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La terre sigillée gallo-romaine

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Colette Bémont
, 
Jean-Paul Jacob

Les ateliers du sud de la France

Groupe de La Graufesenque

Alain Vernhet, Bernard Hofmann, Michel Thuault, Pierre‑Yves Genty, Fanette Laubenheimer et Louis Albagnac

Texte intégral

Centre de production de Millau atelier de La Graufesenque

1Dans le département de l’Aveyron, arrondissement et canton de Millau, le lieu‑dit La Graufesenque se trouve à 2 km au sud de l’actuelle agglomération de Millau, près du confluent du Tarn et de la Dourbie, à une altitude de 365 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

2Le gisement archéologique est signalé depuis le début du xixe. Les premières fouilles ont été réalisées entre 1862 et 1885 (abbés Malzac et Cérès), de 1901 à 1906 (abbé F. Hermet) et de 1950 à 1954 (L. Balsan). De 1965 à 1981, dix‑sept campagnes de fouilles programmées ont permis d’explorer environ 4 000 m2 d’ateliers de potiers, d’habitats et de lieux de culte. Dans les ateliers, le voisinage des fours a livré en abondance des rebuts de fabrication, des outils et des moules. La zone archéologique a été reconnue sur une dizaine d’hectares, par prospection systématique au sol (observations de surface et sondages de contrôle), par prospection aérienne dans la partie occidentale du site (repérage d’un grand édifice en forme de théâtre) et par prospection géomagnétique sur 1 ha. Le gisement a été partiellement détruit par les inondations de la Dourbie, par les travaux agricoles et par quelques constructions récentes. Toutes les fouilles antérieures à 1973 ont été remblayées. Le secteur fouillé entre 1973 et 1981 a été restauré et aménagé pour la visite. L’ensemble du site n’est protégé que par une inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, mais une surface de 1,5 ha a été achetée par l’État.

■ Contexte historico‑géographique

3La question de la limite nord de la Narbonnaise reste mal résolue dans ce secteur : plusieurs géographes de la Gaule, depuis le xixe s., situent cette limite sur la vallée du Tarn, si bien que les ateliers de La Graufesenque, en rive sud de la rivière, auraient appartenu à la Narbonnaise et non à l’Aquitaine. Sans preuve épigraphique formelle, on préfère aujourd’hui reporter cette limite à une quarantaine de kilomètres au sud de Millau. On considère donc que les ateliers de La Graufesenque relevaient de l’Aquitaine 1ère, dans la ciuitas des Rutènes, dont le chef‑lieu était Segodunum (Rodez), simple cité pérégrine à 60 km au nord‑ouest de Millau. Quant aux ateliers eux‑mêmes, ils étaient intégrés à un vicus en partie reconnu par la fouille et attesté par la table de Peutinger sous le nom de Condatomagus, « le marché du confluent ».

4Une voie importante reliait Rodez (Segodunum) à Saint‑Thibéry (Cessera), par Millau (Condatomagus) et Lodève (Luteua). Cette voie traversait le Tarn à Millau grâce à un pont de pierre. Il est probable que, de Millau, deux autres voies permettaient un accès direct vers Nîmes au sud‑est et vers Banassac au nord. Les Cévennes voisines constituaient un obstacle aux communications vers l’est. Au contraire, le causse du Larzac était un passage privilégié vers le sud.

5La matière première nécessaire aux potiers était abondante et facile d’accès. L’argile provient de la décomposition naturelle des marnes du Domérien (Jurassique inférieur). Très plastique, homogène, elle contient 10 à 12 % de calcaire. Les gisements sont à proximité immédiate des ateliers (moins de 500 m). Aucune adjonction de dégraissant n’est nécessaire pour la fabrication des céramiques sigillées. Pour certaines céramiques communes, on observe un dégraissant de quartz ou de mica provenant des alluvions cévenoles de la Dourbie. L’eau utilisée par les potiers était canalisée depuis la Dourbie ou quelques sources du versant nord du Larzac (Font‑Vive), ou bien puisée à la nappe phréatique (trois puits fouillés ont 6 à 8 mètres de profondeur). Les potiers brûlaient essentiellement dans leurs fours du bois de pin sylvestre débité dans les forêts des Causses et transporté jusqu’à Millau par schlittage et flottage. L’aire d’approvisionnement en bois de chauffe couvrait une surface de 500 à 700 km2 en amont des ateliers.

6La datation des productions de La Graufesenque s’effectue surtout par référence à des sites consommateurs comme Pompéi ou les camps et fortins du limes. Elle est parfois complétée par référence aux productions d’autres ateliers (Arezzo pour les premières séries, Lezoux pour les dernières). Il arrive aussi que les décors des céramiques apportent leur propre datation : c’est le cas des vases à légendes historiques rappelant le triomphe de Trajan sur les Daces et les Parthes. Enfin, la richesse des dépôts stratifiés dans les ateliers et la variété de leur mobilier permettent constamment de vérifier les chronologies relatives ou absolues. Ces ateliers ont dû fonctionner entre 10 avant et 250 après J.‑C., avec une importance particulière entre 20 et 120 après J.‑C. Aucune relation directe entre la vie ou le déclin des ateliers et certaines périodes de crise de l’histoire de la Gaule.

7Aucun texte antique ne mentionne des fabricants ou des négociants en céramique rutènes. On ne connaît pas non plus de séjours de troupes romaines dans la région, en dehors de la Guerre des Gaules. Strabon (4,2,2) est le seul à mentionner une activité économique régionale : l’extraction du minerai d’argent, vraisemblablement dans l’ouest du département de l’Aveyron (Ville‑franche‑de‑Rouergue).

8L’archéologie révèle deux autres activités artisanales particulières : sur le site même de La Graufesenque, une petite métallurgie du fer et du cuivre ou du bronze ; à proximité, sur les Causses, de nombreuses installations d’extraction de résine de pin (activité complémentaire de l’abattage du bois de chauffe pour les potiers).

■ Activité céramique

9Les premières productions céramiques sur le site de La Graufesenque datent des deux dernières décennies avant notre ère. Ce sont d’assez grossières imitations de formes italiques (campaniennes ou arétines précoces), associées à des productions de céramique commune. Lorsque la production des céramiques sigillées se développe (surtout entre 20 et 120 ap. J.‑C.), elle tend à faire presque entièrement disparaître la production locale des céramiques communes. On observe malgré tout de la vaisselle culinaire grise ou noire, des cruches ou urnes à décor peint sur fond blanc et une constante production secondaire de vases à parois fines. Après 120, le déclin de la production des céramiques sigillées s’accompagne d’un nouvel essor de la production des céramiques communes à pâte orangée ou à pâte craquelée bleutée. L’importance relative de la sigillée par rapport aux autres produits n’a pas été chiffrée. Dans le temps, l’une paraît inversement proportionnelle à l’autre.

10Les ateliers de La Graufesenque ne sont, à l’origine, qu’un jalon gaulois dans l’essaimage technologique des ateliers italiques. Ils prennent ensuite une importance particulière et essaiment à leur tour (Aspiran, Le Rozier, Banassac,...). La dépendance technologique initiale, la dette italique, se révèlent dans les formes scrupuleusement imitées, dans les décors (scènes de chasse à l’ours de M. Perennius,…) et dans les estampilles (Atei, Perenni A., Rutenos fec(it) aretinum). L’essaimage secondaire se manifeste par la présence de moules de La Graufesenque (pâtes analysées) à Aspiran, Montans et au Rozier, et par de très nombreux transferts de poinçons.

11Pour mesurer l’importance des transferts de poinçons, de vases ou de moules, il est absolument indispensable de pouvoir reconnaître les particularités physico‑chimiques des pâtes utilisées. Pour La Graufesenque, des analyses ont été réalisées par le laboratoire de l’URA no 3 (Lyon, M. Picon), par l’Institut für Anorganische und Analytische Chemie (Berlin, B. Hoffmann) et par le Laboratoire de recherche des Musées de France. D’autres analyses (thermoluminescence, activation neutronique) ont encore peu abouti. L’homogénéité remarquable des argiles utilisées a permis de définir des pourcentages caractéristiques pour les principaux composants (CaO : 10,9 %; Fe2O3 : 5,93 % ; TiO2 : 1,06 %; K2O : 3,71 %; SiO2 : 52,66 % ; A2,O3 : 22,4 % ; MgO : 2,30 %).

■ Définition archéologique du matériel sigillé (fig. 1 à 5)

12La pâte de La Graufesenque est fine, dure, de couleur beige‑rosé, avec de fines particules de calcaire blanc. La couverte est rouge corail, semi vitrifiée, très adhérente.

• 1. La Graufesenque. Formes décorées.

• 2. La Graufesenque. Formes lisses.

• 3. La Graufesenque. Les « services » flaviens.

• 4. La Graufesenque. Principaux modes de composition des motifs décoratifs.

• 5. La Graufesenque. Exemples de décors sur les types les plus courants.

13Les marques des potiers sont estampillées ou manuscrites. Estampillées, elles se trouvent soit à l’intérieur et au centre des vases lisses ou des coupes décorées Drag. 29, soit à l’extérieur des vases décorés (elles sont alors obtenues par impression dans le décor ou sous le décor des moules). Ces estampilles sont plus ou moins soignées et assez souvent anépigraphes à partir des Flaviens. Le cartouche est presque toujours rectangulaire, mais on observe des fantaisies : à queues d’aronde, en cercle, en croissant de lune, sur deux lignes (surtout dans les premières séries d’influence italique). Manuscrites, les signatures se trouvent à l’extérieur des vases décorés (elles sont alors obtenues par inscription dans le décor ou sous le décor des moules, avant ou après leur cuisson) et très rarement sur des vases lisses, avant leur cuisson.

14La vaisselle lisse comprend une quarantaine de types principaux, parmi lesquels on distingue des formes de tradition italique et des formes nouvelles, créées en Gaule. Aux premières correspondent, par exemple, les assiettes, plats et bols Drag. 17 et 19, Halt. 7 et Rit. 5 (service I et II de Loeschcke à Haltern), les assiettes et plats Drag. 15/17 ou Ritt. 1, les tasses Halt. 14 et les gobelets Halt. 16. Les formes nouvelles sont créées surtout à partir des années 60 ou 70. Ainsi, sous les Flaviens, on fabrique six services complets, comprenant chacun un type de bol, de coupe, de coupelle et de petit plateau à piédestal creux (fig. 3). C’est l’époque où se développe la mode de simples feuilles à la barbotine décorant lèvres ou panses (Drag. 35/36, Ritt. 14, Curle 11, Hermet 90.5). Les estampilles de La Graufesenque donnent les noms de 450 potiers environ. Leur liste plus ou moins complète a été publiée par F. Hermet (1934), F. Oswald (1931) et moi‑même (1975, 1976, 1977). Certains vases lisses portent régulièrement une estampille interne, d’autres n’en ont jamais. Dans la première catégorie, on trouve les formes Drag. 2/21, 15/17, 16, 17, 18, 19, 24/25, 27, 33, Ritt. 1, 5, 8, 9 et Halt. 7. Dans la deuxième, les formes Drag. 4/22, 35/36 (sauf exceptions), 51, Hermet 2/12c, 18, 19, 23, 24, 25, 31, 33, 90, Halt. 14, 16, Ritt. 12, 14, Curle 11.

15La vaisselle décorée ne comprend qu’une vingtaine de types principaux qui se distinguent très vite, par leur forme et leur décoration, des modèles italiens. Les trois formes principales sont les coupes carénées Drag. 29, les coupes cylindriques Drag. 30 et — après 60 — les coupes hémisphériques Drag. 37. Plus rares sont les Drag. 11, Hermet 7 et 15, Déchelette 63 et 67 ou les Knorr 78. La technique de décoration est presque exclusivement celle du moulage du vase dans une forme creuse préalablement décorée par impression de poinçons divers. On obtient ainsi, en dépouille, des vases ornés à l’extérieur de motifs en léger relief. La technique du relief d’applique n’est utilisée que dans des cas rarissimes. Parmi 2 000 motifs différents, on distingue des personnages (divinités, gladiateurs...), des animaux et une grande variété de végétaux. On a pu regrouper une vingtaine de jeux de poinçons, caractérisés par un calibrage, un style ou un thème qui leur sont propres. Ces différents motifs sont agencés selon onze structures‑types : palissade, guirlande, arcature, feston, médaillon, sautoir, panneau, rinceau, ados, croix et éventail. L’étude des styles décoratifs a montré l’existence de 130 décorateurs de moules, mais il est impossible de connaître le nombre des utilisateurs de ces moules, c’est‑à‑dire les potiers producteurs de vases décorés. Les vases décorés peuvent porter trois types de signatures : des estampilles ou signatures manuscrites apposées avant cuisson du moule par le décorateur, dans le décor lui‑même ou à la base de celui‑ci ; des signatures ou marques manuscrites gravées après cuisson du moule soit par le décorateur soit par l’utilisateur du moule, à la base du décor ; des estampilles (sur Drag. 29) ou des signatures manuscrites (sur Déchelette 63) apposées sur le vase, avant cuisson de celui‑ci, par le fabricant du vase.

16Notons un caractère original, qui semble propre aux ateliers de La Graufesenque: entre 40 et 70/80, certains vases ont la particularité d’être enduits d’une couverte jaune marbrée de rouge.

■ La fabrication

17Le site a livré des poinçons d’argile (décors divers), des poinçons en os (estampilles), des lissoirs en os ou en silex, des crapaudines de tour, des meules et des mortiers pour broyer l’argile et de très nombreux moules. Les poinçons portent parfois des signatures manuscrites sur le manche. Il arrive aussi que des supports ou accessoires d’enfournement (bobines, tournettes) soient signés à la main. Quatre fours ont été fouillés. Un cinquième a été accidentellement dégagé par une inondation de la Dourbie. Sur les quatre fours étudiés, trois sont à flamme directe (fabrication de gobelets). Le quatrième, très grand, pouvait cuire des vases sigillés dans une chambre de chauffe à flamme canalisée (Vernhet, 1981). À côté des fours eux‑mêmes, on peut voir sur le site d’autres installations de travail : des entrepôts couverts (stockage du bois et de l’argile, séchage et stockage des vases), des bacs de décantation, des canalisations, des puisards de drainage des eaux.

18Les 270 graffites dénombrés à La Graufesenque sont pour la plupart des comptes de potiers inscrits en latin sur des assiettes : bordereaux d’enfournement, étiquettes de livraison, décompte de travaux d’esclaves, achat d’un esclave (Duval 1956 ; Marichal 1974 ; Marichal 1981).

■ Les potiers

19Très rares sont les attestations épigraphiques de tria nomina : une dizaine à peine. Ce sont probablement des affranchis, qui apparaissent en deux temps : certains sous Claude, les autres sous les Flaviens. Des esclaves sont attestés sur deux graffites et peut‑être sur une estampille. Les relations de filiation sont inconnues. Les associations de potiers sont fréquentes, mais variables et éphémères.

20On ne peut expliquer l’essaimage d’une technique aussi élaborée sans une migration, au moins partielle, de potiers. Des moules et des poinçons de Lezoux ont été utilisés à La Graufesenque, des moules de La Graufesenque ont été utilisés à Montans, Aspiran et au Rozier... Sur 21 noms de potiers du Rozier, 18 sont connus à La Graufesenque et des homonymies assez nombreuses ont été relevées entre Montans, La Graufesenque et Banassac : simple et fortuite identité de nom ? identité de famille ou de firme ? identité de personne ? Il est difficile d’en juger.

■ La diffusion (fig. 6)

21Comme le montre la carte jointe, la production de La Graufesenque a été diffusée dans toute la partie occidentale de l’Empire. Au départ de Condatomagus, les vases sigillés empruntaient une grande voie de 7 m de large qui se dirige vers Rodez au nord‑ouest, vers Lodève et la voie Domitienne au sud‑est. Cette voie permettait le passage de mulets attelés à des charrettes. Au‑delà de Clermont‑Ferrand et Lyon vers le nord, au‑delà de Saint‑Thibéry, Narbonne ou Arles vers le sud, c’est par voie d’eau que les sigillées devaient être transportées. Les principaux relais de distribution en Gaule sont à Rodez, Clermont‑Ferrand, Feurs, Narbonne, Arles et Fos‑sur‑Mer.

• 6. La Graufesenque. Diffusion des céramiques de La Graufesenque.

■ Bibliographie

22BALSAN (L.), VERNHET (A.). — Une Grande lagène de La Graufesenque. Gallia, XXIX, 1971, pp. 73‑108.

23BALSAN (L.), VERNHET (A.). — La Graufesenque. Dossiers de l’Archéologie, 9, 1975, pp. 21‑35.

24BEMONT (C.). — Recherches méthodologiques sur la céramique sigillée : les vases estampillés de Glanum. Rome, 1976 (B.E.F.A.R., no 227).

25COMFORT (H.). – Terra Sigillata. R.E., suppl. VII, 1940 ; traduction française : Privas, 1968.

26DÉCHELETTE (J.). — Les Vases céramiques ornés de la Gaule romaine. Paris, 1904, pp. 64‑116.

27DRAGENDORFF (H.). — Terra Sigillata, ein Beitrag zur Geschichte der griechischen und römischen Keramik. Bonner Jahrbücher, 96, 1895, pp. 18‑155.

28DUVAL (P.‑M.). — Composition et nature des graffites de La Graufesenque. Études Celtiques, VII, 1956, 2, pp. 251‑268.

29HERMET (F.). — La Graufesenque (Condatomago) : vases sigillés, graffites. Paris, 1934.

30KNORR (R.). — Töpfer und Fabriken verzierter Terra Sigillata des ersten Jahrhunderts. Stuttgart, 1919.

31KNORR (R.). — Terra Sigillata Gefässe des ersten Jahrhunderts mit Töpfernamen. Stuttgart, 1952.

32LABROUSSE (M.). — Informations archéologiques. Gallia, 1966, pp. 412‑415 ; 1968, pp. 517‑521 ; 1970, pp. 398‑402 ; 1972, pp. 472‑476 ; 1974, pp. 456‑461 ; 1976, pp. 463‑466 ; 1978, pp. 391‑393 ; 1980, pp. 465‑467.

33LEQUÉMENT (R.). — Informations archéologiques. Gallia, 1983, pp. 476‑479.

34MARICHAL (R.). — Nouveaux graffites de La Graufesenque, IV. R.E.A., 1974, pp. 85‑110 et 266‑292.

35MARICHAL (R.). — Nouvelles fouilles et nouveaux graffites de La Graufesenque. C.R.A.I., 1981, pp. 244‑273.

36OSWALD (F.). — Index of Potters’ Stamps on Terra Sigillata (Samian Ware). 1931.

37OSWALD (F.), PRYCE (T.D.). — An Introduction to the Study of Terra Sigillata. Londres, 1920.

38OXÉ (A.). — La Graufesenque. Bonner Jahrbücher, 1936, pp. 325‑394.

39VERNHET (A.). — Notes sur la terre sigillée de La Graufesenque. Millau, 1975.

40VERNHET (A.). — Création flavienne de six services de vaisselle à la Graufesenque. Figlina, 1976, pp. 13‑27.

41VERNHET (A.). — Les Dernières productions de La Graufesenque et la question des sigillées claires B. Figlina, 1977, pp. 33‑49.

42VERNHET (A.). — La Graufesenque, atelier de céramiques gallo‑romain. Toulouse, 1979.

43VERNHET (A.). — Un Four de La Graufesenque (Aveyron) : la cuisson des vases sigillés. Gallia, 1981, pp. 25‑43.

44La Graufesenque, naissance de la grande industrie de la céramique, Millau, 1981, (publ. coll. dans Journal de Millau, no spécial).

■ Principales collections de vases de la Graufesenque

45Dépôt de fouille de La Graufesenque, Millau (Aveyron).

46Musée municipal de Millau (Aveyron).

47Musée Fenaille de Rodez (Aveyron).

48Musée des antiquités nationales de Saint‑Germain‑en‑Laye.

49Musée du Louvre.

■ Responsables actuels du site

50Conservateur du musée de Millau et directeur des fouilles de La Graufesenque : Alain Vernhet.

51Le Directeur des Antiquités historiques de la région Midi‑Pyrénées.

Banassac

52Cet atelier se trouve sur le territoire de la commune de Banassac, canton de La Canourgue, arrondissement de Mende, en Lozère, à une altitude de 529 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

53Les premières fouilles, qui remontent à 1868, portèrent sur quatre points différents de la commune. Par la suite, et de façon sporadique, plusieurs autres eurent lieu, les dernières en date remontent à 1964, à la suite d’une programmation portant sur quatre ans. Toutes ces fouilles résultèrent de prospections au sol, de découvertes fortuites faites à l’occasion de travaux publics ou privés, voire de sondages à la tarière. Aucune prospection aérienne ne fut entreprise, l’atelier étant localisé dans un milieu actuellement urbanisé. Toutes les fouilles entreprises ont été recouvertes. Malgré la répartition parcellaire de ces recherches, faites au hasard des autorisations délivrées par les propriétaires, il a été possible de localiser approximativement l’étendue de l’atelier estimée à une dizaine d’hectares. On peut souhaiter que des mesures de sauvegarde soient prises afin d’éviter une destruction du site comparable à celle qui s’est produite, quelques années avant les fouilles 1961‑1964, lors du tracé de la nouvelle route nationale, sur la rive droite de l’Urugne qui traverse le site.

■ Contexte historico‑géographique

54Nous sommes ici sur le territoire des Gabales, population préromaine qui fit ensuite partie de la Narbonnaise. L’atelier de production de sigillée fut implanté en milieu rural mais plusieurs vestiges antiques extérieurs à l’atelier indiquent la présence d’habitats : thermes du Villaret antérieurs à la période de production céramique, habitats du Bas Empire. Une petite nécropole mérovingienne fut fouillée entre Banassac et La Canourgue.

55Le site n’est pas immédiatement situé sur de grandes voies antiques mais il semble bien qu’il ait été relié, par des « drailles » à la voie Regordane conduisant de Clermont‑Ferrand à Alès ainsi que, par la vallée du Lot, à Mende d’où l’on atteignait, par une autre voie antique, la vallée du Rhône. En revanche, les voies fluviales proches ne paraissent pas avoir servi pour le trafic des produits sigillés. L’Urugne, traversant le site, coule au fond d’une vallée entamant le causse de Sauveterre et n’est absolument pas navigable. Elle se jette dans le Lot voisin mais ce dernier se dirige vers des centres de consommation antiques desservis par les ateliers de Montons et de La Graufesenque.

56Les matières premières requises pour la fabrication se trouvent à portée. Les argiles ne peuvent provenir que des gisements Basiques, sous les très forts dépôts de calcaire jurassique formant le causse. Ces argiles peuvent comporter des différences de composition permettant de les distinguer de celles des ateliers voisins où la configuration géologique est comparable : celui de La Graufesenque notamment. Les dégraissants utilisés ont été surtout d’origine calcaire. L’eau était fournie par l’Urugne mais il convient de signaler, peu en amont de l’atelier, une petite source dont l’eau n’a pas été analysée. Le bois servant de carburant était à base de résineux : une grosse production de résine a d’ailleurs été attestée sur le causse durant [’Antiquité.

57La stratigraphie des fouilles les plus récentes a fourni une datation relative des divers produits encadrée par des produits antérieurs et postérieurs importés. Les produits de l’atelier, exportés et identifiés de façon certaine sur des sites datés, généralement très éloignés, ont permis d’affiner la chronologie des divers types de production caractérisés par leurs décors et leurs marques. De plus, les fréquences des formes datées ont utilement complété cette datation. Cette période de production se situe ainsi entre peu avant la période flavienne et la fin du règne d’Hadrien, du moins en ce qui concerne la phase exportatrice de l’atelier.

58Le déclin de l’implantation romaine en Narbonnaise et les efforts de Rome pour protéger les richesses agricoles et industrielles de la Gaule septentrionale, attestés par le renforcement des frontières du limes, dès la fin du ier s. et au début du iie, ont dû attirer les producteurs de céramique sigillée méridionaux. La clientèle militaire fut la principale. D’où les répercussions sur la prospérité de l’atelier. On peut ainsi supposer que l’atelier de La Graufesenque, malgré sa capacité de production, a eu besoin, devant ce marché en expansion, d’une filiale pour en satisfaire les besoins. L’atelier de Banassac se rapprochait donc, en évitant un dur trafic terrestre, des consommateurs, mais il se trouva alors en concurrence avec ceux de Gaule centrale et du Nord‑Est, alors en plein essor. Son déclin est d’ailleurs attesté par les découvertes faites sur le limes rhétique et sur les frontières danubiennes.

■ Activité céramique

59Nous n’avons pas la preuve à Banassac d’une activité céramique autre que la sigillée, ceci avant, pendant ou après la période de production. On a cependant recueilli, dans les limites de l’atelier, des fragments de céramique peinte de type Roanne, un peu de céramique dite « commune » au milieu de tessons sigillés (moins de 0,5 % du total) et même un fragment argonnais décoré à la molette. Signalons sur des sites proches, mais distincts de l’atelier, des produits de Lezoux.

60Les décors des céramiques ornées au moule, pour la phase intensive de production, correspondent à ceux de la phase de décadence de l’atelier voisin de La Graufesenque. Les décors de la phase de décadence de Banassac sont originaux ou comportent des motifs empruntés au répertoire des décorateurs de Gaule centrale du milieu du iie s. Les formes de céramique lisse sont avant tout celles qui caractérisent les productions contemporaines de La Graufesenque. Les signatures sont soit originales, soit homonymes de celles d’artisans de La Graufesenque. Ces observations permettent de considérer Banassac comme un « atelier‑jalon ».

61Les produits ont été, à notre connaissance, définis sur le plan physico‑chimique dans deux publications (bibliographie : J. Michou et M. Picon). Les résultats obtenus sont significatifs et permettent d’établir, à condition d’être interprétés correctement, une distinction entre moules et vases importés ou réalisés in situ.

■ Définition archéologique du matériel sigillé (fig. 7 à 11)

62Les pâtes cuites sont généralement fines, comportent parfois de fins nodules calcaires mais jamais de particules brillantes de quartz ou de mica. La distinction visuelle est difficile à faire avec les produits contemporains de La Graufesenque. Les engobes sont généralement plus mats que sur les produits préflaviens de La Graufesenque mais plus proches de ceux des produits postérieurs de ce dernier atelier. Les teintes sont généralement constantes mais peuvent présenter, les rebuts étant exceptés, de légères variations dues aux différences de température de cuisson, au temps et aux conditions d’oxydation des oxydes de fer contenus dans les argiles.

• 7. Banassac. Décors de Biragillus.

• 8. Banassac. Décors de Germanus.

• 9. Banassac. Décor de Natalis.

• 10. Banassac. Estampilles épigraphiques.

• 11. Banassac. En haut, estampilles illisibles et figurées ; en bas, quelques exemples de gobelets.

63Les marques nominales apposées directement et avant cuisson sur les produits fabriqués ici comportent une proportion anormalement élevée d’anépigraphes par rapport à ce que l’on observe dans les autres ateliers du Sud. Les cartouches sont de forme rectangulaire allongée et diffèrent nettement des cartouches italiques. Tous, si l’on met à part ceux qui figurent dans le décor des moules, sont en position centrale interne. Certains décors de moules n’ont pas été signés à l’aide d’un cachet mais en lettres cursives tracées à la pointe avant cuisson. Quelques graffites, avant ou après cuisson et de quelques lignes seulement, ont été recueillis. Tous n’ont pas été traduits. Il ne saurait s’agir en tout cas de décomptes comparables à ceux de La Graufesenque.

64Les formes de sigillée lisse sont, dans leur très grande majorité, caractéristiques de la période 70 ‑ 150 ap. J.‑C. Un pointage portant sur près de 1 000 tessons (fouilles 1961) donne les pourcentages suivants : Drag. 35/36 : 55 %, Drag. 42 et 46 : 8%, Drag. 27 : 10 %, Drag. 33 : 9 %, Drag. 38 : 7 %, Drag. 18/31 : 6 %. Les autres formes ne sont connues chacune que par 1 à 5 exemplaires : Curie 15, gobelets ovoïdes (Notice TCF no 10 types 55/57), Drag. 44, 34, 72, etc. Les potiers producteurs de sigillée lisse ont fait l’objet d’une critique sévère, surtout en ce qui concerne les noms relevés dans des collections anciennes où se sont produits des mélanges entre produits venant effectivement de l’atelier et des produits venant soit d’ateliers voisins, soit de sites existant sur le territoire de la commune mais extérieurs à l’atelier. Nous disposons ainsi d’un nombre d’individus dépassant légèrement la trentaine pour ce qui est des marques lisibles. Toutefois, il convient d’y ajouter un nombre important de marques illisibles ou rendues telles. La mention OF pour OFFICINA est très rare, par contre M pour MANVS et F pour FECIT sont fréquents. Le terme AVOT n’a pas été employé.

65Les formes de sigillée décorée au moule sont, pour la quasi‑totalité, des bols hémisphériques Drag. 37 à pied en bourrelet légèrement aplati, déjà différent de celui des premiers bols hémisphériques de La Graufesenque. On note quelques très rares formes carénées Drag. 29 ou cylindriques Drag. 30. Les motifs employés pour la décoration des moules diffèrent des motifs floraux stylisés ou animés de petites dimensions, qui apparaissent sur les produits préflaviens de La Graufesenque : grâce aux possibilités offertes par les surfaces des bols hémisphériques, les motifs animés prennent de plus fortes dimensions. Les décors à métopes de grande hauteur se développent. Une particularité de l’atelier est le vase à légendes où les lettres sont accompagnées de motifs floraux ou stylisés. À la fin de la période intense de production, le soin apporté à la décoration décline et le désordre devient la règle. Si l’on admet la distinction entre « potiers utilisateurs » et « producteurs de moules », le nombre de ces derniers ne dépasse guère la demi‑douzaine. Leur répertoire reste tributaire des artistes modeleurs de poinçons que nous considérons comme les véritables responsables de l’identité de certains décors entre La Graufesenque, Montans et Banassac, voire avec la Gaule centrale, durant la phase terminale de production.

66Les vases décorés de Banassac n’étaient signés que de l’empreinte inversée des signatures des moules servant à leur fabrication. Les producteurs de moules ont pu aussi être potiers et leurs signatures nominales se retrouvent alors sur vases lisses. Les caractères originaux de la décoration sont tributaires de l’évolution du style d’un décorateur originaire de La Graufesenque qui réalisa près de la moitié des moules de l’atelier, Germanus. Le reste de la production est constitué par des moules fabriqués par un décorateur également producteur de vases lisses, Biragillus. La phase de décadence est marquée par les produits qu’on peut sans doute imputer à Natalis et probablement à des potiers anonymes.

■ La fabrication

67Si l’on exclut les moules et le matériel de cuisson, il n’a pratiquement pas été trouvé d’outils permettant de tourner les vases. Aucun four en place n’a été mis au jour ou du moins décrit. En revanche, nombreux sont les vestiges provenant de fours (tubuli, joints, cales de fours, briques réfractaires, chapeaux ou chapiteaux de cheminée dénommés « tournettes », etc.). Il est probable que ces fours se trouvent dans des secteurs non fouillés, au sud de l’atelier, sur les pentes au pied de la falaise dominant la vallée.

■ Les potiers

68On ne connaît qu’un exemple de tria nomina. Sa datation exacte est difficile à établir, mais elle se situe dans le cadre de la datation générale de l’atelier. L’existence d’esclaves n’est pas réellement attestée : seul un cas très douteux (marque sur moule de Germanus suivie de SER) pourrait le démontrer, mais il peut tout aussi bien s’agir d’une association avec un autre décorateur du nom de Seruus...). Les filiations éventuelles ne peuvent s’établir que par l’évolution des attirails de poinçons ornés des décorateurs successifs, encore que les ventes d’outils identiques à des décorateurs différents par les « artistes producteurs de poinçons » faussent le problème. Les migrations ne peuvent être attestées que par des signatures identiques apposées directement dans la pâte d’articles réalisés dans des ateliers différents (vases ou moules). C’est là le cas de produits de Germanus, venu de La Graufesenque. Mais l’existence, certaine, d’homonymes reste insuffisante pour démontrer la migration quand les marques sont différentes. On notera que la décoration des vases et moules signés de façon identique tant à La Graufesenque qu’à Banassac correspond à une nette différence du mode de décoration. Il en va autrement pour Biragillus qui reste cependant le seul à avoir signé directement dans de l’argile crue, à Banassac, des produits sigillés : la découverte à La Graufesenque de vases décorés comportant sa signature mais venant de moules est insuffisante pour affirmer qu’il a bien travaillé dans ce centre.

■ La diffusion

69Les produits de Banassac ont tout d’abord été diffusés dans le midi de la Gaule. Ailleurs, ils demeurent assez rares à l’exception des abords d’une voie en direction du limes rhétique et danubien. Cette voie est marquée par les découvertes faites dans la vallée du Rhône, la plaine suisse jusqu’au passage du Rhin desservant les postes du limes rhétique et les sources du Danube. De là, les produits ont été livrés, en se raréfiant peu à peu, dans les garnisons frontalières jusqu’en Roumanie. Certains produits ont même atteint le Proche‑Orient (Antioche‑sur‑Oronte). Cette diffusion indique bien que les produits de Banassac ont aussi bien emprunté les voies terrestres que les voies fluviales. Les voies maritimes ont dû l’être également puisque l’on a trouvé des produits de notre atelier à Pompéi. La voie fluviale très proche qu’est le Lot ne paraît pas avoir été utilisée car on trouve, en aval, l’aire de diffusion des produits contemporains de La Graufesenque et de Montans.

70(Ne sont cités ici que les ouvrages traitant de produits trouvés en atelier).

71DÉCHELETTE (J.). — Les Vases céramiques ornés de la Gaule Romaine. Paris, 1904, 2 vol.

72MOREL (C.). — Banassac. Appendice I de Feuda Gabalorum, t. 1, 1938.

73MOREL (C.). — Les Divers aspects de la céramique à décor épigraphique de Banassac. R.C.R.F. Acta III, 1961, pp. 45‑55.

74CAVAROC (M.). — Les Marques de potiers gallo‑romains. R.A.C., no 10, 1964, pp. 143‑153.

75HOFMANN (B.). — Oves et marques des potiers de Banassac. R.C.R.F. Acta VIII, 1966, pp. 23‑44.

76PEYRE (P.). — Marques de Banassac sur vases lisses. Revue du Gevaudan, no 21, 1976, pp. 9‑61.

77MICHOU (J.). — Analyse chimique gallo‑romaine de Banassac. Revue du Gevaudan, no 11, 1965, p. 253 (étude du laboratoire de géologie et de minéralogie de la Faculté des sciences de Clermont‑Ferrand).

78PICON (M.). — La terre sigillée de Banassac, problèmes de composition. 1974 (FORUM no 4, U.R.A. no 3 du Centre de recherches archéologiques du C.N.R.S.).

79HOFMANN (B.). — Essai de datation de la céramique sigillée de Banassac. R.C.R.F. Acta VII. 1965, pp. 39‑65.

80HOFMANN (B.). — Les Exportations de céramiques sigillées de Banassac vers les provinces danubiennes de l’empire romain. Bulletin de l’Institut d’Études Latines de Tours, no 12, 1977, pp. 410‑417.

■ Collections principales et lieux de conservation connus en 1984

81Collections publiques en France : Musée des antiquités nationales à Saint‑Germain‑en‑Laye ; Musée I. Fabre à Mende; dépôt archéologique de La Canourgue (Lozère).

82Collection privée: collection Tavard (ancienne collection Cavaroc).

■ Responsable actuel du site

83Le Directeur des Antiquités historiques de la région Languedoc‑Roussillon.

Le Rozier

84Dans le département de la Lozère, arrondissement de Florac, canton de Meyrueis, l’atelier du Rozier se trouve au confluent du Tarn et de la Jonte, aux lieux‑dits Entraygues et Brouillet à une altitude de 390 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

85Le gisement a été découvert en 1892, après de fortes inondations des deux rivières voisines. Il a été reconnu par prospection systématique au sol (A. Vernhet 1970‑1971), sur près de 2 ha. Ces prospections ont permis un échantillonnage des pâtes complété par des analyses (M. Picon et F. Widemann). Des fouilles ont été réalisées successivement par l’abbé Richard (1892‑1903), l’abbé F. Hermet (1905), l’abbé P. Peyre (1967) et M. Thuault (1977‑1979). Ces fouilles ont mis au jour des restes de four, des déchets de fabrication, des outils, des moules et des fragments de comptes de potiers. Le gisement a été partiellement emporté par les inondations. Le terrain, recouvert après les fouilles, est aujourd’hui occupé par des jardins, des campings et une salle communale.

■ Contexte historico‑géographique

86Le site du Rozier est très exactement à la limite de la cité des Rutènes et du pagus ou de la cité des Gabales, dans la province d’Aquitaine 1ère. Son implantation en zone rurale ne permet pas de préciser s’il était rattaché à un vicus ou à une villa. Dans les environs, les traces d’occupation gallo‑romaines sont nombreuses, mais elles n’ont jamais fait l’objet de fouilles suivies. Il n’y a pas de communauté humaine proche dont le statut juridique soit bien connu. Millau (Condatomagus), 20 km au sud‑ouest, devait être un vicus, de même que Banassac, 30 km au nord, Rodez (Segodunum), 50 km au nord‑ouest, et Javols (Anderitum), 60 km au nord/nord‑est, étant les chefs‑lieux des cités des Rutènes et des Gabales. Une voie de vallée reliait Le Rozier aux ateliers de Millau, et une autre, reconnue récemment, reliait Le Rozier à Banassac. Les Cévennes voisines constituaient un obstacle aux communications. Toutefois, il n’est pas impossible qu’un commerce antique ait existé par portage sur le tracé de ce qui, au Moyen Âge, sera appelé « la draille d’Aubrac ».

87Comme à La Graufesenque, les potiers du Rozier se sont installés à un confluent, tout près des affleurements d’argile du Domérien (Jurassique inférieur). Les gisements sont à proximité immédiate des ateliers, en particulier sur la rive gauche de la Jonte. Ils fournissent une terre  contenant 10 à 12 % de CaO. Le bois de pin sylvestre brûlé dans les fours du Rozier était coupé dans les forêts du causse Noir, du causse Méjean et de leurs versants. Ici encore existaient des liens de complémentarité entre l’activité des potiers et celle des bûcherons‑résiniers du voisinage.

88Les officines du Rozier sont en étroite relation avec celles de La Graufesenque dont elles sont une sorte d’annexe au moment de la plus forte production. La datation de l’atelier du Rozier est obtenue uniquement par la céramique que l’on peut comparer à celle de La Graufesenque. Il n’y a aucun élément de datation propre au Rozier, ni en chronologie absolue, ni même en chronologie relative.

■ Activité céramique

89L’atelier du Rozier semble avoir fabriqué exclusivement de la céramique sigillée. Annexe de La Graufesenque, cet atelier produisait les mêmes formes lisses et décorées. La plupart des moules utilisés au Rozier étaient fabriqués à La Graufesenque, et, sur 21 noms de potiers, 18 sont connus à La Graufesenque. Il existe cependant de légères variantes locales dans les formes, et une petite série de moules maladroits semble bien avoir été réalisée sur place, vers la fin de la production du Rozier.

90Des analyses ont été réalisées, à partir des ramassages de 1970‑1971, par le laboratoire de l’URA no 3 (Lyon, M. Picon) et par le Laboratoire de spectrométrie nucléaire d’Orsay (F. Widemann). Les pâtes de Millau et du Rozier sont à ce point semblables que les analyses classiques par fluorescence X ne permettent pas de les distinguer. Il est possible que les analyses par activation neutronique y parviennent.

■ Définition archéologique du matériel sigillé (fig. 12 et 13)

91La pâte du Rozier est rose, fine, souvent frittée dans l’épaisseur et moins homogène qu’à La Graufesenque, ou moins soigneusement tournée. L’engobe est rouge, plus souvent mat qu’à La Graufesenque, et parfois plus sombre.

• 12. Le Rozier. À gauche, répertoire de formes lisses ; à droite, moule d’un potier connu à La Graufesenque.

• 13. Le Rozier. Estampilles de potiers.

92Les estampilles épigraphiques sont assez peu variées : 50 types correspondent à 21 potiers. Il faut y ajouter 13 types d’estampilles anépigraphes ou grapho‑morphes. Les cartouches sont rectangulaires, avec des angles inégalement émoussés.

93Les principales formes lisses sont les assiettes Drag. 15/17 et 18, les bols Drag. 24/25 et 27. On trouve aussi, en moins grand nombre, les formes Drag. 4/22, 33, 35/36, Ritt. 8 et 12, Hermet 2/12C et 18. Toutes ces formes sont attestées à La Graufesenque entre 50 et 80. Les principales formes décorées sont les coupes Drag. 29, 30 et 37. On trouve aussi, en moins grand nombre, les formes Drag. 11, Hermet 4, 7 et 15, et Déchelette 63 et 67. Il faut signaler certaines curieuses formes de calices Drag. 11 à marli décoré de feuilles d’eau à la barbotine et un moule de petit plat rectangulaire. Ces formes et leurs décors correspondent aux productions que l’on date à La Graufesenque entre 50 et 80, c’est‑à‑dire aux périodes de « splendeur » et de « transition ». Il est impossible de distinguer une évolution propre aux ateliers du Rozier, à l’exception de la série de moules maladroits, vraisemblablement réalisés sur place en fin de production. Les techniques employées pour la décoration sont très classiques : moulage, guillochage et barbotine. Le nombre des potiers producteurs de vases ornés est inconnu. Il est certain que les potiers du Rozier ont utilisé des moules d’au moins quatre décorateurs de La Graufesenque, signant soit sous le décor (SENECI), soit dans le décor ISABINI MANVS, CCOE BAS FEC, CALVS.F.).

■ La fabrication

94Le gisement a livré de nombreux moules, des accessoires d’enfournement (cales, bobines, tubulures, « tournettes »…), ainsi qu’un lissoir et un poinçon de personnage. Les supports et le poinçon ne sont pas signés, mais deux fragments de graffites inscrits à la pointe sèche sur des vases sigillés pourraient bien correspondre à des comptes de potiers. Les restes d’un four ont été retrouvés, complètement arasés et indéterminables avec précision. Les aménagements identifiables qui ont été signalés par M. Thuault concernent un bâtiment d’atelier de 7 x 22 m, comprenant une réserve d’argile de 4,10 x 3 ,20 m et une série d’une dizaine de bacs de décantation.

■ Les potiers

95On ignore comment pouvait fonctionner cet atelier: une vingtaine de potiers travaillant une trentaine d’années n’avaient pas besoin d’un grand nombre de fours (peut‑être un ou deux). La migration, au moins temporaire, de certains de ces potiers depuis La Graufesenque jusqu’au Rozier est hautement probable. Faut‑il attacher de l’importance à la présence d’un cas possible de tria nomina sous la forme estampillée LC‑Celsus ?

■ La diffusion

96La commercialisation des produits du Rozier est, à ce jour, indiscernable de celle de La Graufesenque.

■ Bibliographie

97Bulletin de la société des lettres, sciences et arts de la Lozère, 1903, pp. 104‑105 ; 1904, pp. 14, 60‑61 ; 1914, p. 21.

98HERMET (F.). — La Graufesenque. 1934, pp. 285‑288, pl. 125‑ 126.

99BALMELLE (M.). — Répertoire archéologique du département de la Lozère, période gallo‑romaine. Montpellier, 1937, pp. 40‑41. BARRUOL (G.). — Informations archéologiques. Gallia, XXVII, 1969, p. 415.

100PEYRE (P.). — Les Ateliers de céramique gallo‑romaine du Rozier, rapport des travaux de 1967. Revue du Gévaudan, 17, 1971, pp. 66‑90.

101WIDEMANN (F.), ASARO (F.), PERLMAN (L.), MICHEL (H.). ‑ Characterisation of Roman T.S. Ateliers. Lawrence Radiation Laboratory, Cal. USA, Saclay, 1972 (analyses).

102VERNHET (A.). — Notes sur la terre sigillée de La Graufesenque. Millau, 1975, p. 1, pl. Il (datations comparées).

103THUAULT (M.). — La Céramique gallo‑romaine du Rozier, campagne de fouilles de 1977, extraits du rapport annuel. Bulletin du centre d’études et de recherches de Mende, 5, 1978, pp. 20‑ 25.

■ Collections principales et lieux de conservation

104Collections publiques: Musée Fenaille (Rodez), collection F. Hermet ; dépôt de fouille de La Canourgue (Lozère), collection P. Peyre ; Laboratoire d’archéologie du lycée Chaptal, Mende (Lozère), collection M. Thuault ; Laboratoire de céramologie de Lyon (URA no 3), échantillonnage A. Vernhet.

105Collection privée: S. Brouillet (Millau, Aveyron).

■ Responsables actuels du site

106Directeur de la fouille: Michel Thuault.

107Le Directeur des Antiquités de la région Languedoc‑Roussillon.

Aspiran

108Cette officine de sigillée du sud de la Gaule se situe dans la plaine du Languedoc à quelque 50 km de la côte, à mi‑distance entre Agde, au sud, et les ateliers de La Graufesenque, au nord. Le site est implanté sur les lieux‑dits Dourbie et Saint‑Bézard de la commune d’Aspiran dans l’Hérault.

■ Circonstances de la découverte et état du site

109La découverte des ateliers remonte à 1970 ; elle est due à L. Albagnac qui a repéré sur une villa romaine déjà connue des surcuits et des fragments de moules de sigillée. Des prospections systématiques ont suivi, ainsi que plusieurs campagnes de fouilles de sauvegarde ponctuelles sous la direction de l’auteur en 1971‑1973, 1975‑1976, 1978. La production de sigillée n’est finalement connue que par un échantillonnage réduit de mobilier mais les preuves de son existence sont néanmoins très tangibles car, outre les découvertes de surface, un four et un dépotoir liés à la fabrication de la sigillée ont été découverts et les estampilles aux mêmes noms de potiers se répètent.

110Le site est implanté sous des vignes : il est donc relativement protégé, cependant les labours profonds ont souvent détérioré le niveau des sols. Il semble que les ateliers soient intégralement conservés à l’exception d’un angle de la villa liée aux ateliers, entaillé par la route nationale no 9. La surface occupée dans l’Antiquité représente 3 ha environ, dont 0,5 réservé à la production des céramiques.

■ Contexte historico‑géographique

111Pour le cadre antique, la villa, installée à la limite supposée des civitates de Lodève et Béziers, dans la province de Narbonnaise, semblerait plutôt se rattacher à la première car son organisation paraît s’intégrer dans un système cadastral développé autour de Lodève (Luteua/ Forum‑Neronis). L’emplacement du site d’Aspiran présente diverses particularités favorables à l’installation d’un atelier : position sur un axe routier antique de la Méditerranée au Massif central, de Cessera (Saint‑Thibéry) à Condatomagos (Millau) par Luteua (Lodève) ; proximité immédiate d’un petit cours d’eau ; présence d’argile locale des alluvions de la fin du tertiaire ; adossement à un vaste massif boisé.

112Les datations de l’occupation du lieu et des phases de production ont pour base principale une chronologie relative des couches et des ensembles archéologiques dans l’habitat et dans les fours. La détermination de la phase de production de sigillée, bien calée dans cette chronologie, est donnée par rapport aux datations admises pour les productions du groupe d’Ateius, dont la production d’Aspiran prend la suite, et à celles des productions primitives de La Graufesenque dont elle se rapproche étroitement. La datation proposée est 20/40 ap. J.‑C.

■ Activité céramique

113Les ateliers sont accolés à ce qui paraît être une villa rurale non luxueuse dont la fonction agricole et viticole est très vraisemblable, du fait que la production des amphores y fut continue depuis l’installation de la villa, vers 10, jusqu’au début du iie s. au moins. La sigillée démarra peu après la création du domaine et s’arrêta après une période de production relativement courte. Les types d’amphores produits successivement sont les formes Pascual 1, puis Dressel 28 (+, -) et Gauloise 4 en dernier lieu. La fabrication de la sigillée semble constituer une part presque accessoire de l’activité de la villa et représenter une sorte de tentative économique abandonnée rapidement.

114Au demeurant, Aspiran paraît être un jalon dans le développement de la vaisselle sigillée plutôt qu’un atelier satellite de La Graufesenque malgré les nombreuses ressemblances entre ces ateliers. En effet le potier décorateur majeur (style B), au nom inconnu, avait un style particulier et quelques poinçons originaux ; de plus la composition de la terre des moules semble exclure une fabrication à La Graufesenque.

115Les analyses chimiques effectuées par le Centre de recherche archéologique de Lyon (1974‑75) donnent des compositions de terre assez spécifiques : CaO : 8 % ; Al : 1 7 % ; MgO : 4 % ; SiO: 59 %.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

116La coloration des vernis s’étend de l’orange au brun‑violet, toutefois, le rouge foncé semble être la couleur recherchée. La pâte est rose orangé. Les noms de potiers sont uniquement connus d’après des estampilles apposées au centre des fonds des céramiques. Certaines estampilles sont anépigraphes : pieds dans des sandales. Les autres sont inscrites soit dans des cartouches bien rectangulaires comportant parfois un double encadrement, soit dans des cadres encochés, soit encore dans des cartouches trilobés ; un exemplaire enfin est du type in planta pedis.

117Les principales productions (fig. 14) par ordre de fréquence sont les formes Drag. 33 (très majoritaires) puis Drag. 24/25 et Drag. 29A ; plus rares sont les formes Hait. 2, Drag. 17, Hait. 3 et 5, Drag. 18 et 27 archaïques, Ritt 12, Ritt. 9 ; quelques autres formes, ou des types spécifiques, ont également été produits. On dénote une évolution de l’atelier à partir des productions du groupe d’Ateius vers les formes gauloises primitives ainsi que des créations proprement gauloises (Drag. 33, Ritt. 12...).

• 14. Aspiran. Principales formes produites dans l’atelier.

118Sept noms de potiers sont connus : Laetus (potier principal ayant signé également des amphores), Carus, Cintus’ ? (in planta pedis), Q.luliusPrimus, Masculus, ou Masclus, Quartus, Vitulus. Toutes les estampilles de ces potiers sont au génitif ou abrégées (fig. 15).

• 15. Aspîran. Catalogue des estampilles. Entre parenthèses : nombre d’exemplaires retrouvés.

119Les décors sont obtenus à l’aide de poinçons et de moules ; ils apparaissent sur la seule forme décorée produite, le Drag. 29A primitif. Trois groupes stylistiques ont été mis en évidence (Aancien, BetC plus évolués). Le groupe B, le mieux attesté, est chargé et fleuri ; il comporte beaucoup de cercles et volutes. Il utilise avec fréquence trois poinçons (petit lapin à droite, deux motifs accrochés sur rinceaux dits sessifoliés) qui semblent caractéristiques du groupe.

■ La fabrication

120La connaissance de l’organisation de l’atelier et des techniques de production de sigillée est très fragmentaire. Elle repose sur la découverte de pièces techniques en argile, de deux tournassins en fer pour amphores et sur les relevés des structures de cuisson. Quinze fours ont été reconnus dont neuf fouillés. Un seul produisait de la sigillée ; c’était d’ailleurs le seul à être constitué de blocs de grès. La chambre interne circulaire fait 5 m2 de surface et l’alandier est relativement long. Les autres fours sont de formes et de surfaces variées. Il est remarquable de retrouver une organisation des fours en batterie, ce qui permet une rentabilisation des cuissons.

■ Les potiers

121L’un des potiers les plus anciens Q.lul(ius). Pr(imus). (activité vers 20/30) pourrait être considéré, avec ses tria nomina, comme le propriétaire du domaine mais cette hypothèse est contredite par le fait que Laetus est beaucoup mieux représenté et signe seul les amphores les plus précoces. Quant au potier Vitulus, potier déjà signalé par Oswald comme ayant joué un rôle important dans le passage de la sigillée italique à la production du sud de la Gaule, il mérite une attention très particulière. En effet, esclave de Naeuius à Pouzzoles près de Naples, il a d’abord été affranchi puis il s’est installé en Gaule à Aspiran, enfin c’est probablement le même potier qui s’est ensuite déplacé à La Graufesenque. Comme preuve de ces migrations, ses estampilles particulières, avec lettres bouletées et double encadrement perlé, ont été retrouvées en nombre dans les ateliers de Pouzzoles et deux exemplaires figurent sur des fragments nettement surcuits à Aspiran.

■ La diffusion

122La diffusion des produits de l’atelier d’Aspiran est limitée au Languedoc et encore dans de faibles proportions. La distribution des estampilles s’organise d’ouest en est et implique un transport par voie terrestre.

■ Bibliographie

123GENTY (P.), FICHES (J.‑L.). — L’Atelier de potiers gallo‑romain d’Aspiran (Hérault) : synthèse des travaux de 1971 à 1978. Figlina 3, 1978, pp. 71‑92.

124ALBAGNAC (L.), ROUQUETTE (D.). — Une Officine de céramique sigillée découverte à Aspiran (Hérault). Bull. Soc. d’Êt. Sc. de Sète, t. 3, 1971, pp. 88‑94.

125GENTY (P.). — Observations sur l’habitat lié aux ateliers de potiers gallo‑romains d’Aspiran (Hérault). Bull. Soc. d’Êt. Sc. de Sète, t. 6‑7, 1975, pp. 45‑63.

■ Responsables actuels du site

126Responsable des fouilles : Pierre‑Yves Genty.

127Le Directeur des Antiquités historiques de la région Languedoc‑Roussillon.

Jonquières et Saint‑Saturnin

128Dans la vallée de l’Hérault, à 13 km au sud de Lodève et à 7 km au nord‑ouest de Gisnac, canton de Gisnac, arrondissement de Lodève, à 120 m d’altitude, deux quartiers d’un même atelier de potiers, distants de 350 m, ont été localisés : l’un au lieu‑dit Les Moulières dans la commune de Jonquières, l’autre au lieu‑dit Les Crouzets, commune de Saint‑Saturnin.

■ Circonstances de la découverte et état du site

129Les deux quartiers ont été découverts par L. Albagnac en 1977 et 1978 lors des prospections de surface qu’il a menées systématiquement dans la région. Il a recueilli la quasi‑totalité des tessons présents en surface. De nombreux déchets de cuisson, moutons, pièces de calage, morceaux de fours attestent l’existence d’un atelier de céramiques sigillées. Les objets sont répartis sur une surface de l’ordre de 3 ha aux Moulières et de 1 ha aux Crouzets ; le ruisseau de l’Argenteille sépare les deux zones. Aucune fouille, prospection électrique ou magnétique n’ont été entreprises. L’ensemble des parcelles, propriétés privées, est actuellement cultivé.

■ Contexte historico‑géographique

130Dépendant vraisemblablement de la ciuitas de Lodève, dans une zone d’occupation dense à la période romaine (Bonnet 1946 : p. 20‑21) l’atelier semble être, d’après les données de surface, une création coloniale qui ne succède pas à un établissement plus ancien. Des relations ont probablement existé entre l’officine et un habitat de type villa situé à 250 m de là, au lieu‑dit Les Aulas (présence, outre le mobilier courant, d’une statue, de fragments de mosaïque). Les limites actuellement connues de la cadastration de Beziers, dans la vallée de l’Hérault, n’atteignent pas la région de Jonquières où un travail de repérage des traces d’arpentage fossiles reste à faire. La position de l’officine est très intéressante par rapport aux voies de communication, dans une zone de circulation articulée sur l’Hérault (à 4 km) et sur la voie antique nord‑sud reliant Saint‑Thibéry à Rodez, par laquelle s’écoulaient, vers le sud et la Méditerranée, les produits de La Graufesenque (à une soixantaine de kilomètres au nord) et ceux d’Aspiran (à 10 km au sud).

131La carrière d’argile n’est pas connue, mais on remarque que l’implantation de l’atelier de Jonquières‑Saint‑Saturnin s’est faite sur les mêmes terrains sédimentaires (marnes bleues de l’Helvétien et alluvions anciennes) (carte géologique, Bédarieux) que celui d’Aspiran. L’alimentation en eau est facile par le ruisseau de l’Argenteille ou par les deux sources présentes sur le site même. L’approvisionnement en bois ne pouvait pas poser de problème avec la proximité du plateau du Larzac où se fournissaient les potiers de La Graufesenque et la possibilité d’acheminer le bois par flottage sur l’Hérault.

132Les deux quartiers artisanaux de Jonquières et Saint‑Saturnin ont fonctionné en même temps et leur production sigillée est indiscernable : mêmes formes, même aspect de la pâte et du vernis. Cependant, on repère facilement, par la distribution spatiale des vases signés, qui s’était installé et où, certains artisans travaillant dans le quartier de Saint‑Saturnin, d’autres dans celui de Jonquières. Ainsi, les deux tiers des noms de potiers au moins sont propres à l’un des quartiers, et absents dans l’autre. En outre, les noms qui apparaissent dans les deux zones à la fois sont le fait d’une production majoritaire de l’un des quartiers (fig. 18). L’officine a fonctionné au début du Ier s. de notre ère, à l’époque tibérienne. Les formes de céramique sigillée sont précoces et appartiennent toutes à des modèles créés dans les trente premières années de l’ère. Les formes plus tardives sont en revanche absentes. Une fibule augustéenne (Feugère 1984 : type 16a 1) et deux monnaies du ier s. avant notre ère (notamment un petit bronze à légende EPAD attribué aux Arvernes) trouvées en surface s’accordent bien avec cette datation. Confirmation de cette chronologie est apportée par les fouilles de l’atelier d’Aspiran (Genty, Fiches 1978) qui produit la même gamme de céramiques sigillées à l’époque tibérienne ; de plus le potier Laetus, qui, à Aspiran, a signé céramique sigillée et amphores, a travaillé également à Jonquières. L’influence italienne, très nette dans le choix du répertoire de modèles, se traduit également dans la forme des cartouches des estampilles : timbres circulaires, timbres sur deux lignes, timbres trilobés ou in planta pedis, timbres rectangulaires soulignés par un cadre (fig. 16). Quelques noms de potiers de Jonquières‑Saint‑Saturnin sont connus dans les ateliers italiens : Ateius, Laetus, Primus.

• 16. Jonquières ‑ Saint‑Saturnin. Fac‑similés des timbres.

133Textes et découvertes archéologiques diverses s’accordent pour souligner le développement économique de la province de Narbonnaise à partir de la période augustéenne et c’est bien dans ce cadre que s’inscrit la création de l’officine de Jonquières‑Saint‑Saturnin. De même alors fonctionnent les ateliers voisins de La Graufesenque et d’Aspiran, connu pour sa production de sigillée et d’amphores Pascual 1. À la différence de Jonquières‑Saint‑Saturnin, Aspiran connaîtra une activité plus durable pour sa production d’amphores avec notamment les amphores G.4 à partir du milieu du Ier s. On les fabriquera également dans la vallée de l’Hérault à Tressan (Clavel 1970, Gayraud 1981 et Laubenheimer 1985).

■ Activité céramique

134D’après le matériel de surface, il ne semble pas y avoir de production antérieure à la céramique sigillée dans l’officine ; cependant, des fouilles sont nécessaires pour s’en assurer. Simultanément, des céramiques communes et des matériaux de construction ont été fabriqués ; il est difficile de dire actuellement si leur production a duré au‑delà de la période tibérienne. Il apparaît toutefois, par la quantité des diverses catégories d’objets en surface, que la céramique sigillée a constitué l’activité principale de l’officine. Par sa position même, Jonquières‑Saint‑Saturnin se place comme un atelier jalon, au même titre qu’Aspiran, sur la voie qui relie La Graufesenque à la mer. Participant aux premiers développements de l’industrie de la sigillée en Gaule, il cesse son activité peu avant son proche voisin Aspiran et ne se posera jamais comme concurrent du grand centre rutène. Des relations entretenues entre ces trois officines sont marquées par certains noms de potiers que l’on retrouve d’un centre à l’autre, ou parfois dans les trois, comme Laetus (fig. 16, 18).

135La caractérisation physico‑chimique des productions de Jonquières‑Saint‑Saturnin en est à ses débuts. Quatre échantillons de céramique sigillée seulement ont été analysés par fluorescence X au Laboratoire de céramologie de Lyon. Trois d’entre eux (nos 2, 3, 4) forment l’amorce d’un groupe local, alors que le quatrième (no 1 ) semble venir d’un atelier des Causses dont l’argile est différente :

■ Définition archéologique du matériel sigillé

136Les vases de céramique sigillée, cuits en mode C, ont une pâte fine, beige orangé, avec un engobe orangé, mat, peu adhérent, qui disparaît parfois complètement.

137Les signatures, épigraphiques dans leur grande majorité, comportent aussi quelques exemples anépigraphes : des fleurs (fig. 16 : 21 à 26). On connaît six formes de cartouches différentes : rectangulaire à bords arrondis, rectangulaire doublé d’un cadre rectangulaire, rectangulaire doublé d’un cadre rectangulaire à queues d’aronde, tréflé, circulaire, in planta pedis. L’étude des formes à partir du matériel fragmentaire de surface reste limitée. Les types principaux de sigillée lisse sont les suivants : Drag. 33, Drag. 24/25, Halt. 5, Halt. 2, Ritt. 8, Hait. 11, Hait. 15A et B. Une fouille est bien sûr nécessaire pour faire une analyse de leur évolution. On connaît peu de choses de la céramique décorée très fragmentaire. Les formes principales sont les Drag. 29A et B, Déch. 63, Drag. 30, Drag. 11A (fig. 17). Plusieurs fragments de moules ont été retrouvés, ainsi qu’un poinçon matrice figurant une feuille (fig. 17 : 3).

• 17. Jonquières ‑ Saint‑Saturnin. Exemples de la production décorée (1, 2) ; poinçon‑matrice (3).

■ Les potiers

138On dénombre trente‑cinq potiers producteurs de formes lisses, soit plus du double de ceux connus à Aspiran (fig. 18). Il n’y a pas d’association de potiers. On trouve généralement un seul nom au nominatif ou au génitif ; un seul timbre est précédé de OF(ficina) (no 32), un autre suivi de F(ecit) (no 4), quelques‑uns sont suivis de M(anu) (nos 9, 11, 15, 19, 20) des relations se sont vraisemblablement établies entre Jonquières‑Saint‑Saturnin et d’autres ateliers, comme en témoigne l’homonymie de plusieurs noms (migration d’artisans ou imitation de signatures ?) : onze potiers sont connus aussi à La Graufesenque (fig. 18) et parfois ailleurs: Ateius à Lyon et en Italie, Laetus à Aspiran et en Italie, Primus dans la vallée du Pô, Rufinus à Lyon et Tertius dans la vallée du Pô.

• 18. Jonquières ‑ Saint‑Saturnin. Tableau de répartition des timbres * : t. connu à La Graufesenque (cf. Vernhet (A.). — Notes sur la terre sigillée à La Graufesenque, Millau, 1974) ; ** : t. connu à Aspiran (cf. Genty (P.Y.), Fiches (J.‑L.). — op. cit.).

■ Collection principale et lieu de conservation

139Dépôt archéologique de Sallèles‑d’Aude.

■ Responsables actuels du site

140F. Laubenheimer et L. Albagnac.

141Le Directeur des Antiquités historiques de la région Languedoc‑Roussillon.

Bibliographie

142BONNET (E.). — Carte archéologique de la Gaule romaine : département de l’Hérault, fasc. X. Paris, 1946.

143Carte géologique de la France au 1 : 80 000e, Bédarieux.

144CLAVEL (M.). — Béziers et son territoire dans l’Antiquité. Paris, 1970.

145FEUGERE (M.). — Les Fibules de la Gaule méridionale. S.I., 1985.

146GAYRAUD (M.). — Narbonne des origines à la fin du iiie siècle. Paris, 1981.

147GENTY (P.‑Y.), FICHES (J.‑L.). — L’Atelier de potiers gallo‑romain d’Aspiran (Hérault). Synthèse des travaux de 1971 à 1978. Figlina, 3, 1978, pp. 71‑92.

148LAUBENHEIMER (F.). — La Production des amphores en Gaule narbonnaise sous le Haut Empire. Paris, 1985.

Table des illustrations

Légende • 1. La Graufesenque. Formes décorées.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-1.jpg
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Légende • 2. La Graufesenque. Formes lisses.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-2.jpg
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Légende • 3. La Graufesenque. Les « services » flaviens.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-3.jpg
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Légende • 4. La Graufesenque. Principaux modes de composition des motifs décoratifs.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 40k
Légende • 5. La Graufesenque. Exemples de décors sur les types les plus courants.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 163k
Légende • 6. La Graufesenque. Diffusion des céramiques de La Graufesenque.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 92k
Légende • 7. Banassac. Décors de Biragillus.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 161k
Légende • 8. Banassac. Décors de Germanus.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 141k
Légende • 9. Banassac. Décor de Natalis.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Légende • 10. Banassac. Estampilles épigraphiques.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 200k
Légende • 11. Banassac. En haut, estampilles illisibles et figurées ; en bas, quelques exemples de gobelets.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 124k
Légende • 12. Le Rozier. À gauche, répertoire de formes lisses ; à droite, moule d’un potier connu à La Graufesenque.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 105k
Légende • 13. Le Rozier. Estampilles de potiers.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 114k
Légende • 14. Aspiran. Principales formes produites dans l’atelier.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 70k
Légende • 15. Aspîran. Catalogue des estampilles. Entre parenthèses : nombre d’exemplaires retrouvés.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 57k
Légende • 16. Jonquières ‑ Saint‑Saturnin. Fac‑similés des timbres.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-16.jpg
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URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-17.jpg
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Légende • 17. Jonquières ‑ Saint‑Saturnin. Exemples de la production décorée (1, 2) ; poinçon‑matrice (3).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-18.jpg
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Légende • 18. Jonquières ‑ Saint‑Saturnin. Tableau de répartition des timbres * : t. connu à La Graufesenque (cf. Vernhet (A.). — Notes sur la terre sigillée à La Graufesenque, Millau, 1974) ; ** : t. connu à Aspiran (cf. Genty (P.Y.), Fiches (J.‑L.). — op. cit.).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32378/img-19.jpg
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Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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