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L’île de Tatihou (Manche) à l’âge du Bronze

 | 
Cyril Marcigny
, 
Emmanuel Ghesquière

Chapitre 2. Cadre géographique

Jean-Pierre Camuzard, Cyril Marcigny et Lionel Dupret

Résumé

L’île de Tatihou est accessible à pied à marée basse (elle est située à moins d’1 km de la côte). L’île est aujourd’hui marquée par un relief monotone dont l’altitude maximale culmine à 5 m. Sur le plan géologique, la commune de Saint-Vaast-la-Hougue appartient au Massif armoricain. Elle est établie sur des terrains sédimentaires protérozoïques et paléozoïques s’échelonnant du Briovérien au Dévonien. Au sud-est du territoire communal (côte sud-est, île de Tatihou et La Hougue), un substrat de nature magmatique, formé de granité (granité varisque dit de Barfleur), a donné naissance à un platier dont l’altitude culmine à 6 m NGF. En contrebas, le bas pays du Val de Saire correspond à une ancienne surface d’abrasion marine développée au Quaternaire sur le substrat granitique. Les traces de plages anciennes des stades interglaciaires, alternant avec des limons et des coulées de solifluxion des périodes froides, y sont localement conservées. Les observations réalisées sur l’île de Tatihou montrent des niveaux de plage éémienne situés à un niveau légèrement inférieur à celui que l’on serait en droit d’attendre si l’on considère les autres coupes du Cotentin ; il est donc probable que cette zone constitue une aire déprimée en situation d’effondrement relatif sinon de subsidence, ce qui expliquerait les faibles potentiels d’érosion mis en jeu.

Texte intégral

1L’île de Tatihou, la plus septentrionale des îles de la métropole, est située sur la côte nord-est du département de la Manche (commune de Saint-Vaast-la-Hougue) (fig. 4). Accessible à pied à marée basse, elle est située à peu de distance de la côte (moins d’1 km). Marquée par un relief monotone dont l’altitude maximale culmine à 5 m, elle est composée de six zones différentes. Au nord-ouest, l’ancien lazaret, complètement construit, et le clos du lazaret, lieu de la fouille de 1996, forme un quadrilatère d’un peu plus de 5 ha ceinturé par un haut mur de granité (fig. 1 et 3). Au début de l’opération, le terrain du clos presque vide présentait encore les traces au sol des anciens baraquements légers et du terrain de sport du centre de rééducation fermé au début des années quatre-vingt. La moitié de cette zone était recouverte de nombreux tas de déblais volumineux correspondant à la destruction de cet établissement et aux travaux de réhabilitation du lazaret. La plaine et la réserve ornithologique sont situées à l’est du clos. Cette vaste zone n’a fait l’objet d’aucun aménagement depuis le xvie s. Elle a juste été mise en labour durant la période moderne comme en témoignent les billons encore observables en microrelief. Cette partie de l’île, totalement sondée lors des travaux archéologiques, est menacée à chaque grande marée (inondations fréquentes au sud et à l’est) et l’érosion continuelle dont elle est victime fait affleurer une partie des vestiges archéologiques au nord-est. Le fort, au sud-est, est aussi, à l’instar du lazaret, totalement construit. Enfin, la plage, constituée de sable fin, recouvre un estran limoneux à l’ouest et le granite à l’est.

FIG. 4. L’île de Tatihou, vue aérienne du site ;
les fouilles du clos du lazaret ont été réalisées au niveau du stade (en arrière-plan).

2.1 Géologie

2Sur le plan géologique, la commune de Saint-Vaast-la-Hougue appartient au Massif armoricain. Elle est établie sur des terrains sédimentaires protérozoïques et paléozoïques s’échelonnant du Briovérien au Dévonien. Au sud-est du territoire communal (côte sud-est, île de Tatihou et La Hougue), un substrat de nature magmatique, formé de granité (granité varisque dit de Barfleur), a donné naissance à un platier dont l’altitude culmine à 6 m NGE

3L’île de Tatihou appartient géologiquement à la petite région naturelle du Val de Saire. Le sous-sol de cette partie nord-est de la presqu’île du Cotentin renferme une très grande variété de roches tant par leur nature pétrographique que par leur âge (fig. 5).

FIG. 5. Carte géologique.

4Les terrains les plus anciens sont d’âge protérozoïque (Briovérien) et affleurent de part et d’autre de la vallée de la Saire. Il s’agit pour l’essentiel de roches volcaniques (spilites du Vaast) et sédimentaires (siltites et phtanites de Bretteville), épimétamorphiques, de teinte vert sombre. Au contact du granité de Barfleur ou de celui de Saint-Vaast, ces faciès sont transformés en cornéennes et schistes tachetés. De telles roches constituent les rochers littoraux au nord de l’île de Tatihou : leurs produits d’altération constituent l’essentiel des altérites formant la base des profils les plus septentrionaux, en cela très différents des profils méridionaux dont le substrat arénisé est granitique.

5Les terrains cambriens se cantonnent principalement à l’ouest du Val de Saire, dans le secteur de Bretteville-en-Saire et du Becquet (hors carte). Ils présentent, à la base, des conglomérats et arkoses (grès riches en feldspaths), surmontés par une épaisse formation de schistes verts (La Glacerie).

6Les terrains ordoviciens se rencontrent plutôt au sud du Val de Saire où ils forment des crêtes topographiques orientées E-O (région de Quinéville). Ce sont essentiellement des grès quartzites clairs très durs (grès armoricain) et des grès quartzeux riches en hématite (grès de May).

7Au nord de la vallée de la Saire, le bas pays est largement occupé par le massif granitique de Barfleur d’âge carbonifère. Celui-ci présente deux faciès :

  • à l’ouest, un granité isogranulaire à grain moyen ;

  • à l’est, un granité porphyroïde à gros cristaux de feldspath potassique microcline.

8Au sud de la Saire, le granité de Saint-Vaast forme une étroite bande, orientée O-E, que l’on peut suivre sur le continent depuis Teurthéville-Bocage jusqu’à Saint-Vaast-la-Hougue. L’îlot de Tatihou constitue l’affleurement le plus oriental de cette bande granitique dont la composition pétrographique est en tous points identique à celle du granite de Barfleur.

9Le socle armoricain ancien et plissé, dont nous venons de décrire les principaux types pétrologiques, est recouvert par des terrains triasiques en discordance, qui se composent de sables et de cailloutis parfois consolidés en conglomérats silicifiés très résistants. Ces faciès indurés constituent des entablements qui arment les reliefs du haut pays, au nord et au sud-est de la vallée de la Saire (site de La Pernelle).

10L’origine continentale des grès, sables et conglomérats du Trias explique leur richesse en oxydes de fer. Ceux-ci seront mobilisés dans les paléosols formant les horizons profonds des profils de l’île.

2.2 Géomorphologie

11En contrebas de ces plateaux, le bas pays du Val de Saire correspond à une ancienne surface d’abrasion marine développée au Quaternaire sur le substrat granitique. Les traces de plages anciennes des stades interglaciaires, alternant avec des limons et des coulées de solifluxion des périodes froides, y sont localement conservées.

12En Cotentin, l’observation des structures héritées des périodes interglaciaires est possible grâce aux coupes des falaises de bordure maritime. Elles sont présentes à des altitudes nettement au-dessus du 0 NGF actuel (Hommeril 1967) : 1 à 2 m pour les plages éémiennes, 2 à 13 m pour les plages intrasaaliennes (Coutard et al. 1981 ; Clet-Pellerin et al. 1985 ; Lautridou 1987 ; Vérague et al. 1991) (à Ecalgrain, la plage intrasaalienne est au même niveau que les plages éémiennes de La Hague). C’est le témoignage d’une lente surrection continentale dont les valeurs different selon les compartiments tectoniques concernés (Baize 1998).

13Il est cependant logique d’observer les traces des cordons de galets ou des hauts de plage marquant le maximum de la transgression éémienne, à une altitude légèrement supérieure au présent niveau de référence, du fait d’un climat sensiblement plus chaud que le climat actuel. Néanmoins la synthèse des observations réalisée sur un certain nombre de points du littoral du Cotentin conduit à penser que le continent subit, certes irrégulièrement, une épirogenèse dont l’intensité reste à définir. C’est la raison pour laquelle les plages fossiles éémiennes se situent à des niveaux, d’ailleurs variables, mais surmontant nettement les milieux supratidaux actuels (voir coupes de Jardeheu, Port-Racine, Les Herbeuses et Les Ilets).

14Les observations réalisées sur l’île de Tatihou montrent en revanche des niveaux de plage éémienne situés à un niveau légèrement inférieur à celui que l’on serait en droit d’attendre si l’on considère les autres coupes du Cotentin ; il est donc probable que cette zone constitue une aire déprimée en situation d’effondrement relatif sinon de subsidence, ce qui expliquerait les faibles potentiels d’érosion mis en jeu.

15Cette étude consiste en premier lieu à identifier des niveaux repères (enregistrements pédosédimentaires) et à les replacer dans un contexte dynamique d’évolution des systèmes géomorphologiques superposés.

2.3 Enregistrements pédosédimentaires et séquence stratigraphique

16La recherche sur le plan pédologique s’est révélée extrêmement intéressante, car elle a permis de mettre en évidence un certain nombre d’enregistrements pédosédimentaires caractéristiques des différentes phases d’évolution du système géomorphologique constitué par l’île. Sachant que l’insularité n’est acquise que pendant les périodes interglaciaires, le système oscille entre un caractère franchement marin et un caractère épicontinental. C’est un système à faible potentiel, marqué par les phases de transgression et de régression, au rythme des oscillations glacio-eustatiques, dont nous retrouvons la trace inscrite dans les sédiments restés relativement minces (mais protégés de l’érosion), donc sous contrôle permanent des facteurs de la pédogenèse.

17L’objet principal de l’étude est triple :

  • conduire un travail précis de reconnaissance des différentes traces laissées par les phases pédogénétiques successives inscrites dans les formations superficielles (i.e. enregistrements pédosédimentaires) ;

  • en tirer des conclusions relatives à la dynamique des systèmes géomorphologiques superposés ;

  • montrer en quoi les enregistrements pédosédimentaires, superposés ou emboîtés au sein de pédocomplexes, présentent des caractéristiques propres à leur mode de structuration, constituant ainsi de bons marqueurs de cette dynamique.

18Un objet secondaire est défini, conséquence du précédent. En effet, si les sols ou plus largement les enregistrements pédosédimentaires sont de bons marqueurs de la dynamique des systèmes géomorphologiques et intéressent ainsi les pédologues, ils constituent aussi pour les tectoniciens un repère chronologique utile en vue de caractériser et quantifier les différents mouvements relatifs de surrection du Cotentin. Les enregistrements pédosédimentaires de l’île de Tatihou seront comparés avec ceux observés dans les coupes des zones septentrionales et occidentales de la presqu’île du Cotentin.

19L’étude pédologique sur l’île de Tatihou comporte donc méthodologiquement deux aspects aux objectifs scientifiques différents. Le premier intéresse l’étude pédologique générale. Il s’agit de l’observation in situ de cinq profils. Les deux premiers ont donné lieu à un simple examen des horizons livrés par les coupes de terrain suivi d’un échantillonnage destiné à l’analyse micromorphologique. Les trois suivants ont bénéficié d’une étude physico-chimique et diffractométrique complémentaire. Le deuxième intéresse le domaine archéologique en vue de définir les niveaux d’anthropisation. Il s’agit de l’examen micromorphologique systématique d’échantillons prélevés sur les parois des fossés (à l’aide de colonnes et de boîtes de Kubiena, sur une trentaine de colonnes prélevées, 16 ont été traitées en laboratoire, 12 ont été exploitées totalement, donnant lieu à la fabrication de plus de 200 lames dont 107 exploitables).

20Pour comprendre la disposition des formations superficielles sur l’île, et ainsi évaluer le taux d’érosion des sols archéologiques et certains problèmes de lecture des structures en creux, cinq sondages profonds d’une superficie moyenne de 10 m2 ont été réalisés sur le gisement.

2.3.1 Nomenclature des horizons. fig. 6

21L’étude pédologique comporte l’observation des cinq profils relevés. Les deux premiers ont donné lieu à un simple examen des horizons livrés par les coupes de terrain, suivi d’un échantillonnage qui est en cours d’exploitation. Les trois suivants ont bénéficié d’une étude physico-chimique complémentaire réalisée au centre de Géomorphologie du CNRS à Caen. Le tableau I et la figure 3 précisent leur localisation et les références des échantillons récoltés au cours de l’étude et analysés en laboratoire.

TABL. I. Localisation des échantillons et plan d’échantillonnage.

22Le tableau synoptique (tabl. II) constitue une tentative de corrélation entre les cinq profils étudiés dans l’île. Associé à une coupe interprétative synthétique (fig. 6), il permet de comprendre quelles sont les différentes phases géodynamiques ayant affecté le milieu.

TABL. II. Corrélation entre les différents profils.

FIG. 6. Coupe des formations superficielles de l’île de Tatihou : interprétation pédostatigraphique (éch. des longueurs 1/500 ; éch. des hauteurs 1/40).

23Pour simplifier, on distinguera quatre grands épisodes géodynamiques notés IV à I puisque nous cheminerons de l’épisode le plus ancien au plus récent (notation pédologique).

2.3.1.1 Épisode IV : la plate-forme d’abrasion marine et sa continentalisation pendant l’interglaciaire pré-éémien

24Cet épisode d’altération (noté Rcr) appartient aux cycles glacio-eustatiques antérieurs au Weichsélien (stade isotopique 6, fig. 7). Nous discernerons deux phases.

FIG. 7. Représentation schématique des différents épisodes morphodynamiques ayant affecté les formations superficielles de l’île de Tatihou (stades isotopiques 6 à 2).

25Phase 1, création d’une plate-forme d’altération granitique dont les creux ont piégé des galets de granite altérés et poreux, ainsi que de nombreux silex secondairement gélifractés.

26Phase 2, quelques indices d’activité pédogénétique sont perceptibles, résultat du démantèlement des sols en place. La matrice des altérités arénisées est chargée en limons qui ne peuvent être que saaliens. On les retrouvera à plusieurs reprises dans les cycles supérieurs. À ce sujet, la comparaison avec la coupe de l’anse d’Ecalgrain dans le nord du Cotentin est intéressante.

2.3.1.2 Épisode III : transgression marine de l’interglaciaire éémien

27Phase 1, notée IIId, formation d’un marais côtier et d’un paléosol de type gley ou podzol hydromorphe dans les zones abritées et affaissées suite à la déstructuration, à la désodisation et à la dessiccation partielle du milieu. Il y a fluctuation du niveau marin soit du fait d’instabilités à caractère morphodynamique, soit du fait d’un contexte géomorphologique local favorable (zones à l’abri des cordons dunaires).

28Phase 2, notée IIIc, formation d’un bourrelet dunaire supratidal et arrivée de matériel sableux marin secondairement éolisé (IIIc2). Le sommet de cette formation (IIIcl) a subi la pédogenèse (aéronosol brun et podzol humo-ferrugineux). Mais le profil est bien évidemment tronqué lors de la phase qui lui succède dans le temps.

29Phase 3, notée IIIb, formation d’une plage de galets à matrice grossière et limoneuse, maximum de la transgression marine, qui correspond à un recul du trait de côte avec démantèle ment d’un ancien littoral y compris des sols qui s’y étaient développés (remaniements de concrétions ferrugineuses). Des altérités d’origine fluviatile se trouvent en front de chenal estuarien intimement mélangées à du matériel exclusivement marin, voire des sables dunaires alors remaniés par la mer. Le sommet de cette formation de plage a subi une pédogenèse (podzol à horizon placique).

30L’ensemble des phases notées IIId, c, b couvre une période allant de 130000 à 115000 BP. Elles correspondent à une remontée du niveau marin : il s’agit de la phase de transgression marine de l’interglaciaire éémien, stade isotopique 5e (fig. 7).

31Phase 4, notée IIIa, érosion en tout début de période froide. Le paléosol relictuel est totalement démantelé, il ne reste que des « échardes » éparses qui constituent de rares témoins de la période continentale qui a suivi le retrait de la mer (fini-éémien). Cette période de remaniements du matériel lœssique saalien préexistant amorce le Début Glaciaire, elle correspond au stade isotopique 5 d (110 000 BP) du Weichsélien ancien (fig. 7).

2.3.1.3 Épisode II : les couvertures lœssiques au Weichsélien et les phases de pédogenèses qui ont suivi à l’Holocène

32Phase 1, notée IIe, formation du fragipan (IIc C2x, fig. 7) ou des sols de type B en bandes (IIc BT du profil 72, fig. 6) ou encore limons bruns feuilletés (IIc BT du profil 56, fig. 6) au Début Glaciaire. Des limons appartenant au cycle précédent, très appauvris en argiles, enrichis en sables et en limons grossiers, issus des sols en place pendant la période éémienne, sont à l’origine d’un futur fragipan ou de sol de type B « en bandes ». On trouve leur équivalent sous forme de sols noirs ou brun-noir à morphologie dite « en bandes » également. Cette phase IIc correspond aux stades isotopiques 5 a, b, c (100000 à 80000 BP) (fig. 7).

33Phase 2, notée IIb2, dépôt de lœss. Il s’agit de lœss récent (post-Nagelbeck ex-Kesselt) suivi d’une brunification en période tardiglaciaire, puis holocène.

34Phase 3, notée IIb1, pédogenèse de type sol brun lessivé en début de période holocène.

35L’ensemble des phases IIb appartient au stade isotopique 2 (fig- 7).

36Phase 4, notée IIa, dégradation du profil de type sol brun lessivé à l’Holocène récent, suite à l’activité humaine (4000 BP) et à l’installation de couvertures sableuses, d’ailleurs quasi généralisées sur le littoral. Il reste cependant difficile de mesurer l’ampleur de cette dégradation et son origine exacte car le sommet du solum est perturbé par l’occupation anthropique (âge du Bronze) et par l’activité biologique particulièrement intense (bioturbation due aux lombrics qui élisent domicile dans les lœss en entraînant des sables de surface).

37Cependant il est clair que les horizons supérieurs IIa ont été affectés d’une nouvelle pédogenèse : on distingue assez bien un horizon argilluvial subhydromorphe noté IIa BTgd, à nombreux nodules ferrugineux et ferrimanganifères ainsi qu’un horizon éluvial mince, noté IIa E ou IIa Eg, qui le surmonte. À l’analyse micromorphologique, le cortex des nodules ferrugineux apparaît, dans ce dernier horizon, en voie de déferrification. Nous avons ici un excellent exemple de profil polyphasé, l’horizon éluvial du paléosol du début de l’Holocène ayant été affecté par des processus pédogénétiques induits par l’activité humaine. L’interprétation détaillée de ces processus sera donnée ci-après (fig. 10).

2.3.1.4 Épisode I : sol actuel à caractère cryptopodzolique sur sable éolien récent

38Le caractère géomorphologique fondamental de cette période est l’acquisition de l’insularité qui s’est établie peu après l’occupation protohistorique. La remontée de la mer (vers 8 000 BP) a eu pour conséquence l’érosion des cordons anciens protégeant Tatihou dont le relief reste extrêmement modeste (5 m NGF).

2.3.2 Conclusion

39Il existe ici des formations très comprimées témoignant de plusieurs systèmes géomorphologiques superposés dans le temps et dans l’espace dont les sols constituent la mémoire. L’apport de l’enregistrement pédosédimentaire est donc dans le cas présent très utile à la compréhension des systèmes.

40Au contraire des autres systèmes géomorphologiques étudiés à l’ouest du Cotentin, il existe ici un système à faible potentiel gravitaire. Ce faible apport énergétique n’est pas compensé par l’énergie des apports lœssiques qui restent eux aussi très modestes comparés à ce que nous connaissons par ailleurs. L’apport de matière est limité et assure l’état métastable du système.

41C’est l’énergie marine qui compense le déficit énergétique global : après une phase d’installation marécageuse, les apports marins (le sable éolien est d’abord d’origine marine) constituent l’essentiel du support pédologique et assurent la pérennité de l’île.

2.4 Tatihou à l’âge du Bronze : île ou presqu’île ?

42Actuellement, à chaque marée basse, l’île de Tatihou est accessible à pied, ce qui témoigne du faible dénivelé entre la partie toujours émergée et le fond du bras de mer qui la sépare de Saint-Vaast-la-Hougue. Cette insularité était-elle déjà établie à l’âge du Bronze, ou bien s’agissait-il d’une presqu’île reliée de façon permanente au continent (autrement dit, existe-t-il des évidences d’un recul de la ligne de rivage dans ce secteur) ?

43L’avancée (ou le recul) d’une ligne de rivage est contrôlée par trois paramètres principaux qui peuvent d’ailleurs interagir :

  • l’évolution du niveau de la mer (eustatisme) liée aux alternances climatiques globales (périodes glaciaires et interglaciaires) ;

  • les mouvements tectoniques verticaux de la croûte continentale (épirogenèse) ;

  • les apports sédimentaires continentaux (deltas) ou, à l’opposé, l’érosion marine du littoral sous l’action des tempêtes.

44Les spécialistes du Quaternaire considèrent que la mer, après sa spectaculaire remontée consécutive au réchauffement de la dernière période postglaciaire (transgression flandrienne), avait atteint son niveau actuel, il y a environ 3000 ans BP. Une récente étude d’un site protohistorique situé sur la côte ouest du Cotentin, dans le Havre de la Vanlée (Billard et al. 1995), a permis de mettre en évidence des variations du niveau marin au cours de l’Holocène. Vers 4700 BP, celui-ci était plus bas de 3 m par rapport à l’actuel. Il est donc permis de penser qu’à l’époque de l’occupation du site de Tatihou (vers 3500 BP), le niveau marin devait être très proche de celui d’aujourd’hui, peut-être légèrement inférieur (de l’ordre du mètre). Cette variation ne peut, à elle seule, modifier de façon sensible le tracé du littoral.

45Pour les périodes récentes, les mouvements épirogéniques du continent sont encore mal connus, mais leurs amplitudes sont estimées à quelques millimètres par siècle. Ils ne semblent donc pas jouer un rôle très important sur les variations des lignes de rivage.

46Par contre, le littoral entre Barfleur et Saint-Vaast-la-Hougue est constitué par une côte basse particulièrement exposée aux fortes tempêtes d’est et de nord-est (des houles atteignant 4 m d’amplitude ont été mesurées au large des îles Saint-Marcouf). Ces tempêtes, lorsqu’elles coïncident avec des marées hautes de vives-eaux, provoquent une importante érosion marine qui entraîne un net recul du trait de côte. Les microfalaises limoneuses s’écroulent et les cordons sableux subissent d’importants démaigrissements. A Jonville, les tempêtes de février 1962 ont entraîné l’érosion de la moyenne et de la basse plage, mettant à nu des sépultures mérovingiennes conservées dans la couche argilo-limoneuse. Dans le secteur de Réville, d’autres sites archéologiques (dont un daté de l’âge du Bronze) ont été découverts sur l’estran actuel. L’ancien rivage devait donc se situer plus à l’est, vraisemblablement à plusieurs centaines de mètres de la côte actuelle. Une étude quantitative de l’érosion littorale à Réville-Landemer (Larsonneur, Dissler 1982) a montré qu’en certains points, le recul de cette côte a atteint 30 m en 35 ans (de 1947 à 1982).

47En conclusion, l’avancée spectaculaire de la mer constatée sur cette partie du littoral du Val de Saire est essentiellement due à l’intense érosion marine. Celle-ci déblaya progressivement les cordons littoraux et les dépôts meubles du Quaternaire ancien qui protégeaient les terres basses des invasions marines. De faibles variations eustatiques positives ont pu, à l’époque protohistorique notamment, accentuer le phénomène. Il est donc fort possible, qu’à cette même époque, l’îlot granitique de Tatihou ait été une presqu’île ou une bande de terrain appartenant à la côte, reliée au continent par une bande de dépôts meubles appartenant à la plaine alluviale de la Saire.

Table des illustrations

Légende FIG. 4. L’île de Tatihou, vue aérienne du site ; les fouilles du clos du lazaret ont été réalisées au niveau du stade (en arrière-plan).
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Légende FIG. 5. Carte géologique.
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Légende TABL. I. Localisation des échantillons et plan d’échantillonnage.
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Légende TABL. II. Corrélation entre les différents profils.
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Légende FIG. 6. Coupe des formations superficielles de l’île de Tatihou : interprétation pédostatigraphique (éch. des longueurs 1/500 ; éch. des hauteurs 1/40).
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Légende FIG. 7. Représentation schématique des différents épisodes morphodynamiques ayant affecté les formations superficielles de l’île de Tatihou (stades isotopiques 6 à 2).
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