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La Cinémathèque française

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Patrick Olmeta

Introduction

Texte intégral

1Tenter d’écrire l’histoire des cinémathèques et de la conservation du patrimoine cinématographique ne peut se réduire à un simple discours dont on trouve l’origine avec les premiers écrits de Boleslas Matuszewscki, dès 1898, et qui trouve son aboutissement, non définitif, aujourd’hui, avec le constat de l’état de ce patrimoine cinématographique.

2Cette histoire fut celle d’une longue maturation qui, pour trouver ses origines, en une étrange similitude, ou presque, avec la naissance même du cinéma, a connu bien des vicissitudes, des crises, des fractures.

3Certes, l’idée de conserver les images animées apparaît dès la fin du xixe siècle, mais les premières cinémathèques dignes de ce nom ont été créées au cours des années 1930. Le début du xxe siècle fut soumis à une véritable interrogation : est-il nécessaire de conserver les images animées, et dans quel but ?

4Cette double interrogation se nourrit du statut même du cinéma. Ce « divertissement d’ilotes », pour reprendre l’expression de Georges Duhamel, tout juste bon à alimenter les spectacles forains, s’est anobli au fil des ans et le refus d’être dignement pris en compte par les élites s’est traduit par une reconnaissance de fait, à tel point que l’objet premier des cinémathèques fut de tout conserver, même les œuvres que l’on pouvait considérer comme médiocres, ou de peu d’intérêt.

5Le cinéma est devenu bien culturel. Le film, qui est son produit, est aussi matière organique, formée de composants chimiques et ne semble guère avoir vocation à pérennité.

6« L’existence d’un film est à peine moins éphémère que celle d’une bulle de savon », déclarait Jean Epstein lors d’une conférence donnée à la Sorbonne le 19 mai 1947 : le film cinématographique était caractérisé alors par sa qualité d’autodestruction.

7La totalité, ou presque, de la production mondiale jusqu’en 1954 fut composée de films-flamme, c’est-à-dire de films fabriqués à partir de nitrate de cellulose, qui est un véritable explosif et l’on peut raisonnablement concevoir que bibliothèques et archives traditionnelles ne furent guère promptes à envisager la conservation de documents aussi dangereux, faits de matière explosive auto-périssable.

8Si l’on considère que, à l’instar de tout document imprimé, il revenait à l’État de prendre en charge la conservation des images animées, l’histoire de la conservation du patrimoine cinématographique est celle d’un refus, celui de la prise en compte d’une réalité, la conservation des documents-films. Les pouvoirs publics se sont déchargés, à bon compte, sur les organismes privés, de ce qui relevait de sa mission.

9Dès lors, ce sont des hommes, aux origines diverses, vrais visionnaires et précurseurs, qui ont véritablement pris en charge la création des cinémathèques dont l’histoire est faite de heurts, de ruptures, d’amitiés sacrifiées, de coups de cœur et de coups de sang, et où la politique, malgré tout, n’est que rarement absente.

10Si le patrimoine cinématographique fut pris en charge par ces hommes, sa nécessaire conservation ne pouvait s’effectuer qu’avec les moyens mis à disposition par l’État, ce qui, à terme, allait créer un véritable clivage entre l’État et certaines associations à caractère privé.

11Mais sans les hommes, inlassables découvreurs, dont Henri Langlois, co-fondateur de la Cinémathèque française, reste la figure emblématique, l’histoire des cinémathèques n’aurait pu être écrite, même si elle se nourrit de leurs faiblesses, de leurs erreurs et, surtout, de leurs passions.

12Encore est-il nécessaire de définir le mot « cinémathèque ». Pour le conservateur de la Cinémathèque de Toulouse, Raymond Borde, lors d’une enquête réalisée par la revue Positif et publiée dans le numéro 174 du mois d’octobre 1977, une cinémathèque est « un organisme chargé, dans un but désintéressé, de conserver les films qui, en principe, ont achevé leur carrière commerciale ». Elle s’attache à sauver de la destruction le passé du cinéma – films aussi bien que tout document qualifié de non-film – sans se limiter à un secteur ou un genre mais à valeur nationale, sinon universelle. Une cinémathèque n’a aucun but lucratif et le film, dès qu’il est conservé, perd son caractère commercial.

13Qu’elles soient institutions privées ou qu’elles revêtent un caractère public, érigé en monopole d’État, toutes possèdent en commun une singularité : les films conservés par leurs soins ne leur appartiennent pas. Ils restent la propriété des producteurs ou ayants droit, situation emblématique qui pose la responsabilité de la diffusion du patrimoine cinématographique qu’aurait pourtant pu régler l’instauration du régime du dépôt légal, à l’instar des œuvres imprimées.

14Il aura fallu en fait attendre l’année 1977 pour que soit véritablement prise en compte cette réalité juridique. Il est vrai que de-ci, de-là, l’expérience, en quelque sorte, avait fait jurisprudence et qu’une forme de réglementation juridique n’avait pas empêché le sauvetage d’une partie du patrimoine.

15Notre propos aura été de tenter de retracer le long cheminement de cette idée de conservation de l’art cinématographique, son application dans les faits, à travers, surtout, la Cinémathèque française. S’il ne saurait être question d’ignorer les différents organismes de conservation, il est tout autant nécessaire de constater la réelle importance de la Cinémathèque française, souvent appelée Cinémathèque Henri Langlois, quelquefois Cinémathèque nationale, comme pour mieux souligner son caractère presque hégémonique.

16La création d’autres organismes de ce type aura d’ailleurs été la conséquence des errements de la Cinémathèque française : diffusion en province avec la Cinémathèque de Toulouse, relation avec l’université, avec la Cinémathèque universitaire, ou tâche purement de conservation dévolue aujourd’hui au Service des archives du film de Bois d’Arcy.

17Retracer cet historique, c’est aussi retrouver, en filigrane, toute ou partie de l’histoire du cinéma, la Cinémathèque française ayant joué un incomparable rôle de lieu de formation et de révélation de nouveaux talents, nourris à ses projections tout autant qu’à l’écoute des discours d’Henri Langlois.

18Mais retrouver les traces de ce passé ne fut point travail aisé. Le sujet est aujourd’hui encore trop contemporain, presque d’actualité, pour ne point soulever quelque passion, voire quelque polémique et sentiment de révolte.

19Les archives privées de ces cinémathèques sont interdites d’accès, d’une part à cause de la législation en vigueur en matière d’archivage, d’autre part, et surtout, par le fait que, d’un point de vue strictement matériel, il est impossible de pouvoir les consulter. Les documents de la Cinémathèque française sont toujours enfouis dans quelques obscures caves ou dépôts de la région parisienne, en attente de dépouillement et donc dans l’expectative de ce qui relève du domaine public et de ce qui doit rester dans un cadre privé.

20Notre documentation, outre la collecte de revues, journaux, spécialisés ou pas, et bulletins divers, s’est enrichie à partir des sources orales, d’entretiens réalisés avec les acteurs, à titre divers, de cette histoire, certains, tel Jean Mitry, ayant même participé à la naissance de la Cinémathèque française. Ces documents doivent être utilisés avec une extrême précaution, le temps faisant quelquefois défaut à la mémoire, et le recoupement de certains témoignages fut une prudence obligée.

21Mais ces témoignages, à travers la passion dont ils furent exprimés -passion qui s’est aussi traduite par le refus de certains contemporains de répondre à nos sollicitations – tout autant que la volonté de transmettre un moment de l’édification de la culture du xxe siècle, nous a permis de comprendre avec plus de discernement comment, en quelques décennies, on a pu passer de l’idée de collection de films au concept de cinémathèque, bref, comment le collectionneur est devenu cinémathécaire. L’étude de ce passage sera notre propos.

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