Version classiqueVersion mobile

Essai d'écologie territoriale

 | 
Nicolas Buclet

Chapitre III. Création de richesses et réponses aux besoins de la population d’Aussois

Nicolas Buclet, Juliette Cerceau, Marion Debuisson, Muriel Maillefert, Renaud Métereau, Pierre Pech et Magali Talandier

Texte intégral

1Nous l’avons vu au chapitre précédent, il est possible de caractériser un territoire à l’aide de la notion de régime. Décrire des régimes (le régime d’une ville, d’une région, d’un pays, etc.), leurs caractéristiques sociales, économiques, écologiques, permet de relier les diverses phases historiques et de mieux appréhender la question des transitions en tant que passage d’un régime à un autre. Cela permet également de traiter du couplage entre dynamiques territoriales et conséquences socio-écologiques des activités humaines. Dans ce chapitre, nous nous intéresserons davantage à ce deuxième point. Le parti pris méthodologique consiste à partir des activités humaines structurantes. Le fruit de ces activités constitue la richesse du territoire d’Aussois et de sa population. La ressource est à la fois un donné et un construit selon Leila Kébir et Olivier Crévoisier (2004). C’est un donné en ce que cela correspond notamment aux disponibilités du milieu environnemental que les sociétés humaines ont la possibilité matérielle de prélever et de transformer. C’est également un construit, ce que les hommes et les sociétés font de ce qui leur est « donné » par la nature, qu’ils transforment à leur profit. Nous verrons qu’en ce sens cela se rapproche de la notion de capabilité que l’on doit à l’économiste indien Amartya Sen, mais plus encore aux développements de ce concept en termes de capabilité collective, qui intègre aussi d’autres composantes relevant d’aspects organisationnels, politiques et culturels des groupes sociaux étudiés. La richesse du milieu naturel, sa géodiversité (Parks et Mulligan, 2010) correspond à la fois aux biens naturels, aux fonctionnalités des écosystèmes et aux services écosystémiques que les sociétés humaines définissent et utilisent (Heal, 2000). En outre, la diversité locale des paysages, des écosystèmes et du vivant est tributaire des facteurs locaux mais aussi et surtout des facteurs historiques, en particulier l’usage des sols (Jamoneau et al., 2011). C’est cette richesse territoriale dont il est question ici, richesse produite à la fois à partir de ressources naturelles disponibles dans l’environnement, notamment une faune, une flore, des sols, des eaux courantes ou l’eau des nappes, ainsi que l’ambiance climatique, etc. et à partir des ressources construites par l’apprentissage individuel et collectif de la population. Nous partons de l’idée que les ressources données ne sont activées qu’à partir du moment où des acteurs façonnent un potentiel afin d’en retirer quelque utilité, où des acteurs révèlent des ressources territoriales latentes (Gumuchian et Pecqueur, 2007). La richesse qu’on en retire est contextuelle, issue à la fois d’une configuration naturelle particulière et d’une population dotée d’un savoir-faire particulier, développé dans ce contexte précis.

2Dans un premier temps, nous décrirons la méthodologie qui nous a amené à aborder le territoire à travers une vision systémique de la création de richesse, et à considérer des activités que nous qualifions à la fois d’activités structurantes et de sous-systèmes créateurs de richesses. Ces sous-systèmes sont considérés comme structurants en ce que, nous le verrons, ils aboutissent à la fois à mobiliser un grand nombre de ressources matérielles et immatérielles, et concernent un grand nombre d’acteurs. Dans un deuxième temps, nous décrirons et analyserons de façon détaillée trois de ces sous-systèmes (agriculture, tourisme et mobilisation d’eau et d’énergie) jugés particulièrement importants pour ce territoire. L’analyse d’un quatrième sous-système « résidentiel » (comprenant les revenus issus de personnes habitant dans le territoire mais n’y travaillant pas ou plus) est également proposée. Bien que non négligeable, comme nous le verrons, l’impact de ce dernier sous-système est moins prépondérant et ne nous paraît pas justifier une analyse aussi complète que les trois autres. Traités de façon différenciée, ces quatre sous-systèmes sont donc pris en compte, notamment pour ce qu’ils représentent pour la dynamique du territoire et ce qu’ils pèsent en termes d’emplois ou de revenus monétaires. Cette analyse nous permettra de dégager une façon de penser en termes de capabilité tant individuelle que collective au niveau du territoire d’Aussois. Nous pensons en effet que cela permet de mieux comprendre en quoi les acteurs du territoire sont en mesure d’agir sur et de modifier le métabolisme socio-écologique caractérisant à la fois Aussois dans son ensemble et ses activités structurantes.

Une logique par sous-systèmes générateurs de ressources

3Aussois dispose d’activités caractéristiques d’une petite commune de montagne, fortement touchée par le développement de l’hydroélectricité et du tourisme au cours du xxe siècle. Actuellement, elle demeure, à la fois, terre d’élevage (et dans une bien moindre mesure de cultures vivrières) et terre de migrations de travail et de fréquentation touristique. Le développement au cours du xxe siècle du tourisme est tout autant classique pour une commune de ce type. Plus caractéristique d’Aussois, il en a été question au chapitre précédent, l’importante mobilisation de la ressource hydrique, à la fois depuis longtemps pour irriguer les alpages et, depuis les années 1950, pour produire de l’hydroélectricité. Si nous considérons le territoire comme un système socio-écologique, les activités structurantes que sont l’agriculture, le tourisme, la mobilisation d’eau et d’énergie et, dans une moindre mesure, la fonction résidentielle d’Aussois (constituée des revenus issus de résidents ne travaillant pas à Aussois) constituent des sous-systèmes socio-écologiques, définis par les interactions permanentes entre systèmes des ressources, systèmes des acteurs et système de la gouvernance (Ostrom, 2009). C’est donc autour de ces sous-systèmes que nous structurons notre analyse et autour de la question suivante : de quelle manière le territoire, à travers les interactions au sein et entre ces sous-systèmes d’activités structurantes, est acteur d’une dynamique productrice de richesses pour ses occupants ?

Quels revenus monétaires ?

  • 1 Personne résidant dans un lieu différent de celui où elle travaille, phénomène sur lequel nous rev (...)

4Le diagnostic des revenus d’Aussois nous permet d’aboutir à une première caractérisation du territoire analysé. En partant des travaux développés ces dernières années notamment par Laurent Davezies (2008), on s’intéresse à l’ensemble des vecteurs qui irriguent le territoire en revenus monétaires, y compris ceux qui ne sont pas traditionnellement pris en compte. En effet, au-delà des activités productives de biens et services exportés en dehors de la commune, il faut tenir compte d’autres sources de revenus, non directement issus de la production. Les dépenses des touristes, les salaires des navetteurs1, les retraites, les traitements des fonctionnaires, les diverses allocations, prestations et minima sociaux sont autant de revenus qui alimentent les économies locales indépendamment de leur capacité à produire et exporter des biens et des services. Cette base résidentielle s’ajoute ainsi à la base productive et permet de considérer la base économique globale du territoire. Cette base économique a été établie à l’échelle de la communauté de communes incluant la commune d’Aussois, la Terra Modana. La théorie de la base propose de considérer que les économies territoriales se décomposent en deux secteurs : le secteur basique, qui capte les revenus à l'extérieur de la zone considérée, et le secteur domestique (ou présentiel selon la terminologie récente de l’Insee), qui produit les biens et services demandés localement.

5Véritable moteur de l’économie locale, le secteur basique intègre, par un jeu de multiplicateur, des emplois et des revenus. Nous distinguons quatre grandes familles de revenus basiques :

  • la base productive privée ou exportatrice comprend les revenus issus de la production et de la vente de biens et de services en dehors du territoire considéré. Ces revenus sont constitués des salaires dans les activités considérées comme exportatrices (industrie, agriculture, R & D, services supérieurs aux entreprises…), des bénéfices déclarés aux impôts par les non-salariés (BIC, BNC, BA)2, des revenus des capitaux mobiliers, de revenus fonciers et immobiliers ;
  • la base résidentielle comprend les revenus captés par les territoires grâce à leurs atouts résidentiels. On comptabilise les pensions de retraites, les salaires des migrants-alternants qui résident dans le territoire mais n’y travaillent pas, les dépenses des touristes en hébergements marchands et non marchands (d’après des données départementales réparties au prorata l’offre de logements correspondants dans le territoire étudié) ;
  • la base publique comprend les traitements des fonctionnaires qui résident et travaillent dans le territoire considéré ;
  • la base sanitaire et sociale regroupe les revenus de transferts et les remboursements de soin de santé.

6Au total, les revenus moteurs du développement sont liés à la fois à ce que ce territoire est capable de produire et d’exporter, mais aussi à ce qu’il est capable de capter, notamment en raison de son attractivité résidentielle et récréative. Nous avons estimé ces différents revenus à l’échelle des EPCI (Établissements Publics de Coopération Intercommunale) pour des données de 2006. Les estimations à la commune seraient trop entachées d’erreurs compte tenu des règles de secret statistique appliquées par l’Insee. Le périmètre des EPCI utilisé correspond à celui qui est en vigueur depuis le 1er janvier 2014. Dans le cas du territoire d’Aussois, nous travaillons sur la communauté de communes Terra Modana qui comprend les sept communes suivantes : Aussois, Avrieux, Fourneaux, Le Freney, Modane, Saint-André, Villarodin-le Bourget (Figure 1). Cette communauté de communes abrite près de 7000 habitants, dont près de 60 % résident à Modane.

Figure 1. Communauté de communes Terra Modana.
Source : http://www.terramodana.com/​fr/​tourisme.asp.

7À l’échelle de la communauté de communes Terra Modana, les bases productives pèsent pour à peine plus de 9 % des revenus basiques du territoire (16 % en moyenne dans les EPCI français). Par ailleurs, on note le poids considérable de l’économie résidentielle qui constitue les trois quarts des revenus captés et créés par ce territoire (Tableau 1). C’est naturellement le poids des dépenses touristiques (50 % des bases) qui explique ces taux parmi les plus élevés en France. Le tourisme n’est certes pas la seule source de revenus, mais par son poids et par les interactions probables qu’il induit avec les autres secteurs économiques, il constitue incontestablement le moteur essentiel de ce territoire. En revanche, le poids des navetteurs et des retraites est plutôt en deçà des moyennes françaises : 9 % pour les navetteurs, 15 % pour les retraites. La base sociale est faible, deux fois moins importante que dans les autres EPCI de France métropolitaine, ce qui est le reflet d’un territoire plutôt aisé. Enfin, comme dans la plupart des espaces ruraux touristiques, la base publique est également peu représentée.

Tableau 1. Estimation des bases économiques de la communauté de communes Terra Modana en 2006 (Source : calculs de Magali Talandier, d’après DGI, RGP-Insee, Dads-Insee, Unedic, BDSL, DGCIS).

Tableau 1. Estimation des bases économiques de la communauté de communes Terra Modana en 2006 (Source : calculs de Magali Talandier, d’après DGI, RGP-Insee, Dads-Insee, Unedic, BDSL, DGCIS).

8Si l’on regarde à présent ce que donnent les bases calculées en €/hab, on constate que la suprématie de la base touristique (cinq fois plus importante que la moyenne française) s’accompagne d’une base productive par habitant inférieure d’à peine 20 % à celle de la moyenne nationale. Ainsi, le tourisme n’a pas totalement étouffé les autres activités productives de ce territoire. Ce constat nous conforte dans l’idée de ne pas se cantonner à une analyse de la dynamique du secteur touristique. Quoiqu’il en soit, maintenir un équilibre productivo-touristique paraît essentiel pour un espace autant dépendant du tourisme. Les autres bases calculées par habitant sont à des niveaux comparables à celle des autres EPCI, ce qui au final se solde par un important potentiel de richesse par habitant dans la communauté de communes Terra Modana. Pour 14 489 € de revenus basiques en moyenne par habitant dans les EPCI, on atteint un niveau de 20 568 €/hab dans la communauté de communes étudiée, soit 37 % de plus.

Les sous-systèmes à prendre en compte

9Ce premier diagnostic est important pour ce qui concerne les aspects économiques. Pourtant l’économie classique, qui se cantonne aux aspects monétaires, ne permet pas de tenir compte de l’ensemble de la richesse d’un territoire, ensemble composé de ressources difficilement monétarisables et/ou quantifiables, notamment d’éléments écologiques favorables au bien-être physique, mental et social de la population, ce qui correspond à la définition de la santé de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) adoptée à la Conférence internationale sur la Santé de New York de juin 1946. C’est cette notion de bien-être qui est développée à travers notamment la recherche d’indicateurs élaborés par les Nations Unies (UNDP, 2010). Il nous importe donc d’appréhender également des activités qui comptent moins en termes de revenus monétaires que le tourisme (ou plus largement que l’économie résidentielle), mais qui jouent un rôle non moins fondamental dans le bien-être de la population locale et, indirectement, sur l’attractivité touristique et résidentielle des lieux.

10Par ailleurs, notre intention étant de réfléchir à la dynamique de création de richesse sur le territoire d’Aussois dans le temps, nul doute qu’une activité comme l’agriculture, quasiment unique ressource à Aussois jusqu’aux années 1950 (outre le phénomène migratoire, qui correspond davantage à un appauvrissement du territoire, dans la mesure où les migrants ne reviennent pas et ne transfèrent pas de revenus vers Aussois), a toute son importance. Aujourd’hui encore, malgré son poids économique réduit, l’agriculture est véritablement structurante, notamment pour son rôle d’entretien des espaces non bâtis.

11Capter des revenus monétaires hors du territoire d’Aussois mérite également une attention particulière, non seulement en ce que cela a permis d’apporter un petit surplus appréciable à une époque où la richesse se concentrait au fond de la vallée (avec l’essor de l’hydroélectricité à la fin du xixe siècle), mais également en tant que source d’ouverture vers l’extérieur, élément fondamental que celui du brassage humain, en termes d’enrichissement personnel et collectif.

12Enfin, la richesse hydrique est importante à plusieurs titres, tant pour l’irrigation que pour la ressource financière que représente pour Aussois la production d’hydroélectricité, et plus récemment pour la capacité à produire de la neige de culture, fondamentale pour une station de sports d’hiver, fortement tributaire de son altitude modeste, au pied des pistes, et de son orientation au sud.

La grille d’analyse

13Le parti pris est donc celui d’analyser le système territorial d’Aussois à partir des trois principaux sous-systèmes générateurs de richesses, auxquels nous ajouterons avec un traitement moindre, le sous-système résidentiel, qu’il s’agisse de richesses monétaires, de richesses matérielles non monétarisées ou de richesses immatérielles. La méthode d’analyse de ces sous-systèmes vise à coupler une analyse des flux qui circulent et contribuent au fonctionnement systémique (flux matériels et immatériels) avec une analyse du système d’acteurs impliqué dans chaque sous-système.

L’analyse des flux

14En ce qui concerne les flux au sein de chacun des principaux sous-systèmes (agricole, touristique et hydroélectrique), nous partons d’une schématisation centrée sur les flux visant à produire ou issus de la production de la richesse considérée. Ces schémas systémiques sont le préalable à une analyse du jeu d’acteurs. Ils nous permettent à la fois d’identifier les ressources et patrimoines nécessaires (donc produits ou révélés par des acteurs) et d’évaluer les effets engendrés (positifs ou négatifs) sur le territoire en termes de création de richesse. Ils nous permettent également de réfléchir aux rétroactions positives ou négatives liées aux effets engendrés. Par rétroaction positive, nous entendons un effet d’un produit ou un impact créé par le système d’activité qui augmente en quantité ou en qualité les ressources, les revenus et le patrimoine territoriaux. Par rétroaction négative, nous entendons donc l’effet d’un produit ou un impact créé par le système d’activité qui diminue en qualité ou en quantité les ressources, les revenus et le patrimoine territoriaux. Il ne faut donc pas raisonner ici selon la distinction classique en systémique entre rétroaction positive et négative. Cette démarche permet à la fois de comprendre quels flux doivent être mesurés afin d’établir le métabolisme d’un système créateur de richesse et d’identifier les acteurs impliqués et dont il faut analyser le comportement et le type d’interaction développé entre eux.

Figure 2. Schéma générique des Inputs et outputs du sous-système territorial.

15Le schéma conçu, que nous emploierons afin de traiter chacun des sous-systèmes identifiés, est le suivant :

L’analyse du jeu d’acteurs

16Une fois identifiés les principaux flux, il paraît important de les relier à des acteurs et d’analyser les interactions qui se tissent au sein du territoire et en lien avec le reste du monde.

17L’analyse du jeu d’acteurs a comme objectif de positionner les acteurs d’un territoire par rapport à des enjeux déterminés (ici les modèles d’activité). Elle se subdivise en étapes. En premier lieu, il s’agit de caractériser les logiques d’action des individus, en fonction d’attributs donnés a priori mais pouvant évoluer. La grille a été empruntée aux travaux de Mitchell et al. (1997) et retravaillée par la suite (notamment en substituant la catégorie de l’intérêt à celle d’urgence), pour différencier trois catégories : le pouvoir, la légitimité et l’intérêt (Brullot, 2009 ; Schalchli (coord.), 2011 ; Brullot et al., 2014).

18Ces catégories permettent de positionner les acteurs les uns par rapport aux autres pour déterminer, en fonction de l’enjeu analysé, les positions relatives des différents acteurs, suivant le schéma de la Figure 3 ci-dessous.

Figure 3. Le positionnement des acteurs au sein d’un projet (source Brullot et al., 2014).

19L’analyse permet en second lieu de déterminer un ou des acteurs pivots autour duquel vont s’organiser les coordinations, suivant leur nature (par exemple marchande ou non), leur intensité, leur fréquence, ou leur périmètre (Maillefert et Schalchli, 2010 ; Schalchli coord., 2011). Suivant le degré de détail souhaité, les caractéristiques relationnelles peuvent être cotées ou non.

20D’autres caractéristiques (comme celle émanant des analyses proximistes) peuvent être ajoutées (voir ci-dessous). On obtient alors une cartographie des relations sur un périmètre donné (lié aux objectifs d’action collective et aux caractéristiques territoriales). On peut alors comparer des jeux d’acteurs par activité ou encore comparer des cartographies pour les mêmes acteurs dans différents régimes.

L’objectif d’accroissement de la capabilité

21La grille d’analyse vise, in fine, à comprendre ce que représente la capabilité collective du territoire d’Aussois (ou capabilité territoriale). Cette notion de capabilité a été initialement conçue par l’économiste Amartya Sen en tant qu’autonomie des individus dans leur capacité à trouver les moyens de répondre à leurs propres buts en termes de bien-être (Sen, 1999). Elle suppose le développement de la liberté individuelle, à la fois liberté non entravée par des tiers (interdictions institutionnelles ou violence subie par un tiers) et liberté entendue comme possibilité d’agir afin de poursuivre les buts souhaités (se nourrir ou se vêtir d’une certaine façon, être intégré socialement, etc.) par l’individu. De nombreuses critiques ont été émises à l’égard d’une théorie excessivement centrée sur l’individu (Lessmann et Rauschmayer, 2014) et ignorant par cela que de nombreuses réponses aux besoins d’un individu ne dépendent pas seulement de la liberté dont il bénéficie, mais sont produites dans des contextes sociaux et collectifs. Si Amartya Sen réfute l’idée de capabilités collectives et préfère l’idée de capabilités dépendantes d’un contexte social, cette vision est contestée, notamment en arguant de l’existence de capabilités ne pouvant être engendrées que dans un cadre d’action collective (Panet et Duray-Soudron, 2008). En outre, un auteur comme Séverine Deneulin (2002) considère notamment qu’une théorie de la capabilité insistant sur le rôle déterminant de la liberté dans la recherche de bien-être doit reconnaître la légitimité d’interventions publiques restreignant les libertés individuelles au bénéfice du bien-être du plus grand nombre. En effet, les capabilités peuvent être favorisées par un usage approprié des services écosystémiques (Pelenc et al., 2014), pour peu que les acteurs en aient les moyens en termes de facteurs de conversion en ressources mobilisables.

22Tout ceci nous incite à réfléchir à la notion de capabilité territoriale en tant que forme spécifique de capabilité collective ancrée dans un contexte territorial. À l’instar des principes de l’écologie territoriale, de l’analyse du métabolisme d’un territoire comme de celui d’un individu, l’autonomie des acteurs d’un territoire dans leur capacité à engendrer les moyens de répondre à la production d’un cadre de bien-être est tout aussi pertinente que dans le cas d’un simple individu, bien que plus complexe à analyser.

L’analyse des interactions

23Afin de mener à bien cette analyse en termes de capabilités territoriales, d’autres concepts sont mobilisés :

24Motivations à agir par rapport à d’autres individus : elles sont l’expression des raisons pour lesquelles les acteurs exercent une certaine activité. Ces raisons reflètent partiellement ou totalement les modalités de leurs représentations et de leurs actions sur leur territoire. Elles contribuent ainsi à rendre compte des différents points de vue et positionnements que les acteurs peuvent adopter quant à la création de richesses matérielles et immatérielles sur le territoire. En relation avec les travaux d’Alain Caillé (2009), ces motivations sont principalement de quatre types : intérêt pour soi, sympathie envers les autres, liberté individuelle, contraintes sociales. Ces motivations sont en tension deux à deux comme le montre le schéma de la Figure 4 :

Figure 4. Schéma des 4 motivations caractérisant les représentations des acteurs sur le territoire.
D’après Alain Caillé (2009)

25Aucune action individuelle n’est une forme pure de l’une de ces quatre motivations de base, mais une combinaison entre ces différentes aspirations individuelles inscrites dans un cadre collectif.

26– Proximité : la proximité est une notion qui cherche à expliquer les conditions territoriales de l’action collective qui s’exprime, dans notre analyse, par une activité créatrice de richesses. On distingue la proximité physique (distance géographique), organisationnelle (distance en termes d’interactions entre les acteurs) et institutionnelle (distance en termes de représentations et de règles d’actions entre les acteurs).

27– Processus de coordination et pouvoir : le processus de coordination, comme indiqué ci-dessus, permet de comprendre l’organisation et le positionnement relatifs des différentes parties prenantes de l’activité.

28– Modes d’échanges entre acteurs : à partir des travaux fondateurs de Karl Polanyi (2008), il est possible d’identifier trois principaux modes d’échanges entre acteurs : l’échange marchand, la redistribution publique, la réciprocité. Afin de subvenir à leurs besoins, voire de façon plus globale d’accroître leur capabilité, les individus peuvent donc avoir recours à ces trois grandes catégories de modes d’échange. Les conséquences de la prédominance dans une société d’un mode d’échange sur un autre, ne sont évidemment pas neutres. Il est donc pertinent de caractériser un territoire en s’intéressant au poids des divers modes d’échanges observables, ce qui peut permettre de le situer par rapport à la figure suivante (Figure 5) que l’on doit à Serge-Christophe Kolm (1984) :

Figure 5. Le triangle de Kolm.

29Systèmes de légitimité : selon Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1987) (repris par Olivier Godard (1990) pour traiter la question de la légitimité de la nature), chaque système de légitimité implique une certaine représentation du monde, qui s’objective dans des discours de justification (actes de dénonciations, mécanismes de consolidation) et qui est sous-tendue par des processus de coordination. En reprenant la grille de Boltanski et Thévenot, un système de légitimité peut être défini par une logique marchande, industrielle, civique, du renom, inspirée et domestique. Une analyse du discours des acteurs est alors possible afin de comprendre comment se construisent les compromis qui, progressivement, se cimentent au sein de conventions partagées entre acteurs.

30C’est donc à partir tant d’une représentation schématique des flux circulant et contribuant à la production d’un sous-système territorial, que d’une analyse des interactions entre acteurs territorialisés dans leur action, qu’il devient pertinent d’analyser les quatre sous– systèmes identifiés.

Les sous-systèmes créateurs de richesse territoriale

31Dans la suite de ce chapitre, nous présentons, l’un après l’autre, les quatre sous-systèmes, de façon extrêmement plus détaillée pour les trois premiers, plus structurants, que pour le quatrième. Ce travail nous permet d’apporter un éclairage sur la façon dont ces sous-systèmes sont structurés et pèsent sur le métabolisme territorial.

Le sous-système agricole

32Nous ne nous positionnerons pas à l’échelle des exploitations agricoles, objet d’analyse du chapitre suivant, mais à l’échelle des interactions territoriales nécessaires à l’activité agricole, ceci à trois époques, afin de tenir compte des régimes socio-écologiques identifiés dans le chapitre précédent.

33Jusqu’à l’avènement du tourisme, la population d’Aussois n’a pu vivre que par et pour l’agriculture, centrée sur l’élevage ovin et bovin (et plus marginalement caprin) et la polyculture de montagne associant des cultures vivrières d’autosubsistance et quelques cultures faisant l’objet d’échanges locaux ou de valorisations artisanales susceptibles d’offrir des ressources monétaires par la vente (herbes médicinales, par exemple). Le système agro-pastoral, qui repose sur une exploitation étagée des vallées en fonction des saisons, permettait la fabrication des produits de base au régime alimentaire de la communauté. Il s’agissait notamment de lait, de fromage, de beurre, de viande et d’alimentation pour les animaux durant l’hiver (de novembre à avril), grâce au fourrage obtenu à l’issu des fenaisons. À Aussois, le système agro-pastoral, par l’investissement et le temps qu’il nécessitait et compte tenu du peu de moyens à disposition, rythmait la vie de toute la population. Ces pratiques sont toujours perçues à l’heure actuelle comme un élément essentiel du patrimoine culturel local, même si de ces pratiques ne dépend plus la survie des habitants.

34Comme dans beaucoup de communautés montagnardes, les communautés paysannes d’Aussois ont recours à l’irrigation d’alpages principalement orientés au sud, pratique ancienne et rendue nécessaire malgré des précipitations moyennes assez élevées (1160 mm par an) et sur laquelle nous reviendrons lorsqu’il sera question du sous-système hydrique, particulièrement important pour relier ressources écologiques et activités économiques. Il est ici juste nécessaire d’indiquer un point qui sera développé dans cette autre partie, à savoir l’existence d’une longue tradition communautaire de l’eau pour l’agriculture, avec la gestion collective des canaux d’alpage et d’arrosage bordant et délimitant les parcelles.

Le sous-système agricole vers 1850

35La première époque qui nous intéresse, afin d’effectuer le lien avec l’analyse du chapitre précédent sur les trajectoires socio-écologiques, est une période préindustrielle pour un village comme Aussois. Le schéma de ce sous-système est présenté en Figure 6.

36De nombreuses boucles de rétroaction sont observées, ce qui n’est pas étonnant dans un système agricole traditionnel au sein duquel toute ressource est précieuse et où le bouclage des flux devient donc important.

Les flux entrants

37Soulignons parmi les flux en entrée du sous-système agricole, outre le facteur déterminant que constitue la disponibilité de surface agricole, l’aspect fondamental de la consommation de fourrage (et donc le lien important avec le système d’irrigation). Outre pour le fourrage, la consommation d’eau est importante également pour abreuver les bêtes (notamment les mulets), pour les céréales et les potagers. La consommation d’autres aliments est plus marginale que celle de fourrage. Elle représente un appoint pour le bétail, et est plus conséquente pour les poules. Des engrais sont en outre nécessaires, mais représentent rarement un apport extérieur. Enfin, soulignons à nouveau le rôle essentiel de l’eau et du système d’irrigation déjà en vigueur à l’époque.

L’agriculture à Aussois au milieu du XIXème siècle (principaux flux)

L’agriculture à Aussois au milieu du XIXème siècle (principaux flux)

L’agriculture à Aussois au milieu du XIXème siècle (rétroactions)

L’agriculture à Aussois au milieu du XIXème siècle (rétroactions)

Figure 6. Métabolisme socio-écologique du sous-système agricole d’Aussois vers 1850.

38En ce qui concerne la mobilité, celle-ci est à peu près circonscrite à l’utilisation de mulets pour le transport de et vers les alpages et les champs. Enfin, dès cette époque, il s’avère nécessaire pour les agriculteurs d’exercer une double activité. Pour certaines familles, cette deuxième activité constitue un revenu essentiel afin même de rendre viable l’exploitation. De même, un certain savoir-faire, essentiellement fondé sur la tradition, ainsi qu’un sens du collectif et de l’entraide permettent de faire face à une situation de précarité permanente.

Les flux sortants

39Ceux-ci sont de nature soit à alimenter la sphère socio-économique du territoire, soit à modifier l’état écologique de l’environnement territorial.

40Le résultat principal de ce sous-système est que, à quelques rares échanges près, Aussois est en situation d’autosuffisance alimentaire. Le fromage constitue même une source de revenus à l’exportation. L’apport monétaire sert essentiellement à l’achat d’outils. On peut considérer également une forte autonomie des familles, liée à l’agriculture dans le cas des vêtements et autres objets quotidiens, grâce à la production de cuir, de laine, etc.

41Au-delà de ces conséquences économiques directes, quatre autres types de retombées sont importantes, notamment en ce qu’elles engendrent des rétroactions positives ou négatives :

  • les activités agricoles, et notamment la production de déjections animales, sont source de pollution hydrique. Resterait à savoir si la concentration animale est soutenable eu égard aux caractéristiques du milieu ;
  • si les urines ont plutôt un impact potentiellement négatif (en fonction de la concentration), les fèces ont au contraire un rôle important pour la production d’engrais ;
  • l’activité agricole est par ailleurs spontanément fondamentale pour le maintien d’un espace défriché ;
  • enfin, l’activité agricole nécessite des phénomènes d’entraide, tandis que certains moments clef du village sont liés au rythme de l’agriculture. Ce point est particulièrement important pour la vie sociale et le bienêtre d’une population vouée à une existence matérielle de subsistance.

Le sous-système agricole vers 1950

42En un siècle, l’économie fondée sur l’agriculture n’est que marginalement modifiée. Cela donne le schéma suivant (Figure 7) : Si les boucles de rétroactions sont toujours nombreuses, indiquant en cela une autonomie encore importante du monde agricole vis-à-vis de l’extérieur, certains éléments montrent que ce sous-système devient néanmoins plus dépendant du monde extérieur. Parmi les flux entrants, les machines s’ajoutent aux outils et supposent d’accroître la capacité des agriculteurs à dégager des excédents monétaires. Cette dépendance accompagne dans une moindre mesure l’introduction de l’électricité dans le sous-système, bien que ce vecteur énergétique demeure cantonné à un usage domestique. Ce qui change se situe également à deux autres niveaux :

  • bien que les fèces soient toujours source d’engrais, leur apport est complété par l’achat d’engrais chimiques pour les parcelles de céréales encore exploitées ;
  • surtout, alors qu’au xixe siècle les migrants partaient travailler trop loin pour effectuer de fréquents allers et retours, les années 1950 se caractérisent par la possibilité, voire la nécessité (du fait des besoins accrus d’acheter des biens produits hors du cercle familial) de trouver des compléments de revenus avec le recours à la double activité. Le cercle de la production autonome est brisé, dans un contexte de subsistance assez marqué. Cette dualité de l’activité est due en outre à l’essor d’activités industrielles, surtout métallurgiques, développées dans la vallée de la Maurienne, en relation avec la pénétration du machinisme le long de l’axe fluvial, surtout lorsque s’installent la voie ferrée puis l’hydroélectricité, à la fin du xixe siècle.

L’agriculture à Aussois au milieu du XXème siècle (principaux flux)

L’agriculture à Aussois au milieu du XXème siècle (principaux flux)

L’agriculture à Aussois au milieu du XXème siècle (principaux flux)

L’agriculture à Aussois au milieu du XXème siècle (principaux flux)

Figure 7. Métabolisme socio-écologique du sous-système agricole d’Aussois vers 1950.

43En sortie, les principales différences avec le régime précédent se caractérisent par des phénomènes polluants accrus (recours aux engrais chimiques) et, surtout, par l’accroissement nécessaire (bien qu’encore modeste, comme le montrera le chapitre suivant) des revenus d’exportation.

Le sous-système agricole en 2012

44Comme cela est montré dans le schéma de la Figure 8, le sous-système agricole a été profondément bouleversé entre 1950 et 2012. La multiplication des apports extérieurs au territoire modifie substantiellement une activité plutôt endogène en activité fortement reliée au reste du monde. L’autonomie est perdue. Les principales rétroactions au sein du sous-système sont essentiellement polluantes ou monétaires, mais dans une configuration où, par ailleurs, les subventions sont vitales pour le monde agricole qui s’est structuré en fonction de ces aides. Cependant, cette agriculture joue un rôle capital dans les services qu’elle rend pour entretenir le paysage et les milieux naturels, comme indiqué à droite sur le schéma de la Figure 8, notamment en luttant contre l’enfrichement, dommageable à la fois pour les activités de l’industrie touristique hivernale, en contribuant à l’entretien des pistes de ski, mais aussi pour permettre le maintien d’habitats ouverts favorables à l’attractivité des paysages de montagne ainsi qu’au développement d’espèces pollinisatrices. Ces services induits ne sont pas actuellement évalués alors qu’ils représentent un coût et donc une rente non négligeable comme cela a été démontré pour d’autres écosystèmes et d’autres paysages agricoles (Wainger et Mazzotta, 2011 ; Laurans et al., 2013). De même, dans le paysage villageois, les habitations traditionnelles, qui représentent un héritage attractif du patrimoine architectural, n’incorporent plus du tout d’activités agricoles qui ont été rejetées et concentrées dans une zone agricole regroupant les bâtiments, les étables, le matériel sur un même secteur libérant de l’espace foncier permettant une meilleure gestion des nuisances et des pollutions liées aux déchets agricoles. Ce sous-système se caractérise également par une réduction du nombre de flux en sortie, autre élément révélateur d’une moindre connexion entre ce sous-système et le territoire, au profit d’une plus forte interaction avec le reste du monde.

Les flux en entrée

45La surface agricole est importante sur la commune d’Aussois avec à peu près 2000 ha (46 % de la surface communale). Malgré cela, et comme ailleurs en Maurienne, le nombre d’agriculteurs régresse. Beaucoup de terrains se perdent à Aussois suite à la cessation d’une exploitation, même si la plupart du temps ces terrains sont repris par un autre agriculteur du village. Malgré cela, la culture reste trop extensive à certains endroits, et le milieu se referme progressivement.

46La figure 8 démontre la place que tiennent les externalités dans le maintien de l’activité agricole qui est tributaire de nombreux intrants liés à la machinisation, à la qualité du suivi sanitaire du bétail, à l’utilisation de fertilisants et de phytosanitaires même si ceux-ci sont limités dans le cadre d’une agriculture qui se tourne vers la production de qualité, répondant à des cahiers des charges rigoureux.

L’agriculture à Aussois aujourd’hui (principaux flux)

L’agriculture à Aussois aujourd’hui (principaux flux)

L’agriculture à Aussois aujourd’hui (retroactions)

L’agriculture à Aussois aujourd’hui (retroactions)

Figure 8. Métabolisme socio-écologique du sous-système agricole d’Aussois depuis 1950.

47Le recours à de l’énergie produite hors du territoire est plus important (augmentation des besoins en carburants liée à l’accroissement de la mécanisation des procédés de collecte et de transport de la production), de même que l’importation de fourrages - dans les limites inscrites dans le cahier des charges de l’AOC (Appellation d'Origine Contrôlée) Beaufort - et d’engrais. En effet, si une partie importante de la production végétale repose sur la fauche de prairies naturelles ou cultivées, la quantité de fourrage nécessaire au cheptel est insuffisante et contraint les agriculteurs à importer des aliments pour le bétail, notamment du fourrage, y compris en provenance d’autres départements. La consommation d’énergie électrique est également plus importante que par le passé (par exemple les trayeuses électriques) mais liée à une importante production hydroélectrique locale, tandis que l’irrigation change de modèle avec un abandon des pratiques collectives, les canaux d’irrigation étant remplacés par des tuyaux reliés aux lacs de retenue d’EDF. Les prairies de fauche sont largement irriguées et dépendent donc de l’abondance en eau dont dispose la commune. Il faut souligner là encore l’exceptionnelle situation dont bénéficie la commune d’Aussois : depuis la création des barrages hydroélectriques, elle continue de pouvoir alimenter ses activités en une eau très abondante et très peu coûteuse. Le système d’aspersion est ici un atout non négligeable pour le maintien de prairies de fauche productives, en condition de montagne exposée en situation d’adret et donc soumise à une sécheresse estivale. En ce sens, Aussois dispose d’une richesse qui fait que son agriculture se distingue grandement de la situation habituelle des agricultures alpines marquées par des contraintes climatiques croissantes (EEA, 2009 ; Meyer et Sinabell, 2011).

48Trois types de flux émergent durant cette période, flux essentiellement immatériels mais pour autant très structurants. Le premier est lié à la création du Parc national de la Vanoise, le second à la création de l’AOC Beaufort. Si le Parc de la Vanoise est vécu comme une contrainte externe forte par les agriculteurs (mais nous le verrons extrêmement favorable pour le développement du sous-système touristique), l’institutionnalisation du Beaufort est quant à elle un vecteur important d’accroissement de richesse pour le territoire. Enfin, élément structurant plus classique, l’afflux de subventions européennes dans le cadre de la Politique Agricole Commune.

49Nous avons considéré qu’une analyse en termes de jeux d’acteurs est pertinente en partant de ces créations institutionnelles porteuses de changements importants. Nous y reviendrons par la suite.

Les flux sortants

50L’emploi des fèces animales reste courant, bien que leur apport fertilisant soit complété pour les prés par l’apport d’engrais synthétiques. Néanmoins, l’investissement de la commune d’Aussois dans une fumière collective, gérée conjointement par les agriculteurs installés à Aussois, doit être souligné. Chaque exploitant a la possibilité de stocker les déjections de son troupeau dans le box qui lui appartient. Cela permet de limiter les déchargements « sauvages », ainsi que la pollution des cours d’eau par apport de matières organiques pouvant à terme entraîner un phénomène d’eutrophisation.

51Ainsi, la commune a fait construire une plateforme collective bétonnée de stockage du fumier. Ces engrais peuvent être utilisés sur les prairies sauf en alpage. De même, la STEP (STation d'ÉPuration des eaux usées) partagée au niveau intercommunal et localisée à la Praz produit des boues d’épuration utilisées comme éléments entrant dans la composition du compost épandu sur les pistes de ski afin de fertiliser les pentes. Cependant, le cahier des charges du Beaufort interdit l’usage de ce fertilisant pour les espaces où pâturent les vaches dont le lait sert à produire le fromage en AOP (Appellation d'Origine Protégée). En outre, l’activité d’élevage bovin, avec un peu plus de 110 têtes de bétail, est strictement en relation avec la coopérative laitière de Haute-Maurienne Vanoise, pour la production de Beaufort. L’élevage ovin, pour environ 700 brebis, est intégré à la filière de production de viande avec la nécessaire vente aux abattoirs dont certains sont situés à grande distance, à Sisteron, dans les Alpes du Sud.

52La production à destination de l’alimentation animale est également toujours majoritairement produite localement, du fait notamment des contraintes liées à l’AOC Beaufort, contraintes sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Toujours du fait du Beaufort, les revenus d’exportations sont importants, le litre de lait étant ainsi vendu au double des prix pratiqués par ailleurs.

53Enfin, l’entretien de l’espace communal demeure une plus-value importante pour Aussois, non seulement comme pour les époques passées au niveau de la vie collective et de la capacité à maintenir des terres arables et des alpages, mais également en tant que facteur paysager important pour le sous-système de création de richesse touristique.

Des formes institutionnelles structurantes

54Comme indiqué, l’analyse des sous-systèmes passe à la fois par l’identification des flux concernés et par un regard sur les interactions, formalisées ou pas, entre acteurs impliqués. Dans le cas du sous-système agricole, cela passe en grande partie par le biais d’une institutionnalisation de la production fromagère, elle-même encadrée par le Parc de la Vanoise.

L’importance du Parc de la Vanoise

55Créé en juillet 1963 en tant que premier parc national, le périmètre du Parc de la Vanoise est, comme les autres parcs créés par la suite, partagé entre un cœur (ou réserve naturelle) et une zone périphérique (Aire optimale d’adhésion) créant des zones d’interaction entre la réserve et les activités humaines implantées. La commune d’Aussois est concernée par les deux types de zones. Aussi, les activités agricoles sont-elles touchées par les contraintes réglementaires imposées par le parc et sa tutelle étatique. C’est ainsi qu’à Aussois, comme dans d’autres communes concernées par le Parc, l’investissement déjà cité dans une fumière collective fait partie des mesures en faveur de la protection de l’environnement naturel en lien avec les objectifs du Parc.

56Les entretiens menés auprès des éleveurs d’Aussois ont permis d’identifier les griefs exprimés à l’encontre du Parc. Parmi ceux-ci, l’impossibilité d’allumer des feux afin de défendre le bétail des attaques de loups, ou encore les restrictions de passage (lieux et périodes) au sein du Parc. Surtout, les éleveurs déplorent l’absence de mécanisation dans le périmètre du Parc, empêchant la création de voies de passages qui permettraient l’exploitation de nouveaux espaces adaptés pour leurs activités. Ces points sont importants, en ce que 99 % de la SAU (Surface Agricole Utile) sont des surfaces enherbées.

57Afin de sortir d’une situation crispée, le Parc étant perçu comme un outil de la bureaucratie parisienne, de longues négociations ont été menées entre l’État et les communes qui ont abouti à l’adoption d’une charte le 27 novembre 2013. Avec cette nouvelle charte, l’engagement de la commune d’Aussois comme des autres communes adhérentes est un élément fondamental pour l’ensemble des sous-systèmes créateurs de richesse, impliquant des contraintes également en zone périphérique du Parc, qui devraient être compensées par une meilleure prise en compte par le Parc des enjeux de développement territorial.

58La charte vise à renforcer certaines pratiques, promues via la signature de contrats agroenvironnementaux en vigueur depuis 2000. Il s’agit ainsi de limiter ou supprimer la fertilisation des prairies et de retarder la fauche afin de favoriser la préservation d’une certaine biodiversité. Néanmoins, il n’est pas certain que la volonté affichée de pérenniser l’agriculture et le pastoralisme soit suffisante, eu égard à la perte du nombre d’exploitants, à Aussois comme dans toute la zone concernée par le Parc.

L’AOC Beaufort

59Le périmètre concerné par l’AOC Beaufort et le Parc de la Vanoise se recoupent fortement. A l'échelle de l’ensemble du territoire concerné (4000 hectares répartis sur 110 communes) l’organisation dédiée au fromage de Beaufort est bien structurée. Sur les 126 000 meules produites (chiffres 2012), 9 300 le sont en Haute-Maurienne dont environ 70 pour la commune d’Aussois (équivalent à environ 260 000 litres de lait vendus) ce qui ne représente qu’une petite partie de la production. Les règles qui s’appliquent sont assez strictes :

  • un minimum de 75 % du fourrage utilisé pour nourrir les deux races de vaches (la Tarine et l’Abondance) doit être issu de production locale ;
  • la production moyenne d’un troupeau ne peut excéder 5 000 kg de lait par vache en lactation et par an ;
  • le lait produit doit être transporté quotidiennement depuis les producteurs de lait vers les 3 types de producteurs de Beaufort : les ateliers permanents saisonniers, les ateliers industriels et les coopératives qui représentent respectivement environ 10 %, 15 % et 75 % de la production annuelle de Beaufort ;
  • les opérations de formage des meules sont également soumises à de multiples règles surveillées par l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine) ;
  • les modalités de vente sont également soumises à des règles strictes (par exemple le Beaufort ne peut être vendu préalablement rapé).

60Derrière de telles règles, l’ambition annoncée et poursuivie de créer un produit à forte valeur ajoutée, réputé pour sa qualité et véhiculant l’image positive des produits savoyards. Un premier schéma (Figure 9) permet de disposer d’une vision organisationnelle globale de l’AOC Beaufort :

Figure 9. Organisation de la filière Beaufort.

61On voit par ce schéma que les acteurs impliqués dépassent de loin le ce, niveau local, l’INAO, le CNAOL (Conseil National des Appellations d'Origine Laitières) et surtout les institutions européennes ayant un rôle primordial, à la fois en tant que pourvoyeuses de subventions et en tant que garantes du respect des quotas laitiers. Il n’y a là rien de particulier au sous-système agricole d’Aussois, l’ensemble des exploitants agricoles européens étant soumis à ce type de réglementation. L’institutionnalisation de l’AOC Beaufort constitue néanmoins un mode de coordination propice à l’accroissement de la capabilité à la fois individuelle, mais aussi collective des éleveurs et à deux niveaux : d’une part, pour les éleveurs du Beaufortin, et d’autre part, pour des communes qui, comme Aussois, ont besoin d’agriculture.

L’accroissement de la capabilité individuelle et collective

62Le constat a déjà été rappelé : le nombre d’agriculteurs baisse en Maurienne comme ailleurs. En 2012, à Aussois, douze personnes déclarent avoir une activité agricole sur la commune, exclusivement sous forme d’exploitation de prairies. La moitié de ces personnes résident effectivement à Aussois. Malgré la lente baisse des effectifs, le territoire engendre de nombreux dispositifs d’accroissement de la capabilité individuelle et collective :

  • l’existence d’un GIDA (Groupement intercommunal de Développement Agricole) à l’échelle de la Haute-Maurienne chargé de privilégier les approches collectives, de mettre en œuvre les politiques agricoles du département, de mettre en place une coopération entre agriculteurs, magasins de producteurs, abattoir, coopératives laitières… ;
  • la plupart du lait produit est pris en charge par des coopératives lorsqu’il n’est pas transformé localement (dans le cas du lait de chèvre). En particulier pour le lait de vache, le fait de passer par les coopératives impliquées dans le circuit de production du Beaufort accroît la capabilité des éleveurs, du fait de l’interdépendance forte entre les divers acteurs impliqués dans le sous-système. Certes les éleveurs dépendent des subsides européens, mais en menant une politique de qualité concertée ils accroissent leur capacité à engendrer des revenus.

63Soulignons malgré tout la limite du sous-système, en ce que malgré tout les exploitants agricoles sont tous contraints à la pluriactivité, leur seul revenu d’éleveur étant insuffisant pour les faire vivre. C’est à ce niveau-là qu’il nous faudra revenir en fin de chapitre, afin d’appréhender la question de l’articulation entre les divers sous-systèmes identifiés. Le sous-système agricole paraît en effet extrêmement dépendant des autres sous-systèmes. La question de la capabilité territoriale ne peut être vraiment traitée qu’à un niveau plus global.

64Voyons plus précisément ce qu’il en est des divers aspects de la capabilité :

65Pour l’agriculture de haute montagne, la capabilité exprime le fait qu’elle puisse parvenir à se pérenniser par la mise en place d’un système de production et d’organisation permettant aux agriculteurs d’en vivre : « pour nous, ce qui nous intéresse, […] c’est la pérennisation du système. […] Pour que les gens continuent à gagner leur vie en faisant de l’agriculture de montagne » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort) ; « il ne faut peut-être pas attendre qu’il n’y en ait plus », « ce qu’il faut, c’est que les gens arrivent à en vivre » (agricultrice). Il est ainsi possible de retracer l’histoire de la structuration de la filière Beaufort au regard de différentes étapes en vue de cette capacité à pérenniser l’agriculture de haute montagne, autrement dit de différentes expressions de cette capabilité.

66Première expression de la capabilité : l’émergence d’un savoir-faire (Figure 10)

67Les agriculteurs ont toujours eu conscience des handicaps qui pèsent sur l’activité d’agriculture de montagne : taille des exploitations, conditions de production difficiles, temps d’hivernage des bêtes, contraintes sur la production de fourrage, etc. Pour autant, ils disposent également d’un certain nombre d’atouts : « des savoir-faire ancestraux, une végétation de qualité, avec une diversité biologique exceptionnelle, et puis des montagnards durs au labeur qui aimaient leur montagne, avec des systèmes de transhumance locale, etc. […] Et l’été, c’est une végétation et un climat d’altitude […] qui permet une bonne lactation » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort). Ces ressources permettent donc une production de lait de qualité qu’il convient de convertir en vue de pouvoir vivre de l’agriculture, c’est-à-dire de « produire des fromages qui pouvaient être consommé six mois après, pendant les périodes difficiles, voire des fromages qui pouvaient se transporter et aller se vendre » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort). Cette conversion s’est faite par l’émergence d’un savoir-faire, issu des échanges entre fromagers de la vallée et au-delà : « c’est comme ça qu’il a existé des fromages à pâte pressée et cuite qui étaient un peu privilégiés en montagne. Parce qu’en été, l’herbe est abondante, les vaches avaient du lait. […] Et il fallait transformer le lait pour qu’il puisse se conserver l’hiver, où il y avait des difficultés à s’approvisionner. » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort). La production était donc mieux maîtrisée, et permettait de s’affranchir de la forte saisonnalité de ces régions.

Figure 10. Capabilité et émergence d’un savoir-faire.

68Deuxième expression de la capabilité : l’auto-organisation en coopérative (Figure 11)

69Avec l’intensification de la production agricole, de nouvelles contraintes ont pesé sur l’agriculture de montagne : « dans les années 1960, il fallait produire à moindre coût, il fallait être performant, […] il fallait être intensif. » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort) Or l’agriculture de montagne est peu adaptée à cette intensification, ce qui accroît les difficultés concurrentielles qui s’imposent à elle. En outre, les travaux des barrages, l’industrialisation des vallées, ainsi que le développement du tourisme attirent les actifs : ils ont montré « qu’on pouvait gagner sa vie autrement qu’en faisant du lait » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort). Face à ces nouvelles contraintes, « les gens ont cherché à s’organiser en coopérative pour essayer d’avoir une production de lait à l’année. Et même pour essayer de concurrencer le tourisme et l’industrie, en termes de revenus des agriculteurs en proposant un salaire mensuel plutôt qu’un salaire annuel » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort). Ce fonctionnement en coopérative a donc cherché à pérenniser l’activité agricole en montagne, en lissant la production et en contenant la fuite des actifs. Ainsi pour le responsable de la coopérative, « le mode coopératif est la seule réponse au maintien de ce genre d’agriculture ».

Figure 11. Capabilité et organisation en coopérative.

70Troisième expression de la capabilité : la reconnaissance de l’AOC (Figure 12)

71Face à la tendance productiviste incompatible avec les conditions de production en montagne, les agriculteurs ont joué la carte de la qualité afin d’augmenter la valorisation du lait : « si on ne fait pas des efforts de qualité, on n’y arrivera pas », « on a fait le pari des contraintes, de la production de qualité » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort). Cette démarche aboutit en 1968 à la reconnaissance du Beaufort en Appellation d’Origine Contrôlée. « La production sous l’AOP Beaufort est à contre-courant de l’intensification. Par exemple, on plafonne des litrages par vache, c’est-à-dire qu’on dit 5 000 litres de lait maximum par vache. Donc, quelque part, c’est un frein à la production » (responsable de la coopérative). En définitive, le fonctionnement sous le régime AOC impose de nouvelles contraintes à la production agricole de montagne et assure ainsi sa pérennisation et sa valorisation. C’est parce que les contraintes (naturelles et réglementaires) sont fortes, que le lait à Beaufort est toujours produit et valorisé à 700 €/tonne, 30 à 40 % plus cher que le lait moyen. Pour autant, cette capacité à s’accomplir et à se pérenniser en activité agricole de qualité n’est pas acquise : « cela reste un combat permanent » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort), notamment vis-à-vis des nouvelles générations « à qui on a inculqué presque exclusivement des réflexes de productivité » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort).

Figure 12. Capabilité et AOC.

72Les acteurs de l’agriculture rencontrés partagent le sentiment qu’ils ont su et doivent encore puiser dans leurs propres ressources, dans leurs propres spécificités pour maintenir cette agriculture de montagne.

Les motivations des acteurs

73Les entretiens menés avec les personnes en lien avec le monde agricole évoquent leur implication dans ce secteur en termes de choix de vie. Ainsi un ancien président du Syndicat de Défense du Beaufort indique que, bien que « la montagne cumule beaucoup d’handicaps », il faut se battre pour faire perdurer l’activité agricole de haute montagne : « on ne peut pas laisser tomber l’agriculture de montagne ». L’attachement au territoire est fort, tout comme au métier qui permet de se sentir en lien avec les montagnes. « Ça m’a toujours plu, depuis tout petit, et ça m’a toujours suivi » (un agriculteur en double activité).

74La motivation qui nous intéresse va au-delà, c’est celle qui produit un certain type d’interaction plutôt qu’une autre. Le sentiment est que la question de l’entraide est moins forte que par le passé. Les entretiens auprès des divers éleveurs ont plutôt mis en évidence des divergences et peu de coopération. Il s’agit probablement là, si l’on se situe dans une démarche prescriptive qui n’est pas celle de ce travail, mais qui peut être une des suites logiques d’un travail de diagnostic, d’un des points sur lesquels travailler. De fait, cette question du collectif est importante. Alain Marnezy, maire d’Aussois, le rappelle : « la longue tradition de gestion communautaire de l’eau pour l’agriculture a certainement contribué à forger une « culture de l’eau », bien connue dans tous les pays d’irrigation ». Nous y reviendrons quand il sera question du sous-système hydrique, mais il est certain que le système d’irrigation, essentiel pour l’agriculture, exige de la part de la population d’accepter des contraintes sociales et de ne pas limiter ses motivations à son propre intérêt.

Les proximités établies

75Rappelons que dans notre grille de lecture, ces proximités sont de trois types : physique, organisationnelle, institutionnelle.

76Proximité physique : nous traitons ici d’une commune d’un millier d’habitants environ, élément favorable à la proximité physique. Dans le cadre des activités agricoles, l’échelle de l’appellation Beaufort semble compliquer la proximité physique entre les producteurs de lait et les instances créées pour promouvoir et défendre leur production. La proximité réellement physique se fait par l’intermédiaire des collecteurs de lait pour les coopératives. A priori, il n’y a là rien de très différent avec les pratiques observables généralement dans le secteur laitier. Mais bien que le relief montagneux allonge substantiellement les distances, la proximité physique est bien plus forte entre ces acteurs concentrés entre les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise, avec comme centre névralgique Albertville, qu’entre des producteurs de lait isolés face à la grande distribution.

77Proximité organisationnelle : Comme le montre le schéma sur la coordination entre acteurs concernés par l’AOC Beaufort (Figure 9), on perçoit une cohésion organisationnelle forte, avec des objectifs partagés. Il n’y a qu’un ou deux intermédiaires au maximum entre un éleveur et les institutions basées à Albertville.

78Proximité institutionnelle : Cette troisième proximité est généralement fondamentale lorsque l’on souhaite que les proximités physiques et/ou organisationnelles favorisent une coordination efficace. On constate dans le cas de l’AOC Beaufort qu’un réseau formel d’acteurs est structuré vers une finalité commune, solidaire, chaque élément défaillant risquant de mettre en péril l’ensemble de l’édifice. Les entretiens menés font part d’une cohérence du discours tendant vers des valeurs communes, celui de la solidarité en milieu hostile, des valeurs de la montagne, de la qualité de ses produits. D’ailleurs, alors que les éleveurs expriment souvent des griefs envers les contraintes imposées par la réglementation du Parc de la Vanoise, tant la chambre d’agriculture que les instances de l’AOC Beaufort ont pleinement conscience de la synergie entre l’image nécessaire au Beaufort et l’image véhiculée par le Parc National, pleinement en phase avec ces valeurs. C’est notamment ce qu’illustre la charte du Parc approuvée le 27 novembre 2013. Y sont mis en avant la responsabilité collective envers un patrimoine commun, patrimoine naturel (la place du sauvage), bâti, culturel, paysager, mais aussi l’importance de la tradition agropastorale et d’une bonne cohabitation entre espèces sauvages et troupeaux domestiques. Ainsi la charte met en avant :

  • la nécessité de maintenir des structures agricoles en favorisant les installations ;
  • la promotion d’une gestion agro-environnementale des espaces agricoles ;
  • le développement des filières courtes.

79Le tout afin d’« engager le territoire dans une démarche éco-responsable » et de « renforcer la notoriété du Parc ».

Quels systèmes de légitimités mobilisés ?

80Ce que nous venons d’évoquer concernant la charte est symptomatique du type de système de légitimité susceptible de rapprocher les acteurs autour d’un objectif commun.

81Parler de patrimoine, de tradition, de solidarité entre clairement au sein du système domestique de légitimité, là où ce qui est grand est ce qui est établi dans une lignée, qu’il s’agisse de la nature, de savoir-faire transmis de génération en génération ou d’inscription dans une communauté à forte identité. Le discours abonde d’anecdotes, d’histoires singulières (positionnement politique contre l’agriculture, conflits d’usage avec les touristes, etc.), permettant de fournir des arguments factuels justifiant un renfermement de l’agriculture sur elle-même.

82Les éleveurs au sein de la filière Beaufort parviennent à accroître leur légitimité à ce niveau en couplant le rattachement à la cité domestique mais également à la cité du renom. Le Beaufort, la Savoie, le Parc de la Vanoise sont trois éléments déterminants qui font d’une simple production de lait produit en montagne un vecteur de notoriété et de valeur qui se traduit en amélioration des conditions matérielles d’une profession malmenée. L’AOC Beaufort constitue en ce sens ce que Laurent Thévenot indique comme un investissement de forme (Thévenot, 1986), c’est-à-dire un investissement qui permet de donner corps à une convention en formalisant les relations entre acteurs. De même la nouvelle charte du Parc de la Vanoise est un investissement de forme en phase avec le monde agricole de montagne (système de légitimité domestique faisant référence à la notion de patrimoine), même si la charte fait également référence à l’importance de la biodiversité et du sauvage, éléments davantage raccrochés à la cité écologique (Boltanski et Chiappello, 1999) et qui continuent à poser problème pour certains éleveurs.

83Le système de légitimité du responsable de la coopérative fait davantage écho à la cité marchande, avec un recours permanent aux chiffres liés au tonnage produit et au prix de revient, au coût des investissements et au coût de fonctionnement. Le discours est économique et technique : le responsable de la coopérative parle de « rentabilité » de « produit relativement haut de gamme », de « niche », d’« exercice comptable », etc. Il traduit une représentation de l’agriculture comme une activité de production dont il convient de maximiser la valeur. De manière complémentaire, ce discours s’inscrit également dans un système de légitimité « industriel ». La coopérative est un « outil de travail » où chacun a sa fonction : les producteurs de lait sont des « livreurs » et les ouvriers de la coopérative des « transformateurs ».

Processus de coordination, pouvoir et modes d’échanges privilégiés

84La filière Beaufort se structure autour d’un mode coopératif et associatif. Il est issu du regroupement progressif des agriculteurs en coopératives (et des coopératives entre elles), puis des coopératives en Union et en Syndicat. Cette structuration est le résultat d’une double logique :

  • Une logique endogène d’abord motivée par le besoin de mutualiser les productions et les outils de transformation de lait et la nécessité d’améliorer les conditions de vie des agriculteurs : « l’histoire des coopératives, c’est d’une part regrouper le lait des petits producteurs, mais aussi, d’autre part, en s’organisant, de donner un salaire tous les mois […] aux producteurs » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort).
  • Une logique exogène, dans un second temps, pour satisfaire les exigences nationales de la reconnaissance en AOC : « il a fallu à ce moment déterminer la zone d’appellation d’origine, les règles de production et puis tout l’encadrement qu’il faut pour être reconnu auprès des acteurs publics » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort).

85Ce processus de coordination de la filière Beaufort repose sur un positionnement relatif des différentes parties prenantes, en termes de pouvoir, de légitimité et d’intérêt (Figure 13 et Tableau 2).

86La filière Beaufort constitue le cœur du sous-système agricole d’Aussois. Dans ce sous-système, il est difficile d’identifier un acteur pivot. Les agriculteurs ont un intérêt fort à ce que ce sous-système constitue un projet structurant pour le territoire. Le responsable de la coopérative souligne ainsi que le véritable enjeu de pérennisation de la coopérative reste l’approvisionnement et donc la volonté des agriculteurs à continuer à produire du lait. Les éleveurs sont également considérés comme fortement légitimes, ne serait-ce que pour leur rôle reconnu pour le nécessaire entretien de l’espace alpin. En revanche, ils ne disposent pas de pouvoir, quand bien même la pérennité à la fois d’un certain type de paysage et d’une tradition fromagère dépend fortement de leur existence.

87Le positionnement de la coopérative découle de celui des agriculteurs : structurant les agriculteurs en collectif, son pouvoir et sa légitimité dépendent de celui de chaque agriculteur. Elle représente pour autant la formalisation de ce savoir-faire et de cette organisation collective (légitimité) et sa raison d’être est la coordination au sein de la filière (intérêt). Émanation économique et financière de la coopérative, la SICA (Société d'Intérêt Collectif Agricole) est un acteur caractérisé par son intérêt structurel à voir se développer la production et donc la vente des produits issus de la filière. L’Union des Producteurs de Beaufort et le Syndicat de Défense bénéficient d’un pouvoir administratif (contrôle du respect des règles) et charismatique (promotion des valeurs de la filière) ainsi que d’une forte légitimité reposant sur une expertise technique et un agrément des instances étatiques.

88Cependant, alors que le sous-système AOC Beaufort engendre une plus-value considérable, une partie du pouvoir demeure dans les mains des institutions européennes et des subventions accordées à l’agriculture. Ces institutions, attachées à la dimension territoriale de l’agriculture et totalement favorables au processus de patrimonialisation, ont intérêt à ce que l’agriculture perdure (puisqu’il s’agit là d’une volonté forte de plusieurs Etats membres dont la France) mais leur légitimité est souvent sujette à caution dans le discours des acteurs du terrain, phénomène récurrent en matière de Politique Agricole Commune.

89La figure et le tableau suivants classifient et résument les pouvoirs, légitimité et intérêts des différents acteurs (Figure 13 et Tableau 2).

Figure 13. Classification des parties prenantes de la filière en termes de pouvoir, de légitimité et d’intérêt.

90L’analyse des jeux d’acteurs, constituée à partir de propos recueillis auprès des acteurs sollicités, permet de mettre en évidence les principales contraintes qui s’exercent sur cette activité :

91a) L’enjeu de la forte dépendance aux subventions et aux évolutions des politiques nationales et européennes :

92– Perçue comme une contrainte : l’agriculture de montagne est, encore plus qu’un autre type d’agriculture, dépendante des aides qu’elle reçoit et de la protection réglementaire liée à l’AOC. Cette dépendance est vécue comme une contrainte : « le problème, c’est que l’on n’est pas sur une île déserte. C’est-à-dire que, même en étant en zone de haute montagne, […] on subit les politiques laitières menées au niveau national et européen. » (ex-président du Syndicat de Défense du Beaufort). Cette contrainte est très forte aujourd’hui du fait de l’annonce de la libéralisation du marché des produits laitiers et de la fin de quotas : « pour nous, petite AOP, c’est catastrophique si tout le monde, demain, produit le lait qu’il veut ». Afin d’anticiper cette évolution de la réglementation, la coopérative a développé une marque déposée, le Bleu de Bonneval, qui permet d’écouler une partie du lait produit hors quotas et, à terme, d’imaginer une augmentation de la production sans sortir des critères liés à l’AOC : « La production laitière peut continuer à augmenter et à être valorisée en Bleu. » (responsable de la coopérative).

93– Perçue comme un soutien indispensable : pour autant, cette dépendance vis-à-vis de l’Europe est aussi la condition du maintien de cette agriculture : « si les aides étaient supprimées, il y a beaucoup d’exploitation, les trois quarts, qui ne seraient pas là » (agriculteur) ; « le revenu des agriculteurs, c’est la PAC et les aides » (responsable de la coopérative).

Tableau 2. Pouvoir, légitimité et intérêt des parties prenantes de la filière Beaufort

Tableau 2. Pouvoir, légitimité et intérêt des parties prenantes de la filière Beaufort

94b) L’enjeu de l’articulation avec le développement de l’activité touristique :

95Perçue comme une contrainte :

96– Directe : les orientations de développement du village vers le tourisme entraînent une pression foncière sur l’activité agricole : « s’il n’y a pas cette politique, cette volonté de conserver les agriculteurs sur le village, c’est terminé. Ils vont construire tout le beau plateau » (agricultrice). En outre, l’usage touristique des prairies (randonnées, etc.) entraîne des conflits d’usage avec l’activité agricole (déchets, piétinement, etc.).

97– Indirecte : l’attractivité touristique d’Aussois entraîne une augmentation du coût du foncier et des impôts locaux qui rendent difficiles l’implantation de jeunes agriculteurs (même si ce phénomène est en partie compensé par une politique municipale qui crée un double marché du foncier favorable au maintien ou à l’installation de jeunes sur le territoire).

98Perçue comme une source de revenus non négligeable :

  • Un débouché important pour la production : « nous, agriculteurs, on a forcément besoin de cette masse touristique pour écouler nos produits » (responsable de la coopérative).
  • La double activité qui concerne la plupart des agriculteurs d’Aussois.

Figure 14. Interactions et jeux d’acteurs autour de l’activité agricole.

99Depuis le xixe siècle jusqu’à aujourd’hui, le sous-système agricole apparaît donc comme un élément structurant pour le territoire d’Aussois dans sa triple dimension physique, organisationnelle et identitaire. Tout en exploitant l’abondante végétation, l’activité agricole a contribué et contribue toujours à structurer et à maintenir les paysages de pâturage autour du village d’Aussois. Elle a toujours exigé la structuration d’un collectif autour de l’exploitation du foncier, de l’irrigation des parcelles et aujourd’hui du maintien et de la valorisation de la production laitière via les coopératives. Elle est constitutive d’une identité locale, qui s’exprime à travers des patrimoines bâtis, des savoir-faire et des traditions. Plus encore, l’agriculture de haute montagne apparaît comme l’un des éléments essentiels de la capabilité territoriale, qui s’exprime dans une longue histoire de travail et de combats individuels et collectifs pour la pérennisation d’un système de production et d’organisation permettant aux agriculteurs d’en vivre. Pour autant, ce sous-système agricole ne fonctionne pas de manière autonome, il est fortement lié aux autres sous-systèmes territoriaux, et en premier lieu, au système touristique. Par les revenus complémentaires qu’il génère pour les agriculteurs, le tourisme apparaît essentiel au maintien de l’agriculture de haute montagne. Par l’entretien des paysages et le maintien d’une identité locale forte, l’agriculture contribue à cette « carte postale » et ce « caractère village » tant recherchés par les touristes. Il convient donc à présent de s’attarder sur ce sous-système touristique, dont on verra qu’il contribue également à la structuration du territoire d’Aussois.

Le sous-système touristique

100Aussois s’inscrit dans un contexte alpin qui a intégré pleinement la dynamique de l’essor de l’activité touristique au cours du xxe siècle. Cependant, cette commune diffère des autres collectivités montagnardes pour plusieurs raisons. Dans l’évolution actuelle et étant donnée sa position altitudinale relativement basse et son exposition en adret, Aussois se distingue des autres stations en maintenant une activité de tourisme hivernal dynamique favorisée par ses ressources hydriques exceptionnelles, liées aux infrastructures hydroélectriques. Eau et énergie électrique représentent des ressources abondantes et peu coûteuses pour cette commune. Cette configuration exceptionnelle lui assure une activité du tourisme hivernal là où les autres communautés montagnardes sont confrontées à une baisse de l’enneigement et à un renchérissement du coût de l’énergie. En outre, Aussois est adossée au rebord méridional du Parc national de la Vanoise, dont la présence joue un rôle ambigu.

  • 3 Nota : les estimations monétaires ont été réalisées sur la base d’un tableau de bord des consommat (...)

101Le schéma d’activité (Figure 15) qui tente de faire la synthèse de cette analyse reflète le fait que l’activité touristique constitue un système articulant de nombreuses ressources et de nombreux acteurs de manière très interdépendante. Mais en définitive, ce sont moins les liens matériels et immatériels qui circulent entre les acteurs locaux qui font la cohésion et la dynamique du système que le nombre des rétroactions : impact de l’attrait des touristes pour ce village et l’acquisition immobilière sur l’augmentation des impôts locaux et du coût du m2, impact de l’activité touristique sur le développement d’autres activités et de services de proximité participant à conserver le caractère « village » de la station qui attire en retour les touristes, impact de l’agriculture sur le paysage d’Aussois et conflits d’usages entre tourisme et agriculture, etc.3.

Figure 15. Métabolisme socio-écologique du sous-système touristique.

Les flux entrants

102Les principaux flux sont matérialisés par la fréquentation touristique. Pour l’été 2012, 65 000 titres de transport de remontées mécaniques ont été vendus alors que leur chiffre se montait à 82 100 titres pour la saison hivernale 2012-2013. L’hébergement marchand représente 945 lits, en 2012, avec 3 hôtels, 20 résidences de vacances, 6 centres de vacances, 4 refuges, 2 chambres d’hôtes, une auberge, une maison familiale et un camping. En 2013, il y avait 16 établissements de restauration.

103L’activité touristique est grosse consommatrice de matériaux incorporés aux infrastructures des activités des remontées, béton, pylônes, câbles, nacelles, etc. Elle l’est aussi pour ce qui concerne les hébergements. Les infrastructures d’accueil comme celles des activités de loisirs nécessitent un apport électrique qu’Aussois peut dépenser généreusement grâce aux tarifications privilégiées dont dispose cette commune, en raison de la présence des barrages et des infrastructures hydroélectriques sur son territoire. De même, grâce à ces relations privilégiées, la commune d’Aussois peut utiliser en grande quantité l’eau qui lui est très utile pour produire de la neige artificielle indispensable pendant la saison de ski, d’autant plus indispensable que les conditions d’enneigement sont peu favorables en raison de l’impact de l’évolution climatique (Meyer et Sinabell, 2011) particulièrement prononcé, en théorie, étant donnée l’orientation en adret de la station. Cette abondante ressource en eau permet même à la commune de développer des activités ludiques en été, autour d’une thématique de jeux d’eau (bassin, pataugeoire, jacuzzi, ruisseau dynamique, jets d’eau, petits barrages, canaux, etc.).

104La présence d’une population nombreuse accroît la demande en produits de consommation notamment alimentaire, fournis par une boulangerie et deux points de vente de type superette. Cela se traduit par des flux d’importation de matière première, comme la farine pour la boulangerie mais surtout de produits de détail, emballés ou frais. La coopérative laitière d’Aussois bénéficie aussi de la vente liée à la fréquentation touristique puisque pas moins de 75 % de son chiffre d’affaires en est tributaire. C’est bien là encore le Beaufort qui semble assurer l’attractivité de la production locale.

105Au-delà, c’est bien entendu l’espace touristique et paysager qui figure parmi les éléments porteurs de l’activité touristique tout au long de l’année : les espaces parcourus par les skieurs et les randonneurs sur les espaces balisés et ouverts au public.

Les flux sortants

106Cette activité touristique engendre des flux sortants, notamment des déchets. Les infrastructures de collecte et d’acheminement, par les collecteurs, aboutissent à la station d’épuration intercommunale de la Praz qu’Aussois finance en grande partie. Cependant, cet équipement de qualité contribue, à l’instar d’autres infrastructures difficilement finançables sans tourisme, à la mise à disposition de nombreux services à la population d’Aussois.

107Le tourisme engendre des revenus monétaires pour la commune, pour les professionnels de l’activité mais aussi pour tous les habitants puisqu’il est pourvoyeur d’emplois qui peuvent être saisonniers pour les agriculteurs du territoire, ou bien qui attirent des travailleurs venus de l’extérieur pendant la période estivale ou dans les services de restauration, d’hôtellerie ou d’encadrement des activités de loisirs.

Les jeux d’acteurs du sous-système touristique

108Comme nous l’avons envisagé plus haut, la motivation des acteurs s’inscrit comme un élément explicatif de la structuration du système spatial.

109Ainsi, dans le registre du tourisme, nous avons la possibilité de proposer une typologie de motivations d’acteurs à la lumière des entretiens effectués, ainsi que des retours d’expériences issus de la connaissance de ce qui existe dans la littérature sur les trajectoires de situations équivalentes concernant des stations touristiques montagnardes.

Les acteurs directement liés aux activités touristiques

110Dans le cas d’Aussois on peut distinguer trois grands types d’acteurs fortement concernés par l’activité touristique : les professionnels en lien direct avec cette activité, la commune d’Aussois, les touristes.

Figure 16. Organisation de la filière touristique.

Figure 17. Jeux d’acteurs de la filière touristique.

Les professionnels directement liés au tourisme

111Ce sont ceux qui ont une activité en lien avec l’accueil et les consommations des touristes, les professionnels de l’immobilier locatif, ceux de l’hôtellerie et de la restauration, les commerçants, les entreprises du BTP, etc. Le tourisme est considéré comme une activité vitale, pourvoyeuse de revenus et c’est la fréquentation ainsi que le niveau de consommation qui constituent le baromètre de cette motivation. Le tourisme est vécu comme étant le premier vecteur de la richesse individuelle et collective. Il génère des revenus et des emplois. C’est avant tout la dimension économique qui est soulignée même si certains professionnels évoquent aussi la motivation de préservation de la ressource paysagère. Les professionnels du tourisme ont une relation symbiotique avec les agriculteurs qui occupent des emplois en particulier dans certaines activités du tourisme hivernal, mais qui ont une action d’entretien des pistes à travers l’usage du pâturage sur ces parcours. En retour, les touristes font des achats de produits agricoles. D’ailleurs, de nombreux professionnels rencontrés ont une opinion favorable des agriculteurs qu’ils considèrent comme un élément attractif et patrimonial de la montagne. Le Parc de la Vanoise est considéré de manière ambivalente. Si de nombreux professionnels estiment que la valeur de naturalité défendue par le Parc est un facteur d’attractivité, en particulier pour la fréquentation estivale, en revanche, l’emprise territoriale est un frein à l’essor de l’extension du domaine skiable dans les parties hautes de la commune intégrées au territoire labellisé. Avec EDF, l’appréciation est plus simple : il semble indéniable que l’activité touristique soit très liée à l’apport énergétique et à cette situation exceptionnelle dont bénéficie la commune.

La municipalité d’Aussois

112C’est elle qui gère le patrimoine public et aussi les installations de l’activité touristique, les remonte-pentes, les télésièges, etc. Sa motivation consiste à développer l’activité touristique, facteur de développement du territoire, mais aussi élément indéniable de la rente qui en découle. Cet ensemble a des conséquences sur l’entretien de la voirie et sur le maintien des services offerts par la commune. La commune participe à l’image de marque de la station touristique, en prenant appui sur la qualité de ses équipements (internalités ou ressources internes positives directes), mais aussi d’un ensemble d’externalités positives comme son accessibilité, l’environnement naturel et donc le lien ambivalent avec le Parc de la Vanoise, attractif pour l’image de marque de la naturalité mais répulsif en ce qu’il représente un ensemble de contraintes pour l’équipement touristique. Elle a créé une régie communale qui finance et exploite les remontées mécaniques et les équipements touristiques, en particulier la garderie, le camping municipal, les équipements d’été (terrain de tennis, stand de tir à l’arc, minigolf, jeu de boules, etc.). En 1971, elle a mis en place la centrale de réservation qui facilite et centralise la gestion de l’hébergement sur la commune. Depuis 1986, elle s’est dotée de la Maison d’Aussois regroupant sous un même toit tous les services touristiques.

113La commune vise à valoriser son image de marque. Elle mène une politique de requalification et de balisage. L’opération consiste à améliorer la signalétique, les éclairages, la mise en valeur des monuments, le mobilier urbain. C’est dans cette démarche, qu’elle effectue un démarchage de financements publics afin d’améliorer l’accessibilité à tous les types de publics.

Les touristes

114Les touristes représentent évidemment aussi une catégorie d’acteurs mais leurs motivations sont variées. Ce sont des consommateurs qui veulent disposer des services à la mesure de leur investissement : les locations, les loisirs, les infrastructures, l’entretien des pistes, la restauration, etc. Les activités sont variées :

  • En hiver, ski alpin, ski nordique, ski de randonnée, raquette, chien de traîneau.
  • En été, promenades, randonnées en haute montagne, alpinisme, escalade, VTT, parapente, via ferrata, parcours de mise en forme, découverte du patrimoine naturel de la Vanoise, découverte du patrimoine culturel, comme le fort de l’Esseillon ou le parc archéologique.

115Ils apprécient les infrastructures comme la Maison d’Aussois. En même temps, ils viennent, pour une part croissante, à la recherche des produits locaux, des éléments de naturalité contribuant à leur évasion, à leur resourcement, à cette demande en aménités autres que la seule activité consumériste des loisirs offerts par la station de ski. Ils sont motivés, en été, par la qualité des paysages, par les potentialités de randonnées à la découverte des milieux naturels, en particulier sur les chemins offerts par le réseau entretenu. L’image du Parc de la Vanoise renforce cette attractivité de la commune pour les touristes. Toutefois, ils sont aussi, pour certains, « sensibles à l’activité des agriculteurs » avec qui ils sont cependant en conflit lorsqu’ils sont confrontés aux attitudes agressives des patous.

Les autres acteurs : le Parc de la Vanoise et les agriculteurs

116Le Parc national de la Vanoise a intérêt au développement touristique parce que la connaissance de la faune, de la flore, des habitats, des paysages naturels, constitue une de ses missions. Elle s’accompagne d’ailleurs assez souvent d’une offre commerciale d’accompagnement et de vente de produits labellisés par le parc, des livres, des objets (foulards, etc.). La fréquentation par les touristes des milieux naturels du Parc, de ses agents et de ses points d’accueil valorise l’image de marque des parcs et contribue donc à participer à leur acceptation.

117À cette catégorie d’acteurs en relation plus ou moins indirecte avec le tourisme, s’ajoutent nécessairement les agriculteurs, dont une part croissante de l’activité complémentaire, surtout en hiver, consiste à travailler dans les métiers des activités du tourisme, du travail en relation avec les équipements touristes (perchmen, entretien des pistes, etc.) ou avec l’encadrement des touristes, par exemple en tant que moniteurs de ski. En outre, le tourisme entre dans la valorisation des productions par le biais de la vente des produits locaux notamment des fromages de l’appellation d’origine protégée du Beaufort. Ceci n’empêche pas l’expression de conflits notamment pour tout ce qui concerne le foncier : le tourisme est considéré comme responsable de la pression sur le foncier le plus disponible sur les bas des versants, ceux les plus exploitables notamment pour la production de foin.

Pouvoir, système de légitimité et capabilité

118La capabilité liée à l’activité touristique dépasse largement les objectifs et intérêts de la seule communauté touristique (Figure 18). Pour la plupart des acteurs locaux, l’expression de cette capabilité peut se traduire de manière individuelle par la capacité à continuer à vivre à Aussois, à pérenniser son mode de vie, et de manière collective à continuer à faire vivre le village d’Aussois dont le poumon économique reste le tourisme. La capabilité individuelle est liée à la capabilité collective : ce n’est qu’en continuant à faire vivre le village que les acteurs pourront pérenniser leur mode de vie actuel. Pour ce faire, les acteurs locaux disposent de ressources existantes qu’il convient néanmoins d’entretenir, a minima, et de développer. De manière individuelle, en multipliant les activités liées au tourisme afin de pouvoir vivre, voire mieux vivre, à Aussois : « la multi-activité, c’est la règle en haute montagne » (Patrick Col, guide). Pour Didier Manoury, président de T’M Vivre en Vanoise, cette multi-activité est garante d’un bon pouvoir d’achat pour les acteurs locaux : le revenu des gens résidant dans des stations est composé de leur « revenu professionnel » et d’un « complément » généré par la location saisonnière d’appartements et le double emploi. Ainsi, le niveau global des revenus et du pouvoir d’achat, le « niveau de vie » est perçu comme supérieur au niveau national.

119De manière collective, le développement des ressources existantes concerne :

  • la création de nouvelles capacités d’hébergement : « s’il n’y a pas une fuite en avant, en créant de nouveaux [hébergements], et bien tout va s’effondrer : les commerces ne tourneront plus, les remontées mécaniques ne tourneront plus, etc. » (Patrick Col, guide)
  • le développement du tourisme d’été : « On est resté sur un produit d’été avec des gens qui marchaient. Ce qui était naturel, de marcher, cela ne l’est plus. Il faut développer une offre pour des gens qui sont occasionnellement marcheurs, mais qui viennent surtout chercher de la détente. » (Didier Manoury, président de T’M Vivre en Vanoise)
  • l’agrandissement du domaine skiable : « notre seule carte à jouer, c’est de s’étendre un peu – 50km, c’est un peu petit – mais surtout monter en altitude. Pour pouvoir afficher au-delà de 3000. » (Patrick Col, guide)

Figure 18. Capabilité liée à l'activité touristique.

120Or, de l’avis des acteurs sollicités, et notamment du président de l’association T’M Vivre en Vanoise mobilisée contre la Charte du Parc National de la Vanoise, celle-ci remettrait en cause la capacité des acteurs locaux à maîtriser les modes de fonctionnement leur permettant de continuer à vivre et à faire vivre Aussois. En définitive, la principale ressource dont dispose aujourd’hui le Parc est la maîtrise de l’espace sur le périmètre du parc, et notamment de l’espace foncier disponible. En effet, la Charte est opposable au Schéma de Cohérence Territoriale, lui-même opposable aux Plans Locaux d’Urbanisme : « Le Parc est un échelon supplémentaire et un échelon très puissant […] Ils ont pris sous leur coupe, absolument tous les domaines : tout ce qui est patrimoine, tout ce qui est histoire, tout ce qui est, et c’est normal, faune, flore, tout ce qui est eau… Donc ils n’ont plus besoin de l’ONF, ils ont plus besoin de RTM, des bâtiments de France. Ils sont omniscients, omnipotents… Ils ont plus besoin de maires. » Ainsi, le Parc est doté d’un pouvoir légal et administratif qui vient conforter son pouvoir charismatique : « les Parcs nationaux bénéficient d’une bonne image a priori. Donc les gens sont a priori, sans connaître les dossiers, pro-parcs. »

121Pour les acteurs locaux, la Charte proposée par le Parc entraîne une perte de la maîtrise locale sur la gestion du foncier et donc sur la capacité du village à développer son activité économique, et plus particulièrement touristique. Le village perdrait ainsi sa capacité à pérenniser son développement et son existence : « si les activités disparaissent, c’est que les gens n’en vivaient plus décemment. C’est la même chose pour les stations. A terme, ils auront des villages morts ou des villages dortoirs. Ce qui est vrai pour Aussois et les villages stations, est aussi vrai pour Modane qui dépend de l’activité des stations autour. Sans les stations, il n’y a plus Modane. »

122Dans les controverses qui ont lieu autour de la Charte du Parc National de la Vanoise, on peut ainsi mettre en évidence la confrontation au sein même du système de légitimité « civique », avec une définition différente de ce qui constitue la volonté générale et l’intérêt commun. D’un côté, le Parc National de la Vanoise défend un intérêt commun global, celui de « préserver un patrimoine naturel, culturel et paysager exceptionnel » (premier objectif de la charte). De l’autre, l’association T’M Vivre en Vanoise défend un intérêt commun local, celui de pouvoir disposer librement des ressources locales pour un développement local : « Quand ils auront remis les acteurs locaux au cœur du débat, il y a certainement moyen de trouver des accords pour permettre à tout un chacun de trouver un équilibre. On n’a aucun intérêt à esquinter la montagne. » En d’autres termes, si ces acteurs s’accordent à évoquer l’intérêt général, leur désaccord porte sur l’échelle à prendre en compte dans la définition d’un intérêt commun.

Tableau 3. Pouvoir, légitimité et intérêt des parties prenantes du sous-système touristique d’Aussois

Pouvoir

Légitimité

Urgence, Intérêt, Motivation

Les professionnels directement liés au tourisme

Pouvoir économique : apport de revenus pour eux-mêmes mais aussi pour les activités annexes.
Pouvoir à attirer et à dynamiser le territoire (proposition d’activités et entretien des infrastructures).

Acteur légitime puisqu’ils accueillent les touristes.
Légitimité en termes de savoir-faire, de capacité d’accueil et de propositions d’activités (attractivité du territoire).

Intérêt économique important pour le tourisme sous peine de disparaître.

La Commune d’Aussois

Pouvoir administratif et économique (organisation pour la location des logements, proposition de services, création de la Maison d’Aussois par exemple).

Acteur légitime (la station de ski est en régie communale, acteur clé concernant le foncier et l’aménagement du territoire, Maison d’Aussois, responsable de l’entretien des infrastructures)

Intérêt économique (maintien d’activités), culturel (maintien et échange autour du patrimoine)

Les touristes

Pouvoir économique (ils participent au maintien de certains services et activités) et culturel (valorisation de la production)

Légitimité

Intérêt et motivation variés (repos, activités sportives, récréatives ou culturelles, achats de produits locaux, paysages)

Le Parc de la Vanoise

Pouvoir économique et culturel (offre commerciale, échange de connaissance)

Légitimité car le Parc participe au renforcement de l’attractivité du territoire ainsi qu’à l’entretien du paysage.

Motivation : Le Parc a notamment pour mission de communiquer autour de la connaissance du milieu naturel et anthropique du Parc

Les agriculteurs

Pouvoir culturel et paysagé

Intérêt économique pour vendre leurs produits ainsi que pour éventuellement disposer d’un emploi saisonnier

123Le sous-système touristique constitue la principale source de création de richesses du territoire d’Aussois. En témoigne l’interdépendance des autres activités avec le tourisme, une interdépendance qui peut être vécue, à l’échelle individuelle, par la multi-activité notamment, et à l’échelle collective par l’impact du tourisme sur le maintien des conditions nécessaires pour faire vivre le village. Cette interdépendance pose ainsi la question de la vulnérabilité du village d’Aussois face aux conséquences économiques d’une crise du secteur touristique, ou aux contraintes extérieures pesant sur le développement de l’offre touristique (charte du Parc notamment). Ce qui explique la volonté des acteurs locaux de conserver la maîtrise locale sur la gestion du foncier, sur les choix en matière de développement économique et sur l’ensemble des leviers permettant de pérenniser cette source de création de richesses. Parmi ces leviers, la ressource naturelle et abondante en eau, convertie en hydroélectricité, constitue un enjeu majeur. Nous verrons dans le prochain paragraphe que le sous-système Eau-Energie a permis l’essor du tourisme grâce au développement d’une capacité financière importante garante du modèle « village station » affranchi de toutes subventions ou investissements privés. Il permet même aujourd’hui d’envisager de maîtriser les impacts liés au réchauffement climatique par la production de neige artificielle.

Le sous-système eau-énérgie

124On s’intéresse ici à la ressource hydrique en tant que facteur de création de richesse, principalement par le développement de l’industrie hydroélectrique. L’eau, comme nous le détaillons ci-dessous, joue également un rôle majeur, tant pour le développement de l’agriculture et de ses activités annexes que pour celui du tourisme. Néanmoins, c’est lorsque l’usage de l’eau est consacré à la production d’énergie que l’on relève une captation de richesse directement liée à son exploitation.

L’eau et la commune d’Aussois

125On identifie principalement deux périodes permettant de distinguer des « régimes hydriques » sur la commune d’Aussois. Jusqu’en 1952 (date de mise en service de la centrale électrique d’Aussois), l’usage de l’eau, ressource abondante sur le territoire, était principalement destiné au développement de l’activité agricole sous son régime silvo-agropastorale (cf. Chapitre 5) : « L’hivernage des vaches nécessite un stockage de foin beaucoup plus important que pour les chèvres et les brebis. Le but principal de l’irrigation n’était pas les cultures mais bien les prairies de fauche. Il fallait les arroser pour améliorer le rendement en herbe. C’est un engrenage : plus de gens, plus de vaches, plus de foins et donc plus d’eau » (Meilleur in. SCIM, 2013). Un réseau de canaux, permettant d’assurer à la fois la production de fourrage pour le bétail, l’alimentation en eau des alpages et l’alimentation en eau des artifices (scieries, moulins, etc.), avait alors été créé et ensuite géré de manière collective par les habitants de la commune. « Onze canaux ont été répertoriés sur la commune d’Aussois ; {…} faisant un total de 14,3 km de longueur. Cinq de ces canaux, dénommés, étaient consacrés à l’arrosage des prairies de fauche dans la partie centrale de la commune. Deux autres, plus haut en altitude dans la partie centrale de la commune, desservaient les chalets d’alpage. Quatre canaux d’amenée ont été répertoriés {…} » (Meilleur, 2012 : 48). Bien que l’enjeu principal de la construction de ces canaux soit l’irrigation, l’usage de l’eau comme source d’énergie mécanique pour le fonctionnement d’artifices comme les scieries et les moulins montre déjà, avant l’avènement de l’hydroélectricité, le potentiel de captation de revenu généré par la ressource en eau (Figure 19).

126À partir de 1952, cet usage « traditionnel » de l’eau à Aussois devient marginal à l’aune du développement de l’industrie hydroélectrique à l’échelle, au minimum, du massif de la Vanoise. Deux barrages sont construits en amont d’Aussois, ainsi qu’une usine hydroélectrique en aval, sur le territoire de la commune d’Avrieux. La ressource en eau devient alors une source plus directe de revenus pour la commune d’Aussois. Il y a d’abord la construction en elle-même et les emplois créés, bien que temporaires. Ensuite, les taxes professionnelles payées par EDF à la commune, puis les bénéfices tirés d’un accès à un tarif préférentiel, par régie municipale, à la fois à l’eau et à l’électricité (Figure 20).

Eau et énergie à Aussois avant 1950 (principaux flux et rétroactions)

Eau et énergie à Aussois avant 1950 (principaux flux et rétroactions)

Figure 19. Métabolisme socio-écologique du sous-système Eau-Energie avant 1950. Eau et énergie à Aussois avant 1950 (principaux flux et rétroactions)

127Ce développement hydroélectrique a en outre permis, d’une certaine façon, l’essor du tourisme grâce à la capacité financière nouvellement acquise par la municipalité, lui permettant d’investir dans l’aménagement d’une station de sports d’hiver équipée de remonte-pentes. Cette nouvelle activité viendra ensuite modifier encore les modalités d’usage de l’eau sur la commune, d’une part, par la demande en eau générée par l’afflux touristique saisonnier, d’autre part et ultérieurement, par le développement d’une capacité d’enneigement artificiel, indissociable de la viabilité d’une station de sports d’hiver « moderne » :

« Lorsqu’au début des années 1970 les sports d’hiver se généralisent, les communes des hautes vallées se tournent résolument vers le développement touristique, bénéficiant avec les redevances EDF, d’une capacité d’emprunt sans rapport avec les possibilités budgétaires des communes rurales de mêmes dimensions (de l’ordre de 300 à 700 habitants)... Le rôle de la ressource énergétique locale a donc été parfois déterminant dans le décollage de certaines stations de sports d’hiver alpines. Le lien étroit entre hydroélectricité et développement touristique est incontestable. Dans un cadre géographique compartimenté, où la modestie des domaines skiables potentiels avait rebuté les promoteurs privés, l’auto développement de ces stations n’aurait probablement pas eu lieu sans les revenus EDF. » (Marnezy, 2003)

128Le développement du tourisme a donc eu une influence importante à la fois sur la modalité d’usage de la ressource en eau, sur les infrastructures à construire, et sur les volumes consommés et à dépolluer.

129D’abord, la construction d’une usine à neige permettant le maintien d’un modèle de développement touristique centré sur le ski a été indispensable pour une commune telle qu’Aussois. Cela implique la mise à disposition de 180 000 m3 d’eau directement captée dans le barrage du Plan d’Amont pour la fabrication de neige artificielle.

130Ensuite, en pleine saison touristique, la population (résidents + touristes) du village d’Aussois passe d’environ 700 habitants à environ 5000 personnes hébergées. Cela a des conséquences, d’une part sur les volumes d’eau consommés et d’autre part sur les volumes d’eau à dépolluer. Le durcissement des réglementations française et européenne concernant les eaux usées, ainsi que les volumes en jeux sur le canton de Modane (sept communes dont Aussois et deux autres, Villarodin-Bourget et Modane, disposant d’un domaine skiable et d’une capacité d’hébergement touristiques) ont ainsi mené le Syndicat Intercommunal du Canton de Modane (SICM) à investir dans une Station d’Epuration des Eaux Usées (STEP) mise en service en 2008. Cette STEP a été dimensionnée de façon à pouvoir absorber le surplus d’eaux usées généré par l’afflux touristique essentiellement hivernal.

131Une plateforme de compostage destinée à valoriser les boues d’épuration a été associée à cette STEP. Ces boues, mélangées à des déchets verts, permettent la production d’un compost redistribué aux communes du canton et servant notamment à la végétalisation des pistes de ski, ce qui permet de mieux tenir la couche de neige en saison hivernale. Cette matière compostée ne peut cependant pas être épandue à plus large échelle, le cahier des charges de l’AOC Beaufort ne permettant pas l’usage de ce type de compost sur les prés de pâtures.

132Malgré le développement de l’hydroélectricité puis du tourisme, on assiste également sur la période récente à une réaffirmation des problématiques liant agriculture et gestion de l’eau. La production de Beaufort et l’agrandissement du cheptel bovin correspondant font apparaître des difficultés d’approvisionnement en fourrage et la nécessité d’un accroissement de la production fourragère sur les prairies alpines de la Vanoise :

« Les surfaces de prairies de fauche irriguées par aspersion en vallée, en particulier sur les communes d’Aussois, Sollières-Sardières et Séez, ont presque triplé entre 2000 et 2010, passant de 353ha à 934ha. L'irrigation reste très localisée et maîtrisée, mais les demandes sont en augmentation, afin d'assurer la production fourragère indispensable à la production du Beaufort. Faute de données précises, les besoins d’eau dans les alpages de Vanoise sont évalués à 183  500 m3 /saison. Les cheptels présents en permanence en Vanoise consommeraient255 600 m3 d'eau supplémentaires, ce qui porte la consommation globale d’eau par les cheptels et les alpages à environ 440 000 m3 par an. Le problème d’alimentation en eau se pose sur des alpages de Haute Maurienne, où35 des113 alpages étudiés en2006 manquaient d'eau. » (PNV, 2013 : 16).

133Aujourd’hui, à Aussois, un réseau enterré permet l’irrigation de 50 ha sur le plateau d’Aussois. Au niveau agronomique (nature des sols, évolution des températures, évapotranspiration), on estime à 2 000 m3 d’eau nécessaires pour l’irrigation d’un hectare (référence pour la Haute Maurienne), soit une consommation théorique de 100 000 m3 pour l’irrigation à Aussois. Or, les pratiques actuelles entraînent une surconsommation : manque de temps et de main-d’œuvre pour couper les systèmes d’irrigation, manque d’organisation entre les différentes parcelles, etc. C’est d’autant plus vrai à Aussois du fait des barrages : au moment de la création des barrages EDF et des canalisations qui acheminent l’eau au barrage, il a été convenu qu’en compensation de l’utilisation d’une eau historiquement utilisée pour l’irrigation, EDF cède, gratuitement, un volume défini pour l’irrigation et la neige de culture. Ces volumes couvrent les besoins, y compris ceux liés à l’extension de la surface fourragère.

134Les enjeux soulevés par l’irrigation à Aussois sont liés à la question de l’autonomie fourragère des exploitants agricoles engagés à respecter le cahier des charges du Beaufort. A Aussois, tous les éleveurs font du foin. D’anciens agriculteurs retraités, propriétaires de parcelles, exploitent également le foin pour le vendre à Aussois et dans les communes voisines.

135Sur toute la Haute Maurienne, d’Aussois jusqu’à Bonneval, 21 % du foin consommé est acheté (en Italie, mais surtout aux établissements Martinello Frères, à Saint Maurice en Trièves (Isère), et finalement peu en Savoie) et 79 % est produit localement en Haute Maurienne. Ces chiffres globaux cachent une diversité de situations individuelles : certaines exploitations rencontrent de réelles difficultés à maintenir une production fourragère locale de 75 % et sont amenées à changer leurs pratiques.

136Pour les 41 producteurs laitiers de la coopérative, cela représente donc 1 200 tonnes de foin achetées. Pour viser l’autonomie fourragère, cela équivaut à augmenter les surfaces de fauche de 100-200 hectares avec un rendement moyen, ou à augmenter le rendement moyen des surfaces existantes, par l’irrigation notamment. Ainsi, l’enjeu de l’irrigation consiste à augmenter le rendement sur les parcelles existantes et ainsi à limiter les importations de foin.

137L’enjeu est donc à la fois d’étendre le réseau d’irrigation (en passant de 50 ha à 110 ha) et d’optimiser les pratiques d’irrigation pour se rapprocher de la consommation théorique (2 000 m3 d’eau/ha) par l’organisation d’un collectif d’irrigants. Par la mise en place d’une association d’irrigants, l’enjeu est d’impulser des pratiques collectives d’irrigation (arroser aussi les parcelles voisines pour optimiser la ressource qui est disponible, mutualiser des équipements et, à terme, mutualiser un emploi pour la gestion de l’irrigation), et ce pour respecter les contraintes réglementaires, notamment européennes, liées au prélèvement dans les cours d’eau et à l’optimisation des consommations.

138Malgré la relative abondance en eau, propre au climat alpin, le sous-système hydrique de la commune d’Aussois fait donc apparaître une forte pression sur la ressource.

139Nous nous intéresserons plus spécifiquement dans la suite de ce point à l’eau-énergie sur la période 1952-2013. Cette période se caractérise en effet par l’avènement de l’industrie hydroélectrique. L’exploitation de l’eau-énergie devient alors une source majeure de revenu et, un facteur explicatif du dernier changement de régime socio-écologique se traduisant par la « modernisation » de l’agriculture et l’avènement du tourisme (cf. chapitre précédent).

Les flux entrants du sous-système eau-énergie après 1952

140La structure du métabolisme socio-écologique liée à l’énergie à Aussois témoigne d’une certaine opacité de la gestion des flux électriques au niveau de la commune. Cette opacité ne permet pas de quantifier et de monétariser l’ensemble des interactions entre les différents acteurs de cette activité de production et de distribution de l’électricité. Cette opacité peut être comprise comme le gage d’une certaine maîtrise de la commune sur cette activité par ailleurs fortement régie par la réglementation et la contractualisation avec EDF. Une seule rétroaction peut être identifiée dans les éléments recueillis, à savoir celle qui montre comment le système s’autoalimente : la régie électrique fournissant la station en électricité en retire des bénéfices, qu’elle réinjecte par la suite pour le financement du fonctionnement des remontées mécaniques.

Eau et énergie à Aussois après 1950 (principaux flux et rétroactions)

Eau et énergie à Aussois après 1950 (principaux flux et rétroactions)

Figure 20. Métabolisme socio-écologique du sous-système Eau-Energie après 1950. Eau et énergie à Aussois après 1950 (principaux flux et rétroactions)

141Les flux entrants pour l’exploitation de l’eau énergie ont été en premier lieu une quantité importante de matériaux de construction et de main-d’œuvre pour la construction des infrastructures nécessaires à cette activité. Ces flux matériels importants au moment de la construction des infrastructures sont aujourd’hui considérablement réduits et correspondent essentiellement aux apports nécessaires à l’entretien des infrastructures. On distingue également des flux immatériels indispensables au fonctionnement de ce sous-système : d’une part une politique volontariste en matière de développement de l’hydroélectricité de la part des institutions nationales permettant le lancement de projets d’infrastructures de cette envergure, d’autre part, la recherche, le développement, et la mise en œuvre de technologies maîtrisées par des acteurs indépendants du territoire d’Aussois. L’importance de ces deux flux immatériels, et, le fait qu’ils ne soient pas maîtrisés par les acteurs du territoire, permettent de marquer une évolution importante entre les deux régimes du sous-système eau-énergie, avant et après 1952. D’un régime très autonome basé sur une proximité physique, organisationnelle et institutionnelle forte, permettant le maintien d’un système d’exploitation de l’eau-énergie basé sur une gestion communautaire, on passe à un régime au sein duquel la communauté « aussoyenne » n’a plus la maîtrise de l’exploitation de l’eau-énergie. En résulte a priori, une réduction de la capabilité du territoire d’Aussois correspondant à la perte d’autonomie du territoire en matière de gestion de l’eau. Néanmoins, cette perte relative d’autonomie (par l’existence d’une régie municipale, la commune d’Aussois conserve un rôle dans la gestion de l’eau, ce qui n’est pas le cas de la grande majorité des municipalités françaises) concernant la gestion de l’eau doit être contrastée au regard des avantages que le territoire d’Aussois a su tirer du développement de la production hydroélectrique.

Les flux sortants du sous-système eau-énergie après 1952

142Pour le territoire d’Aussois, outre la modification du paysage et des structures traditionnelles d’irrigation et d’usage de l’eau énergie, l’avènement de l’hydroélectricité génère essentiellement des flux monétaires captés par la municipalité (taxe professionnelle, bénéfices de la régie électrique) et plus marginalement par ses habitants (économies réalisées sur le prix de l’énergie électrique). Comme cela a été mentionné plus haut (cf. analyse des sous-systèmes agriculture et tourisme), le développement de la production hydroélectrique sur le territoire d’Aussois a permis de générer des revenus pour la commune bien supérieurs à ceux perçus par les communes rurales de dimensions comparables. Ce sont ces revenus qui ont permis à la commune d’Aussois d’investir massivement dans des infrastructures touristiques et ainsi, de créer les conditions d’une dynamique économique permettant le développement du territoire. Paradoxalement, la perte d’autonomie concédée par le territoire d’Aussois pour la gestion et l’exploitation de l’eau-énergie a en définitive renforcé la capabilité du territoire. Alors que de nombreuses communes de moyenne montagne pâtissent d’un exode important, la commune d’Aussois a en effet réussi sa transition d’un régime socio-économique agro-silvo-pastoral traditionnel, à un régime essentiellement tourné vers le tourisme et permettant de retenir une activité économique significative et attractive sur son territoire.

Les jeux d’acteurs du sous-système eau-énergie

143Le schéma suivant (Figure 21), illustre les processus de coordination des acteurs de la production et de la distribution d’énergie sur le territoire d’Aussois aujourd’hui. Ces processus de coordination, liés en premier lieu aux différentes contractualisations et conventions avec EDF, confirment la faible autonomie, malgré la régie municipale, de la commune d’Aussois pour la gestion de l’eau-énergie.

Figure 21. Coordination de la filière Eau-Energie aujourd’hui.

144Les relations avec EDF sont dites « plutôt cordiales » car fondées sur une longue histoire de négociations et de collaborations : « on a un pacte de non-agression avec EDF » (extrait des notes prises lors de l’entretien avec Monsieur Fressard). Il fut un temps où EDF démarchait beaucoup la commune pour reprendre la gestion de la distribution et de la fourniture d’énergie. Aujourd’hui, en cas de renégociation des contrats, l’objectif d’EDF est de trouver des conditions « gagnant-gagnant ». Les contrats définissent le cadre réglementaire des tarifs pratiqués par la régie électrique communale. Or, la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes (2002) a mis en évidence l’existence de pratiques de discriminations tarifaires selon que l’usager est, ou non, résident permanent d’Aussois. Ce qui laisse à penser qu’il existe, au-delà de la contractualisation réglementaire, une certaine marge d’autonomie et de manœuvres pour les régies électriques de fixer des tarifs préférentiels pour rester concurrentiels.

145Ces processus de coordination, et notamment les conditions de maintien de ce modèle autonome et ce rapport dit « gagnant-gagnant » entre EDF et une petite régie communale, sont explicités par l’analyse des jeux d’acteurs et des rapports de pouvoir qui existent entre ces différentes parties prenantes (Figure 22 et Tableau 4).

Figure 22. Interactions et jeux d’acteurs autour de l’activité de production et de distribution d’électricité.

Tableau 4. Pouvoir, légitimité et intérêt des parties prenantes du sous-système Eau-Energie.

Tableau 4. Pouvoir, légitimité et intérêt des parties prenantes du sous-système Eau-Energie.
  • 4 . En 2016, une directive européenne mettra fin aux tarifs jaunes et verts. Les abonnés concernés de (...)

146Ces jeux d’acteurs et de pouvoir mettent en évidence les contraintes qui pèsent sur ce mode de fonctionnement en régie, et partant, la relative instabilité du modèle économique de développement du village d’Aussois. En effet, il existe une forte interdépendance entre EDF, la régie électrique et le développement touristique d’Aussois : 80 % de la taxe professionnelle globale perçue par la commune est assurée par EDF. Cette taxe a permis de financer, en grande partie, les installations liées à la station. Or, aujourd’hui, l’un des principaux abonnés de la régie est la station qui bénéficie, en retour, des bénéfices générés par l’activité de distribution de la régie. Ce qui fait dire + que « sans la présence d’EDF et sans les bénéfices générés par la régie électrique communale, le développement touristique d’Aussois n’est pas viable. Or, sans le tourisme, c’est toute l’activité économique d’Aussois qui serait déstabilisée » (Monsieur Fressard). L’évolution des directives européennes4 et la fin de la concession par EDF des barrages peut avoir un fort impact sur ce modèle de développement. En effet, en 2032, la fin de la concession par EDF des barrages entraînera une ouverture à la concurrence. Si EDF perd la concession, la commune devra donc en renégocier les termes avec le nouveau bénéficiaire, et pourra donc potentiellement perdre le bénéfice d’une « longue histoire de négociations et renégociations avec EDF » (entretien avec Monsieur Fressard).

L’accroissement de la capabilité

147Ces éléments d’analyse sont confortés par une lecture en termes de capabilité (Figure 23). La raison d’être de l’activité de fourniture et de distribution de la régie électrique communale est de « générer du bénéfice pour le développement de la commune » (Monsieur Fressard). nombre de le réseau des transformation et un une du la bien (ressources : le rachat de l’électricité sur national, postes de réseau de distribution, expertise locale sur site ainsi qu’un héritage historique fonctionnement en régie : « régie existe depuis 1923, avant la nationalisation d’EDF en 1946 » Monsieur Fressard). Par son fonctionnement, elle cherche à tirer le meilleur parti de ces ressources (défense du modèle des régies, réduction des coûts de fonctionnement de la régie, recherche d’atouts concurrentiels). Ces modes de fonctionnement sont soumis à de multiples aléas (évolution réglementaire, contrôle de la chambre régionale des comptes, etc.) qui peuvent venir entamer la capacité de la régie électrique à fournir les revenus nécessaires au développement touristique d’Aussois.

Figure 23. Capabilité liée à l'activité de distribution de l’énergie.

Quels systèmes de légitimités mobilisés ?

148Il est possible de lire, dans le discours tenu par le responsable de la régie électrique, un système de légitimité « civique » qui se constitue autour d’un intérêt général permettant de fonder et justifier une action collective. Le choix d’un mode de fonctionnement en régie communale est justifié par l’intérêt collectif à alimenter le développement du village, « à générer du bénéfice pour le développement de la commune » (Monsieur Fressard). Ce discours valorise donc cette organisation en régie, qui est garante d’une certaine maîtrise collective et locale sur l’activité de distribution de l’électricité : en définitive, la régie distribue la même électricité qu’ailleurs. La différence est que cette distribution permet de créer un emploi local, de maîtriser les tarifs de revente et de générer des profits aux bénéfices de la collectivité locale.

Le sous-système résidentiel

149Ce quatrième sous-système intègre l’ensemble des revenus (et leurs effets) qui irriguent l’économie locale d’Aussois sans lien direct avec une activité économique sur place aujourd’hui. Il s’agit des richesses que capte le territoire en raison de la présence de personnes qui y résident, mais n’y travaillent pas (actifs travaillant en dehors d’Aussois, retraités, chômeurs et autres inactifs percevant des revenus de transfert). Alors qu’au démarrage de ce travail ce quatrième sous-système avait été considéré à l’égal des trois autres, il a finalement été décidé de ne pas le traiter autant en profondeur. Ce choix est issu du constat de son importance moindre eu égard à ce que nous avons pu observer pour l’agriculture, le tourisme et le système eau-énergie. Par exemple, 30 % du parc de logements sont occupés à l’année (résidence principale), alors que 70 % sont des résidences secondaires incluses dans l’analyse du sous-système tourisme. Ou bien encore, 18 % de la population est retraitée, ce qui est moins que la moyenne nationale (21,6 %). Par ailleurs, nous étions partis de l’hypothèse qu’un territoire de montagne comme Aussois devait se caractériser par une longue tradition de migration « pendulaire » permettant de compléter la création de richesse interne par des apports extérieurs. En d’autres termes, nous pensions que la pratique consistant à travailler dans des communes voisines d’Aussois, en particulier au fond de la vallée où s’est développée une importante activité industrielle au xixe siècle, était une pratique répandue, presque une habitude. Les sources consultées nous ont montré qu’il n’en est rien ou, plutôt qu’il n’en a rien été au moins jusque dans les années 1960. Certes, les ressources locales ne suffisaient pas à nourrir l’ensemble de la population, mais la parade n’était pas le pendularisme, en un temps où les infrastructures favorisant la mobilité n’étaient encore que peu développées. Une partie de la population, consciente du déséquilibre entre besoins et ressources, a migré vers le fond de la vallée, vers le reste de la Savoie (et notamment Chambéry), vers Lyon, Grenoble ou Paris. Ces migrants ne revenaient que peu, voire pas du tout, au pays. On ne peut donc pas dire qu’avant une période récente il existât un sous-système tel que nous l’avons défini.

150Même si les effets générés en termes de mobilisation des acteurs et mobilisation des ressources matérielles et immatérielles sont moins structurants que ceux décrits précédemment pour les trois autres sous-systèmes, la somme et les effets de ces revenus ne sont pas totalement négligeables pour Aussois.

  • 5 32,3 % en 2011 selon les chiffres de l’Insee.

151Comme l’indique le tableau 1, environ 9 % de la base économique est constituée du revenu d’actifs résidents dans la communauté de communes Terra Modana, mais travaillant en dehors de ce territoire ; 15 % sont des retraites, 11 % des revenus de transfert. Si nous raisonnons à présent au niveau de la commune d’Aussois, près d’un actif sur trois5 travaille en dehors de la commune, ce qui reste un pourcentage assez faible, eu égard à la moyenne nationale (70 % des actifs d’une commune n’y travaillent pas). Si l’on fait l’hypothèse que les salaires de ces navetteurs sont en moyenne équivalents à ceux des résidents travaillant dans la commune, les revenus issus de ces emplois hors de la commune ont généré 1,9 million d’euros en 2011, en partie dépensés dans l’économie d’Aussois. Les pensions de retraites s’élèvent quant à elles à 2,3 millions d’euros cette même année. Les indemnités de chômage et les autres revenus de transfert représentaient 800 000 euros.

152Au total, sur une année, ce serait donc l’équivalent de 5 millions d’euros que ces résidents non actifs dans la commune peuvent injecter dans l’économie locale s’ils sont dépensés sur place, participant ainsi au développement économique.

153La Figure 24 nous montre comment se caractérise ce sous-système :

Figure 24. Métabolisme socio-écologique du sous-système résidentiel.

154Les revenus résidentiels sont facilités par tout ce qui permet de mieux vivre dans un territoire, que ce soit des ressources matérielles ou immatérielles. Ainsi, l’accessibilité de la commune, par une mobilité adéquate de la population, le niveau d’équipement en commerces, services au public, activités culturelles et récréatives, l’offre de logement et les prix immobiliers, le niveau d’éducation des résidents d’Aussois, mais aussi l’environnement naturel et paysager participent à l’attractivité résidentielle du site. La raison d’être principale de cette fonction résidentielle consiste à accroître les revenus monétaires disponibles sur la commune d’Aussois, les emplois tournés vers une consommation locale des ménages dans le secteur privé (commerces, services aux particuliers, médecins, agriculture…) mais aussi public. Des retombées, non monétarisables, méritent d’être soulignées. Des retombées négatives sont à souligner, dans la mesure où ces revenus génèrent de nouvelles mobilités en voiture et participent à la hausse du coût du foncier (bien que dans le cas d’Aussois, le tourisme a probablement encore plus d’impact sur ce dernier point). Mais des retombées et rétroactions positives sont aussi à souligner. Le maintien d’une vie économique et sociale locale favorisé par la présence à l’année de résidents permanents, retraités par exemple, peut favoriser l’arrivée de nouveaux revenus résidentiels. En témoignent les propos recueillis auprès d’une propriétaire d’un magasin de sport à Aussois :

« plus ça va, et plus il y a des gens de l’extérieur qui viennent s’installer. Des gens divers et variés. Alors, ça peut peut-être en déranger certains. Mais moi, je trouve ça plutôt enrichissant. Il y a vraiment des gros coups de cœur. Il y a des gens qui viennent en vacances ici, qui reviennent, qui se fidélisent. Pour moi, c’est positif. Je suis arrivée ici, il n’y avait pas de cantine, pas de péri-scolaire. Maintenant, il y a une cantine et il y a un péri-scolaire. La crèche, c’était 3 jours. Maintenant, elle est ouverte 4 voire5 jours. ».

155D’autre part, dans le cas des actifs pendulaires, le fait de se mêler à d’autres réalités socio-économiques se traduit par un enrichissement culturel pour ces personnes susceptibles de se diffuser sur le territoire aussoyen. Si l’esprit communautaire peut pâtir de ces actifs qui ne travaillent pas sur place et qui privilégient leur cadre de vie au détriment parfois d’activités économiques productives, il est possible que cela soit compensé par une ouverture d’esprit accrue, élément dont sont fiers les Aussoyens, lorsqu’ils rappellent que leur village se situe depuis plus de deux mille ans sur la route pour l’Italie. De fait, comparé à la période antérieure à 1960, il est possible d’indiquer en quoi ce pendularisme d’une partie des résidents d’Aussois, couplé à la migration hivernale liée aux emplois induits par l’activité touristique, contribue ultérieurement à inscrire Aussois dans un cadre territorial ouvert vers l’extérieur.

Conclusion

156Pour les besoins de l’analyse, nous avons distingué quatre sous-systèmes permettant d’expliquer l’essentiel des mécanismes de création de richesse. Trois de ces sous-systèmes ont un rôle particulièrement structurant par les ressources et les acteurs qui les mobilisent et sont en quelque sorte constitutifs du système territorial : l’agriculture, le tourisme et l’hydroélectricité. Le sous-système résidentiel complète ce tableau. Chacun à leur niveau, ces sous-systèmes contribuent à façonner le territoire dans sa dimension matérielle (environnement, paysages, infrastructures, etc.) et idéelle (identité, représentations, valeurs, etc.). L’agriculture contribue à entretenir la « carte postale » du village d’Aussois et à transmettre les connaissances et les valeurs inhérentes à un savoir-faire lié à la production de Beaufort. Le tourisme structure, quant à lui, le territoire comme « village-station », justifiant la construction d’une station de loisirs qui a de beaucoup modifié le paysage tout en perpétuant, auprès des habitants comme des touristes, une vie et une identité de village. Le développement et l’exploitation de l’hydroélectricité jouent également un rôle déterminant sur l’évolution de ce territoire de montagne, autant en termes d’aménagement avec la construction d’infrastructures, qu’en ce qui concerne la capacité des acteurs locaux à maîtriser le devenir de leur village. Enfin, l’économie liée à la résidence de titulaires de revenus ne travaillant pas ou plus (dans le cas de certains retraités) à Aussois est à même de maintenir un niveau d’activités économiques dédiées à la consommation des ménages résidents, mais aussi une vie associative qui participe au bien-être des personnes qui vivent à l’année dans ce territoire.

157Pour autant, ces sous-systèmes ne livrent qu’une vision partielle du système territorial dans son ensemble. Etant densément imbriqués, interconnectés voire interdépendants, ils n’ont de sens qu’articulés au sein d’un système territorial de création de richesses et d’autres sous-systèmes moins visibles (Figure 25). A l’instar des écosystèmes biologiques, les sous-systèmes territoriaux témoignent de plusieurs types d’interactions ou de symbioses, dont les effets peuvent être positifs et/ou négatifs pour chacun d’entre eux. Nous empruntons donc à la théorie des écosystèmes les notions de mutualisme, commensalisme et parasitisme pour décrire les symbioses qui existent entre les différents sous-systèmes composant le système territorial.

158Ainsi, le sous-système touristique apparaît fortement lié au sous-système agricole, au sein d’une interaction mutualiste caractérisée par une association à la fois positive et nécessaire : sources de revenus directs et complémentaires pour les agriculteurs, le tourisme apparaît comme l’une des conditions de maintien d’une agriculture de haute montagne soumise à de fortes contraintes matérielles et économiques. En retour, l’agriculture, pourvoyeuse de main d’œuvre saisonnière et garante de l’entretien des paysages, contribue à la mise en œuvre et au développement de l’activité touristique. Par ailleurs, le sous-système touristique est également lié au système Eau-Energie dans une association commensaliste : si la saisonnalité de la demande en eau et en énergie, inhérente au tourisme, n’affecte que peu le sous-système Eau-Energie, celui-ci paraît essentiel au développement et au maintien de l’activité touristique. En effet, les bénéfices générés par la régie électrique sont pour une bonne part investis dans les installations de la station et permettent ainsi une autonomie financière de la commune. Les sous-systèmes agricole et hydroélectrique sont liés par une interaction que l’on pourrait qualifier de parasitisme en analogie avec les écosystèmes biologiques : l’activité agricole, fortement consommatrice d’eau, est également la principale source de pollution impliquant la détérioration de la qualité de cette ressource. Enfin, le sous-système résidentiel interagit également avec les autres sous-systèmes territoriaux. Une interaction mutualiste le lie au sous-système agricole, les agriculteurs produisant les biens matériels (produits agricoles) et immatériels (paysage) que les résidents recherchent pour leur mode et leur cadre de vie. Une relation commensaliste articule les sous-systèmes résidentiel et hydro-électrique par la production d’eau et d’énergie nécessaire à la consommation résidentielle. Enfin, une relation de compétition, plus ou moins forte selon les saisons, s’opèrent entre les deux principales « espèces » du territoire, à savoir les résidents et les touristes, du fait d’une tension, plus forte en hiver, sur les ressources matérielles (infrastructures, ressources naturelles, etc.) et immatérielles (cadre de vie, calme, etc.) du territoire.

159Cette imbrication des sous-systèmes entre eux, à l’échelle du territoire d’Aussois, offre une vision systémique de la capabilité territoriale, à savoir de la capacité des acteurs à trouver et se saisir des ressources matérielles et idéelles pour s’accomplir en territoire. En puisant dans les ressources locales, les acteurs trouvent les moyens de maintenir et développer à la fois chaque sous-système territorial pris indépendamment et le système territorial dans son ensemble, par les interactions créatrices de richesses dans lesquelles s’imbriquent ces composantes.

160L’écologie territoriale a ainsi pour vocation d’offrir une vision systémique de la création de richesses, dans laquelle la richesse territoriale est comprise comme richesse produite à la fois à partir de ressources naturelles disponibles dans l’environnement et à partir des ressources construites par l’apprentissage individuel et collectif de la population. Nous l’avons vu, les réalités physiques (géologiques, hydrologiques, faunistiques, floristiques, climatiques, etc.) ne deviennent ressources ou richesses territoriales que dans l’interaction avec les activités humaines ; elles ne deviennent richesses qu’à partir du moment où les acteurs les révèlent comme ressources créatrices de richesses (Gumuchian et Pecqueur, 2007). Or, le territoire émerge de l’interaction, en termes d’actions physiques et de représentations, des acteurs avec un espace physique. Par cette interaction avec les réalités physiques, qu’il s’agisse de ressources, richesses, contraintes ou risques, les acteurs définissent leur environnement en territoire (Berque, 2000). Autrement dit, la création de richesses participe à la construction de l’espace en territoire. L’écologie territoriale participe ainsi d’un processus de construction territoriale en interpellant la création de richesses comme rapport fondamental des activités humaines avec les réalités physiques de l’environnement.

Figure 25. Système territorial de création de richesse à Aussois.

Bibliographie

Bibliographie

Boltanski L. et Thevenot L., 1987, Les économies de la grandeur, Paris, PUF (Cahiers du centre d'Etudes de l'emploi).

Boltanski L. et Chiappello E., 1999, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.

Brullot S., 2009, Elaboration d’une méthodologie sur la démarche à suivre pour lancer un projet d’Écologie Industrielle, thèse de doctorat en aménagement, Université de Technologie de Troyes.

Brullot S., Maillefert M., Joubert J., 2014, « Stratégies d'acteurs et gouvernance des démarches d'écologie industrielle et territoriale », revue Développement durable et territoire, vol 5, no 1, https://developpementdurable.revues.org/10082

Caillé A., 2009, Théorie anti-utilitariste de l’action : fragments d’une sociologie générale, Paris, Ed. La Découverte.

Davezies L., 2008, La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses, Paris, Seuil.

Deneulin S., 2002, « Perfectionism, paternalism and liberalism in Sen and Nussbaum’s capability approach », Review of Political Economy, Vol. 14, no 4, p. 497-518.

EEA, 2009, Regional climate change and adaptation. The Alps facing the challenge, European Environment Agency of changing water resources.

Eriksson C., 2011, “What is traditional pastoral farming ? The politics of heritage and “real values” in Swedish summer farms” (fäbodbruk), Pastoralism : Research, Policy and Practice, vol. 1, no 25, http://www.pastoralismjournal.com/content/1/1/25.

Godard O., 1990, « Environnement, modes de coordination et systèmes de légitimite : analyse de la categorie de patrimoine naturel », Revue Economique, vol. 41, no 2, mars, p. 215-241.

Gumuchian H. et Pecqueur B. (dir.), 2007, La ressource territoriale, Paris, Ed. Economica.

Heal G., 2000, Valuing Ecosystem Services, Ecosystems, vol. 3, p. 24-30.

Jamoneau A., Sonnier G., Chabrerie O., Closset-kopp D., Saguez R. et Gallet-Moron E., 2011, “Drivers of plant species assemblages in forest patches among contasted dynamic agricultural landscapes”, Journal of Ecology, vol. 99, no 5, doi : 10.1111/j. 1365-2745.2011.01840. x

Kebir L. et Crevoisier O., 2004, « Dynamique des ressources et milieux innovateurs », in Maillat D., Camagni R. et Mattéaccioli A. (eds), Ressources naturelles et culturelles, milieux et développement local, Neuchâtel, Edes-Gremi, p. 261-290.

Kolm S.-C., 1984, La bonne économie : la réciprocité générale, Paris, PUF, Collection Politique d’aujourd’hui.

Laurans Y., Rankovic A., Billé R., Pirard R. et Mermet L., 2013, « Use of ecosystem services economic valuation for decision making : questioning a literature blinspot”, Journal of Environmental Management, no 119, p. 208-219.

Lessmann O. et Rauschmayer F. (eds.), 2014, The Capability Approach and Sustainability, London, New York, Routledge, Taylor & Francis Group.

Maillefert M., Schalchli P., 2010, « Prérequis pour la construction d’une méthodologie pour l’implantation d’une démarche d’écologie industrielle à l’échelle d’un espace territorial » in Maillefert M., Petit O., Roussseau S., (dir.), Ressources, patrimoine, territoires et développement durable, Bruxelles, Peter Lang, coll EcoPolis, pp 45-68.

Meyer I. et Sinabell F., 2011, Agriculture in climate change, A background report of CIPRA, Compact no 2, CIPRA International, p. 28, http://www.cipra.org/en/cc.alps/results-and-products/compacts

Mitchell K., Agle B. et Wood D., 1997, “Toward a Theory of Stakeholder Identification and Salience : Defining a Principle of who and what Really Counts”, Academy of Management Review, October, vol. 22, no 4, p. 853-886.

Panet S. et Duray-Soundron C., 2008, “Introduction générale” in Dubois J.-L., Brouillet A.-S., Bakhshi P. et Duray-Soundron C. (dir.), Repenser l’action collective : une approche par les capabilités, Paris, L’Harmattan, p. 15-30.

Parks K. E. et Mulligan M., 2010, « On the relationship between a resource based measure of geodiversity and broad scale biodiversity patterns”, Biodiversity Conservation, no 19, p. 2751-2766.

Pelenc J., Lompo M. K., Ballet J. et Dubois J.-L., 2014, « Sustainable Human Development and the Capability Approach : Integrating Environment, Responsibility and Collective Agency », in Lessmann O. et Rauschmayer F. (eds.), The Capability Approach and Sustainability, London, New York, Routledge, Taylor & Francis Group, p. 76-93.

Polanyi K., 2008, Essais de Karl Polanyi (traduction française d’articles publiés entre 1946 et 1955), Paris, Seuil.

Schalchli P., 2011, Rapport COMETHE, rapport pour l'ANR, Paris, www.comethe.org

Sen A., 1999, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté (traduction française de 2003), Paris, Odile Jacob.

Thevenot L., 1986, « Les investissements de forme », in Thévenot, L. (éd.), Conventions économiques, Paris, CEE/PUF, p. 21-71.

UNDP, 2010, Human development index, United Nations Development Program [online] URL : http://hdr.undp.org/en/statistics/hdi/.

Wainger L. et Mazzotta M., 2011, “Realizing the potential of ecosystem services : a framework for relating ecological changes to economic benefits”, Environmental Management, no 48, p. 710-733, DOI 10.1007/s00267-011-9726-0

Notes

1 Personne résidant dans un lieu différent de celui où elle travaille, phénomène sur lequel nous reviendrons au moment de la synthèse concernant le système général de création de richesses.

2 BIC : bénéfices industriels et commerciaux ; BNC : bénéfices non commerciaux ; BA : bénéfices agricoles.

3 Nota : les estimations monétaires ont été réalisées sur la base d’un tableau de bord des consommations touristiques et retombées économiques liées au tourisme fournies par l’Observatoire Savoie Mont-Blanc Tourisme.

4 . En 2016, une directive européenne mettra fin aux tarifs jaunes et verts. Les abonnés concernés devront alors négocier directement leur approvisionnement en énergie en bourse et ne passeront plus par la régie. Or les tarifs verts et jaunes représentent 50 % de la consommation annuelle d’Aussois. La perte de ces abonnements représente donc une division par deux des bénéfices générés par la régie électrique au profit de la commune.

5 32,3 % en 2011 selon les chiffres de l’Insee.

Table des illustrations

Légende Figure 1. Communauté de communes Terra Modana.Source : http://www.terramodana.com/​fr/​tourisme.asp.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 233k
Titre Tableau 1. Estimation des bases économiques de la communauté de communes Terra Modana en 2006 (Source : calculs de Magali Talandier, d’après DGI, RGP-Insee, Dads-Insee, Unedic, BDSL, DGCIS).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 431k
Légende Figure 2. Schéma générique des Inputs et outputs du sous-système territorial.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 232k
Légende Figure 3. Le positionnement des acteurs au sein d’un projet (source Brullot et al., 2014).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 106k
Légende Figure 4. Schéma des 4 motivations caractérisant les représentations des acteurs sur le territoire.D’après Alain Caillé (2009)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 79k
Légende Figure 5. Le triangle de Kolm.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 60k
Titre L’agriculture à Aussois au milieu du XIXème siècle (principaux flux)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 129k
Titre L’agriculture à Aussois au milieu du XIXème siècle (rétroactions)
Légende Figure 6. Métabolisme socio-écologique du sous-système agricole d’Aussois vers 1850.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 165k
Titre L’agriculture à Aussois au milieu du XXème siècle (principaux flux)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 126k
Titre L’agriculture à Aussois au milieu du XXème siècle (principaux flux)
Légende Figure 7. Métabolisme socio-écologique du sous-système agricole d’Aussois vers 1950.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 167k
Titre L’agriculture à Aussois aujourd’hui (principaux flux)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 218k
Titre L’agriculture à Aussois aujourd’hui (retroactions)
Légende Figure 8. Métabolisme socio-écologique du sous-système agricole d’Aussois depuis 1950.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 246k
Légende Figure 9. Organisation de la filière Beaufort.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 182k
Légende Figure 10. Capabilité et émergence d’un savoir-faire.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 135k
Légende Figure 11. Capabilité et organisation en coopérative.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 145k
Légende Figure 12. Capabilité et AOC.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-16.jpg
Fichier image/jpeg, 120k
Légende Figure 13. Classification des parties prenantes de la filière en termes de pouvoir, de légitimité et d’intérêt.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-17.jpg
Fichier image/jpeg, 79k
Titre Tableau 2. Pouvoir, légitimité et intérêt des parties prenantes de la filière Beaufort
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-18.jpg
Fichier image/jpeg, 581k
Légende Figure 14. Interactions et jeux d’acteurs autour de l’activité agricole.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-19.jpg
Fichier image/jpeg, 158k
Légende Figure 15. Métabolisme socio-écologique du sous-système touristique.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-20.jpg
Fichier image/jpeg, 498k
Légende Figure 16. Organisation de la filière touristique.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-21.jpg
Fichier image/jpeg, 133k
Légende Figure 17. Jeux d’acteurs de la filière touristique.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-22.jpg
Fichier image/jpeg, 228k
Légende Figure 18. Capabilité liée à l'activité touristique.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-23.jpg
Fichier image/jpeg, 102k
Titre Eau et énergie à Aussois avant 1950 (principaux flux et rétroactions)
Légende Figure 19. Métabolisme socio-écologique du sous-système Eau-Energie avant 1950. Eau et énergie à Aussois avant 1950 (principaux flux et rétroactions)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-24.jpg
Fichier image/jpeg, 133k
Titre Eau et énergie à Aussois après 1950 (principaux flux et rétroactions)
Légende Figure 20. Métabolisme socio-écologique du sous-système Eau-Energie après 1950. Eau et énergie à Aussois après 1950 (principaux flux et rétroactions)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-25.jpg
Fichier image/jpeg, 204k
Légende Figure 21. Coordination de la filière Eau-Energie aujourd’hui.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-26.jpg
Fichier image/jpeg, 129k
Légende Figure 22. Interactions et jeux d’acteurs autour de l’activité de production et de distribution d’électricité.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-27.jpg
Fichier image/jpeg, 215k
Titre Tableau 4. Pouvoir, légitimité et intérêt des parties prenantes du sous-système Eau-Energie.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-28.jpg
Fichier image/jpeg, 722k
Légende Figure 23. Capabilité liée à l'activité de distribution de l’énergie.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-29.jpg
Fichier image/jpeg, 77k
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-30.jpg
Fichier image/jpeg, 127k
Légende Figure 24. Métabolisme socio-écologique du sous-système résidentiel.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-31.jpg
Fichier image/jpeg, 179k
Légende Figure 25. Système territorial de création de richesse à Aussois.
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/28366/img-32.jpg
Fichier image/jpeg, 269k

Auteurs

Professeur à l’Institut d’Urbanisme de Grenoble de l’Université Grenoble Alpes et chercheur au laboratoire PACTE. Ses travaux visent à mieux appréhender les questions de coordination entre acteurs autour des questions de développement durable. Pour ce faire, il s’intéresse aux choix collectifs en situation controversée, aux procédures de prise de décision, à la compréhension des comportements individuels et collectifs face aux enjeux du développement durable. A côté de travaux sur l’économie de fonctionnalité, il vise à promouvoir l’essor de l’écologie territoriale.

Docteur en Sciences et Génie de l’Environnement de l’Ecole des mines de St Etienne, chercheur associé à l’UMR PACTE. Juliette Cerceau mène, depuis 2010, des travaux de recherche interdisciplinaire sur l’écologie territoriale et contribue à l’émergence de cette discipline au sein de la communauté scientifique. Elle aborde les questions liées à la transition socio-écologique des territoires en articulant structuration de l’espace, représentations d’acteurs et capabilité collective.

Docteur en en écologie territoriale. Son doctorat a porté sur les modes d’interaction entre acteurs afin de tendre vers une soutenabilité forte, en étudiant particulièrement les systèmes agroalimentaires et énergétiques. Après ces travaux menés au sein du Centre de Recherches et d’Études Interdisciplinaires sur le Développement Durable (CREIDD), elle est aujourd’hui en post-doctorat au laboratoire PACTE à Grenoble. Ses recherches portent essentiellement sur les liens entre hydroélectricité et dynamiques territoriales.

Professeur en aménagement et urbanisme à l’université Lyon 3 et membre du CRGA-EVS UMR 5600. Elle travaille sur l’action collective, le développement territorial, les politiques publiques et le développement durable. Elle a notamment travaillé sur les jeux d’acteurs et les formes de coordination dans le cadre de recherches sur l’écologie industrielle et territoriale. Elle s’intéresse également aux questions d’évaluation de l’environnement notamment à travers la notion de services écosystémiques. Enfin, toujours dans le domaine de l’économie circulaire, elle s’intéresse aujourd’hui à la question de la création de valeur territoriale en lien avec la question de l’économie de la fonctionnalité et des nouveaux modèles économiques.

Doctorant en Économie Politique au Centre de Recherche en Economie de Grenoble (Univ. Grenoble Alpes, CREG, Grenoble, France). Ses recherches et publications portent sur l’organisation socioéconomique des Systèmes Agroalimentaires Localisés dans la perspective de l’Ecodevelopment. Sa thèse analyse plus particulièrement le Mouvement Coopératif Paysan au Nicaragua et les modalités d’organisation des agroécosystèmes dans ce pays.

Professeur en géographie environnementale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il co-dirige le master Bioterre et il dirige la chaire d’entreprise BEGI – Biodiversité, Environnement et Grandes Infrastructures. Ses activités de recherche portent sur les processus de renaturation en milieu urbain ainsi que le long des infrastructures de transport. Il travaille aussi sur les processus de décision en ingénierie territoriale environnementale.

Économiste de formation, docteur en Urbanisme et Aménagement du Territoire, et maître de conférences à l’Université Grenoble-Alpes, responsable du master Ingénierie du Développement Territorial et du collectif de recherche « Sciences Territoriales » du laboratoire Pacte. Spécialiste de l’économie résidentielle, ses travaux portent plus largement sur l’analyse des processus de développement économique territorial. Membre de L’ŒIL (L’Observatoire de l’Economie et des Institutions Locales) depuis plus de dix ans, ses connaissances et son expertise ont donné lieu à de nombreuses collaborations avec des collectivités locales, les ministères du développement durable, de l’intérieur, du tourisme, de la santé et des sports, la Datar (Cget), le Puca, la Poste, l’Unesco….

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search