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Délos

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Philippe Bruneau
, 
Michèle Brunet
, 
Alexandre Farnoux
, 
et al.

La maison délienne

Texte intégral

  • 1 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59

1Après plus de cent ans d’exploration, les quartiers du Théâtre, de l’Inopos, du Stade, de la ville neuve au nord-ouest du Lac Sacré ont livré, comme nulle part ailleurs en Grèce, quantité d’informations sur l’existence quotidienne à l’époque de la seconde domination athénienne, au tournant du iie au ier siècle. Pour les interpréter correctement, il faut se souvenir qu’ayant survécu dans certaines de ses parties jusqu’à l’Antiquité tardive et n’ayant jamais cessé d’être accessible, Délos a vu ses maisons peu à peu évacuées, pillées de leur contenu et de leurs matériaux de construction les plus facilement réutilisables, parfois réoccupées sommairement et, au fil des siècles, leurs ruines elles-mêmes ruinées. Les cas sont rares – Maison des sceaux, Maison de l’épée – où la fouille a remis au jour des habitations1 détruites d’un seul coup par des incendies et ensevelies sous leurs propres décombres avec l’intégralité ou l’essentiel de leur ménage. Le plus souvent l’archéologue dégage des squelettes de maisons, avec des murs revêtus de stuc, des colonnes de péristyle dans les demeures les plus riches, des sols de terre battue ou des pavements de mosaïque, de la vaisselle et des objets de la vie courante ; et parfois, la chance aidant, des inscriptions, des sculptures en marbre et en bronze, des trésors de monnaies et de bijoux. Rien, par conséquent, d’une cité fantôme surgie du sol mais, pour l’historien de Délos, la possibilité de reconstruire les cadres de la vie privée à partir de vestiges et de trouvailles tantôt modestes, tantôt somptueux, parfois énigmatiques.

Architecture domestique

  • 2 Maison des dauphins Plan, III
  • 3 Maison de la colline Plan, 60
  • 4 Maison du Lac Plan, 64
  • 5 Maison de Fourni Plan, 124

2On connaît à Délos des villas urbaines, sans commune mesure avec les dimensions de celles de Pompéi, mais luxueusement aménagées : c’est le cas des Maisons dites aujourd’hui par convention (en raison de leur situation ou d’une particularité de leur ornementation) des dauphins2, de la colline3, du lac4 et, à la périphérie sud de l’agglomération, de la Maison de Fourni5.

  • 6 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59
  • 7 Maison du Dionysos Plan, 120

3Ces riches demeures voisinent couramment avec des maisons ordinaires, parcelles d’un îlot qui font songer à nos appartements d’immeubles, plus ou moins spacieux et confortables. Les surfaces habitables des rez-de-chaussée, auxquelles s’ajoutaient souvent celles des chambres et des terrasses d’étage, varient entre 110 m2 (maisons les plus modestes des îlots6 du quartier nord), 160 m2 (dans les mêmes îlots) et plus de 200 m2. La Maison des comédiens atteint au sol près de 250 m2, la Maison des dauphins 315 m2, la Maison du Dionysos7 400 m2 : on reste toujours très loin des 3 000 m2 de la Maison du Faune à Pompéi.

4La plupart des maisons comportaient un étage qui semble avoir été occupé par le même propriétaire ou locataire aussi bien que par une autre famille : l’accès était alors commandé par un escalier extérieur. De la vie en immeuble beaucoup d’habitations déliennes connaissaient les inconvénients, aggravés par une construction qui multipliait les cloisons intérieures et par les imbrications de nombre de pièces les unes dans les autres entre logis contigus. Souvent on ne devait pouvoir éviter ni les bruits du voisinage ni ses regards depuis une fenêtre sur cour ou une galerie d’étage, quand l’étage était indépendant.

La Maison de l’Hermès (Plan 89)

La Maison de l’Hermès (Plan 89)

Cette riche demeure se développait sur quatre niveaux en tirant parti des dénivellations du terrain. On voit ici les colonnes du péristyle dorique du premier étage (h. 3,80 m), qui s’élevait au-dessus du portique du rez-de-chaussée.

  • 8 Maison du trident Plan, 118
  • 9 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59
  • 10 Maison de Cléopatra et Dioscouridès Plan, 119
  • 11 Maison des masques Plan, 112
  • 12 Ilots d’habitations du quartier nord Plan, 59

5On ne trouvera pas à Délos deux maisons identiques. Mais en parcourant la ville ou en examinant un plan on distinguera, d’une habitation à l’autre, le retour des mêmes formules architecturales, adaptées avec souplesse aux nécessités du terrain. L’habitation délienne a pour centre une cour intérieure autour de laquelle sont distribuées, sur deux, trois ou quatre côtés, des salles de dimensions variables. La cour, bordée ou non de portiques, presque toujours revêtue d’un dallage ou d’une mosaïque, pouvait se réduire à un puits de lumière (elle constituait l’unique source d’éclairage pour les pièces de rez-de-chaussée habituellement dépourvues de fenêtres vers la rue) ; plus souvent elle ressemblait à un patio. En l’absence de fontaines publiques, la plupart des maisons disposaient d’un puits ou d’une citerne, ou des deux à la fois, creusés dans la cour et en général munis de simples margelles. Des édicules de puits en marbre – Maison du trident8, habitation II de l’Ilot9 des bronzes – rehaussaient parfois l’architecture intérieure mais, dans les demeures riches, c’est le péristyle qui formait, avec les pavements de mosaïques figurées, la parure de la cour. Devenu signe de rang social qu’une maison bourgeoise se devait d’afficher, le péristyle est quelquefois mal adapté à l’espace disponible : Cléopatra et Dioscouridès10 ont fait construire le leur dans une cour étriquée. Les variantes de composition et de style sont nombreuses à Délos. Les colonnes de marbre, fréquemment doriques cannelées en haut taillées à pans coupés sûr les tambours inférieurs ou lisses sur toute leur hauteur, ignorent les proportions prônées par Vitruve et même les dispositions canoniques de l’ordre : des colonnes doriques peuvent reposer sur des bases, commodes pour rattraper une dénivellation du stylobate. Des dispositifs plus rares comme le péristyle rhodien (l’un des portiques est plus haut que les autres, des consoles de niveau avec les chapiteaux des autres côtés supportant l’architrave) sont attestés à la Maison des masques11 et à la Maison du trident. Des italianismes se rencontrent dans le quartier de Skardhana sous la forme du péristyle campanien caractérisé par la surélévation des colonnes sur des murets ou des pilastres et par le cloisonnement des entrecolonnements. Des effets de couleur et de matière ajoutent quelquefois au charme de ces constructions : dans l’habitation II de l’Ilot12 des bijoux, des fûts de colonnes ioniques en marbre bleu de Ténos sont combinés avec des bases et des chapiteaux en marbre blanc, au-dessus de supports de calcaire profilés par un revêtement de stuc.

Comparaison des parcellaires du Quartier nord et du Quartier du Théâtre, état du ier siècle.

Comparaison des parcellaires du Quartier nord et du Quartier du Théâtre, état du ier siècle.

Les îlots du quartier neuf tendent vers la régularité et vers une orientation selon les points cardinaux tandis que l’irrégularité des parcelles et les changements d’orientation indiquent l’ancienneté de l’occupation dans le vieux quartier.

Dessin N. Bresch.

  • 13 Maison de la colline Plan, 60

La Maison de la colline13, vue axonométrique

La Maison de la colline13, vue axonométrique

L’ordonnance symétrique de son plan caractérise cette demeure : un vestibule étroit donne accès à la cour où une profonde citerne, couverte par une mosaïque, était entourée par un portique. A gauche sur le dessin, les pièces principales dotées de hautes fenêtres ouvrent sur une longue galerie.

Dessin N. Bresch.

La cour de la Maison des tritons (Plan 59 B)

La cour de la Maison des tritons (Plan 59 B)

Cette demeure possède une cour d’un type inhabituel : à la place d’un simple portique, un promenoir couvert était séparé de la cour, au nord et à l’est, par un muret supportant des piliers, aménagement reproduit à l’étage.

Dessin P. Fister.

Plan de l’habitation et fonction des pièces

  • 14 Maison de l’Hermès Plan, 89

6Riches ou pauvres, presque toutes les habitations de la ville présentent un groupement de pièces typique de l’architecture privée délienne : une grande salle communiquant à l’arrière ou sur les petits côtés avec une ou deux autres pièces. Sauf exceptions (mosaïques des Tritons, d’Hermès et d’Athéna, des masques), cette grande salle, qu’on est convenu d’appeler œcus major, ne se distingue pas par un luxe particulier du revêtement de sol et du décor mural. Il s’agit d’une salle de séjour utilisée dans le quotidien et en toutes sortes de circonstances. A la différence de celles d’Olynthe, les maisons de Délos ne possédaient pas de salles de banquet, réservées à cet usage et meublées en conséquence. Dans l’état actuel de l’exploration, on ne connaît qu’un seul exemple de salle munie de socles pour des lits de banquet : la pièce G de la Maison de l’Hermès14. On devait donc banqueter dans d’autres salles, notamment dans l’œcus major ou sur une terrasse, en y installant pour la soirée les lits des chambres. Déterminer les fonctions des pièces constitue, en l’absence d’installations et de mobilier en place, une des questions les plus difficiles de l’archéologie domestique délienne. Existait-il une « salle des hommes », l’andrôn, que l’on a voulu reconnaître dans les maisons d’autres villes grecques d’époque classique et hellénistique et qui, en général, s’y confondait avec la salle de banquet précisément ? Il est plausible qu’une des pièces de l’habitation délienne ait servi, de préférence ou exclusivement, au maître de maison pour y recevoir ses amis et ses visiteurs, traiter ses affaires, parler des questions publiques. Très fréquemment un local à la sortie du vestibule était bien situé pour faire office d’andrôn sans que fût perturbée la vie familiale.

Latrines

Latrines

Un caniveau en équerre, tapissé de dalles de gneiss comme le sol de la pièce elle-même, était couvert de bancs de bois percés de trous. Plusieurs personnes pouvaient occuper les lieux en même temps.

  • 15 Maison du trident Plan, 118

Fenêtre de la Maison du trident15

Fenêtre de la Maison du trident15

Les montants de marbre encadraient une grille. C’est l’un des rares exemples d’une fenêtre donnant sur la voie publique, les murs extérieurs des maisons étant d’ordinaire aveugles.

7Comme sous tous les climats méditerranéens, on vivait une partie de l’année en plein air, recherchant selon l’heure et la saison l’ombre ou le soleil.

8De petits salons ouverts sur la cour par une large baie et dépourvus de porte sont en général orientés vers l’est ou vers l’ouest. Ces exèdres tiennent lieu de portique, plus particulièrement dans les maisons sans colonnade. Fréquemment décorées de mosaïques et de fresques (par exemple les fresques éponymes de la Maison des comédiens), elles étaient faites pour le repos, le loisir, les réceptions. Beaucoup d’activités domestiques qui n’exigeaient pas d’installations fixes se déroulaient certainement, du printemps à l’automne, autant dans la cour, sous les portiques et sur les terrasses d’étage qu’à l’intérieur de la maison On devait y cuisiner sur des réchauds aisément transportables. On y prenait des repas. Les femmes y tissaient vêtements et couvertures, principale production domestique à en juger par les dizaines de pesons en terre cuite recueillis dans la plupart des habitations.

9L’emplacement des cuisines constitue, dans cette optique, un faux problème : sans doute n’en était-il pas toujours un qui fût expressément prévu dans le plan de construction. Les indices permettant de les localiser sont d’une insigne faiblesse : une ouverture interprétée comme un trou d’évacuation des fumées, un revêtement de mur jugé trop grossier, l’exiguïté d’un local. Seule une concentration de vaisselle culinaire et de vaisselle de table, dans les cas de « dépôts clos », donne quelque certitude.

10En fonction de ce critère, les cuisines de la Maison des sceaux ou celle de l’habitation VII de l’Ilot des bijoux se trouvaient à l’étage, sur une terrasse, à ciel ouvert ou sous un abri léger, du moins au moment de la destruction. L’information est intéressante dans la mesure où l’étage n’apparaît plus comme le lieu clos d’un mythique gynécée auquel on croyait naguère à la suite de Vitruve. Il est certes le lieu des appartements privés, fort mal connus puisqu’on n’en conserve que des fragments de stuc et de mosaïque, parfois de mobilier, dispersés dans les décombres et propres à nous livrer seulement, quand la reconstitution est possible l’aspect général du décor mural et du revêtement de sol Mais avec ses terrasses il pouvait également répondre aux besoins de tontes sortes de situations : on y dormait on y mangeait on s’y réunissait on y travaillait. Dans la Maison des sceaux, outre les chambres, on avait aménagé à l’étage des bureaux, des archives, une chapelle domestique.

  • 16 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59

11D’origine phréatique ou pluviale, l’eau ne manquait pas dans les maisons déliennes et pouvait favoriser les installations sanitaires. Mais faut-il considérer comme des salles de bain toutes les petites pièces pavées de tuileaux, parfois revêtues de ciment hydraulique à la base des murs et creusées d’une rigole ? Une salle d’eau a été identifiée dans une maison du Quartier du Théâtre, avec des niches-armoires murales, une cuvette, un système d’adduction et d’évacuation. On a surtout trouvé quelques baignoires-sabots en terre cuite, dont l’une est restée en place dans une pièce à l’angle sud-est de la Maison des tritons, à proximité des latrines. Beaucoup d’habitations16 étaient pourvues de ces commodités, construites sur le même modèle. Une canalisation d’égout, percée dans le mur, assurait la communication avec le collecteur de la rue. Certaines latrines possédaient un système de lavage alimenté par le trop-plein de la citerne ou par une gouttière intérieure. Pour d’autres, on imagine une chasse d’eau manuelle. Toutes n’étaient pas fermées par une porte.

12La description rapide de ces éléments constitutifs de l’habitation serait à compléter par la mention de très nombreuses variantes. A côté des aménagements de la cour, des salles de séjour et de réception, des chambres, des communs (celliers, aires de stockage et de travail), il faudrait au moins évoquer les cas d’installation de locaux professionnels. Dans les rues commerciales, mais aussi dans d’autres quartiers, des boutiques et des échoppes étaient parfois construites en avant des logis. La Maison des sceaux se caractérise par un secteur économique séparé des pièces d’habitation, avec notamment un magasin d’amphores et de jarres qui ne paraissent pas avoir conservé uniquement le vin, l’huile et le grain destinés à la consommation domestique. La même maison a révélé, à l’étage, l’existence de salles et de galeries auxquelles on avait accès directement depuis le vestibule et dont la destination professionnelle est établie. Pareille juxtaposition entre le privé et le semi-public ne contredisait pas des usages qui sont encore les nôtres. En revanche, une situation particulière et irrégulière s’instaura lorsque des habitations, par suite des circonstances historiques que Délos connut après 69, furent réoccupées et transformées en ateliers : on trouvera alors des bassins dans une cour, des fours dans une ancienne salle de séjour.

Les matériaux de construction et la façon de construire

13L’architecture privée utilise, on l’a vu, des schémas directeurs mais dans l’exécution règne un empirisme auquel les matériaux de construction ne sont pas étrangers. Les carrières de l’île et celles de Rhénée fournissaient du marbre, du granit, du pôros (un calcaire plus ou moins compact), des schistes et du gneiss. Ces deux dernières roches – le gneiss surtout – constituent les principaux ingrédients des murs, comme on le voit bien aujourd’hui qu’ils ont perdu leur revêtement de stuc. Délitées et débitées en plaques et en moellons de toutes formes et dimensions, on les disposait à sec, habituellement en deux parements en jouant de cales pour rattraper les inégalités entre pierres voisines. Cet appareil de moellons est complété par un mode de construction que les maçons déliens affectionnaient : par coffrages de terre au-dessus de socles en gneiss, une façon de bâtir qui n’est pas sans rappeler celle de nos murs de béton. Beaucoup de cloisons, plus rarement des murs mitoyens et des murs porteurs sont réalisés dans cette technique. L’emploi de la brique crue a été reconnu mais ne semble pas avoir été très répandu dans l’île. Quant au granit souvent taillé en gros blocs et disposé en assises on le trouve principalement sur des façades d’îlots à l’imitation de certaines constructions de l’architecture publique. Le pôros était, par excellence, le matériau de construction de l’étage où il se recommandait par sa légèreté et sa plasticité ; facile à tailler en blocs réguliers et en plaques de différents calibres, il servait à l’édification des murs des chambres et des galeries de circulation.

14Le marbre, outre son emploi quasi constant dans les péristyles, était presque exclusivement réservé aux garnitures des portes et des fenêtres. Par nécessité technique, des jambages et des linteaux solides, de préférence monolithes, devaient contre-buter la poussée des moellons. La solution, du reste, n’était probablement pas plus onéreuse que le recours à de grandes poutres de menuiserie. Certaines portes d’entrée et certaines portes d’œcus major ou d’exèdres se distinguent par leur richesse décorative, faite de moulures et de bandeaux ciselés. Le luxe pouvait aller jusqu’à l’incrustation d’arcs de marbre dans la mosaïque du sol, pour suggérer le mouvement des vantaux. Les pièces de marbres encadraient des panneaux en bois quelquefois cloutés avec des cabochons c n bronze. Les seuils sont fréquemment en marbre parfois en schiste ou en gneiss avec des crapaudines en bronze scellées au plomb les trous de ronds et de « riches permettant dé restituer le fonctionnement (vantail mobile, vantail dormant panneaux articulés en accordéon) Les appuis et les linteaux des fenêtres conservent semblablement les traces des meneaux qui divisaient les haies à trois compartiments en règle générale, avec quelquefois des barres de protection et des moucharabiehs. Mais là encore des dispositifs exceptionnels se rencontrent, comme celui d’une loggia en pôros, à meneaux ornes de colonnettes ioniques engagées, qui régnait sur une façade sud de l’Ilot des bijoux. La forme et l’emplacement des encoches autorisé, dans certains cas, la restitution de balustrades. Mais le plus souvent ce sont des lots de parpaings et de carreaux impossibles à agencer que l’on recueille dans les décombres d’une maison.

15L’architecture des parties hautes est donc celle que nous connaissons le moins. La hauteur des portiques correspond normalement à celle des salles et le niveau des plafonds, quand les murs des rez-de-chaussée sont bien conservés, se laisse déduire des encastrements des lambourdes oui supportaient le plancher de l’étage. On atteignait ainsi une hauteur de 4,50 m à la Maison de la colline, de 3,50 m dans l’habitation I de l’Ilot des bijoux. La restitution des toitures est plus hypothétique. La solution qui, semble-t-il, avait été le plus souvent retenue par les constructeurs était une combinaison de toits pentus et de couvertures en terrasses. L’emplacement des gouttières renseigne sur l’orientation des pentes ; la découverte, dans les décombres, d’une plus ou moins grande quantité de tuiles et de fragments de pavement, leur distribution dans les secteurs de fouille, constituent également des indices utiles. L’emboîtement des appartements de rez-de-chaussée, les dénivellations d’une maison à l’autre permettent d’imaginer pour la couverture d’une insula un jeu complexe de raccords entre terrasses et toits à simple ou à double pente, autour du vide des cours.

Bandeau peint de la Maison de l’épée

Bandeau peint de la Maison de l’épée

Unique exemple de ce style actuellement connu à Délos, une guirlande de feuillages, de fruits et de fleurs est suspendue aux chapiteaux d’une colonnade corinthienne en trompe-l’œil.

Dessin et gouache N. Sigalas.

Le décor du revêtement mural

16Dans une même pièce, d’un mur à l’autre et parfois sur le même mur, l’appareil frappe souvent par sa composition hétéroclite, mélangeant toutes sortes de matériaux, y compris le marbre. Un revêtement de stuc appliqué sur une couche de mortier adhérant aux pierres donnait aux pièces d’habitation un aspect plus agréable. La peinture murale répondait donc, au premier chef, à un besoin d’unification de maçonneries différentes. Par le nombre et la diversité de leurs enduits décorés les maisons déliennes offrent l’ensemble le plus riche du monde hellénistique, celui qui sert de référence comme le font, pour la peinture romaine, les décorations des villes campaniennes. On connaît à Délos l’aspect de quatre cents pièces et, dans 70 % des cas, l’enduit mural présente un décor. La formule décorative est toujours celle de l’imitation d’une construction en grand appareil régulier. Un simple jeu d’incisions dans le mortier frais peut délimiter les pseudo-blocs. L’usage de la couleur, en lignes et en zones, et parfois celui du relief confèrent à la structure de l’appareil avec les refends les filets les panneaux en saillie, une plus grande clarté.

17Le décor s’organise en zones horizontales. Sous le plafond, la zone de couronnement, très rarement conservée, formait un champ bleu clair qui évoquait le ciel et sur lequel pouvaient se détacher des portiques d’étage. C’est dans la zone médiane que se concentrent les recherches picturales, avec les bandeaux figurés (scènes de théâtre, courses de chars jeux et travaux de petits Éros cycle de Dionysos) et l’ensemble du répertoire ornemental : imitation de marbres et conglomérats polychromes, moulures architecturales, motifs géométriques, effets de trompe-l’œil. Tout cela en contraste avec les à-plats de couleurs unies utilisés dans les zones inférieures et supérieure, exception faite de quelques assises isodomes et orthostates à polychromie de taux marbres.

L’organisation d’une paroi peinte en « Style d’appareil »

L’organisation d’une paroi peinte en « Style d’appareil »

Chacune des quatre zones, autonome du point de vue décoratif, se subdivise en une ou plusieurs unités horizontales. C’est dans la zone médiane, placée à hauteur d’œil, que se rencontrent quelquefois des bandeaux figurés, comme ici, dans la Maison des Comédiens.

18Dans la Maison de l’épée, incendiée en 69, a été découvert le seul décor mural qui, à Délos, s’écarte de ce Style d’appareil et s’apparente au Deuxième Style de Pompei. Dans la même habitation et dans la Maison des sceaux voisine, il a été possible de restituer deux décors de plafond. Leur composition est du type en tapis, consistant en un grand nombre d’encadrements autour d’une plage centrale rouge. La plupart des motifs, communs aux deux plafonds, appartiennent aussi au répertoire des mosaïques (dents de scie à degrés, triangles, postes, tours crénelées). Il s’agit vraisemblablement d’une transposition de décors de textiles, peut-être de dais de tissu comme ceux dont les tombes macédoniennes ont livré des fragments. Les deux plafonds déliens se caractérisent par leur foisonnement décoratif et par l’emploi de pigments rares et coûteux. On n’imagine guère pareil luxe dans l’ensemble des maisons.

Tapis de mosaïque et « paillasson » dans une maison du Quartier du Théâtre

Tapis de mosaïque et « paillasson » dans une maison du Quartier du Théâtre

Le pavement s’organise en sorte de donner l’illusion d’un tapis posé sur le sol. Des bandes concentriques entourent un panneau central à motif végétal et un petit « paillasson » figurant un dauphin enlacé à une ancre est axé par rapport à ce tapis principal. Le contraste entre les matériaux (éclats de marbre sur le pourtour, opus tessellatum des tapis) accentue l’effet.

Mosaïque du Dionysos sur un guépard à la Maison des masques

Mosaïque du Dionysos sur un guépard à la Maison des masques

De part et d’autre du dieu vétu à l’orientale, un centaure galope dans un cadre en losange. Le tableau central fut exécuté à part et inséré maladroitement, de travers et trop haut, dans la composition.

Tête d’Ambrosia, détail d’une mosaïque de l’Ilot des Bijoux

Tête d’Ambrosia, détail d’une mosaïque de l’Ilot des Bijoux

Il s’agit de la plus ancienne représentation connue d’un sujet traité à plusieurs reprises à l’époque impériale : la nymphe Ambrosia menacée par Lycurgue, un ennemi de Dionysos, implore la Terre qui la métamorphose en vigne.

Les pavements de mosaïque

19Avec les fresques, les mosaïques constituent le décor le plus remarquable des intérieurs déliens et leur fréquent emplacement dans la cour montre bien que celle-ci fait partie de l’intérieur. Délos ignorant l’usage romano-campanien des mosaïques pariétales, toutes sont des pavements de sols. L’ensemble qu’elles forment, globalement datable entre le milieu du iie siècle et le premier quart du ie siècle, est le plus nombreux du monde hellénistique. Il s’en faut que toutes les pièces des maisons aient été mosaïquées : la très grande majorité des sols était en terre battue, régulièrement renouvelée et mélangée à des cendres qui l’asséchaient ; des cylindres en marbre servaient à la rouler et à l’aplanir. Les mosaïques, elles, formaient un revêtement imperméable et facile d’entretien. Ce rôle purement utilitaire était très important et c’est bien pourquoi un tiers seulement des pavements portait un décor. Dans les cours et sur les terrasses, dans les locaux de service, ce revêtement favorisait l’écoulement des pluviales et des eaux de ménage. Il était composé de galets ou de tuileaux ou d’éclats de marbre novés dans une chape de ciment. La variante à éclats de marbre est fréquemment utilisée sur les terrasses, mais se rencontre aussi dans les salles, entre les murs et le tapis central exécute avec des tesselles en pierres naturelles ou en matériaux artificiels (céramiques, pates de verre). Hormis un retour archaisant a l’ancienne technique du ive et du iiie siècle (connue, entre autres, à Olynthe, Motya, Pella, Érétrie) qui s’observe dans le pavement, partiellement en galets, de la Tritonesse, les mosaïques décorées sont en opus tessellatum, c’est-à-dire faites de petits dés de moins d’un centimètre de côté. Ainsi sont exécutées les bandes d’encadrement dont les motifs, dessinés à l’aide de patrons, peuvent être cernés de lames de plomb, et quelques-uns des tableaux figurés qui occupent quelquefois le milieu du tapis. Plus souvent ceux-ci sont faits de tesselles très fines (opus vermiculatum) dont les couleurs nuancées ont conduit à Péclosion du style pictural : « faire de la peinture en pierre », selon le mot de Pline l’Ancien.

20Des pavements de mosaïque décoraient les sols des rez-de-chaussée comme des chambres d’étage, tel le panneau de Lycurgue et d’Ambrosia reconstruit à partir des fragments recueillis dans les décombres de l’habitation II de l’Ilot des bijoux. Les sujets, presque toujours indépendants de la fonction de la pièce et de l’identité des habitants de la maison, appartiennent au répertoire alors en vogue : théâtre, cycle dionysiaque, autres figures et symboles de la mythologie. La fréquence des thèmes marins, par exemple celui du dauphin à l’ancre stylisé en motif de paillasson à l’entrée de certaines portes, ne surprendra pas dans une cité insulaire et portuaire.

21A Délos comme ailleurs, les mosaïques sont rarement signées. Le panneau des colombes à la vasque dérive d’une œuvre de Sôsos de Pergame que cite Pline l’Ancien ; un artiste phénicien, [Asklé]piadès d’Arados, a laissé son nom sur la mosaïque éponyme de la Maison des dauphins.

La sculpture d’appartement

22Le développement de la sculpture d’appartement est l’un des signes du nouveau luxe que l’on recherchait dans le cadre de la vie privée. Pas plus que celles des sanctuaires et des places publiques, les statues de bronze et de marbre qui décoraient les maisons n’ont échappé, pour la plupart, aux chasseurs de métal et aux chaufourniers. Ce qui reste donne toutefois une idée du décor plastique dans les demeures les plus riches. La sculpture d’appartement se caractérise en général par une échelle inférieure à la grandeur réelle, mais toutes les tailles sont représentées, du bibelot à la grande effigie. Sa fonction est, en principe, ornementale, mais les hermès en bronze dressés sous le portique nord de la Maison des masques ou devant celui de la Maison des sceaux – seules les bases restent en place – conservaient dans le cadre domestique leur traditionnel rôle religieux.

23Les lieux d’exposition sont rarement assurés de manière précise. A l’étage de la Maison des sceaux, dans les locaux professionnels, étaient présentés deux bustes-portraits en marbre, mais également un petit pilier hermaïque en bronze : Papposilène drapé dans la peau de lion d’Héraclès. La proximité de leurs points de chute dans les décombres fait croire qu’on les avait installés dans la même salle. Un ensemble de six statues décorait une maison du Quartier du théâtre : là encore à cinq effigies divines (Léto Apollon Artémis, deux Muses) était associée une statue-portrait en pied et le même type d’association a été reconnu pour l’étage de la Maison des (portrait viril réaliste et effigie de Dionysos ou d’Apollon).

24La sculpture d’appartement délienne a été parfois heureusement mise en valeur. Dans la Maison de l’Hermès, quand on entrait sous le portique du péristyle, on découvrait en face de soi une grotte aménagée, avec une petite statue de nymphe près du filet d’eau qui s’écoulait d’une fissure du rocher.

Le mobilier des maisons déliennes

25Dans les demeures déliennes les plus fastueuses, sculpture, peinture, mosaïque, architecture de marbre formaient un tout indissociable avec des effets, plus ou moins délibérés, de couleur, d’éclairage, d’espace, d’agencement iconographique dont l’essentiel est perdu pour nous. Il faut aussi y replacer des meubles à décor de bronze, notamment des lits et des coffres analogues à ceux de Pompéi. Des pieds et des fragments de lits, des appliques figurées – heurtoir de porte en forme de tête léonine, chien couché gardant une cassette ( ?), bustes de personnages dionysiaques, têtes divines dont certaines peuvent rappeler les physionomies de princes lagides – ont été retrouvés avec des vases en bronze (souvent les seules attaches d’anse, fondues et moins fragiles que les tôles battues des panses) et des instruments plus rares, comme cet énigmatique disque à rebord bas et à plateau orné d’une guirlande gravée : ses poignées en fer revêtues de bois indiquent qu’on l’utilisait au feu.

26Mais ces maisons avaient en commun avec les plus modestes tout un mobilier en pierre et en terre cuite. Des tables en marbre, rondes ou quadrangulaires, reposaient sur des colonnettes ou sur des plaques, moulurées ou sculptées de protomes animales. Le Musée de Délos conserve aussi une table dont le plateau en ardoise est orné de frises concentriques (postes, grecques, fruits et oiseaux, guirlandes) d’une extrême finesse. De grandes vasques en marbre, montées comme les plateaux des tables, devaient servir à de multiples usages, de la toilette à la lessive.

27Pour l’éclairage, le chauffage, la cuisson des aliments, le site a livré des milliers de lampes, tournées ou moulées, et de réchauds en terre cuite, des plus simples aux plus ornés ; des lustres à becs multiples affectaient la forme de couronnes ou de bateaux. Si les lampes de Délos, par leur variété et leur quantité, constituent une des plus importantes collections du monde méditerranéen, l’île sert encore davantage de référence pour les réchauds car il n’existe nulle part ailleurs un ensemble comparable : les réchauds à sole, sans décor ou à décor linéaire incisé, servaient à faire la cuisine et à garder les mets au chaud dans des marmites et des poêles dont le calibre était adapté cheminées de l’instrument et à l’écartement des bras du foyer ; les réchauds à pieds cylindriques et à cuves circulaires sont ornés de frises (géométriques, végétales, rarement figurées) et d’appliques de masques. Ils se caractérisent par la rencontre, au-dessus des braises, de trois supports ornés de têtes barbues, les pointes des barbes servant à retenir un récipient. Des signatures comme celles de Ni[colaos] ou d’Héka[taios], moulées sur les plaquettes des supports, nous conservent parfois le nom du fabricant.

Vaisselle de cuisine sur un réchaud

Vaisselle de cuisine sur un réchaud

Divers récipients de cuisson installés sur un réchaud.

Artémis à la biche

Artémis à la biche

Certaines maisons ont livré des statues d’appartement, souvent de format réduit comme ici, dérivées de la grande sculpture classique.

Applique en bronze

Applique en bronze

Plusieurs appliques trouvées dans l’Ilôt des bronzes décoraient des lits de banquet et des coffres en bois. Ici, un buste d’Hermès.

28Toute la gamme des batteries de cuisine et des vaisselles de table hellénistiques est représentée à Délos, quelquefois en séries nombreuses et sous la forme de dépôts clos qui fournissent aux spécialistes de précieux repères chronologiques. Services de sigillées syriennes, vases pergaméniens ornés d’appliques, bols à reliefs d’Ionie et des côtes de la mer Noire (une collection de près de dix milles pièces), céramiques campaniennes, plats à engobe rouge pompéien, plats et gobelets à parois fines italiques : le faciès céramique des maisons est à l’image de l’emporium mundi. Les marchandises qui n’étaient pas produites à Délos étaient disponibles sur le marché de l’île. Quantité d’objets de la vie quotidienne, en pierre, en métal et en divers autres matériaux, font partie des trouvailles de toute fouille d’habitation. Certains ont été laissés sur place, dans les cours et les salles : broyeurs, mortiers, pilons, meules, jattes en pierre de lave ; tables en marbre présentant des cavités standardisées pour mesurer les liquides. Quant aux autres, le lecteur les découvrira dans les vitrines du Musée de Délos : stylets, épingles, cuillers, spatules, astragales en ivoire et en os, en bronze et en verre, pour la toilette, la médecine, le jeu ou pour des usages qui nous échappent ; en os encore des tuyaux de flûte et des anneaux de rideaux, en bronze des anneaux de tiroir et divers outils domestiques ; en plomb, des situles des pyxides et d’étranges petites roues à rayons Dans une abondante verroterie et dans une série de figurines – minuscule korè en or, vieille femme accroupie en os — on ne fait n’as aisément le départ entre la parure féminine bon marché et le porte-bonheur apotropaïque. Des bijoux en or avec des pierres semi-précieuses et les motifs d’Éros et d’Aphrodite au bouc sont vraisemblement de fabrication syrienne. Le répertoire de la glyntioue hellénistiuue dans son ensemble est conservé sous forme d’empreintes par les sceaux apposés sur les contrats que gérait à son domicile un homme d’affaires

Les fermes de Délos

29Les fermes qui étaient disséminées dans la campagne à Délos et à Rhénée figurent parmi les mieux connues de la Grèce antique, car nous bénéficions à leur propos, ce qui est peu fréquent, du double éclairage qu’offrent, d’une part, les baux de location des propriétés sacrées rédigés par les hiéropes et, d’autre part, les résultats des prospections et des fouilles (on a dégagé une ferme sur chaque île au cours de la dernière décennie).

30C’est donc tout d’abord grâce à l’inventaire sommaire des bâtiments inclus dans le contrat de bail que nous pouvons nous faire une idée des exploitations agricoles. Rédigés un peu à la manière d’une petite annonce immobilière d’aujourd’hui, ces états des lieux énumèrent en les juxtaposant les parties constitutives d’une « maison » (oikia, terme unique désignant aussi bien la maison de ville que la ferme), mais passent sous silence les dimensions des pièces et les relations spatiales entre les locaux. Faute de ces données essentielles, il est donc impossible de restituer le plan de la demeure sur la base des seuls inventaires. En revanche, la présence ou l’absence de porte est toujours soigneusement notée par les administrateurs, car les Grecs considéraient les portes comme du mobilier et elles n’équipaient pas forcément les locaux loués.

31Bien qu’appartenant à la même catégorie foncière, les fermes d’Apollon n’étaient pas toutes identiques : à considérer le nombre des locaux ou leur ordre d’énumération, il n’est pas deux états des lieux similaires ; en règle générale, les fermes détiennes sont plus petites que celles de Rhénée. Sans entrer dans le détail de chaque inventaire, on constate que toutes les exploitations comprenaient une cour et que les locaux se répartissaient entre des pièces d’habitation (salle commune, chambres au rez-de-chaussée, éventuellement à l’étage) et, en nombre variable, des aires de travail ou réserves (grange cellier magasin à blé fournil meunerie), auxquelles s’ajoutaient presque toujours une bergerie et une étable Une des fermes rhéniotes était pourvue d’une tour, sans c]ue l’on sache quelle utilisation précise en était faite. Malgré leur intérêt, ces listes ne permettent donc de se représenter clairement ni l’aspect ni la disposition exacte des exploitations : étaient-ce des maisons d’un seul tenant ou des ensembles de bâtiments séparés ? I es vestiges archéologiques apportent quelques lumières sur ces points.

32Les prospections menées à Délos et à Rhénée ont révélé l’existence d’assez nombreux bâtiments isolés, généralement implantés sur les hauteurs. Très arasés et de dimensions variables, ils se présentent tous comme des maisons-blocs en moellons de granit ou de gneiss à l’intérieur desquelles on reconnaît parfois une cour et quelques pièces. A proximité se trouvent quelquefois aussi une aire de dépiquage et des restes de constructions plus sommaires appuyées contre les massifs de granit. Il semble donc que, quel que fût le nombre de leurs locaux, ces fermes aient toujours eu l’aspect de maisons d’un seul tenant, avec une ou deux dépendances extérieures, sans doute pour les animaux.

Ferme délienne

Ferme délienne

L’une des trois colonnes massives du portique qui occupait la partie nord de la cour gît, couchée sur le dallage. A l’arrière, l’entrée d’une des pièces principales de la ferme, encadrée par deux jambages de granit.

33L’une des fermes déliennes a été fouillée : située sur le rebord d’un plateau au sud-est de l’île, elle domine un vallon dont les pentes portent des terrasses de culture. Cette maison de plan à peu près carré, couvrant un peu moins de 300 m- sur un seul niveau, fut construite au v siècle. Son tracé d’origine l’apparente aux maisons athéniennes ou olynthiennes contemporaines. Quatre pièces indépendantes occupaient la moitié nord de la demeure ; deux d’entre elles ouvraient sur un couloir conduisant depuis l’entrée ouest à la cour, tandis que les deux autres donnaient sur un portique à trois colonnes de granit bordant la cour dallée. Tout l’angle sud-ouest était occupé par une grande salle au sol cimenté et deux locaux peu profonds encadraient symétriquement la porte sud-est. En cinq siècles d’occupation, la ferme a connu plusieurs remaniements qu’il n’est pas toujours facile de dater. Les travaux les plus importants paraissent être liés à une réoccupation après une période d’abandon sans doute celle qui suivit l’expulsion des Déliens en 167.

34La confrontation de ces raines et des états des lieux se révèle malheureusement décevante : aucun des dix inventaires déliens ne correspond exactement à la demeure explorée et surtout, alors que les contrats désignent les locaux d’après leurs fonctions, l’usage qui était fait des différentes pièces de la ferme nous échappe presque complètement, faute d’installations et de mobiliers révélateurs. On sait toutefois que le portique faisait office de cuisine (regroupement d’un four, d’un foyer, de fragments de réchauds et de débris de vaisselle), une information qui concorde avec ce qui s’observe en ville. D’autre part, une des pièces d’habitation de la partie nord dut servir dans un second état à loger un gros moulin à céréales.

35Loin d’être un abri saisonnier, cette demeure était équipée pour être habitée en permanence, ce qu’a confirmé l’examen des ossements d’animaux. Leurs types, les traces de découpe, les âges d’abattage des bêtes prouvent que la ferme possédait une basse-cour et un petit troupeau de chèvres et de moutons, élevés principalement pour l’alimentation des habitants. Cette habitation rustique ne différait pas fondamentalement des maisons urbaines modestes : elle est centrée sur la cour et l’on y retrouve notamment le même groupement d’une grande salle et d’une petite salle attenante. Le portique est un autre trait commun. L’absence de décor mural, de pavements de mosaïque, de certains types de vaisselle fine (en regard de l’abondance des amphores et de la céramique culinaire) n’est pas faite pour surprendre. La ferme était probablement habitée par un intendant et quelques esclaves (dont la présence tout au long de l’année était indispensable à la bonne gestion du domaine), tandis que son propriétaire ou locataire résidait ordinairement en ville.

Habitations et habitants

36Il n’est pratiquement jamais possible à Délos de mettre en rapport habitations et habitants. Pour l’époque de l’Indépendance, les comptes nous conservent les noms des locataires des maisons sacrées, ainsi que le montant du loyer, mais nous ignorons l’emplacement et l’aspect de ces maisons. Pour l’époque de la seconde domination athénienne la situation est inverse : c’est de ce temps que datent toutes les maisons exhumées dans l’île, mais les occupants nous en restent inconnus, hormis quelques cas peu nombreux où leur nom s’inscrit dans des dédicaces qui y ont été trouvées.

Notes

1 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59

2 Maison des dauphins Plan, III

3 Maison de la colline Plan, 60

4 Maison du Lac Plan, 64

5 Maison de Fourni Plan, 124

6 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59

7 Maison du Dionysos Plan, 120

8 Maison du trident Plan, 118

9 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59

10 Maison de Cléopatra et Dioscouridès Plan, 119

11 Maison des masques Plan, 112

12 Ilots d’habitations du quartier nord Plan, 59

13 Maison de la colline Plan, 60

14 Maison de l’Hermès Plan, 89

15 Maison du trident Plan, 118

16 Ilots d’habitation du quartier nord Plan, 59

Table des illustrations

Titre La Maison de l’Hermès (Plan 89)
Légende Cette riche demeure se développait sur quatre niveaux en tirant parti des dénivellations du terrain. On voit ici les colonnes du péristyle dorique du premier étage (h. 3,80 m), qui s’élevait au-dessus du portique du rez-de-chaussée.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 3,8M
Titre Comparaison des parcellaires du Quartier nord et du Quartier du Théâtre, état du ier siècle.
Légende Les îlots du quartier neuf tendent vers la régularité et vers une orientation selon les points cardinaux tandis que l’irrégularité des parcelles et les changements d’orientation indiquent l’ancienneté de l’occupation dans le vieux quartier.
Crédits Dessin N. Bresch.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
Titre La Maison de la colline13, vue axonométrique
Légende L’ordonnance symétrique de son plan caractérise cette demeure : un vestibule étroit donne accès à la cour où une profonde citerne, couverte par une mosaïque, était entourée par un portique. A gauche sur le dessin, les pièces principales dotées de hautes fenêtres ouvrent sur une longue galerie.
Crédits Dessin N. Bresch.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 736k
Titre La cour de la Maison des tritons (Plan 59 B)
Légende Cette demeure possède une cour d’un type inhabituel : à la place d’un simple portique, un promenoir couvert était séparé de la cour, au nord et à l’est, par un muret supportant des piliers, aménagement reproduit à l’étage.
Crédits Dessin P. Fister.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Latrines
Légende Un caniveau en équerre, tapissé de dalles de gneiss comme le sol de la pièce elle-même, était couvert de bancs de bois percés de trous. Plusieurs personnes pouvaient occuper les lieux en même temps.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 2,6M
Titre Fenêtre de la Maison du trident15
Légende Les montants de marbre encadraient une grille. C’est l’un des rares exemples d’une fenêtre donnant sur la voie publique, les murs extérieurs des maisons étant d’ordinaire aveugles.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 2,4M
Titre Bandeau peint de la Maison de l’épée
Légende Unique exemple de ce style actuellement connu à Délos, une guirlande de feuillages, de fruits et de fleurs est suspendue aux chapiteaux d’une colonnade corinthienne en trompe-l’œil.
Crédits Dessin et gouache N. Sigalas.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 2,7M
Titre L’organisation d’une paroi peinte en « Style d’appareil »
Légende Chacune des quatre zones, autonome du point de vue décoratif, se subdivise en une ou plusieurs unités horizontales. C’est dans la zone médiane, placée à hauteur d’œil, que se rencontrent quelquefois des bandeaux figurés, comme ici, dans la Maison des Comédiens.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 396k
Titre Tapis de mosaïque et « paillasson » dans une maison du Quartier du Théâtre
Légende Le pavement s’organise en sorte de donner l’illusion d’un tapis posé sur le sol. Des bandes concentriques entourent un panneau central à motif végétal et un petit « paillasson » figurant un dauphin enlacé à une ancre est axé par rapport à ce tapis principal. Le contraste entre les matériaux (éclats de marbre sur le pourtour, opus tessellatum des tapis) accentue l’effet.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 1,8M
Titre Mosaïque du Dionysos sur un guépard à la Maison des masques
Légende De part et d’autre du dieu vétu à l’orientale, un centaure galope dans un cadre en losange. Le tableau central fut exécuté à part et inséré maladroitement, de travers et trop haut, dans la composition.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 2,2M
Titre Tête d’Ambrosia, détail d’une mosaïque de l’Ilot des Bijoux
Légende Il s’agit de la plus ancienne représentation connue d’un sujet traité à plusieurs reprises à l’époque impériale : la nymphe Ambrosia menacée par Lycurgue, un ennemi de Dionysos, implore la Terre qui la métamorphose en vigne.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 4,4M
Titre Vaisselle de cuisine sur un réchaud
Légende Divers récipients de cuisson installés sur un réchaud.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 1,6M
Titre Artémis à la biche
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 5,8M
Titre Applique en bronze
Légende Plusieurs appliques trouvées dans l’Ilôt des bronzes décoraient des lits de banquet et des coffres en bois. Ici, un buste d’Hermès.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Ferme délienne
Légende L’une des trois colonnes massives du portique qui occupait la partie nord de la cour gît, couchée sur le dallage. A l’arrière, l’entrée d’une des pièces principales de la ferme, encadrée par deux jambages de granit.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/3932/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 3,2M

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