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Habitats, nécropoles et paysages dans la moyenne et la basse vallée du Rhône (viie-xve s.)

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Odile Maufras

Avant-propos

Valérie Bel

Texte intégral

1Les études présentées dans ce volume ont été menées dans le cadre de l’opération d’archéologie préventive préalable à la construction par la SNCF de la ligne nouvelle du TGV-Méditerranée. Après l’importante opération archéologique sur le tracé du TGV-Nord, ce projet représentait, par son ampleur et ses enjeux, un nouveau défi pour les archéologues. Enjeux scientifiques et patrimoniaux avant tout, eu égard au potentiel archéologique des régions concernées : les secteurs de Marseille et de Nîmes, et surtout le couloir rhodanien, l’un des principaux axes de circulation de l’Europe occidentale depuis la Préhistoire.

2Cette zone sensible est traversée par un transect long de près de 310 km –réduits à 260 km à la suite de l’abandon du tronçon Nîmes-Montpellier–, d’une emprise moyenne d’environ 40 m de large. S’y ajoutent une série d’aménagements annexes, notamment les zones d’emprunts de matériaux dont la surface correspond à l’équivalent de 50 km de tracé. Divisée en trois branches se rejoignant au niveau d’Avignon –une branche nord, vers Valence, une branche sud vers Marseille, et une troisième, vers Nîmes à l’ouest–, la ligne nouvelle traverse trois régions administratives –Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon– et cinq départements. Les dimensions et la complexité du projet ont nécessité de mettre en œuvre une opération préventive d’une ampleur sans précédent, et ce dans des délais particulièrement courts, puisque l’ensemble des travaux, depuis l’enquête documentaire jusqu’au diagnostic et à la fouille, a dû être réalisé en 15 ou 22 mois selon les secteurs, d’octobre 1994 à octobre 1996. Pour tenir compte de ces contraintes et répondre dans le même temps aux exigences de qualité de la communauté scientifique, il a fallu mettre en place de nouvelles méthodes de travail et une organisation adaptée. Dans la mesure où les choix retenus ont conditionné la réalisation des travaux exposés dans cet ouvrage, il nous a paru utile d’en faire une présentation succincte.

  • 1 – L’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan) a été remplacée le 1er février 2 (...)

3Les modalités de l’opération ont été définies par une convention cadre signée entre le ministère de la Culture (sous-direction de l’Archéologie) chargé de veiller à la prise en compte du patrimoine archéologique ; la SNCF, maître d’ouvrage du projet, assurant le financement des travaux archéologiques, et l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan)1, à qui a été confiée l’exécution des fouilles.

4La mise en place du programme scientifique, le suivi et le contrôle des opérations ont été assurés par les services du ministère de la Culture concernés (services régionaux de l’Archéologie [SRA] de Rhône-Alpes, de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Languedoc-Roussillon, ce dernier assurant la coordination des actions des trois services). Ils ont été aidés dans leurs tâches par les commissions interrégionales de la recherche archéologique (Cira) Centre-Est et Sud-Est, largement sollicitées pour donner leur avis sur les choix et les méthodes adoptés. Dans un souci d’harmonisation des approches scientifiques, ces deux instances ont été réunies à plusieurs reprises en inter Cira, notamment lors de l’examen des projets de publication. Le rythme soutenu des interventions, imposé par les contraintes de délais, a nécessité de mettre en place un suivi scientifique au plus près du terrain. Des visites régulières des chantiers ont ainsi été effectuées par les représentants des SRA, et par une délégation permanente émanant des Cira Centre-Est et Sud-Est. Celle-ci était représentée par A. D’Anna (pour les périodes pré- et protohistoriques) et Ph. Leveau (pour les périodes historiques), auxquels s’est jointe, pour les questions spécifiques à la période médiévale, Ch. Mazard (Cira Centre-Est). Tout au long du déroulement des fouilles, il a été fait appel à des experts issus des différentes institutions (CNRS, Université, Culture, etc.), parmi lesquels il convient de citer, pour la période médiévale, M.-C. Bailly-Maître, É. Faure-Boucharlat, J.-M. Poisson, C. Raynaud et J.-F. Reynaud. Ces démarches reflètent la volonté des différents acteurs d’inscrire cette opération dans la recherche archéologique régionale.

5La coordination scientifique et technique des opérations a été confiée à un agent du ministère de la Culture (J.-O. Guilhot, médiéviste, jusqu’en janvier 1996, relayé par T. Odiot, antiquisant), assisté de trois coordinatrices adjointes (Afan) – H. Dartevelle (secteur Avignon-Marseille), N. Le Meur (secteur languedocien) et V. Bel (pour le secteur nord). Cette coordination a eu notamment pour rôle d’assurer au quotidien la liaison entre les équipes d’archéologues de l’Afan chargées de réaliser les fouilles, et les différents partenaires. À ce propos, il convient de souligner la qualité des relations établies avec les représentants de l’aménageur, et notamment avec J. Bugiani, responsable à la SNCF de l’interface avec les archéologues.

6La convention tripartite prévoyait un déroulement des recherches en quatre phases : des enquêtes documentaires, un repérage systématique (prospections au sol et diagnostic par sondages), une phase d’évaluation et enfin, la mise en place de fouilles.

7L’étape préliminaire a permis de recenser les sites répertoriés sur la Carte archéologique et d’engager un premier dépouillement des archives des communes traversées pour repérer notamment d’éventuels sites médiévaux. Elle a été également consacrée à la réalisation d’une étude de carto- et photo-interprétation (coordonnée par G. Chouquer/CNRS) sur la plus grande partie du tracé, en s’appuyant notamment sur la couverture aérienne de l’IGN, les cadastres napoléoniens et les cartes d’état-major.

8La phase suivante a consisté en un repérage systématique des sites sur l’emprise de la ligne nouvelle, au moyen d’une prospection au sol –élargie à un fuseau de 300 m de large, de part et d’autre du tracé–, puis par des sondages à la pelle mécanique (fig. 1). Ces recherches ont été conduites par des équipes de trois personnes aux compétences complémentaires (Pré- et Protohistoire, Antiquité, Moyen Âge), ayant chacune en charge un tronçon (ou lot) de 25 à 40 km de long. Chaque lot a nécessité 2 à 3 mois (rapport compris) de prospection pédestre et 9 mois (rapport compris) de sondages. Notons qu’à cette étape de l’investigation, une méthode non destructrice, la prospection géophysique (coordonnée par G. Ducomet/ministère de la Culture), a été particulièrement utile dans les zones non accessibles, notamment les parcelles de vignoble. Cette méthode a également été mise en œuvre en complément des fouilles pour évaluer l’extension des vestiges hors de l’emprise des travaux ou aider à préciser rapidement les caractéristiques d’un site après décapage.

FIG. 1
Prospection mécanique sur le site de Saint-Gilles le Vieux (Aimargues, Gard).

9Le caractère systématique des phases de reconnaissance doit être souligné, car il constitue un des traits les plus novateurs du protocole méthodologique mis en place par les SRA sur cette opération d’archéologie rurale. Le choix a été fait de ne privilégier a priori aucune région au détriment d’une autre. Cette approche ambitieuse résulte d’une meilleure prise en compte des données géomorphologiques et des caractéristiques des milieux traversés.

10Dans le couloir rhodanien notamment, le transect du TGV rencontre des zones de collines au substrat géologique fragile et sensible à l’impact de l’érosion. Il s’ensuit d’importants phénomènes de troncature des versants et, à l’inverse, d’épaisses accumulations de colluvions en bas de pente. Dans la plaine du Rhône et de ses affluents, on observe des processus comparables de démantèlement et de recouvrement des sols et des occupations anciennes, liés aux crues et aux modifications des régimes des cours d’eau. Pour le seul secteur nord, entre Valence et Orange, les zones où le recouvrement sédimentaire est supérieur à 1,50 m (jusqu’à 6 m) représentent plus de 50 % du tracé linéaire. Ces conditions particulières ont, bien entendu, un impact déterminant sur la conservation, la taphonomie et sur la lisibilité des sites. De fait dans ces secteurs, la prospection au sol a été d’une faible utilité, beaucoup d’indices de surface correspondant à des éléments colluviés. À l’issue de cette expérience, il apparaît une nouvelle fois que ce type d’approche n’est pertinent que pour les zones à recouvrement faible ou nul, même s’il demeure essentiel pour une appréhension globale du terrain (topographie, accès, etc.).

11De fait, les stratégies de sondages ont été élaborées en concertation avec les géo-archéologues de l’équipe. Cette approche a été grandement facilitée, dans le secteur nord, par une étude préliminaire réalisée par J.-L. Brochier qui a pu suivre les sondages géotechniques effectués pour la SNCF. La présence continue auprès des archéologues d’une équipe de géomorphologues –d’ailleurs renforcée en cours d’opération– a sans nul doute permis un réel saut qualitatif dans la reconnaissance des sites. Cette démarche s’inscrit également dans la volonté de développer les problématiques relatives à l’histoire des paysages et des climats – essentielle dans des zones aussi sensibles que sont les régions méditerranéennes –, et de l’interaction homme/milieu. Dans ces domaines, l’apport des études menées sur le tracé du TGV est considérable, comme en témoignent les contributions des environnementalistes à ce volume.

12Méthodologiquement, la phase de repérage systématique devait servir d’assise à un échantillonnage basé sur des critères scientifiques (représentativité, conservation, etc.). Les sites repérés en sondages devaient faire l’objet d’une évaluation destinée à préciser la nature, l’extension et la chronologie des occupations grâce à l’ouverture de larges fenêtres. Ces interventions, d’une durée d’un mois, ont été confiées à des équipes de trois à quatre personnes. En fonction des résultats de l’expertise, il était alors décidé d’abandonner les investigations, de prolonger l’évaluation (d’un ou deux mois) ou bien, en cas de découverte majeure, d’élaborer un projet de fouille de plus grande ampleur.

13Cette politique de choix raisonnés n’a pu être conduite dans toute sa rigueur, en raison notamment des délais restreints, des difficultés d’accès aux parcelles et de maîtrise foncière qui ont obligé les équipes à différer certaines évaluations, voire à y renoncer. Ces obstacles ont d’ailleurs pesé sur la phase de diagnostic, certains tronçons n’ayant jamais pu être étudiés par les archéologues. Ces contraintes ont été plus ou moins sensibles selon les lots. Dans le nord du Vaucluse (communes de Mornas, Piolenc, Orange et Caderousse), elles ont été aggravées par l’épaisseur des recouvrements sédimentaires et la proximité de la nappe phréatique, qui ont conduit à l’abandon des investigations dans ce secteur. Il convient enfin de préciser qu’un certain nombre de sites –et pas forcément les moindres– n’ont pu être traités en raison des difficultés budgétaires rencontrées à la fin de l’opération. Plusieurs évaluations, initialement prévues, ont dû être annulées. Ainsi, les recherches sur le site médiéval du Porge à Roquemaure (Gard) ont été limitées à un simple diagnostic. Les problèmes d’accès mais aussi le nombre très important de sites à étudier dans les délais imposés ont contraint les archéologues à entamer les évaluations et même des fouilles avant l’achèvement des sondages de repérage. Dans de telles conditions, il n’a pas été possible de hiérarchiser les découvertes et d’effectuer de véritables choix basés sur une vision globale du potentiel archéologique.

14Par ailleurs, la nécessité d’effectuer parfois plusieurs dizaines d’opérations en parallèle a rendu particulièrement complexe la constitution d’équipes aux compétences adaptées à chacune des situations. Pour ces mêmes raisons, on a dû faire appel dans beaucoup de cas à des intervenants différents pour assurer sur un même site les opérations de diagnostic, d’évaluation et de fouille, au risque de pertes d’informations et d’une hétérogénéité des approches. Ces problèmes ont cependant été en partie limités par un effort d’harmonisation de l’enregistrement et de l’archivage des données. Pour certains domaines particuliers, comme la géo-archéologie déjà évoquée, mais aussi l’archéologie funéraire et l’étude de la céramique, des spécialistes de l’Afan ont été associés à la coordination avec pour mission d’intervenir sur l’ensemble d’un secteur. Cette politique a permis d’homogénéiser les méthodes de travail, de dégager très rapidement des problématiques et de préparer l’élaboration des synthèses dont certaines sont proposées dans ce volume. Cette démarche fructueuse a été complétée par le recours, déjà évoqué, à des collaborations interinstitutionnelles, tant pour les directions d’opérations –notamment pour les périodes anciennes–, que pour des conseils ou collaborations ponctuels.

15Le bilan d’une opération ne peut se résumer en quelques chiffres. On en mentionnera toutefois quelques-uns qui donnent une idée de la masse documentaire considérable recueillie en moins de deux ans. Cette vaste entreprise a mobilisé environ 300 personnes dont je voudrais ici saluer le travail, effectué parfois dans des conditions fort difficiles. Sur l’ensemble du tracé, 200 indices de sites ont été recensés parmi lesquels 130 gisements ont pu être traités par une évaluation ou une fouille. Une seule opération de fouille concerne la période médiévale (site de Chabrillan / Saint-Martin, Drôme), la plupart des sites ayant été traités dans le cadre d’une évaluation approfondie (Châteauneuf-sur-Isère / Beaume, Upie/Les Vignarets, Crest / Bourbousson, Montboucher-sur-Jabron / Constantin, Aimargues / Saint-Gilles le Vieux), d’une évaluation rapide (Chabrillan/L’Hortal, La Roche-sur-Grane / Les Treilayes, Roynac/Le Prieuré, Mondragon / Les Ribauds), voire seulement dans le cadre du diagnostic (Roquemaure / Le Porge, Tavel/Codoyères).

16Cet ouvrage concrétise la volonté de tous les acteurs de cette opération de restituer à la communauté scientifique l’essentiel de l’abondante documentation accumulée.

17Il s’inscrira dans un programme de publication qui comprend par ailleurs trois volumes livrant les données de l’ensemble des sites sous forme de fiches synthétiques, plusieurs monographies de sites majeurs, ainsi qu’un ouvrage de synthèse présentant les résultats des études sur l’évolution des paysages. Ce programme comportait initialement près de 90 projets de publication d’importances diverses, proposés par les équipes de fouille de l’Afan ou du CNRS, et validés par l’inter Cira. Il est regrettable que cette démarche originale n’ait pu aboutir complètement faute de financement. On soulignera toutefois l’effort sans précédent consenti par la sous-direction de l’Archéologie, pour qu’une grande partie des résultats de cette importante opération d’archéologie préventive puisse être publiée.

18Je tiens enfin à rendre hommage aux auteurs qui ont accepté de collaborer à ce volume, et à saluer tout particulièrement la qualité du travail réalisé par O. Maufras qui a porté du début à la fin ce projet avec beaucoup de patience et de détermination et une grande compétence.

Notes

1 – L’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan) a été remplacée le 1er février 2002 par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).

Table des illustrations

Légende FIG. 1 Prospection mécanique sur le site de Saint-Gilles le Vieux (Aimargues, Gard).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/22893/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 25k

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