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La communication environnementale

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Thierry Libaert

Communication et environnement en entreprise : du faux-semblant au vraisemblable

Jean-Marie Charpentier

Texte intégral

1Avec la COP21, les problèmes spécifiques de l’environnement, des émissions de gaz à effet de serre et plus largement du climat reviennent en force dans l’actualité, y compris dans les entreprises. Alors que depuis de nombreuses années, celles-ci ont construit avec la RSE* (Responsabilité sociétale des entreprises) un champ large et hybride aux frontières à vrai dire assez floues, voilà que le sujet particulier de l’environnement fait retour, sachant qu’il a été pour une bonne part à l’origine du mouvement en faveur du développement durable et de la RSE. Ce regain de l’environnement est l’occasion de faire le point sur la communication qui depuis ses débuts l’accompagne, singulièrement au sein de l’entreprise. Pourquoi et comment l’environnement est-il traité en entreprise ? Quelles ont été les étapes d’une communication dont la vocation a souvent excédé le domaine proprement environnemental pour servir – et parfois aussi desservir – l’image de l’entreprise ? À quelles conditions une communication environnementale au sein de l’entreprise peut-elle se développer en termes nouveaux ?

2L’image et le discours, tirés par la publicité, ont longtemps été prédominants dans la communication environnementale, loin des transformations réelles, des actes concrets, des gestes et des comportements. Dans le même temps, il est assez vite apparu qu’une communication de simple embellissement, sans même parler de « greenwashing », devenait dans les faits contreproductive. Cette forme de communication verte a suscité scepticisme et rejet dans l’opinion et sa crédibilité interne dans les entreprises était à vrai dire limitée, pour ne pas dire nulle. Il est intéressant de comprendre pourquoi nombre d’entre elles ont prolongé l’exercice comme une sorte de passage obligé quasi institutionnel. Aujourd’hui, la communication environnementale sait se faire plus modeste, plus réaliste aussi. Le facteur qui pèse en ce sens vient en grande partie de l’interne, de la volonté et de la capacité des acteurs à « faire » et à « changer » concrètement les choses et non plus à « dire » ce qui n’est pas. Dans le champ de l’environnement, comme dans d’autres domaines d’ailleurs, le fond du problème pour les entreprises est de passer du primat de l’image à une approche sociale, plus concrète et surtout plus « engageante » de la communication, en s’appuyant sur l’expérience des salariés notamment (Brulois et Charpentier, 2013).

Environnement, développement durable, RSE : les mots et les choses

  • 1 Nous reprenons ici l’expression d’« entreprise ouverte » utilisée par Bernard Galembaud dans le ca (...)

3La prise en compte des questions environnementales dans les entreprises procède d’une double évolution. Elle est liée d’une part à la montée en puissance de l’environnement dans la société, et cela dès les années 1960. On se souvient des travaux précurseurs du Club de Rome et de l’émergence des préoccupations écologiques sous l’influence de quelques pionniers dans la sphère intellectuelle et politique. Parmi eux, Jacques Ellul, André Gorz, Hans Jonas, Ivan Illitch, René Dumont… Les entreprises ont été rapidement interpellées à propos des impacts sur l’environnement de leurs productions et services. D’autre part, alors que l’entreprise industrielle, sur un mode essentiellement communautaire, est restée cantonnée derrière ses murs tout au long de la période taylorienne, celle-ci a dû s’ouvrir dans un univers de services de plus en plus concurrentiel et notamment s’ouvrir à la société et à ses attentes. Dans le cadre de nouveaux rapports avec la société, une entreprise plus « ouverte1 » ne pouvait tout simplement plus ignorer les questions environnementales, même si le débat n’a jamais vraiment disparu entre tenants d’une conception de l’entreprise « encastrée » dans la société et tenants de l’autonomisation de la sphère économique et donc du « désencastrement » de l’entreprise par rapport à la société (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2015).

4L’attention à l’environnement est donc venue de l’extérieur, de la société précisément et l’entreprise s’est dotée très tôt d’outils pour l’appréhender à sa manière et en tirer le meilleur parti grâce à la communication aussi bien externe qu’interne. La communication s’est installée immédiatement dans ce champ qui n’a cessé de s’étendre dès lors qu’on s’est mis à parler de développement durable d’abord et de RSE ensuite, dans une approche multidimensionnelle avec ses trois piliers. On peut même dire que la communication est devenue consubstantielle au domaine à mesure que l’entreprise l’appréhendait en des termes nouveaux à la fois déclaratifs, normatifs, prescriptifs et volontaires. Certains ont même pu dire que le développement durable et la RSE ont été créés par la communication dans une perspective de réenchantement de l’économie et de l’entreprise. « La RSE ne serait-elle pas actuellement utilisée par les dirigeants des grands groupes… comme une idéologie de dernier recours ? Le modèle friedmanien étant rejeté par les salariés comme par les citoyens, la RSE ne serait-elle pas finalement une manière de “sauver les meubles” ? Autrement dit de faire croire que l’objectif fondamental de l’entreprise est de s’intéresser aux hommes et au destin de la planète, mais en faisant semblant… C’est là que nous retrouvons la communication d’entreprise. » (Saint-Lambert, 2006)

S’afficher vert à tout prix

5L’engouement pour la communication environnementale a surtout eu une visée externe, tout du moins au début. Dès lors qu’une certaine conscience écologique montait dans la société, les entreprises se devaient d’y répondre, d’autant que des marées noires, des accidents nucléaires et des catastrophes chimiques attestaient des effets de certaines activités industrielles sur le milieu naturel. Il a fallu construire un discours face à la conflictualité et aux tensions des dimensions économiques, sociales et environnementales. Une première étape qu’on pourrait qualifier de réactive, a consisté pour nombre d’entreprises à s’afficher « vertes », sans grand souci de cohérence entre le dire et le faire, la promesse et la réalité. D’où des campagnes d’image sur le mode « on doit dire quelque chose » ou « on ne peut pas ne pas en être ». Des enseignes telles que Carrefour par exemple ont mené sans vergogne de telles campagnes de verdissement. La pression des agences a beaucoup fait pour promouvoir ce type de communication verte sans engagement réel et fondée sur beaucoup de faux-semblants. Dans les années 1980 ou 1990, ces campagnes n’ont guère fait l’objet de relais interne. L’affichage externe en l’espèce primait clairement sur l’engagement des acteurs internes.

La responsabilité comme moyen de relégitimation

6Le problème est que cela ne répondait en rien aux conflits et tensions évoquées. Cela pouvait même les exacerber tant la couche verte était légère, pour ne pas dire frelatée. Une deuxième étape que l’on peut qualifier d’institutionnelle a vu le jour avec le développement durable et la RSE. Ce mouvement international a fait l’objet d’une construction beaucoup plus sophistiquée pour situer l’entreprise dans son cadre économique, social et environnemental. L’objectif était de permettre aux entreprises, sur fond de crise de l’intervention de l’État, d’agir dans des domaines relevant du droit public et de l’intérêt général et surtout de légitimer ou relégitimer leur action par des chartes, des pactes socio-environnementaux et des déclarations d’engagement. L’opération était d’envergure et s’inspirait, non sans contradictions, d’une approche proprement politique du rôle de l’entreprise dans la société. Cette phase a cherché à articuler de façon plus subtile communication externe et communication interne autour de discours et d’engagements.

7Cette phase correspond à une dynamique d’engagement ou, à tout le moins, à une affirmation d’intention plus structurée et potentiellement plus crédible. La communication externe portant la RSE s’appuie le plus souvent sur la mise en avant d’éléments où l’entreprise réussit, progresse et avance. Avec beaucoup de best practices, de projets globaux, d’engagements environnementaux, c’est l’époque de la création de directions du développement durable au sein des grandes entreprises. Elles formalisent, gèrent ces nouveaux engagements, en rapport avec la communication pour en assurer la transmission et la valorisation. EDF mettra par exemple en avant son bilan en matière de production de CO2, car elle émet relativement peu de CO2 par rapport à l’énergie qu’elle produit. Ces communications vertueuses ont le mérite d’être moins trompeuses que par le passé. Elles n’en demeurent pas moins problématiques car les entreprises ne communiquent que sur ce qui les arrange, mettant de côté d’autres aspects moins favorables (par exemple les déchets nucléaires). Rappelons que les démarches de RSE, même encadrées par des textes législatifs, demeurent des démarches volontaires dans lesquelles la contrainte est faible tant en matière de fourniture de données que de communication.

  • 2 Baromètre de la fonction communication interne Inergie/Afci, 2012.
  • 3 À noter que l’article 225 de la loi Grenelle II a prévu des actions d’information sur l’environnem (...)

8Sur le plan de la communication interne, le discours relatif à la RSE a cherché dès le départ à s’inscrire dans un cadre managérial avec des modalités plus ou moins participatives. Dès lors que l’on énonce des règles, des modèles, des conduites, voire des valeurs, on veut les faire partager et rassembler l’entreprise et ses salariés autour d’eux. Dans une période de crise économique, ces éléments ont été appréhendés comme de nouvelles frontières de substitution à un social souvent moins porteur qu’autrefois. Le discours interne autour des piliers de la RSE vise une intériorisation par les salariés d’un certain sens des responsabilités par rapport au monde et à l’entreprise qui les entourent. De fait, la communication interne a consacré de plus en plus de place à ces questions. Dans une enquête auprès des communicants internes2, il apparaissait en 2012 que la RSE et le développement durable étaient pour 52 % d’entre eux un sujet prioritaire. Ce mouvement est allé de pair avec une activité interne de production de rapports développement durable (suite à la loi NRE et à la loi Grenelle II3), activité qui a beaucoup occupé les communicants.

Agir et communiquer en interne d’abord

9« La communication développement durable ne trompe personne, encore moins à l’interne. La première leçon à tirer est bien d’agir avant de communiquer », déclarait récemment Carole Thomas (2015), directrice communication, marketing et digital d’Immobilière 3F. Si au cours des années récentes, une certaine ambivalence molle a perduré entre greenwashing, valorisation sélective des démarches, conformisme et tentatives positives à la suite du Grenelle de l’environnement, la COP21 accélère et durcit un mouvement plus centré sur l’environnement et sur des actions plus en lien avec la réalité des métiers. Et il semble désormais que ce soit à l’interne des entreprises que se joue l’essentiel. On tend à s’éloigner de l’incantation au bénéfice d’opérations concrètes, de l’évaluation des transformations et de la valorisation de ce qui se fait.

  • 4 L’International integrated reporting council (IIRC) regroupe des organismes de réglementation, des (...)

10Un outil témoigne à sa manière du changement : l’analyse de matérialité. L’International integrated reporting council (IIRC) et la Global reporting initiative (GRI)4 ont promu l’analyse de matérialité en amont de la publication d’informations extra-financières. Il s’agit, sous la forme d’une matrice, de mettre en avant la matérialité des questions environnementales ou sociales, c’est-à-dire en quoi un risque ou un enjeu est matériel pour les activités de l’entreprise. Le recensement en interne des enjeux, leur évaluation, la détermination de seuils et leur confrontation à l’externe apparaissent comme une manière efficace, à partir de données concrètes, de construire une plus grande crédibilité des engagements environnementaux. Le fait d’élaborer, de discuter et de valider cette analyse de matérialité peut être une étape pour asseoir une approche environnementale et de développement durable à la fois plus « politique » en lien avec la transformation effective du modèle économique. Des entreprises telles qu’Engie rendent publique aujourd’hui leur analyse de matérialité.

11Cela vient prolonger de nouveaux comportements de la part d’entreprises qui, plutôt que de se payer de mots ou d’engagements flous et trompeurs, voient un intérêt à se fixer des objectifs précis en matière de carbone, de produits et solutions, d’énergie, de croissance verte… Schneider Electric ou La Poste par exemple sont en pointe dans ce qu’on pourrait appeler une mesure de performance environnementale. D’autres innovent dans leur cœur de métier (Intermarché avec la régulation de ses actions de pêche, L’Oréal avec le recours à l’huile palme, etc.). Un des marqueurs de la pertinence ou non de ces actions est leur plus ou moins grande proximité avec le cœur de métier des entreprises. Quand l’engagement est loin du métier, il y a de fortes chances que la matérialité de la transformation se résume à peu de chose.

  • 5 Entretien avec Catherine Jacquet, Directrice générale adjointe de Synergence.

12Dans ces démarches, non seulement l’action vient avant la communication, ce qui dans le domaine est assez nouveau, mais de plus quand la communication doit jouer son rôle, l’interne prime sur l’externe. « Les communicants se sont retrouvés confrontés à des chantiers de transformation internes, la communication devenant un levier pour le changement » (Thomas, 2015). Cette communication interne fait certes, encore et toujours, une place de choix au message descendant et à la valorisation sélective et séquentielle, mais ce qui se joue d’important est ailleurs. Il est dans le dialogue avec les salariés pour que les gestes, les comportements, les actions environnementales soient intégrés aux métiers et ne restent pas en périphérie de l’activité. De telles évolutions doivent pouvoir se discuter pour donner leur pleine efficience. L’enjeu est donc moins de communiquer le changement environnemental comme on fait descendre un décret pris au sommet de l’entreprise, que de communiquer pour changer les façons de faire au cœur des métiers (Giroud et Giordano, 1998). Exercice plus en profondeur et qui requiert un dialogue professionnel en proximité. Les recherches et pratiques dites de communication engageante (Bernard et Joule, 2004) ouvrent des perspectives pour un renouvellement de la communication environnementale. Le fait que l’acte déclencheur soit un élément clé de cette communication en fait un ressort tout à fait approprié d’implication. Alors qu’ils ont été longtemps spectateurs, à vrai dire très circonspects, de la « communication verte » ou de la RSE, les salariés, mais aussi les managers deviennent les premiers acteurs d’une transformation en actes. Une inversion de perspective suffisamment singulière pour être soulignée car elle peut permettre à la dimension environnementale de passer du faux-semblant au vraisemblable. La limite pour l’heure est qu’elle ne concerne encore que quelques entreprises qui acceptent de sortir d’une logique de conformité pour explorer les nouvelles voies d’un développement durable plus politique5.

Bibliographie

Références bibliographiques

Bernard, Françoise et Joule, Robert Vincent, « Lien, sens et actions : vers une communication engageante », Communication et organisation, [En ligne], 24 | 2004, mis en ligne le 27 mars 2012, consulté le 20 mai 2016, <http://communicationorganisation.revues.org/2918>.

Brulois, Vincent et Charpentier, Jean-Marie, Refonder la communication en entreprise, de l’image au social, Pais, FYP, 2013.

Capron, Michel et Quairel-Lanoizelée, Françoise, L’entreprise dans la société, une question politique, Paris, La Découverte, 2015.

Dalmeida, Nicole, Les promesses de la communication, Paris, Presses universitaires de France, 2001.

Giroux, Nicole et Giordano, Yvonne, « Les deux conceptions de la communication de changement », Revue française de gestion, no 120, 1998, p. 139-150.

Grosjean, Sylvie et Bonneville, Luc (dir.), La communication organisationnelle. Approches, processus et enjeux, Montréal, Chenelière Éducation, 2011.

Libaert, Thierry, Communication et environnement, le pacte impossible, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Développement durable et innovation institutionnelle », 2010.

Saint-Lambert, Gabriel, « Quand l’entreprise s’affiche “responsable” », Éducation permanente, no 167, 2006, p. 99-110.

Thomas, Carole, « L’effet COP 21 », Les Cahiers de la communication interne, no 37, décembre 2015.

Notes

1 Nous reprenons ici l’expression d’« entreprise ouverte » utilisée par Bernard Galembaud dans le cadre du rapport triennal de l’association Entreprise et Personnel, 2002.

2 Baromètre de la fonction communication interne Inergie/Afci, 2012.

3 À noter que l’article 225 de la loi Grenelle II a prévu des actions d’information sur l’environnement à destination des salariés.

4 L’International integrated reporting council (IIRC) regroupe des organismes de réglementation, des investisseurs, des entreprises, des organismes de normalisation, des représentants de la profession comptable et des ONG. Cette structure encourage la communication sur la création de valeur comme prochaine étape dans l’évolution de l’information d’entreprise.
La Global reporting initiative (GRI) est une initiative internationale à laquelle participent des entreprises, des ONG, des cabinets de consultants, des universités pour élaborer un cadre et des règles destinés aux entreprises soucieuses de développement durable.

5 Entretien avec Catherine Jacquet, Directrice générale adjointe de Synergence.

Auteur

Docteur en sciences de l’information et de la communication. Il est aujourd’hui consultant après avoir occupé différentes responsabilités dans la communication et les ressources humaines en entreprise. Il est aussi vice-président de l’Association française de communication interne (Afci). Avec Vincent Brulois, il a publié Refonder la communication en entreprise. De l’image au social (Fyp, 2013).

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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