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Carnets. Tome II

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Marcel Cachin

Année 1920

Préface

Brigitte Studer

Texte intégral

Le socialisme européen et la IIIe Internationale

  • 1 Louis Oscar Frossard (l889-1946) instituteur, puis journaliste, militant socialiste depuis sa sorti (...)
  • 2 Jean Longuet avait été pressenti à la place de Frossard. Le texte du mandat, rédigé par Frossard, e (...)
  • 3 Cité in Annie Kriegel, Histoire du mouvement ouvrier français, 1914-1920. Aux origines du communism (...)

1Pour Marcel Cachin, l’année 1920 a été marquée par son voyage en Russie soviétique et la question dominante entre le congrès de Strasbourg en février et le congrès de Tours en décembre : le problème de l’adhésion du parti socialiste français à la IIIe Internationale. Ce n’était ni son premier, ni son dernier voyage en Russie ou en Union soviétique. Mais celui-ci fut décisif. Louis-Oscar Frossard1 et lui avaient été mandatés, le 9 mars 1920, par la commission administrative permanente du parti socialiste pour mener une mission d’enquête en Russie soviétique et pour négocier avec les bolcheviks et la IIIe Internationale l’adhésion du parti socialiste français2. Le congrès de Strasbourg avait, en effet, consommé le divorce avec la IIe Internationale. Il s’était également prononcé pour le regroupement des « forces socialistes révolutionnaires sur la base des principes traditionnels du socialisme3 » sans pour autant adhérer à la IIIe Internationale.

  • 4 Un vote de tous les membres avait désavoué la décision d’adhérer à la IIIe Internationale prise par (...)

2L’heure du choix n’avait pas sonné pour le seul socialisme français. Tandis que les socialistes italiens avaient décidé le ralliement à la IIIe Internationale, fondée en mars 1919, d’autres partis avaient opté pour la rupture avec l’internationale socialiste sans trouver de majorité favorable à l’internationale communiste : le parti des sociaux-démocrates indépendants (USPD) se trouvait dans cette situation depuis son congrès de Leipzig en décembre 1919, le parti socialiste suisse depuis septembre 19194 ou le parti travailliste indépendant britannique (ILP) depuis avril 1920. Fallait-il adhérer à cette nouvelle Internationale, dont on connaissait mal les buts et l’organisation ? Pouvait-elle fournir la base à la reconstitution de l’unité socialiste internationale pour laquelle le parti socialiste français s’était prononcé ?

Le voyage et les premières impressions de la Russie soviétique.

  • 5 Toutes les citations de Cachin sont tirées du Carnet de 1920.

3Cachin et Frossard partaient dans le but de clarifier ces questions. Leur départ, qui avait dû être retardé à cause de la grève des chemins de fer et de problèmes de passeport, eut lieu le 31 mai. En passant par Cologne, ils se rendirent à Berlin, où ils arrivèrent le 2 juin après un voyage confortable. Ils y rencontrèrent le journaliste français Fernand Caussy, ainsi que plusieurs dirigeants de l’USPD, Oskar Cohn, député au Reichstag et conseiller juridique de l’ambassadeur russe, Ernst Daumig, leader de l’aile gauche, Georg Ledebour, de l’aile droite, Rudolf Hilferding, le rédacteur en chef du quotidien de ce parti, Freiheit. Les conversations portèrent sur la situation allemande, instable, considérée comme explosive. En mars, le putsch du fonctionnaire ultra-nationaliste Wolfgang Kapp et du général von Lüttwitz avait été mis en échec par une grève générale. Au moment de la visite de Cachin et Frossard, la république, ainsi sauvée, était en attente des élections au Reichstag. Elles devaient avoir lieu quelques jours plus tard, le 6 juin, et apporter un glissement à droite et la sortie des socialistes majoritaires (le parti social-démocrate) du gouvernement. À droite, les nationaux-allemands (Deutschnationale Partei) et les populistes (Deutsche Volkspartei, l’ancien parti national-libéral) allaient augmenter leur représentation aux dépens des démocrates et du centre ; à gauche, les sociaux-démocrates indépendants et les communistes, qui n’avaient pas présenté de candidats en 1919, progresseront au détriment des socialistes majoritaires. Alors qu’une année plus tôt, ce grand parti avait recueilli 11, 5 millions de voix contre 2, 3 millions aux indépendants, il était, en juin 1920, avec ses 6, 1 millions, presque talonné par l’USPD qui engrangeait 5 millions de voix. Quant aux communistes, ils venaient loin derrière avec un demi-million d’électeurs. Autre sujet de conversation : les relations avec les bolcheviks et le congrès de l’internationale communiste, dont l’ouverture au 15 juillet venait d’être confirmée. Les indépendants s’apprêtaient à envoyer quatre délégués à Moscou. Pour « aller converser », confia Ledebour à Cachin5. Les prochaines semaines montreront à quel point il mésestimait la situation.

4Avant leur départ pour Stettin Cachin et Frossard virent également le bolchevik Alexandre Chliapnikov, alors en mission auprès des syndicats allemands. Puis Victor Kopp, représentant du gouvernement soviétique, les reçut, prêt à leur faciliter la suite du voyage.

5Le 6 juin, ils embarquèrent sur le Victoria à Stettin le 8, ils atteignirent Helsingfors et le 10, enfin, Reval alors la porte sur l’Europe de la Russie soviétique et son port marchand. Ils se rendirent à la mission russe, où, au cours de la conversation, le secrétaire de légation, Jacques Davtian, leur laissa déjà entendre que les conditions à l’adhésion à la IIIe Internationale veilleraient à élever des barrières contre certains intéressés.

6Poursuivant leur voyage en train, Cachin et Frossard traversèrent la frontière estonienne-russe le 13 juin, entre 11 h et midi. Ils n’atteignirent Moscou que deux jours plus tard. Contrairement à la délégation italienne, qui avait à sa disposition un train spécial rapide, les deux Français durent voyager par train ordinaire, lent, avec de longs arrêts et de nombreux contrôles des voyageurs. Mais ce trajet au rythme oriental leur donna un premier aperçu de la réalité quotidienne russe. Les notes de Cachin en témoignent.

  • 6 Aucune personnalité officielle bolchevik, du moins. Marcelle Hertzog-Cachin (Regards sur la vie de (...)
  • 7 Cité in Kriegel, Histoire du mouvement ouvrier français, op. cit., t. II, p. 624.

7À leur arrivée à Moscou, aucune réception ne les attendait, personne n’était venu les accueillir6. Par contre, les inscriptions de bienvenue destinées aux Italiens étaient bien visibles. Face à cet accueil peu empressé, Frossard nota dans son journal que les bolcheviks voulaient leur faire sentir qu’ils représentaient « un parti suspect, un parti de confusionnistes dangereux7 ». Cachin ne signala aucun sentiment personnel.

  • 8 Cf. Babette Gross, Willi Münzenberg. Eine politische Biographie, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstal (...)
  • 9 Cf. Jules Humbert-Droz, Mon évolution du tolstoïsme au communisme, 1891- 1921, Neuchâtel, À La Baco (...)

8Ils se rendirent donc au Commissariat des affaires étrangères par leurs propres moyens. Un employé leur fournit l’adresse de la villa réquisitionnée d’un industriel allemand où ils seraient logés. Le premier officiel russe qui les reçut fut Tchitchérine, commissaire aux Affaires étrangères. Là encore se révéla le peu de cas que faisaient les bolcheviks des deux mandataires français. Il s’agissait peut-être d’une simple tactique afin de leur faire comprendre que les considérations de Moscou n’étaient pas celles, quantitatives, des partis socialistes avec leur nombre élevé d’adhérents et de députés. En tout cas, la différence de traitement avec les délégués étrangers invités au IIe congrès de l’internationale, alors présents en Russie, était bien marquée. Willi Münzenberg, par exemple, dirigeant de l’internationale des jeunes, était conduit presque immédiatement chez Karl Radek, le secrétaire de l’internationale, et chez Lénine8. De même, le Suisse Jules Humbert-Droz, le Français Alfred Rosmer et bien d’autres9 furent rapidement introduits chez Lénine ou Trotsky. Cachin et Frossard n’obtinrent la faveur de voir Lénine qu’à fin juillet, le jour de leur départ, et Trotsky, quelques jours plus tôt, le 26.

9De plus, dès les premières rencontres avec Boukharine, Radek et Zinoviev, les deux Français furent pris à partie : qu’avaient-ils fait pour la Russie ? À Jacques Sadoul, un des responsables du groupe des communistes français résidant à Moscou, ils confièrent leur étonnement face à cet accueil. Les bolcheviks pensaient, leur répondit-il, que les socialistes français avaient freiné la volonté de la classe ouvrière à engager des mouvements révolutionnaires. Une telle attitude de critique très dure, même envers les amis, était un devoir pour les révolutionnaires, car ce qui primait sur toute considération personnelle était de gagner la classe ouvrière.

  • 10 Cf. à ce propos, les remarques de Boris Souvarine dans ses lettres du 26 janvier, des 6 et 23 févri (...)

10De fait, les bolcheviks ne considéraient aucunement les socialistes français comme des leurs. Ils s’en méfiaient même et avaient invité les représentants d’autres organisations au IIe congrès. Le groupe des communistes français établis à Moscou d’abord, composé d’une vingtaine de personnes, qui délégua Henri Guilbeaux et Jacques Sadoul, d’ailleurs opposés par un vif conflit personnel. De France, les bolcheviks avaient invité l’opposition de gauche du parti socialiste, le groupe Loriot, et la minorité syndicaliste, le groupe de la Vie ouvrière. Des premiers fut délégué Raymond Lefebvre (qui lira le rapport des communistes français au congrès), des seconds, Alfred Rosmer, qui, lui, était appelé à Moscou comme délégué permanent du comité français de la IIIe Internationale, organisme de coordination des deux groupes. La minorité syndicaliste dépêcha également Marcel Vergeat et Louis-Alexandre Bertho, dit Jules Lepetit, qui ne participèrent cependant pas au congrès. Mauriius, l’unique représentant du parti communiste (de Sigrand), organisation pas encore affiliée à la IIIe Internationale, ayant passé le blocus, ne fut pas reconnu. Deux mandataires de l’organisation de jeunesse, ainsi que le Russe Abramovitch-Zalewsky et le Bulgare Lorenzo Vanini, complétèrent la délégation française reconnue par le congrès. Aux yeux des représentants de ces groupes, Cachin et surtout Frossard passaient pour des opportunistes10.

  • 11 À cause de la difficulté à établir des statistiques fiables et de l’évolution du territoire soviéti (...)
  • 12 Pierre Pascal, En communisme. Mon journal de Russie, 1918-1921, Lausanne, L’Âge d’homme, 1977, p. 1 (...)

11Les premières impressions russes furent donc plutôt défavorables, et cela sur plus d’un plan. Outre l’accueil très réservé des bolcheviks, les conditions de vie des Russes étaient misérables, la mendicité omniprésente. En 1920, la situation économique du pays était dramatique. Plus de deux ans de guerre civile et de « communisme de guerre » avaient parachevé l’œuvre de destruction d’une économie déjà en ruine en octobre 1917. Le recul de la production industrielle par rapport à 1913 était drastique. La plus touchée, l’extraction de minerai de fer n’atteignait plus que 1, 7 % du niveau d’avant-guerre. Le pétrole, secteur le moins affecté, donnait 41 % de la production de 1913. Des niveaux entre 10 et 20 % étaient la règle11. Ni les nationalisations, restées d’ailleurs pour la plupart sur le papier, ni les réquisitions auprès des paysans, qui ne produisaient plus de surplus ou, sinon, les cachaient pour les vendre au florissant marché noir, n’apportèrent une solution. L’État, manquant de tout et devenu par sa propre volonté principal distributeur, ne pouvait subvenir aux besoins de la population. Les communications ferroviaires étaient désorganisées (en 1920, 56 % des locomotives étaient hors d’usage et seules 15 000 verstes de rails sur 70 000 étaient encore praticables), les liaisons prioritaires réservées à l’armée. Résultat : la population urbaine souffrait du rationnement ; la faim, et en hiver le froid, le typhus et d’autres maladies sévissaient. Pierre Pascal, à l’époque adepte du système soviétique et membre du groupe des communistes français établis à Moscou, résume ainsi la situation : « Il n’y a plus de riches : simplement des pauvres et des plus pauvres12. » Les citadins ayant gardé des liens ruraux prirent le chemin de l’exode vers la campagne. En trois ans, Petrograd, la ville la plus touchée par le phénomène, perdit 57, 5 % de sa population, Moscou 44, 5 %. Tandis que diminuait le prolétariat, les rangs de la paysannerie gonflaient, sans que n’augmente parallèlement la production agricole. Par manque d’engrais, d’outils, de machines, mais aussi de motivation, elle recula d’un tiers en regard de la production d’avant-guerre. Un timide début de relance ne s’amorcera qu’à la seconde moitié de l’année et dans quelques secteurs seulement.

12La structure sociale s’en trouva modifiée : une série de métiers déclinèrent, disparurent même, et la part de la paysannerie s’accrut ; des catégories sociales marginales, vivant d’expédients ou de petits et de gros trafics du marché noir, se multiplièrent ; le nombre des employés d’Etat explosait.

13Avec la défaite de Koltchak et la levée du blocus économique par le Conseil supérieur des Alliés au début de l’année, un fléchissement de la Terreur semblait possible. Mais l’ouverture des hostilités avec la Pologne et la reprise de la guerre civile contre le général Wrangel en avril/mai suscitèrent un nouveau durcissement du régime intérieur : la peine de mort, abolie en janvier après l’avoir été une première fois par Kerensky, fut réintroduite presque immédiatement. Quant au rétablissement des relations extérieures, il fut également touché par le conflit armé. Après un accord de paix avec l’Estonie en février, prélude à la fin de l’isolement politique, les négociations avec la Grande-Bretagne connurent d’abord un échec, empêchant ainsi pour de longs mois encore une normalisation.

14Cachin retraça la situation de la Russie soviétique en cet été 1920 en observateur précis, mais ses informations étaient souvent fortuites et leur qualité tributaire de son interlocuteur. Il s’enquit de tous les aspects de la société « soviétiste », pour reprendre son terme, de l’organisation économique, du niveau de production, du système d’éducation, de la structuration du parti bolchevik, du fonctionnement de la Tchéka. Sans analyse et presque sans commentaire, il notait ce qu’il apprit sur les rouages du nouvel État de la bouche de ses représentants, les commissaires au Travail, Schmidt, et à l’intérieur, Rykov, Tomsky, le leader des syndicats, Steklov, le directeur des Izvestija, Lomov, un des dirigeants de l’appareil économique, Kamenev, le président du Comité central exécutif des Soviets, Lounatcharsky, l’écrivain et commissaire à l’éducation... Ses comptes rendus sur la Constitution soviétique et la législation du travail, sur les conditions de salaires, les droits syndicaux, les devoirs des membres du parti bolchevik ou les positions politiques des mencheviks provenaient des descriptions faites par ses interlocuteurs bolcheviks. L’esprit critique ne s’était pas encore tout à fait tu. C’est un bolchevik, Kemerer, qui lui dit que la Constitution avait été suspendue, le syndicat des typographes interdit pour cause de tendance menchevik, le travail militarisé. La Française Yvonne Sadoul, favorable au régime, lui apprit que toutes les maisons étaient infestées de punaises et que les écoliers devaient apprendre à scander : « À bas les Blancs ! Vivent les Rouges ! »

  • 13 Concernant le sort de l’opposition légale menchevik, cf. Léonard Schapiro, Les Bolcheviks et l’oppo (...)

15Une opposition de gauche, bien que déjà muselée, se faisait encore entendre. Dans le train de Petrograd à Moscou, Cachin s’était entretenu avec un jeune Bulgare qui dénonça le manque de liberté de mouvement et d’expression, le contrôle des citoyens et le dénuement dans lequel vivait le peuple russe. Sur le chemin du retour, Ludovico D’Aragona, un des délégués italiens, remit à Cachin et à Frossard un mémorandum de dix-sept pages. Les mencheviks y dénombraient les poursuites dont ils étaient l’objet de la part des autorités bolcheviks. Sans être illégale, leur organisation n’était que tolérée, leurs activités politiques et leur presse étaient soumises à d’arbitraires et subites interdictions, leurs membres faisaient l’objet d’arrestations et de perquisitions13.

16Que pensait Cachin de ces critiques ? À propos des jugements du jeune Bulgare, il remarqua : « Il parle avec une telle passion qu’il faut bien accepter ses affirmations sous bénéfice d’inventaire. » Cet inventaire de l’état du pays, il allait le faire. Mais, l’ayant fait et après avoir lu et rendu compte des récriminations des mencheviks contre le régime, aucun commentaire ! Sinon, mais il s’agit d’une hypothèse, cette phrase de Franz Mehring, notée un peu plus bas, qui est, peut-être, sa réponse : « Si les bolcheviks sont vaincus, on ne pourra plus parler du socialisme international pendant des dizaines d’années. » Estimait-il, comme bien d’autres, que la situation n’autorisait que des positions tranchées : ceux qui ne se plaçaient pas derrière les bolcheviks étaient contre eux ? Acceptait-il donc le risque de devenir un « complice moral » de la politique de répression comme les mencheviks déclarèrent considérer tous ceux qui refuseraient d’user de leur influence dans la IIIe Internationale ? Peut-être, respectait-il simplement de manière scrupuleuse son mandat ? Celui-ci, conformément à la résolution adoptée au congrès de Strasbourg, stipulait l’accord du parti socialiste français avec la dictature du prolétariat telle qu’elle était exercée en Russie. Il se refusait par contre à juger l’oeuvre russe dans son ensemble, se limitant à une position de principe : la défense de la révolution russe.

  • 14 Frossard, pour sa part, se montra moins sensible à l’atmosphère. Selon Robert Wohl (in French Commu (...)

17Toujours est-il, et il ne peut y avoir de doute là-dessus, qu’au-delà de la décision tactique, Marcel Cachin souscrivait personnellement à l’adhésion à la IIIe Internationale. Il le fit savoir aux bolcheviks à plusieurs reprises. Et ses notes, en dépit de l’impartialité avec laquelle il s’efforçait de les rédiger, laissent percer la forte impression ressentie par ce qu’il avait vu et entendu14. Au fond sans qu’on puisse pour autant dater le choix, il était acquis. Son voyage sur la Volga semble avoir joué un rôle de catalyseur. C’est à ce moment-là que son compte rendu perd de sa réserve et devient narration, dont les nombreux détails ethnographiques donnent à ce texte un intérêt particulier. Tout au long des trois mille kilomètres parcourus, les délégués, dont l’arrivée était régulièrement annoncée, furent accueillis par des assemblées publiques, des discours, des fêtes, des repas et des danses. Cachin ne resta pas insensible à cette grande offensive de charme, à laquelle la population entière dut participer, et à la beauté des paysages traversés.

Les négociations.

18Le 13 juillet, les délégués furent de retour à Moscou. Le IIe congrès de l’internationale devait s’y ouvrir. En réalité, il sera repoussé d’une semaine. Si Cachin et Frossard avaient accompagné les délégués dans leur périple au sud-est de la Russie, c’était parce qu’ils furent convaincus par les bolcheviks d’assister au congrès. Kamenev, Zinoviev, Boukharine, les délégués italiens même, puis les Français Kemerer et Sadoul, avaient insisté.

19Mais à leur retour, le ton des bolcheviks n’était plus à la conciliation. Cachin et Frossard l’apprirent dès le lendemain par deux des représentants français auxquels Alfred Rosmer, délégué permanent du comité français de la IIIe Internationale et membre du Comité exécutif de l’internationale communiste, avait confié que la réponse au parti socialiste français serait intransigeante. Pourtant, après les difficiles débuts de leur mission, l’espoir de parvenir à un accord semblait permis. À la suite d’une première prise de contact avec le Comité exécutif de l’internationale, le 18 juin en fin d’après-midi, Cachin soulignait, optimiste : « L’atmosphère a été bonne. [...] Sans doute, le verbe est toujours rigoureux et sévère ; l’attitude personnelle est en même temps d’une cordialité parfaite et nous sommes les bienvenus. » Le jour suivant, ils avaient présenté leurs rapports au Comité exécutif sur la situation en France d’abord, sur celle du parti socialiste ensuite et en abordant la question de l’admission de mandataires français au IIe congrès de l’internationale. Puis, les membres du Comité exécutif leur avaient soumis une série de questions portant principalement sur l’attitude des socialistes français durant la guerre, sur le traité de Versailles et la Russie. D’autres questions se référaient à leur position sur la IIe Internationale, la gauche communiste ou les syndicats. Pour la direction de l’internationale, il s’agissait de savoir si les socialistes français s’étaient effectivement détournés du réformisme. Leurs réponses furent jugées insuffisantes. Lénine fut d’avis qu’un abîme séparait la conception des bolcheviks de la pratique socialiste française. Il se montra néanmoins conciliant. Dans leurs souvenirs respectifs, Cachin et Frossard se déclarèrent persuadés que l’adhésion du parti français était souhaitée par l’internationale.

  • 15 Cité in Edward Hallet Carr, The Bolshevik Revolution, t. III, Londres, Penguin Books, 1976 (lre édi (...)
  • 16 Lénine développa ce scénario aux deux socialistes français lors de leur entrevue fin juillet (cf. i (...)

20Reste que Cachin réfléchissait sur les raisons qui pouvaient pousser les communistes soviétiques à prendre ce ton inquisiteur. Il pensait pouvoir expliquer la sévérité de Lénine par les difficultés dans lesquelles se trouvait la révolution, d’une part, par la « nature orgueilleuse des Russes » qui leur permettait de traiter de manière si désinvolte les socialistes européens d’autre part. Il mettait aussi cette attitude sur le compte d’une mise en scène orchestrée par les bolcheviks pour mieux camoufler l’intérêt qu’ils avaient à l’adhésion du parti socialiste français. Sa réflexion n’était pas sans fondement. Elle sous-estimait cependant – et c’était caractéristique de bien des socialistes occidentaux – le rôle de la doctrine dans les décisions des communistes russes. Le passé des bolcheviks le prouvait et l’avenir de l’internationale communiste le démontrera : la « pureté » idéologique valait bien des scissions et des exclusions. Au moment de l’invitation au IIe congrès toutefois, les bolcheviks tentaient de concilier les exigences doctrinale et tactique. Ils estimaient que dans la situation présente – qu’ils analysaient comme révolutionnaire –, ils avaient besoin du gros du mouvement ouvrier européen resté en dehors de la IIIe Internationale. Rassembler le plus de forces possibles pour la grande confrontation était une chose, éviter de s’adjoindre celles qui risqueraient de freiner l’action, une autre. Tout en faisant des signes d’ouverture aux partis socialistes, mais aussi aux groupements anarchistes et d’extrême gauche, il fallait néanmoins éviter l’adhésion de la droite et disposer d’un instrument de tri pour éliminer les éléments du centre qui ne se soumettraient pas au programme et à la tactique de la nouvelle Internationale. Une sentinelle sûre devant la porte de l’internationale communiste était nécessaire, écrivait Zinoviev dans la revue L’Internationale communiste15. Les « 21 conditions d’adhésion » exerceraient cette fonction. Quant aux socialistes, d’accord avec les bolcheviks sur la caractérisation de la période, ils craignaient de se couper de ces événements espérés s’ils restaient en dehors de la IIIe Internationale. Une scission leur paraissait de toute façon inévitable. La question pour le centre, que représentaient Cachin et Frossard, était de savoir avec qui s’allier. Au cours de l’été 1920, les dés semblaient rouler en faveur des bolcheviks. Le parti socialiste français avait quitté la IIe Internationale et la reconstruction d’une Internationale en mesure d’absorber l’ancienne deuxième et la nouvelle troisième n’était qu’au stade du projet. Un large courant de sympathie pour la révolution russe soufflait dans le monde ouvrier ; l’ignorer était risquer la perte de la base du parti. Le régime soviétique, pour sa part, voyait l’horizon se découvrir avec la fin du blocus économique, le début des négociations commerciales et les premiers accords de paix avec les pays voisins. Pour la première fois depuis sa prise de pouvoir, il pouvait même envisager sa durée. D’autant plus que l’avance rapide de l’Armée rouge en Pologne éveillait l’espoir d’une révolution polonaise, bientôt suivie d’une allemande16.

  • 17 Cachin se dit furieux contre le « cynisme » de Modigliani, utilisant le même terme que Zinoviev au (...)

21Comme leurs pairs du parti social-démocrate indépendant allemand et du parti socialiste italien, avec qui les deux mandataires français échangèrent régulièrement leurs impressions au cours du séjour en Russie, ils pensaient que le corset disciplinaire de l’internationale serait vite assoupli. Tout en condamnant l’Italien Modigliani qui estimait que l’adhésion à l’internationale n’engagerait à rien d’autre qu’à l’envoi, de temps à autre, d’une carte postale17, Cachin partageait l’avis du député et professeur Antonio Graziadei. Celui-ci déclara que le parti italien comptait rester parfaitement maître de sa politique intérieure. L’attitude des bolcheviks pouvait le laisser croire. Le 24 juin, Cachin remarqua que, parmi les bolcheviks, seul Boukharine n’était pas disposé à leur laisser les mains libres sur les personnalités à éliminer du parti socialiste avant l’adhésion à l’internationale. Si, dès leur rentrée à Paris, le parti socialiste faisait une déclaration nette en faveur de l’internationale, même les délégués les plus farouchement opposés à son acceptation – il s’agissait avant tout des représentants des petits partis communistes – perdraient leurs réserves. Parallèlement, les bolcheviks insistèrent auprès d’eux pour qu’ils consentissent à assister au congrès. Boukharine, qui s’était également déplacé pour les convaincre, s’excusa de la vivacité de langage usée par les bolcheviks. Simple mesure tactique, selon lui. Dans ces conditions, l’adhésion à l’internationale qui paraissait s’imposer de par la situation politique, n’exigeait en somme qu’un petit effort d’adaptation dans le mode de fonctionnement du parti socialiste.

  • 18 Comme pour plusieurs autres événements, les dates diffèrent entre les notes de Cachin et celles de (...)
  • 19 Cachin rend compte de l’expédition du télégramme à la date du 17 juillet, Frossard mentionne le 16  (...)

22À la suite de l’approbation donnée par le Comité exécutif de l’internationale, le 28 juin, à leur participation et sous condition d’en référer à leur parti, Cachin et Frossard acceptèrent l’invitation, l’un plus volontiers, l’autre avec plus de réticence. En attendant la réponse de Paris et l’ouverture du congrès, ils partirent le 2 juillet en voyage sur la Volga. Par un télégramme et une déclaration18, ils assuraient les bolcheviks qu’ils étaient acquis à une adhésion à la IIIe Internationale et qu’ils allaient pour cela s’investir personnellement auprès des socialistes français. Après leur retour à Moscou, ils s’avancèrent plus avant encore : dans un second télégramme envoyé à Paris le 17 juillet sur initiative de Cachin, ils se déclarèrent convaincus que l’accord était possible avec l’internationale19.

Le congrès.

23Dès lors, l’adhésion personnelle des deux Français certifiée, les bolcheviks purent mieux tenir compte de l’opposition des représentants des partis communistes. De manière répétée, des délégués comme le Hollandais Wijnkoop, l’Italien Bordiga, le Suisse Humbert-Droz, mais aussi Radek, le secrétaire de l’internationale, se prononcèrent pour un durcissement des conditions. Or, lorsque le congrès s’ouvrit solennellement, le 19 juillet, à Petrograd où les délégués s’étaient déplacés, ces nouvelles conditions n’étaient pas encore connues de Cachin et Frossard. L’ambiance était à la fête et au triomphalisme : ils assistaient à un tournant de l’histoire où les forces de la révolution étaient sur le point de l’emporter sur le réformisme et – qui en doutait alors ? – sur le capitalisme lui-même. Discours, visites, manifestations, puis un dîner et une « représentation des deux mondes », spectacle de plein air avec 3 000 figurants, se succédèrent. Comme fasciné malgré lui par le côté monumental du spectacle, Marcel Cachin releva que c’était à la fois puéril et superbe. Il était tout autant ébloui que sceptique. Impressionné par la force et la grandeur qui se dégageaient de cette organisation, il constata l’influence dont les bolcheviks étaient prêts à user sur les masses.

24Outre le parti socialiste français, les principales organisations non communistes présentes au congrès étaient les indépendants allemands, ainsi que plusieurs organisations britanniques. Le IIe congrès, qu’on peut considérer comme le premier véritable congrès de l’internationale communiste, n’était pas seulement la tentative de créer une organisation communiste mondiale. Il définissait aussi les principes fondamentaux de la politique communiste dans les questions suivantes : l’attitude face au parlementarisme, la question nationale et coloniale, les syndicats, le rôle et l’organisation des partis communistes, les statuts de l’internationale, et, ce qui intéressait le plus le parti socialiste français, les conditions d’admission à l’internationale.

25Selon Zinoviev, celles-ci devaient faire de l’internationale non plus une société de propagande, mais une organisation centralisée de lutte, un « parti communiste unique, avec des sections dans les divers pays ». Quant à ces dernières, elles devaient, toujours selon le même orateur, être « purifiées des éléments opportunistes » et fonctionner sur une discipline de fer. Le modèle était le parti communiste russe, le seul qui ait connu l’expérience de la révolution au pouvoir. Pour être admis en son sein, l’internationale exigeait l’acceptation complète de son programme et de ses règles de fonctionnement. Et l’exclusion des dissidents. Une immixtion dans les affaires internes du parti français que les deux délégués Cachin et Frossard avaient précisément mandat de rejeter !

  • 20 Les soupçons de Frossard se vérifièrent : le groupe des communistes français établis à Moscou se pr (...)

26La discussion sur les conditions d’admission ne débuta qu’au moment du départ de Cachin et de Frossard, le 29 juillet. Quelques jours plus tôt, le 24, Kamenev et Zinoviev avaient encore affirmé à Frossard, inquiet que les autres Français n’interviennent pour durcir les conditions, qu’il n’en serait rien20. Manifestement rassurés, les deux mandataires socialistes français répondirent, désinvoltes, aux indépendants allemands, craignant pour leur autonomie vu le libellé des statuts de l’internationale, qu’il fallait savoir courir des risques, et, optimistes, qu’une fois admis, ils feraient modifier les articles condamnés par l’expérience.

27Or, le 26 juillet, Zinoviev leur remit la réponse du Comité exécutif de l’internationale sur les conditions d’admission du parti français. Le ton de la lettre, « inacceptable » pour Frossard, fut qualifié de « peu réjouissant » par Cachin. Le même jour, la commission d’admission du congrès affermit, elle aussi, les dispositions, exigeant nommément l’exclusion de Jean Longuet. En outre, les organes dirigeants du nouveau parti devaient être composés aux deux tiers par des communistes ou des militants appartenant à des sections de la IIIe Internationale.

28Avant l’entretien fixé au lendemain avec Zinoviev, tout semblait donc remis en question. Le 27, le président de l’internationale se montra pourtant à nouveau conciliant, prêt à ne présenter que sous forme de vœu la condition des deux tiers et à ne pas insister sur l’exclusion de Longuet. Sur ce, Frossard et Cachin se déclarèrent prêts à faire devant le congrès la déclaration que Zinoviev leur avait demandée un jour plus tôt. Prudent dans sa formulation, critique quant à l’attitude intransigeante de l’internationale envers le socialisme français, le texte lu par Cachin le 29 juillet, le jour même de leur départ, exprimait l’accord des deux mandataires avec les idées directrices des thèses des conditions d’admission. Le choix entre réformisme et révolution, disaient-ils, devenait véritablement impératif pour tout membre d’un parti ouvrier. Il ne s’agissait pas de personnes, mais il allait de soi que les partis devaient être « nettoyés » de ceux qui, au moment décisif, collaboreraient avec la bourgeoisie. Le programme de leur parti devait être adapté à celui de l’internationale, son organisation centralisée, les parlementaires et journalistes soumis à un contrôle et les membres à une discipline stricte. Bien que, naturellement, ils ne pouvaient parler qu’en leur nom propre, le congrès pouvait être assuré de leur appui absolu en faveur d’une adhésion.

  • 21 Sur la date de l’entrevue avec Lénine, il y a, là encore, incertitude, puisque Cachin écrit qu’elle (...)

29En dépit de cette déclaration d’accord sur le fond, prudente il est vrai, les interventions contre l’admission des socialistes se succédèrent, à commencer par celles des Français Lefebvre, Guilbeaux, Goldenberg, suivies de celles de nombreux autres délégués. Cachin et Frossard n’eurent cependant que le temps d’en entendre quelques-unes. À 9 h du soir, ils prenaient leur train pour Paris via Petrograd, Reval, Stockholm, Berlin, puis Cologne. Ils avaient, entre-temps, eut une conversation avec Lénine21.

  • 22 Kriegel, Histoire du mouvement ouvrier français, op. cit., t. II, p. 643.

30Ce départ avant la fin du congrès équivalait-il à une fuite devant la mauvaise tournure que prenaient les négociations ? C’est la thèse d’Annie Kriegel22. Rien, dans les Carnets, ne le laisse supposer. Certes l’atmosphère s’était sensiblement refroidie. Malgré cela, du point de vue des deux Français, l’essentiel de leur mission était accompli : le parti socialiste français pouvait adhérer à l’internationale et son président leur avait assuré que ni l’exclusion d’un Longuet ni la nomination de deux tiers de communistes aux instances dirigeantes ne seraient exigées.

31Cette « concession », violemment critiquée par les communistes occidentaux, sera brutalement abandonnée par Zinoviev dans son télégramme adressé au congrès de Tours, fin décembre 1920, où la scission tant crainte par le centre divisera justement ce dernier, auquel appartenaient Longuet comme Cachin et Frossard. L’adhésion ne signifia pas ralliement au bolchevisme. Les premières années du parti communiste français seront encore marquées par de nombreuses luttes de tendances, de heurts, d’interventions du Comité exécutif et de démissions plus ou moins bruyantes. Celle de Frossard notamment. Cachin, par contre, allait, envers et contre tout, rester fidèle à son engagement.

32Les racines de celui-ci deviennent apparentes dans ses notes. Parmi les souvenirs des nombreux visiteurs que comptait la Russie soviétique en l’été 1920, les Carnets de Marcel Cachin sont probablement les seuls connus à ce jour qui soient aussi détaillés. L’auteur y retrace, au jour le jour, l’évolution des négociations entre les représentants de deux forces politiques en train de se jauger : le socialisme occidental et le bolchevisme. A travers ses écrits, il devient clair que leur union est un mariage de raison, certes, mais qui connaît aussi, à ses heures, des élans spontanés et passionnés – du moins de la part d’un des deux partenaires. Non destinés à la publication, les Carnets ont aussi le mérite rare de nous livrer les observations d’un témoin de premier ordre à l’état brut, sans faire l’impasse ni sur les illusions, ni sur les calculs des protagonistes.

Notes

1 Louis Oscar Frossard (l889-1946) instituteur, puis journaliste, militant socialiste depuis sa sortie de l’Ecole normale, fut porté au secrétariat de la SFIO en 1918. Lors du congrès de Tours, Frossard resta secrétaire général du parti, maintenant communiste. Après de longs conflits avec l’internationale, il démissionna du parti communiste en 1923, rejoignit d’abord un parti social-communiste puis rentra au parti socialiste. Dès 1928, il conquit un siège de député, puis, en 1935, se plaçant hors du parti socialiste, il devint ministre du Travail et le resta jusqu’à la victoire du Front populaire. À nouveau ministre dans trois gouvernements éphémères en 1938, puis de mars à juillet 1940. Il vote les pleins pouvoirs à Pétain.

2 Jean Longuet avait été pressenti à la place de Frossard. Le texte du mandat, rédigé par Frossard, est reproduit in Frossard, Le Parti socialiste et l’internationale. Rapport sur les négociations conduites à Moscou avec l’internationale communiste, Paris, Librairie de l’Humanité et du parti socialiste, 1920, pp. 5-8.

3 Cité in Annie Kriegel, Histoire du mouvement ouvrier français, 1914-1920. Aux origines du communisme français, Paris, Imprimerie nationale, 1964, t. II, pp. 623-624.

4 Un vote de tous les membres avait désavoué la décision d’adhérer à la IIIe Internationale prise par le congrès extraordinaire de Bâle en août 1919.

5 Toutes les citations de Cachin sont tirées du Carnet de 1920.

6 Aucune personnalité officielle bolchevik, du moins. Marcelle Hertzog-Cachin (Regards sur la vie de Marcel Cachin, Paris, Éditions sociales, 1980, p. 128) affirme que les Français Yvonne et Jacques Sadoul ainsi que Pierre Pascal s’étaient déplacés. Et dans ses notes, Cachin fait mention du guide Nicolov qui les aurait ensuite accompagnés pendant quarante-huit heures.

7 Cité in Kriegel, Histoire du mouvement ouvrier français, op. cit., t. II, p. 624.

8 Cf. Babette Gross, Willi Münzenberg. Eine politische Biographie, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1967, p. 110.

9 Cf. Jules Humbert-Droz, Mon évolution du tolstoïsme au communisme, 1891- 1921, Neuchâtel, À La Baconnière, 1969, pp. 366-367 ; Alfred Rosmer, Moscou sous Lénine. Les Origines du communisme, Paris, Éditions Pierre Horay, 1953, pp. 63 sq. Les délégués italiens virent apparemment Lénine le matin du 26 juin déjà, selon les dires de Marcel Cachin. Quand Marcelle Hertzog-Cachin (Regards sur la vie de Marcel Cachin, op. cit., pp. 140-141) parle de quatre entretiens de Cachin et Frossard avec Lénine, elle met sur un plan d’égalité entretien privé et participation de Lénine à une discussion de groupe à laquelle assistèrent aussi les deux Français.

10 Cf. à ce propos, les remarques de Boris Souvarine dans ses lettres du 26 janvier, des 6 et 23 février et du 20 juin 1920 à Jules Humbert-Droz (in Archives de Jules Humbert-Droz. Origines et débuts des partis communistes des pays latins, 1919-1923, édité par Siegfried Bahne, Dordrecht-Holland, D. Reidel Publishing Company, 1970, particulièrement pp. 30-31, 35, 62-63).

11 À cause de la difficulté à établir des statistiques fiables et de l’évolution du territoire soviétique, les chiffres divergent quelque peu entre différents auteurs.

12 Pierre Pascal, En communisme. Mon journal de Russie, 1918-1921, Lausanne, L’Âge d’homme, 1977, p. 16.

13 Concernant le sort de l’opposition légale menchevik, cf. Léonard Schapiro, Les Bolcheviks et l’opposition. Origines de l’absolutisme communiste. Premier stade (1917-1922), Paris, Les Iles d’Or, 1957, pp. 165-181, et Vladimir N. Brovkin, The Mensheviks after October. Socialist Opposition and the Rise of the Bolshevik Dictatorship, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1987.

14 Frossard, pour sa part, se montra moins sensible à l’atmosphère. Selon Robert Wohl (in French Communism in the Making, 1914-1924, Stanford/Cal., Stanford University Press, 1966, p. 176) il était cependant persuadé dès le départ que l’adhésion des socialistes français à l’internationale s’avérerait nécessaire, au contraire de Cachin. L’enthousiasme qui se réveilla en ce dernier au cours de son séjour fera de lui l’adepte le plus fervent des bolcheviks. Avec le recul, Frossard décrit non sans quelque lyrisme ce qui avait pu attirer les deux Français : « Là-bas, à l’orient de l’Europe, un monde nouveau s’enfantait dans la douleur et le sacrifice. Il représentait, du moins le pensions-nous, tout ce que nous avions voulu, souhaité, espéré : la justice sociale, un ordre de choses fondé sur la souveraineté du travail, une société égalitaire, délivrée de la tyrannie de l’argent. » (Louis-Oscar Frossard, Sous le signe de Jaurès. Souvenirs d’un militant, Paris, Flammarion, 1943, pp. 136-137.)

15 Cité in Edward Hallet Carr, The Bolshevik Revolution, t. III, Londres, Penguin Books, 1976 (lre édition 1952), p. 191.

16 Lénine développa ce scénario aux deux socialistes français lors de leur entrevue fin juillet (cf. infra). Des dissensions existaient cependant dans la direction bolchevik au sujet de la propagation de la révolution par le biais des armes. Mais bien des délégués partageaient alors l’enthousiasme de Lénine. Ils suivaient d’ailleurs la marche des Russes contre Varsovie par de petits drapeaux rouges sur une carte du front suspendue au fumoir du congrès, comme le rapportent Jules Humbert-Droz et Victor Serge dans leurs souvenirs. (Cf. Jules Humbert-Droz, Mon évolution du tolstoïsme au communisme, op. cit., p. 364 ; Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, Paris, Club des éditeurs, 1957, p. 106.) Cette ambiance parmi les délégués est confirmée par ce que relate Cachin dans ses notes.

17 Cachin se dit furieux contre le « cynisme » de Modigliani, utilisant le même terme que Zinoviev au congrès lorsqu’il rapporta ces mots de l’Italien. Il nota : « Il y a des devoirs de discipline. »

18 Comme pour plusieurs autres événements, les dates diffèrent entre les notes de Cachin et celles de Frossard. Selon les Carnets de M. Cachin, le télégramme aurait été envoyé le jour même de la séance de l’Exécutif où les deux Français avaient été admis au congrès, séance qui, elle, aurait eu lieu le lundi 28 juillet. Toujours selon Cachin, c’était également à cette date qu’il aurait lu sa déclaration. Quant à Frossard, auteur de la brochure officielle publiée par le parti socialiste français, Le Parti socialiste et ¡’Internationale (citée), il date le télégramme du 27, le vote sur leur admission au congrès du 28 et la lecture de la déclaration du 29.

19 Cachin rend compte de l’expédition du télégramme à la date du 17 juillet, Frossard mentionne le 16 dans son journal, mais le 20 dans la brochure officielle du parti socialiste.

20 Les soupçons de Frossard se vérifièrent : le groupe des communistes français établis à Moscou se prononça contre l’admission des socialistes français.

21 Sur la date de l’entrevue avec Lénine, il y a, là encore, incertitude, puisque Cachin écrit qu’elle a eu lieu le 28, et Frossard le 29.

22 Kriegel, Histoire du mouvement ouvrier français, op. cit., t. II, p. 643.

Auteur

Brigitte Studer est chercheur associé au Fonds national suisse pour la recherche scientifique (Université de Lausanne).

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