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Information et communication scientifique à l'heure du numérique

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Valérie Shafer

Un demi-siècle de communication scientifique à l’Inria (1967-2013)

Benjamin G. Thierry

Note de l’éditeur

Inédit

Texte intégral

1Fondé en 1967 dans le cadre du Plan Calcul, l’Institut de recherche en informatique et en automatique (Iria, devenu Inria en 1979 par l’ajout du terme national) s’affirme dès ses premières années comme l’épicentre de la recherche française en informatique et en automatique. Pionnier et promoteur de recherches innovantes dans de nombreux domaines comme les réseaux de données, la robotique et l’ergonomie de l’informatique pour n’en citer que quelques-uns, il découvre relativement tard les nécessités d’une communication scientifique organisée à destination de la communauté de la recherche française, internationale et du grand public.

  • 1 De 2007 à 2009, s’est tenu un séminaire organisé par Pascal Griset, « Dire la complexité : grands (...)
  • 2 Nous remercions en particulier Céline Acharian, directrice de la communication et Annie Garot.

2À l’instar d’autres grands instituts de la recherche publique, l’Inria n’a pas encore donné lieu à de réels travaux historiques de mise en perspective des ruptures et continuités qui affectent sa politique de communication scientifique. Pour saisir cet impensé, cet article se propose d’esquisser les principaux temps forts de sa communication depuis 1967, en s’appuyant sur nos recherches (par exemple Thierry, 2008 ; 2009), les travaux d’Alain Beltran et Pascal Griset1 (2007) et des entretiens oraux avec quelques acteurs centraux de cette histoire2. Il soulignera le double rôle de cette communication, à la fois comme outil de construction progressive de l’identité d’un grand organisme de recherche et comme révélateur de son positionnement face aux attentes de la société à l’égard des enjeux posés par le numérique.

Une communication buissonnière pairs à pairs (1967-1985)

  • 3 Dès 1969 apparaît le Bulletin de liaison de la recherche en informatique et automatique.

3De 1967 à 1985, la communication de l’Inria n’est pas formalisée. Elle repose sur une pratique buissonnière de la promotion personnelle et collective à l’échelle des projets de recherche, menée par les chercheurs eux-mêmes. On peut noter également la production de publications à destination des autres organismes de recherche3 et la mise en place d’institutions diverses, dont le rôle est d’organiser la participation de l’Iria à la « République internationale de la science informatique naissante ».

4Dès la fin des années 1960, l’Iria s’affronte à deux enjeux majeurs de communication, structurer et faire connaître un domaine encore mal connu, y compris chez ses partenaires scientifiques et industriels : l’informatique. Pour ce faire, la direction promeut l’organisation de colloques et de rencontres autour de thèmes jugés « porteurs », à l’image de l’informatique médicale en 1968.

5L’enseignement est un autre levier qui est utilisé par l’institut, sans relever pour autant d’une politique de communication formalisée. En 1968 toujours, ce sont par exemple des écoles d’été sur l’analyse numérique et l’informatique qui sont organisées en collaboration avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et Électricité de France (EDF).

  • 4 Les notions de faire-faire et de faire-savoir sont au cœur des propos de la présidence à partir de (...)
  • 5 Présentation d’Olivier Pironneau devant le conseil scientifique du Laboria, 23 mars 1976, p. 5 (ar (...)

6Les années 1970 sont l’occasion pour l’institut de renforcer les collaborations engagées avec l’industrie, placées au cœur de sa raison d’être4, en instituant des clubs qui rassemblent chercheurs et ingénieurs autour d’un domaine de la recherche appliquée, avec l’objectif de faire connaître et reconnaître le rôle de l’institut dans la production et le transfert des connaissances. Créé dès 1975, le club Modulef (Modules éléments finis) rassemble ainsi plusieurs laboratoires de haut niveau qui mettent en commun leurs compétences pour constituer « une bibliothèque de sous-programmes d’éléments finis, simple et souple, utilisables sur toutes les machines et qui soient à usages multiples5 ». En 1976, les adhérents sont EDF, l’Institut national des sciences appliquées de Lyon, Thomson-CSF, les universités de Paris 6, Jérusalem, Pavie et Montréal. Le succès rencontré conduit à la mise en place d’une équipe pérenne d’organisation et à la création de Moduleco pour la modélisation économique et Modulopt pour l’optimisation en 1977.

7La communication scientifique prend donc dès l’origine une dimension internationale par l’établissement de liens avec les autres grands pôles de la recherche mondiale en informatique. La guerre froide impose durant les années 1970 que l’on se tourne aussi bien vers le Massachusetts Institute of Technology (MIT) que vers les institutions soviétiques. L’organisation des déplacements des chercheurs de l’institut et l’accueil de collègues étrangers débouchent en juillet 1972 sur la création du poste de chargé de mission pour les relations scientifiques internationales, occupé initialement par Jean-Pierre Ayrault.

8Avec les États-Unis, l’Inria poursuit des relations soutenues, tournées vers les universitaires comme les centres de recherche privés : en 1979, un tiers des professeurs étrangers reçus viennent d’Amérique du Nord. Le MIT participe par exemple au club Modulef. À la fin des années 1970, un effectif scientifique supplémentaire de 25 % est constitué de collègues étrangers en visite à l’Inria.

  • 6 Régie Renault, la Sagem, SIT-Intel ou bien encore La Calhène (société de matériel médical).

9Autre moyen important pour se faire connaître, qui préfigure les initiatives à destination du grand public au tournant des années 1990 : les projets de recherche qui répondent à une potentielle demande sociale et qui sont largement mis en avant. Avant les années 1980, l’exemple le plus emblématique est le projet Spartacus qui associe robotique et aide aux handicapés à partir de 1975. Il comporte des partenaires très divers, notamment des industriels6 et génère plus de cinq millions de francs de revenus en trois ans d’existence pour la réalisation d’une orthèse et de son manipulateur pour tétraplégiques. L’impact médiatique du projet est sans précédent. La presse nationale, à l’image de France Soir ou du Monde titre au premier semestre 1976 sur les réussites techniques de l’institut. Les chercheurs communiquent au nom du projet, en leur nom propre et au nom de l’Iria, sans que cette communication qui fait connaître l’existence de l’institut au grand public ne soit organisée ou réellement préparée. La dimension buissonnière, tous azimuts, est encore la règle tacite d’une communauté qui non seulement se méfie de la communication, mais n’entend pas être assujettie à un discours commun.

Une communication de transition (1985-2001)

10Dès le début des années 1980, l’Inria connaît plusieurs bouleversements qui vont très largement modifier sa manière d’envisager et d’organiser sa communication scientifique.

11Des réformes en profondeur le conduisent d’abord à changer de nom, puis de statut pour devenir en 1979-1980 l’Inria et en 1985, un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST*). Avec ces réformes, la communication est à l’ordre du jour. Il ne s’agit plus simplement d’organiser la communication entre partenaires scientifiques et industriels, mais de faire connaître et reconnaître à la fois le rôle de certains projets qui gagnent en notoriété et, plus globalement, le rôle de l’Inria dans les évolutions récentes d’une science informatique mieux connue par les décideurs et le grand public à cause de ses implications sensibles dans leur environnement (développement des réseaux, de la micro-informatique, etc.). Au début de l’année 1988, se tient la première réunion de la commission communication. Un an auparavant, un service Minitel a été mis en place.

12En interne, l’existence de quatre unités de recherche éloignées les unes des autres justifie de mener une réflexion autour d’une « communication intercentres ». Celle-ci débouche sur des multiconférences et la multiplication des publications internes sur le modèle d’Irisa Hebdo (publication de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires, lancée par l’antenne de Rennes). À l’externe, les contacts avec les journalistes se font plus nombreux et l’Inria n’attend plus d’être sollicité, mais informe aux moyens de supports nouveaux qui présentent l’institut et les faits marquants.

  • 7 « Sur la communication à l’Inria » (présentation au comité de direction du 29 mars 1989), archives (...)

13Si des efforts sont accomplis, le rapport7 de Thérèse Bricheteau, responsable du service des relations extérieures, conclut néanmoins à une communication encore en devenir qu’il s’agit de développer, mais également d’harmoniser entre des centres qui fonctionnent de manière autonome, empêchant l’émergence d’une communication et d’une identité réellement commune.

  • 8 Plan stratégique de l’Inria, version provisoire, 4 novembre 1993, p. 40.
  • 9 Droit au but (lettre du président), no 6, septembre 1998.

14Avec le premier plan d’établissement de l’Inria lancé en 1990, la communication entre dans une phase de réorganisation active. En 1992, chaque unité de recherche se dote de son propre service d’événementiel et l’année suivante, l’unité de communication et d’information scientifique (UCIS) est créée dans le cadre du plan stratégique de 1993, qui promeut la mobilisation des personnels autour d’un projet d’entreprise : « Il est particulièrement important pour permettre de se reconnaître comme étant Inria de développer une culture commune. Cette culture peut se constituer à partir d’une connaissance claire et adaptée de l’Inria, de sa structure et de son fonctionnement ; d’une information régulière de l’activité de l’Inria […]. C’est l’un des enjeux de la communication interne, de renforcer l’idée d’appartenance à un organisme et d’avoir une identité et un langage communs. Cette cohésion d’identité contribue à l’image d’une personnalité forte de l’Institut et renforce sa notoriété8.» En 1994, un chapitre du plan stratégique 1994-1997 articule communication scientifique externe et interne. Les nouveaux réseaux sont bien entendu utilisés : le site web Inria est créé à la fin de l’année 1993 et l’intranet national, accessible à tous les chercheurs quelle que soit leur implantation, en 1996. Fin 1997, la création d’une délégation à la communication et à l’information scientifique et technique transforme l’UCIS. La communication devient un enjeu porté par la présidence qui souhaite « une communication interne, active, nourrie et équilibrée9 ». Les tâches qui lui sont assignées reprennent en partie les fondations jetées en amont : mieux faire connaître l’Inria et ses travaux (lettres d’information, site internet, journées d’accueil), développer un intranet unique et sécurisé et prendre en compte les questions de sécurité en assurant toujours les tâches d’enseignement et de formation. Enfin, dernière étape de cette période d’adaptation, la création en 1998 du poste de délégué à la communication et à l’information scientifique et technique, qui se transformera en une direction fin 2001.

De l’identité au « branding* » : regard sur la communication contemporaine de « Inria »

15Les années 2000 et le début des années 2010 constituent le dernier acte de la construction du discours de l’Inria sur lui-même et sur sa pratique scientifique. Cette période est marquée par une double évolution : une communication globalement structurée sur le modèle de la communication d’entreprise et une insertion de la communication scientifique dans un storytelling global autour du concept de « l’invention du monde numérique » à partir de 2011. L’apparition sur le site web de rubriques sur l’histoire de l’institut et ses grandes figures en particulier, de Michel Laudet à Jacques-Louis Lions, « Ceux qui ont fait Inria », contribue à cette communication narrative qui cherche à provoquer l’adhésion au travers de ces récits des figures tutélaires.

16Ces deux tendances sont d’abord perceptibles dans le recrutement de professionnels de la communication qui ne sont pas directement issus de la recherche à l’image de Sylvane Casademont, qui a travaillé chez Bossard Consultants et Cap Gemini Ernst & Young, et qui devient la première directrice de la communication en 2003 ou de Laurent Stencel, son successeur, passé par Publicis avant son arrivée à l’Inria en 2009. Céline Acharian, directrice de la communication depuis 2012, a quant à elle un profil original : normalienne, elle fait partie de l’équipe de la direction de la communication depuis 2006. Cette nouvelle dynamique de recrutement s’accompagne d’un recours plus fréquent aux agences pour établir l’identité graphique ou les éléments de langage, comme en 2010 le contrat passé avec l’agence Dragon Rouge, qui débouche en juillet 2011 sur le nouveau gimmick * « Inria – Inventeurs du monde numérique ».

  • 10 http://fing.org

17Il s’agit également de mettre en place une communication plus souple mais aussi efficace à destination du grand public et des décideurs. En novembre 2012, avec Inriality, c’est une plateforme de mise en ligne d’articles associant chercheurs et internautes qui voit le jour dans un but d’animation de la relation science-société, autour d’un fonctionnement très influencé par les réseaux sociaux (absence de contrôle sur les contributions, partenariat avec la Fondation Internet nouvelle génération10). Emblématique d’une tendance nouvelle de la communication scientifique, Inriality illustre le passage du paradigme de la communication qui parle de la recherche à celui d’une communication qui parle de la société à l’aide des chercheurs.

18À l’issue du passage en revue de ces quelques jalons de la communication scientifique de l’Inria, se dégagent certaines lignes de force. D’abord, il n’existe pas de communication « scientifique » séparée d’une communication à visée institutionnelle et grand public à l’Inria. Dès les années 1970, alors même que les chercheurs se défient encore d’une activité qu’ils considèrent comme inutile, coûteuse en temps et porteuse de compromissions diverses, des ponts sont jetés avec les attentes du public. Le projet Spartacus en donne un exemple précoce. Ensuite, la mise en place progressive d’une communication formalisée, notamment au travers d’institutions de plus en plus centrales dans les équilibres internes de l’institut, se fait en parallèle d’un renforcement des discours sur l’identité de l’Inria. L’impression longtemps donnée d’être un archipel de la recherche, marqué par la grande diversité des thèmes et des localisations, devient une force au tournant des années 1990 et 2000 quand la communication de l’institut parie sur la mise en avant du « numérique », terme flou, mais en phase avec le ressenti du public : « Inria – Inventeur du monde numérique » gagne paradoxalement en sens et visibilité pour le grand public. Reste à arbitrer pour les acteurs de la communication entre se faire connaître et faire connaître ses recherches, ce qui ne relève pas exactement de la même démarche.

Bibliographie

Références bibliographiques

Beltran, Alain et Griset, Pascal, Histoire d’un pionnier de l’informatique. 40 ans de recherches à l’Inria, Les Ulis, EDP Sciences, 2007.

Thierry, Benjamin G., « La communication hommes-machines et le développement de l’informatique », Hermès, no 50, Communiquer – Innover. Réseaux, dispositifs, territoires, 2008, p. 91-98.

Thierry, Benjamin G., « Une histoire de la stratégie de reconnaissance scientifique à l’Inria : l’ergonomie de l’informatique et ses chercheurs (1969-1990) », Flux, no 75, 2009, p. 118-125.

Notes

1 De 2007 à 2009, s’est tenu un séminaire organisé par Pascal Griset, « Dire la complexité : grands organismes publics de recherche et communication en France dans la seconde moitié du XXe siècle. Institutionnalisation, pratiques, représentations » (projet ComEx).

2 Nous remercions en particulier Céline Acharian, directrice de la communication et Annie Garot.

3 Dès 1969 apparaît le Bulletin de liaison de la recherche en informatique et automatique.

4 Les notions de faire-faire et de faire-savoir sont au cœur des propos de la présidence à partir de 1972 avec l’arrivée d’André Danzin.

5 Présentation d’Olivier Pironneau devant le conseil scientifique du Laboria, 23 mars 1976, p. 5 (archives Inria, conseil scientifique Laboria).

6 Régie Renault, la Sagem, SIT-Intel ou bien encore La Calhène (société de matériel médical).

7 « Sur la communication à l’Inria » (présentation au comité de direction du 29 mars 1989), archives de l’Inria et Thérèse Bricheteau, 14 décembre 1988.

8 Plan stratégique de l’Inria, version provisoire, 4 novembre 1993, p. 40.

9 Droit au but (lettre du président), no 6, septembre 1998.

10 http://fing.org

Auteur

Enseigne l’histoire des médias et des techniques à l’université Paris-Sorbonne. Sa thèse porte sur l’histoire de l’interactivité et de l’idée d’utilisateur en France en télécommunications et informatique des années 1960 à nos jours. Il a notamment publié (avec Valérie Schafer) Le minitel. L’enfance numérique de la France (Nuvis, 2012) et coordonné avec Pascal Griset le numéro spécial de la revue Flux sur l’histoire de la modélisation des réseaux techniques (no 85-86, 2012).

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