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Information et communication scientifique à l'heure du numérique

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Valérie Shafer

Science 2.0 : recherche et enseignement

Olivier Ertzscheid

Note de l’auteur

Ce texte est une version retravaillée et actualisée de son article « Science 2.0 : renouveau de la recherche et/ou de l’échange scientifique ? » (Amar et Mesguich, 2012, p. 159-167). Une version auteur est disponible en ligne sur : http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2012/05/science-20-renouveau-recherche-echange-scientifique.html

Texte intégral

1La manière la plus simple de définir la science 2.0 est de la considérer comme une pratique scientifique classique, mais s’appuyant sur les outils du Web 2.0 et leur dynamique propre, c’est-à-dire une collaboration plus large et étendue entre chercheurs, un aspect « conversationnel » facilité, de gigantesques et inédits corpus de données mis à disposition, un raccourcissement notable des délais de publication et de diffusion des résultats de la recherche, et de plus en plus fréquemment, un mode de publication en accès ouvert. Depuis fin 2010, elle intègre les pratiques d’enseignement avec la montée en puissance des Moocs* (Massive open online courses) et couvre donc l’ensemble du champ des activités scientifiques, de l’enseignement à la publication, en passant par les activités intermédiaires de recherche, d’analyse de corpus et de débats entre pairs.

2La science 2.0 sort progressivement de l’ère des pionniers. Trois grands moments ont jalonné sa courte histoire : les années 1990-2000 virent le mouvement de l’accès libre aux publications scientifiques prendre corps dans les pratiques universitaires ; les années 2000-2005 sont celles de l’essor des blogs de chercheurs et actent la nécessité d’ouvrir à de nouveaux espaces les ateliers et paillasses des scientifiques ; depuis 2010, les réseaux sociaux sont à leur tour progressivement investis par les universitaires et étudiants, constituant des proximités et des environnements inédits pour la diffusion et la confrontation d’idées.

3L’ensemble de l’activité scientifique devient plus ouverte, plus collaborative, davantage tournée vers la société civile, et finalement bien « plus aimable » (Gunthert, 2010). Loin de constituer un simple faire-valoir ou de couvrir seulement les aspects liés à la vulgarisation de l’activité scientifique, la science 2.0 dispose aujourd’hui de pratiques et d’outils qui permettent de la caractériser fortement dans un champ de pratiques installées, même s’il faut nuancer cette importance au regard des contextes nationaux ou des logiques disciplinaires.

Des outils et des pratiques en (r)évolution

4Les blogs scientifiques, ou carnets de recherche, sont un point central dans l’écosystème de la science 2.0. Ils s’imposent comme des « séminaires permanents » reposant sur une « culture de l’expérience » (ibid.). De nombreux universitaires défendent leur importance déterminante pour l’ensemble des pratiques universitaires d’enseignement et de recherche (Jenkins, 2008a ; 2008b). Ainsi, pour les étudiants les plus avancés, ils facilitent l’appropriation des thématiques de recherche et permettent de mieux documenter et rendre accessibles des notions développées en cours. Ils leur permettent de bâtir leur réputation et d’élargir leur réseau. Les blogs scientifiques offrent également aux universitaires la possibilité de mieux contrôler leur identité numérique en conjuguant leur existence académique, leur expertise scientifique et leur expression publique. Enfin, l’existence de plateformes scientifiques légitimées (Hypotheses) leur permet de constituer une passerelle entre différents niveaux de publication jusqu’ici distincts (prépublication, publication, expertise, valorisation, vulgarisation). La reconnaissance des blogs va au-delà d’une simple banalisation du phénomène avec, par exemple, l’attribution de numéros ISSN* (Muscinesi, 2011) renforçant le rôle qu’ils occupent désormais pour l’avancement des sciences et des techniques (Blanchard, 2010).

  • 2 Une « adhocratie » est définie par Henry Jenkins comme « une forme d’organisation sociale et polit (...)

5« Séminaire permanent » entre pairs ouvert sur la société civile (Priego, 2011), Twitter est quant à lui l’outil qui, face à l’alimentation et l’exposition croissantes de contenus universitaires sur la Toile, permet de leur assigner une visibilité en phase avec la réactivité des temporalités sociales de diffusion et de partage sur le Web. Il permet aux scientifiques d’élargir leur réseau de tiers de confiance et de référence, créant ainsi de nouvelles « adhocraties2 ». Permettant de suivre en temps réel l’activité d’un champ scientifique, soit via le compte de chercheurs, soit au travers du live-tweet de différentes manifestations scientifiques, la formidable chambre d’écho du site de microblogging* se trouve également renforcée par l’intrication très dense entre les dispositifs de publication de revues (en accès ouvert), les plateformes de blogs rattachées à une revue ou un auteur, et la dissémination sociale à laquelle incitent les nombreux boutons présents à chaque recoin des plateformes servant de support à la science 2.0 (like, +1, share, retweet, etc.).

6À la différence de Twitter – sans véritable concurrent notable dans sa catégorie – les réseaux sociaux dédiés aux scientifiques sont très (peut-être trop) nombreux et peinent par contre à séduire et à fédérer une large communauté. En concurrence directe dans les usages avec les réseaux sociaux professionnels dans lesquels le lien avec le monde industriel pour des projets de recherche et de développement est plus naturel (de type LinkedIn ou Viadeo) et des outils dédiés au partage et à la gestion de références bibliographiques (Mendeley, CiteUlike, Connotea, Zotero, etc.), il n’existe pas à proprement parler de réseau social généraliste (type Facebook) réunissant une part significative de la communauté scientifique. Néanmoins, les outils de partage « bibliographiques » constituent d’extraordinaires facilitateurs pour la circulation d’articles scientifiques « soustraits » à leurs modes de diffusion habituels, c’est-à-dire hors accès payant. Ainsi ResearchGate fournit-il, en plus de 350 000 articles, la possibilité de rechercher parmi 40 millions de résumés et communications issus d’autres bases de données scientifiques (Lin, 2012).

Les enjeux académiques

  • 3 Préconisant une ouverture des débats pour l’évaluation des articles scientifiques.

7Avec le passage à l’échelle du Web de communautés scientifiques jusqu’ici très fermées, la prise en compte de nouvelles métriques intégrant les modes de partage et d’appropriation spécifiques de ce média devient nécessaire. Le site Altmetrics (Priem et al., 2010) s’intéresse aux mesures permettant d’évaluer l’impact des publications universitaires disséminées sur le Web. À la mesure classique du nombre de citations, il ajoute des métriques directement liées à l’usage (nombre de téléchargements, de vues) mais également une critériologie liée à la dimension conversationnelle du savoir scientifique (nombre de « conversations » liées à l’article, de signalements sur les réseaux sociaux, de commentaires associés, etc.). L’open review3 tente de venir compléter les processus classiques de peer review (revue par les pairs*), et Twitter est souvent utilisé dans une logique de post peer commenting (commentaires par les pairs suivant une publication). Évaluer l’impact d’un article à travers son taux de partage et les débats qu’il aura suscités, y compris en dehors de la communauté scientifique, n’est plus réservé au cas particulier de l’impact social de certaines controverses scientifiques. Crow-doMeter permet par exemple d’afficher les tweets mentionnant des publications scientifiques et d’enrichir ces publications à l’aide d’informations de nature sémantique*, sur le niveau d’accord ou de désaccord avec les conclusions de l’article, sur son affiliation à un champ scientifique, ou sur les méthodes et les données expérimentales qui y sont exposées.

8Outre la question de la bibliométrie*, la science 2.0 invite également à penser les logiques contributives extérieures au domaine scientifique. Certains projets et recherches scientifiques reposent sur des principes de crowdsourcing (expertise et production de contenu par la foule) et de crowdfunding (financement par la foule). Ainsi, le projet Foldit consiste à utiliser une interface ludique et une large communauté d’internautes – plus de cent mille joueurs – pour tenter de résoudre des problèmes scientifiques liés à la structure et à la forme des protéines, en permettant aux participants de créer et de tester différents « pliages » (Good et Su, 2011). Les résultats et les découvertes importantes liés à cette participation ont été publiés dans de prestigieuses revues scientifiques et les « joueurs » s’en sont trouvés crédités en tant que coauteurs (Goudet, 2011).

9Enfin la question des corpus nouvellement constitués ou proposés par le numérique et du mouvement des big data (grandes masses de données*) se pose également avec acuité. Après avoir démarré avec des méthodologies empiriques, franchi l’étape de l’abstraction et fait appel à l’informatique pour modéliser des phénomènes complexes, l’activité scientifique bascule dans un quatrième paradigme (Gray et Szalay, 2006), celui de l’eScience : les scientifiques sont confrontés à un déluge des données qui n’est pas sans danger pour l’activité scientifique dans son ensemble (Boyd et Crawford, 2011), puisqu’il porte sur la définition même du champ de la connaissance, sur l’éthique et la déontologie des processus de fouille de données, mais aussi sur l’objectivité et la précision de la démarche scientifique, et pourrait engendrer de nouvelles fractures numériques au sein des communautés disciplinaires. L’une des questions centrales de la méthode scientifique au xxie siècle consiste à savoir comment traiter « scientifiquement » le gigantisme des corpus mis à disposition. Pour ne prendre qu’un exemple, le projet Google Books lancé en 2005 compte à lui seul 11 % de tous les livres publiés depuis 1473, en sept langues, soit une estimation à hauteur de 2 milliards de mots et 5,2 millions de livres numérisés (Cohen, 2010). Ce « plus grand corpus linguistique de tous les temps » (Véronis, 2010) est une opportunité formidable pour la linguistique de corpus, mais son exploitation repose sur les méthodologies et outils d’exploration délivrés par les sociétés commerciales détentrices desdits corpus, sans toujours pouvoir en maîtriser les règles d’accès, les contraintes et limites méthodologiques ou éthiques.

10Le Web 2.0 propose désormais des outils capables de répondre aux attentes et aux usages des scientifiques, qu’il s’agisse de « faire de la veille sur leurs sujets de recherche », de « découvrir de nouvelles idées ou publications », « d’établir de nouveaux contacts académiques » et de « garantir la visibilité de leurs propres travaux », de « collaborer avec d’autres chercheurs », de « solliciter l’avis de leurs pairs », de « maintenir leur réputation », et de « publier des résultats », « d’obtenir de nouveaux financements » et « d’attirer l’attention des médias » (Gruzd et al., 2012). Ce que la science 2.0 renouvelle dans la recherche et dans l’échange scientifique tient en trois points. D’abord, la notion « d’autorité » ne craint plus de se décliner à travers et au profit d’agencements collectifs d’énonciation. Ensuite, elle offre, pour des corpus constitués ou mis à disposition, une multimodalité* d’accès et de traitement seule capable d’embrasser l’étendue desdits corpus. Enfin, un renouveau des indicateurs et des métriques de citation est en cours, qui prend acte de la dimension sociale de partage et de diffusion de la recherche, des métriques d’usage qui n’ont pas vocation à remplacer les précédentes mais à les compléter. À cela il faut ajouter la désormais relative maturité des dispositifs d’enseignement, à la fois respectueux des critères et méthodologies universitaires et ouverts à un très large public (les Moocs) et face auxquels l’enseignement en présentiel va devoir être redéfini pour tenir compte des nouvelles échelles de grandeur caractéristiques du réseau, tout en restant vigilant sur les processus de certification et les autorités à l’œuvre derrière ces dispositifs, afin d’éloigner le spectre d’un enseignement low cost * .

Bibliographie

Références bibliographiques

Amar, Muriel et Mesguich, Véronique (dir.), Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2012.

Blanchard, Antoine, « Ce que le blog apporte à la recherche », in Dacos, Marin (dir.), Read/Write Book, Marseille, Cléo, 2010, p. 157-166. En ligne sur : http://books.openedition.org/oep/172

Boyd, Danah et Crawford, Kate, « Six Provocations for Big Data », A Decade in Internet Time : Symposium on the Dynamics of the Internet and Society, septembre 2011. doi : 10.2139/ssrn. 1926431

Cohen, Patricia, « In 500 Billion Words, New Window on Culture », The New York Times, 16 décembre 2010. En ligne sur : www.nytimes.com/2010/12/17/books/17words.html

Good, Benjamin M. et Su, Andrew I., « Games with a Scientific Purpose », Genome Biology, volume 12, no 12, 2011. En ligne sur : http://genomebiology.com/2011/12/12/135

Goudet, Jean-Luc, « Les joueurs de Foldit font progresser la recherche contre le sida », Futura-Sciences, 29 septembre 2011.

En ligne sur : www.futura-sciences.com/fr/news/t/informatique/d/les-joueurs-de-foldit-font-progresser-la-recherche-contre-le-sida_33664

Gray, Jim et Szalay, Alex, « eScience : The Next Decade Will Be Exciting », Actes du colloque ETH Zürich, 29 mai 2006. En ligne sur : www.signallake.com/innovation/JGrayETH_E_Science.pdf

Gruzd, Anatoliy, Goertzen, Melissa et Mai, Philip, « Survey Results Highlights : Trends in Scholarly Communication and Knowledge Dissemination in the Age of Social Media », Social Media Lab, 1er février 2012. En ligne sur : http://socialmedialab.ca/?p=4308

Gunthert, André, « Why Blog ? », in Dacos, Marin (dir.), Read/Write Book, Marseille, Cléo, 2010, p. 167-171. En ligne sur : http://books.openedition.org/oep/174

Jenkins, Henry, « Public Intellectuals in the New-Media Landscape », The Chronicle of Higher Education, 4 avril 2008a.

Jenkins, Henry, « Why Academics Should Blog… », Confessions of an Aca-Fan, 8 avril 2008b. En ligne sur : http://henryjenkins.org/2008/04/why_academics_should_blog.html

Lin, Thomas, « Cracking Open the Scientific Process », The New York Times, 17 janvier 2012. En ligne sur : www.nytimes.com/2012/01/17/science/open-science-challenges-journal-traditionwith-web-collaboration.html

Muscinesi, Frédérique, « Des ISSN pour les carnets d’Hypotheses. org », L’édition électronique ouverte, 22 juin 2011. En ligne sur : http://leo.hypotheses.org/6962

Priego, Ernesto, « How Twitter Will Revolutionise Academic Research and Teaching », The Guardian, 12 septembre 2011. En ligne sur : www.guardian.co.uk/higher-education-network/blog/2011/sep/12/twitter-revolutionise-academia-research

Priem, Jason, Taraborelli, Dario, Groth, Paul et Neylon, Cameron, Altmetrics : A Manifesto, 26 octobre 2010. En ligne sur : http://altmetrics.org/manifesto/

Véronis, Jean, « Google : le plus grand corpus linguistique de tous les temps », Technologies du langage, 16 décembre 2010. En ligne sur : http://blog.veronis.fr/2010/12/google-le-plus-grandcorpus.html

Notes

2 Une « adhocratie » est définie par Henry Jenkins comme « une forme d’organisation sociale et politique avec très peu de structures fixes ou de relations stables entre les participants, un minimum de hiérarchie et un maximum de diversité », et d’ajouter, « soit l’opposé de l’université actuelle » : http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2007/03/diversit_des_yo.html

3 Préconisant une ouverture des débats pour l’évaluation des articles scientifiques.

Auteur

Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Nantes, a soutenu une thèse sur l’hypertexte et les nouveaux modes d’accès et de diffusion des connaissances. Il travaille actuellement sur les usages des moteurs de recherche et des outils d’accès à l’information en questionnant les enjeux politiques, économiques et sociétaux de l’écosystème Internet. Depuis sept ans, il tient la chronique de l’actualité de ses travaux de recherche sur le blog Affordance.info : http://affordance.typepad.com

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