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L’Homme et le milieu végétal

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Stéphanie Thiébault

3. Synthèse des résultats

Texte intégral

3.1. Synthèse des résultats obtenus

3.1.1. unang et la végétation des gisements méditerranéens

1L’analyse anthracologique du site d’Unang a permis de mettre en évidence quatre phases (fig. 73) que nous rappelons brièvement ici : la première est caractérisée par la présence du Pin sylvestre et du Genévrier, elle est contemporaine des populations mésolithiques qui évoluèrent dans ce milieu forestier ouvert. Puis la forêt de Chênes à feuillage caduc se développe dans la seconde phase. Ce changement de milieu, avec l’apparition et le développement de la chênaie caducifoliée semble précéder l’arrivée des populations néolithiques, qui défrichent un sol enrichi et bonifié par la forêt. La phase 3 montre le recul de la chênaie et le départ des courbes ascendantes du Buis et du Chêne vert, corollaire des grands défrichements, suggérant l’installation des premiers paysans. La phase 4 voit l’apogée du Buis accompagné du Chêne vert, essences proliférant sur les terres dégradées. De telles observations ont déjà été faites dans plusieurs gisements méditerranéens, notamment sur le site de La Poujade (Aveyron). Ce gisement est un vaste abri sous roche, situé dans les gorges de la Dourbie, entre le causse Noir au nord et le causse de Larzac, au sud. Il se trouve dans l’étage supraméditerranéen. Les fouilles dirigées par G.‑ B. Arnal ont révélé une stratigraphie continue depuis l’Epipaléo‑Mésolithique aux périodes chrétiennes. Les charbons de bois, dont l’étude a été faite par I. Krauss‑Marguet (Krauss‑Marguet 1981), ont permis de mettre en évidence 4 phases, qui correspondent tout à fait à celles d’Unang. Ce gisement, placé dans les mêmes conditions phytogéographiques qu’Unang, montre la même évolution floristique, comme l’indique le schéma simplifié (fig. 74).

● Flg. 73 – Individualisation de 4 phases de végétation à Unang. A = végétation « prénéolithique » où domine le Genévrier ; B = extension de la chênaie caducifoliée ; C = végétation caractéristique des sols dégradés par l’Homme.

● Fig. 74 – Individualisation de 4 phases de végétation à La Poujade (d’après Krauss‑Marguet 1981). A = végétation « prénéolithique » où domine le Genévrier ; B = extension de la chênaie caducifoliée ; C = végétation caractéristique des sols dégradés par l’Homme.

2D’autres gisements archéologiques situés dans la zone méditerranéenne offrent cette succession. Ceux que nous allons citer, à titre d’exemple, ont été l’objet d’analyses anthracologiques par J.‑L. Vernet, I. Krauss‑Marguet et E. Bazile‑Robert. A l’Abeurador, Félines‑Minervois (Hérault), fouilles dirigées par J. Vaquer, l’étude préliminaire des charbons a montré l’existence de la première phase à Pins et Genévriers, de la seconde où les Chênes à feuillage caduc sont déjà accompagnés du Buis et du Chêne vert. Cette phase est à situer avant 8000 B.P., on peut la qualifier de « pré‑anthropisation ». La grotte de l’abbé Pialat (St‑Bauzille‑de‑Putois, Hérault), fouillée par J. Coularou, a permis une étude anthracologique préliminaire (I. Krauss‑Marguet et J.‑L. Vernet). Les résultats indiquent une phase 1 à Genévriers et Amandiers et une phase 2 où s’installe la chênaie caducifoliée. Une étude de J.‑L. Vernet, inédite, sur les charbons des gisements suivants, met en évidence, à Oullins (Domme, Ardèche), l’existence de phases 2 et 3, cette dernière avec Buis à partir de 4490 B.P. ; à Baume‑Bourbon (Cabrière, Gard) une phase 2 vers 6180 B.P. et une phase 3 à 5300 B.P. dans laquelle Quercus coccifera est présent.

3Dans la zone méditerranéenne, l’extension du Buis entre 6000 et 5000 B.P. traduit déjà l’action de l’Homme sur le milieu. On a remarqué que dans les zones les plus thermophiles, c’est le Pin d’Alep, Pinus halepensis, qui indique l’existence d’une possible action humaine sur le milieu. Il a été identifié à Châteauneuf‑les‑Martigues (Bouches‑du‑Rhône, Vernet 1971b), à Fontbrégoua (Salernes, Var, Vernet 1980a) à partir du Cardial.

4Dans le domaine climatique, la phase 1, période à Genévriers, Pins sylvestres et Amandiers (ces derniers identifiés à Pialat et mis en évidence dans certaines analyses par E. Bazile‑Robert, Bazile‑Robert 1980b) représente une période de transition climatique. Ce type d’association de végétation ouverte sur sol superficiel indique un climat sec et relativement tempéré, qui assure le passage entre les froids de la dernière période glaciaire et l’optimum climatique du Néolithique. La phase 2 voit l’installation et le développement de la chênaie caducifoliée dans laquelle se rencontrent Noisetiers et Erables. Le Buis reste discret. Le climat tempéré est devenu plus humide. Le maximum du réchauffement a été atteint vers la fin de la période Atlantique, à la phase 3. En effet, la présence du Chêne vert dans de nombreux gisements pourrait correspondre à cette amélioration climatique. D’après les coquilles marines, rapport 180/160 (André, Vernet 1979), la fin de l’Atlantique et le début du Chalcolithique représentent une période d’optimum climatique pouvant favoriser l’extension du Chêne vert. Dans les diagrammes, cette essence est fréquemment associée au Buis, marqueur des grands défrichements qui se produisent au même moment. C’est peut‑être à la faveur de l’amélioration climatique de la fin de l’Atlantique (5000‑6000 B.P. ?) que l’Homme, en Méditerranée occidentale, se met à défricher comme l’atteste le Buis, à cultiver comme le montrent les céréales (blés et orges plus particulièrement) et à élever du bétail (ossements de moutons domestiques et de petits bœufs).

5Dans le Vercors, et comme il l’a déjà été souligné, les résultats de l’étude anthracologique mettent en lumière : la composition de la végétation du cirque de Choranche au moment où les populations fréquentaient l’abri de Coufin 1 ; une hypothétique manifestation humaine que traduirait la présence du Frêne, révélant ainsi une possibilité d’élevage dans le Vercors vers 6230 B.P. ; une éventuelle zone de refuge pour le Hêtre dont la répartition au Boréal est assez peu connue. Cette étude constitue l’une des rares analyses anthracologiques effectuées dans cette région. Aussi, nous avons comparé les résultats de Coufin 1 à ceux obtenus par J.‑L. Vernet à St‑Thibaud‑de‑Couz et par nous‑même sur les sites voisins de Coufin 2 et de Balme‑Rousse.

6A St‑Thibaud‑de‑Couz, le Genévrier est présent dès la couche 5a, épipaléolithique, mais dans de faibles proportions ; il est surtout accompagné par Pinus silvestris, Taxas baccata et Salix. Dans les couches les plus récentes (3900 B.P.) Genévriers et Pins constituent toujours l’environnement végétal, à l’exception toutefois de la couche 3 composée de Frêne. A Balme‑Rousse, l’environnement des « Magdaléniens » (et comme nous le savons à présent des Mésolithiques anciens) était composé par les Pins sylvestres principalement et par le Noisetier.

3.1.2. La végétation à choranche et dans le vercors

7Comme à Unang, nous avons essayé d’individualiser les différentes phases de l’évolution de la végétation et les changements culturels qui y correspondent. La couche 5a (à Pins sylvestres et Genévriers) de St‑Thibaud‑de‑Couz datée de 9050 ± 260 B.P. peut constituer la phase 1. Cette végétation assure une transition entre la flore glaciaire et la chênaie caducifoliée qui est en place, par la suite, à Coufin 1, et à laquelle correspond la phase 2, dès la couche 7 datée de 8200 B.P. Il n’est pas aussi simple de définir la phase 3. Elle est hypothétique à Coufin 2. Elle pourrait y débuter au moment du recul des Chênes à feuillage caduc : en effet, leur courbe décroît en même temps qu’apparaissent les niveaux néolithiques. En plus, au Subatlantique, l’apparition de Buxus et l’augmentation de Juniperus, dénonçant une forte action humaine sur la végétation, constitueraient une phase 4 (ou une phase 3 très tardive ?). Cette division en plusieurs phases des changements de végétation doit pour le moment rester une hypothèse dans cette région jusqu’à ce que de nouvelles analyses viennent y compléter nos connaissances.

8La continuité floristique qu’offrent les sites de Choranche est aussi à mettre en évidence dans ce chapitre. Afin de montrer cette succession, les diagrammes de Coufin 1 et de Coufin 2 ont été superposés (fig. 75). Dans cette figure, ce sont les taxons les plus nombreux et le plus représentatifs qui sont retenus : le Genévrier, l’If, l’Erable champêtre, le Noisetier, le Chêne à feuillage caduc et le Frêne. Ce diagramme présente une chronologie qui débute vers 8000 B.P. et se termine aux alentours du ive s. ap. J.‑C. Il met en valeur la diminution de la courbe des Chênes. Elle se produit au milieu de la période Atlantique dans les couches datées du Néolithique. L’installation de ces populations serait postérieure à 6000 B.P. Il apparaît donc un décalage, qu’il ne s’agit pas encore de quantifier, entre la zone méditerranéenne où les premiers défrichements sont discernables dès 6000 B.P., et le cirque de Choranche. La courbe du Genévrier est homogène, L’essor que connaît cette essence dans les couches supérieures de Coufin 1 se poursuit à Coufin 2. L’allure générale des courbes de Coufin 1 et 2 présente une continuité certaine. Cependant, la pauvreté de la couche F1 de Coufin 1 (26 charbons) ne nous a pas permis de fonder nos observations sur d’autres essences que les Chênes et le Genévrier. Les résultats obtenus à Coufin 2 peuvent à leur tour être comparés à ceux observés, pour les mêmes époques, à Balme‑Rousse et dans la couche N19‑630 de Coufin 1. Nous rappelons que ce dernier niveau a été attribué au Bronze moyen/final. Les schémas suivants (fig. 76) tentent de reconstituer, aux principales époques, la végétation ligneuse entourant les gisements du cirque de Chorange : Balme‑Rousse et Coufin.

● Fig. 75 – Diagramme anthracologique des principaux taxons identifiés à Coufin 1 et à Coufin 2.

● Fig. 76 – Comparaison des résultats schématisés de Coufin 2 et de Balme‑Rousse – a. Aux IIIe‑IVe s. A. C., la buxaie prédomine dans les deux gisements – b. Au Bronze final, le Buis est fortement représenté à Balme‑Rousse ; à Coufin, l’If domine le Chêne – c. au Bronze moyen, la chênaie caducifoliée recouvre les pentes de Balme‑Rousse ; à Coufin elle est fortement associée à l’If et au Genévrier – d. au Néolithique récent, Erable, Chêne et Frêne sont les essences les mieux représentées à Balme‑Rousse ; à Coufin ce sont l’If et le Genévrier.

9Il ne s’agit pas ici de répéter ce qui a déjà été écrit lors de l’interprétation des résultats mais de comparer époque par époque chacun des sites, afin de mieux comprendre la mise en place de la végétation à Choranche au Subboréal et au Subatlantique. Les couches B3 de Balme‑Rousse (Néolithique récent) présentent d’assez forts pourcentages d’If, de Chêne et de Frêne. Ces résultats coïncident avec ceux de la couche 8 de Coufin 2 qui offre des résultats similaires, et confirment notamment la densité de la répartition de l’If dans la région. Le Hêtre est plutôt mieux représenté à Balme‑Rousse qu’à Coufin 2.

10Les niveaux du Bronze moyen, que ce soit à Balme‑Rousse ou à Coufin 2, présentent une flore comparable dans les deux gisements. A cette époque, l’If décroît, l’Erable est en pleine extension. Toutefois, les Chênes sont mieux représentés à Balme‑Rousse qu’à Coufin 2 où leurs pourcentages n’atteignent que 9 % dans la couche F5 et 4 % en F4. Quant au Frêne, il est absent de Balme‑Rousse et décline à Coufin 2. L’observation des charbons du niveau N19‑630 de Coufin 1 montre la présence de l’If et surtout la forte représentation du Tilleul et de l’Orme. Ce dernier a été reconnu dans la flore du niveau B2 de Balme‑Rousse. L’histogramme du niveau B1 de Balme‑Rousse, attribué au Bronze récent, paraît très intéressant. En effet, le Buis y est largement attesté : il existait donc dès le Bronze final aux alentours de la grotte. Or, à Coufin 2 cette essence n’intervient qu’à partir de F2bc, période de La Tène et du Gallo‑romain. Si l’attribution culturelle de la couche B1 de Balme‑Rousse se trouve confirmée, plusieurs hypothèses pourront alors être avancées. Ainsi, celle selon laquelle d’importants défrichements auraient eu lieu à Balme‑Rousse, antérieurement à ceux de Coufin 2.

11Les habitants de Balme‑Rousse auraient été rapidement des défricheurs (cultivateurs ?) alors que la population de Coufin 2 aurait d’abord pratiqué l’élevage, ainsi que le suggèrent les restes osseux. La flore obtenue pour la couche A, premier niveau de Balme‑Rousse offre des similitudes avec celle de la couche supérieure de Coufin 2. Le Buis et le Genévrier y sont attestés et, dans les deux gisements, les grands feuillus sont à nouveau présents, alors qu’ils avaient disparu des couches sous‑jacentes. Les Chênes à feuillage caduc, l’Erable, et le Frêne sont identifiés. A Balme‑Rousse comme à Coufin 2 nous pouvons émettre l’hypothèse d’une reconquête de la forêt, ayant peut‑être pour cause un arrêt des cultures et/ ou un changement dans la fonction de la grotte et de l’abri.

12L’évolution de la flore dans le cirque de Choranche est homogène et présente un schéma comparable de gisement à gisement. Ce schéma est valable à Choranche, site privilégié par sa situation, son exposition au soleil et sa protection constituée par de hautes falaises. Il sera donc intéressant de comparer les résultats de Coufin 2 avec ceux des Sarrasins, gisement contemporain, moins bien exposé, situé 25 km plus à l’est. Lorsqu’on compare les diagrammes anthracologiques de Coufin 2 et des Sarrasins, la première différence notable est constituée par la forte représentation du Hêtre et par la présence du Sapin aux Sarrasins, dans les couches les plus anciennes. Il est normal de les trouver à cette époque, dans les couches les plus anciennes ; c’est à Coufin 2 que ces essences sont sous‑représentées. Les analyses palynologiques des sites archéologiques et des tourbières des Alpes et du Vercors montrent la prédominance du Hêtre et du Sapin au Subboréal. Ils traduisent un climat humide et frais. Les autres divergences entre les Sarrasins et les sites que nous avons présentés résident : dans l’absence des essences habituelles de reconquête des sols dégradés telles que le Buis et le Genévrier ; dans la présence constante des Chênes caducs et dans leur accroissement au Subatlantique. En effet, que ce soit à Unang, à Coufin 2 ou à Balme‑Rousse, la courbe des Chênes régresse à partir du Néolithique final et disparaît par la suite. Les figures suivantes (fig. 77, 78) tentent de mettre en évidence l’opposition entre les deux sites (pour le Chêne au moins).

● Fig. 77 – Courbes des Chênes à feuillage caduc à Coufin 2.

● Fig. 78 – Courbe des Chênes à feuillage caduc aux Sarrasins.

13L’hypothèse selon laquelle la grotte des sarrasins n’aurait été qu’un refuge au cours des siècles est à écarter. La présence des cultivateurs y est attestée par l’identification de céréales dans les diagrammes polliniques (Borel 1973). D’autres suppositions peuvent être formulées afin de comprendre pourquoi aucune indication dans les diagrammes anthracologiques (si ce n’est la présence du Noisetier) ne permet de déceler une intervention humaine sur la végétation des alentours de la grotte : pour des raisons d’humidité et de mauvaise exposition (la grotte s’ouvre dans une dépression) ses abords étaient impropres à la culture et ses habitants préférèrent des sols plus favorables bien que plus éloignés ; le combustible était transporté, et provenait d’une forêt plus lointaine (suggérant une mise en culture des terres proches du site : hypothèse peu probable en raison de l’absence de céréales dans les diagrammes polliniques) : enfin, l’économie de subsistance était fondée plus sur l’élevage et le pastoralisme que sur l’agriculture. Ces suppositions peuvent, évidemment, se combiner pour expliquer la quasi‑absence de défrichements aux Sarrasins.

14La confrontation des analyses des Sarrasins et de Coufin 2 illustre l’importance de la situation et de l’exposition au soleil sur les changements de végétation et sur les choix humains. Globalement, le climat a été le même à Choranche et aux Sarrasins. Cependant, les abords de ce dernier gisement devaient être hostiles, comme aujourd’hui encore. La flore de Choranche apparaît comme caractéristique d’un versant sud, bien exposé et recevant des influences de la Méditerranée, celle des Sarrasins d’un versant nord.

15En définitive, s’il est maintenant possible d’avoir une idée précise et synthétique de l’évolution de la végétation dans la région méditerranéenne (fig. 79), les analyses effectuées dans le Vercors paraissent encore très ponctuelles. Bien que la flore de cette région ait été étudiée par de nombreux palynologues, les rapports Homme‑végétation sont loin d’être connus dans le détail. Il est donc souhaitable que l’étude du paysage en tant qu’environnement végétal de l’homme préhistorique y soit largement approfondie. Cette étude est tributaire de la découverte de gisements qui, comme ceux de Choranche ou des Sarrasins, présentent une séquence stratigraphique couvrant de longues périodes et permettent de cerner évolutions et bouleversements. Avant d’aller plus avant dans cet exposé, nous nous proposons de faire le point sur les résultats de travaux actuels en Méditerranée et dans les Alpes.

● Fig. 79 – Tableau comparatif de l’évolution postglaciaire de la végétation sur les sites de La Poujade (d’après Krauss‑Marguet 1981), Unang, Coufin 1 et 2, Balme‑Rousse et les Sarrasins. Les faisceaux indiquent le début potentiel de l’intervention humaine et son ampleur dans les différents sites.

3.2. Mise au point des connaissances actuelles de la végétation en méditerranée et dans les Alpes

3.2.1. La végétation en méditerranée

16Les variations du couvert végétal que nous avons observées, mises en évidence et exposées dans ce travail, résultent à la fois de modifications climatiques et de facteurs humains. Cependant, ces différences reflètent la plupart du temps des modifications locales. Pour évaluer leur portée, il est indispensable de les situer dans un cadre plus large. C’est pourquoi ce chapitre a pour but de tracer l’évolution de la végétation dans la zone méditerranéenne française et dans les Alpes. Il ne s’agit pas d’épiloguer et de remettre en question les travaux déjà effectués des paléobotanistes, ou d’énumérer la chronologie des fluctuations climatiques et végétales. Nous tenterons plutôt, en puisant largement dans les travaux des paléobotanistes (palynologues et anthracologues) de brosser un tableau général des synthèses actuelles, d’insister sur la notion de refuge (pour la végétation), par des exemples concrets, et de placer les gisements étudiés parmi ces acquis. Les analyses paléobotaniques des périodes récentes (depuis la dernière glaciation), concernant la zone méditerranéenne occidentale, sont l’œuvre essentiellement de quelques chercheurs : J. Renault‑Miskovsky, H. Triat‑Laval, J.‑L. de Beaulieu, N. Planchais, M. Reille et G. Jalut pour l’analyse des pollens ; J.‑L. Vernet, E. Bazile‑Robert et I. Krauss‑Marguet pour l’étude des charbons de bois. Ne sont cités ici que les auteurs dont les travaux ont donné lieu à une synthèse. Les périodes glaciaires et tardiglaciaires ont été plus particulièrement étudiées par J. Renault‑Miskovsky dans le Sud‑Est (Renault‑Miskovsky 1971, 1972, 1974, 1976) et G. Jalut dans les Pyrénées (Jalut 1977), E. Bazile‑Robert (Bazile‑Robert 1979,1980a et b, 1981) et J.‑L. Vernet (Vernet 1969, 1972 ; 1977, 1980a) dans le Languedoc et le Midi.

17Les résultats concernant les époques les plus anciennes ont été obtenus sur des prélèvements issus la plupart du temps de dépôts archéologiques. C’est ainsi que le paysage de la grotte du Lazaret (Nice, Alpes‑Maritimes) offre au Riss III « une forêt plus ou moins claire, de Pins mêlés de feuillus » (Vernet 1969 : 128), ce qui suggère plutôt un climat frais. Au Würm I, le couvert forestier apparaît bien répandu avec un climat relativement doux (Bazile‑Robert 1979 ; Renault‑Miskovsky 1972) et une végétation déjà méditerranéenne et humide (Vernet 1973). Au Würm II, le couvert végétal en place change en fonction des variations climatiques : le paysage se transforme. A une végétation forestière dense comprenant des essences variées, succède une steppe à Pins sylvestres (Renault‑Miskovsky 1976). L’inter‑Würm II‑III se caractérise par une végétation plus forestière à Pins sylvestres accompagnés de « quelques méditerranéennes » (Bazile‑Robert 1979), ou par une succession d’épisodes froids à Pins et Bouleaux entrecoupés de réchauffements humides avec une flore méditerranéenne, ce qui sous‑entend la présence de zones refuges dont nous reparlerons plus loin (Vernet 1973 ; Renault‑Miskovsky 1976). Pendant le Würm III, le Pin sylvestre domine toujours. A la fin de ce stade glaciaire, il est accompagné par le Bouleau et l’Argousier selon les charbons de bois, par les Chênes à feuillage caduc selon les pollens. Les Aurignaciens installés sur le pourtour de la Méditerranée auraient vécu avec un climat tantôt sec (si les Pins sont seuls considérés), tantôt humide (présence des Chênes).

18Pour ces périodes, la connaissance de la végétation du Midi méditerranéen est tributaire des trop rares découvertes archéologiques. Les résultats, lorsqu’ils sont étendus à toute une région n’ont qu’une valeur d’hypothèse. Les interstades mis en évidence dans d’autres lieux : Arcy, Laugerie, etc., par Arl. Leroi‑Gourhan notamment, n’ont pas été incorporés à cette étude en raison de la fragmentation des données (pour la Méditerranée) et des nombreux désaccords entre les spécialistes. Les découvertes plus nombreuses de sites archéologiques fréquentés au Paléolithique supérieur permettent aux paléobotanistes de mieux concrétiser la végétation du Tardiglaciaire. Au cours de ce dernier épisode froid, se sont succédé des périodes froides : Dryas I, II et III, entrecoupées de phases plus tempérées : Bølling, Alleröd. Le réchauffement de Bølling et le Dryas moyen ne sont pas toujours perceptibles dans les diagrammes polliniques de la basse vallée du Rhône (Triat‑Laval 1978), des Alpes méridionales (Beaulieu 1977) et des Pyrénées orientales (Jalut 1977) : soit qu’il n’y ait pas eu de variations climatiques, soit qu’elles aient été trop faibles pour être enregistrées (Triat‑Laval 1978). Cette suite d’épisodes contrastés du climat a permis la mise en place d’un couvert végétal varié et la conservation d’essences thermophiles dans les zones refuge. Ces essences constitueront la flore méditerranéenne postglaciaire.

19Le « télescopage » de végétations variées et l’existence probable de zones refuge dans cette région, montre l’intérêt et la prudence qu’il faut apporter à cette étude. C’est ainsi qu’à Gazel (Aude, altitude 250 m), a été identifiée une flore traduisant un climat continental froid, constituée de Pins, Bouleaux, Saules et Genévriers (Vernet 1980b). Elle a été déterminée dans la couche 7, attribuée au Magdalénien moyen et datée de Gif : 2655 = 15070 ± 70 B.P. Or, le gisement voisin de Canecaude (Aude, altitude 200 m) a livré une flore thermophile. Dans 14230 ± 160 B.P., cette flore est composée de Buis, Chênes verts, Hêtres, Filarias, etc. (Vernet 1980b). Pour résoudre cette contradiction apparente, il faut évoquer la présence d’une zone refuge.

20Les refuges de végétation ont joué un rôle important dans la conservation des espèces ; ils expliquent surtout la vélocité avec laquelle ont proliféré les taxons thermophiles à l’Alleröd : « Le réchauffement climatique de l’Alleröd est donc défini, en pays méditerranéen, par une coexistence du Pin et de la chênaie (le Chêne dominant parfois le Pin) et par l’installation de genres très thermophiles qui se développent d’autant plus rapidement que leurs refuges étaient certainement à proximité des gisements étudiés » (Renault‑Miskovsky 1972 : 274).

21Enfin, le Dryas récent est caractérisé par une végétation à Pins sylvestres et Genévriers dans laquelle on note la présence sporadique d’autres essences ainsi : les Chênes à feuillage caduc (couche 6 de Gazel, datée de Gif : 2654 = 10760 ± 190 B.P.) ce qui traduit un climat modéré (Vernet 1980b) ; ou bien l’If et le Chêne vert (couche 10 de la Baume de Vallorgues, Gard, datée de Ly : 1344 = 10910 ± 225 B.P.) ; ou encore l’Amandier (Baume de Vallorgues, couche 8, datée de Kr : 61 = 10910 ± 85 B.P., Bazile‑Robert 1981b). La végétation du Postglaciaire est annoncée par la disparition du Bouleau de la région méditerranéenne (Triat‑Laval 1978 ; Vernet 1980b) et par l’installation d’un couvert végétal de Pins et Genévriers, accompagnés d’Amandiers et de thermophiles. Le Postglaciaire succède à la dernière phase froide et correspond à l’Holocène. L’analyse de nombreux dépôts de tourbes, en Europe du Nord principalement, a permis l’élaboration d’un schéma général de référence pour le Postglaciaire. La nomenclature ici employée est celle de Blytt et Sernander, mise au point en 1876 par Blytt et fondée sur la reconnaissance de six groupes d’espèces de la flore norvégienne :

  • le Préboréal (10150‑8750 B.P.) est une phase de transition entre les derniers froids du Tardiglaciaire et le réchauffement postglaciaire ; il est généralement caractérisé par le développement du Bouleau, Noisetier, Chêne à feuillage caduc et de l’Orme ;

  • le Boréal (8750‑7450 B.P.) est une phase de réchauffement et de sécheresse, souvent définie par l’extension du Pin et du Noisetier ;

  • l’Atlantique (7450‑4450 B.P.) est une phase tempérée humide ; un stade de réchauffement se situerait pendant la seconde moitié ; elle est déterminée par le développement de la chênaie mixte avec Chênes, Ormes et Tilleuls ;

  • le Subboréal (4450‑2650 B.P.) est une période plus fraîche et plus sèche que la précédente ; on assiste au retrait de la chênaie mixte au profit du Sapin et du Hêtre ;

  • le Subatlantique (2650 à l’actuel) se distingue dans les diagrammes polliniques par une forte extension du Hêtre et du Charme.

22Ce schéma aujourd’hui classique, défini sur de longues périodes et pour l’Europe du Nord ne révèle que des tendances générales, sensibles seulement sur de vastes ensembles chrono‑géographiques. A l’échelle d’un site ou d’un groupe de sites, cette succession climatique de référence (internationale) doit être appliquée avec esprit critique afin de conserver toute leur originalité aux tendances (fluctuations ?) locales mises en évidence (à fortiori dans le cas de régions à influences méditerranéennes). H. Triat‑Laval propose un autre scénario pour la basse vallée du Rhône : Dryas récent, retour au froid, mais certaines thermophiles comme le Chêne vert subsistent ; au Préboréal, recul de la steppe, amélioration climatique et expansion de la pinède ; à la fin du Préboréal la chênaie caducifoliée se développe avec une majorité d’essences plutôt méditerranéennes, parmi lesquelles domine le Chêne pubescent ; vers 5000 B.P. (Atlantique), un bref accroissement des Pins précède l’extension du Sapin suivi du Hêtre (Triat‑Laval 1978). A propos des deux dernières périodes cet auteur conclut : « Les variations climatiques ultérieures, durant le Subboréal comme durant le Subatlantique […] ne peuvent être sûrement identifiées à mon sens, par le pollenanalyste, car un fond continu de plus en plus sensible d’action humaine masque toute évolution naturelle de la végétation » (Triat‑Laval 1978 : 262).

23Dans les plaines du Midi méditerranéen, J. Renault‑Miskovsky, par l’analyse palynologique de sites archéologiques, a mis en évidence l’évolution suivante : fin du Tardiglaciaire, bref retour du froid et disparition des espèces arbustives qui subsistent dans les zones refuges ; au Préboréal, pinèdes puis chênaies d’yeuses ; au Boréal, il se produit une expansion des taxons méditerranéens ; l’Atlantique offre des images locales de végétation avec le Chêne vert et le Pin d’Alep ; à la fin de l’Atlantique, période d’optimum forestier, succèdent le Subboréal et le Subatlantique, phases de déboisements (Renault‑Miskovsky 1976).

24Enfin, l’étude des charbons de bois a donné la séquence postglaciaire suivante : Préboréal, végétation encore dominée par les Pins, Genévriers et Amandiers, ces derniers par endroits ; vers la fin, la chênaie caducifoliée se met en place ; Boréal, il voit l’extension de la chênaie caducifoliée à basse altitude ; Atlantique, c’est le début des grands défrichements, la buxaie apparaît avec le Chêne vert, le Pin d’Alep dans les zones les plus chaudes. Il faut signaler l’installation du Hêtre en Ligurie (Vernet 1976) et dans le nord des Causses, où le Pin sylvestre est à son maximum d’extension (Vernet 1976) ; Subboréal, le Chêne vert domine à basse altitude et le Hêtre dans les zones les plus élevées ; Subatlantique, déboisements liés à l’Homme.

25L’étude du Postglaciaire se heurte très rapidement à une inconnue : l’importance de l’intervention humaine sur la végétation. La limite qu’elle pourrait définir est fluctuante et peu discernable. Nous avons déjà envisagé, à Unang et à Coufin 1 et 2 de quelles façons entrevoir l’action humaine dans les diagrammes anthracologiques ; voici comment la palynologie aborde ce problème : « En palynologie, les déboisements intensifs se traduisent le plus souvent dès la base de l’Atlantique, dans les analyses polliniques par l’accroissement de la valeur des herbacées et notamment celles des plantes rudérales comme le Plantain, les Graminées et les Chénopodiacées » (Renault‑Miskovsky 1972 : 399). S. Wegmüller retourne le problème en écrivant : « La limite Subboréal et Subatlantique est généralement placée au moment où se produit une aggravation de l’intervention humaine sur les paysages » (Wegmüller 1977, in Triat‑Laval 1978 : 230). Si ce critère « d’aggravation de l’intervention humaine » devait être gardé, la limite serait diffuse, variable et même inexistante par endroits. En résumé, l’évolution de la végétation en Méditerranée montre une réelle unité au Tardi‑et au début du Postglaciaire. Cependant, l’intervention de l’homme est telle à partir de l’Atlantique que la chronologie climatique doit être révisée en fonction des phénomènes humains. Comme nous l’avions pressenti, cette unité « méditerranéenne » est assez éloignée du schéma classique d’Europe du Nord.

3.2.2. La végétation dans les Alpes

26Ce chapitre a pour but d’aborder le schéma actuel du paléoenvironnement des Alpes françaises. Il n’est pas inutile de rappeler que dans le domaine biogéographique, les Alpes ne forment pas une unité car elles sont formées (en France) de deux régions distinctes : les Alpes méridionales et les Alpes du Nord, où, aux différences de la latitude s’ajoutent celles de l’altitude. La végétation passée des Alpes est connue grâce aux travaux des palynologues, soit sur les tourbières comme ceux de J. Becker, S. Wegmüller dans les Alpes du Nord, H. Zöller en Suisse, J.‑L. de Beaulieu dans les Alpes méridionales ; soit sur les dépôts archéologiques comme ceux de Arl. Leroi‑Gourhan, M. Girard, Bui Thi Mai et J.‑L. Borel. Aucune étude sur les charbons de bois, hormis celle de J.‑L. Vernet à St‑Thibaud‑de‑Couz, n’avait jusque‑là été entreprise à notre connaissance.

27Les plus anciens sédiments analysés par la palynologie sont ceux des niveaux Riss‑Würm de la grotte de Prélétang (Isère) située dans le Vercors à 1 200 m d’altitude. Ces niveaux, contemporains d’un Moustérien à faciès Levallois (Lequatre 1966), ont permis à Arl. Leroi‑Gourhan d’obtenir un diagramme pollinique divisé en deux séquences. Chacune marque une période de réchauffement, suivie d’un refroidissement. La flore la plus ancienne traduit un paysage forestier, formé principalement de conifères et de quelques feuillus résiduels (Leroi‑Gourhan 1966). Les sédiments du début du Würm, pauvres en pollens arboréens, indiquent une phase froide. La grotte, après un intermède marqué par la formation d’un plancher stalagmitique, offre des niveaux dans lesquels la forêt mixte a été reconnue, ce qui correspondrait à un épisode thermophile : celui‑ci pourrait coïncider avec l’interstade de Brørup.

28L’analyse palynologique de St‑Thibaud‑de‑Couz a permis à M. Girard d’individualiser deux améliorations climatiques à la fin du Würm III. L’une pourrait correspondre à l’interstade de Laugerie (daté de 19200 à l’abri Fritsch, Indre ; Leroi‑Gourhan 1968), l’autre à l’interstade de Lascaux daté de 17000 B.P. (ces 2 interstades mis en évidence dans les travaux de Arl. Leroi‑Gourhan). Lors de la première oscillation, le paysage aurait été forestier, dominé par le Pin et le Noisetier : par le Noisetier seul lors de la seconde phase (Girard 1976). Pendant le Tardiglaciaire, l’analyse des charbons de bois a révélé à St‑Thibaud‑de‑Couz un réchauffement important, caractérisé par le Pin sylvestre accompagné de feuillus comme le Chêne et le Charme entre 13070 et 10750 B.P.

29Les travaux de J. Becker sur les tourbières de Chirens (460 m d’altitude) et du marais de Roseire d’Aval (890 m) différencient 7 phases dans l’histoire forestière de cette région (Becker 1952) : la végétation des épisodes froids du Tardiglaciaire est steppique. Le réchauffement d’Alleröd se divise en 2 épisodes : l’un à prédominance de Bouleau, l’autre où les Pins l’emportent. Lors de cet épisode, la pinède s’élève jusqu’à 1 500 m (Wegmüller 1977) (fig. 80). Après une phase marquée par le recul de la forêt (Dryas III), le Préboréal est caractérisé par l’installation du Pin et du Bouleau, le Boréal par l’apparition du Noisetier suivie de celle de la Chênaie mixte dominée par l’Orme. A l’Atlantique, le Hêtre, le Sapin apparaissent sporadiquement dans un milieu où domine la chênaie mixte. A cet épisode succède une période à Sapin et Hêtre. L’apport des travaux actuels aux analyses de J. Becker ont permis à J.‑L. Borel de développer la synthèse suivante à propos de la végétation postglaciaire dans les Alpes : Préboréal, développement de la forêt de Pins ; Boréal, le Pin est peu à peu remplacé par le Noisetier qui est accompagné vers la fin, par la chênaie mixte. S. Wegmüller signale qu’à l’étage des collines, la chênaie supplante la corylaie dès 8400 B.P. (Wegmüller 1977) ; Atlantique, c’est le règne de la chênaie mixte dans laquelle domine le Tilleul. L’Aulne est présent, de même que le Sapin à l’étage montagnard ; Subboréal, la végétation est composée d’Aulnes et de Sapins, le Hêtre est installé en basse altitude, l’Epicéa en haute altitude ; enfin, au Subatlantique, l’Epicéa, encouragé par les déboisements, supplante le Sapin (Borel 1976).

● Fig. 80 – Histoire de la végétation des Alpes du Nord depuis le Tardiglaciaire (d’après Wegmüller 1977).

30J. Becker a défini 2 domaines paléosylvatiques dans les Alpes dans lesquels se déroulent 2 types d’histoire forestière postglaciaire. Un domaine paléosylvatique de faciès méridional qui répond aux mêmes règles d’évolution forestière que le faciès septentrional mais « les Pins gardent la place qu’ils ont prise au Préboréal et, de ce fait, ils masquent les poussées des autres essences » (Becker 1952 : 44). L’évolution postglaciaire de la végétation dans les Alpes méridionales a été définie comme suit par J.‑L, de Beaulieu : Tardiglaciaire, la forêt de Pins y est bien représentée, son installation est achevée au Préboréal ; Boréal, le Pin est toujours présent, le Noisetier est plus discret que dans les schémas des Alpes du Nord, le Chêne se développe ; Atlantique, cet épisode est caractérisé par le Pin et le Chêne ; il faut y noter l’apparition du Sapin et du Mélèze ; Subboréal : le refroidissement entraîne le développement du Sapin, du Hêtre et de l’Epicéa (Beaulieu 1976). Cet auteur a mis en évidence, dans les Alpes méridionales, 3 territoires phytogéographiques : le haut bassin de la Durance interne, qui seul correspond à la définition de Becker ; la marge occidentale de ce territoire, où le Sapin aurait longtemps perduré ; les Alpes‑Maritimes où l’originalité de la paléoflore réside dans « l’abondance et la variété des taxons non arboréens, d’autre part dans l’extension Holocène précoce d’Abies et surtout de Larix » (Beaulieu 1977 : 302‑303).

31Par rapport aux résultats que nous venons d’exposer, ceux de l’analyse anthracologique de Coufin 1 montrent l’absence totale du Pin au Boréal et l’arrivée précoce de la chênaie caducifoliée à basse altitude (500 m). A Coufin 2 et aux Sarrasins, la présence du Hêtre et du Sapin dans une moindre mesure confirme les données palynologiques actuelles. Par contre, l’Epicéa et le Mélèze n’ont jamais été identifiés par l’analyse des charbons de bois des précédents sites.

3.2.3. Étude particulière de trois essences

32Cette étude sur les flores postglaciaires nous permet d’apporter des compléments à l’histoire des essences suivantes : l’If, le Hêtre et le Sapin. Le choix de ces taxons s’est imposé en fonction de nos résultats et des informations proposées par les derniers travaux de paléobotanique. Ces essences sont en plus caractéristiques de zones de montagnes.

3.2.3.1. L’If (Taxus baccata)

33Cette essence a été identifiée dans tous les gisements que nous avons étudiés et dès le Boréal à Unang. C’est une des raisons qui le font figurer dans cette partie de notre étude. Rare en France, son aire est morcelée. L’If est aujourd’hui cultivé. Nous avons remarqué que ce taxon est plus souvent signalé par les anthracologues. D’après les travaux de H. Triat‑Laval, la représentation pollinique de l’If contrôlée dans la hêtraie de la Ste‑Baume est normale (10 % pour un recouvrement de 15 %). Cependant, Heim avait constaté une représentation faible de ce taxon dans la même hêtraie (Heim 1962). Si la diffusion de l’If apparaît normale, son reflet est nul (Triat‑Laval 1978). Jusqu’à une époque récente, l’If n’avait été rencontré qu’au Subboréal ; ainsi en Belgique (Munaut 1967), et en France. A son propos J.‑L. Vernet écrit en 1976 : « il a été retrouvé assez rarement sur la bordure méridionale du Massif central ainsi qu’en Ligurie. Il y paraît sur la base des données actuelles, confiné au Subboréal » (Vernet 1976 : 100). Des données plus récentes encore ont apporté de nouvelles informations. En effet, l’If a été identifié par E. Bazile‑Robert, dans la couche 9 de la Baume de Vallorgues (Gard) datée par le 14C de H. V. : 1345 = 11270 ± 230 B.P. (Bazile‑Robert 1981b) ; par J.‑L. Vernet à St‑Thibaud‑de‑Couz, dans la couche 5a datée de 9050 ± 260 B.P. et à Dourgne dans les niveaux 9, 8, 7, 6, 5 : la couche 7 est datée de M. C. 1107 = 6850± 100 B.P. ; par nous‑même à Unang de la couche 10 (Boréal) à la couche 3 datée de 5840+ 130 B. P., à Coufin 1 dans la couche F4a antérieure à 6000 B.P. ; enfin, par N. Planchais dans un niveau rapporté à la seconde moitié de l’Atlantique, à Sète (Planchais 1973a). C’est à partir de cette période et jusqu’au Subatlantique que se situe la véritable expansion de l’If. Il est représenté par de forts pourcentages dans les diagrammes anthracologiques de Coufin 2, de Balme‑Rousse et des Sarrasins. De plus « il caractérise ces niveaux du Chalcolithique ou Néolithique final (Camprafaud), Chalcolithique (La Poujade), Bronze ancien (Aude, Cèze), Bronze final (St‑Etienne‑de‑Gourgas III) » (Vernet 1972 : 66). Par ailleurs, I. Krauss‑Marguet délimite à La Poujade (Aveyron), le passage Subboréal‑Subatlantique grâce à la présence de l’If et du Hêtre qui indiquerait un climat plus frais et plus humide (Krauss‑Marguet 1981).

34L’If se retrouve dans la région méditerranéenne et les Alpes à des époques diverses du Tardi‑ et du Postglaciaire. A la vue de ces derniers résultats, l’If ne semble pas annoncer voire favoriser une évolution ou un changement de climat, mais sa présence paraît plutôt liée à l’influence montagnarde subie par tous les sites où il a été identifié (les études sur cette essence se multiplient ; nous voudrions, malgré tout, signaler que nos propres travaux se sont largement développés depuis cette thèse et que des résultats très proches des nôtres ont été obtenus dans la région en palynologie, notamment par J. Clerc).

3.2.3. Le Hêtre (Fagus silvatica)

35Nous avons retenu le Hêtre car son histoire est étroitement liée au climat comme à l’action humaine. Cette essence est largement répandue en France et fortement diffusée depuis le Subboréal, mais son histoire reste encore problématique. On ignore en effet si son extension au Subboréal est d’origine climatique ou anthropique. En palynologie, la représentation du Hêtre est normale, mais la diffusion de ses pollens est faible, voire nulle (Triat‑Laval 1978). Les analyses polliniques de H. Triat‑Laval et de J.‑L. de Beaulieu sur des sites de tourbières soulignent, les unes comme les autres, la sous‑représentation de ce pollen dans les diagrammes de la vallée du Rhône comme dans ceux des Alpes méridionales (Triat‑Laval 1978 ; Beaulieu 1977). Notons cependant sa forte représentation dans un diagramme languedocien (Planchais 1973b). Anatomiquement parlant, le Hêtre actuel (Fagus silvatica), apparaît dès le Pléistocène moyen (– 700 000 ans ; Vernet 1980c). Les plus anciennes traces de sa présence, en archéologie, ont été, pour le moment, décelées grâce à l’identification de charbons de bois, près de Nîmes entre 40 000 et 15 000 ans (Bazile‑Robert 1979), dans la couche 3 du gisement de Belvis (Aude) datée de Gif : 2950 = 12270 ± 280 B.P. (Vernet 1980b). Dans les Alpes de Venosc, M. Coûteaux a identifié deux pollens de Fagus dans un sédiment daté de 9 850 B. P. (Coûteaux 1962). Il est présent au Boréal dans les Pyrénées atlantiques (Jalut 1976). A l’Arma su Stéfanin (Savonne, Italie), J. L. Vernet a déterminé des charbons de Hêtre dans un niveau daté de 8800 B.P. (Vernet 1970). D’autres pollens ou charbons ont été identifiés, notamment par H. Zöller dans la région du St‑Gothard, dans un niveau Boréal antérieur à 7570 B.P. (Zöller 1977), à Coufin 1 dans la couche F2c, antérieure à 6200 ± 240 B.P. et à Dourgne après 6170 ± 100 B.P. (M. C. = 1102) où il est accompagné du Buis.

36C’est à partir du Subboréal que le Hêtre quitte ses refuges et se développe dans toutes les stations. Cette expansion subboréale de la hêtraie à partir de refuges que J. Braun‑Blanquet situe dans le sud et le sud‑ouest de la France (Braun‑Blanquet, Roussine, Nègre 1952) serait pour les uns la conséquence de l’intervention humaine sur le milieu ; pour les autres, cette diffusion du Hêtre serait liée à un changement climatique : le Subboréal étant marqué par un climat plus frais et plus humide que les périodes précédentes. B. Frenzel, pour qui « c’est l’homme qui a affecté la végétation par les défrichements brutaux provoquant des changements botaniques susceptibles d’être faussement interprétés comme les conséquences d’une variation du climat » (Frenzel 1979 : 193) écrit à propos de l’installation de la hêtraie typique dans le nord de l’Europe : « […] la transition coïncide en général avec le début de l’agriculture dans les environs des tourbières étudiées et avec la détérioration des sols qui est évidemment une conséquence des défrichements considérables, en partie afin d’obtenir un bois de chauffe pour les mines de fer » (Frenzel 1979 : 193‑194). Selon H. Triat‑Laval, qui a mis en avant l’accroissement de la courbe du Hêtre vers 4450 ± 150 B.P. à l’Isle‑sur‑la‑Sorgue et vers 4250 ± 250 B.P. à Courthézon, « l’essor de Fagus n’est pas étranger à une action anthropique » (Triat‑Laval 1978 : 89). A propos du Hêtre, J.‑L. de Beaulieu rappelle que « les forêts appartenant à la série de la hêtraie‑sapinière ont pendant deux millénaires été des sapinières pures, progressivement envahies par Fagus au cours du Subboréal » (Beaulieu 1977 : 258). Or, cet auteur est opposé à l’origine anthropique du Hêtre et avance l’argument suivant : « Il semble que l’extension de Fagus soit toujours trop modeste pour être d’origine humaine, et les causes d’une telle extension semblent plus logiquement climatiques » (Beaulieu 1977 : 260).

37Les analyses de J.‑L. Vernet ont montré qu’à la fin du Subboréal, le Hêtre apparaît sur le Causse Méjean et qu’il est inconnu sur le Larzac. Par ailleurs, dans les vallées pyrénéennes du domaine périméditerranéen, le Subboréal est également caractérisé par l’extension du Hêtre. A propos de l’influence humaine sur la végétation, G. Jalut remarque : « Elle s’accentue durant la période Subboréal‑Subatlantique, provoquant alors de profondes modifications du paysage végétal. Son action se traduit en particulier par la raréfaction du Hêtre, notamment dans le haut Vallespir, et par l’élimination du Sapin dans de nombreuses vallées » (Jalut 1977 : 96). Cet auteur semble revenir sur ses hypothèses lorsqu’il déclare qu’au Subboréal, sur le versant oriental des Pyrénées, la destruction du Sapin par l’Homme entraîne le développement de la hêtraie (Jalut 1982). La connaissance de l’origine des refuges, de l’histoire et de la diffusion du Hêtre apparaît donc complexe ; les découvertes récentes concernant cette essence n’apportent aucune confirmation décisive et posent de nouvelles interrogations.

3.2.3.3. Le Sapin (Ables alba)

38Bien qu’aucune synthèse n’ait encore été tentée, à notre connaissance, l’histoire du Sapin habituel compagnon du Hêtre, est mieux connue. Sa diffusion et son extension dans les régions de montagne se sont effectuées en fonction de l’altitude. La représentation actuelle des pollens de Sapin est faible à normale (18 % pour un recouvrement de 15 % dans le Vercors), d’après H. Triat‑Laval, J.‑L. de Beaulieu et M. Reille ; sa diffusion semble faible mais son reflet est normal (Triat‑Laval 1978 ; Beaulieu 1977 ; Reille 1975). Au Tardi‑ et au Postglaciaire, le Sapin a été identifié dans les sites suivants : St‑Thibaud‑de‑Couz, couche 7 datée de 11900 ± 360 B.P. (Vernet : inédit) ; Dourgne dans un niveau daté de M. C. : 1108 = 8620 ± 120 B.P. (Vernet 1980b) ; au col des Lauzes (Hautes‑Alpes, 1 784 m) où des pollens de Sapin ont été observés par J.‑L. de Beaulieu dans des sédiments datés de Ly : 1280 = 7510 ± 150 B P. (Beaulieu 1977) ; à La Lauza, S. Wegmüller signale des sapinières vers 7500 B.P. (Wegmüller 1977) ; au lac Long (2 090 m) le Sapin est présent dans des sédiments datés de Lv. : 517 = 7410 ± 120 B.P. (Beaulieu 1977) et à Courthézon vers 7350 ± 170 B.P. (Triat‑Laval 1978). Il résulte de ces observations que le développement du Sapin est précoce dans les zones de haute altitude. Si le Sapin ne se manifeste qu’à la fin du Boréal dans les Alpes françaises du Sud, il est présent dès le début de cette période sur le versant méridional des Alpes centrales (Beaulieu 1977). Selon S. Wegmüller, l’apparition du Sapin dans les Alpes constitue un bon repère du début de l’Atlantique (Wegmüller 1977).

39Dans la région méditerranéenne le Sapin a été identifié par H. Triat‑Laval à Courthézon et à Beauchamps‑Panières aux environs de 6700 B.P. A propos de l’histoire du Sapin elle écrit : « Au vu de son échelonnement dans le temps, la progression d’Abies dans le cadre montagnard, voire collinéen des basses plaines provençales n’a pu s’effectuer qu’à partir des vastes peuplements alpins à une époque qui se situe entre l’Atlantique récent et le tout début du Subboréal, au point d’être d’ailleurs, quelquefois contemporain de l’essor de Fagus » (Triat‑Laval 1978 : 327). C’est vers 6000 B.P. que J.‑L. de Beaulieu met en évidence le Sapin dans les monts de l’Espinouse (Beaulieu 1969). Enfin, dans les Pyrénées, le Sapin se développe vers la fin du Boréal au‑dessus de 1400 m. A l’Atlantique, l’humidité favorise l’extension de cette essence vers les altitudes inférieures (Jalut 1977). Selon cet auteur, le Sapin forme des massifs importants dans les Pyrénées à partir du Boréal entre 1 700 et 1 800 m d’altitude.

40En conclusion, les différents résultats exposés ici ont montré, pour les trois essences retenues que : l’apparition de l’If est précoce dans les gisements où l’influence montagnarde est sensible ; la situation des refuges du Hêtre n’est pas encore bien connue et l’origine de son extension reste problématique ; le développement de la sapinière a lieu au Boréal dans les Alpes françaises et le Dauphiné (Wegmüller 1977), à la fin du Boréal et au début de l’Atlantique dans les Alpes méridionales françaises (Beaulieu 1977).

3.3. L’intervention de l’homme sur le milieu végétal

3.3.1. Les tendances de la géographie humaine

41Tout au long de ce travail, nous avons tenté de discerner quelle pouvait être l’intervention de l’homme sur la végétation pendant la Pré‑ et la Protohistoire au moyen d’une technique particulière : l’analyse des charbons de bois. Parvenue à ce stade de l’étude, un problème n’a pas été envisagé : celui de l’influence du milieu sur les comportements humains. Cette approche, difficile, voire impossible à cerner par l’analyse des bois fossiles, a constitué la base des grands courants de la géographie humaine au xixe s.

42La géographie humaine s’attache à connaître les sociétés humaines avec leurs modes de fonctionnement et de production dans les lieux qu’ils occupent. Or, ces préoccupations ne sont pas si éloignées des nôtres. Sur des fondements scientifiques plus ou moins stables, plusieurs écoles se sont succédé et affrontées depuis le xixe s. Il nous paraît important d’en évoquer ici, même succinctement, les idées directrices, auxquelles adhèrent consciemment ou non les diverses tendances de la géographie humaine. Cette énumération, par trop livresque aux yeux de certains, a avant tout pour but de préciser la perception que géographes et historiens ont des relations de l’Homme avec son espace. Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que des différences fondamentales existent par rapport à notre étude : la chronologie n’est pas la même (le géographe s’intéresse à l’époque actuelle) et peut‑être aussi existe‑t‑il une certaine divergence de finalité (l’adaptation physique de l’Homme à son milieu, par exemple, a longtemps préoccupé les géographes). Cependant, les rapports Homme et environnement restent les constituants essentiels de la géographie ; le champ d’intérêt est sensiblement comparable au nôtre. L’une des premières approches de ce problème fut déterministe. En effet, d’après le géographe Ritter en 1836, « c’est le support naturel (sol, climat, végétation) qui détermine les formes d’implantation humaine, les niveaux de civilisation » (Ritter, in Bailly, Béguin 1982 : 18). Le déterminisme adhère aux deux postulats suivants : tout fait géographique est explicable par des causes (conditions) ; lorsque les conditions (causes) sont réunies, le fait se produit. Le débat autour du déterminisme dont le but est « la recherche des causalités directes entre les phénomènes physiques et humains » fut très prolixe au début du xxe s., particulièrement entre l’école de géographie régionale et celle de sociologie de Durkheim. En 1897, Ratzel exposa ses théories environnementalistes ; selon lui, les êtres vivants sont les produits du milieu dans lequel ils vivent. Il faut, dans ce cas, apprécier les lois physiques qui déterminent l’espèce humaine. Influencée par les idées de Darwin, cette théorie place l’environnement en tant qu’ « élément moteur d’une évolution dans laquelle seuls les plus aptes peuvent survivre ». Mais la théorie qui s’imposa pendant de nombreuses années fut celle énoncée par Vidal de la Blache : le possibilisme. « Les grandes civilisations […] se développent indépendamment du milieu naturel où elles éclosent mais en utilisant les éléments naturels » (in Bertrand 1975 : 39). Le milieu naturel n’impose pas de nécessité déterminante mais des possibilités que l’Homme utilise ou n’utilise pas.

43Les théories de Vidal de la Blache furent habilement schématisées par L. Febvre, qui opposa le possibilisme humain au déterminisme naturel. La conséquence la plus importante en fut : « Puisque l’Homme maîtrise la Nature, le milieu naturel ne constitue pas un facteur déterminant de l’évolution humaine » (Bertrand 1975 : 39). Dans la même lignée, en 1930, le géographe américain Sauer crée la « géographie culturelle » en s’appuyant sur le fait que les paysages aménagés sont le reflet des mondes culturels. Ce courant innovateur n’a pas l’écho du « néo‑positivisme » qui se développe alors aux USA et surtout en Allemagne. Il regroupe des chercheurs qui suivent simultanément deux voies : l’une en quête des similarités présentes dans la diversité des espaces ; l’autre qui a recours à la démarche déductive, comme outil scientifique.

44Enfin, depuis environ dix ans, deux courants géographiques sont apparus. Ils ont en commun d’établir une distinction entre sciences de la Nature et sciences de l’Homme : la géographie radicale s’appuie sur le matérialisme historique, privilégiant les structures sociales (l’espace n’est plus qu’un support) ; la géographie comportementale, ou behaviorisme, repose sur la phénoménologie et s’éloigne totalement de nos préoccupations. Cette géographie du comportement privilégie l’individu et non plus le groupe en relation avec son espace, empruntant ses moyens d’étude à la sociologie dont elle est très proche, elle peut être qualifiée de « sociologie du Bien‑être ».

45Il est évident que ces courants actuels ne peuvent pas s’appliquer à des époques pré‑historiques : trop de données indispensables leur font alors défaut. Par contre, le possibilisme, en posant que « l’Homme maîtrise la Nature », a proposé une nouvelle voie de recherche.

3.3.2. L’agriculture ou l’utilisation de la nature par l’homme

46L’une des premières manifestations tangibles, concrète et appréciable pour nous, de l’asservissement de la nature par l’Homme, est l’agriculture et toutes les conséquences qu’elle a entraînées. Outre la mise en culture de terrains à des fins de production, l’agriculture par son action première de destruction du milieu naturel préexistant peut être définie comme une rupture de l’écosystème naturel et un détournement de cette production naturelle au profit de l’Homme. L’ethnologie, l’histoire et l’archéologie témoignent de la manière dont les agriculteurs « primitifs » ont cultivé ou cultivent encore. Après un débroussaillage au moyen d’outils (hache, machette) ou par le feu, qui semble être la technique la plus efficace pour la préparation d’un champ, la forêt défrichée est ensemencée et après deux ou trois récoltes, la parcelle est laissée en jachère pour de longues années.

47Les études de géographie humaine ont montré, elles aussi, que l’essartage aboutit au remplacement de la forêt par des étendues herbeuses et buissonnantes. Si les paysans mêmes « rudimentaires » contribuent à modifier leur paysage, l’agrosystème, à la fois structure et moyen de production, devient aussi le milieu de vie. L’environnement intervient à son tour dans les comportements et dans les mentalités. L’espace rural naît du défrichement. Cette création humaine, nouvelle réalité écologique, succède au milieu naturel. La finalité des études sur l’espace rural est de déterminer maintenant depuis combien de temps le milieu naturel a régressé, puis disparu (Bertrand 1975). En quête d’informations et d’arguments pour cette étude, nous avons pu constater les faits suivants : tout d’abord, lorsque les historiens et les géographes (fait assez rare encore !) sont sensibles à la disparition du milieu naturel évoqué plus haut, la limite de l’existence de ce que ce que vous appellerons « la forêt primitive » est fluctuante et varie souvent entre l’âge du Fer et le Moyen Age (xiie s.). Pour les médiévistes en effet, l’espace rural apparaît à la suite des grands défrichements qui débutèrent au xie s. (sous la poussée démographique et l’impulsion des grands monastères) et se poursuivirent jusqu’au xiiie s.

48Les historiens des périodes les plus anciennes sont prudents et avancent que des défrichements auraient certainement eu lieu dès le Néolithique puisque l’agriculture y est attestée. Il en résulte néanmoins que l’histoire de l’agriculture vue par les géographes ou les historiens actuels tend à débuter au Moyen Age, parfois à l’époque gallo‑romaine, rarement avant. Tout se passe comme s’il y avait une méconnaissance (ou une mise à l’écart) des sociétés sans écriture : implicitement, ces groupes humains sont considérés comme incapables de modifier sensiblement leur environnement. La seconde remarque que nous formulons est une conséquence de la première : lorsque les archéologues et les historiens admettent l’ancienneté des premiers défrichements (début du Néolithique, 8000 B.P.) ils les considèrent comme des actions isolées dont les conséquences sur l’équilibre écologique naturel sont négligeables. C’est sans doute pourquoi, avant l’article de B. Frenzel, l’ampleur potentielle des modifications humaines avait été rarement pressentie. Il est vrai que cet auteur n’hésite pas à intituler sa démonstration : « L’homme comme facteur géologique en Europe » (Frenzel 1979).

3.3.3. L’homme comme facteur géologique ?

49Cet article mérite d’être largement exposé en raison de sa portée : dans cette communication, l’auteur remet en cause la validité des hypothèses écologiques concernant le Postglaciaire. Il s’interroge sur les climats : partant de l’observation selon laquelle les zonations climatiques de Blytt et Sernander « ne sont pas, en considérant l’évolution du climat, synchrones dans toute l’Europe », il pense que « les changements climatiques pendant le Postglaciaire n’ont pas été assez puissants pour diriger l’évolution écologique » (Frenzel 1979 : 179) ; il affirme plus loin que « c’est l’homme qui a affecté la végétation par les défrichements brutaux provoquant des changements botaniques susceptibles d’être faussement interprétés comme des conséquences et des variations du climat ». Il conclut enfin : « Nous pouvons constater que les changements climatiques de l’Holocène ont été assez faibles et que l’homme a stimulé ou provoqué des changements susceptibles d’être interprétés faussement comme des conséquences de facteurs naturels » (Frenzel 1979 : 194).

50Tout comme les climats, certaines interprétations géologiques sont remises en question, notamment les blanket bogs d’Ecosse ou d’Irlande, qui sont des tourbières caractéristiques du Postglaciaire. D’après Frenzel, c’est à partir de 5000 B.P. qu’il faut placer leur formation à la suite de déforestations. L’érosion latérale des fleuves tout comme l’extension de la steppe ou la formation de tchernozioms en Europe centrale seraient dues à l’homme. La dernière phrase de l’article de Frenzel est évocatrice : « Je pense que même l’homme primitif a perturbé sérieusement l’équilibre de la Nature, mettant très souvent en cause ses propres conditions de vie. Avons‑nous assez appris pour régler les problèmes de l’avenir ? » (Frenzel 1979 : 199).

51Cette prise de position montre en effet une autre facette de l’homme néolithique. La progression de ces premiers agriculteurs à travers l’Europe y est décrite comme une destruction implacable de la forêt. Ces défrichements intensifs modifièrent radicalement l’équilibre écologique sur de très vastes étendues. On est alors bien loin de l’image de sociétés paysannes misérables qui, impuissantes face au milieu naturel, arrachent à une terre ingrate leur maigre subsistance. Les affirmations de Frenzel sont d’autant plus frappantes qu’encore insaisissables. L’une des conséquences les plus immédiates est la projection dans un passé plus lointain encore d’un homme préhistorique que A. Leroi‑Gourhan décrit ainsi : « L’homme préhistorique évoque mieux qu’aucun autre le temps où le dialogue entre la Nature et la Culture était libre ; il évoque une conquête du milieu naturel que la machine ne faisait pas encore aboutir à l’anéantissement ; une époque où la civilisation naissante laissait aux plantes et aux animaux sauvages une chance de survie et à l’homme sa part d’aventure personnelle » (Leroi‑Gourhan 1982 : 9). L’anéantissement du milieu naturel ne commence pas avec la révolution industrielle ou le Moyen Age : ses premiers symptômes datent de plus de 8000 ans. Le texte de B. Frenzel a une vaste portée, il remet en cause la validité des zonations climatiques des associations végétales jusque‑là communément admises, transformant l’homme en « facteur géologique ».

52En résumé, les rapports de l’homme et de son milieu physique peuvent être très diversement abordés ; les affirmations de B. Frenzel accordent une ampleur jusqu’alors insoupçonnée aux défrichements néolithiques, remettant en cause des connaissances que l’on pensait solidement établies sur le Postglaciaire (et proposant de nouvelles idées qui s’inscrivent assez bien dans le cadre des faits). Délibérement nous ne prendrons pas parti dans ce débat, nous préférons attendre les réponses que donneront les analyses futures confirmant ou modifiant les séduisantes hypothèses de B. Frenzel.

Table des illustrations

Légende ● Flg. 73 – Individualisation de 4 phases de végétation à Unang. A = végétation « prénéolithique » où domine le Genévrier ; B = extension de la chênaie caducifoliée ; C = végétation caractéristique des sols dégradés par l’Homme.
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Légende ● Fig. 74 – Individualisation de 4 phases de végétation à La Poujade (d’après Krauss‑Marguet 1981). A = végétation « prénéolithique » où domine le Genévrier ; B = extension de la chênaie caducifoliée ; C = végétation caractéristique des sols dégradés par l’Homme.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33733/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 36k
Légende ● Fig. 75 – Diagramme anthracologique des principaux taxons identifiés à Coufin 1 et à Coufin 2.
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Légende ● Fig. 76 – Comparaison des résultats schématisés de Coufin 2 et de Balme‑Rousse – a. Aux IIIe‑IVe s. A. C., la buxaie prédomine dans les deux gisements – b. Au Bronze final, le Buis est fortement représenté à Balme‑Rousse ; à Coufin, l’If domine le Chêne – c. au Bronze moyen, la chênaie caducifoliée recouvre les pentes de Balme‑Rousse ; à Coufin elle est fortement associée à l’If et au Genévrier – d. au Néolithique récent, Erable, Chêne et Frêne sont les essences les mieux représentées à Balme‑Rousse ; à Coufin ce sont l’If et le Genévrier.
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Légende ● Fig. 77 – Courbes des Chênes à feuillage caduc à Coufin 2.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33733/img-5.jpg
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Légende ● Fig. 78 – Courbe des Chênes à feuillage caduc aux Sarrasins.
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Légende ● Fig. 79 – Tableau comparatif de l’évolution postglaciaire de la végétation sur les sites de La Poujade (d’après Krauss‑Marguet 1981), Unang, Coufin 1 et 2, Balme‑Rousse et les Sarrasins. Les faisceaux indiquent le début potentiel de l’intervention humaine et son ampleur dans les différents sites.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33733/img-7.jpg
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Légende ● Fig. 80 – Histoire de la végétation des Alpes du Nord depuis le Tardiglaciaire (d’après Wegmüller 1977).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33733/img-8.jpg
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