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Les traditions économiques françaises

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Pierre Dockès
, 
Ludovic Frobert
, 
Gérard Klotz
, 
et al.

Deuxième partie. Histoire et espaces

Avant-propos

Texte intégral

1Les récoltes théoriques à la croisée de l’économie, de l’histoire, de la sociologie et de la géographie ont été abondantes et nombreuses en France entre le dernier tiers du xixe siècle et 1939. Les noms de Charles Gide, d’Émile Levasseur, de François Simiand, d’Elie Halévy, de François Perroux et d’autres encore viennent immédiatement à l’esprit.

2Néanmoins un paradoxe demeure ; en dépit de la valeur de ces tentatives individuelles, elles n’aboutissent pas à la naissance d’une communauté militante et à la création d’une véritable École revendiquant cette approche élargie des phénomènes économiques. Charles Gide, qui a lancé la Revue d’économie politique en 1887, pourra bien trois ans plus tard annoncer l’avènement d’une « École nouvelle », celle-ci ne vit pas vraiment le jour. La situation contraste avec le cas américain où avec la création en septembre 1885 de l’American Economic Association, s’affirme pour une cinquantaine d’années approximativement l’hégémonie de l’économie institutionnaliste. Les conséquences de l’atonie de la communauté française apparaissent clairement lorsqu’on 1933, Gaëtan Pirou, présentant devant les ingénieurs du Centre polytechnicien d’études économiques le bilan de la recherche économique dans les facultés de droit, est immédiatement acculé et réduit à la défensive, en particulier par Jean Coutrot.

3Différentes hypothèses peuvent être avancées pour expliquer l’absence d’une véritable école « hétérodoxe » en France dans cette période. On peut mettre en avant des raisons historiques, institutionnelles, philosophiques. On peut insister plus prosaïquement sur l’importance des contingences individuelles et relever que pour des raisons de trajectoire ou même pour des raisons de personnalité, certaines figures dominantes n’ont pu véritablement jouer un rôle fédérateur. Le cas de Charles Gide, rapidement converti à la croisade coopérativiste au détriment de l’économie, et dont en outre le célèbre neveu allait cruellement indiquer qu’il « vivait parmi les entités », est significatif ; tout comme celui de François Simiand d’ailleurs. Une autre raison peut être avancée encore : la quête constante en France de la définition et du monopole d’une science sociale généraliste s’est faite au détriment de l’économie. Entre la fin du xixe siècle et 1914, c’est la sociologie durkheimienne avec, en particulier, Émile Durkheim, Marcel Mauss, François Simiand, Paul Fauconnet, Maurice Halbwachs, qui est la mieux placée. À partir du début des années trente, les historiens de l’École des Annales revendiquent le droit de prendre le relais.

4S’appuyant sur les écrits de Louis Wolowski et de Léonce de Lavergne, Jean-Jacques Gislain rappelle opportunément qu’il y a une préhistoire des interrogations sur la méthode historique en France. Dans les années 1857- 1868, ces économistes libéraux, héritiers de Jean-Baptiste Say, ont relevé le défi que représentait l’historicisme allemand pour leur doctrine, tentant, parfois de façon acrobatique, de suggérer que les idées économiques d’un Wilhelm Roscher confirmaient ou permettaient de consolider leur propre dogme.

5La contribution d’Olivier Robert sur l’École historique anglaise relativise cependant l’idée d’une paternité strictement allemande de la méthode historique en soulignant l’importance du positivisme comtien dans la naissance des idées économiques de F. Harrison, J.K. Ingram, T.E.C. Leslie.

6Reconnu pour ses contributions à l’histoire économique et sociale et pour les nuances que sa méthode lui a permis d’apporter à certaines doctrines, Émile Levasseur, qu’étudient ici Nicole Commerçon et Bernard Boureille, joue un rôle précurseur durant le dernier tiers du xixe siècle dans le rapprochement de l’économie et de la géographie.

7Une veine théorique originale est ouverte en France par Paul Cauwès qui propose, inspiré par les lectures de F. List et H.C. Carey, le concept d’économie nationale. Joël Thomas Ravix insiste sur la nature dissidente tant sur le plan méthodologique que sur le plan prescriptif de cette approche. ’

8Pour leur part, Anne Le Roy et Yann Echinard soulignent l’originalité de Lucien Brocard, élève de Paul Cauwès, qui analyse les différents cercles, régionaux, nationaux et internationaux, de la collaboration humaine. Attaché à la faculté de Nancy, l’auteur des Principes d’économie nationale et internationale est un important jalon de la réflexion sur l’espace économique, réflexion que vont approfondir après lui André Marchal et surtout François Perroux.

9Enfin François Hincker revient sur plusieurs contributions individuelles qui, dans le premier tiers du xxe siècle, annoncent et vont servir de référence à l’histoire économique et sociale de l’École des Annales. Si le rôle joué par les travaux d’Émile Levasseur, de Paul Mantoux ou d’Henri Hauser n’est pas négligeable, c’est cependant François Simiand, pourtant rude contempteur de la tribu des historiens, qui va être élevé, en particulier par Marc Bloch et Ernest Labrousse, au rang de père fondateur de cette école.

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