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L'eau à découvert

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Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Quatrième partie. Usages de l'eau

2. Multifonctionnalité des rivières

Christian Lévêque

Texte intégral

1Les cours d’eau ont joué un rôle stratégique dans notre développement économique : voies de communication privilégiées pour le transport des marchandises et des personnes et principale source d’énergie mécanique, par la force motrice. C’est pourquoi beaucoup de villes se sont développées le long des fleuves qui ont été aménagés pour répondre à des usages, ainsi que pour protéger les personnes et les biens des crues intempestives.

Transport fluvial

2Les grands fleuves, aussi bien que des cours d’eau de moindre importance, sont navigués depuis longtemps. Les rois, qui étaient propriétaires des voies navigables, appelées aussi « cours d’eaux domaniaux », n’ont eu de cesse de les aménager pour faciliter la navigation et le commerce, notamment par le nivellement des seuils et la chenalisation*, de manière à rendre les cours d’eau navigables sur la plus grande distance possible, et en toute saison. Pour faciliter la navigation, des canaux reliant les principaux bassins versants ont également été creusés. Actuellement, il est possible de naviguer du Danube à la Seine… Mais les organismes aquatiques voyagent eux aussi : depuis quelques décennies, de nombreuses espèces d’origine danubienne ont ainsi colonisé les rivières françaises (mollusques, crustacés, etc.). Ils enrichissent ainsi la diversité biologique, mais certains les considèrent comme des espèces invasives*.

3Les écluses, qui permettent aux embarcations de franchir des dénivellations importantes, ont été inventées au XVe siècle. Mais les premières retenues permettant de régulariser les cours d’eau (« pertuis » ou « bâtis ») datent du Moyen Âge. L’eau de certaines de ces retenues était utilisée en période d’étiage* pour assurer une navigation temporaire : c’était la navigation par éclusées. Le bois, par exemple, est un matériau encombrant et lourd. D’où l’idée de le transporter par des techniques de flottage, pour le faire parvenir au plus près des consommateurs des grandes villes. La méthode la plus simple était celle du « bois flotté à bûches perdues ». Le flottage était assuré par des étangs ou des retenues créés pour cet usage, afin d’effectuer des lâchers d’eau qui permettaient de grossir momentanément le débit des rivières, afin de convoyer les bûches.

Moulin de Grand Fayt, dans le Nord. © C. Lévêque

L’énergie des rivières

4Depuis le Moyen Âge jusqu’à la révolution industrielle, la force motrice des cours d’eau constituait la principale source d’énergie. À la veille de la Révolution, l’énergie hydraulique des moulins jouait un rôle essentiel dans l’économie nationale : sciage du bois ou de la pierre, broyage des écorces pour la tannerie, trituration de la pâte à papier, filage des fibres textiles, métallurgie… Pour que l’eau produise de l’énergie mécanique, de nombreux barrages, retenues, dérivations… ont été construits pour le service des moulins et des usines hydrauliques. À l’époque, il s’agissait de l’une des plus importantes actions d’aménagement de l’espace et de domestication de l’environnement en France métropolitaine. Aujourd’hui, les barrages servent à produire de l’électricité (cf. IV.9) ou à stocker de l’eau pour l’irrigation (cf. IV.10). Ils entravent la connectivité longitudinale, en isolant des populations animales et en empêchant les migrations, ainsi que le transfert des sédiments.

La protection contre les crues

5Les villes construites près des cours d’eau cherchent, depuis toujours, à se protéger des crues qui peuvent être spectaculaires (cf. VI.19). En outre, certains fleuves ont la mauvaise habitude de changer de lit. Ces comportements ne sont pas vraiment compatibles avec la navigation, ni avec la protection des cultures et des villes. Pour y remédier, les cours d’eau ont été corsetés avec des levées et des digues, et certains lits ont été recalibrés et rectifiés, pour les rendre plus rectilignes, ce qui présentait l’avantage de faciliter la navigation, ainsi que l’évacuation des eaux.

6Cependant, les endiguements ont entraîné la disparition des plaines inondables et, de manière plus générale, la perte de connectivité avec les annexes fluviales. Aujourd’hui, par exemple, le brochet a du mal à se reproduire, car il ne trouve plus les prairies inondées qui lui servaient de frayères.

7Mais les digues ne sont pas insubmersibles. Après quelques épisodes catastrophiques (la fameuse crue de la Seine en 1910, par exemple), des barrages chargés d’écrêter les crues sont construits, à l’exemple des barrages réservoirs de la Seine. Très vite, cependant, certains d’entre eux deviennent des lieux d’activités ludiques et touristiques et ne jouent plus le rôle qui leur était assigné à l’origine. Mais ils servent aussi de soutien d’étiage en période estivale.

De nouveaux usages…

8Au début du XXe siècle, une grande partie des usages traditionnels des cours d’eau a disparu ou a régressé, mais un nouvel usage apparaît : l’hydroélectricité. Des réservoirs plus importants sont construits, entravant le déplacement des espèces migratrices. En outre, les rivières sont de plus en plus aménagées pour protéger les personnes et les biens. En ville, elles sont enterrées au nom de l’hygiénisme* et de la sécurité, tout en les utilisant pour évacuer les eaux usées, à l’exemple de la Bièvre à Paris.

9Tous ces aménagements se sont surimposés les uns aux autres et ont durablement marqué la physionomie des vallées fluviales. Les barrages de toutes natures ont cloisonné les cours d’eau, modifiant le débit, entravant le transport sédimentaire*, et favorisant indirectement l’érosion* des côtes. Mais, simultanément, ils ont créé de nouveaux habitats pour la faune et la flore. Enfin, les digues ont isolé les fleuves de leurs lits majeurs, supprimant la connectivité avec les annexes fluviales.

10Nos cours d’eau sont donc des systèmes assez fortement anthropisés, qui ont perdu depuis longtemps leur caractère « naturel ». Cette anthropisation était liée à des usages dont certains ont perduré, alors que d’autres ont disparu. Se pose alors la question du maintien ou non des aménagements anciens pour satisfaire une nouvelle forme d’usage de nature environnementale : la restauration du bon état écologique des cours d’eau. C’est dans ce contexte qu’a lieu le débat autour de la restauration de la continuité écologique* des cours d’eau et la nécessite d’araser les barrages.

Bibliographie

Références bibliographiques

• C. AMOROS et G. E. PETTS – Hydrosystèmes fluviaux, Collection d’écologie, Masson, 1993.

• J.-P. BRAVARD – La lône, l'aménageur, l'écologue et le géographe, 40 ans de gestion du Rhône, Bulletin de l'association des géographes français, vol. 3, 2006.

• J.-F. FRUGET et J.-L. MICHELOT – Dérives écologiques et gestion du milieu fluvial rhodanien, Revue de Géographie de Lyon, 1997.

• A. GUILLERME – Les temps de l’eau. La cité, l’eau et les techniques, Champ Vallon, Seyssel, 1993.

• ONEMA – Pourquoi rétablir la continuité écologique des cours d’eau ? www.onema.fr/IMG/jc2010/Brochure-continuite.pdf, 2010.

Table des illustrations

Légende Moulin de Grand Fayt, dans le Nord. © C. Lévêque
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/9929/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 100k

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