Version classiqueVersion mobile

Délos

 | 
Philippe Bruneau
, 
Michèle Brunet
, 
Alexandre Farnoux
, 
et al.

Les produits déliens

Texte intégral

1Les ressources naturelles de Délos sont modestes et la production locale est réduite. On a vu au prix de quels efforts et avec quel soin les Déliens avaient aménagé leur territoire afin d’en exploiter les moindres parcelles ; cependant, même avant 167, l’agriculture délienne n’a jamais pu prétendre satisfaire en quantité les besoins de la population, auxquels s’ajoutait la demande des sanctuaires pour l’accomplissement des rites. Les activités de transformation trouvaient rarement sur place la matière première, hormis la pierre pour la construction courante et les dérivés de la pêche. L’art et l’artisanat déliens n’existent guère, pour l’essentiel, que par le recours à l’importation des matériaux et à la contribution étrangère. Mais Délos a bénéficié largement de son importance religieuse, politique et commerciale pour les développer.

L’agriculture et l’élevage

2Conformément à l’idéologie civique antique qui accordait le premier rang aux activités agricoles et aux détenteurs delà terre, l’agriculture fut pendant longtemps à Délos la plus prestigieuse des occupations et constituait une source de revenus importante pour les particuliers comme pour Apollon, le plus gros propriétaire délien. Nos sources à ce sujet sont particulièrement riches et détaillées pour la période de l’Indépendance grâce aux inscriptions, qui sont complétées par quelques textes littéraires évoquant des « spécialités » agricoles de Délos et par l’observation des paysages et des vestiges ruraux.

3Ce sont principalement les baux de location des domaines sacrés et les deux réglementations générales définissant les devoirs des fermiers du dieu (promulguées l’une en 300, l’autre en 157/6), qui nous renseignent sur les cultures déliennes. Mais, contrairement à certains documents du même type connus pour d’autres régions de la Grèce antique, les contrats déliens n’édictent aucune règle contraignante pour la conduite des exploitations ; ils se contentent d’établir un décompte des plantations - vignes et arbres de rapport - qui doivent être restituées en nombre égal au terme du bail, sans mentionner les emblavures ni le cheptel. C’est donc par déduction ou par recoupement avec les autres sources que l’on parvient à dresser une liste des produits agricoles déliens. Leur place respective variait d’ailleurs suivant les domaines qui ne bénéficiaient pas tous de sols de même qualité, ni d’expositions également favorables ni, bien entendu, de superficies cultivables identiques. De plus, les choix de production faits par les agriculteurs ne pouvaient être semblables, selon qu’ils travaillaient une terre privée en faire-valoir direct ou indirect ou bien une terre sacrée prise en location : malgré la règle des partages successoraux, les propriétaires avaient l’avantage de gérer leurs biens-fonds dans la longue durée, tandis que la réglementation de 300 limitait la période d’exploitation d’un domaine sacré à dix années - un temps relativement court mesuré à l’aune des rythmes agraires -, sans garantie de renouvellement du bail.

Les abords d’une ferme du sud délien

Les abords d’une ferme du sud délien

Sur les champs en terrasses parsemés de figuiers, on cultivait de la vigne rampante et des céréales. La jachère est labourée avec un araire tiré par un couple de bœufs. Quelques chèvres, moutons, porcs et une basse-cour sont élevés près de la ferme.

Dessin N. Bresch.

4Comme partout en Grèce, on pratiquait à Délos une polyculture de subsistance, à cette différence près que les oliviers étaient très peu nombreux sur l’île. Dans tous les domaines, on cultivait des céréales, principalement de l’orge, dont la farine de gruau servait à confectionner la maza, une pâte pétrie qui, accompagnée de légumes, était l’aliment quotidien des Grecs anciens. Dans les jardins et en cultures dérobées sur la jachère qu’imposait l’assolement biennal, on plantait des légumineuses (pois chiches, fèves, sésame). Le vignoble venait au second rang ; nous ignorons quel était le goût du vin délien, mais il ne faisait certes pas partie des grands crus de l’Antiquité. Dans les domaines sacrés tout comme sans doute dans les propriétés privées, la vigne était beaucoup plus étendue à Rhénée qu’à Délos : à partir du nombre de pieds recensés dans les états des lieux, on estime qu’au milieu du iiie siècle elle occupait sur les terres d’Apollon environ 14 ha à Rhénée mais seulement 1 ha à Délos Ge sont là à peu près les seuls chiffres que nous savons à même de restituer, car tous les calculs de rendements qui ont été tentés pour les céréales ou le vin se fondent sur des données trop partielles pour aboutir à des résultats crédibles. Il est donc actuellement impossible d’évaluer la part de la production locale par rapport aux importations, tout comme celle de l’autoconsommation par rapport aux surplus commercialisés sur le marché ou achetés par le sanctuaire.

5Aux côtés de ces productions principales, l’arboriculture - essentiellement des figuiers, grenadiers et pommiers - ne tenait pas une place négligeable : le nombre d’arbres atteignait presque la centaine sur quelques propriétés rhéniotes. L’élevage n’avait pas un rôle moins important : la plupart des fermes du dieu étaient pourvues d’une étable et d’une bergerie qui abritaient quelques bovins (utilisés pour les labours et élevés pour les sacrifices), mais surtout des porcs, chèvres et brebis dont le lait servait à la fabrication de fromages réputés.

  • 1 Lac sacré Plan, 56

6La fouille de la ferme délienne a révélé l’existence d’une basse-cour ; de fait, les Déliens s’étaient fait une spécialité de l’élevage des volailles, tout particulièrement des chapons. L’apiculture était également pratiquée, comme l’attestent les découvertes, dans la ville comme à la campagne, de fragments de ruches en terre cuite qui corroborent le témoignage de quelques textes indiquant que l’on exportait le miel délien. On n’oubliera pas non plus les produits de la pêche, en mer et dans le Lac sacré1.

Le rôle économique et social de l’agriculture

7C’est aussi pour la période de l’Indépendance que nous sommes le mieux renseignés sur le statut social des agriculteurs ; en regard des artisans et des commerçants, ils n’étaient qu’une minorité, mais par la richesse, l’influence et la considération publique que leur procurait leur activité ils l’emportaient sur toutes les autres catégories socio-professionnelles : presque exclusivement réservée aux citoyens l’agriculture était à cette époque l’emblème de l’indépendance de la cité. Il existait cependant une différence marquée entre les propriétaires, qui formaient l’élite sociale et politique de la cité (la moitié d’entre eux ont eu une belle carrière de magistrats), et les fermiers du dieu, qui participaient beaucoup moins à l’administration des affaires publiques et sacrées. A Délos comme dans la plupart des cités grecques, il fallait donc posséder des biens-fonds pour faire partie des classes dirigeantes, et il y avait un fossé entre ceux qui détenaient à la fois la richesse foncière et la main-d’œuvre servile pour la faire fructifier, et ceux qui ne possédaient que cette dernière, employée pour travailler des terres louées au dieu.

8Avec l’éviction des Déliens en 167, l’arrivée de colonies étrangères sur l’île et le développement des échanges commerciaux, le rôle économique et social de l’agriculture ne pouvait qu’être modifié. La population vit dorénavant des importations ; pour autant, on ne cessa pas d’entretenir et d’exploiter le territoire.

9Apollon fut très certainement le principal bénéficiaire des remaniements fonciers occasionnés par l’abandon des propriétés privées, et il demeura prestigieux et rentable d’être son fermier, en complément d’une activité commerciale ou artisanale. Cependant, on adapta le régime de la location à la nouvelle population, beaucoup moins stable qu’auparavant : on raccourcit de moitié la durée des baux et les contraintes locatives furent rendues plus strictes. Les productions restèrent identiques, bien que le vin local ait alors subi la vive concurrence de vins étrangers dont les saveurs, sans doute plus subtiles, correspondaient mieux au goût et aux moyens financiers de consommateurs riches et attachés aux crus de leur pays d’origine. Les nombreux pressoirs d’époque impériale et paléochrétienne retrouvés dans la ville témoignent cependant du maintien d’un vignoble étendu dans le territoire.

10Quoiqu’aucune source ne nous informe directement sur cette question, il est très vraisemblable qu’au temps de l’emporion mundi, les agriculteurs ne jouaient plus, comme auparavant, un rôle politique et social de premier plan.

La construction

11Au premier rang de l’artisanat, l’activité du bâtiment nous est relativement bien connue à Délos, mieux que sur d’autres sites, non seulement par les vestiges architecturaux, mais aussi, ce qui est plus rare, par les inscriptions qui signalent à peu près deux cents noms de maçons, menuisiers-charpentiers, tailleurs ou transporteurs de pierres, serruriers et plus généralement travailleurs du métal, peintres, entrepositaires de matériaux (bois, briques, pierres) Nous sont également donnés la succession et la division du travail dans une construction, les salaires, souvent fractionnés, les noms des ateliers loués, des outils utilisés et entretenus (quelques-uns ont été retrouvés : niveau en A avec fil à plomb, compas, marteaux, ciseaux). Le mot entrepreneur a parfois été employé pour qualifier certains de ces artisans : en fait, les plus grosses de ces « entreprises » ne devaient guère rassembler plus de cinq personnes. Même si les particuliers et les administrateurs du sanctuaire d’Apollon étaient de gros bâtisseurs, ils ne pouvaient occuper en masse et en continu de nombreuses personnes. D’où la lenteur des travaux sur les divers chantiers où les adjudications se faisaient par petites portions : un mur ou une partie de mur à l’un, une colonnade ou quelques caissons de plafond à l’autre. Les artisans étaient donc rarement spécialisés et avaient l’habitude d’accepter tour à tour toutes sortes de menues réparations, des nettoyages et du chaulage, de la fourniture de pierres et de la gravure de stèles ; dans tous les cas, les associations entre deux « entrepreneurs » étaient fréquentes. Les travailleurs du bâtiment venaient normalement d’ailleurs, surtout des îles voisines qui fournissaient aussi la majorité des matériaux, et l’on remarque des dynasties familiales. Certains entrepreneurs finissaient par devenir « architectes », au sens premier du mot, soit charpentier en chef.

Modèle de poste en plomb

Modèle de poste en plomb

Pour tracer les motifs de construction géométrique difficile comme le sont les enroulements des « postes », les mosaïstes utilisaient des patrons en plomb comme celui-ci.

La sculpture

12Toutes proportions gardées, la situation est identique dans la grande sculpture : hommes et matériaux venaient d’ailleurs, parfois de très loin, même si, à l’époque hellénistique, une industrie locale se développa et fournit l’île en produits de moindre qualité et d’ambition plus modeste. Au viie et au vie siècle, Naxos tenait une place éminente : le marbre, les artistes, les dédicants étaient surtout naxiens, et si ce n’était pas Naxos, l’Ionie insulaire resta prépondérante jusqu’au moment où Athènes, qui se prévalait d’être la métropole des Ioniens et l’interprète d’Apollon, imposa finalement sa domination absolue sur Délos au ve siècle. Il est difficile de dire Quelle était la part directement crise par les praticiens locaux dans la réalisation des œuvres. Les blocs de marbre étaient ordinairement dégrossis en carrière ou à proximité des carrières, puis accompagnés par le maître de l’atelier chargé de la commande et ses meilleurs compagnons pour achever la finition sur le chantier au terme du voyage.

Moule et moulage moderne de pied de lit

Moule et moulage moderne de pied de lit

Ce moule en plâtre provient d’une boutique de l’Ilot des bronzes. Il servait à la fabrication des pieds de lit en bronze qui sont évoqués comme l’une des spécialités déliennes par Pline l’Ancien.

Statuettes d’Aphrodite inachevées

Statuettes d’Aphrodite inachevées

Elles proviennent d’un dépotoir d’atelier découvert dans le Portique de Philippe V. Ces fragments abandonnés à différents stades de la taille directe permettent de restituer l’ensemble des phases de la fabrication.

13Délos est indépendante de 314 à 166, mais les signatures constatées pour cette période n’impliquent pas l’existence d’une sculpture authentiquement « détienne ». Elles témoignent surtout de la diversité des ambitions extérieures qui s’exerçaient sur l’île. Monarchies, confédérations et cités avaient leurs artistes habituels, sinon officiels, à qui était confié le soin d’exécuter pour le sanctuaire statues honorifiques ou monuments triomphaux. Ces artistes étaient attachés à ceux qui les employaient, c’étaient des itinérants et ils ne se fixaient pas à Délos ou v restaient trop peu semble-t-il pour v faire école, à l’exception de Polianthès de Cyrène, l’auteur d’une statue de Massinissa consacrée à la suite d’une distribution de blé numide vers 170 et qui obtint après 166 les commandes d’hommes d’affaires venus d’Italie s’établir dans l’Égée. Un cas particulier est celui d’Agoralios : ce sculpteur se déclare Délien » ; son père, Sarpédon, est connu dans l’épigraphie délienne dès 250 ; lui-même est nommé dans plusieurs comptes du dernier quart du iiie et de la première décennie du iie’ siècle ; sa clientèle est « bourgeoise » : on imagine un praticien apprécié, soutenu par les notables.

14Des changements importants s’observent au temps de la seconde colonie athénienne. Cette fois, les quatre cinquièmes des sculpteurs dont on a des signatures ne sont attestés qu’à Délos, et, à plusieurs reprises, on remarque entre eux des liens de parenté. La présence, sinon permanente, du moins durable, sur place, des sculpteurs, athéniens ou non, qui accaparent l’essentiel des commandes majeures, est une nouveauté frappante. Comme port franc et entrepôt prospère du grand commerce méditerranéen l’île accueillait une population mêlée de plus en plus nombreuse où les cultes des pays d’origine les particularismes ethniques et une certaine conscience collective née de la communauté d’intérêts assuraient, cette fois, une relance efficace de l’activité artistique. Les sculpteurs dont sont conservées les signatures se spécialisaient plus ou moins dans une clientèle donnée (Grecs, Italiens ou Orientaux), dans un genre de sujets (statues divines ou statues-portraits) et dans une technique (bronze ou marbre).

Statuette d’Aphrodite trouvée dans le Quartier du Théâtre

Statuette d’Aphrodite trouvée dans le Quartier du Théâtre

Cette statuette de 45 cm de haut n’a conservé qu’une vague similitude d’allure avec la Cnidienne de Praxitèle dont elle s’inspire librement. Elle témoigne de l’engouement d’une clientèle peu regardante pour la pacotille décorative, au tournant du ier siècle av. J.-C.

15Celle du bronze est la plus mal connue. Paradoxalement, car au dire de Pline l’Ancien 1’aes deliacum, le « bronze délien », était une spécialité de l’île réputée et très ancienne, pour le mobilier puis pour les représentations figurées ; il précise même que Myron préférait le « bronze d’Égine » et Polyclète, le « bronze de Délos ». Mais ce témoignage n’est pas forcément crédible en tout point : aes deliacum peut être la dénomination convenue d’une formule d’alliage plutôt que de l’origine d’une fabrication et l’allusion aux lits de table, donnés pour avoir été les premières spécialités locales, ne se conçoit guère avant l’époque hellénistique.

  • 2 Palmier de Nicias Plan, 37

16La grande sculpture en bronze, apparemment rare à l’époque classique hormis le Palmier de Nicias2, arrivait sans doute à Délos d’avance terminée et prête à être dressée sur les bases. Les piédestaux d’époque hellénistique attestent que les statues-portraits signées étaient généralement en bronze, mais on ignore où elles étaient fondues, car jusqu’ici aucun véritable établissement de fondeur n’a été identifié sur l’île.

17L’exploration du Quartier nord a mis au jour des éléments de mobilier en bronze. Outre des figures d’applique comme un buste d’Hermès, un buste de Satyre ou un chien couché, qui ne sont pas nécessairement de fabrication locale, les fouilles ont livré des figurines de bronze d’une qualité remarquable, si proches, pour le type, de la sculpture en marbre locale, qu’elles pourraient provenir aussi d’officines installées dans l’île. La découverte d’une série de moules ayant servi à la fabrication de pieds de lits d’un type bien connu à Délos atteste l’existence d’une activité de fondeurs, sinon d’ateliers de bronziers à proprement parler, d’ambition modeste certainement, mais dont la réalité est désormais archéologiquement indubitable.

18Pour les statues, le marbre était souvent préféré au bronze par les Romaioi et par les Orientaux. Délos étant dépourvue de mines et ses carrières ne fournissant qu’un marbre de médiocre qualité, la production sculptée de l’époque la plus florissante de l’île, dans la seconde moitié du iie et le début du ier siècle, apparaît liée à un secteur non négligeable de l’activité commerciale. Néanmoins, on imagine aisément que les artistes majeurs dont nous savons les noms ont servi d’exemples, à l’époque de la colonie athénienne, aux tailleurs de pierre et aux artistes locaux : parmi ceux-ci se sont recrutés non seulement les fabricants d’ex-voto et de souvenirs de pèlerinage, mais aussi, peut-on croire, les fournisseurs beaucoup plus habiles de la « sculpture d’appartement » pour les propriétaires des riches maisons déliennes.

  • 3 Maison de Kerdon Plan, 83

19L’île d’Apollon devint en effet, à cette époque, un centre de production actif, au témoignage des œuvres inachevées, des installations comme des outils qu’on y a retrouvés. Si les documents sûrs font défaut pour les périodes antérieures, le nombre considérable de sculptures inachevées plus ou moins contemporaines des destructions de 88 et de 69 atteste l’importance - en quantité, sinon en qualité - de la production locale au tournant du iie et du ier siècle. Les quelque cent cinquante inachevés recensés à ce jour proviennent de neuf lieux différents - outre des ateliers éventuels à Rhénée -, dont la plupart paraissent avoir été des installations permanentes comme deux pièces de la Maison de Kerdon3. La production de ces ateliers, essentiellement tournée vers le marché domestique et celui des ex-voto, se signale par sa diversité. Si les œuvres colossales en sont absentes, à une ou deux exceptions près, les fouilles ont livré quantité de petites statues et de statuettes de facture souvent médiocre auxquelles s’ajoutent des éléments de mobilier (des pieds de table, notamment) et des stèles.

  • 4 Portique de Philippe V Plan, 3

20Parmi les thèmes les plus fréquemment rencontrés, l’imagerie d’Aphrodite l’emporte par le nombre des fragments retrouvés. Il semble même qu’au moins un atelier, installé dans le voisinage immédiat du Portique de Philippe4, ait été spécialisé dans la reproduction de deux ou trois types parmi les plus célèbres de la déesse, en recourant à des procédés de taille sinon standardisés, du moins répétitifs et simplifiés.

21Parmi les œuvres finies de fabrication locale, la sculpture d’appartement est souvent le fait d’artisans habiles, qui maîtrisent des techniques originales comme la technique composite où deux marbres de qualité différente s’associent dans une même statue.

22Bref, si les commandes les plus importantes paraissent avoir largement échappé aux marbriers déliens, ces derniers ont répondu efficacement à l’explosion de la demande privée née de l’accroissement considérable de la population après 166.

Le verre

23Les données qui permettent de supposer la présence d’ateliers de verriers à Délos sont maigres : on n’y a découvert aucun four susceptible d’avoir été utilisé pour fabriquer du verre ou des objets en verre, ni aucun fragment de creuset ou d’outil spécifique au travail du verrier. On dispose seulement de quelques déchets de matière première (verre bleu opaque partiellement fondu et fragments de lingots de verre). En revanche, les demi-produits y ont été découverts en abondance : fils de verre aux couleurs variées, étirés avec une marque de pince à l’une des extrémités, découpés de section cylindrique ou de section carrée, tubes et plaquettes de verre de section rectangulaire. Plus élaborées sont les baguettes à plusieurs couleurs servant à la réalisation de perles à yeux et les plaquettes destinées à la fabrication des perles rubannées.

24

Exemples de verres importés

Exemples de verres importés

Alabastre (vase destiné à contenir de l’huile parfumée) en verre moulé sur noyau décoré de plumes jaunes provenant de la nécropole (fabrication syro-palestinienne ou chypriote).

  • 5 Maison aux stucs Plan, 87
  • 6 Samothrakeion Plan, 93

25La découverte de tels documents permet de localiser au moins trois ateliers à Délos : l’un dans les magasins à l’ouest de la Maison aux stucs5, un deuxième dans la zone située au sud du Samothrakeion6, un dernier dans un établissement de la haute vallée de l’Inopos. Il s’agit, au vu de la nature des déchets, d’ateliers de perles où le verre était importé et retravaillé. Dans la Délos de la fin du iie et du début du ier siècle, on ne produisait vraisemblablement pas de vaisselle en verre et cette dernière était importée.

La pourpre

26La fabrication de la pourpre, colorant de base en teinturerie, ne figure pas dans la liste des « spécialités » déliennes que les sources littéraires permettent d’établir ; mais l’épigraphie comme les vestiges archéologiques témoignent néanmoins de son importance dans l’île.

Exemples de verres importés

Exemples de verres importés

Fragments de bols en verre mosaïque, récipients de luxe de fabrication égyptienne, trouvés dans une maison.

  • 7 Synagogue Plan, 80

27Attestant depuis le ve siècle un impôt sur la pêche du murex - le coquillage dont on extrait le précieux colorant -, les inscriptions faisaient attendre la présence d’une industrie locale de la pourpre. La réalité de cette dernière a été confirmée par la découverte de deux fabriques situées à proximité du Quartier du stade, près du rivage. Toutes deux ont été clairement identifiées par la présence de billots de granit servant au concassage des coquillages et par l’épaisseur de la couche de murex concassés retrouvée non loin de là. La première d’entre elles, installée à 550 mètres environ au sud de la Synagogue7, a été seule partiellement fouillée et se trouve par là être aussi la mieux datée. Son activité a dû s’étendre du Ier siècle avant J.-C au ier siècle de notre ère.

28Ces deux officines, qui opéraient à ciel ouvert en raison notamment de l’odeur de putréfaction des mollusques, étaient sans doute également des teintureries, comme le donnent à penser les deux grandes cuves rectangulaires installées dans la première d’entre elles.

Les instruments de musique

  • 8 Monument de granit Plan, 54
  • 9 Maison de Kerdon Plan, 83

29Les trouvailles archéologiques confirment le témoignage des inscriptions sur les activités musicales intenses que connut Délos. Les fouilles ont livré des restes d’instruments de musique et notamment des fragments d’aulos en quantité respectable. Leur qualité de fabrication et la complexité de leurs mécanismes sont frappantes. Certaines pièces sont dotées de bagues en argent ou en bronze. Des éléments inachevés témoignent d’une production locale : ces instruments, typologiquement datables du ier siècle, étaient manifestement destinés à des professionnels. Deux ateliers de luthiers ont été reconnus, l’un au rez-de-chaussée du Monument de granit8, l’autre près de la Maison de Kerdon9.

La céramique

30Il est probable qu’une production locale alimentait en partie le marché délien de la vaisselle, dont la fouille a livré une quantité considérable, mais c’est un point encore mal établi. Si les sources épigraphiques, en effet, font allusion à des ateliers de potiers (kera-meia), si une propriété s’est bien appelée « Kerameion », aucun vestige sûr et incontestable d’ateliers - résidus de fabrication, ratés de cuisson, installations caractéristiques - n’a été jusqu’ici mis au jour ni même repéré à l’inverse des ateliers de coroplastes localisés avec certitude en quatre endroits de Délos. La constitution géologique de l’île ne la prédisposait d’ailleurs pas à ce genre de production puisqu’elle n’offre pas de ressources propres en argile. De fait, en dépit des noms de convention dont l’archéologie les désigne, les bols à relief, autrefois appelés « déliens », proviennent en réalité d’Éphèse et sans doute d’autres centres de production du bassin égéen. Les lampes dites également « déliennes » en raison de leur extrême abondance dans l’île, produites entre le deuxième quart du iie et le premier quart du ier siècle, ne paraissent pas non plus être de fabrication locale. Plus généralement les vases de céramique fine les plus fréquents dans les habitations de l’île sont les mêmes que ceux que l’on trouve sur d’autres sites de l’Égée, et aucune catégorie n’est suffisamment rare ailleurs et spécifique de l’île pour donner l’impression d’une production locale. Délos a été incontestablement un centre important de commerce de la céramique, mais l’existence d’une production délienne, probable dans le cas de la vaisselle commune reste encore à prouver

31On n’a envisagé ici que la production d’époque hellénistique, mais après l’abandon partiel de l’île des activités de transformation se sont installées dans des maisons désertées.

Notes

1 Lac sacré Plan, 56

2 Palmier de Nicias Plan, 37

3 Maison de Kerdon Plan, 83

4 Portique de Philippe V Plan, 3

5 Maison aux stucs Plan, 87

6 Samothrakeion Plan, 93

7 Synagogue Plan, 80

8 Monument de granit Plan, 54

9 Maison de Kerdon Plan, 83

Table des illustrations

Titre Les abords d’une ferme du sud délien
Légende Sur les champs en terrasses parsemés de figuiers, on cultivait de la vigne rampante et des céréales. La jachère est labourée avec un araire tiré par un couple de bœufs. Quelques chèvres, moutons, porcs et une basse-cour sont élevés près de la ferme.
Crédits Dessin N. Bresch.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 824k
Titre Compas de maçon
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 512k
Titre Modèle de poste en plomb
Légende Pour tracer les motifs de construction géométrique difficile comme le sont les enroulements des « postes », les mosaïstes utilisaient des patrons en plomb comme celui-ci.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 296k
Titre Moule et moulage moderne de pied de lit
Légende Ce moule en plâtre provient d’une boutique de l’Ilot des bronzes. Il servait à la fabrication des pieds de lit en bronze qui sont évoqués comme l’une des spécialités déliennes par Pline l’Ancien.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Statuettes d’Aphrodite inachevées
Légende Elles proviennent d’un dépotoir d’atelier découvert dans le Portique de Philippe V. Ces fragments abandonnés à différents stades de la taille directe permettent de restituer l’ensemble des phases de la fabrication.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 2,0M
Titre Statuette d’Aphrodite trouvée dans le Quartier du Théâtre
Légende Cette statuette de 45 cm de haut n’a conservé qu’une vague similitude d’allure avec la Cnidienne de Praxitèle dont elle s’inspire librement. Elle témoigne de l’engouement d’une clientèle peu regardante pour la pacotille décorative, au tournant du ier siècle av. J.-C.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 936k
Titre Exemples de verres importés
Légende Alabastre (vase destiné à contenir de l’huile parfumée) en verre moulé sur noyau décoré de plumes jaunes provenant de la nécropole (fabrication syro-palestinienne ou chypriote).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Exemples de verres importés
Légende Fragments de bols en verre mosaïque, récipients de luxe de fabrication égyptienne, trouvés dans une maison.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3934/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search