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Armement et ve République

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Maurice Vaïsse

II. La coopération en matière d'armement

Débat

Texte intégral

1Ingénieur général Jean Forestier : Il y a un partenaire français qui est intervenu dans tout ce dont on vient de parler et dont je n’ai pratiquement pas entendu citer le nom. À ma connaissance, le moteur du Jaguar est un moteur Rolls-Royce Turboméca Artouste dont le nom n’a rien à voir avec l’Angleterre et prouve son origine française, et de l’autre côté les succès des hélicoptères français sont quand même dus au passage du moteur à piston aux petites turbines qui sont encore une fois dues à Turboméca. Si vous éliminez deux fois le petit participant avec son patron, vous éliminez un élément non négligeable.

2Général François Maurin : Mais en ce qui concerne le moteur du Transall, le fabricant était Rolls-Royce seul. Par contre, lors de la coopération Jaguar, il y eut effectivement un grand nombre d’éléments qui étaient français dont la participation à la fabrication du moteur Turboméca. Je suis tout à fait d’accord avec vous.

3Marc-Daniel Seiffert : J’ai voulu faire vite. Je ne voulais pas rappeler le rôle de Turboméca, mais j’ai insisté sur les turbines qui sont la première innovation radicale qui a permis aux hélicoptères français de triompher. Il est évident que le rôle de Szydlowski est essentiel.

4Général Forget : M. Gras a bien montré l’effort énorme qu’a fait l’armée de l’air pour faire face à sa mission. Il ne faut pas oublier que le 1er novembre 1954, au moment du déclenchement de la guerre d’Algérie, l’armée de l’air était déjà en pleine expansion puisque nous étions passés de 1950 à 1954, en quatre ans, de quatre escadres de combat contenant moins de 200 avions, dont certains seulement à réaction, à quatorze escadres représentant un total de 680 avions à réaction. C’est quelque chose de fantastique. Malgré l’aide américaine, il y avait aussi le problème de personnel et d’organisation. Et à partir de novembre 1954, en même temps qu’elle poursuivait son effort, elle a fait son effort en Algérie que vous avez montré puisqu’elle est passée de moins de 50 avions en 1954 en Algérie à. de l’ordre de 550 en 1958 quatre ans après. Je crois que le parallèle entre les guerres d’Indochine et d’Algérie est quand même assez lâche. Je crois que la guerre d’Algérie a été marquée par un événement tout à fait dominant, c’est la constitution de cette aviation légère d’appui et cela est la grande nouveauté. Dans l’histoire de l’aviation militaire au monde, c’est un cas unique où on a vu des pilotes de combat entraînés sur des avions à haute performance, pour l’époque, envoyés pendant un an sur des avions dont la vitesse maximum n’atteignait même pas la vitesse de décollage de l’avion qu’ils venaient de quitter pour ensuite revenir dans leur formation initiale. En Indochine, les avions utilisés étaient des avions, j’allais dire, sérieux qui étaient d’abord dans le prolongement des avions de 1945, et puis ensuite le Bir 4, B 26 n’étaient pas des avions légers. Les Américains, au Vietnam, ont utilisé le F 105, etc. C’est, donc, dans l’histoire, tout à fait exceptionnel. Selon vous, si j’ai bien compris, l’armée de l’air a commencé à alléger son dispositif en 1959. Alors là, je m’inscris en faux. 1959 est la grande année du plan Challe, celle au contraire où les forces ont atteint leur apogée. Les forces armées, les réserves générales et l’armée de l’air étaient à plein potentiel. Je situerais plutôt la diminution de l’activité de l’armée de l’air à partir de fin 1960, début 1961. Et encore, en 1960, il y a eu une certaine contraction parce que les T 6, progressivement, étaient abandonnés pour prendre les T 28 qui étaient des avions plus efficaces, donc un peu moins nombreux. Quand vous parlez du fardeau de l’Algérie, vous avez cité avec raison le fardeau financier, mais il y avait un autre fardeau qui était beaucoup plus palpable, c’était le manque de pilotes. Il ne faut pas oublier qu’en 1957, dans les escadres de combat qui étaient en métropole et en Allemagne, la ponction des pilotes pour l’Algérie représentait dans un escadron à peu près le tiers de l’effectif. Donc, comme il y avait des escadres à trois escadrons, pour l’ensemble d’une escadre cela représentait l’effectif d’un escadron. D’où la décision, en novembre 1957, de l’état-major de l’armée de l’air de ramener les sept escadres de trois escadrons à deux. D’où la dissolution d’un certain nombre d’unités et la baisse du potentiel, qui n’était pas grave d’ailleurs puisque cela correspondait, dans l’OTAN, à un changement de stratégie où, le nucléaire commençait à apparaître, et où par voie de conséquence, le besoin en avions n’était plus tout à fait le même.

5Général Rhenter : Vous avez parlé des avantages des programmes menés en commun avec certains de nos alliés. J’en ajouterais un. C’est le caractère immuable des volumes des commandes de séries. Les Allemands en ont souffert avec le Transall. L’armée de l’air en a profité. Car bien souvent au moment des votes budgétaires, la loi de programmation était oubliée et l’on réduisait le volume des séries. Avec des programmes avec des étrangers, le gouvernement savait qu’il ne pouvait pas se dédire et donc maintenait la commande prévue.

6Intervenant non identifié : Je voudrais rappeler que le programme d’hélicoptères d’Algérie des trois armées était financé sur la section commune d’une part, et non sur les sections d’armée. Mais en matière d’emploi d’hélicoptères, le fait le plus important en Algérie est qu’on a mis au point un appareil nouveau, l’hélicoptère armé, d’une part, et qu’on a mis au point une doctrine de l’opération héliportée qui n’existait pas avant. Même les Américains en Corée n’avaient pas d’hélicoptères armés. Et après la guerre d’Algérie, il a fallu qu’une délégation du Pentagone vienne en France pour justement recueillir nos renseignements en matière d’emploi d’hélicoptères.

7Ingénieur général Soissons : Ce qui m’étonne, c’est que dans toutes les interventions sur la coopération, personne n’a parlé du cadre industriel dans lequel se situaient les industries aéronautiques, en particulier dans les trois pays concernés : l’Angleterre, la France et l’Allemagne. L’Angleterre, à la fin de la guerre, avait un million de personnes dans son industrie aéronautique. La guerre terminée, les effectifs ont baissé progressivement. Pour la période qui nous concerne, les effectifs de l’industrie aéronautique britannique étaient encore supérieurs à 400 000 personnes. Par ailleurs les Anglais avaient publié en 1957 un livre blanc qui mettait à genoux l’industrie aéronautique, en particulier celle des cellules puisqu’il a été la cause de l’arrêt d’un certain nombre de programmes. Par conséquent, en Angleterre, il y avait un souci manifeste, et cela se voyait pour tous ceux qui, comme moi, y allaient très souvent. Il fallait trouver le moyen de soutenir l’industrie aéronautique qui était en train de décliner très rapidement. Au contraire, l’industrie aéronautique française s’était retrouvée au lendemain de la guerre avec 100 000 personnes. Elle a touché un point bas vers 1950 avec 50 000 et était en voie de redressement. Durant la période considérée, on peut dire que les effectifs étaient de 80 000. L’industrie allemande était au contraire à un niveau très fort à la fin de la guerre. Mais on a tout supprimé pendant plusieurs années et pour la période qui nous concerne, leur industrie était remontée autour de 35 000 personnes. Par conséquent, le souci des Allemands était de trouver par la coopération les moyens de reconstituer leur industrie ; le souci des Britanniques était de la défendre, et celui des Français était de la faire croître. Ce sont trois objectifs extrêmement différents qui illustrent les différentes positions. Les Allemands étaient simplement preneurs pour acquérir de la technologie. Cela a été très bien montré à propos des hélicoptères. On a aussi évoqué le cas des engins tactiques et du Transall. La coopération se poursuivra ultérieurement avec des programmes civils comme ceux de l’Airbus. Les Anglais, au contraire, voulaient défendre une position dominante. Si l’on analyse toutes les causes de l’échec de la coopération franco-britannique, malgré l’accord de 1965, je crois que cette volonté doit être prise en compte. Coopérer avec les Allemands pour faire le Tornado, cela permettait d’avoir la maîtrise d’œuvre cellule et moteur. Pour coopérer avec les Français, il fallait nécessairement abandonner une maîtrise d’œuvre. Comme, en outre, nous avons proposé que ce soit celle des moteurs, c’était une offense à Rolls-Royce et à Sa Majesté. Mon deuxième point sera très bref. Je voulais dire que le problème de la maîtrise d’œuvre dans toutes les coopérations est un problème crucial. Les exemples Concorde et Airbus sont tout à fait typiques. Dans un cas cela n’avait pas été bien résolu. Dans l’autre, cela l’avait été remarquablement.

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