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La brousse et le berger

 | 
Marianne Cohen

Troisième partie. L’embroussaillement par le buis dans un élevage moderne : valbelle

Chapitre VIII. Valbelle : un domaine

Texte intégral

1Valbelle, lieu-dit du causse nu, fait partie de la commune de Florac, dans la zone centrale du parc national des Cévennes. C’est le siège d’une exploitation unique, d’environ 500 ha, gérée pour la majeure part en faire-valoir direct. Ce domaine a été constitué progressivement, depuis le début du XIXe siècle.

L’histoire de la propriété

2L’observation des paysages de Valbelle montre que le parcellaire joue un rôle important dans la répartition de la végétation, soit concentrant les ligneux sous forme de haies, soit délimitant des surfaces différentes de densité de végétation (planches II.7 et 8). Cette lisibilité du parcellaire, mise en valeur par des dynamiques différentielles de végétation, conduit à se poser la question de la propriété foncière dans le paysage, surtout lorsque ce parcellaire s’est révélé correspondre à un parcellaire cadastral : celui des plans « napoléoniens », premier cadastre établi au début du XIXe siècle (Levy, 1995). La recherche historique sur l’usage du sol et la propriété nous donne quelques précieuses clefs de lecture de ces hétérogénéités.

L’histoire de l’occupation du sol

  • 1 Les sources consultées ne définissent pas ces catégories. La première ne recèle pas d’ambiguité a p (...)

3Dans les années 1810, les trois espaces de l’actuelle exploitation sont différenciés par la nature de l’utilisation du sol (carte 20), de son faire-valoir, et de sa structure foncière (carte 21). Trois usages du sol sont distingués dans les documents cadastraux : les terres labourables, les pâtures et les terres vaines1.

Carte 20. Utilisation du sol en 1813 sur la propriété de Valbelle

Carte 20. Utilisation du sol en 1813 sur la propriété de Valbelle

Source : cadastre de 1813. Réalisation : INRA SAD Toulouse 1997.

Carte 21. Structure foncière en 1813 sur la propriété de Valbelle

Carte 21. Structure foncière en 1813 sur la propriété de Valbelle

Source : cadastre de 1813. Réalisation : INRA SAD Toulouse 1997.

  • 2 Ce chiffre est inférieur au seuil de subsistance d’une famille dans le système agro-pastoral tradit (...)

Au Tomple, 78 % des terres sont labourées, les autres, correspondant sauf exception à de petites parcelles pentues, sont en pâture. Vingt-deux propriétaires, ayant en moyenne 10 hectares, se partagent cet espace inégalement. Si deux d’entre eux ont entre 30 et 40 ha, un propriétaire sur deux possède moins de 4 ha2. La pression foncière est forte, entraînant des mises en culture même sur de mauvaises terres. Seul le plus gros propriétaire consacre une grande parcelle à la pâture (planche II.3). Il fait partie des quatre propriétaires résidant au Tomple, les autres vivant dans le vallon. Mais tous sont des cultivateurs.
À Valbelle en revanche, il n’y a que 34 % de terres labourables, seulement 6 % de pâtures, mais 60 % de terres vaines. La pression foncière relativement faible peut contribuer à expliquer la présence des terres vaines : les onze propriétaires ont en moyenne 30 hectares. La structure de la propriété est plus équilibrée, autour d’une classe de moyens propriétaires qui n’existait pas au Tomple. Les deux plus gros propriétaires ont 76 et 50 ha et vivent dans la vallée. Les activités des propriétaires sont variées, on peut penser que certaines propriétés sont exploitées en faire-valoir indirect.
Au Causse Mazel, on trouve des terres labourables, des terres vaines et quelques pâtures, et les propriétaires semblent être relativement plus nombreux (le faible nombre de parcelles en propriété ne permet pas de poursuivre l’analyse).

4À Valbelle et au Tomple, pression et structure foncière expliquent les natures de cultures : les plus gros propriétaires se permettent de livrer les moins bonnes terres à l’élevage, tandis que les petits consacrent presque toutes leurs terres à la culture. Les meilleures terres, correspondant aux dolines, sont âprement disputées dans tous les espaces. Cela se traduit par un morcellement extrême du parcellaire, et un éclatement des propriétés dans l’espace.

5Au cours des XIXe et XXe siècles, le nombre des propriétaires évolue de manière parallèle au Tomple et à Valbelle, avec une augmentation jusqu’en 1863, puis une baisse jusque dans les années 1940.

Presque toutes les parcelles sont passées alternativement entre les mains de propriétaires caussenards et non caussenards, mais Valbelle a été plus longtemps et précocément « caussenarde ». La différence de structures foncières persiste. La petite propriété du Tomple perdure longtemps, alors que, dès 1863, on voit l’apparition d’un domaine à Valbelle, vingt ans avant la date indiquée par Paul Marres (1935) comme le début de la formation des domaines laitiers sur le Méjan.
Le domaine de Valbelle a pour origine, au début de la période étudiée, la propriété d’une trentaine d’hectares de la famille Rouvière. Dans la première partie du siècle, des partages d’héritages divisent cette propriété, puis, de ventes en cessions de droits de succession, elle se reconstitue. En 1964, elle est entre les mains d’un couple, Victoire Larguier (ex-épouse Rouvière) épouse Agulhon et Louis-Casimir Agulhon, son mari. Dès cette année, ils entreprennent d’agrandir le domaine, puis de le remembrer. Les achats concernent dans un premier temps des terres labourables, puis on voit apparaître un intérêt croissant pour des parcelles destinées à l’élevage.

6Une stratégie familiale de concentration foncière s’est donc ajoutée à la transformation économique régionale de la fin du XIXe siècle pour constituer le domaine de Valbelle. Toutefois, d’après Paul Marres (1935), le « domaine » mesure au moins 100 ha au XVIIe siècle, seuil de surface que Valbelle n’atteint que plus récemment. En revanche, Valbelle se spécialise en domaine laitier précocement. On note aussi l’existence d’une relation ancienne entre les secteurs Causse Mazel et Valbelle, par des propriétaires possédant des parcelles dans ces deux espaces.

7Cette étude remet ainsi en question la notion même de « domaine », puisque les terres de Valbelle ne constituent pas une unité foncière historique, mais le rassemblement de propriétés sans unité de gestion.

8À partir de la source cadastrale, une autre forme d’appropriation de l’espace peut être envisagée : l’étude des toponymes, qui permet de donner un aperçu du rapport de l’homme à son paysage, assez différent selon le village.

On a noté d’abord les récurrences des allusions au labeur humain, notamment des cultures (Chon, Camp), au Tomple, alors qu’à Valbelle ce sont surtout les formes du relief qui désignent les parcelles (Combe, Plat, annexe II.2). D’autre part, au Tomple, la limite entre deux lieux-dits correspond souvent avec les murets visibles aujourd’hui, et la division de l’espace par les noms est plus précise. À Valbelle, l’espace est en revanche divisé en de grandes étendues au sein desquelles se détachent des dolines individualisées par leurs toponymes.
Cette tendance se confirme jusqu’à la rénovation du cadastre. Mais aujourd’hui, l’appréhension du paysage est bien plus floue. Avec la succession des générations, les toponymes se perdent. Les espaces ne sont plus désignés par un nom mais par rapport à un point de repère, topographique ou anthropique (route, pylône, clôture).

Histoire foncière et embroussaillement

9Depuis 1813, la baisse de la pression foncière s’inscrit dans le paysage, tel que nous le montre l’évolution du cadastre. Ce phénomène, plus tardif chez les propriétaires des vallées, se fait aux dépens des terres de culture les plus petites, médiocres ou éloignées, reconverties en terres vaines (Valbelle) ou en pâtures (Le Tomple). Des histoires foncières différentes de deux parcelles contiguës peuvent se traduire dans le paysage actuel en terme de dynamique végétale, comme le montre la comparaison entre le dessin du cadastre et les photographies aériennes (carte 22).

À Valbelle, les parcelles rattachées tardivement au domaine, entre 1813 et 1913, sont aujourd’hui les plus embroussaillées par le buis. Plus étonnant, les ligneux sont plus denses chez certains propriétaires de 1813, notamment ceux qui consacraient une part plus importante de leurs terres caussenardes que les autres à la vaine pâture.
La tradition céréalière du Tomple peut être mise en parallèle avec une plus importante implantation des pins, dont les semenciers, plus nombreux qu’à Valbelle, essaimeraient facilement sur d’anciennes cultures, avec des terres remuées, que sur des pâtures denses avec des sols moins aérés. D’autre part, la petite propriété (exprimée, lors de la rénovation cadastrale, par le maintien d’un parcellaire plus divisé au Tomple qu’à Valbelle) et la céréaliculture entraînent un meilleur entretien des murets et tas d’épierrement, emplacements de prédilection des buis aujourd’hui.

Carte 22. Traces paysagères du parcellaire napoléonien à Valbelle

Carte 22. Traces paysagères du parcellaire napoléonien à Valbelle

Sources : Cadastre napoléonien 1813, Mission IFN 1989. Réalisation : Marianne Cohen, Université Paris VII – Ladyss

10La gestion historiquement hétérogène des parcelles qui constituent l’actuel « domaine » de Valbelle se traduit en terme d’évolution différente de ses espaces, et son incidence sur un aspect du paysage actuel : la dynamique de la végétation. Rien ne prouve toutefois que cette histoire est singulière, bien d’autres « domaines » caussenards n’existaient peut-être pas autrefois.

L’évolution récente des pratiques pastorales

11L’exploitation de Valbelle a également changé depuis une vingtaine d’années, du fait d’acquisitions foncières couplées à une intensification des systèmes techniques. Les années 1960 ont représenté un « creux » relatif dans l’histoire de l’exploitation, marqué par les abandons culturaux à Valbelle, voire pastoraux dans les secteurs du Tomple et du Mazel (non encore rattachés à Valbelle, ils n’étaient exploités que par un petit troupeau de 50 têtes environ).

12L’installation de la jeune génération au début des années 1970 impulse une dynamique, en terme d’effectifs (de 200 brebis et 220 agneaux au pâturage en 1974, on passe à environ 500 brebis et 200 agnelles en 1991) et de surfaces. Le communal est partagé au début des années 1970 entre les trois éleveurs, accompagnant le mouvement de modernisation (carte 23).

En effet, dans les domaines isolés, les ayants droit des communaux se sont peu à peu confondus avec les derniers exploitants agricoles, ce qui a amené à des partages amiables entre les éleveurs s’étant maintenus, notamment lors de la constitution de parcs clôturés. Ce changement de statut n’est pas officialisé dans le cadastre mais il entre dans le calcul des charges de l’exploitation (cotisations sociales, impôts).

13Avec les acquisitions du Mazel (en fermage) et du Tomple (acquis en 1981, après une période de fermage) et la création progressive des parcs, la spécialisation saisonnière de l’espace s’amorce, se déplace et s’accentue entre 1970 et 1990 (fig. 16).

14On est donc passé d’une utilisation assez homogène de la surface de ces parcelles, dans les années 1960, à une utilisation très contrastée, opposant des secteurs bien pâturés à des secteurs délaissés, et des parcelles utilisées tout au long de l’année à des parcelles spécialisées saisonnièrement. Rapportées aux surfaces des parcelles, les évaluations de chargements ne montrent pourtant pas une évolution significative depuis 1965, en cohérence avec l’intensification du système technique (fig. 16).

Le système technique de Valbelle

15Spécialisé depuis quarante ans dans la production d’ovins à viande, cet élevage est conduit, depuis les années 1970, par un ménage qui l’a fortement agrandi et équipé, tout en aménageant trois gîtes ruraux. Ce ménage commençait, au début Jusqu’à la fin des années 1960, le domaine était divisé en trois grands « secteurs de montagne », – Moulin à Vent, Bragette sud et Biffoux, Bragette nord et le communal –, exploités un jour sur trois, en suivant des circuits, sous la conduite d’un berger. Les animaux sortaient toute l’année sur les parcours (à l’exception de la période d’agnelage), et n’accédaient pas aux champs (dont l’extension était plus réduite qu’aujourd’hui). Le communal était exploité par trois troupeaux, totalisant 600 têtes environ qui parcouraient l’ensemble de la surface (90 ha).

Carte 23. Circuits pastoraux en 1965 et en 1995 – Valbelle

Carte 23. Circuits pastoraux en 1965 et en 1995 – Valbelle

Sources : données d’enquête, Cohen & Petit 1995. Réalisation : M. Cohen, Ladyss-Paris VII.

16À présent, du fait de l’absence de surveillance par un berger, les brebis suivent dans les grands parcs des cheminements préférentiels. Les secteurs spontanément délaissés par les brebis pendant une ou deux saisons, localisés sur les versants couverts de buis, sont ensuite totalement refusés, l’herbe ne se renouvellant pas bien d’après les enquêtes, fait confirmé par l’observation des touffes d’herbe en fin d’hiver (Meille, 1995).

17de notre recherche, à être aidé par un fils qui, après une formation agricole, avait un projet d’installation sur place, aujourd’hui concrétisé. Trois caractéristiques de cette exploitation sont intéressantes :

  • sa représentativité par rapport à la production de viande en domaine sur le causse nu ;

  • la configuration spatiale et le couvert végétal de l’exploitation, concourant à l’intérêt des pratiques de pâturage ;

  • la coopération des exploitants, véritables partenaires de la recherche.

Figure 16. Estimation des charges saisonnières – Années 1960 et 1990 (en brebis x jours/hectare)

Figure 16. Estimation des charges saisonnières – Années 1960 et 1990 (en brebis x jours/hectare)

18La charge ovine a peu varié à l’exception de quelques parcelles. La partie autrefois communale, assez éloignée, a probablement connu une déprise alors qu’au contraire la charge a augmenté sur les parcs proches (Biffoux), et dans le secteur du Tomple (charge faible dans les années 1960), dans le mouvement de bipolarisation de l’utilisation de l’espace déjà observé ailleurs sur le causse (voir aussi chap. I).

19Les petits parcs (Biffoux), d’abord utilisés en été et automne, sont utilisés au printemps (planche II.12) alors que c’est l’inverse pour le Causse Mazel. Les grands parcs de Bragette et du Moulin à Vent (La Planasse) restent pâturés toute la campagne, mais leur charge en automne et en hiver diminue depuis les années 1960.

Valbelle est assez représentatif des élevages du causse nu, qui ont en moyenne doublé le nombre de brebis et triplé le nombre d’agneaux depuis vingt ans. Les éleveurs ont construit des bergeries, acquis des équipements, et fortement accru la production de stocks alimentaires. Les champs, mieux fertilisés dans l’ensemble, sont consacrés aux fourrages et aux céréales que désormais l’on ne vend plus (planche II.7). Les achats d’aliments, naguère exceptionnels en production de viande, s’accroissent, sous forme de luzerne déshydratée le plus souvent.

20L’effort d’intensification ne s’est pas porté sur le seul régime alimentaire en bergerie. L’aménagement pastoral (clôtures, parcs, partage des communaux) a permis de constituer des lots au sein de troupeaux composés d’animaux aux besoins contrastés.

En effet, au lieu d’agneaux d’herbe nés en avril et vendus à l’automne (cycle saisonnier « naturel »), les élevages produisent maintenant des agneaux souvent nés plus tôt et vendus, plus jeunes, sous forme d’agneaux d’herbe, d’agneaux de bergerie ou d’agneaux légers (fig. 17, annexe III. 1). Diverses combinaisons sont pratiquées et, du fait des naissances dessaisonnées en automne, il n’est pas exceptionnel d’avoir trois périodes de mises bas au cours de la campagne et trois ou quatre lots d’animaux à certaines périodes (fig. 18). On perçoit tout l’intérêt des parcs à la fois pour réduire l’astreinte du gardiennage et pour valoriser en même temps des ressources diversifiées.

Figure 17. Les catégories d’animaux de l’exploitation de Valbelle

Figure 17. Les catégories d’animaux de l’exploitation de Valbelle

Réalisation : INRA SAD Toulouse, logiciel Pisteur, adapté par M.-A. Carlander.

21En grandes masses, la conduite du troupeau de brebis, autour de 340 têtes, est simple : lutte en octobre, d’où mise bas en fin d’hivernage, engraissement des agneaux mâles en bergerie, mise à l’herbe des agneaux femelles avec les mères avec, comme destination, le renouvellement du troupeau ou, ce qui est moins courant, d’autres élevages. La forte productivité du troupeau (plus de 130 agneaux vendus/100 ha) est liée au régime très soutenu de reproduction, non seulement pour les agnelles, mais aussi pour les brebis.

22L’exploitation est également intéressante du fait de sa configuration en plusieurs quartiers de pâturage, dont un comportant une bergerie, facilitant une gestion à distance.

Le siège de l’exploitation et la bergerie principale sont situés en bordure de route, au contact d’une dépression cultivée qui se prolonge au sud sur le lieu-dit de Volpilloux (carte 24, planche II.7 et 8). Depuis la bergerie, on accède directement à de petits parcs abrités, ainsi qu’à de grands parcours, La Planasse (dit aussi Moulin à Vent), Bragette, et Valbelette (planches II.7 et 8).
Le troupeau a accès, sur entente verbale, à la majeure part des boisements de Volpilloux, un domaine inhabité dont les parcours ont été plantés de pins noirs (190 ha en 1965 et 75 en 1973, avec l’aide du Fond forestier national). À travers ces boisements, le troupeau peut aller au lieu-dit Causse Mazel, sur la bordure sud du causse. L’extrémité du Causse Mazel est à plus de 3 kilomètres de la bergerie, mais en continuité avec les zones utilisées (planche II.4).
Une autre partie de l’exploitation est également à plus de 3 kilomètres, au lieu-dit Le Tomple, en bordure nord du causse (planche II.3), mais cet ensemble de champs et de parcours est disjoint du domaine de Valbelle. C’est là que se trouve l’autre bergerie, ce qui permet des séjours prolongés du troupeau.

Carte 24. L’exploitation de Valbelle

Carte 24. L’exploitation de Valbelle

Source : INRA-SAD Toulouse 1996

Figure 18. Les lots d’animaux de l’exploitation de Valbelle

Figure 18. Les lots d’animaux de l’exploitation de Valbelle

Par moments, le ménage d’éleveurs gère jusqu’à quatre lots au pâturage, entre les adultes et les différentes catégories de jeunes, plus, éventuellement, les brebis de réforme en « retape » avant la vente d’août à octobre. Les allottements, liés aux besoins et aux performances attendues des catégories d’animaux, sont organisés selon un calendrier, en grandes séquences fonctionnelles (annexe III.2).

Réalisation : INRA SAD Toulouse, logiciel Pisteur, adapté par M.-A. Carlander

23L’exploitation, la constitution des lots d’animaux et le calendrier de pâturage pour la campagne 1993 concourent à une organisation de l’espace, confirmée pour 1994 et 1995, assez facile à percevoir sur la carte 24.

Le Causse Mazel, les boisements de Volpilloux et la partie non close du Tomple, éloignés du siège de l’exploitation, nécessitent un gardiennage, tributaire des autres travaux sur l’exploitation. Les boisements forment aussi un abri pendant les périodes de chaleur.
Dans les deux grands parcs de Valbelle, les animaux sont souvent dirigés, puis laissés sous surveillance lâche dans la mesure où ils sont totalement clôturés, sauf la partie de Valbelette utilisée en gardiennage.
Les parcelles cultivées, en dehors de leur fonction majeure de constitution des stocks hivernaux, se prêtent bien à l’azerbade (passage dans les champs après une journée sur les parcours), surtout à proximité des bergeries. Les petits parcs sont commodes pour des lots d’animaux à surveiller, en complémentarité avec les champs ou les petits parcours proches, en gardiennage.

24La configuration spatiale de l’exploitation présente donc des contrastes relatifs à l’imbrication des natures de couverts (parcours/champs) et à la présence des clôtures. Les conditions d’accès aux ressources, s’ajoutant à l’hétérogénéité de ces dernières, laissent attendre une utilisation complexe. Les décomptes de charge obtenus aident à repérer les sites et les périodes-clés du calendrier (fig. 19).

Ils sont toutefois sans signification si le pâturage se fait en grands circuits ou si le troupeau séjourne groupé dans un grand parc. A fortiori, ils ne disent pas si le séjour des animaux a été, ou non, continu, ni s’il y a eu tri ou rabattement de l’herbe offerte.
Même s’ils ne donnent que des ordres de grandeur, ces calculs confirment que l’utilisation de l’espace privilégie les parcs proches et les champs. Ils montrent qu’utilisés presque toute l’année, les grands parcs proches ont une contribution relativement faible. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les quartiers éloignés ne paraissent pas pénalisés par la distance, en l’état de l’aménagement du Tomple et grâce au gardiennage. Ainsi caractérisés, les modes d’utilisation parcellaire peuvent être mis en regard des faciès de végétation (carte 25).

25Les informations sur le calendrier de pâturage sont exprimées et représentées en indices de chargement montrant l’intensité et la saisonnalité du pâturage. Chaque élément du calendrier est défini par la période et sa durée en décade, le lot et son effectif, la parcelle et sa surface.

26Sans oublier les conventions de calcul, il est intéressant de classer les parcelles selon le chargement total, entre les parcs Biffoux et Hubert, comptés pour plus de 700 journées-brebis par ha, jusqu’aux boisements de Volpilloux qui en fournissent moins de 20. Les champs en assurent de l’ordre de 200, le Causse Mazel presque autant et le Tomple entre 100 et 200. Les grands parcs de Bragette et La Planasse-Moulin à Vent ne fournissent que 100 ournées-brebis par ha.

27Ce constat a amené les agronomes à orienter leurs travaux pour évaluer l’impact spatial des exploitations d’élevage et leur potentiel d’évolution vers la formalisation des modes de conduite (Osty & Lardon, 1999) et des stratégies spatiales (Naïtlho & Lardon, 1999), en vue de proposer de nouvelles formes de gestion.

Figure 19. Le calendrier de pâturage de l’exploitation de Valbelle

Figure 19. Le calendrier de pâturage de l’exploitation de Valbelle

28La configuration spatiale du domaine et ses pratiques sont particulièrement intéressantes à suivre pour comprendre les évolutions en cours dans les exploitations d’élevage viande du causse nu. La logique d’utilisation de l’espace (Girard et al., 1996) peut être illustrée par la bande dessinée des affectations de l’espace aux animaux (fig. 20), qui illustre le calendrier de pâturage (annexe III.2). Pour l’essentiel, ce sont les périodes nécessitant de l’attention et, en général, un niveau d’alimentation soutenue, qui déterminent la constitution des lots, ainsi que la présence de clôtures.

29Sous réserve de comparaisons ultérieures, l’accent serait, à Valbelle, davantage mis sur la gestion de l’herbe – que sur les stocks de fourrages par exemple – pour ajuster le niveau de l’alimentation, grâce à la souplesse d’un gardiennage attentif. En témoigne l’apparente facilité avec laquelle l’imbrication de champs et de parcours de qualités diverses est valorisée pour constituer des menus complets, en particulier à l’automne.

Carte 25. Modes d’exploitation parcellaire à Valbelle

Carte 25. Modes d’exploitation parcellaire à Valbelle

Source : INRA-SAD Toulouse 1996

Figure 20. Bande dessinée de l’utilisation des parcelles de Valbelle

Figure 20. Bande dessinée de l’utilisation des parcelles de Valbelle

30On comprend que la conduite du pâturage dépend moins des qualités intrinsèques des parcours que des lots et leur conduite. Cependant, la maîtrise de l’impact des animaux sur la végétation des grands parcs, préoccupe l’éleveur qui va jusqu’à dire : « Le meilleur des bergers, c’est bien un parc bien fait ! », en accord avec les récentes mesures agri-environnementales. Avec l’installation du fils, ce qui signifie plus de main-d’œuvre, on peut penser que ce n’est pas le gardiennage, mais la pose de clôtures et la lutte directe contre les ligneux indésirables qui seront intensifiées...

Notes

1 Les sources consultées ne définissent pas ces catégories. La première ne recèle pas d’ambiguité a priori ; la seconde laisse présager une utilisation pastorale, sans que l’on puisse rien conclure sur la composition du bétail (ovins ? bovins ?) ; la troisième évoque la notion de vaine pâture, « qui s’exerçait sur des fonds privés lorsque ceux-ci ne portent plus de récolte, une fois la terre devenue vaine, c’est-à-dire vide » (Vivier, 1999), telles que les jachères longues décrites par Marres (1935). Dion, 1991 [1934] et Pitte (1983) indiquent que ces pratiques collectives résultait d’arrangements locaux dans le Midi de la France, ce qui pourrait expliquer que cette catégorie n’ait été rencontrée que dans le site de Valbelle.

2 Ce chiffre est inférieur au seuil de subsistance d’une famille dans le système agro-pastoral traditionnel (5 ha de terres riches, le double de terres médiocres, Beaurepaire & Gily-Deloison, 1999).

Table des illustrations

Titre Carte 20. Utilisation du sol en 1813 sur la propriété de Valbelle
Crédits Source : cadastre de 1813. Réalisation : INRA SAD Toulouse 1997.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 80k
Titre Carte 21. Structure foncière en 1813 sur la propriété de Valbelle
Crédits Source : cadastre de 1813. Réalisation : INRA SAD Toulouse 1997.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 88k
Titre Carte 22. Traces paysagères du parcellaire napoléonien à Valbelle
Crédits Sources : Cadastre napoléonien 1813, Mission IFN 1989. Réalisation : Marianne Cohen, Université Paris VII – Ladyss
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 91k
Titre Carte 23. Circuits pastoraux en 1965 et en 1995 – Valbelle
Crédits Sources : données d’enquête, Cohen & Petit 1995. Réalisation : M. Cohen, Ladyss-Paris VII.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 53k
Titre Figure 16. Estimation des charges saisonnières – Années 1960 et 1990 (en brebis x jours/hectare)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 39k
Titre Figure 17. Les catégories d’animaux de l’exploitation de Valbelle
Crédits Réalisation : INRA SAD Toulouse, logiciel Pisteur, adapté par M.-A. Carlander.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 33k
Titre Carte 24. L’exploitation de Valbelle
Crédits Source : INRA-SAD Toulouse 1996
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 50k
Titre Figure 18. Les lots d’animaux de l’exploitation de Valbelle
Légende Par moments, le ménage d’éleveurs gère jusqu’à quatre lots au pâturage, entre les adultes et les différentes catégories de jeunes, plus, éventuellement, les brebis de réforme en « retape » avant la vente d’août à octobre. Les allottements, liés aux besoins et aux performances attendues des catégories d’animaux, sont organisés selon un calendrier, en grandes séquences fonctionnelles (annexe III.2).
Crédits Réalisation : INRA SAD Toulouse, logiciel Pisteur, adapté par M.-A. Carlander
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-8.jpg
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Titre Figure 19. Le calendrier de pâturage de l’exploitation de Valbelle
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-9.jpg
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Titre Carte 25. Modes d’exploitation parcellaire à Valbelle
Crédits Source : INRA-SAD Toulouse 1996
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-10.jpg
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Titre Figure 20. Bande dessinée de l’utilisation des parcelles de Valbelle
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/38502/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 73k

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