, cette fiction permet la même utilisation généralisée de la formule élémentaire d’imputation « celui qui reçoit doit être débité, celui qui donne doit être crédité ».

Tableau 2 Classification des comptes de Gabriel Faure (1910)

Tableau 2 Classification des comptes de Gabriel Faure (1910)
  • 148  Cf. J. Dumarchey, Théorie positive de la comptabilité.
  • 149  On la retrouve encore dans la dixième édition du manuel de L. Batardon, La Comptabilité à portée d (...)

81L’hétérogénéité des comptes a été l’une des principales préoccupations des théoriciens comptables à la fin du xixe siècle. Avant que l’on ne parle des comptes comme « classes d’unité de valeurs », ou encore d’éléments représentatifs de droits et d’obligations, considérer qu’ils représentaient tous des personnes était un moyen commode de réaliser l’homogénéité. De la Porte, qui ne cherche nullement à introduire une telle personnification généralisée – ce que Dumarchey nommera la conception métaphysique148 – pourrait apparaître finalement plus moderne que certains auteurs du début du xxe siècle. En dehors de toute extrapolation hâtive, nous souhaitions surtout souligner la pérennité de la classification de Mathieu de la Porte, indice de sa perspicacité149. Au-delà de cet aspect particulier, on peut dire également qu’il fixe, pour deux siècles environ, le modèle du manuel de comptabilité français, avec sa succession partie simple-partie double. Certes, l’infléchissement observé n’est pas l’œuvre d’un seul auteur, mais de la Porte est sans doute le plus important d’entre eux, tant par le contenu de son œuvre que par son retentissement. Celle-ci symbolise parfaitement le changement qui s’opère, non seulement dans le mode de diffusion du savoir comptable, mais aussi dans ce savoir lui-même.

Conclusion

  • 150  Voir par exemple E. Barbin, « Démontrer : convaincre ou éclairer ? »

82Que l’émulation née de la concurrence soit à l’origine de ce changement, c’est possible, mais pour une part seulement. Si le mode de transmission des connaissances a progressé, c’est aussi parce que les modifications des conditions économiques ont induit une augmentation de la demande de formation. Seulement, ceci ne saurait être à sens unique et il faut aussi, sans doute, attribuer au progrès de la pédagogie des techniques marchandes une partie de l’essor commercial français. Les modifications du contenu des manuels doivent également être mises en relation avec le climat intellectuel du moment. Même si l’art de la marchandise peut paraître assez éloigné des préoccupations philosophiques, certains de ceux qui lui consacrèrent leurs talents ne sont pas restés insensibles au propos cartésien. D’une façon plus générale, le phénomène est sans doute à rapprocher d’évolutions observées dans d’autres disciplines150. Enfin, il semble qu’après les Italiens, par Lyonnais interposés, ce soient les Néerlandais qui aient exercé la plus forte influence sur les auteurs français. On remarquera également que cette tendance, si elle ne fait que suivre, avec un long décalage, le déplacement du centre de gravité économique de l’Europe, de la Méditerranée vers la mer du Nord, se conjugue avec la centralisation de l’édition à Paris.

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Notes

2  Les références complètes des ouvrages et articles cités en notes sont indiquées dans la bibliographie. Cf. R. de Roover, « The Development of Accounting ».

3  Signalons cependant la remarquable étude menée par J. Bottin (« Entreprise et place de commerce… ») sur les manuels de Van Damme (Manière la plus industrieuse…), Savonne (Instruction…) et Irson (Méthode…) étude qui ne porte nullement sur la technique comptable, mais sur la façon dont les exemples d’opérations retenus par chacun des auteurs rendent compte de la réalité de l’activité marchande du moment et traduisent leurs propres conceptions du fonctionnement de l’entreprise commerciale.

4  Cf. J. Hoock et P. Jeannin, Ars mercatoria…, t. II.

5  Pour une vue d’ensemble de la diffusion des ouvrages destinés aux marchands et des stratégies éditoriales mises en œuvre, on se reportera à l’article de P. Jeannin, « La diffusion des manuels de marchands ».

6  Sur les divers aspects de la formation des marchands, voir l’ouvrage dirigé par F. Angiolini et D. Roche, Cultures et formations négociantes… Pour la France, voir en particulier la contribution de D. Julia.

7  Les références précises des ouvrages évoqués ici sont fournies dans la bibliographie.

8  Cf. A. Dupont, Quelques documents…, qui donne une reproduction partielle de cette instruction.

9  B. de Renterghem, Instruction nouvelle… ; Z. de Hoorebeke, L’Art de tenir… ; Henry Waninghen, Le Thrésor… ; J. Coutereels, L’Art solide…

10  Sur Dassié, voir E. Stevelinck, « Comment tenir ses livres en 1676 ».

11  Il y aurait en outre une Instruction sur la tenue des livres italienne, publiée en 1621 par le Dieppois Jean Belot, mais aucun exemplaire connu ne permet d’établir ce fait avec certitude ; cf. J. Hoock et P. Jeannin, Ars mercatoria…, t. II, p. 62.

12  Signalons P. Gireaudeau l’Ainé, L’Art de dresser…, avec un Supplément publié à Genève en 1754, ces deux textes étant repris dans P. Gireaudeau l’Ainé, La Banque rendue facile, puis Lyon, 1769, 1793 et 1799 ; enfin, du même auteur ou de l’un de ses proches, Giraudeau, Le Flambeau des comptoirs et 1797. À mentionner également, J. Larue, Bibliothèque des jeunes négociants ; Gaignat de Laulnais, Guide du commerce ; Gentil, Instruction…

13  C. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, p. 766.

14  J. Meyer, L’Armement nantais…, p. 127-129.

15  Portant sur une période plus tardive, l’analyse menée par Serge Chassagne sur une douzaine de bibliothèques d’industriels cotonniers, entre 1777 et 1841, vient cependant confirmer l’impression. Seule La Science des négociants (vraisemblablement l’ouvrage de Mathieu de la Porte) figure dans la bibliothèque de J. R. Wetter, qui fonda la manufacture de toiles peintes d’Orange en 1757. Cf. S. Chassagne, « La formation des entrepreneurs... ». L’inventaire de la bibliothèque de l’industriel horloger Frédéric Japy (1749-1812) mentionne L’Art de tenir les livres en partie double, paru à Genève en 1786. Sans doute s’agit-il de l’ouvrage de Jean-Jacques Imhoof. Cf. P. Lamard, Histoire d’un capital familial, p. 54.

16  Cf. J. Cavignac, Jean Pellet…, p. 37.

17  P. Jeannin, « Les manuels de pratique commerciale… ».

18  J. Savary, Le Parfait Négociant, 1re partie, livre III, chap. II, p. 134 de l’édition de 1757. Rappelons que, dans la comptabilité dite en partie double, chaque opération enregistrée se traduit par deux inscriptions (imputations) simultanées, l’une en débit et l’autre en crédit, dans deux comptes différents, tandis que dans la partie simple, une seule inscription est réalisée dans un compte ouvert au partenaire avec lequel est effectuée la transaction. Dans cette seconde méthode, on se contente donc d’ouvrir des comptes aux tiers, alors que la partie double nécessite des comptes représentatifs des biens de l’entreprise et des opérations qu’elle réalise. La partie mixte évoquée par Savary utilise certains de ces comptes, en particulier un compte de caisse, mais sans pratiquer de double imputation systématique.

19  Les mémoires de Jean Maillefer ont été éditées par H. Jadart, Mémoires de Jean Maillefer…

20  H. Jadart, Mémoires de Jean Maillefer…, p. 96.

21  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2. Fonds Doré-Dupéron, 4 octobre 1775.

22  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2, 22 mars 1776.

23  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2, 29 décembre 1777.

24  A.D. Loire Atlantique, 119 J 1.

25  B. Grosperrin, Les Petites Écoles…

26  « Factum pour Claude Irson contre François Barrême », Bibliothèque Nationale, 4° Fm 15869.

27  A.D. Gironde, 7 B 1829, 26 août 1718, cité par J. Cavignac, Jean Pellet…, p 37.

28  A.D. Loire Atlantique, 119 J 2.

29  Datant de 1743, le premier de ces manuscrits a pour titre Instruction pour apprendre à tenir les livres en partie double, A.D. Loire-Atlantique, 166 J 2. Le second est daté de 1745 et s’intitule Méthode pour apprendre à tenir les livres à parties doubles et se trouve aux A.D. Ille et Vilaine, 4 Fc 10. Cf. J. Meyer, L’Armement nantais…, p. 307-364.

30  A.N. 62 AQ 11 et 12.

31  Parfait exemple des pièges tendus aux historiens par les livres de comptes, les écritures de ces registres ont été considérées, par D. Miquelon, Dugard of Rouen…, p. 19-23, comme retraçant des opérations réellement effectuées par le jeune Dugard. Il revient à Basil Yamey d’avoir reconnu le traité de Samuel Ricard, dans les exemples donnés par D. Miquelon. Cf. R. H. Parker, « Misleading accounts ?... »

32  P. Gobain, Le Commerce en son jour, p. 105.

33  À Amiens, en 1765, un postulant à la maîtrise joint à sa requête « trois sortes d’écritures qu’il a fait pour chef d’œuvre », à savoir « un traité d’arithmétique […] un traité général de changes étrangers […] la tenue des livres tant en partie simple qu’en partie double ». Il y a peu de chances que ces travaux fassent preuve d’une réelle originalité. Cf. H. Chisick, « L’éducation élémentaire… », 1979-1980.

34  « Mémoire pour le sieur Moreau… contre les dits sieurs Cropp et compagnie… », 1759, A.D. Loire Atlantique, C 645.

35  On aura bien sûr reconnu Colbert, lequel avait eu l’occasion de prendre contact avec les techniques comptables du négoce lorsque, âgé de quinze ans, il avait été envoyé en apprentissage chez le banquier lyonnais Mascranny. Cf. J.-L. Bourgeon, Les Colbert avant Colbert, p. 224-226.

36  P. Pourrat, Le Bilan…

37  Cf. H. Roseveare, Markets and Merchants…, p. 4 et 85.

38  M. de la Porte, Le Guide des négocians, p. 19. Cette énumération sera reprise, presque mot pour mot, par S. Ricard, L’Art de bien tenir… .

39  H. Jadart, Mémoires de Jean Maillefer…, p. 96.

40  A.D. Rhône, 8 B 826-3, contrat du 30 mai 1738. Quelques années plus tôt, en 1734, Jean-Henri Désaguliers avait publié un recueil de comptes-faits destiné aux joailliers. Ce personnage était vraisemblablement un proche parent, peut-être le fils, d’Henri Désaguliers, un arithméticien installé à Amsterdam qui réédita en 1723 le Traité général du commerce de Samuel Ricard, en y ajoutant une Instruction très abrégée sur les livres à doubles parties ou à l’italienne. Cf. E. Stevelinck, La Comptabilité à travers les âges, p. 138 et 141.

41  J. Meyer, L’Armement nantais…, p. 129.

42  A.D. Loire Atlantique, 8 J 21. Albert, teneur de livres, reçoit 4 470 livres pour 3 ans, 8 mois et 21 jours d’appointements, ce qui correspond à 1 200 livres par an.

43  J. Meyer, L’Armement nantais…, p. 130.

44  Cf. R. Gascon, « La France du mouvement… », p. 314-316.

45  Cf. G. Fagniez, L’Économie sociale de la France sous Henri IV, p. 220 sq.

46  Cf. J. Hoock et J. Bottin, « Structures et formes d’organisation… »

47  J. Savary, Le Parfait Négociant.

48  C. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, p. 763.

49  L’inventaire de ces archives a été publié sous la direction de P. Léon, 1976.

50  A.D. Loire-Atlantique C 645. « Projet d’une déclaration du Roy… », 2 août 1732, art. 10.

51  C. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, p. 762.

52  Ainsi J. Cocault, « Histoire des praticiens… »

53  C. Irson, Méthode… .

54  Cf. Y. Lemarchand, Du dépérissement à l’amortissement…, p. 145.

55  En 1670, un mémoire de Colbert recommande aux directeurs de la Compagnie des Indes Orientales d’établir des teneurs de livres « exacts et fidèles » dans tous les comptoirs. A.N. Colonies C2 4, f° 136.

56  « Mémoire et observations sur l’administration de la Compagnie des Indes », 1755, A.N. Colonies C2 40.

57  Il en est ainsi à la Manufacture des serges façon de Londres, créée en 1667, ou à la Manufacture de bas de soie du château de Madrid, fondée en 1670. Cf. E. Pauly-Charreyre, « Recherches et documents nouveaux… », p. 41-73.

58  R. de Lespinasse, Les Métiers et corporations…, p. 667.

59  Cf. P.-L. Menon, « Un grand comptable d’autrefois » et E. Stevelinck, « Mathieu de la Porte ».

60  B. Grosperrin, Les Petites Écoles…, p. 56.

61  J. Cocault, « Histoire des praticiens… » Dans son contrat de mariage daté du 25 septembre 1653 — A.N. Minutier Central, XXXV 403 —, Irson est désigné comme maître d’école à Paris, mais ceci ne suffit pas à établir qu’il ait enseigné dans le cadre des petites écoles, car les maîtres écrivains utilisaient également cette dénomination. Ce qui pourrait accréditer cette hypothèse, c’est le fait que l’un de ses premiers ouvrages est dédié à « M. le Chantre de l’Église de Paris ». C. Irson, Méthode abrégée…

62  Cf. V. Fruit, « La communauté… ».

63  Cf. H. Chisick, « L’éducation élémentaire… ».

64  Cf. M. Garden, « École et maître… ».

65  Ibid., p. 136.

66  M. Garden, « École et maître… », p. 138.

67  M. Garden, « École et maître… », p. 144.

68  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

69  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…

70  Cf. D. Julia, « L’éducation des négociants français… », p. 233-238.

71  Bibliothèque Nationale, Ms. fr. 22945, « Mémoire des échevins adressé au Parlement d’Aix, 18 mars 1726 », cité par C. Carrière in Négociants marseillais au xviiie siècle, p. 759, n. 245.

72  A.N. Marine, B7 50. Correspondance de Colbert concernant le commerce, 1670-1673.

73  Cf. C. Port, Dictionnaire historique…, t. II, p. 220.

74  L’exemple d’Amiens montre la complémentarité ; Cf.H. Chisick, « L’éducation élémentaire », 1979-1980, p. 335.

75  Cf. D. Julia, « L’éducation des négociants français… », p. 238-255.

76  M. Garden, « École et maître… », p. 155.

77  Cf. A. Engel, « Rapport… », p. 337-352.

78  Cf. F. Angiolini et D. Roche (dir.), Cultures et formations négociantes…

79  Cf. J. Bonzon, La Corporation des maîtres écrivains…

80  J. Godart, La Juridiction consulaire à Lyon, p. 144.

81  A.D. Hérault, 1 B 10 310. Cour des comptes, aides et finances, dossier Villeneuvette, 1683.

82  A.D. Loire-Atlantique C 718.

83  Cf. A.N. G 7 1708, pièce 124.

84  A.D. Loire-Atlantique, 16 J, fonds Bertrand de Cœuvres.

85  Cf. H. Vivarez, « Barrême, arithméticien et poète » ; P.-L. Menon, « Bertrand-François Barrême... »

86  M. Van Damme, Manière la plus industrieuse…

87  C. Boyer, Briefve Méthode…

88  C. Irson, Méthode… .

89  M. de la Porte, Le Guide des négocians…, préface.

90  J. André, Traité de comptes…

91  J. Moulinier, Le Grand Trésor des marchands…

92  M. Thomas, Le Stile des marchands…

93  E. Degrange, La Tenue des livres rendue facile (1826), p. VI.

94  J. André, La Science des comptes.

95  F. Legendre, 1665.

96  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

97  J. André, La Science des comptes, p. 42.

98  C. Boyer, 1645.

99  P. Pourrat, Le Bilan…

100  J. Savary, Le Parfait Négociant, 1re partie, livre II, chap. III, p. 47 de l’édition de 1757.

101  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…, p. 129.

102  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…, p. 7 et 16.

103  Il faudra attendre le suisse Jean Isler (Nouvelle Méthode Suisse…) qui, dans la préface de son manuel, donna sans doute la première bibliographie importante sur le sujet. Il y recensait 136 ouvrages, publiés entre 1531 et 1809.

104  Journal des sçavans, 1679, p. 80.

105  C. Boyer, Breifve Méthode…

106  J. André, La Science des comptes.

107  P. Pourrat, Le Bilan…

108  C. Irson, Méthode… Sur la comptabilité en recette et dépense, son rôle et son importance relative par rapport à la partie double, voir Y. Lemarchand, Du dépérissement à l’amortissement…, p. 141-186, et 1995.

109  P. Bernard d’Hénouville, Le Guide des comptables…

110  Barrême, Traité des parties doubles…

111  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 6.

112  Barrême, Traité des parties doubles…

113  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

114  H. Vivarez, « Barrême, arithméticien et poète », p. 113.

115  « Factum pour Claude Irson… et Pierre Desenne… contre François Barrême soy disant arithméticien, deffendeur » Bibliothèque Nationale. Collection Morel de Thoisy, n° 69, f° 462.

116  Sur le problème et sa résolution, cf. V. Bérard et Y. Lemarchand, Le Miroir du marchand, 141-145.

117  Cf. également un autre factum relatif à ce litige : B.N. 4° Fm 15869.

118  M. Van Damme, Manière la plus industrieuse…

119  Sur Van Damme, cf. J. Hoock et J. Bottin, « Structures et formes d’organisation… », Bottin, « Entreprise et place de commerce… ».

120  J. André, Traité de comptes…

121  J. André, La Science des comptes.

122  M. de la Porte, Le Guide des négocians…

123  P. Gobain, Questions les plus curieuses et les plus délicates du commerce…, p. 105.

124  La frontière entre les deux professions n’est pas forcément étanche. Ainsi que nous l’avons déjà signalé, on voit par exemple Gaignat de Laulnais passer de l’une à l’autre au xviiie siècle. La profession de maître écrivain est parfois un recours pour un commerçant ayant perdu sa fortune et son crédit ; voir H. Chisick, « L’éducation élémentaire », 1979-1980, p. 345.

125  Cette indication est fournie par l’auteur dans un autre de ses ouvrages (J. André, Nouveau Manuel du commerce).

126  Sauf exceptions signalées, ce qui suit fait référence au second ouvrage de l’auteur, J. André, La Science des comptes.

127  J. André, Traité de comptes…

128  P. Pourrat, Le Bilan…

129  J. Bellay, Science de l’administration commerciale…

130  Cf. L. Zan, « Towards a history of accounting stories… »

131  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 180.

132  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 181.

133  Le mot provision est utilisé ici dans un sens totalement différent de son sens comptable actuel. Les provisions sont des commissions versées par le négociant à un correspondant qui réalise une opération pour son compte, ou reçues d’un tiers pour le compte duquel il a réalisé une opération. Aujourd’hui, on constitue une provision pour compenser une perte probable sur un élément d’actif ou en prévision d’un risque ou d’une charge que des événements actuels rendent probables.

134  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 182.

135  A. De Graaf, Instructie…, p. 12-16. La chose a été signalée par E. Stevelinck in La Comptabilité à travers les âges, p. 61. Cf. également P. Jouanique, « Un classique de la comptabilité au xviiie siècle », p. 339-361.

136  M. de la Porte, La Science des négocians…, p. 181-201.

137  L. Gomberg, L’Économologique (science comptable) et son histoire, p. 52.

138  J.-P. Ricard, L’Art de bien tenir les livres de compte…, p. 42.

139  Barrême, Traité des parties doubles…, p. 11.

140  E. Degrange, La Tenue des livres rendue facile (1795).

141  M. F. Bywater et B. S. Yamey, Historic Accounting Literature, p. 123-126.

142  W. Van Gezel, Kort begryp… .

143  P. P. Scali, Trattato del modo di tenere la scrittura… Sur cet auteur, cf. F. Melis, Storia della ragioneria, p. 716.

144  J.-J. Jaclot, La Tenue des livres, p. 53-58 ; 133-171.

145  G. Faure, Cours de comptabilité, p. 201.

146  Fondé en 1926, par des collaborateurs d’Henri Fayol (décédé en 1925) et des disciples français de Taylor, le Comité national de l’organisation française se proposait de contribuer à la diffusion et au perfectionnement des méthodes d’organisation scientifique. Les travaux de la commission de comptabilité, présidée par G. Faure de 1929 à 1932, inspirèrent certains aspects du Plan comptable général de 1947.

147  G. Faure, Cours de comptabilité, p. 166.

148  Cf. J. Dumarchey, Théorie positive de la comptabilité.

149  On la retrouve encore dans la dixième édition du manuel de L. Batardon, La Comptabilité à portée de tous, p. 87-88.

150  Voir par exemple E. Barbin, « Démontrer : convaincre ou éclairer ? »

Notes de fin

1  Une première version de ce texte a été publiée sous le titre suivant : « À la “conquête de la science des comptes”, variations autour de quelques manuels français de tenue des livres », in J. Hoock, P. Jeannin et W. Kaiser (dir.), Ars mercatoria…, t. III, p. 91-129. Nous remercions les éditeurs de cet ouvrage d’avoir autorisé la présente publication.

Table des illustrations

Titre Tableau 1 Classification des comptes de Mathieu de la Porte (1704)134
URL http://books.openedition.org/editionsulm/docannexe/image/9270/img-1.jpg
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Titre Tableau 2 Classification des comptes de Gabriel Faure (1910)
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