Charles de Montalembert
| ,Montalembert et la musique
Texte intégral
- 1 Mémoires, 1870, publiés à titre posthume, chapitre 46.
- 2 Active entre 1828 et 1967 et administrée par l’association philharmonique du Conservatoire de musi (...)
- 3 David Cairns, Hector Berlioz, Paris, Fayard, 2002, tome 2, p. 146 : « Mis à part le Comte de Monta (...)
1Dans ses Mémoires, Berlioz se plaint du « petit nombre de nos hommes d’État qui s’intéressèrent à la musique, et du nombre restreint de ceux qui en eurent le sentiment »1. Dans sa monumentale biographie du compositeur, David Cairns, évoquant lui aussi le peu d’intérêt des hommes politiques du xixe siècle pour la musique, affirme qu’en 1837 seuls deux d’entre eux avaient souscrit à un abonnement à la Société des Concerts2 : Adrien de Gasparin (1783-1862), alors ministre de l’Intérieur, et Montalembert3. Le second est pourtant plus connu par son intérêt pour l’architecture, la peinture et la littérature que par son goût pour la musique.
- 4 Au sens ancien d’« homme public » ; nous reprenons ce qualificatif, appliqué depuis le xixe siècle (...)
- 5 L’auteur remercie Nicole Roger-Taillade et Jacqueline Lalouette pour leur relecture précise, atten (...)
2L’objet de cette brève et lacunaire étude est triple, mais commençons par dire ce qu’elle ne sera pas : il ne sera pas question de tenter de prouver que Montalembert était musicien sans le savoir, il ne sera pas question de faire de lui un initiateur de certains mouvements musicaux de son temps. Il sera par contre question d’esquisser un rapide portrait de l’évolution des goûts musicaux d’un « publiciste »4 du xixe siècle – infime contribution à une sociologie de la musique ; il sera également question des rapports qui ont pu se nouer entre un redécouvreur et défenseur du patrimoine ancien, et les différents mouvements musicaux qui, tant en Allemagne qu’en France, initièrent avec persévérance mais à tâtons une réforme paradoxale de la musique – religieuse, mais pas seulement –, paradoxale parce que fondée sur la réhabilitation de répertoires perdus, le retour à des traditions anciennes et la redécouverte de pratiques musicales oubliées, préfigurant ainsi notre très moderne goût pour ce qui relève d’une catégorie on ne peut plus contemporaine, la « musique ancienne ». Pour ces courants musicaux, Montalembert a pu ne serait-ce qu’épisodiquement jouer un rôle de référent. Enfin, la question des quelques contacts entre Montalembert et Franz Liszt sera (trop) brièvement évoquée5.
- 6 En 1834, Montalembert voyage longuement en Allemagne avec Brentano (1778-1842) – frère de la grand (...)
- 7 Par l’écoute directe, mais parfois, à défaut d’écoute à la source, par ce que lui suggère la litté (...)
- 8 Même si la collecte est déjà très importante au xixe siècle (décret Fortoul du 13 septembre 1852, (...)
- 9 Le Journal intime inédit (Ji), texte établi, présenté et annoté par Louis Le Guillou et Nicole Rog (...)
- 10 Jusque dans les années 1850, Montalembert utilise l’une des deux orthographes alors possibles, com (...)
- 11 Outre les chants tyroliens évoqués (66, 67), il entend ainsi en Allemagne et en Autriche des Volks (...)
3Un regret, également piste de recherche : pour des raisons de place, nous ne pourrons pas nous attarder sur la façon dont Montalembert écoute les nombreuses musiques traditionnelles et populaires, essentiellement rurales, qu’il lui est donné d’entendre au cours de ses multiples voyages. On sait l’importance depuis la fin du xviiie siècle de la référence aux cultures populaires pour les hommes de lettres et les musiciens pré-romantiques et romantiques (Goethe, Herder, Brentano6, Arnim, etc.) : l’homme romantique s’émeut en écoutant des chants populaires ruraux, le musicien s’en imprègne7 et les transforme en œuvres « savantes » (Liszt et le ranz des vaches suisse, pour ne donner qu’un seul exemple)8. L’historien des mentalités trouvera dans les premiers volumes du Journal intime9 de Montalembert un certain nombre d’informations sur les surprises musicales émerveillées qui sont les siennes, alors que, traversant seul et à pied tel ou tel pays, il arrive après une marche harassante dans tel ou tel village niché au creux de telle ou telle vallée perdue : « Après une halte à Fuagen, je vais à Schlitter, petit village dont je conserverai longtems10 le souvenir, à cause la jouissance tout à fait imprévue d’y entendre des chants Tyroliens chantés par ces fameuses voix du Zillerthal – je m’asseois sur la pierre d’une fontaine pour entendre des chants qui sortaient d’une maison voisine. Et presque aussitôt je suis accosté par une grande fille, nommée Crescentia Feidl, qui me raconte ses voyages en Angleterre, Hollande, etc., où elle a été pour chanter avec toute sa famille. D’autres se groupent autour d’elle, et bientôt j’obtiens de quatre d’entr’elles, encore toutes jeunes, deux ou trois chansons délicieuses, avec un Jodel excellent […]. C’était vraiment une scène orientale et m’a fait grand plaisir » (III, 66, dimanche 10 août 1834). Ce « journal intime de ma vie » est aussi un journal de voyage dans la grande tradition romantique11, et Montalembert un authentique Wanderer.
Les goûts musicaux de Montalembert
- 12 Mais, particulièrement à l’étranger, on peut apprécier des cantiques religieux populaires en Allem (...)
4Le Journal intime est évidemment un témoin privilégié pour savoir ce qu’écoute Montalembert tout au long de son existence. Il en ressort sans surprise que ses goûts musicaux sont ceux de l’immense majorité des hommes du xixe siècle : il écoute et il aime la musique de son époque, autrement dit la musique contemporaine – en tout cas celle de sa jeunesse. Les mentions d’opéras et de concerts publics ou privés apparaissent très régulièrement, mais, alors que les années 1859 à 1864 (qui correspondent au tome VII publié du Journal) sont plus qu’avares en références musicales (y aurait-il un lien avec le fait que ces années sont pour lui à la fois celles d’une vraie traversée du désert en France, d’un intense labeur et de nombreux voyages ?), les dernières années de la vie de l’écrivain, pendant lesquelles il est souvent alité, fourmillent en allusions à la musique – nous verrons plus loin pourquoi. Il rend plus compte de la musique profane que de la religieuse. Comment s’en étonner ? : hormis les débats d’école, la seconde relève de la dévotion, et on ne porte pas spontanément de jugement esthétique sur la dévotion12. La question de ses rapports avec la musique ancienne, ici, religieuse ou profane, sera abordée plus loin (« Montalembert et les “archéologues de la musique” »).
L’opéra
5Étant donné l’importance de l’opéra dans le premier tiers du siècle, et en particulier de Rossini (1792-1868), on ne sera pas surpris que la première œuvre musicale mentionnée dans le journal de l’adolescent de 14 ans soit La Gazza Ladra, représenté à l’Opéra-Italien et qualifié par lui d’opéra « charmant » (I, 26, 7 août 1824), et qu’il soit suivi en 1826 par le Le Barbier de Séville, chanté par Henriette Sontag (1805-1854), « délicieuse, surprenante », dont la voix « a une fraîcheur, une netteté, une pureté extraordinaire », et à propos de laquelle il affirme qu’il n’a « jamais rien entendu, dans le genre musical, qui [lui] ait fait plus de plaisir que son air de la leçon de musique » (I, 64, jeudi 27 juillet 1826), compliments qui se confirment deux ans plus tard avec La Donna del Lago (I, 155, jeudi 21 août 1828) : pas de jugement ici sur la musique elle-même, mais sur les qualités vocales et de présence de la prima donna. En 1830, parlant de Sémiramide, il évoque néanmoins « la délicieuse musique de Rossini », tandis qu’il précise cependant : « j’ai été ravi du jeu admirable de Mme Malibran, de la voix miraculeuse de Mme Pisaroni » (II, 10, samedi 6 mars 1830) ; le même opéra est qualifié en 1855 de « toujours délicieux » (VI, 137, dimanche 18 mars 1855). Mais, entraîné par Joseph d’Ortigue à l’Opéra pour écouter le Fidelio de Beethoven (1770-1827), il note : « musique sublime bien au-dessus de Rossini » (II, 188, mardi 17 mai 1831).
- 13 Il écoute Lucreza Borgia à Londres, avec le ballet La Gitane, mais trouve que « Grisi et Taglioni (...)
- 14 Pauline Garcia, 1821-1910, contralto, épouse de Louis Viardot et sœur de la Malibran.
- 15 Lise Noblet, 1801-1852, danseuse.
- 16 Sa sœur Élise, morte à l’âge de 16 ans à Besançon, en 1829.
6Il écoute l’opéra italien, allemand et français. Il découvre Bellini (1801-1835) à Rome, trouve la Straniera « médiocre » (II, 297, mercredi 22 février 1832), assiste à Il Pirata « qui [le] ravit » (IV, 177, samedi 11 janvier 1845), au point qu’il y retourne le jeudi 20 mars (« délicieuse musique […] chef-d’œuvre de Bellini : je m’arrache à grand’ peine de cette douce jouissance […] », id., p. 205) ; il aime la Norma et trouve que « la Grisi y est vraiment admirable dans ce rôle de jalousie » (IV, 190, lundi 17 février 1845). Il apprécie également Donizetti13 (1788-1856), Weber (1786-1826 ; « Ensuite à l’Opéra-Allemand : on a donné Obéron, dont la musique est charmante. Weber grand homme », II, 32, lundi 21 juin 1830), Meyerbeer (1791-1864 ; « le soir au Prophète de Meyer-Beer [sic] à l’Opéra : c’est trop long et souvent ennuyeux : mais Mde Viardot14 avec sa belle voix de [biffé : soprano] contralto, s’y montre une chanteuse supérieure, malgré son absence de jeunesse et de beauté. /Cette musique me fait du bien, mais ne dissipe pas les noires prévisions qui inondent et accablent mon âme », V, 74, lundi 21 mai 1849) et Auber (1782-1871), dont il va écouter en 1830 La Muette de Portici (« Le soir au Grand-Opéra. […] Le spectacle a été merveilleux ; c’était la Muette de Portici. Je n’ai jamais rien vu de plus dramatique, de plus entraînant. La scène de la prière et de la révolte est admirable. Mlle Noblet15 est ravissante dans Fenella et m’a tristement rappelé Élise16 par l’expression à la fois douloureuse et distinguée de ses traits » (II, 38, lundi 12 juillet 1830). Il ne peut pas savoir que c’est ce même opéra qui, représenté à Bruxelles un mois et demi plus tard – le 25 août 1830 –, sonnera l’heure de l’indépendance belge. Il s’y rend une nouvelle fois deux ans plus tard (II, 357, lundi 26 novembre 1832).
7Il est sévère avec Verdi (1813-1901) : alors qu’il éprouve un sentiment mitigé pour Le Trouvère (« c’est un peu plus beau que je ne croyais », VI, 400, vendredi 30 janvier 1857), il juge sans appel Rigoletto, « pitoyable musique selon moi et qui me confirme dans ma préférence pour Bellini, le maëstro inspiré de ma jeunesse, de Norma et des Puritani » (VI, 403, jeudi 5 février 1857). Ses irritations musicales prennent d’ailleurs pour cibles les nouvelles tendances de l’opéra, et lui font comparer celles-ci à sa propre situation politique : « Tomber de ma jeunesse bercée aux doux accords de Bellini et de Meyerbeer, à l’ignoble tapage de Verdi et de Wagner ! […] et penser qu’en tout il en a été de même pour ceux de ma génération et de ma sorte ! » (VIII, 181, vendredi 8 juin 1866). Ajoutons qu’en 1851, alors qu’il se présente à l’Académie française, il effectue une de ses visites préliminaires traditionnelles au grand librettiste Scribe (1791-1861), académicien depuis 1836 (V, 368, vendredi 24 janvier 1851).
Musique de salon, musique de chambre, musique à la maison
- 17 Il semble d’ailleurs qu’il ait essayé de commencer à étudier la musique en 1834, à 24 ans, en même (...)
- 18 Adolphe Nourrit (1802-1839), immense ténor, qui fit connaître les Lieder de Schubert au public fra (...)
- 19 Maria Felicia Garcia ou « la Malibran » (1808-1836), mezzo-soprano, fille de Manuel Garcia et « Ca (...)
- 20 Marcelline [Marcellina] Radziwill (1817-1894), épouse d’Alexandre Czartoryski (1811-1886), neveu d (...)
- 21 Les dernières paroles de Chopin adressées à Marcelline Czartoryska et à Franchomme (1808-1884, vio (...)
- 22 Il pourrait s’agir de Joseph de Riquet de Caraman (1836-1892), violoniste, peut-être accompagné pa (...)
8Il assiste à des concerts de patronage (« Au concert des Apprentis : Mde de S[ainte Colline, contralto admirable », IV, 414, jeudi 8 avril 1847) et fréquente très tôt divers salons parisiens grâce auxquels il entre en contact avec des musiciens, amateurs ou professionnels, ce qui lui fait amèrement regretter de ne pas pratiquer lui-même la musique (« Le soir chez la duchesse d’Hamilton : elle a chanté divinement, mieux que Mde de Montgomery ; je n’ai jamais entendu des accents plus déchirans […]. Le docteur Bernati a aussi un talent délicieux. Mon Dieu ! pourquoi n’en ai-je pas un pareil ! Je donnerai [sic] bien ma pairie, le seul avantage que je possède pour un talent et une figure comme la sienne ! », II, 30, dimanche 13 juin 183017). Il y entend également Nourrit18, Liszt et la Malibran19 (« admirable dans son duo de Tancrède et un duo de Celli. C’est le chant personnifié : on voit qu’elle se lance vers l’harmonie », II, 13, jeudi 1er avril 1839). Ces salons sont parfois peu connus (« Le soir avec Anna et Élisabeth […] chez Mde Delmar, où il y a de la musique », VI, 516, samedi 6 mars 1858), parfois prestigieux, comme l’hôtel Lambert, tenu par la princesse Anna Czartoryska, dont la nièce par alliance était Marcelline Czartoryska20, virtuose, ancienne élève de Czerny et l’une des élèves préférées de Chopin, dont elle est en quelque sorte l’exécutrice testamentaire spirituelle – c’est en souvenir de celui-ci qu’elle fonde en 1854 le « Club des Mozaristes »21. Il y entend par exemple la Sonate à Kreutzer de Beethoven jouée « à la perfection » (VI, 143, mardi 27 mars 1855) par le prince de Chimay22.
- 23 Au soir de sa vie, M. indique les personnes auxquelles il doit des « Obligations spéciales » : « E (...)
- 24 Ji, VIII, lire aussi l’introduction de Nicole Roger-Taillade, p. 14. Le journal énumère les compos (...)
- 25 Lied avec piano op. 46 (1794-5) de Beethoven, publié en 1802 par Artaria avec le sous-titre « Eine (...)
- 26 « Dieu protège la Pologne », écrit en 1816 par Alojzy Felinski (1771-1820), et qui fut un temps l’ (...)
9Mais surtout, Marcelline Czartoryska vient plusieurs fois par semaine dans son appartement de la rue du Bac pour lui jouer de la musique alors qu’il est malade et alité – précisément, entre le samedi 10 novembre 1866 (VIII, 240) et le dimanche 2 juin 1867 (VIII, 325), puis lors de ses retours à Paris jusqu’en 186923. Il ne tarit pas d’éloges sur elle, qui a « l’extrême condescendance de venir jouer sur notre pauvre petit piano pour me faire du bien ! C’est un procédé dont je ne saurais être assez reconnaissant […] », et il ajoute : « jamais je n’ai rencontré de créature plus humble et plus charitable » (2 juin 1867), ou encore : « elle m’a prodigué les services de sa charité musicale » (VIII, 611, lundi 26 avril 1869)24. Elle lui interprète principalement Mozart, Beethoven (souvent la Pathétique), Chopin et des extraits d’opéras (Don Juan, Les Huguenots, Otello [sic], Guillaume Tell, Les Puritains, etc.). Le dimanche 28 avril 1867, malade, elle est remplacée par « la Princesse Alphonse de Chimay », qui « joue plusieurs beaux morceaux de Beethoven et de Mendelssohn » (VIII, 307). Lors du dernier de ces concerts réguliers, elle lui joue « [ses] deux chefs d’œuvres favoris, Adélaïde25 et le Boze cos Polske26 ». Retirée en Pologne à partir de 1867, elle vient lui rendre visite et lui jouer quelque chose à chacun de ses passages à Paris.
- 27 Théoduline de Mérode (1817-1909), sœur d’Anna et épouse d’Alof Marie Florent de Vignacourt.
- 28 C’est le surnom qu’il donne à sa femme, Marie-Anne [Anna] de Mérode (1818-1904).
- 29 Heller était également connu pour ses transcriptions pour piano de Lieder, notamment ceux de Schub (...)
- 30 Schubert apparaît principalement dans le Ji par ses Lieder : Madeleine et M. Müller en interprèten (...)
- 31 Pauline de La Ferronays (1808-1891), auteur du très célèbre Récit d’une sœur (1866).
- 32 Lecanuet décrit ces soirées à La Roche-en-Brenil : « Après la prière, récitée à la chapelle, vers (...)
- 33 Une autre source intéressante pour les goûts musicaux serait l’étude des partitions qui proviennen (...)
10Il est particulièrement sensible au chant, notamment à celui de sa fiancée (« En rentrant j’ai le bonheur d’apprendre qu’[Anna] a de la voix, deux octaves ! elle chante fort joliment Combien j’ai douce souvenance ! C’est une grande faveur de plus que le ciel me confère. Non, jamais je ne m’étais imaginé que Dieu aurait à ce point pitié de moi. Août 1836 et Août 1835. O quel abîme entre les deux ! Mon Dieu, rendez-moi digne de ce bonheur et d’elle ! », III, 197, samedi 15 août 1836). Mais il semble qu’Anna n’ai pas la voix espérée (« Théoduline27 ayant chanté fort bien, selon son habitude, l’Angesse28 […] me serre contre son cœur, en versant de délicieuses et inappréciables larmes sur la douleur que je dois éprouver de ce qu’elle n’a pas reçu ce don de chant qu’elle aurait tant désiré tant [sic] posséder pour moi », III, 507, vendredi 4 juin 1841). Elle joue néanmoins du piano et interprète pour lui « des morceaux charmans de Beethoven et de Lucia di Lamermoor, à son piano qu’elle a placé derrière le vase à fleurs de Malte dont elle est si justement fière » (IV, 194, mercredi 26 février 1845). De même, ses filles Catherine (1841-1928) et Madeleine (1849-1920) chantent (« Grande jouissance pendant que je suis étendu sur mon lit de misère, écoutant la délicieuse musique de Madeleine et de Mr Müller qui jouent les mêmes morceaux si bien exécutés par Catherine à la Roche, avec le même Müller, il y a quatre ans ! », VIII, 181, mardi 5 juin 1866). Madeleine joue elle aussi du piano (« la chère Madeleine me ravit par ses accords sur le piano. Les Puritains – et les Huguenots », VIII, 181, vendredi 8 juin 1866). Il lui arrive de noter la liste des œuvres jouées (voir par exemple VIII, 183, 184, 185, 187, 192) : avec Müller, Madeleine interprète des mélodies (Henri Reber, 1807-1880 ; Stéphen Heller, 1813-188829), des Lieder (Schubert) et des airs d’opéra (Auber, Donizetti – « triste et touchant souvenir, mais quelle admirable musique ! », VIII, 183, mardi 19 juin 1866). Le vendredi 22 juin suivant, encore Schubert (la Sérénade, « toujours la perle ! »30), Mozart, Beethoven et Donizetti (« musique charmante de Madeleine et de M. Muller, qui m’émeut douloureusement et peut-être trop profondément, par les souvenirs qu’elle réveille […] », VIII, 184-5). Il indique également les soirées musicales à la maison (« Soirée tranquille ; lecture et musique », VI, 273, dimanche 23 mars 1867), tandis qu’à La Roche-en-Brenil, son amie Pauline Craven31 lui fait découvrir au cours d’un de ces moments de calme « deux bijoux inconnus » de Mercadante (1795-1870) et Donizetti (1797-1848 ; VI, 465, vendredi 25 septembre 1857)32. Élisabeth (1837-1913) fait elle aussi de la musique (« Le soir M. Mathias, maître de musique d’Élisabeth, vient jouer très bien la Symphonie en la de Beethoven, les 3e et 4e actes des Huguenots, etc. », VIII, 465, samedi 2 mai 1868)33.
- 34 Il s’agit probablement d’Isaac Strauss (1806-1886), chef d’orchestre, compositeur et collectionneu (...)
11Lors d’un séjour thermal à Vichy pour des raisons de santé, il écoute de la musique de chambre (« L’après-midi délicieux concert à l’établissem[en]t où Strauss et le jeune Bernardin34 jouent pour un auditoire très sélect des trios de Beethoven et de Mayseder [1789-1863], et surtout le ravissant prélude de Bach qui m’a fait tant de plaisir cet hyver chez la Potocka », V, 691, dimanche 17 juillet 1853). La musique de piano qu’il écoute consiste essentiellement en des sonates, des extraits de sonates, des arrangements d’extraits d’opéras et des « miniatures » romantiques (nocturnes, feuillets d’album, etc.) ; elle porte principalement sur des œuvres de Mozart, Beethoven, Field (1782-1837, « L’innocence, nocturne de Field », VIII, 192, samedi 7 juillet 1866), Heller (1813-1888, « Feuillets d’Album », id.), Chopin (les sonates, la Marche funèbre, la Berceuse) et Liszt.
Musique symphonique, musique de concert
- 35 Salle dont l’acoustique est l’une des meilleures de Paris, dans ce qui est aujourd’hui le Conserva (...)
12Le compositeur le plus présent dans le Journal est Beethoven et ce, comme nous l’avons déjà vu, dès 1831, soit quatre années après la mort du compositeur. Puis Montalembert se rappelle que le 23 mars 1834, alors plongé en pleine tourmente provoquée par le refus opposé par les parents d’Hedwige Lubomirska, il était allé « à S[aint]t Emmeran au Concert Beethoven » (III, 23, mardi 29 avril 1834). Il fréquente assidûment la magnifique salle des Concerts du Conservatoire35, où il entend les symphonies du Maître de Bonn, mais aussi celles de Mozart (III, 142, dimanche 21 février 1836) et de Haydn. Il semble qu’il découvre la 5e symphonie en 1836 (III, 152-153, dimanche 24 avril 1836), « exquise symphonie en ut mineur qui me deviendra plus chère encore par le souvenir de cette journée » (il vient d’apprendre qu’Anna l’aime). En 1838, c’est avec Anna qu’il va écouter la 9e symphonie, dont il dit : « 1er concert du Conservatoire où je vais pour la première fois avec mon Angesse, très heureux de jouir avec elle de cette sublime et exquise musique Symphonie avec chœurs de Beethoven, très bien exécutée : je ne l’avais entendue qu’une fois, j’en suis ravi, quoique toujours fidèle à ma prédilection pour la Symphonie en ut mineur » (III, 347, dimanche 14 janvier 1838). Un temps, en effet, il « admire » plus que tout la 5e symphonie (VI, 137, dimanche 18 mars 1855).
- 36 Cet épisode est souligné par Marguerite Castillon du Perron, Montalembert et l’Europe de son temps (...)
13Son plaisir de la musique est lié avec celui d’être en compagnie de la femme qu’il aime, et il en éprouve autant à la regarder écouter qu’à écouter lui-même (« Mon Angesse, embellie par son admiration, est toute enlevée par ces merveilles », III, 482, dimanche 3 mai 1840, lors d’un concert de Liszt [cf. plus loin] ; « Au Conservatoire avec Elle, toujours jouissance délicieuse ; aujourd’hui symphonie en sol mineur de Mozart, admirable, et symph[onie] en ut mineur de Beethoven, qui me ravit moins que les années précédentes », III, 477, vendredi 3 avril 1840). Il leur arrive d’aller au concert deux fois dans la journée (« Grand’messe de 9 heures à S[aint] Germain des Prés avec elle ; puis concert au Conservatoire, admirable : Symphonie en la ; andante sublime ainsi que la 3e partie : ondulations d’harmonies comme dit mon Ange très éloquemment – Le soir visite aux Brézé ; concert chez Salvandy ; Mlle Grisi est charmante – Mon Angesse est enchantée de cette musique, toute nouvelle pour elle, et s’en arrache à peine pour aller au bal Bellissen […] », III, 350, dimanche 28 janvier 1838). Plus encore : aussitôt sortis d’un concert, ils reçoivent des proches avec lesquels ils passent une soirée musicale (« Au Conservatoire avec mon Angesse ; belle symphonie d’Haydn. Id. de Beethoven en ré, toujours admirable. Le soir les La Ferronnays viennent : Eugénie et Alexandr[ine] et Olga. Chant à trois du Gloria de Haydn : solo d’Eugénie, qui dépasse vraiment tout ce qu’on peut imaginer en fait de voix humaine : qui tollis peccata mundi, miserere nobis ; l’accent avec lequel elle dit cela est au-dessus de tout ; c’est l’orgue dans le gosier d’une femme – Après leur départ délicieuse émotion de mon Angesse triste et désespérée de son infériorité musicale. Preuve ineffable de son amour, s’il en était encore besoin : larmes, angoisses. Je la rassure par le plus tendre amour et goûte mille joies à la fois, quoique toujours trop indigne », III, 352, dimanche 11 février 183836).
14Ils retournent régulièrement ensemble entendre des symphonies (« Délicieux concert au Conservatoire, où j’ai tant de bonheur à entendre avec mon Angesse ce sublime Beethoven, qui remplissait d’une si violente agitation mon cœur autrefois solitaire et désolé. Aujourd’hui c’est la Symphonie en ut mineur, que je croyais préférer à toutes, mais qui me semble moins ravissante que l’andante de la Symphonie en la qu’on nous donne en même tems », III, 356, dimanche 11 mars 1838), découvre la 6e symphonie (« exquise et inconnue auparavant pour moi. Ouverture d’Egmont du même », III, 357, dimanche 8 avril 1838), puis l’héroïque et « l’admirable, exquis septuor du divin Beethoven » (III, 358, dimanche 22 avril 1838). Il réécoute ainsi, parfois découvre la plupart des neuf symphonies pendant les premières années de son mariage (III, 397, 401, 419, 474 ; V, 62, etc.), ne cessant d’hésiter sur celle qu’il préfère, les 5e et 9e semblant finalement l’emporter sur les autres. Assistant à un énième concert de la 5e, il dit : « je ne trouve de place qu’assis par terre dans un couloir, mais où j’ai le bonheur d’entendre et d’admirer la sublime symphonie en ut mineur […], puis les Ruines d’Athènes », V, 62, samedi 21 avril 1849). En 1865, il entend encore « la belle symphonie de Haydn en Sol no 31, Egmont de Beethoven, très touchant », et ajoute : « cette musique me fait toujours du bien, sans dissiper ma tristesse trop bien fondée » (VIII, 63, dimanche 2 avril 1865). Il se rend aux concerts Pasdeloup pour entendre la 7e symphonie, ainsi que du Haydn (VIII, 68, dimanche 9 avril 1865).
Montalembert et les « archéologues de la musique »
- 37 Œuvres, tome troisième, Discours, Paris, Lecoffre, 1860, p. 599.
- 38 « Il était réservé à notre époque de réhabiliter vingt générations d’artistes, créateurs inconnus (...)
- 39 Les Mélanges d’art et de littérature, Debécourt, Paris, 1839, repris et augmentés dans les œuvres (...)
15Montalembert ne semble pas spontanément et immédiatement intégrer la musique dans ses préoccupations et ses combats patrimoniaux. Si, dans son Discours de réception à l’Académie française (1852)37, il l’évoque dans la perspective historique qui est la sienne38, en revanche, le célèbre article de la Revue des deux mondes du 1er mars 1833 intitulé Du vandalisme en France ne comporte pas une seule allusion à la musique, et seuls les écrits ultérieurs réunis avec celui-ci dans les Mélanges39 y font çà et là référence, le premier à aborder explicitement la question datant de 1838.
- 40 Parmi les personnalités et les institutions, ne citons qu’Alexandre Choron (1771-1834, École royal (...)
- 41 On sait à ce sujet l’importance de l’abbaye de Solesmes, premier fruit de la restauration de l’ord (...)
- 42 Contrairement à ce que pourrait laisser croire le point de vue adopté par le présent article, les (...)
- 43 On les nommait parfois ainsi, cf. Yves Chartier, notice « Danjou Félix » sur le site internet Musi (...)
16On sait que, depuis le début du xixe siècle, diverses personnalités, courants ou mouvements40, par des concerts, des publications (partitions, traités, manuels, revues) et l’ouverture d’écoles de musique, œuvraient au développement d’une vision historique du grégorien41 et à un retour à une pratique plus authentique (réelle ou rêvée, là n’est pas la question), mais aussi à la redécouverte des polyphonies des époques romane, gothique et de la Renaissance, jugeant l’un et les autres d’esprit plus favorable à la prière et au recueillement que l’imitation de la musique de concert et de divertissement qui régnait alors pendant les célébrations liturgiques42. On peut imaginer quel fut l’impact auprès d’eux de l’engagement de Montalembert pour la défense d’un patrimoine pictural et architectural correspondant largement aux mêmes époques, alors méconnues et en déshérence, quand elles n’étaient pas tout simplement méprisées, et combien ses prises de position furent importantes pour les « archéologues de la musique »43.
- 44 Admirant la place du Dôme à Pise : « C’est ici le Moyen Âge, c’est le Moyen Âge (ce cher Moyen Âge (...)
- 45 Voir ce qu’il dit de Notre-Dame de Lorette (1823-1836), Saint-Pierre-du-Gros-Caillou (1822-1829), (...)
- 46 Les historiens d’art actuels sont parfois heurtés par les affirmations de l’article de Montalember (...)
17Il faut rappeler que ces débats esthétiques relèvent de questions liées à la « longue histoire ». On ne peut en effet comprendre l’entêtement des musiciens à redécouvrir et défendre les arts des époques carolingienne, romane et gothique, que dans la perspective du discrédit qui frappait celles-ci depuis la Renaissance, laquelle avait créé de toutes pièces la notion artificielle, polémique et attrape-tout de « moyen-âge », qui avait qualifié cette construction historiographique d’obscure et n’avait d’yeux que pour ce qui la précédait, l’Antiquité. Ce qui était vrai pour la littérature, la pensée, l’architecture, la sculpture et la peinture s’exprimait certes différemment pour la musique (il subsiste trop peu de « modèles antiques » en musique, tout juste quelques fragments musicaux notés et des traités), mais le discrédit d’époques musicales elles aussi conçues comme « barbares » n’était pas moins grand, tandis que le répertoire religieux traditionnel était, soit travesti, soit remplacé par de la musique de concert ou de divertissement (un des grands débats du xixe siècle concerne d’ailleurs la place du style de la musique de concert dans celui de la musique d’église). Telle était la vision qui s’était imposée entre les xvie et xixe siècles (et dont, à certains égards, nous ne sommes toujours pas complètement sortis) : la position de Montalembert et d’un certain nombre de défricheurs de l’histoire en est presque l’inverse et le symétrique, elle en prend le contre-pied avec une énergie d’autant plus forte – et donc parfois injuste – que le philistinisme que combattaient ces David était profondément gravé dans la conscience collective. L’orateur n’hésite pas à jouer son « cher moyen-âge »44 contre l’Antiquité et tout ce qui s’en inspire, et a beau jeu de railler l’académisme qui règne à son époque, notamment en architecture 45. Mais c’est tout ce contexte historique qui doit nous permettre de mieux comprendre le caractère parfois excessif de certaines prises de position de la part de tous ceux qui, au xixe siècle, essayaient de redécouvrir et de réhabiliter des époques oubliées46.
- 47 Auguste Bottée de Toulmon, 1797-1850, spécialiste de l’archéologie musicale, membre en même temps (...)
- 48 Jommelli.
- 49 Il assiste par ailleurs aussi à des concerts et des opéras ; sur la musique lors des deux séjours, (...)
18Montalembert entre très tôt en contact avec les cercles qui lui donnent l’occasion d’écouter des musiques anciennes. Dans une lettre à Liszt du 30 juin 1858 (lire le document 3), il affirme : « sans que je puisse me vanter de savoir la musique, mon attention a été de bonne heure appelée sur les anciennes mélodies liturgiques, par les travaux de Mr Bottée de Toulmon47 dont j’étais le collègue au Comité historique des Arts et monumens. » Quant au Journal, il montre également dès 1830 qu’il se rend « avec Rio et Léon à l’exercice de musique religieuse exécuté par les élèves de Mr Choron », à l’occasion duquel « on a joué plusieurs morceaux d’ancienne musique, madrigalesque, de Clari [1677-1754], Palestrina [ ca 1525-1594], deux beaux hymnes de Jomelli [sic48, 1714-1774] et de Mozart, la déclinaison du pronom, hic, haec, hoc de Carissimi [1605-1674], enfin le Festin d’Alexandre de Dryden, mis en musique par Händel » ; mais il ajoute : « je m’attendais à mieux : c’est toujours comme cela ; toutefois j’ai été assez content des chœurs » (II, 6, jeudi 26 janvier 1830). Plus tard, on le voit assister à un « concert historique donné par le P[rin]ce de la Moskowa. Vraiment admirable surtout l’air d’Arcadelt en 1540, Il dolce et [sic] bianco signo et une romance de Handel Dove sei. J’en jouis beaucoup ainsi qu’Hortense » (IV, 223, mercredi 23 avril 1845). Lors de ses deux séjours à Rome, de décembre 1831 à avril 1832 (II, 270-307), puis de décembre 1836 à février 1837 (III, 257-29149), il entend certainement des polyphonies vocales religieuses composées entre les xvie et xviiie siècles, notamment lors de cérémonies à Saint-Pierre ou à la Chapelle Sixtine, mais ses réflexions sur la qualité de la musique (à ne pas confondre avec la cérémonie en elle-même) sont évasives et parfois critiques (à la Sixtine : « musique bien inférieure à mon attente », II, 278, vendredi 6 janvier 1832 ; « au chant de la chapelle de Saint-Pierre, peu remarquable », II, 300, vendredi 16 mars 1832) ; Palestrina n’est mentionné qu’une seule fois, avec Bai (ou Baj, ca 1650-1714 ; « Le soir aux Ténèbres ; lamentations de Palestrina, Miserere de Bai, médiocre », II, 306, jeudi 19 avril 1832), et il entend également du B. Marcello (1686-1739 ; « Le soir chez la Pcesse Wolkonsky où l’on a chanté fort bien les Psaumes de Marcello, qui sont admirables », II, 300, samedi 17 mars 1832). Nous avons par ailleurs déjà pu noter (V, 691, dimanche 17 juillet 1853) qu’il avait entendu du J. -S. Bach (1685-1750) quelques années après qu’on ait commencé à redécouvrir et évaluer l’ensemble de son œuvre (entre autres grâce à Mendelssohn en 1829, puis à la constitution de la Bach-Geselschaft en 1850).
- 50 Sans aller jusqu’à prêter une indifférence historique à quelqu’un qui avait un sens aussi brûlant (...)
- 51 Il lit Walther von der Vogelweide (ca 1170 – ca 1230 ; « Lecture de Walther de Vogelweide : cela a (...)
19Il faut noter un certain décalage historique entre la « musique ancienne » qu’il est amené à entendre, dont la période recouvre non pas les périodes architecturales et picturales romane et gothique auxquelles il s’intéresse particulièrement, mais justement les périodes de la Renaissance, ainsi que les âges baroque et classique à l’égard desquels il est beaucoup plus réservé. Il ne paraît pas prêter attention à ce hiatus historique50, et il ne semble pas non plus qu’il ait eu l’occasion d’entendre d’éventuels essais de reconstitution des musiques composées entre les ixe et xive ou xve siècles – à l’exception du grégorien, bien sûr ! – bien qu’il n’ignore pas l’existence des travaux des quelques musicologues spécialistes de ces époques, comme nous le verrons plus loin51.
- 52 Musicographe, juriste, archiviste, ordonné prêtre en 1860.
- 53 Revue de la musique religieuse, populaire et classique, 1845, p. 129-145 ; créée par Félix Danjou (...)
- 54 « Vous m’avez raconté, Monsieur le Comte, l’étonnement que vous fit éprouver en Espagne l’accord d (...)
- 55 « L’intérêt que vous avez bien voulu témoigner à ce recueil, voué à la défense de cette branche de (...)
- 56 « On m’a cité un curé qui, tous les ans, à la fête patronale de son église, faisait jouer l’ouvert (...)
- 57 « Depuis que l’Église est en paix avec le dehors, elle n’a jamais cessé de lutter contre les éléme (...)
20En 1845 paraît un article de Stéphen Morelot52 (1820-1899) intitulé « Du vandalisme musical dans les églises »53, adressé sous forme de lettre à Montalembert, en écho à la première publication du recueil des Mélanges en 1839, la référence au titre de l’article de 1833 déjà évoqué étant – est-il besoin de le souligner ? – explicite. L’auteur connaît Montalembert et a déjà eu l’occasion d’échanger avec lui sur des questions de musique et de liturgie54 ; plus encore : se félicitant de l’intérêt que l’orateur manifeste pour les mouvements musicaux qu’il représente et particulièrement pour la Revue de la musique religieuse, populaire et classique55, il commence par évoquer son rôle précurseur dans la dénonciation des « dévastations sauvages et [des] restaurations sans intelligence qui se disputaient nos monuments » (p. 129), puis il souligne que Montalembert n’a pas oublié de parler de la musique et de relever que « les outrages du vandalisme n’ont pas atteint seulement les pierres », mais qu’« ils s’y produisent sans cesse d’une manière plus humiliante pour la piété, pour la dignité […], dans la musique, dans le chant […] » (id.). Mais, ajoute Morelot, autant les campagnes en faveur de la conservation des monuments ont porté leurs fruits auprès des pouvoirs publics ou du clergé, et les commissions archéologiques et savantes se sont multipliées, autant le vandalisme musical « règne encore dans sa toute puissance » (p. 130), et ce, y compris parfois avec la complicité d’un clergé « dépouillé par la révolution, réduit au nombre strictement nécessaire » (p. 132), avec des églises « réduites à vivre des offrandes des fidèles et des subsides que l’administration civile leur fait payer souvent par plus d’une avanie » (p. 137), sans oublier que certains prêtres sont « parfaitement étrangers à la différence des styles de musique »56 (p. 141) : comme dans les articles de Montalembert, le clergé est aux premières lignes des remontrances, c’est même un leitmotiv de ces courants57. Morelot propose une ébauche de typologie du vandalisme musical (p. 134-135), avec d’un côté le « vandalisme insouciant et ami du statu quo » (celui qui se contente de la médiocrité des chantres, du travestissement du plain-chant et de l’habitude de traditions dévoyées) et le « vandalisme dilettante » (qui encourage les « exhibitions de musique théâtrale dans les églises » [p. 136]). Nous avons placé en tant que document 1 la réponse de Montalembert à Morelot.
- 58 Danjou et Montalembert semblent souvent en conctact. Le Ji signale une lettre de Danjou à Montalem (...)
- 59 François-Joseph Fétis, Correspondance rassemblée et commentée par Robert Wangermée, Mardaga, Sprim (...)
- 60 id., lettre de Danjou à Fétis du 27 septembre 1845, 45-10, p. 205.
21Non seulement Montalembert est au courant des grands débats de l’historiographie et de l’esthétique musicale, mais encore, en tant que « chef du parti catholique », peut être sollicité pour intervenir sur diverses questions, d’ordre pratique il est vrai. Il semblerait que le grand musicographe belge François-Joseph Fétis (1784-1871) ait peut-être – ne serait-ce qu’indirectement – espéré qu’il puisse lui apporter son appui en 1845, afin de faciliter la publication et l’adoption en France d’un nouveau graduel-antiphonaire, fruit de près de quarante années de recherches historiques, alors même que de nombreux membres du clergé restaient attachés aux versions du xvie siècle. Félix Danjou58 paraît jouer ici le rôle d’intermédiaire, qui écrit en mai 1845 à Fétis : « Montalembert […] a eu avec moi diverses conférences où il a souvent été question de vous et je suis certain de l’avoir convaincu que vous étiez réellement le seul homme en Europe qui ait fait de cette matière une profonde étude, guidée par un jugement d’une admirable droiture »59. Mais même une autorité comme Montalembert ne paraît pas pouvoir faire grand chose, puisque dans une lettre datée de septembre 1845, Danjou écrit à nouveau à Fétis : « Quant à votre graduel et antiphonaire, il est certain qu’aucun évêque ne l’acceptera sans l’avoir fait examiner, un laïc est toujours suspect, et Mr de Montalembert qui les défend et commande le parti, aurait fait votre travail qu’on ne l’accepterait pas sans examen […] »60. Et de fait, face aux réticences des évêques, Fétis renonce à sa publication.
- 61 « Que sera la Maîtrise de la quatrième année ? », La Maîtrise, journal des grandes et des petites (...)
- 62 Les conséquences de ce « retour à » sont remarquablement exprimées plus tard par Gabriel Fauré (18 (...)
- 63 Publiés par Achille Boblet et Debécourt, 1838-1839, p. 193-194, repris dans les Mélanges sous le t (...)
- 64 Dont ceci : « On a déjà dit que, pour entendre la musique religieuse, il fallait aller à l’Opéra o (...)
- 65 Il prend d’ailleurs parti pour un certain type de musique à l’Église : parlant de Notre-Dame de Pa (...)
- 66 Par ailleurs ami proche de Berlioz et de Liszt.
22Dans un numéro d’avril 1860 de La Maîtrise61, un autre acteur de ces courants à la fois restaurateurs dans leur démarche et réformistes dans leurs conséquences62, Joseph d’Ortigue (1802-1866), dresse lui aussi un tableau pessimiste de l’indifférence, voire de la résistance du clergé. Dans le fil de son article, intitulé « Que sera la Maîtrise de la quatrième année ? », il cite près de deux pages de l’introduction de Montalembert aux Monuments de l’histoire de Sainte-Élisabeth63, dont pourtant seul un fragment fait allusion à la musique64, le principal étant consacré à l’architecture, la statuaire et la peinture. D’Ortigues assortit cette vaste citation du commentaire suivant : « Nous avons cité ce long passage, parce qu’il nous offre un fidèle miroir des dispositions du clergé relativement au plain-chant et à la musique d’église ; nous l’avons cité parce qu’il n’est pas suspect, et qu’en exprimant les sentiments qui l’animent à l’égard du clergé, il a exprimé les nôtres. Nous l’avons cité enfin parce que son éloquence nous vient en aide et nous protège. Et si ces plaintes sont telles quand il s’agit des arts de la forme extérieure, que seront-elles lorsqu’il est question du chant, partie intégrante et essentielle du culte, âme du culte ? du chant qui est l’expression du texte sacré, qui est la prière elle-même, accentuée, modulée, vivante ? » Tout est dit : les « archéologues de la musique » trouvent en Montalembert un allié, leur cause est la sienne, ils peuvent en outre s’appuyer sur sa notoriété, son âpreté au combat et sa liberté de parole, mais aussi sa fidélité à l’Église jusque dans la critique la plus franche65. Il est par ailleurs remarquable que la citation sonne comme un hommage du musicien à un homme qu’il connaît depuis au moins trente ans et l’aventure de L’Avenir (1830-1831), et avec lequel il a partagé nombre d’épreuves importantes : Mennaisien de la première heure66, d’Ortigue avait en effet été nommé par Lamennais lui-même critique musical de la grande revue du catholicisme libéral.
- 67 Dont la position dans le débat est néanmoins mitoyenne : comme beaucoup de compositeurs, il pratiq (...)
- 68 « Entendez-vous ce beuglement stupide qui retentit sous la voûte des cathédrales ? Qu’est-ce que c (...)
- 69 Ce texte est d’ailleurs cité par Morelot dans sa lettre de 1845, p. 141.
23Il est difficile de dire si, en prenant parti dans le très vif et long débat – il traverse tout le xixe siècle – entre les deux conceptions antagonistes de la musique religieuse (concert ou dévotion intérieure), Montalembert ne fait que reprendre les raisonnements de musiciens dont il a, semble-t-il, lu au moins certains écrits, ou s’il parle en puisant à sa propre expérience : le propre des lieux communs est précisément d’être communs ! Toujours est-il que son argumentation dans ce domaine est étonnamment proche de celle des musicologues et des musiciens, et que les propos tenus dans De l’attitude actuelle du vandalisme en France (1838) auraient pu l’être par tous les musiciens concernés par les enjeux d’une « restauration-réforme », jusque et y compris par Liszt67, qui fustigeait déjà en 1834 les pratiques musicales dans les églises68. Montalembert y affirme, plusieurs années avant Morelot69 :
« Enfin, avant de sortir des églises, il faut bien consacrer quelques mots à une classe spéciale de vandales qui y ont élu domicile, c’est-à-dire aux organistes. Si c’est un crime d’offenser les yeux par des constructions baroques et ridicules, c’en est un, assurément, que d’outrager des oreilles raisonnables par une prétendue musique religieuse qui excite dans l’âme tout ce qu’on veut, excepté des sentiments religieux, et d’employer à cette profanation le roi des instruments, l’organe intime et majestueux des harmonies chrétiennes. Or, dans toute la France, et spécialement à Paris, les organistes se rendent coupables de ce crime. Règle générale, toutes les fois qu’on invoquera le secours si puissant et si nécessaire de l’orgue pour compléter les cérémonies du culte, toutes les fois qu’on verra affiché sur le programme de quelque fête que l’orgue sera touché par M.***, on peut être d’avance sûr d’entendre quelques airs du nouvel opéra, des valses, des contredanses, des tours de force, si l’on veut, mais jamais un motet vraiment empreint de sentiment religieux ; jamais une de ces grandes compositions des anciens maîtres d’Allemagne ou d’Italie ; jamais surtout une de ces vieilles mélodies catholiques, faites pour l’orgue et pour lesquelles seul l’orgue lui-même est fait. Je ne conçois rien de plus grotesque et de plus profane à la fois que le système suivi par les organistes de Paris. Leur but semble être de montrer que l’orgue, sous des mains habiles comme les leurs, peut rivaliser avec le piano de la demoiselle du coin, ou avec la musique du régiment qu’on entend passer dans la rue. Quelquefois ils descendent plus bas, et le jour de Pâques de cette année 1838, on a entendu au salut de Saint-Étienne-du-Mont, un air fort connu des buveurs, dont les premières paroles sont :
“Mes amis, quand je bois,
Je suis plus heureux qu’un roi.”
- 70 Mélanges…, Du vandalisme : « De l’attitude actuelle du vandalisme en France (1838) », p. 210-249, (...)
24On voit que ce n’est guère la peine pour Mgr. l’archevêque de Paris d’interdire la musique de théâtre dans les églises, puisque les organistes y introduisent de la musique de cabaret »70.
- 71 Mélanges…, id., p. 214-215.
25Suit un rappel de la tradition de la musique d’église, avec les citations de deux décrets parisiens de 1528 et de 1674 réglementant à ces époques les musiques qu’il était possible de jouer sur l’orgue dans le cadre de la liturgie. Montalembert se lamente également sur l’incurie qui règne entre 1816 et 1830 en matière de conservation du patrimoine, « impardonnable négligence de l’antiquité chez un gouvernement qui puisait sa principale force dans cette antiquité même », qui « s’étendit jusqu’au Conservatoire de Musique, puisque l’on a été disperser ou vendre à vil prix la curieuse collection d’anciens instruments de musique qui y avait été formée, ainsi que l’a révélé le savant bibliothécaire de cet établissement, M. Bottée de Toulmon, à une des dernières séances du Comité des Arts71 ».
- 72 Mélanges…, Du vandalisme : « L’art et les moines (1847) », p. 341-361.
- 73 « Il est enfin un art, le plus charmant et le plus puissant de tous, celui qui répond le mieux aux (...)
- 74 Mais aussi en grec, italien, vieil anglais, vieil allemand, etc.
- 75 Parler latin n’était certes pas original à l’époque, mais le déchiffrer dans les manuscrits origin (...)
- 76 « Mais les moines, si zélés pour la musique, si habiles dans la facture des instruments et dans la (...)
- 77 1720-1793, abbé de Saint-Blaise, en Allemagne, et l’un des précurseurs dans la recherche concernan (...)
- 78 Les informations sont reprises dans le tome sixième des Moines d’Occident, Paris, Lecoffre, 1877, (...)
- 79 Dans le Sainte Élisabeth (1836), la référence – assumée – au « merveilleux chrétien » n’y change r (...)
26Les sept dernières pages de ce qui apparaît comme l’une des études préparatoires aux Moines d’Occident, un article intitulé L’art et les moines72, sont consacrées à la musique. Si, après un exorde d’un style lyrique73, on n’est pas étonné de voir Montalembert attribuer la paternité du chant grégorien au pape Grégoire Ier (590-604) – il faut attendre le xxe siècle pour que l’histoire soit rectifiée à ce sujet –, s’il semble normal qu’il parle du rôle de l’abbaye suisse de Saint-Gall et de celui de quelques grandes figures monastiques européennes, ou même que soit évoquée l’évolution de l’orgue dans les abbayes, le musicologue qui lit ces pages ne peut néanmoins qu’être surpris de voir cités pour chacun de ces sujets des documents historiographiques avec les textes originaux, ou que soient mentionnées des études qui ne devaient alors être connues que des seuls spécialistes. Cet étonnement n’est que de courte durée, si on se rappelle que, pétri de culture antique, il émaillait ses écrits de citations latines74, et que, pour ses recherches historiques, il avait toujours eu directement recours aux documents originaux ou publiés dans les recueils savants75, et ce, dès le Sainte Élisabeth. Mais un objet d’étude lui aussi inattendu sous la plume d’un auteur qui n’avait pas reçu d’éducation musicale est le relativement long développement terminal, dans lequel il est question de la théorie de la musique76, et où il s’appuie sur les meilleurs historiens de la question, comme l’abbé Martin Gerbert77, ou encore l’un des musicologues à l’époque parmi les plus versés en paléographie musicale et en recherche historique, Edmond de Coussemaker (1805-1876), Flamand de France proche du catholicisme libéral et figure centrale de la redécouverte des musiques romane et gothique78. Quels que soient les immenses problèmes posés par l’interprétation, par la « lecture » des sources historiques, précisément tout ce que la recherche en histoire ne cesse et ne cessera jamais d’affiner et d’approfondir, et donc quelle que soit la distance qui nous sépare des historiens du xixe siècle, il semble chez Montalembert que derrière le lyrisme du croyant se trouve toujours le travail du chercheur79.
Liszt et Montalembert
- 80 Jacques-Féréol Mazas (1782-1849), violoniste et compositeur ; Giulio Regondi (1822-1872), guitaris (...)
- 81 Pour la religion de Liszt, lire le magistral et – nous semble-t-il – définitif ouvrage d’Alain Gal (...)
- 82 Charles de Montalembert, Lettres à Lamennais, publiées par Georges Goyau et Pauline de Lallemand, (...)
- 83 Rappelons que Liszt est né en 1811.
- 84 Claire de Rauzan.
- 85 Ce dîner apparaît dans une lettre de Liszt à Marie d’Agoult datée du 24 mai 1836 : « samedi procha (...)
- 86 Christina, princesse Belgiojioso (1808-1871), bonne pianiste, proche à la fois de Liszt et de Mont (...)
- 87 On peut en trouver une liste sur un site du CNRS créé par le chercheur et musicologue Claude Knepp (...)
- 88 Hermann Cohen (1820-1871), pianiste et compositeur, se convertit au catholicisme en 1847 et fut or (...)
27C’est en 1830 que le jeune Montalembert de 20 ans semble avoir pour la première fois l’occasion d’écouter Franz Liszt (1811-1886), alors âgé de 19 ans : le Journal intime indique qu’il assiste à une matinée musicale où jouent de nombreux musiciens, parmi lesquels d’aussi considérables qu’Adolphe Nourrit ou la Malibran, et où il dit « avoir entendu avec le plus grand plaisir Mazas sur le violon, Liszt sur le piano, et le petit Regondi80, enfant trouvé de sept ans, sur la guitare » (II, 13, jeudi 1er avril 1830). Mais, pour qu’un véritable dialogue s’instaure, il semble qu’il faille attendre 1833, époque à laquelle Sainte-Beuve entraîne le musicien chez Montalembert, Liszt étant alors lecteur des écrits des saint-simoniens, mais insatisfait et habité par de nombreuses questions métaphysiques81. Une lettre de Montalembert à Lamennais du 6 mars témoigne des rencontres, des échanges de vues et de l’état d’esprit de Liszt : « Je ne me rappelle pas d’avoir rencontré jamais une exaltation plus sincère ; cette exaltation, il l’a concentrée dernièrement tout entière dans nos doctrines religieuses et politiques ; elles l’ont ramené à une foi réelle et pratique »82, et le journal note deux jours plus tard : « Liszt : convictions politiques et religieuses en harmonie avec les miennes. Pianiste hongrois, né le 22 8bre 180983 » (II, 360, 8 mars 1833). Montalembert a l’occasion de le revoir, chez des proches (« Visite à Clara84 ; j’y trouve Liszt qui absorbe presque tout le tems : elle est toujours bonne, douce et souffrante », III, 160, lundi 23 mai 1833), plus tard lors de circonstances apparemment plus mondaines, comme un dîner à l’invitation de Liszt et dont nous aurons l’occasion de reparler (« Dîner au Palais royal avec Liszt et un tas de ses amis : conversation curieuse de Nourrit le chanteur, vraiment pieux », id., 162, samedi 28 mai 183685), ou en 1840 lors d’une soirée musicale à propos de laquelle il est moins lapidaire : « Enfin nous finissons la soirée chez la princesse Belgiojoso86 qui nous avait invités en tout petit comité pour entendre Liszt : c’est une des plus vives jouissances musicales que j’aie eue de ma vie, et pour mon Angesse aussi – Depuis que Liszt n’improvise plus, mais compose, il fait mille fois plus de plaisir. La Sérénade de Schubert, ses Puritains, sa Marche hongroise et sa Valse non écrite, nous ravissent – Mon Angesse, embellie par son admiration, est toute enlevée par ces merveilles » (id., 482, dimanche 3 mai 1840). La distinction entre le Liszt compositeur et improvisateur, qu’elle rende compte d’une impression musicale réelle ou qu’il s’agisse de l’une de ces innombrables idées générales qui circulent au sein d’un groupe donné, montre au moins que Montalembert est déjà allé entendre à plusieurs reprises Liszt, soit au concert, soit en société87. Mais il semble que, pour des raisons de voyages et d’emplois du temps respectifs, ou de refroidissement dans les relations, comme nous le supposerons plus loin, les contacts se soient espacés, et il faut attendre 1854 pour voir indirectement réapparaître le nom de Liszt sous la plume de Montalembert, à propos de sa rencontre avec un pianiste ancien élève du musicien (« visite extrêm[ement] intéressante et touchante du P[ère] Hermann88 [1820-1871], Carme, anc[ien] élève et compagnon de Liszt, dont la conversion et l’éloquence font tant d’impression partout », VI, 138, mardi 20 mars 1855).
- 89 Même si elle n’est pas très abondante et moins dense, la correspondance entre les deux hommes pour (...)
- 90 Liszt ira finalement seul, cf. plus loin.
- 91 Liszt, Marie d’Agoult, Correspondance, id., p. 135 (le manuscrit est reproduit p. 136-9). L’orthog (...)
- 92 Il s’agit probablement de la lettre de Montalembert à Lamennais du 2 mai 1834, partiellement citée (...)
- 93 Lamennais à Montalembert, le 16 mai 1834 : « Liszt m’a écrit aussi une lettre extrêmement touchant (...)
- 94 « Munich, ce 29 août 1834 », in Lamennais, correspondance générale, tome VI, appendice 1018, p. 74 (...)
- 95 Le séjour s’étalerait du 8 septembre au 2 octobre, selon M. Corbes, « Franz Liszt et la Bretagne » (...)
- 96 Séjour pendant lequel Lamennais fait entre autres de lui son « auditeur » pour l’élaboration d’une (...)
- 97 Lamennais, correspondance générale, tome VI, lettre 2328, p. 290.
28Du côté de Liszt, c’est en partie dans sa correspondance avec Marie d’Agoult (1805-1876) qu’on peut se faire une idée du regard que le musicien porte sur l’orateur. Mais, pour comprendre le contexte de leur relation naissante et de leurs premières difficultés, il convient tout d’abord de se pencher sur ce qui les liait à Lamennais. Liszt et Lamennais s’étaient rencontrés en avril 1834, quinze jours avant la parution des Paroles d’un croyant (30 avril 1834)89. Fin mai 1834, dans l’exaltation de cette rencontre, mais aussi en pleine tourmente causée par la parution des Paroles, Liszt copie pour Marie d’Agoult l’intégralité d’une lettre de Lamennais dans laquelle ce dernier évoque la future visite de Liszt à la Chênaie avec d’Ortigue et Sainte-Beuve90. Dans cette lettre91, Lamennais lui dit : « Je voudrais que Montalembert pût se rencontrer avec vous, mais il veut encore voyager un an. Il me parle de de [sic] vous dans sa dernière lettre et me charge de le rappeller [sic] à votre souvenir92. Son âme est triste. Qui ne souffre point dans ce temps de bassesse et de lâcheté ? » On a l’impression que Lamennais souhaiterait réunir auprès de lui (« ses » ?) deux enfants prodiges93, celui de la musique et celui de la politique. Mais ce qui se passe dans les mois qui suivent la parution des Paroles permet peut-être de comprendre que l’amitié prometteuse entre Liszt et Montalembert ait été une première fois mise à mal : on sait que débute en mai 1834 un intense débat entre Lamennais et Montalembert, dont la magnifique correspondance est bien connue, et qui aboutira à leur rupture en 1836. Le 29 août 1834, Montalembert écrit à Lamennais une lettre affectueuse mais terriblement inquiète concernant les imprudentes prises de position publiques de ce dernier au lendemain des Paroles94. Le 8 septembre 183495, Liszt arrive pour un long séjour à la Chênaie96. Or, dans sa réponse du 10 septembre à la lettre de Montalembert du 29 août97, Lamennais commence en ces termes : « J’ai fait tous mes efforts, mon cher Charles, pour me trouver aussi absurde, aussi imbécille [sic], aussi extravagant que j’ai l’avantage de l’être à tes yeux, et je n’ai pas pu y parvenir. […] J’ai donc résolu de cesser entièrement de te parler des choses qui me concernent […] » Le ton est donné, et, sans pour autant affirmer que Lamennais ait ouvertement fait état auprès de Liszt et pendant son séjour de ses dissensions naissantes avec Montalembert, on peut imaginer qu’il ait pu a minima faire preuve à son sujet d’un silence, d’une discrétion et d’une réserve éloquentes et significatives, auprès d’un hôte qui lui était tout acquis.
- 98 Seconde fille de l’écrivain Claire de Kesaint (1777-1828), duchesse de Duras ; son salon littérair (...)
- 99 Il s’agit de la princesse Belgiojoso dont il a déjà été question plus haut.
- 100 Id., p. 239.
- 101 « le vieux », l’un des surnoms que Liszt se donnait à lui-même dans sa correspondance avec Marie d (...)
- 102 Id., p. 245.
29Plus tard, un nouveau contexte a peut-être encouragé une certaine distance. Dans la lettre de Liszt à Marie d’Agoult du 24 mai 1836 déjà citée plus haut (note 85), Liszt, alors probablement en butte à la désapprobation d’une bonne partie de ses relations parisiennes en raison de leur liaison, qui avait défrayé la chronique, sollicite une entrevue le 23 mai avec la duchesse Claire de Rauzan (1799-1863)98 et, rencontrant chez elle Montalembert, écrit : « J’y ai revu Mr de Montalembert qui a été fort poli pour moi. Je lui ai parlé sévèrement et loyalement », tandis qu’il ajoute plus loin : « Demain je dois revoir Ballanche, Montalembert et de Vigny chez eux. Principessa99 (qui s’est décidément constituée mon défenseur admiratif) me fera dîner avec l’abbé Cœur, que j’ai déjà entrevu une fois. Je n’ai pas encore d’opinion »100. Il ne serait donc pas impossible que l’éloignement des deux hommes soit dû à des propos malencontreux de Montalembert à l’égard de Liszt : il n’en reste pas moins que Liszt, dont on connait l’ouverture et la générosité natives, organise l’important dîner du 28 mai dont il a déjà été question, et à propos duquel il écrit à Marie dans la nuit du 28 au 29 mai : « 3 ° j’ai donné aux Frères Provençaux un grand Dîner aujourd’hui à Ballanche, d’Eckstein, Montalembert, Meyerbeer, Adolphe Nourrit, Ferd[inand] Denis, Leuret, Théophile [de Ferrière], Chopin, De Lacroix (le peintre), Boulanger, Barrault, etc. Après Dîner nous nous sommes réunis chez Érard où nous avons beaucoup jasé. Vecchio101 a joué la Valse matriotique, une fraction du premier morceau suisse, les soirées de Rossini. Grandissime succès de toute manière »102.
- 103 Mélanges…, « De la peinture chrétienne en Italie, à l’occasion du livre de M. Rio », p. 78-143.
- 104 De la Poésie chrétienne dans son principe, dans sa matière et dans ses formes, Debécourt, 1836, re (...)
30Mais en 1839 le jugement de Liszt à l’égard de Montalembert se durcit. L’occasion en est la lecture d’une longue recension103 écrite par Montalembert à propos du livre sur la peinture italienne d’un ami proche de l’orateur, l’historien d’art Alexis François Rio (1797-1874)104. Certains propos de cette recension irritent le compositeur, qui écrit à Marie d’Agoult :
- 105 Charles Gay (1815-1892), évêque d’Antidon, ami de Liszt et mélomane.
- 106 Nous ne sommes pas parvenu à retrouver trace de ce passage dans l’article de Montalembert. Liszt a (...)
« Tout chemin cond[uit] à Rome, mais peu en ramènent. / J’avais eu hier matin une sorte de discussion monologuée avec Ch105 à propos de l’article [de] Montalembert sur le livre de Rio. Cet article manque de convenance. Ce n’est pas à un pair de France à parler des Anglais blasés, qui emportent dans leurs châteaux des chefs-d’œuvre perdus pour le reste du monde106 ! […] Plût à Dieu qu’il se trouvât beaucoup de ces gens blasés qui acquièrent de belles œuvres pour en décorer le foyer domestique et entretenir le sentiment du beau dans la vie de famille ».
31Il enchaîne avec une diatribe contre quelques affirmations esthétiques de Montalembert :
32Liszt enchaîne :
- 108 p. 113 des Mélanges… ; Montalembert donne le mot italien : una frittata.
- 109 p. 111 des Mélanges… « […] l’entrée de la chapelle Saint-Laurent [la Cappella Niccolina] au Vatica (...)
- 110 Franz Liszt, Marie d’Agoult, Correspondance, lettre du 19 octobre 1839, p. 374-375.
« Montalembert rappelle que Pérugin peignit un oratoire pour une omelette108 ! Quel désintéressement !/À quoi bon dire en parlant d’Agricola – il paraît que ce Monsieur, etc.109 Cela ne convient sûrement ni à un catholique ni à un pair de France. / Ch[arles Gay] prétendait que du point de vue, ou plutôt avec la croyance de Mr de Montal il avait peut-être le droit de dire de Goethe ce “prétendu grand homme. Il n’y a même aucune présomption à parler ainsi. Il exprime simplement l’idée d’un parti, d’une orthodoxie”. / J’ai répondu que les présomptions et les vanités particulières s’arrangeaient très bien en général de ces retranchements de parti et d’orthodoxie. On est ainsi fort à l’aise dans l’attaque et la forme de l’attaque. Elles ont en tout l’avantage sans aucun des inconvénients. / La critique que M [ontalembert] fait du titre et du mode de publication est juste. /La rancune qu’il garde à l’aristocratie de Venise et les poids qu’il suppose dans la balance du souverain juge m’ont parus divertissants. Il attribue en partie la chute de la république de Venise à la résistance du sénat contre l’envahissement du Saint-Siège »110.
- 111 « Le Tannheauser » [sic], Journal des débats, 18 mai 1849. L’un des personnages principaux du Tann (...)
- 112 « Ce château a été illustre au Moyen Âge ; les landgraves de Thuringe y ont accordé une protection (...)
- 113 La vie de Sainte Élisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231), Debécourt, Paris, 1836, o (...)
- 114 Jean-François Labie, Le visage du Christ dans la musique des xixe et xxe siècles, Paris, Fayard, 2 (...)
- 115 Die Legende von der heiligen Elisabeth, pour soprano, alto, ténor, baryton, basse chœur, orchestre (...)
- 116 Lettre citée par Laurence Le Diagon-Jacquin dans « Signification des thèmes et des motifs dans la (...)
- 117 Claude Knepper s’est déjà penché sur la question de cette lettre : pour la recherche des mélodies, (...)
33Rendant compte en 1849 du Tannhäuser de Wagner pour le Journal des débats111, Liszt évoque le Sainte-Élisabeth de Montalembert112. Il avait lu cet ouvrage113 dès sa parution en 1836, et Jean-François Labie rappelle qu’il en avait aimé le « parfum »114. Mais, lorsque devenu tertiaire franciscain (comme sainte Élisabeth), il compose lui-même entre 1857 et 1862 un oratorio intitulé La légende de sainte Élisabeth115, il ne s’inspire pas directement de cette hagiographie fondatrice : il fait appel au poète allemand Otto Roquette (1824-1896), et expose la raison de son choix dans une lettre à sa mère du 2 décembre 1862, dans laquelle il lui explique : « vous y retrouverez, pour ainsi dire, tout le suc et le parfum de l’ouvrage de monsieur de Montalembert sur sainte Élisabeth, sans aucune “des exagérations” qui vous ont quelquefois effarouchée dans ce livre, lequel pour être goûté dans son entier demande, ce me semble, des lecteurs un peu familiarisés avec la Légende des Saints et gagnés par avance à l’expansion surnaturelle d’une piété ardente, jusqu’à l’héroïsme de l’abnégation la plus absolue, sans cesse inassouvie, et ne pouvant se désaltérer qu’à des eaux mystiques qui rejaillissent dans la vie éternelle »116. On a peut-être ici une réponse à la question de savoir pourquoi Montalembert n’a pas été prévenu dès le début de ce projet, ni même sollicité pour y participer à quelque degré que ce soit. Une autre raison pourrait être que, même si Montalembert parlait parfaitement l’allemand, le livret est dans une langue qui n’est pas la sienne (l’oratorio fut d’ailleurs créé sur un livret en hongrois à Budapest en 1865). Toujours est-il que le 24 juin 1858, Liszt écrit à Montalembert pour lui demander s’il possède la mélodie des proses et des antiennes de l’office dédié à la sainte et citées à la fin de son ouvrage. Il ne sera pas fait ici l’histoire, d’une part de la trace éventuelle du travail de Montalembert dans le livret de l’oratorio, d’autre part de la réponse de Montalembert et du destin de la requête de Liszt : ces sujets demanderaient un article à part, à la fois analytique et historique117. Pour simple information, nous nous contenterons de placer en tant que document 2 la lettre de Liszt et en document 3 la réponse de Montalembert (30 juin 1858), et nous relèverons simplement l’affirmation de Liszt, que le librettiste s’est inspiré du texte de Montalembert – ce qui reste à vérifier.
- 118 Correspondance de Liszt et de sa fille Madame Émile Ollivier, publiée par Daniel Ollivier, Grasset (...)
- 119 Il épouse en 1857 Blandine Liszt, fille de Liszt et de Marie d’Agoult. Sur ce qu’il dit de M., voi (...)
- 120 Rappelons que Montalembert est en complète opposition avec Napoléon III et le Second Empire, auque (...)
- 121 Publié à Londres chez « W. Jeffs, Foreign Bookseller » ; Montalembert est condamné le 24 novembre (...)
34Montalembert apparaît dans la correspondance118 entre Liszt et sa fille Blandine (1835-1862), épouse de l’avocat et homme politique français Emile Ollivier (1825-1913)119, avec lequel l’orateur noue une véritable amitié jusqu’à sa mort. Dans une lettre de 1858 à son père, Blandine, rendant compte d’un discours de son mari à la Chambre prononcé dans des conditions difficiles, note que « Montalembert et Duvergier de Hauranne […] ont été surpris et ravis du discours d’Émile » (Correspondance…, Paris, 21 janvier 1858, p. 208)120. Le 14 mai, elle lui écrit qu’« il a mis dans ses relations avec Émile une amabilité toute particulière », ajoutant : « il tient beaucoup à renouer avec vous et je crois que c’est à ce désir qu’Émile doit tant d’obligeance de sa part » (p. 213). Le 21 novembre, c’est au tour de Liszt de poser des questions à sa fille à propos du procès intenté à Montalembert à la suite de la publication d’Un débat sur l’Inde au Parlement anglais121 ; Liszt lui demande : « Si comme je le pense, vous êtes au courant du procès Montalembert, parlez-m’en avec un peu de détail dans votre prochaine lettre. Les journaux que je reçois gardent beaucoup de réserve à ce sujet qui m’intéresse. » (p. 222). Blandine répond le 4 décembre par une longue lettre principalement consacrée à cette affaire (p. 223-226), dans laquelle elle rend compte de la réaction de Montalembert à la grâce prononcée par l’Empereur (« M. de Montalembert dit […] qu’il est de ceux qui croient encore au droit et qui n’ont pas besoin de grâce », p. 223), puis surtout de la plaidoirie des défenseurs, Pierre-Antoine Berryer (1790-1868) et Jules Dufaure (1798-1881).
- 122 Mais ils quittent tous les deux le pays de leur enfance alors qu’ils ont entre 10 et 15 ans, Liszt (...)
- 123 Insistons, et renvoyons une fois encore au livre d’Alain Galliari déjà cité.
35Il reste à essayer de comprendre pourquoi Liszt et Montalembert, qui avaient beaucoup de choses en commun et presque tout pour s’entendre, ont pu rester l’un et l’autre à la distance qui fut la leur. Ce qui les réunissait était impressionnant : leur foi profonde, bien sûr, même si le premier la vivait de façon plus complexe, tandis que le second s’était fait le champion public de la défense de l’Église. Une certaine exaltation, une « présence » romantique, qui s’exprime – au moins dans certains écrits – de façon assez comparable chez l’un et chez l’autre, même si quelques-unes des affirmations de l’orateur ont pu agacer le compositeur. Leur philosophie politique également était proche, bien qu’avec une ligne directrice plus lisible chez le parlementaire, ce qui ne saurait surprendre. Par ailleurs, son journal intime le montre, Montalembert était presque mélomane, en tout cas extraordinairement réceptif à la musique. Et, affinité plus singulière, il s’agissait de deux Européens, le premier quasiment apatride (bien qu’affirmant son identité hongroise), le second plus enraciné122, mais tous deux avec une conscience aiguë de la dimension européenne des problèmes politiques, sociaux et culturels, sans oublier qu’ils étaient d’étonnants polyglottes et qu’il s’agissait de deux grands lecteurs de la littérature européenne. Or, la rencontre ne s’est pas vraiment faite. On pourra arguer des directions différentes, des « désordres » de la vie de l’un, tandis que la trajectoire de l’autre semble plus « droite » ; mais il suffit de lire le Journal intime pour prendre la mesure des immenses combats intérieurs de Montalembert, de son extrême sensibilité, du désespoir et de l’abattement qui pouvaient le saisir. Qui en serait étonné ? : de tels combats font partie de la condition même de l’homme – et de l’homme chrétien qu’il était ; Liszt vivait des combats comparables123, mais plus apparents, plus extériorisés. Aussi, pour reposer la question de cette non-rencontre, ou au moins de cette rencontre relative, nous pensons que celui qui se pique d’histoire doit ici baisser la garde et n’a pas forcément à trouver des raisons logiques et rationnelles : l’affinité élective procède de la magnifique vieille catégorie théologique du for interne, celle-là même qui fonde la liberté de conscience, et donc de cet « intime » dont il n’y a historiquement pas lieu de rendre compte. Même si la vocation de l’histoire est de scruter le déroulement des réalités humaines, son champ d’action est limité par ce qui se trouve au cœur de la conscience des hommes dont elle étudie les faits et gestes.
Document 1
- 124 Elle se trouve dans une rubrique qui contient un « Mandement de Mgr l’évêque d’Autun » (p. 247-250 (...)
36Réponse de Montalembert à Stéphen Morelot, insérée dans la Revue de la musique religieuse, populaire et classique, 1845, p. 250-251124. Nous reproduisons également la présentation de cette lettre par la revue.
« Voici un autre témoignage non moins imposant en faveur des doctrines que nous professons. C’est la lettre adressée par M. le Comte de Montalembert à Stéphen Morelot, que nous nous sommes bornés à annoncer dans notre dernier numéro ; l’absence de notre collaborateur nous ayant empêché de l’insérer. Si quelques personnes pouvaient conserver encore des doutes sur l’importance de la lutte que nous soutenons contre le mauvais goût de la musique dite religieuse, nous les prions de considérer ce noble champion des libertés les plus essentielles de l’Église catholique, qui, au milieu des discussions brûlantes de la tribune politique qu’il remplissait il y a quelques jours de sa puissante parole, trouve encore le temps de joindre ses réclamations aux nôtres sur un sujet que tant d’hommes graves ne trouvent pas digne de leur intérêt. Les rédacteurs de ce recueil n’ont pas besoin de dire combien de pareils encouragements leur sont précieux ; ils ne dissimulent pas non plus les devoirs plus grands qu’ils leur imposent, et ils ont confiance pour pouvoir les remplir, dans le secours qui ne manque jamais aux hommes de bonne volonté. »
37[suit la lettre de Montalembert :]
« J’ai mille remerciements et mille félicitations à vous adresser, monsieur, pour le savant et judicieux article auquel vous avez bien voulu adjoindre mon nom dans le dernier numéro de la Revue de musique religieuse. Vous m’avez fait en cela un honneur très peu mérité, mais auquel je ne suis pas moins sensible. Je n’ai pas besoin de dire que je sympathise du fond du cœur avec les excellentes doctrines et les observations pleines de goût et de justesse qui signalent votre travail ; mais j’aime à ajouter à mon suffrage très insignifiant celui de personnes beaucoup plus compétentes que moi et qui vous ont lu avec le plus vif plaisir. Puisse le clergé écouter votre voix et, au milieu des graves et douloureuses préoccupations qui remplissent le cœur de tous les bons catholiques, ne pas perdre de vue la régénération nécessaire de toutes les branches de l’art chrétien ! Il n’en est point de plus compromise ni de plus précieuse à la fois que cette musique sacrée dont vous savez si bien exposer les règles et signaler la décadence. Il y a, sous le rapport de la musique religieuse, toute une révolution pacifique et bienfaisante à opérer. Cette révolution se fera, j’en ai la ferme conviction ; car elle est aussi légitime, aussi naturelle et aussi nécessaire que celle qui s’est opérée depuis quinze ans dans l’esprit du clergé sur l’architecture du moyen-âge. L’excellente Revue fondée par M. Danjou aura la gloire d’avoir puissamment contribué à amener cette transformation indispensable. Les difficultés seront grandes, les mécomptes nombreux ; mais il en est ainsi de toutes les luttes salutaires et justes. La victoire finira par rester au bon goût et à la saine tradition. Ne vous laissez donc pas décourager, et travaillez avec persévérance à amener la réforme des abus qui déshonorent aujourd’hui cette branche essentielle de la liturgie catholique. Lorsqu’en 1833 j’osai le premier élever la voix pour dénoncer le vandalisme restaurateur qui avait si longtemps régné en maître dans nos églises, des murmures et des réclamations s’élevèrent ; mais aujourd’hui il me semble qu’on trouverait difficilement au sein du clergé nouveau deux opinions sur le mérite de l’architecture gothique et l’absurdité des pastiches classiques. Il en sera de même pour la musique, soyez-en certain. Avant un quart de siècle, les beuglements du soi-disant plain-chant que l’on entend dans plusieurs églises de Paris, les prostitutions de l’orgue aux valses et aux airs bachiques, les orchestres de théâtre transportés dans le sanctuaire exciteront les mêmes répulsions et les mêmes risées que la chaire de Saint-Germain-des-Prés ou la façade des Lazaristes de la rue de Sèvres. »
Recevez, etc.
Le comte de Montalembert. »
Document 2
- 125 Le texte présenté ici est transcrit à partir d’une photocopie donnée par Monsieur et Madame Roger (...)
- 126 « Appendice VIII, Liturgie de sainte Élisabeth », p. 401-425 de la 1re édition de 1836, p. 253-305 (...)
38Lettre de Liszt125 à Montalembert, datée du 24 juin 1858, reçue par ce dernier le lundi 28 juin (VI, 569), concernant une demande d’informations sur la musique des proses et antiennes de l’office consacré à Sainte Élisabeth de Hongrie (1207-1231) et dont les textes sont cités à la fin de La vie de Sainte Élisabeth de Hongrie (1836)126. Elle consiste en trois pages d’une écriture penchée. L’orthographe de la lettre est respectée dans la transcription (notamment l’absence de quelques accents ; certaines majuscules sont ambiguës).
- 127 Haut de page, d’une main inconnue, annotation ultérieure ?
39Lettre adressée à Mr le Comte de Montalembert127
- 128 Moritz von Schwind (1804-1871), en réalité autrichien, ami de Schubert – auteur notamment du célèb (...)
Monsieur le Comte,
Ce n’est rien vous apprendre de nouveau que de vous dire combien votre histoire de Ste Élisabeth a exercé d’influence non seulement en France mais en Allemagne où elle a ranimé au sein même du protestantisme qui règne en ce moment sur les lieux témoins des hautes et tendres vertus de cette Sainte, le souvenir de ses miracles et de sa bienfaisance.
L’impulsion que vous avez donné y a ravivé son Culte plus encore qu’ailleurs. Le château qu’elle a habité se voit restauré par les soins du Grand Duc de Weymar qui a demandé à un des premiers peintres de l’Allemagne, Mr v[on] Schwind128, fervent catholique, de consacrer à sa mémoire des fresques [fo 1 vo] retraçant les principaux événements de sa vie et ses œuvres de miséricorde. Ces peintures murales ornent la galerie conduisant à la chapelle ou l’autel devant lequel elle avait priée a été conservé et enrichi de broderies d’or fort couteuses, dans le style byzantin, offertes par les Princesses de la Famille Grand Ducale, ainsi que par une croix de Diamant donné par l’Empereur Nicolas. Les artistes s’accordent à ranger les fresques de Mr v [on] Schwind parmi les plus belles compositions de ce maître. L’heureuse distribution qu’il fit de son sujet me donna l’idée, à moi qui depuis dix ans demeure dans le voisinage de la Wartburg, de composer musicalement dans le style des Oratorios, une légende de Ste Élisabeth afin de lui apporter aussi mon tribut de piété et d’artiste. Mr Otto Roquette, poète d’une sensibilité pleine de distinction s’inspirant de votre ouvrage, Monsieur le Comte, me fit un texte dont la grâce naïve et touchante, permet aux plus nobles formes de l’art musical de prêter leur charme à l’élévation et à la beauté du sentiment religieux. Vers la fin de l’année je compte avoir terminé cette œuvre destinée à remplir toute une soirée. Je désire lui donner [fo 2 ro] pour morceau final un grand Chœur dans le caractère et le style catholique du temps, et dans cette intention nous avons pris pour texte quelques uns des vers latins cités dans vôtre Appendice. Il m’importerait d’apprendre si en recherchant dans les divers Antiphonaires les Proses et les Hymnes consacrées par l’Église à cette chère Sainte, vous n’y avez pas rencontré les intonations notées, appropriées à ces versets ? – Le but de ma lettre serait de vous prier d’avoir l’extrême obligeance de me faciliter par l’intermédiaire de mon gendre, Mr Émile Ollivier, qui se chargerait des frais attachés à cette recherche, la copie des notes sur lesquelles on chantait la Prose et les Antiennes que je me permets de citer sur une feuille ci-jointe.
Ce serait me rendre un grand service, Monsieur le Comte que de me procurer ces matériaux aussitôt que possible, car il me serait pénible d’être interrompu dans mon travail.
Dans l’espoir que votre ancienne bienveillance pour moi, voudra bien excuser la liberté que je prends de vous adresser cette demande,
j’ai l’honneur d’être, avec les sentimens de la plus haute et sincère estime,
votre tout dévoué serviteur
F. Liszt
Weymar 24 Juin 58.
Document 3
- 129 Le manuscrit autographe en est conservé dans le fonds Liszt du Goethe – und Schiller-Archiv de Wei (...)
40Réponse de Montalembert à Liszt, datée du 30 juin 1858. Le compositeur en mentionne l’existence dans une lettre à son gendre Émile Ollivier, datée du 3 juillet 1858 : « Montalembert vient de m’ecrire [sic] une fort aimable lettre, mais par laquelle il m’apprend seulement qu’il n’est ni en possession ni même au fait des matériaux sur lesquels il m’importe d’être renseigné. » L’orthographe de la lettre de Montalembert est respectée, notamment l’absence de quelques accents129.
Paris, ce 30 juin 1858
Cher Mr Liszt, je reçois au moment de quitter Paris votre bonne et interessante lettre du 24 – J’ai été charmé de votre bon souvenir qui m’a rajeuni de plusieurs années.
Je voudrais pouvoir vous répondre d’une façon satisfaisante – mais cela m’est impossible. – Il y a plus de vingt-cinq ans que j’ai recueilli les matériaux de l’histoire de Sainte Élisabeth sur lesquels vous voulez bien me consulter – Je vous [fo 1vo] avoue que j’ai perdu de vue l’origine de la plupart des documents liturgiques que j’ai cités, et je n’ai pas à ce sujet d’autres renseignements que ceux imprimés avec le texte même – Mais, si ma mémoire ne me trahit pas, je crois pouvoir affirmer qu’il n’y avait aucune notation ancienne dans les manuscrits que j’ai consultes : s’il y en avait eu, j’en aurais probablement parlé dans une édition subséquente, car, sans que je puisse me vanter de savoir la musique, mon attention a été de bonne heure appelée sur les anciennes melodies liturgiques, par les travaux de Mr Bottée de Toulmon dont j’étais [fo 2 ro] le collègue au Comité historique des Arts et monumens.
Je suis heureux de vous savoir engagé dans un travail si digne de vous et si bien fait pour vous inspirer : j’espère que vous viendrez nous le faire entendre à Paris, et je demeure en attendant, avec une haute consideration, votre dévoué serviteur
Ch de Montalembert
Notes
1 Mémoires, 1870, publiés à titre posthume, chapitre 46.
2 Active entre 1828 et 1967 et administrée par l’association philharmonique du Conservatoire de musique de Paris, la Société des Concerts joua un rôle crucial au xixe siècle dans la vie musicale parisienne et française et, grâce à l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire et à son premier chef, François-Antoine Habeneck (1781-1849), diffusa à ses débuts les symphonies de Beethoven auprès du public français, qui les découvrit grâce à elle. Elle fut remplacée en 1967 par l’Orchestre de Paris.
3 David Cairns, Hector Berlioz, Paris, Fayard, 2002, tome 2, p. 146 : « Mis à part le Comte de Montalembert, Gasparin est l’unique homme d’État important figurer sur la liste des abonnés de la Société des concerts pour l’année 1837 ».
4 Au sens ancien d’« homme public » ; nous reprenons ce qualificatif, appliqué depuis le xixe siècle à Montalembert par les rédacteurs des brèves notices biographiques de dictionnaires, ce qui semble traduire leur gêne lorsqu’il s’agit de définir ce qu’il fut : homme politique (mais il ne fut jamais un « homme d’État »), orateur, homme d’idées, polémiste, leader d’opinion, historien, hagiographe, écrivain, essayiste, fondateur de revues, journaliste, défenseur de causes publiques et de l’Église ? – c’est jusqu’à sa dimension européenne qui le rend inclassable.
5 L’auteur remercie Nicole Roger-Taillade et Jacqueline Lalouette pour leur relecture précise, attentive et bienveillante.
6 En 1834, Montalembert voyage longuement en Allemagne avec Brentano (1778-1842) – frère de la grande amie de Beethoven – compilateur avec Arnim (1781-1831) du recueil de poèmes populaires Des Knaben Wunderhorn (1805-1808), dans lequel puisèrent d’innombrables compositeurs du xixe siècle jusqu’à Mahler (1860-1911).
7 Par l’écoute directe, mais parfois, à défaut d’écoute à la source, par ce que lui suggère la littérature.
8 Même si la collecte est déjà très importante au xixe siècle (décret Fortoul du 13 septembre 1852, Tiersot, puis Maurice Emmanuel, d’Indy, Canteloube, etc.), c’est au xxe siècle et avec le développement de l’ethnomusicologie que surgit une vision « scientifique » (par exemple Brăiloiu, Kodály, Bartók, Schaeffner, etc.).
9 Le Journal intime inédit (Ji), texte établi, présenté et annoté par Louis Le Guillou et Nicole Roger-Taillade, 8 tomes ; aux Éditions du CNRS : Tome I, 1822-1829, 1990 ; II, 1830-1833, 1990 ; aux éditions Honoré Champion : III, 1834-1843, 2003 ; IV, 1844-1848, 2005 ; V, 1849-1853, 2006 ; VI, 1854-1858, 2006 ; VII, 1859-1864, 2008 ; VIII, 1865-1870, 2009. Les renvois à ce journal seront désormais effectués de la façon suivante : (numéro de volume en chiffres romains, page, date).
10 Jusque dans les années 1850, Montalembert utilise l’une des deux orthographes alors possibles, communes et traditionnelles de « tems », « déchirans », « pédans », etc. À partir des années 1850, il ajoute les « t » ou les « p », tout en conservant ici ou là l’ancien usage.
11 Outre les chants tyroliens évoqués (66, 67), il entend ainsi en Allemagne et en Autriche des Volkslieder (III, 60), des processions (68), la Passion de Mittenwald (81), un bal dans une auberge (86), etc.
12 Mais, particulièrement à l’étranger, on peut apprécier des cantiques religieux populaires en Allemagne (par exemple III, 36, 1834), juger de la qualité musicale des vêpres à Saint-Pierre de Rome (III, 273, 1837) ou d’une procession au Colisée (III, 277).
13 Il écoute Lucreza Borgia à Londres, avec le ballet La Gitane, mais trouve que « Grisi et Taglioni [sont] tous deux médiocres » (III, 433, mardi 2 juillet 1839). Giulia Grisi, 1811-1869 ; Marie Taglioni, danseuse, 1804-1894.
14 Pauline Garcia, 1821-1910, contralto, épouse de Louis Viardot et sœur de la Malibran.
15 Lise Noblet, 1801-1852, danseuse.
16 Sa sœur Élise, morte à l’âge de 16 ans à Besançon, en 1829.
17 Il semble d’ailleurs qu’il ait essayé de commencer à étudier la musique en 1834, à 24 ans, en même temps qu’il est plongé dans la philologie romane avec Massmann, le beau-père d’Edgard Quinet, pour préparer son travail sur sainte Élisabeth (« 1ère leçon de musique et leçon de plus en plus intéressante de Massmann […] », III, 12, samedi 4 janvier 1834).
18 Adolphe Nourrit (1802-1839), immense ténor, qui fit connaître les Lieder de Schubert au public français.
19 Maria Felicia Garcia ou « la Malibran » (1808-1836), mezzo-soprano, fille de Manuel Garcia et « Callas » du xixe siècle.
20 Marcelline [Marcellina] Radziwill (1817-1894), épouse d’Alexandre Czartoryski (1811-1886), neveu d’Adam Jerzy Czartoryski (1770-1861), l’un des leader de l’Émigration polonaise.
21 Les dernières paroles de Chopin adressées à Marcelline Czartoryska et à Franchomme (1808-1884, violoncelliste), furent : « Vous jouerez du Mozart ensemble, et je vous écouterai », cité par Jean-Jacques Eigeldinger dans le Dictionnaire de la musique en France au xixe siècle, Paris, Fayard, p. 340. Montalembert dit d’elle : « sa musique habituelle : Chopin et Mozart » (VIII, 268, samedi 19 janvier 1867). En 1857, Albert Sowinski écrit à son propos : « Une femme du grand monde, élève de Chopin, la princesse Marcellline Czartoryska, qui possède une belle exécution, semble avoir hérité des procédés de Chopin, surtout dans le phrasé et l’accentuation ; la princesse Czartoryska exécuta dernièrement à Paris, avec beaucoup de succès, le magnifique concerto en fa mineur, dans un concert au profit des pauvres. », in Les Musiciens polonais et slaves anciens et modernes, Paris, 1857, article « Chopin », p. 121-122. Nous devons cette référence à Nicole Roger-Taillade.
22 Il pourrait s’agir de Joseph de Riquet de Caraman (1836-1892), violoniste, peut-être accompagné par Marcelline Czartoryska elle-même.
23 Au soir de sa vie, M. indique les personnes auxquelles il doit des « Obligations spéciales » : « Envers la Princesse Alexandre Czartoryska, né Princesse Marceline Radziwill, qui est venue me faire de la musique une ou deux fois par semaine, pend[an]t ma cruelle maladie, de Septembre 1866 à Juin 1869 » (VIII, 956, « Notes et documents »).
24 Ji, VIII, lire aussi l’introduction de Nicole Roger-Taillade, p. 14. Le journal énumère les compositions jouées.
25 Lied avec piano op. 46 (1794-5) de Beethoven, publié en 1802 par Artaria avec le sous-titre « Eine Cantate für eine Singstime mit Begleitung des Clavier ». Montalembert dit l’avoir entendu pour la première fois au concert Pasdeloup le « 4 avril », peut-être 1863, « plainte sublime, probablement la plus touchante que la musique ait jamais exhalée » (VIII, 204, jeudi 26 juillet 1866) : en 1866, Madeleine et M. Müller lui jouent souvent cette œuvre (voir VIII, 205, 211, 213). Il l’inclut dans ses « tristesses favorites », avec Chopin et « Meyer Beer [sic] » (VIII, 578, lundi 8 février 1869).
26 « Dieu protège la Pologne », écrit en 1816 par Alojzy Felinski (1771-1820), et qui fut un temps l’hymne polonais.
27 Théoduline de Mérode (1817-1909), sœur d’Anna et épouse d’Alof Marie Florent de Vignacourt.
28 C’est le surnom qu’il donne à sa femme, Marie-Anne [Anna] de Mérode (1818-1904).
29 Heller était également connu pour ses transcriptions pour piano de Lieder, notamment ceux de Schubert.
30 Schubert apparaît principalement dans le Ji par ses Lieder : Madeleine et M. Müller en interprètent plusieurs. On jouait peu le reste de sa musique à l’époque.
31 Pauline de La Ferronays (1808-1891), auteur du très célèbre Récit d’une sœur (1866).
32 Lecanuet décrit ces soirées à La Roche-en-Brenil : « Après la prière, récitée à la chapelle, vers neuf heures, en commun avec toute la maison, la soirée devient plus grave. On fait parfois de la musique, écoutée avec délices par Montalembert : mais, le plus souvent, il prend un livre et lit à haute voix », R. P. Édouard Lecanuet, Montalembert, Paris, Poussielgue, tome III, l’Église et le second Empire (1850-1870), 1902, p. 239. La chose est confirmée par Camille de Meaux, l’un des gendres de Montalembert : « On travaillait encore jusqu’au dîner de sept heures. Le soir, tout en conversant, M. de Montalembert achevait de dépouiller ses journaux, parfois lisait ses propres écrits, soit quelque livre capable de tenir en éveil son entourage, écoutait le piano de ses filles et, vers dix heures, remontait dans son cabinet pour y poursuivre, jusque fort avant dans la nuit, l’ouvrage commencé », Ma vie racontée à mes enfants, Louis de Soye, Paris, 1911, p. 227-228.
33 Une autre source intéressante pour les goûts musicaux serait l’étude des partitions qui proviennent de La Roche-en-Brenil, qui consistent en une multitude de petites pièces de genres (études, valses, galops, lieder ou airs d’opéra transcrits pour piano, etc.), d’origines éditoriales diverses et rassemblées dans une même reliure. Il y a aussi de la musique recopiée à la main, qui semble plus ancienne, parfois annotée « colonel baron de Montalembert ».
34 Il s’agit probablement d’Isaac Strauss (1806-1886), chef d’orchestre, compositeur et collectionneur, ainsi que de Bernard Courtois, dit Bernardin (1826- ?), violoniste.
35 Salle dont l’acoustique est l’une des meilleures de Paris, dans ce qui est aujourd’hui le Conservatoire d’art dramatique.
36 Cet épisode est souligné par Marguerite Castillon du Perron, Montalembert et l’Europe de son temps, Paris, François-Xavier de Guibert, 2009, p. 260.
37 Œuvres, tome troisième, Discours, Paris, Lecoffre, 1860, p. 599.
38 « Il était réservé à notre époque de réhabiliter vingt générations d’artistes, créateurs inconnus et sublimes de nos cathédrales, de nos cloîtres démolis, de nos châteaux en ruine, et des innombrables trésors de sculpture, de musique qui ornaient la vie de nos aïeux, et dotaient l’Europe du Moyen Âge d’un art dont la féconde originalité n’avait rien à emprunter ni à envier au paganisme ».
39 Les Mélanges d’art et de littérature, Debécourt, Paris, 1839, repris et augmentés dans les œuvres complètes, tome sixième, Paris, chez Jacques Lecoffre et Cie, 1861 (recueils de 17 articles et discours sur l’art publiés ou prononcés entre 1833 et 1847, six articles sur l’histoire et la littérature publiés entre 1831 et 1860, et trois nécrologies).
40 Parmi les personnalités et les institutions, ne citons qu’Alexandre Choron (1771-1834, École royale et spéciale du chant, 1812, devenue Institution royale de musique religieuse, 1825-1830), Louis Niedermeyer (1802-1861, École de musique classique et religieuse, 1853) ou le prince de la Moskowa (Joseph-Napoléon Ney, 1803-1857, Société de musique vocale, classique et religieuse, 1843), ainsi que les mouvements céciliens allemands (Caspar Ett, 1788-1847 ; Carl Proske, 1794-1861 ; Eduard Grell, 1800-1886 ; Franz Xaver Witt, 1834-1888).
41 On sait à ce sujet l’importance de l’abbaye de Solesmes, premier fruit de la restauration de l’ordre des bénédictins en France par un proche de Montalembert, Dom Prosper Guéranger (1805-1875), et toujours à la pointe de la recherche musicologique dans ce domaine (Paléographie musicale, à partir de 1880).
42 Contrairement à ce que pourrait laisser croire le point de vue adopté par le présent article, les conséquences des choix affirmés par ces différents mouvements furent complexes : sans vouloir – bien au contraire – nier leur exigence et leur apport historique, ils ont pu cependant, au nom de l’authenticité, affaiblir ou décourager à terme des particularités locales ; d’autre part, c’est toute une tradition de pratiques populaires du grégorien qui a peu à peu été remise en cause.
43 On les nommait parfois ainsi, cf. Yves Chartier, notice « Danjou Félix » sur le site internet Musicologie. org.
44 Admirant la place du Dôme à Pise : « C’est ici le Moyen Âge, c’est le Moyen Âge (ce cher Moyen Âge) debout et silencieux, dans tout son charme ! Nul mélange de bâtiments modernes. […] », cité par Pierre de Grisenoy, « L’influence de Montalembert sur le mouvement artistique du xixe siècle », Les entretiens idéalistes, mars 1911, p. 127-136, avril 1911, p. 185-197 : p. 131 ; il est à noter que ce long article en deux livraisons ne parle de musique qu’à la fin, et brièvement (p. 195 et 197).
45 Voir ce qu’il dit de Notre-Dame de Lorette (1823-1836), Saint-Pierre-du-Gros-Caillou (1822-1829), Saint-Denis-du-Saint-Sacrement (1826-1835), Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle (1823-1830), la Chapelle des Lazaristes de la rue de Sèvres (1826-1827), Mélanges…, « De l’état actuel de l’art religieux en France (1837) », p. 200.
46 Les historiens d’art actuels sont parfois heurtés par les affirmations de l’article de Montalembert sur le livre de son ami Rio (voir plus loin).
47 Auguste Bottée de Toulmon, 1797-1850, spécialiste de l’archéologie musicale, membre en même temps que Montalembert du Comité historique des Arts et monumens.
48 Jommelli.
49 Il assiste par ailleurs aussi à des concerts et des opéras ; sur la musique lors des deux séjours, voir II, 278-280, 289-290, 293-295, 300-301, 304, 306, et III, 261-263, 273, 277.
50 Sans aller jusqu’à prêter une indifférence historique à quelqu’un qui avait un sens aussi brûlant de l’Histoire, on notera la difficulté de la musique à trouver sa juste place dans l’histoire générale des arts, jusque dans les mentalités collectives : aujourd’hui encore, tout ce qui musicalement sonne « ancien » est presque naturellement « du moyen-âge », à commencer pour de nombreux films dans lesquels l’action se situe aux xiie ou xiiie siècles, tandis que la musique, censée être « d’époque » et jouer comme « preuve » de véracité et de « couleur locale », est en réalité du xvie siècle !
51 Il lit Walther von der Vogelweide (ca 1170 – ca 1230 ; « Lecture de Walther de Vogelweide : cela aussi me fait du mal », III, 60, vendredi 1er août 1834) et débute son Sainte Élisabeth (1836) par une évocation documentée des minnesinger et de leur poésie lyrique (p. 3-6 de la 1re édition), qui montre qu’il les a lus dans le texte, ainsi que des études savantes les concernant.
52 Musicographe, juriste, archiviste, ordonné prêtre en 1860.
53 Revue de la musique religieuse, populaire et classique, 1845, p. 129-145 ; créée par Félix Danjou (1812-1866), cette revue est publiée entre 1845 et 1848.
54 « Vous m’avez raconté, Monsieur le Comte, l’étonnement que vous fit éprouver en Espagne l’accord des violons sur les réponses du chœur à la messe et dans les autres parties de l’office », p. 142.
55 « L’intérêt que vous avez bien voulu témoigner à ce recueil, voué à la défense de cette branche de l’art, m’enhardit à y déposer, sous votre patronage, quelques faits et quelques réflexions qui soient de nature à compléter, bien imparfaitement sans doute, la série de travaux dont vous avez été un des premiers à tracer la voie, et qui se continue aujourd’hui dans les publications archéologiques », p. 129.
56 « On m’a cité un curé qui, tous les ans, à la fête patronale de son église, faisait jouer l’ouverture du Jeune Henri [comédie mêlée de musique d’Étienne Méhul, créée en 1797] ; le souffleur était chargé de tirer le coup de pistolet. Un autre se contentait de l’ouverture du Calife de Bagdad, dont il admirait le style profondément religieux […] », p. 141.
57 « Depuis que l’Église est en paix avec le dehors, elle n’a jamais cessé de lutter contre les éléments de désordre qui l’ont agitée intérieurement », p. 131.
58 Danjou et Montalembert semblent souvent en conctact. Le Ji signale une lettre de Danjou à Montalembert (IV, 10 mai 1845 : 235), une visite à Danjou (11 mai : 236), une autre lettre (13 mai, 237), une lettre de Montalembert à Danjou (19 juillet : 272), de Danjou à Montalembert (20 janvier 1848 : 492).
59 François-Joseph Fétis, Correspondance rassemblée et commentée par Robert Wangermée, Mardaga, Sprimont, 2006, lettre de Danjou à Fétis du 19 mai 1845, 45-10, id., p. 199.
60 id., lettre de Danjou à Fétis du 27 septembre 1845, 45-10, p. 205.
61 « Que sera la Maîtrise de la quatrième année ? », La Maîtrise, journal des grandes et des petites maîtrises, 15 avril 1860, p. 177-182 ; fondée par Niedermeyer en 1857, cette revue disparaît en 1861.
62 Les conséquences de ce « retour à » sont remarquablement exprimées plus tard par Gabriel Fauré (1845-1924), formé à l’École Niedermeyer entre 1854 et 1865, qui souligne le rôle important de la modalité grégorienne dans les transformations du langage harmonique tonal et son évolution vers la modalité harmonique : « Niedermeyer, en enseignant l’art d’harmoniser, selon les vrais caractères, les modes du plain-chant, sans les altérations empruntées au mode mineur sensible, donna des procédés harmoniques nouveaux, ne songeant pas qu’ils pourraient être utilisés hors de l’accompagnement des chants liturgiques », cité par Joël-Marie Fauquet, Dictionnaire de la musique en France au xixe siècle, Paris, Fayard, p. 866.
63 Publiés par Achille Boblet et Debécourt, 1838-1839, p. 193-194, repris dans les Mélanges sous le titre « De l’état actuel de l’Art religieux en France (1837) », p. 163-269, lire la p. 198, p. xix de l’édition de 1840 des Monuments…
64 Dont ceci : « On a déjà dit que, pour entendre la musique religieuse, il fallait aller à l’Opéra ou aux concerts publics, tandis que la musique théâtrale se retrouve dans les églises. Craignons qu’on ne dise bientôt que l’art religieux a des sanctuaires dans le cabinet des amateurs, dans les boutiques des marchands de curiosités, dans les galeries du gouvernement, partout enfin, excepté dans l’Église ».
65 Il prend d’ailleurs parti pour un certain type de musique à l’Église : parlant de Notre-Dame de Paris, cinq ans avant le rapport qu’il rédigera et dont le résultat sera le vote par l’Assemblée des crédits qui permettront de sauver ce monument, il écrit à son beau-père Félix de Mérode (1791-1857) : « Nous allons renouveler d’abord le chœur, exclure à jamais le violon et la musique moderne, rétablir le plain-chant dans son antique majesté », et il préconise la constitution d’un chœur « de douze enfants » et « d’ouvriers chrétiens », lettre du 9 janvier 1840, citée par le R. P. Édouard Lecanuet, Montalembert, Paris, Poussielge, tome II, la liberté d’enseignement (1835-1850), 1898, p. 106.
66 Par ailleurs ami proche de Berlioz et de Liszt.
67 Dont la position dans le débat est néanmoins mitoyenne : comme beaucoup de compositeurs, il pratique dans sa musique religieuse les deux « styles », « religieux » et « de concert » (mais sans l’idée de « divertissement » !), et justifie les deux dans ses écrits.
68 « Entendez-vous ce beuglement stupide qui retentit sous la voûte des cathédrales ? Qu’est-ce que cela ? C’est le chant de louange et de bénédiction que l’épouse mystique adresse à Jésus-Christ, – C’est la psalmodie barbare, pesante, ignoble, des chantres de paroisse. […] Et l’orgue, l’orgue, – ce pape des instruments, cet océan mystique qui naguère baignait si majestueusement l’autel du Christ et y déposait avec ses flots d’harmonies les prières et les gémissements des siècles – l’entendez-vous maintenant se prostituer à des airs de vaudeville et même à des galops ?… Entendez-vous, au moment solennel où le prêtre lève l’hostie sainte, entendez-vous ce misérable organiste exécuter des variations sur Di piacer mi balza il cor, ou Fra Diavolo ? Ô honte ! ô scandale ! Quand cesserez-vous de renouveler chaque dimanche, chaque fête dans toutes les églises de Paris et dans toutes les villes des quatre-vingt-six départements de France ? Quand chassera-t-on du lieu saint ces bandes de gueulards ivres ?… quand aurons-nous enfin de la musique religieuse ? », dans « De l’avenir de la musique religieuse », 1834, cité par Alain Galliari, Franz Liszt et l’espérance du Bon Larron, Paris, Fayard, 2011, p. 197. Il s’agit d’une série d’articles publiés dans la Gazette musicale de Paris. Voir aussi Über die zukünftige Kirchenmusik, 1834, publié in Gesammelte Schriften, éd. L. Ramann, Leipzig, 1880-1883.
69 Ce texte est d’ailleurs cité par Morelot dans sa lettre de 1845, p. 141.
70 Mélanges…, Du vandalisme : « De l’attitude actuelle du vandalisme en France (1838) », p. 210-249, lire les p. 239-240.
71 Mélanges…, id., p. 214-215.
72 Mélanges…, Du vandalisme : « L’art et les moines (1847) », p. 341-361.
73 « Il est enfin un art, le plus charmant et le plus puissant de tous, celui qui répond le mieux aux besoins intimes de l’âme, qui exprime le mieux nos émotions, qui exerce aussi l’empire le plus incontestable, mais aussi le plus éphémère », p. 359.
74 Mais aussi en grec, italien, vieil anglais, vieil allemand, etc.
75 Parler latin n’était certes pas original à l’époque, mais le déchiffrer dans les manuscrits originaux est parfois tout autre chose.
76 « Mais les moines, si zélés pour la musique, si habiles dans la facture des instruments et dans la composition musicale, l’étaient également dans la haute théorie de l’art. Cette théorie a eu pendant tout le Moyen Âge les moines pour principaux interprètes, et les plus fameux auteurs qui ont écrit sur la musique appartenaient à l’ordre monastique […] », id., p. 363 et suiv.
77 1720-1793, abbé de Saint-Blaise, en Allemagne, et l’un des précurseurs dans la recherche concernant ce domaine au xviiie siècle.
78 Les informations sont reprises dans le tome sixième des Moines d’Occident, Paris, Lecoffre, 1877, passim.
79 Dans le Sainte Élisabeth (1836), la référence – assumée – au « merveilleux chrétien » n’y change rien : c’est presque chaque phrase qui se fonde sur un manuscrit, une étude ou un document consultés. Voici aussi ce qu’il écrit en 1860 dans les Moines d’Occident : « Amis et ennemis ont intérêt à savoir d’où ils viennent, et où ils ont puisé le secret de cette vie si tenace et si féconde. J’offre aux uns comme aux autres un récit qui ne sera point un panégyrique, ni même une apologie, mais le témoignage sincère d’un ami, d’un admirateur, qui veut conserver l’impartiale équité que l’histoire commande, et qui ne dissimulera aucune tache afin d’avoir le droit de ne voiler aucune gloire », Les Moines…, op. cit., tome premier, « Introduction », p. ix ; lire aussi le chapitre VII de cette introduction, intitulé « relâchement », p. cxlvii-cxciii, en particulier les pages cxlviii à cli.
80 Jacques-Féréol Mazas (1782-1849), violoniste et compositeur ; Giulio Regondi (1822-1872), guitariste et compositeur.
81 Pour la religion de Liszt, lire le magistral et – nous semble-t-il – définitif ouvrage d’Alain Galliari déjà cité.
82 Charles de Montalembert, Lettres à Lamennais, publiées par Georges Goyau et Pauline de Lallemand, introduction de G. Goyau, Paris, Desclée de Brouwer, 1932, lettre du 6 mars 1833, p. 63. Voir aussi l’édition monumentale de la correspondance de Lamennais, Lamennais, correspondance générale, textes réunis, classés et annotés par Louis Le Guillou, Paris, Armand Colin, 9 tomes publiés entre 1971 et 1981 : pour cette lettre, voir le tome V, 1974, appendice 777, p. 73.
83 Rappelons que Liszt est né en 1811.
84 Claire de Rauzan.
85 Ce dîner apparaît dans une lettre de Liszt à Marie d’Agoult datée du 24 mai 1836 : « samedi prochain – j’invite à Dîner au café de Paris, Ballanche, d’Eckstein, Montalembert, Meyerbeer, etc. », in Franz Liszt, Marie d’Agoult, Correspondance, nouvelle édition revue, présentée et annotée par Serge Gut et Jacqueline Bellas, Paris, Fayard, 2001, p. 239.
86 Christina, princesse Belgiojioso (1808-1871), bonne pianiste, proche à la fois de Liszt et de Montalembert.
87 On peut en trouver une liste sur un site du CNRS créé par le chercheur et musicologue Claude Knepper, à l’adresse http://www.liszt.cnrs.fr, rubrique « Répertoire en ligne » et pour les dates suivantes : 1er avril 1830, 11 mai 1835, 28 mai 1836, 3 mai 1840. La plupart d’entre eux apparaissent dans le Ji ; mais on peut imaginer que Montalembert s’est peut-être rendu à d’autres concerts, non « archivés ».
88 Hermann Cohen (1820-1871), pianiste et compositeur, se convertit au catholicisme en 1847 et fut ordonné prêtre en 1850 ; il mourut de la variole en 1871 en soignant des prisonniers de guerre français dont il était l’aumônier.
89 Même si elle n’est pas très abondante et moins dense, la correspondance entre les deux hommes pourrait éventuellement être mise en parallèle avec celle entre Lamennais et Montalembert depuis le début des années 1830. Pour une brève esquisse de la question d’un très éphémère triangle Lamennais-Liszt-Montalembert, voir Thérèse Marix-Spire, Les romantiques et la musique, le cas Georges Sand, 1804-1838, Nouvelles éditions latines, 1954, p. 436.
90 Liszt ira finalement seul, cf. plus loin.
91 Liszt, Marie d’Agoult, Correspondance, id., p. 135 (le manuscrit est reproduit p. 136-9). L’orthographe est celle de la transcription de Liszt. La lettre originale de Lamennais, écrite vers le 15 mai 1834, se trouve dans Lamennais, correspondance générale, tome VI, lettre 2209 bis, p. 98 ; mais elle est incomplète, et notamment les phrases qui concernent Montalembert ne s’y trouvent pas (elle est mentionnée comme provenant de l’ouvrage de l’Abbé Charles Boutard, Lamennais, sa vie et ses doctrines, Paris, Librairie académique Perrin, 1913, tome III, p. 46, note 2). Lamennais répondait à une lettre plus qu’enthousiaste de Liszt à propos des Paroles, écrite entre le 10 et le 15 mai 1834, cf. Lamennais, correspondance générale, tome VI, appendice 928, p. 603 (voir la note 93).
92 Il s’agit probablement de la lettre de Montalembert à Lamennais du 2 mai 1834, partiellement citée dans Lamennais, correspondance générale, tome VI, appendice 922, p. 593-6 (la mention de Liszt ne s’y trouve pas).
93 Lamennais à Montalembert, le 16 mai 1834 : « Liszt m’a écrit aussi une lettre extrêmement touchante, pleine de l’enthousiasme d’un artiste et de la tendresse d’un fils », Lamennais, correspondance générale, tome VI, lettre 2209, p. 98 (il fait référence à la lettre du 15 mai, publiée en appendice 928).
94 « Munich, ce 29 août 1834 », in Lamennais, correspondance générale, tome VI, appendice 1018, p. 743.
95 Le séjour s’étalerait du 8 septembre au 2 octobre, selon M. Corbes, « Franz Liszt et la Bretagne », Annales de la société d’archéologie de Saint-Malo, 1963, p. 97 et suiv., cité dans Lamennais, correspondance générale, t. VI, p. 281 ; voir aussi la lettre de Liszt à M. d’Agoult du 23 septembre 1834, Correspondance, p. 177-182 : Serge Gut et Jacqueline Bellas proposent que Liszt arrive à La Chênaie non pas le 8 septembre, mais au mieux après le 15 septembre (p. 176).
96 Séjour pendant lequel Lamennais fait entre autres de lui son « auditeur » pour l’élaboration d’une philosophie esthétique inspirée de Schelling, dont il avait déjà parlé à Montalembert dans une lettre du 26 février 1833, cf. Thérèse Marix-Spire, Les romantiques et la musique…, p. 435-436. Sur Lamennais et la musique, voir par ailleurs les no 5, 19-20, 25 et 26 des Cahiers Mennaisiens, fondés par Louis Le Guillou (31 numéros entre 1971 et la fin des années 1990).
97 Lamennais, correspondance générale, tome VI, lettre 2328, p. 290.
98 Seconde fille de l’écrivain Claire de Kesaint (1777-1828), duchesse de Duras ; son salon littéraire fut pendant quelques années le « rival » de celui de Marie d’Agoult.
99 Il s’agit de la princesse Belgiojoso dont il a déjà été question plus haut.
100 Id., p. 239.
101 « le vieux », l’un des surnoms que Liszt se donnait à lui-même dans sa correspondance avec Marie d’Agoult.
102 Id., p. 245.
103 Mélanges…, « De la peinture chrétienne en Italie, à l’occasion du livre de M. Rio », p. 78-143.
104 De la Poésie chrétienne dans son principe, dans sa matière et dans ses formes, Debécourt, 1836, refondu en 1860 sous le titre De l’art chrétien, Librairie de L. Hachette et Cie.
105 Charles Gay (1815-1892), évêque d’Antidon, ami de Liszt et mélomane.
106 Nous ne sommes pas parvenu à retrouver trace de ce passage dans l’article de Montalembert. Liszt aurait-il confondu avec une autre lecture ?
107 p. 141 des Mélanges… ; il est intéressant de citer au moins une partie du texte incriminé : « C’est à M. Rio à nous expliquer ce jugement déjà ancien de Goethe, jugement dicté par le mépris classique du christianisme dont ce prétendu grand homme était le coryphée, mais au-fond très conséquent avec l’esprit qui préside à toute l’esthétique moderne, et qui exprime très-bien la contradiction si flagrante depuis trois siècles entre la théorie païenne de l’art et son application à des sujets religieux. », p. 141 ; et Montalembert de traduire un long extrait de la lettre du 19 octobre du Voyage en Italie de Goethe, dans laquelle celui-ci s’insurge contre la seconde école de Bologne, dont « “les sujets [sont] absurdes” » et ont « “de quoi rendre fou…” », l’écrivain allemand ajoutant : « “Il n’y a pas une idée humaine dans tout cela” », p. 141-142. Montalembert se range ici à l’avis de Goethe, exemple de ces prises de positions radicales dont nous évoquions le contexte plus haut, qui émaillent particulièrement l’article sur le livre de Rio et qui nous semblent aujourd’hui trop abruptes. En regard du jugement de M. concernant Goethe, on peut lire les propos bien plus sévères de Nietzsche dans les Fragments posthumes, automne 1885 automne 1887, Oeuvres philosophiques complètes, tome XII, textes et variantes établis et annotés par G. Colli et M. Montinari, traduit de l’allemand par Julien Hervier, NRF Gallimard, Paris, 1979, p. 36 : « Quelle figure fera un jour ce Goethe ! Quelle incertitude, quel flou ! Et son Faust – quel problème contingent et daté, et peu nécessaire et durable ! Une dégénérescence de l’homme de connaissance, un malade, rien de plus ! Pas du tout la tragédie de l’homme de connaissance en soi ! Pas même celle de l’esprit libre. »
108 p. 113 des Mélanges… ; Montalembert donne le mot italien : una frittata.
109 p. 111 des Mélanges… « […] l’entrée de la chapelle Saint-Laurent [la Cappella Niccolina] au Vatican qu’il [Fra Angelico] a couverte de fresques admirables, très-bien appréciées par M. Rio, a été longtemps interdite aux jeunes artistes italiens et même étrangers, par les ordres de M. Agricola, peintre lui-même et conservateur du musée pontifical. Dans sa sollicitude pour les progrès de l’art, ce Monsieur ne voulait pas que de jeunes talents fussent exposés à se perdre en donnant dans la voie qu’a suivie le Beato. »
110 Franz Liszt, Marie d’Agoult, Correspondance, lettre du 19 octobre 1839, p. 374-375.
111 « Le Tannheauser » [sic], Journal des débats, 18 mai 1849. L’un des personnages principaux du Tannhäuser, Élisabeth, emprunte quelques traits à la sainte hongroise, mais sans aucunement se confondre avec elle.
112 « Ce château a été illustre au Moyen Âge ; les landgraves de Thuringe y ont accordé une protection brillante aux minne-saenger, ces poètes chanteurs, et les vertus miraculeuses de sainte Élisabeth, qui y régna, ont été récemment encore rappelées au souvenir des cœurs croyants par la poétique et pieuse érudition de M. de Montalembert ».
113 La vie de Sainte Élisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231), Debécourt, Paris, 1836, ouvrage qui connaît au moins 23 éditions (Debécourt, Ambroise Bray, Mame) jusqu’en 1924 (Pierre Téqui), sans oublier les éditions étrangères, dont certaines francophones (Meline, Cans et compagnie, Bruxelles, 1838) et la réédition du Cerf en 2005 (collection Sagesses chrétiennes, avec une préface de Guy Bedouelle).
114 Jean-François Labie, Le visage du Christ dans la musique des xixe et xxe siècles, Paris, Fayard, 2005, p. 94.
115 Die Legende von der heiligen Elisabeth, pour soprano, alto, ténor, baryton, basse chœur, orchestre et orgue, dédié à Louis II de Bavière, créé à Budapest le 15 août 1865 ; le manuscrit en est perdu.
116 Lettre citée par Laurence Le Diagon-Jacquin dans « Signification des thèmes et des motifs dans la Légende de Sainte Élisabeth de Liszt », Analyse musicale no 58, 4e trimestre 2008, p. 109-118 : 117. Partiellement citée dans Le visage du Christ…, p. 94, elle est publiée par Pierre Antoine Huré et Charles Knepper, Franz Liszt, Correspondance (choisie, présentée et annotée par), Paris, Jean-Claude Lattès, collection Musique & Musiciens, 1987, p. 454.
117 Claude Knepper s’est déjà penché sur la question de cette lettre : pour la recherche des mélodies, Liszt a exploré une « piste hongroise », qui a su répondre, la « piste française » (Montalembert, d’Ortigue) n’ayant pas été en mesure de le faire. Concernant Montalembert, sa réponse à Liszt confirme ce point (voir plus loin).
118 Correspondance de Liszt et de sa fille Madame Émile Ollivier, publiée par Daniel Ollivier, Grasset, Paris, 1936.
119 Il épouse en 1857 Blandine Liszt, fille de Liszt et de Marie d’Agoult. Sur ce qu’il dit de M., voir son ouvrage L’Église et l’État au Concile du Vatican, Paris, Garnier, 1879, tome I, p. 449-451, propos cités dans le volume VIII du Ji, p. 760-761.
120 Rappelons que Montalembert est en complète opposition avec Napoléon III et le Second Empire, auquel Liszt – qui vit à Weimar – est alors plutôt favorable.
121 Publié à Londres chez « W. Jeffs, Foreign Bookseller » ; Montalembert est condamné le 24 novembre 1858 par le Tribunal de police à six mois d’emprisonnement et trois mille francs d’amende, puis gracié par Napoléon III le 2 décembre.
122 Mais ils quittent tous les deux le pays de leur enfance alors qu’ils ont entre 10 et 15 ans, Liszt l’Autriche, Montalembert l’Angleterre, et perdent respectivement un père et un grand-père aimés.
123 Insistons, et renvoyons une fois encore au livre d’Alain Galliari déjà cité.
124 Elle se trouve dans une rubrique qui contient un « Mandement de Mgr l’évêque d’Autun » (p. 247-250), la lettre en question (« Lettre de M. le comte de Montalembert à M. Stéphen Morelot », le titre est p. 246) et une « Lettre du R. P. Lambillote au directeur de la revue » (p. 251-256) – le père jésuite Louis Lambillotte (1796-1855), compositeur et musicographe, fut l’une des cibles des « archéologues de la musique » ; il composait des œuvres religieuses à succès, mais très « sentimentales » et calquées sur les musiques en vogue à l’époque ; bon exemple de l’âpreté des débats, sa lettre débute ainsi : « Monsieur, / Je viens vous prier de ne pas continuer à m’envoyer votre journal de musique ; il nous devient parfaitement inutile, puisqu’il n’admet comme bon que le plain-chant. Quant à la musique, selon vous, il faut qu’il vienne un nouveau génie pour en faire de la bonne : ce nouveau génie sera probablement M. Diestch [sic ; Louis Dietsch, 1808-1865, compositeur] ; mais comme cela n’est pas encore certain, nous attendrons qu’il soit bien certain que c’est lui pour continuer notre abonnement » (p. 252).
125 Le texte présenté ici est transcrit à partir d’une photocopie donnée par Monsieur et Madame Roger et Madeleine Desoomer, respectivement d’une part clarinettiste et ancien professeur au Conservatoire de Dijon, et d’autre part pianiste, qui nous ont dit la tenir de Monsieur Moreau, l’un de leurs amis, organiste et musicologue amateur dijonnais. Qu’ils en soient ici remerciés. L’original se trouve dans les archives de La Roche-en-Brenil.
126 « Appendice VIII, Liturgie de sainte Élisabeth », p. 401-425 de la 1re édition de 1836, p. 253-305 du « tome huitième » des « œuvres complètes » (chiffré « neuvième édition, tome second » – le Sainte Élisabeth étant en 2 tomes) de 1861. À noter qu’une édition de 1878 (ou 1879, selon la page !) ne donne que très peu des textes des prières (seulement des litanies, cf. plus loin), mais que ceux-ci sont remplacés par une présentation du préfacier, Léon Gautier (1832-1897), paléographe et académicien, intitulée « Éclaircissement IV » (p. 520-526). L’édition la plus riche en textes semble être la 3e (1841, p. 375-401 – nous n’avons pas eu entre les mains la 2e), qui avait, à côté de quelques corrections par rapport à la 1re édition, ajouté ces litanies (p. 398-9). Ces dernières sont le seul texte conservé, vraisemblablement à partir des années 1870. Auparavant, après une brève introduction, l’appendice VIII contenait huit rubriques dont les sources sont référencées : 1. Office cistercien du xiiie siècle ; 2. Hymne d’un bréviaire du diocèse de Wurtzbourg ; 3. Hymne d’un antiphonaire bourguignon du xve siècle ; 4. messe de sainte Élisabeth, prémontrés, 1530 ; 5. Office dominicain imprimé à Venise, 1538 ; 6. Prose de l’Elucidatorium Ecclesiasticum de Clichtovævus, 1548 ; 7. Prose d’un missel franciscain de 1618 ; 8. Litanies de sainte Élisabeth « dont se servent aujourd’hui les religieuses du couvent de Sainte-Élisabeth, du tiers-ordre de Saint-François, à Lyon » ; plus des prières et des cantiques en allemand issus d’un manuscrit de Cassel « écrit en 1492 par Jean de Mülhausen, prêtre ». Montalembert signale d’autres documents, et on peut noter qu’il a été en contact tout au long de son existence avec les bollandistes de Bruxelles, dont il a consulté les sources et les travaux : ceux-ci conservent par exemple 15 lettres de M. adressées au père bollandiste Victor De Buck s.j. (1817-1876) entre 1853 (mais la première d’entre elles n’est pas datée, et elle demande des informations relatives à sainte Élisabeth) et 1869 (de la main d’une de ses filles : Madeleine ?). Elles contiennent de nombreuses demandes de renseignements concernant des manuscrits anciens. Classées dans le « manuscrit bollandien 759/4 », elles nous ont été très obligeamment communiquées par le père bollandiste Bernard Joassart s.j.
127 Haut de page, d’une main inconnue, annotation ultérieure ?
128 Moritz von Schwind (1804-1871), en réalité autrichien, ami de Schubert – auteur notamment du célèbre dessin « Une soirée chez le baron von Spaun », qui représente Schubert au piano entouré d’une nombreuse assistance. Ses six fresques de la Wartburg représentent différentes étapes de la vie de sainte Élisabeth.
129 Le manuscrit autographe en est conservé dans le fonds Liszt du Goethe – und Schiller-Archiv de Weimar, sous la cote 59/24, 2. Nous remercions Claude Knepper, qui nous a fourni la transcription de cette lettre, publiée dans l’édition scientifique et critique qu’il a établie de la Correspondance entre Franz Liszt et son gendre, l’homme d’État Émile Ollivier, laquelle est consultable en ligne sur le site http://www.liszt.cnrs.fr. La réponse de Montalembert se trouve dans les notes de la lettre de Liszt à Ollivier du 3 juillet 1858. Elle avait été publiée antérieurement (dans une transcription « modernisée ») par La Mara (pseudonyme de Marie Lipsius, 1837-1927) dans les Briefe hervorragender Zeitgenossen an Franz Liszt, t. 3, 1836-1886 Neue Folge, nach den Handschriften herausgegeben von La Mara, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1904, lettre no 27, p. 36-37.
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