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L’habitat gaulois de Feurs (Loire)

 | 
Michel Vaginay
, 
Vincent Guichard

4. Conclusions

Texte intégral

4.1. Problèmes chronologiques de l’habitat

1La datation des dernières phases de l’âge du Fer fait actuellement l’objet de débats passionnés dont on retiendra avant tout qu’aucune solution définitive n’a encore l’assentiment de l’ensemble des archéologues. En premier lieu doit être posée une question de méthode. Il paraît assez clair que l’on peut définir pour la fin de l’âge du Fer des horizons chronologiques (fig. 125) caractérisés par l’emploi simultané d’un certain nombre d’éléments mobiliers, dans lesquels peuvent se ranger les séries de la plus grande partie de l’Europe celtique, malgré des particularismes régionaux plus ou moins marqués.

2Mais l’un des problèmes majeurs est de savoir si ces horizons mis en évidence sur divers sites celtiques sont homogènes, c’est‑à‑dire si on peut être sûr de leur coïncidence chronologique dans toutes les régions. Le simple bon sens suggérerait le contraire : si, comme il paraît très plausible, la fibule de Nauheim a été diffusée à partir d’un lieu d’invention unique –Italie du Nord selon Werner (1955), Languedoc selon Feugère (1985)– l’horizon Tène D1 (ou Tène finale 2) devrait débuter dans chaque région avec l’arrivée de cet objet. Il est cependant actuellement impossible de mesurer la vitesse de diffusion d’une série d’objets et, partant, du développement d’un nouvel horizon. Que penser en effet de l’un des arguments développés par Feugère pour justifier l’invention de la fibule de Nauheim en Languedoc ? Situant l’apparition de la fibule de Nauheim vers -120 en Languedoc, il tire en effet argument de la date plus tardive proposée pour son apparition en Champagne –vers ‑80– (Hatt 1977), alors que dans cette dernière région aucun indice précis de chronologie absolue n’est utilisable si ce n’est les mobiliers également présents dans les régions méditerranéennes, et en premier lieu les fibules.

3Hormis ces problèmes purement méthodologiques, les principaux sujets de l’actuelle polémique concernent la datation des monnaies de potin et des céramiques italiques importées en Gaule. Ces deux problèmes intéressent très directement le site de Feurs.

4Pour les monnaies, on retiendra le point de vue des numismates, tout entier fondé sur un postulat de départ concernant l’état de maturité économique de la Gaule au moment de la conquête césarienne, mais dénué de toute base archéologique : l’hypothèse parvient à se vérifier mais à partir d’objets datés à partir d’elle‑même... Sa conséquence principale est de fixer à 58 av. n. è., ou du moins aux années qui précèdent immédiatement le début de la Guerre des Gaules, le terminus post quem de l’émission des monnaies de potin.

5En opposition, l’opinion de « l’archéologue » s’est fait jour plus récemment, essentiellement à partir des travaux sur le site de Bâle (Furger‑Gunti 1976 et 1979). La conclusion de Furger‑Gunti est que l’horizon Tène Di, caractérisé par l’apparition des monnaies de potin et des fibules de Nauheim, s’achève avant le milieu du ier s. av. n. è. Son argument essentiel, indépendamment de critères de datation également sujets à controverses (les importations), est qu’il existe à Bâle une série d’horizons successifs, dont le plus ancien est précisément l’horizon D1. Ces horizons se raccordent à des niveaux bien datés du début de l’époque augustéenne, notamment par comparaison avec le mobilier des camps du limes (horizon 3 supérieur tout entier antérieur à ‑15/‑10). Par ailleurs l’ensemble de la chronologie ne peut être compressé dans la phase ‑60/‑20, compte tenu des bouleversements importants dont témoigne l’ensemble du mobilier. Même en relativisant l’importance de la chronologie de Bâle, du fait de la pauvreté des niveaux d’occupation de la colline de la Cathédrale, il n’en demeure pas moins que l’horizon Tène D2 tel qu’il est défini à Bâle et caractérisé par un mobilier typique comme certaines fibules, peut être effectivement mis en évidence sur d’autres sites (cf. § 3.2.7.2.). Haffner propose par exemple une durée d’une génération pour La Tène D2 (entre ‑50/‑40 et ‑20/‑10) (Haffner 1974). La chronologie relative que nous avons mise en évidence pour Feurs est d’ailleurs parfaitement cohérente avec celle mise au point à Bâle.

6L’autre motif de polémique qui nous intéresse ici se rapporte à la caractérisation des importations italiques du ier s. av. n. è. Selon J.‑P. Morel, la production massive de céramique campanienne A ne dépasserait pas le début du ier s., et en tout état de cause, l’arrêt total de sa production serait antérieur au début du règne d’Auguste. Par ailleurs, l’apogée du commerce des amphores de type Dressel 1A, intimement lié à la diffusion des campaniennes A tardives, se situerait avant le milieu du ier s. A la campanienne A succéderait un bref monopole de la campanienne B, coïncidant avec l’importation massive d’amphores Dressel 1B, et suivi de la disparition totale de la céramique campanienne au moment de l’apparition de la sigillée (entre‑40 et‑20) (cf. en particulier Morel 1985 ; Tchernia 1986 : 320).

7Ce point de vue a été vivement combattu par plusieurs chercheurs du Midi de la France, avec comme argument principal la stratigraphie de Nages, dont quelques caractéristiques pour les phases récentes sont les suivantes :

  • Nages II récent (175 à 100) : campanienne A ; quelques campaniennes B ; Dressel 1A ; oboles, monnaies massaliètes au taureau cornupète ;

  • Nages III ancien (100 à 70) : campanienne A, campanienne B encore marginale ; Dressel 1A ; nombreuses monnaies massaliètes ; 1 potin au long cou ;

  • Nages III moyen (70 à 30) : campanienne A ; quelques campaniennes B et à vernis rouge ; nombreuses monnaies massaliètes ; potins, fibules de Nauheim ;

  • Nages III final (‑30 à + 10) : campanienne A (jusqu’à notre ère) ; campanienne à vernis rouge ; Dressel 1 B ; fibules de Nauheim ; as de Nîmes ; quelques sigillées.

8A ces indications extraites de la publication générale du site (Py 197) il convient d’ajouter quelques éléments complémentaires publiés plus récemment (Dedet 1979) : notamment un dépotoir daté du début du ier s. av. n. è., contenant une fibule de Nauheim et deux fibules à tête couvrante qui sont les seuls indices de chronologie « basse » pour cet ensemble qui pourrait, en suivant le même système chronologique, être daté vers ‑120 (Feugère 1985).

9Les auteurs eux‑mêmes constatent que la succession chronologique qu’ils proposent pour les importations n’est pas cohérente avec les découvertes de Gaule interne, la vallée de la Saône en l’occurrence (Dedet 1979). Les travaux sur Bâle publiés depuis lors ne font que confirmer ce désaccord. Plusieurs arguments peuvent être avancés pour expliquer ces incohérences :

  • l’un des critères de datation est l’assignation de la fibule de Nauheim « surtout à la deuxième moitié du ier s. », ainsi que l’apparition de la monnaie de potin au milieu du siècle ; tout nous porte en fait à penser que cette hypothèse est erronée ;

  • l’importance numérique des importations de campanienne A pendant le iie s. à Nages, sans commune mesure avec le volume des importations ultérieures de campanienne B ou C, et l’usage prolongé dont semble avoir souvent fait l’objet cette catégorie de céramique (cf. à ce sujet Morel 1978: 161) peut donner une image faussée de la répartition par type de la céramique campanienne au ier s., la campanienne A résiduelle « polluant » littéralement tous les horizons de cette époque. C’est du moins le seul moyen d’expliquer la présence de campanienne A dans des horizons manifestement postérieurs er aux productions les plus récentes (dernier quart du i s.), même si l’on admet l’existence d’un courant d’importations propre à la basse vallée du Rhône et pouvant se traduire par une suprématie de la campanienne A au ier s.

10Dans ces conditions, même s’il reste difficile de faire « coller » le faciès forézien avec celui du Languedoc, l’horizon Nages III ancien correspondrait assez bien à la phase 3 de Feurs (campanienne A, Dressel 1A, fibule de Nauheim dès le début de la phase, bracelets en verre lisse de section triangulaire). L’horizon Nages III moyen, marqué par l’apogée de la campanienne B et de ses dérivées et les amphores Dressel 1B, pourrait alors être mis en regard des périodes 2 et 3 de Bessou et des horizons 2 et 3 inférieur de Bâle.

11Il apparaît donc clairement que la phase 3 de Feurs ne peut en aucun cas dépasser le milieu du siècle. Furger‑Gunti appuie également sa datation de La Tène D1 sur la date couramment admise pour la fin de La Tène C2 (vers ‑100), ce qui lui permet, en supposant une durée minimum de l’horizon de l’Usine à Gaz (une trentaine d’années), de situer la fin de La Tène D1 dans le courant du deuxième quart du ier s. (vers ‑70/‑50). Il note cependant que « si l’on plaçait plus tôt cette transition [...], une datation précoce de l’abandon du site [de l’Usine à Gaz] serait à rediscuter. Ainsi, nous touchons au problème de la datation absolue du début de La Tène D, qui ne pourra être résolu ici, mais doit être considéré en même temps que celui de la chronologie de La Tène moyenne. Du pur point de vue des découvertes de Bâle, une datation plus précoce du début de La Tène D, avant ‑100, ne semble pas à exclure » (Furger‑Gunti 1979 : 130, note 329).

12Plusieurs indices, qui paraissent assez fragiles s’ils sont pris isolément, permettent toutefois d’envisager une telle hypothèse, car ils fournissent ensemble des renseignements cohérents :

  • il est actuellement admis que le début de La Tène moyenne est à situer avant le milieu du iiie s. (notamment Kruta 1979), ce qui oblige du même coup à vieillir la fin de cette phase ;

  • un ensemble de céramiques, possédant toutes les caractéristiques de celles de La Tène finale (céramique peinte notamment) vient d’être daté par dendrochronologie du milieu du iie s. sur le site d’Yverdon en Suisse (Curdy 1985) ;

  • le dépôt de Lauterach contenait, associés à la paire de fibules bien connue dont la technologie apparaît à La Tène D1, 24 deniers dont les dernières émissions sont datées de 117‑116 (Kramer 1971) ;

  • une fibule provenant des fossés d’Alésia est d’un type caractéristique de La Tène D2 (Furger‑Gunti 1979 : 12) ; il est peut‑être hasardeux de prendre en compte un tel objet dont la provenance exacte est mal assurée ; notons cependant que toute la chronologie des monnaies gauloises du ier s. est fondée sur les découvertes provenant du même site...

  • des fibules de Nauheim et à tête couvrante proviennent, à Nages, de contextes datables très probablement d’avant la fin du iie s. ; nous resterons cependant prudent à l’égard de l’opinion de M. Feugère qui, à partir de la même découverte, situe l’apparition de la fibule à tête couvrante vers ‑150.

13Ces divers arguments, s’ils ne permettent pas de conclure définitivement, autorisent à avancer des fourchettes chronologiques probables pour les différentes phases de La Tène finale, en tenant compte en particulier de la « compressibilité » limitée d’horizons bien définis. Nous pouvons donc nous en tenir pour la fin de La Tène finale 2, telle que nous l’avons caractérisée à Feurs, à une datation assez nettement antérieure au milieu du i s. La date de ‑70, proposée pour la fin de Nages III ancien, pourrait fournir pour le moment une limite convenable. Compte tenu des évidences concernant l’apparition de la fibule de Nauheim avant la fin du iie s. et de l’absence d’arguments conduisant à retarder son adoption en Gaule non méditerranéenne, le début de La Tène finale 2 doit être situé dans la fourchette ‑120/‑100. La Tène finale 1 est donc sûrement tout entière comprise dans le iie s. Si nous octroyons l’espace d’une génération à chacune des deux premières phases de Feurs (la phase 2 pourrait être plus courte que la phase 1 caractérisée par deux ensembles qui ne paraissent pas strictement contemporains), le début de la phase 1 de Feurs serait à situer vers le milieu du iie s. (1).

14Ces hypothèses de datation absolue, qui devront forcément être précisées et ajustées par des travaux ultérieurs, conduisent, à partir de la chronologie relative présentée précédemment, au schéma illustré par la fig. 153.

Fig. 153 – Chronologie absolue : correspondance entre les phases de Feurs et les périodes de Roanne.

15Quoi qu’il en soit, il convient de ne pas négliger le fait que la chronologie absolue ainsi proposée pour les quatre phases de la chronologie relative de Feurs (fig. 153) se heurte au point de vue des numismates et remet en question un certain nombre de points importants considérés comme acquis.

16Tout d’abord, le statère no 2 se trouve dans un contexte (phase 1 : 160‑120 av. n. è.) très nettement antérieur à la datation proposée par B. Fischer pour ce type de monnaies : émission peu antérieure à la Guerre des Gaules (Fischer 1982). Même si la position stratigraphique de cette monnaie découverte dans le premier niveau de la phase la plus ancienne du remplissage de la fosse ne permet pas d’exclure totalement son appartenance éventuelle aux niveaux supérieurs de cette même fosse (fosse 1S), le décalage chronologique entre les datations archéologique et numismatique se trouve réduit mais subsiste, puisque la fosse 1 S semble bien attribuable à la phase 2 (avant la fin du iie s.).

17Par ailleurs, c’est la datation traditionnelle des potins, et en particulier des potins « à la grosse tête » présents dans les fouilles d’Alésia (Colbert de Beaulieu 1955 : 73, no 175) mais dont l’émission ne peut être de beaucoup antérieure à la Guerre des Gaules (Colbert de Beaulieu 1973b), qui est contredite par la chronologie adoptée à Feurs. La datation proposée conduit en effet à placer des potins « à la grosse tête » et « au long cou » dans des contextes du début du ier s. av. n. è. (phase 3 : potins nos 24, 25, 27, 28 et 30). Il convient à ce propos de rappeler la cohérence de la chronologie de Feurs par rapport à celle du site de Bâle où des potins se trouvent aussi dans des contextes situés nettement avant le milieu du siècle. De même, un potin au long cou est présent dans une couche de Nages située dans l’horizon III ancien (Py 1978: 307), que nous mettons en parallèle avec la phase 3 de Feurs.

18Enfin, plus largement, c’est toute la notion de « circulation secondaire » expliquant la présence de monnaies étrangères sur un site qui est remise en question. Les oboles massaliètes, par exemple, sont, avec les potins « à la grosse tête » et une vingtaine d’autres types de monnaies gauloises, les principales monnaies « errantes » amenées par les bouleversements de la guerre (Colbert de Beaulieu 1973a : 356 sq.). Or, les oboles trouvées à Feurs en stratigraphie sont issues de milieux nettement antérieurs à la Guerre des Gaules. Les exemplaires nos 11 et 12 proviennent de fosses de la phase 2, les nos 14 et 15 d’une fosse de la phase 3. Seule l’obole no 13 provient d’un fossé daté de la phase 4, mais ayant recoupé des structures plus anciennes. Sans doute les oboles nos 11 et 12 trouvées dans des contextes de la phase 2 ne sont que des imitations, peut‑être locales, des oboles massaliètes, mais elles supposent la circulation à une date ancienne du prototype, ce qui contredit donc la règle du cloisonnement des monnayages énoncée par J.‑B. Colbert de Beaulieu pour les périodes antérieures à la Guerre des Gaules. D’autre part, si à Feurs les potins « à la grosse tête » peuvent être considérés comme des monnaies locales ou régionales, les potins « au long cou » par contre, d’origine méridionale probable, auraient dû être amenés sur le site par la « circulation secondaire » ; or cette hypothèse se trouve contredite par la position stratigraphique du potin no 30 (Feurs 3 : 100‑70 av. n. è).

19Malgré ces divergences entre nos conclusions et celles des numismates, et même si les datations que nous proposons pour les différentes phase d’occupation de Feurs sont susceptibles de réajustements, nous nous refusons à situer la fin de la phase 3 au‑delà du milieu du ier s.

20Ainsi, quelles que soient les hésitations actuelles sur la chronologie de la fin de La Tène, un des intérêts du site de Feurs est de mettre clairement en évidence plusieurs horizons chronologiques successifs, ayant chacun une dimension temporelle indéniable. Jusqu’à présent, en effet, dans les régions de Gaule interne relativement peu éloignées du Massif central, aucune publication n’a pu développer cette démarche : à Bâle l’horizon « pré‑Nauheim » n’a pas été mis en évidence, à Aulnat et Levroux aucune étude de synthèse n’a encore vu le jour. La mise en lumière de ces horizons entraîne la nécessité d’au moins doubler les fourchettes chronologiques couramment admises pour divers mobiliers, en particulier certains types de céramique, pour toute une partie de la Gaule.

21Mais malgré cette évolution, l’impression qui domine est celle d’une grande homogénéité culturelle sur l’ensemble des trois phases définies ; c’est d’ailleurs précisément cette homogénéité qui est en partie responsable de la « compression chronologique » effectuée jusqu’à présent sur les mobiliers, faute d’avoir pu étudier des ensembles clos s’enchaînant sur une période assez longue. Les effets de cette homogénéité sur l’établissement de la chronologie sont en effet nettement perceptibles dans plusieurs publications où l’horizon « pré‑Nauheim » –aussi bien défini qu’à Feurs– a été baptisé « horizon Tène finale ancienne » (cf. en particulier : Hatt 1977 ; Polenz 1971). La chronologie que nous proposons à partir de Feurs va cependant dans le sens de nombreuses observations récentes. Nous avons déjà cité la datation dendrochronologique récemment obtenue à Yverdon sur un ensemble de céramiques (Curdy 1985) dont la technologie est tout à fait « Tène finale » au sens où on l’entend habituellement. De même O. Buchsenschutz note que la « chronologie traditionnelle fondée sur des fouilles dont la stratigraphie n’est pas assurée, comme Pommiers, le mont Beuvray ou les anciennes fouilles d’Alise‑Sainte‑Reine, tasse nécessairement les datations autour de la guerre. Elle devrait à notre avis se déployer vers le haut, au fur et à mesure que seront exploités des ensembles où tout le mobilier sera pris en compte, en quantité comme en qualité. Et c’est en partant de ces habitats dits "de La Tène finale" que nous pourrons combler le vide apparent de La Tène moyenne qui coupe l’évolution du second âge du Fer de nombreuses régions » (Buchsenschutz 1981 : 336).

4.2. Questions économiques et culturelles

4.2.1. Les échanges commerciaux

22Les données de la chronologie exposées ci‑dessus permettent de dégager quelques indices d’une évolution économique du site de Feurs.

4.2.1.1. La céramique

23Pendant les deux premières phases de l’occupation du site les importations de céramique sont rares. Les amphores, en particulier, sont presque absentes : absence totale dans la fosse de Goincet (Vaginay 1984), et moins d’une quinzaine de fragments de panses dans les fosses 1, 2 et 3 de Feurs. Pourtant, dans des contextes chronologiquement proches à Roanne et Amplepuis, les amphores gréco‑italiques sont présentes. L’essentiel des importations est constitué de céramique campanienne, de céramique à pâte claire (olpés) et de céramique grise catalane ; et encore ne s’agit‑il que de quelques unités au maximum par ensemble.

24Pendant la phase 3, les amphores Dressel 1BA sont présentes systématiquement, quoique dans des proportions nettement plus faibles que les Dressel 1 B durant la phase suivante (cf. Roanne : Aulas 1983). Pendant cette phase la campanienne –A presque exclusivement– se maintient, mais la céramique grise catalane semble disparaître (un seul tesson dans la fosse 4). Il convient cependant de considérer ces observations avec toutes les réserves nécessaires, dues à la très faible représentation de ce type de céramique.

25Il serait tentant de voir dans ce basculement entre les phases 2 et 3 le témoignage d’une certaine ouverture du Forez sur la vallée du Rhône et le commerce marseillais. Amplepuis, et Roanne dans une moindre mesure, semblent reliés à la vallée du Rhône par un itinéraire différent de celui de Feurs.

26Enfin, la présence à Feurs de céramique grise catalane à une date ancienne peut indiquer l’existence d’un itinéraire commercial à travers le Massif central. Ce type de céramique a d’ailleurs été déjà remarqué en territoire arverne (Périchon 1978) et se retrouve à Roanne. Cet itinéraire semble éviter soigneusement le domaine sous contrôle marseillais. B. Dedet note d’ailleurs, à propos du Languedoc oriental, que Marseille « constitue un repoussoir pour les importations du monde ibéro‑punique toujours très rares sur les sites du Languedoc oriental, et pour les influences venues de Gaule chevelue » (Dedet 1976 : 36). Il est frappant, de ce point de vue, de constater que les importations de céramique grise catalane ne sont guère plus nombreuses à Nages (Py 197) qu’à Feurs. Pour ce qui est de la chronologie de la commercialisation de ces productions en Gaule centrale, on peut suggérer, à la lumière des découvertes foréziennes, qu’elle ne commence guère qu’après 150 environ et atteint son apogée vers 120. Cette remarque rejoint un peu, sans la confirmer pleinement, l’observation de C. Aranegui selon laquelle l’exportation des jarritas grises ampuritaines semble se développer, vers l’Italie et la Bétique en tout cas, après la fin du iie s. (Aranegui, à paraître). Cette concentration des exportations après le milieu du iie s. contribue à expliquer (mais ce n’est pas la seule raison) que les céramiques grises ampuritaines soient proportionnellement plus abondantes à Feurs qu’à Carthage.

27Hormis ces quelques observations concernant les importations d’origine méditerranéenne, il reste difficile d’apprécier le problème des échanges commerciaux au travers de l’ensemble de la céramique indigène. Les travaux en cours à partir de la céramique peinte à décor zoomorphe tendraient cependant à montrer que chaque site assurait l’essentiel de ses besoins (du moins pour Feurs, Roanne et Goincet) et que les céramiques, même dans le cas de productions aussi spécifiques que la céramique peinte, ne faisaient pas l’objet d’une diffusion très large. Mais il conviendrait de pousser plus avant les recherches dans ce sens afin de vérifier ces hypothèses.

28Le seul élément que l’on puisse mentionner à propos de la céramique indigène concerne les « urnes de type Besançon ». Il est en effet troublant de constater que ce type de production n’est présent à Feurs que par un tesson et semble pratiquement absent du site de Goincet, alors que sur les sites de la région roannaise il est abondamment représenté dans des horizons contemporains de ceux de Feurs : dans des contextes équivalents à la phase 2 de Feurs ce type de céramique atteint à Roanne 5 % de l’ensemble des céramiques indigènes. Cette disproportion entre les deux régions (Roannais/Forez) traduit vraisemblablement un problème commercial qu’il reste difficile d’appréhender en l’absence d’étude systématique de la diffusion de ces céramiques à partir des centres de production qui pourraient bien être en majorité localisés dans le Morvan (rens. oral P. Tyers).

4.2.1.2. La circulation monétaire

29La présence à Feurs de nombreuses oboles massaliètes et de monnaies s’alignant sur leur métrologie (c’est le type le plus fréquent sur le site avec 2 exemplaires dont 13 identifiés), dont certaines sont antérieures à la fin du iie s., suggérerait, malgré la faible quantité d’importations méditerranéennes avant la phase 3, que des relations commerciales avec Marseille existaient déjà à cette époque. La présence parmi ces oboles d’imitations dans un style purement celtique montre qu’au moins régionalement, les peuples de Gaule interne avaient choisi d’aligner leurs monnaies sur celles de Marseille. Mais dans ces conditions on peut se demander si les oboles arrivées à Feurs à une date ancienne ne peuvent pas être le résultat d’une circulation secondaire et de transactions entre peuples de Gaule interne seulement.

30l’apparition des monnaies de potin semble devoir être située entre les phases 2 et 3. les monnaies « à la grosse tête et au taureau cornupète » (potins type BN 536), abondantes dans le domaine éduo‑séquane, ne se rencontrent que de manière très sporadique en territoire arverne. A Aulnat par exemple, sur 16 monnaies publiées, seulement 2 appartiennent à ce type (Nash 1983). De même à Gergovie sur les très nombreuses découvertes recensées par D. Nash, ce type de potin n’apparaît jamais (Nash 1978: 12 ‑ 129). A Clermont‑Ferrand encore, sur une trentaine de monnaies seul un potin « à tête à double bandeau au droit » est mentionné. Ces données tranchent très nettement avec celles obtenues sur tous les sites ségusiaves où les potins à la grosse tête sont prépondérants : plus du quart des monnaies identifiables à Feurs, près de la moitié de celles de Roanne (Gentric 1985). Dans cette optique, l’apparition des potins à Feurs pourrait donc être le plus ancien témoignage tangible d’un éventuel rapprochement des Ségusiaves avec les Eduens. Jusqu’à présent cette réalité historique mentionnée par César (B.G., VII, 64) n’avait pu être cernée pour des époques antérieures à la conquête césarienne. Il faut aussi noter que les relations avec la vallée du Rhône (importation d’amphores) semblent s’intensifier au même moment.

31Parallèlement à ce fait, il convient de souligner les fortes affinités culturelles que semblent avoir les Ségusiaves avec les Arvernes ; c’est du moins ce que suggèrent les vestiges de la culture matérielle et en particulier la céramique indigène : céramique peinte à décor zoomorphe, décors estampés... Ces affinités doivent cependant être considérées avec beaucoup de réserves dans la mesure où notre documentation sur le pays éduen reste très lacunaire.

32Quelle que soit l’époque exacte de l’apparition des monnaies de potin, on peut donc se demander quelle réalité économique ou politique traduit ce phénomène. S’agit‑il de la généralisation de la frappe monétaire dans des régions jusqu’ici sous tutelle arverne (l’importance politique de ce peuple jusqu’à la fin du iie s. semble indéniable), comme nous l’avons suggéré précédemment 7 Cette explication ne pourrait toutefois valoir au‑delà du cadre régional. Ou bien ce phénomène traduit‑il le besoin d’un numéraire de faible valeur pour satisfaire à une économie d’échange plus structurée, à un moment où, par ailleurs, les relations commerciales avec la Méditerranée occidentale deviennent régulières 7 Mais les oboles de Marseille –numéraire de faible valeur comme les potins– sont, à Feurs, aussi nombreuses que ceux‑ci et leur mise en circulation a toutes les chances d’être plus ancienne. On peut donc se demander si l’état de maturité économique dont témoigne l’utilisation des monnaies de potin et qui se traduit par un usage courant de la monnaie, même pour des échanges locaux et quotidiens –état qui n’aurait pu être atteint avant l’époque de la conquête césarienne selon Colbert de Beaulieu– n’est pas en fait antérieur à l’apparition des potins. Si l’on ne peut encore apporter de réponse satisfaisante à ce problème important, on ne peut qu’espérer que ces monnaies de faible valeur que sont les oboles et les potins feront rapidement l’objet d’études détaillées.

4.2.2. Évolution de l’habitat

33La datation de l’habitat gaulois de Feurs ainsi que sa nature permettent de poser le problème du rôle respectif des oppida et des agglomérations de plaine dans la cité. le cas de Feurs n’est pas isolé puisque Goincet et Roanne présentent à peu près les mêmes caractéristiques : habitat implanté au iie s. (avec des indices d’une occupation laténienne plus ancienne pour Roanne et Feurs), superficie inférieure à 10 ha, localisation sur un axe de circulation, choix identique des conditions topographiques, présence attestée d’un artisanat spécialisé (métallurgie du fer et du bronze, four de potier à Goincet, moule à flan monétaire à Roanne).

34Malheureusement la chronologie et la nature de l’occupation des oppida du pays ségusiave sont totalement inconnues, mis à part quelques éléments tardifs (2e moitié du ier s.), de sorte qu’aucune comparaison précise n’est possible. Toutefois il paraît vraisemblable que le schéma classique de l’oppidum pris comme noyau d’urbanisation au début de La Tène finale, centre commercial et artisanal, lieu du pouvoir politique, doit être très nuancé. Nous suivons dans cette voie J. Collis (1984). En effet, hormis la fonction défensive et le caractère hypothétique de chef‑lieu politique, tous les caractères propres aux oppida se retrouvent dans les agglomérations de plaine précitées, avec en plus l’assurance d’une origine ancienne de l’occupation que l’on ne peut encore prouver pour aucun des oppida de Gaule interne.

35On ne peut que constater, sinon la préexistence des agglomérations de plaine, du moins leur mise en place parallèle à celle des oppida Par ailleurs, l’importance assez comparable des agglomérations de plaine, leur relatif éloignement (si ce n’est Feurs et Goincet, mais ils sont situés de part et d’autre de la Loire) suggèrent qu’il peut s’agir de petits chefs‑lieux (de pagi ?). Si la même fonction est assignée aux oppida un schéma cohérent se dessine pour l’ensemble du Forez et du Roannais, avec une distance d’agglomération à agglomération de l’ordre d’une vingtaine de kilomètres. Quoi qu’il en soit il est impossible d’appliquer aux habitats ségusiaves le schéma déterminé par J. Collis à partir des sites de Bâle, Breisach, Levroux et Aulnat : l’alternance entre l’occupation des sites de plaine (jusqu’à la conquête et à partir de l’époque augustéenne) et celle des sites de hauteur fortifiés (pendant la période intermédiaire). Les trois sites de plaine du département de la Loire restent occupés pendant la deuxième moitié du ier s. av. n. è., malgré l’existence des oppida

4.2.3. La romanisation

36Vers le milieu du ier s. av. n. è. les trois secteurs fouillés de 1978 à 1981, et qui font l’objet de la présente publication, semblent pratiquement désertés. Ce fait suggère très vraisemblablement, non pas un abandon du site puisque l’essentiel des tombes de la nécropole fouillée en 1984 se situe après le milieu du ier s., mais un déplacement de l’habitat. Il est peu probable aussi qu’il s’agisse d’une simple réduction de l’agglomération antérieure, dans la mesure où pratiquement aucun des points qui ont livré des vestiges gaulois n’a livré de vestiges postérieurs au milieu du siècle.

37Le secteur abandonné correspond à l’emplacement du forum et à sa périphérie immédiate, dont la construction est entreprise dans la première décennie de notre ère. Qui plus est les recherches en cours sur la ville gallo‑romaine montrent clairement que le forum est au cœur de la trame urbaine antique. Il serait donc tentant d’établir un lien entre les deux phénomènes, qui tiendrait à la définition précoce de l’aire sacrée du forum. Un argument pourrait aller dans ce sens : le chantier 3 a livré deux fossés au remplissage plus récent que l’ensemble des autres structures gauloises mais ne dépassant pas le début du règne d’Auguste, et dont l’orientation est exactement celle des axes de la future trame urbaine gallo‑romaine (fig. 21, fossés nos 1 et 2). Simple coïncidence ou indice d’une réalité historique..., nous nous garderons bien de conclure ; mais le fait nous paraissait mériter d’être signalé.

38(1) Depuis la rédaction de ce volume en août 1986, nous avons pris connaissance d’une importante étude d’A. Miron sur la nécropole d’Horath, située dans la vallée de la Moselle (Miron 19 6). L’auteur y reconsidère notamment en détail la chronologie des phases récentes de La Tène dans les régions avoisinantes. Il nous paraît intéressant de présenter ici brièvement, en complément aux développements précédents, le découpage chronologique qu’il propose pour la période qui va de la fin de la culture du Hunsrück‑Heifel (fin de La Tène 2) à la fin de La Tène D2.

39L’originalité de ce découpage tient à la distinction de deux stades successifs dans La Tène D1 (désignés par D1 a et D1 b), qui serait manifeste dans le cas des nécropoles de Wederath et Horath. Le début de la phase D1 serait particulièrement sensible dans l’évolution de la céramique, tandis que le passage au stade D1 b, moins nettement marqué de ce point de vue, verrait surtout l’apparition des fibules de Nauheim et des bracelets tubulaires en tôle de bronze (Miron 1986 : 139, 149). Les types de fibules caractérisant la première période (D1 a) seraient notamment les fibules de type Tène II à ressort long (Miron 1986 : 149), comme l’illustrent bien les ensembles de Wederath, et peut‑être déjà des fibules filiformes de schéma Tène finale (Horath, tombe 11). Cette définition d’une phase antérieure à l’apparition de la fibule de Nauheim, mais culturellement rattachable à La Tène finale, va tout à fait dans le sens de la chronologie relative que nous proposons.

40A la différence du cas forézien, A. Miron peut s’appuyer sur une évolution continue des mobiliers depuis le début de La Tène moyenne. Il considère que l’on doit, pour cette période, conserver la césure classique en Tène C1 et Tène C2, même si la région qu’il prend en compte n’a fourni que très peu d’ensembles vraiment représentatifs de ces deux phases. Il remarque cependant que la définition qu’il donne de La Tène

41D1 a recouvre en partie La Tène C2 telle que la définit Polenz (1971), alors que les ensembles d’Horath qu’il place à La Tène C2 appartiennent à un horizon qu’Haffner avait classé à la transition C1/C2. Ces considérations montrent en tout cas qu’il reste des incertitudes quant à l’évolution des mobiliers au cours de La Tène moyenne, problème qui n’est évidemment pas spécifique à la région étudiée par l’auteur.

42Les datations qu’il propose résultent d’une interpolation entre la limite de ‑250 pour la fin de La Tène 2 argumentée entre autres par quelques dates dendrochronologiques (Haffner 1979), et ‑20 qui correspond à la fin de La Tène D2, qui est cernée avec une certaine précision (Haffner 1974). Le schéma proposé est donc : Tène C1 de ‑250 à ‑190, Tène C2 de ‑190 à‑130, Tène D1 de‑130 à‑60 (découpée en deux phases) et enfin Tène D2 de ‑60 à ‑20.

43Le début de La Tène D2 est situé plus haut que ne l’avait fait Haffner (Haffner 1974 : 69) à cause du grand nombre de tombes situables à cette période à Wederath, ce qui autorise A. Miron à penser que la phase est plus longue que ne l’avait estimé Haffner.

44Si l’on ne peut raccorder directement la chronologie que nous proposons à celle d’A. Miron –notamment à cause de l’ambiguïté qui subsiste dans les deux régions quant aux modalités du passage de La Tène moyenne à La Tène finale, on conviendra que les deux systèmes présentent de fortes analogies.

45En dernier lieu, nous voudrions souligner que les datations proposées par A. Miron, bien que ne prenant pas en compte l’apport essentiel des stratigraphies du sud de la France (celles de Nages en particulier) pour la chronologie des phases récentes du second âge du Fer, conduisent malgré tout à dater l’apparition de la fibule de Nauheim des environs de 100 av. n. è... (Lyon, décembre 1987).

Table des illustrations

Légende Fig. 153 – Chronologie absolue : correspondance entre les phases de Feurs et les périodes de Roanne.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33618/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 17k

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