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Hippolyte Carnot - 1801-1888

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Rémi Dalisson

Partie III. Retour d'exil et consécration républicaine (1852-1888)

Le triomphe des idéaux de Février (1880-1888)

Texte intégral

1En 1880, le régime républicain est conforté et le sénateur à vie Carnot, comblé par sa famille, va célébrer son quatre-vingtième anniversaire. Il est plusieurs fois grand-père et ses deux fils sont polytechniciens. Ils ont même des responsabilités politiques, surtout Sadi qui a été ministre en août 1878, dirige la gauche démocratique et est vice-président de la Chambre.

2Si sa carrière est unanimement saluée, elle n’est pas finie. Les dernières années de sa vie seront bien remplies avec les lois scolaires qui lui assurent une manière de victoire morale, et ses passions comme l’histoire. Enfin, c’est à cette époque qu’il renoue avec l’héritage paternel et la Révolution française, juste avant de voir son fils accéder à la magistrature suprême, lui qui se voyait candidat à la présidence de la République précédente.

Le « sage des sages », l’Académie et l’histoire

3En septembre 1880, alors que Ferry constitue son ministère et songe à Sadi Carnot pour les Travaux publics, la rumeur d’une prochaine élection à l’Académie des sciences morales revient avec insistance. Pendant ce temps, Hippolyte Carnot achève l’été à Presles où il a retrouvé avec délices la vie campagnarde, ses rosiers et sa fonction de « sage des sages » (Scheureur-Kestener) de la République et de l’école. Il s’implique chaque jour un peu plus dans la vie locale alors qu’à Paris, le gouvernement légifère pour consolider le régime.

4Le sénateur Carnot vote tous les textes confortant la République, notamment toutes les lois scolaires, des lois Bert et Sée de 1879 à la loi Goblet de1886, en passant par les lois Ferry. Il vote surtout le fameux article sept de la loi du 18 mars 1880 relative à la liberté de l’enseignement supérieur. L’histoire de cet article résume l’atmosphère de l’époque et la pensée d’Hippolyte Carnot. Nommé depuis peu ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry dépose à la Chambre des députés le 15 mars 1879, jour anniversaire de la loi Falloux, un projet de loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. Il vise à soustraire ce niveau d’enseignement à la tutelle de l’Église dans une atmosphère de guerre scolaire. En effet, depuis le vote par le Conseil municipal de Paris de la laïcisation des écoles congréganistes de la capitale en 1878, une violente campagne de presse a ranimé le conflit politico-religieux. Pour les républicains, le projet Ferry est donc la conclusion de cet antique conflit, qu’ils appellent « la contrerévolution » dont le point d’orgue fut la crise du 16 mai 1877 qu’ils attribuent aux Jésuites. À l’inverse, les opposants cléricaux nient l’influence supposée des congréganistes et rejettent les critiques de la République. Ils conçoivent même le texte de Ferry comme des représailles des « sans Dieu » après le même 16 mai.

  • 1 Dans la première série de mesures figure le retrait de la collation des grades décernés par des ju (...)
  • 2 Étienne de Voisins-Lavernière, sénateur de centre gauche du Tarn, ancien quarante-huitard pourtant (...)

5Le projet Ferry comporte deux volets : la suppression de garanties accordées par la loi de 1875 aux établissements libres du Supérieur et l’interdiction de l’enseignement aux membres des congrégations non autorisées1. Toutefois sa partie la plus importante réside dans l’article sept qui rétablit la législation antérieure : l’interdiction d’enseigner aux personnes appartenant à une congrégation non établie légalement en France. L’article symbolise alors à lui seul la lutte entre les cléricaux et les laïcs, entre les monarchistes et les républicains. Une campagne de pétition organisée par l’opposition recueille près de deux millions de signatures et les conservateurs qualifient l’article sept de « réactionnaire et inique ». Pour eux en effet, « l’enseignement libre perd en même temps ses moyens d’action, son autorité, son contrôle, ses ressources et ses maîtres2 ». Face à cette contestation, les républicains soutenus par la Ligue de l’enseignement et menés par Ferry et Pelletan s’unissent. Mais des voix discordantes se font entendre en leur sein, chez les modérés partisans d’accommodements avec l’Église. Déposé le 15 mars 1879, le projet est finalement discuté à la Chambre des députés du 16 juin au 9 juillet, date à laquelle il est adopté. Puis il est transmis au Sénat devant une Commission présidée par Jules Simon qui en devient le rapporteur, et les débats s’enveniment brusquement.

6Le texte est inscrit à l’ordre du jour de la Chambre Haute le 23 février 1880. Les débats qui durent treize jours sont houleux avec la présence de Mac-Mahon et des menaces qui fusent des deux côtés. L’article sept est finalement rejeté par le Sénat par 148 voix contre 129 et le projet de loi ainsi modifié adopté le 9 mars. Hippolyte se démarque alors des républicains de « centre gauche » dont il est pourtant si souvent proche. Contrairement à Jules Simon, il vote pour l’article sept, au nom du contrôle de l’État sur l’éducation des enfants qu’il faut protéger des congrégations. Il est d’accord avec les « justes paroles » de Ferry et Pelletan :

  • 3 Jules Ferry et Camille Pelletan, débats sur la loi de 1880 : http://www.senat.fr/evenement/archive (...)

« Puisqu’il existe [...] une congrégation [les Jésuites] aussi puissante que célèbre qui domine toutes les autres […] et qui ne peut être défendue dans ses principes […] et qui est véhémentiellement soupçonnée d’être en état de conspiration permanente contre nos institutions. […] Il n’est pas permis au Gouvernement de la considérer d’un œil indifférent et de se croiser les bras. […] La liberté vient enfin ! Mais la tenez-vous donc en si médiocre estime que vous allez en confier l’enseignement à ceux-là même qui, par leur vœu d’obéissance absolue, ont reculé si loin les bornes du despotisme en haut et de la servitude en bas. Qu’ils ne sont même plus au point de vue du libre arbitre, des esclaves, qu’ils ne sont plus que des cadavres ambulants, selon l’énergique expression de leur fondateur3. »

7Une seconde délibération de pure forme intervient, car le Sénat confirme sa décision. Le projet de loi retourne alors à la Chambre des députés le 16 mars 1880 où il est adopté le jour même, sans modification, sans discussion et sans grand enthousiasme.

8Puis Carnot vote toutes les lois libérales comme le droit de réunion publique grâce à la suppression de l’autorisation, l’ouverture des cabarets, ces « contre églises républicaines » (Jean-Marie Mayeur) et la liberté de la presse en 1881. Il vote aussi la réforme judiciaire de 1883 qui diminue, parfois brutalement, le nombre de magistrats congréganistes et monarchistes et institue une nouvelle carte judiciaire. Il soutient le rétablissement du divorce en 1884 qui ne peut être par consentement mutuel, ce qui rassure ce protecteur de la cellule familiale. Il appuie évidemment les lois instillant la démocratie et l’élection libre. Il vote ainsi en 1884 la loi Waldeck-Rousseau sur la liberté syndicale, pour l’élection des maires et adjoints et soutient la réforme constitutionnelle qui interdit les prières publiques à l’ouverture des Chambres. Enfin, il soutient avec enthousiasme l’impossibilité de revenir sur le caractère républicain du régime et la suppression des sénateurs inamovibles au nom du primat du suffrage universel.

  • 4 Jules Ferry, discours du 27 juin 1879. Dans Paul Robiquet, Discours et opinions de Jules Ferry, Pa (...)
  • 5 Jules Ferry à son épouse, 4 juin 1877, Jean-Marie Mayeur, Les débuts de la IIIe République, op. ci (...)

9Le sénateur vote évidemment toutes les lois laïcisant le pays : la suppression de l’interdiction du travail dominical et celle du caractère confessionnel des cimetières, la liberté de funérailles, la laïcisation des hôpitaux, l’enlèvement des crucifix dans les prétoires. Surtout le choix de Ferry qui explique qu’« attaquer le catholicisme et se mettre en guerre avec la croyance du plus grand nombre de nos concitoyens serait la dernière et la plus criminelle des folies4 », le séduit. Cette laïcisation en douceur et respectueuse des libertés satisfait le modéré et libéral qu’il est resté. Et quand le même Ferry précise que « les croyances sont personnelles, libres et variables » et que « l’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église5 », il est rassuré sur le degré de tolérance laïque et la liberté de conscience et de culte garantie par le nouveau régime.

  • 6 Lettre de Jules Ferry à Carnot, 17 juillet 1880, puis réponse le 21 juillet, AFP/HC/VI/carton C, d (...)

10Pendant toutes ces séances, le sénateur Carnot retourne régulièrement à Presles où il reprend avec délice son rôle de caution morale de l’école publique. Depuis la victoire des républicains, la nature de son courrier a changé, et on ne le sollicite plus guère. On le remercie plutôt pour son œuvre, pour les bourses qu’il a accordées, pour les emplois trouvés, pour les créations de bibliothèques locales (comme celle de l’école de Vayres) ou de « musées de l’éducation » comme à Bruno-Bonnevaux, non loin de Milly-la-Forêt. Même le ministre de l’Instruction le sollicite pour lui demander « des renseignements indispensables » sur le nouveau curé de la Ferté-Alais dont il garantit les « opinions libérales6 ». Toujours passionné par la politique, il compile chaque résultat électoral, établit des listes de candidats républicains méritants comme lors des municipales de janvier 1881. Il accepte encore quelques réunions politiques dans la région, y prend parfois la parole (à Milly) et suit la carrière des enseignants locaux tout en écrivant sur l’instruction primaire pour le Bulletin de l’Instruction Primaire en août 1885. Chaque fin d’année scolaire, il est invité dans des écoles de Seine-et-Oise pour les remises de prix souvent jumelées avec le 14 juillet.

  • 7 François Carnot explique qu’Hippolyte, quand il résidait à Presles avait l’habitude de s’asseoir s (...)

11Ces petites cérémonies républicaines le ravissent car elles lui permettent de conserver un lien avec le monde scolaire7. C’est à l’école de la Ferté-Alais qu’il est le plus assidu et qu’il se rend chaque année jusqu’à sa mort, pour la distribution des prix des écoles du canton. Le cérémonial obéit à tous les canons des fêtes civiques républicaines. On y retrouve le défilé des officiels, avec l’Inspecteur d’Académie en vedette, le pavoisement tricolore, la fanfare locale en uniforme qui joue ses morceaux patriotiques favoris avant la Marseillaise, les travaux d’enfants exposés dans la mairie et les élèves qui font des exercices gymniques avant les discours.

12Pour la fête du 18 août 1879, après les remises de prix, souvent des couronnes ou des livres édifiants « d’Histoire nationale », et la présentation des résultats des élèves vient l’annonce de projets d’améliorations, notamment dans le domaine sanitaire. Puis Carnot, « si dévoué à la cause de l’enseignement populaire […] et à la République » selon le journal local, prend la parole et s’adresse aux enfants. Dans une optique très positiviste, il leur explique la fonction civique de l’école et met en exergue l’importance qu’elle a pour la promotion sociale par le savoir, la culture et l’effort patriotique :

  • 8 Carnot, L’Union libérale et démocratique de la Seine-et-Oise, 24 août 1879, AFP/HC/PR, carton C, d (...)

« Nous vous aimons parce que vous êtes les enfants de la France, nous voyons en vous l’avenir. Vous devez un jour nous remplacer et nous voulons être bien remplacés. C’est pourquoi nous désirons vous voir instruits, plus instruits que nous. […] Ainsi marche le progrès : chaque génération doit le sien à la génération qui s’en va. […] Tous les garçons feront un temps de service militaire […], pour se mettre en situation de défendre le pays […] Nous devons prévoir la guerre aussi longtemps que des ambitions monarchiques pourront troubler le monde. […] Tous vous aurez donc à faire un apprentissage professionnel, vous aussi jeunes filles. […] Personne ne peut se passer de lire, écrire, de calculer, […] de tenir un crayon. […] Quant à l’histoire, quant à la géographie, comment les négligerait-on ? Il me semble que l’on est à peine Français si l’on ne connaît pas la France […], ses richesses, son industrie […]. Ceux qui connaissent cela ont le droit d’être fier d’être Français [...], fier de ces hommes de bien […] qui ont fait de la France le bon, le beau pays libre que nous habitons8. »

  • 9 Discours de Carnot, L’Abeille d’Étampes, du 24 août 1884, AFP/HC/PR et carton C.

13Cinq ans plus tard, le 23 août 1884, une fois les lois scolaires votées, Carnot est invité à la même fête agrémentée d’un bal, de nouveaux chants patriotiques, d’une retraite aux flambeaux, de l’exhibition d’un Bataillon scolaire et d’une démonstration de sapeurs-pompiers. Il y va de son discours auquel il ajoute la promotion de l’effort « rien n’est à négliger de ce qui s’enseigne à l’école, et tout a besoin d’être bien appris. […] Il ne faut pas se dire, si je n’avais pas été à l’école ou si j’avais été un paresseux, je n’en serai pas là où j’en suis ». Il exhorte les enfants à aller plus loin que la lecture, l’écriture et le calcul et à « étudier l’histoire de France pour apprendre à aimer la Patrie ». Il ne se départit pas de son sempiternel optimisme : « Nos jeunes ont fait des progrès sensibles […], je ne suis pas inquiet sur leurs apprentissages : on fait toujours bien ce qu’on fait avec plaisir9. »

  • 10 André Lefèvre-Pontalis, Notice sur Hippolyte Carnot, Paris, Picard, 1891, p. 46.
  • 11 M. Bouillier, Discours aux funérailles de Carnot, 20 mars 1888. AFP/HC/VI/carton A, D 2.

14Porté par ce rôle de défenseur de l’école républicaine, Carnot est facilement élu le 25 juillet 1881 à l’Académie des sciences morales et politiques comme « membre libre » de la section générale. Il se retrouve dans son élément dans cette institution d’origine révolutionnaire qui entend étudier les sciences morales et politiques. Il se réjouit aussi de suivre les traces de ce père qui l’a précédé en ces lieux. « Vieillard qui, comme d’autres, ne semblait pas vieillir10 », il se montre aussi assidu à l’Académie qu’il le fut à l’Assemblée et l’est au Sénat, et devient une sorte de « vétéran de la démocratie et de la République11 ». Il y fait des lectures sur le saint-simonisme, sur l’abbé Grégoire, qualifié d’« évêque républicain » et sur l’histoire de la Révolution française.

15Avec le discours rituel de rentrée du Sénat qu’il prononce comme doyen d’âge à partir de 1884, ces lectures et conférences deviennent ses seules expressions publiques hors de Seine-et-Oise. Il y reprend ses thèmes favoris et, surtout, exhorte ses compagnons de parti à l’union et à la pédagogie pour enraciner un peu plus encore la République dans le pays.

  • 12 Texte de la proposition de loi sénatoriale, Sénat, no 45, exposé des motifs, AFP/HC/VI/carton A, d (...)

16Il propose encore quelques textes qui résument sa vie. En mai 1876, il envisage, avec ses collègues Charton, Picard, Simon, Étienne Arago et d’autres, la création d’une École nationale d’administration rendue nécessaire par le « développement des libertés municipales […] qui doit approprier l’enseignement aux personnes qui peuvent être appelées à des fonctions gratuites12 ». Il participe en 1879 à la Commission qui examine le projet de loi sur le Conseil supérieur de l’Instruction, à celle sur l’enseignement secondaire des filles créé par Camille Sée en 1880 et préside la Commission qui examine la création de la fête nationale. L’année suivante, il se penche sur l’École nationale d’arts décoratifs et travaille sur les questions budgétaires. En 1884, il est rapporteur de la question sensible des prières publiques pour la rentrée des Chambres qui pose l’éternelle question de la laïcité.

  • 13 Ferry parle des « races supérieures [qui] ont un droit vis-à-vis des races inférieures parce qu’il (...)
  • 14 Hippolyte Carnot, discours du 30 mars 1885 dans Charles Rémond, Les trois républiques, op. cit., p (...)

17Plus surprenant apparemment, dans la droite ligne du discours de Ferry du 28 juillet 188513, cet ardent patriote est résolument partisan de la mission coloniale et « civilisatrice » de la République. Comme le ministre, il pense que la colonisation servira l’économie, accroîtra le rayonnement du pays, diffusera les valeurs républicaines et pourra compenser la perte de l’Alsace-Lorraine. Cette position n’est surprenante qu’en apparence, tant elle reflète les croyances de l’écrasante majorité des républicains d’alors. Si l’abolitionniste qu’il reste est choqué par la notion de « droits » sur les colonisés, la notion de « races inférieures » ne le gène pas car elle est courante, y compris dans le dictionnaire Larousse. Quant à l’idée de civiliser, elle renvoie chez lui à celle de diffusion des valeurs démocratiques (lutter contre l’esclavage local) et d’éducation des indigènes, comme il l’a dit pour l’Algérie. En outre, la notion de « devoir » civilisateur n’est pas pour lui déplaire, lui qui conçoit l’éducation comme une mission et un sacerdoce. Le 30 mars 1885, après une « allocution patriotique » à propos des événements du Tonkin, il fait donc un discours au Sénat : « Au nom d’un grand nombre de ses collègues déterminés avant tout par des raisons patriotiques et par notre sympathie à notre héroïque armée, nous sommes prêts à lui voter toutes les ressources nécessaires, à lui venir en aide et à sauvegarder l’honneur national14. » Et il vote donc sans regimber les crédits pour la Chine et le Tonkin, avant que le ministère Ferry ne soit mis en minorité sur cette question.

  • 15 Docteur Hamy, « Les origines du musée ethnographique », Paris, Histoire et documents, 1890, p. 290

18Hormis ce travail politique qui fatigue un homme de 78 ans, il s’adonne à de nouvelles passions comme l’ethnographie, à travers la Société d’ethnographie (américaine et orientale) à laquelle il a adhéré dès 1860. Il y satisfait son envie de découvrir d’autres civilisations, de préserver les traditions de sa « chère patrie » et devient le président de la Société ethnographique pour la France en 1880. Il participe à toutes ses réunions et y prend la parole en 1876, 1885 et 1886, va à son Congrès international de 1878 à Stockholm et rédige l’introduction de la « collection ethnographique » en 1880. Cette nouvelle discipline connaît une certaine vogue depuis que l’exposition universelle de 1878 a présenté des collections de diverses civilisations et que, l’année suivante, un « Musée d’ethnographie » a ouvert au Trocadéro. Le discours inaugural du ministre Bardoux permet de comprendre ce qui intéresse Carnot : « Le musée est une nouvelle porte à l’étude des progrès […] et s’élargira tous les jours grâce au dévouement des missionnaires de l’instruction publique15. »

  • 16 Son successeur après sa mort sera son ami Charton.

19Sa seconde passion reste l’Histoire, d’autant qu’il est le premier président16 de la Société d’histoire de la Révolution française fondée le 14 juillet 1881, dotée d’une revue, la Révolution française, revue historique dont il écrit l’article inaugural. Il y retrouve les sénateurs Henri Martin, membre de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 1871, et Eugène Pelletan. La présentation de la revue dit ses objectifs quasi scientifiques :

  • 17 Notice pour la revue « Révolution française, revue historique », Charavey, 1881, AFP/HC/VI/carton (...)

« Dans chacun des numéros, on trouvera la réimpression d’une ou plusieurs pièces historiques publiées et documents publiés de 1789 à 1800. […] Ainsi la revue offrira […] tout une bibliothèque de la Révolution française, une somme de connais-connaissances […] La publication […] s’appliquera en faisant connaître dans tous ses détails, l’époque la plus remarquable de notre histoire et servira à préparer, en France et dans le monde, le centenaire de 1789, […] la grande fête de la Révolution française et de l’humanité17. »

  • 18 Reste le problème de la Terreur, au moment où l’on parle du « bloc » révolutionnaire. Carnot consi (...)
  • 19 Une première version sort chez en 1784, puis fin 1878, vite suivie d’une autre en 1881-1882. L’ouv (...)

20Rigueur historique, méthode archivistique, patriotisme, culte de 178918, nationalisme et pédagogie festive, c’est tout le Carnot républicain et civique qui s’y retrouve. Au même moment, il publie les deux tomes d’un ouvrage, commencé en 1872, appelé La Révolution française, résumé historique dans une collection bon marché et républicaine appelée « la Bibliothèque utile19 ». Cet ouvrage est une sorte de testament politique qui résume sa vie, ses combats et ses valeurs tout en restant profondément optimiste. Rien n’y manque : ni le positivisme et la foi en l’avenir, ni une référence aux Provinces perdues, ni la critique du césarisme, ni le mythe républicain de 1789 et le poids fondamental de l’école pour bâtir un nouveau pays en accord avec la devise républicaine :

  • 20 Hippolyte Carnot, « Introduction et conclusion » de la Révolution française, Paris, « Bibliothèque (...)

« Ce n’est pas que le développement des idées de 1789 soit arrêté. Il se poursuivra, tantôt rapide, tantôt lent, quelquefois imperceptible. […] La Prusse a réalisé, pour le compte d’ambitions particulières, ce qu’elle n’avait pu faire autrefois. […] Elle a ruiné et démembré la France […]. De là est sorti une nouvelle forme de patriotisme […] devenu l’amour de la France […]. Mais que de choses accomplies par la Révolution ! […] À dater du 22 septembre 1792, notre pays prend le titre de République [...], se donne une constitution régulière […] jusqu’au jour où, malheureusement, la fatigue du peuple qui n’a pas eu le temps de s’attacher aux institutions nouvelles par l’éducation, permet à un ambitieux de tout confisquer. […] À présent, l’égalité a remplacé les privilèges de la naissance […], la liberté du travail et de l’industrie entre dans nos lois […], celle des cultes, de la discussion et de l’enseignement n’est plus contestée. […] La fraternité nationale […] est solidement assise sur l’unité, la fraternité humaine […] a créé l’assistance publique20. »

21Ce culte de l’histoire, cette pédagogie de 1789 et la place qu’il faut lui réserver dans l’éducation renvoient aux réformes scolaires des années quatre-vingt auxquelles Carnot participe, ravi de voir ses idéaux civiques et éducatifs enfin concrétisés.

Le triomphe d’une école enfin républicaine

22Depuis 1848, tous les républicains comme Carnot sont persuadés que le suffrage universel, et donc la démocratie, ne peuvent fonctionner correctement qu’avec une instruction populaire. Or, la génération qui dirige à présent le pays à connu le coup d’État et les plébiscites napoléonien, l’Empire et ses truquages et la longue litanie des déceptions électorales, sans oublier la guerre et la Commune. Ce sont eux, les Grévy, Ferry, Floquet, Sée ou Macé, déjà actifs sous la Seconde République et l’Empire, à présent dans la force de l’âge, qui prennent les rênes du pays à partir de 1878.

  • 21 Tous avaient entre 21 et 30 ans au moment de 1848, sont nés dans les années 1822-1829, suivent don (...)

23Cette génération intermédiaire21 n’a rien oublié des échecs électoraux, des emballements du peuple, de sa fascination pour la démagogie, de sa propension à suivre la propagande de l’homme providentiel. Elle attend le pouvoir depuis si longtemps, a tant lutté, a si souvent été déçue, qu’elle ne veut pas laisser passer l’occasion qui se présente. Rejointe par les gambettistes, elle a compris que la mission première de l’école est d’enraciner la République dans le cœur et l’esprit des Français. Elle doit donc être le centre du système républicain pour forger une nouvelle citoyenneté, comme le pensait Carnot depuis les années trente.

24Le rappel des lois Ferry et des autres textes scolaires de la Troisième République permet de mieux comprendre en quoi ils incarnent la victoire, certes partielle, des idéaux de l’ancien ministre de 1848. Votés entre 1879 et 1886, ils sont l’aboutissement d’un long xixe siècle éducatif que l’on peut même faire remonter à 1789, on l’a vu avec les projets de Lazare Carnot. Chaque régime, chaque ministère a apporté sa pierre à la construction d’un « service public de l’éducation » ou d’une « éducation nationale » et ce mouvement ne s’est jamais arrêté, même pendant les pires moments comme sous Falloux.

  • 22 Il intervient à lui seul dans environ un quart des projets de lois et rapports sur l’éducation pou (...)

25Dans ce continuum, hormis le socle de la loi Guizot, deux temps forts ressortent, les projets Carnot et, bien entendu, et les réalisations de Duruy dont on a dit ce qu’elles doivent aux idéaux de 1848. Mais, même pendant la période d’incertitude institutionnelle de 1871 à 1877, la réflexion éducative ne cessa jamais, notamment avec Waddington et le projet de la Société pour l’Instruction élémentaire. Au contraire, jamais pendant ces sept années, les projets ne furent aussi nombreux, surtout pour l’école primaire. Quelques noms de rédacteurs ressortent comme Bert22, Simon, Sée, Charton, Ferry, Clémenceau, Bardoux, Barni ou Carnot. Tous leurs textes évoquent les thèmes récurrents de la gratuité, de l’obligation, de la liberté d’enseignement, du statut et des rémunérations des enseignants, de leur qualification et de la laïcité, toutes choses évoquées par Carnot. Pendant tout le siècle, et surtout pendant cette dernière période, la France a bien été prise d’une sorte de « frénésie éducative », cherchant des solutions à l’Instruction du peuple, soit pour canaliser « la vile multitude » de Thiers, soit pour l’émanciper en fonction de la couleur des gouvernements.

  • 23 Par Opportunistes, il faut comprendre ceux (Gambetta, Ferry, Freycinet) qui veulent durablement ga (...)

26La période qui suit la Commune est alors celle de l’ultime bouillonnement législatif qui se conclut par les textes fondamentaux de notre école actuelle. Cette frénésie législative, sur fond de demande sociale d’école, couplée aux progrès de l’alphabétisation et aux conséquences des lois antérieures, expliquent la situation que trouvent les républicains « opportunistes »23 en charge de l’école, essentiellement Paul Bert de Jules Ferry. En 1879, près des deux tiers des élèves bénéficient déjà de la gratuité pour le Primaire au titre de l’aide aux plus pauvres et des initiatives communales. Ce mouvement a été continu tout au long du siècle et, depuis la loi Duruy de 1867 dite « des quatre centimes », le nombre d’élèves gratuitement scolarisé a augmenté de moitié, et le mouvement semble irréversible. À la veille du Centenaire de la Révolution, les deux tiers des Français savent donc déjà lire et écrire.

27La Troisième République n’invente donc pas l’école publique et, si Jules Ferry se sait redevable de ses prédécesseurs, il sait que de nombreux problèmes subsistent. Ainsi, les trois quarts des garçons d’âge primaire sont scolarisés dans l’école publique contre seulement un gros tiers des filles. Gratuité et laïcité sont donc liées, notamment pour les filles, et posent en filigrane la question de l’obligation. Dans la France rurale, les travaux des champs et la pauvreté freinent encore la scolarisation, en ville c’est la condition ouvrière qui obère tout, sans même parler des inégalités régionales qui n’on guère changé depuis le début du siècle.

  • 24 Né en 1841, philosophe, inspecteur général de l’éducation en 1878 qui a refusé le serment sous l’E (...)
  • 25 Né en 1833, de cette génération de républicain « médians ». Ce scientifique très laïc, libre-pense (...)

28Il faut donc parachever, systématiser et rationaliser l’œuvre entreprise autour de principes structurants : la liberté, l’obligation, la laïcité, la gratuité, l’égalité, notamment des sexes sous l’égide de l’État, y compris pour les instituteurs. En peu de temps et à la lumière des expériences passées, le système est donc réformé de fond en comble, tout sera revu, le Primaire, la formation des maîtres et les principes directeurs de l’enseignement. Si la figure tutélaire de la période est incontestablement Jules Ferry, auquel on ajoutera Ferdinand Buisson24, on n’oubliera pas Paul Bert25, prédécesseur et successeur de Ferry au ministère de l’Instruction publique et des Cultes de novembre 1881 à janvier 1882. C’est lui qui, dès août 1879 sous le premier ministère Ferry, impose une école normale pour les garçons par département, ce qui était presque déjà fait, mais aussi pour les filles. Les écoles normales de filles passent de vingt-deux en 1879 à quatre-vingt-un vingt ans plus tard, soit autant que celles de garçons. C’est que la formation et la qualité des enseignants est la condition de la réussite du projet républicain : comme le souhaitait Carnot, on entre à l’école normale par un difficile concours, souvent préparé dans le Primaire supérieur. Les enseignants sont ensuite formés en trois ans, professionnellement autant qu’intellectuellement. La vie quasi monacale, en internat, des normaliens, les « hussards noirs » de Péguy, leur rigueur, leur niveau et leur moralité sont assurés par des enseignants, eux-mêmes formés à l’école normale supérieure de Saint-Cloud pour les garçons, fondée en 1882, et de Fontenay pour les filles en 1880. Cette qualité des maîtres doit permettre aux parents d’avoir confiance dans la « nouvelle » école primaire, question déjà soulevée par Carnot, on l’a vu. Ce personnel enseignant sera bien entendu laïc, par respect pour les croyances des familles, grâce à la loi Goblet de 1886.

  • 26 Pour la première citation, Camille Pelletan, cité dans Claude Lelièvre, Histoire des institutions, (...)

29Pour assurer l’égalité, la République décide, au grand dam de l’Église, de parachever l’œuvre de Duruy et créée, dès décembre 1880, des lycées de jeunes filles, car, comme dit Pelletan « la mère enseigne à son fils dans le berceau l’amour, le respect des institutions de la république. C’est [donc] l’instruction de la femme qu’il faut développer ». Et Jules Ferry d’ajouter « c’est pour cela qu’il faut que la démocratie enlève la femme à l’église », avant de conclure, « on ne veut pas de femmes savantes, mais des femmes sachant raisonner26 ».

30Tout cela coûte cher, d’autant que la République lance un vaste programme de construction d’écoles. Elles seront spacieuses, aérées, lumineuses et modernes avec préau, eau courante, chauffage, toilettes, jardin, mobilier adapté et logement de l’instituteur comme l’avait proposé le projet de juin 1848. Et le vote de la première loi Ferry en mars 1882 sur l’obligation scolaire de 6 à 13 ans, qui ajoute 600 000 enfants à scolariser, alourdit encore la facture, sans parler de la loi sur la gratuité de juin 1881. Le budget de l’éducation triple donc en dix ans, ce qui permet de mettre en chantier 20 000 écoles dès la loi de mars 1883, année où 97 % des communes sont à présent dotées d’établissements.

  • 27 En 1840, les effectifs d’été n’étaient que 50 % de ceux d’hiver. La proportion reste de 79 % en 18 (...)
  • 28 Hippolyte Carnot à Goblet, 8 février 1886, AFP/HC/VI/carton A, d1 et Jules Ferry dans Claude Leliè (...)

31La gratuité, en partie déjà réalisée, pose moins de problèmes que l’obligation et la laïcité, même si certains conservateurs la refusent encore au nom de « l’assistanat ». C’est pourtant d’elle que découle l’obligation qui heurte bon nombre de libéraux et tenants des écoles congréganistes qui y voient la fin de la liberté d’enseignement. Mais, seule l’obligation, et donc les sanctions si on la refuse, garantit le droit pour tous à l’instruction malgré les réticences paysannes au moment des travaux d’été27. Elle seule assure l’égalité entre les élèves et n’humilie pas ceux qui ne peuvent payer. Cette obligation, qui concerne la société dans toute sa diversité, implique logiquement la « neutralité religieuse » (Ferry) pour séduire les familles, d’où la laïcité, la grande affaire de l’époque. Pour le ministre, la laïcité va de soi, car « l’instituteur, s’il est professeur de religion, tombera sous la dépendance du ministre des Cultes. […] L’instruction publique doit donc être sécularisée […] comme le sont nos institutions ». Carnot, échaudé par ses expériences passées, la violence des protestations religieuses et le cléricalisme de l’Ordre moral, est à présent sur cette même ligne : « Les congréganistes sont des hommes qui ne sont pas libres d’eux-mêmes. Ils ont accepté un mandat impératif, celui de conduire nos enfants où nous ne voulons pas qu’ils aillent. J’ai donc raison de les récuser pour maîtres28. »

32Dès 1879, les évêques et les pasteurs introduits par Falloux au Conseil supérieur de l’instruction et des Conseils académiques en sont exclus. La collation des grades de l’Université est de nouveau réservée aux facultés d’État et la loi du 26 mars 1882 laïcise les locaux et les programmes. Le projet de 1880 proclame que « l’enseignement religieux ne fera plus partie des matières obligatoires de l’enseignement primaire. Il sera donné en dehors des heures de classe ». Et, si le pouvoir rejette pour l’instant toute idée de séparation de l’Église et de l’État, en estimant que les Français, surtout catholiques, ne le comprendraient pas, il confirme l’interdiction des « congrégations non autorisées ». Cela vise surtout les Jésuites, érigés en adversaires commodes de la République, qui ont trois mois pour se dissoudre, tandis que les autres ordres doivent régulariser leur situation après les lois des 29-30 mars 1880.

33Enfin la loi Goblet d’octobre 1886 laïcise les personnels enseignants, par ailleurs devenus fonctionnaires. Ce dernier projet et la croisade anticongréganiste, voire anticléricale qui embrasent le pays gênent Carnot, homme de consensus et ancien croyant qui avait maintenu dans sa loi un enseignement religieux pluraliste. Ainsi, fin 1879, quand il reçoit un prospectus de l’Union démocratique de propagande anticléricale, dont le président est Hugo, le vice-président Bert et le président du comité Schœlcher, lui demandant d’adhérer au nom de la liberté de pensée, il hésite et décline. Son amour de la liberté le rend moins anticlérical que laïc d’autant qu’il croit toujours en a tempérance de l’homme :

  • 29 Hippolyte Carnot, Réponse au Comité, novembre 1879, AFP/HC/VI/carton A.

« Personne n’est plus sensible que moi à l’émancipation de la pensée par la raison et plus disposé à combattre les prétentions cléricales. Mais par respect précisément de la liberté de penser en matière religieuse, je n’aime pas la circonscrire dans les limites d’une association […]. Je crois au caractère individuel de la manifestation des opinions religieuses, afin de ne pas alimenter l’esprit de secte [il vise les Jésuites], qui est l’un de nos plus dangereux ennemis29. »

34La religion doit pouvoir s’exprimer librement, mais à titre individuel, d’où son malaise vis-à-vis des lois laïques, notamment celle de Goblet. Plus que le fond, c’est la forme qu’il récuse. Certes la loi doit s’appliquer, mais il préfère que la méthode soit progressive et prudente pour rassembler et éviter les violences. Il explique donc sa position directement à l’intéressé :

  • 30 Hippolyte Carnot, Lettre à Goblet, 28 octobre 1886, Idem.

« J’ai voté l’article 17 de votre loi […] qui exclut des écoles les membres des congrégations religieuses et fixe un délai de cinq ans pour les remplacer par des maîtres laïques. J’aurais mieux aimé que l’on ne fît pas cette manifestation brutale et que l’on se bornât à remplacer progressivement les congréganistes par des laïques. […] Cela fournit des arguments à nos adversaires et est nuisible à la République. […] Mais une fois votée, il faut une grande majorité pour lui donner sa force […] Quant à sa (de la loi) justice, elle ne fait cependant aucun doute à mes yeux […]. La lutte laïque entière est empreinte de cet esprit d’exclusion que je n’aime pas30. »

35Mais il est vite rassuré, car le rejet de l’Église de l’école publique n’est pas, pour Ferry, une lutte à mort contre la religion qui reste affaire privée. C’est pourquoi le principe de la liberté d’enseignement, dans le cadre d’écoles privées non subventionnées, n’est nullement remis en cause, ce qui lui convient parfaitement. Et d’ailleurs, en vingt ans, de la loi Bert de 1879 à la veille de la loi 1901, l’Église retrouve toutes ses positions, continue d’ouvrir des écoles privées sans refus de l’État et sans subventions, et double ainsi le nombre de ses élèves, notamment dans le Secondaire. Si l’ambition de la nouvelle école est si élevée, c’est, dit Ferdinand Buisson parce que :

  • 31 Ferdinand Buisson, Discours au « congrès radical » de 1903.

« On ne fait pas un républicain comme on fait un catholique. Pour faire un catholique, il suffit de lui imposer une vérité toute faite, il n’a plus qu’à l’avaler, […] croire et obéir, [suivre une] foi aveugle et une obéissance passive. [...] Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain, […] l’enfant, l’adolescent, la jeune fille, […] le travailleur le plus accablé […] et lui donner l’idée qu’il peut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi, ni obéissance à personne. C’est à lui de chercher la vérité. […] Croire c’est ce qu’il y a de plus facile, penser, c’est ce qu’il y a de plus difficile au monde, […] cela suppose un exercice méthodique et prolongé31. »

36L’école républicaine se fonde bien, comme le dit Carnot depuis si longtemps, sur la raison et la croyance en l’homme libre et émancipé par le savoir. Ce refus du religieux à l’école n’exclut cependant un code éthique de valeurs et de normes car « en morale comme en politique [au sens de philosophie de valeurs], l’État est chez lui, c’est son domaine et sa responsabilité », dit Ferry. Le ministre ajoute :

  • 32 Jules Ferry au « Congrès pédagogique des instituteurs de France », 25 avril 1881, puis 3 avril 188 (...)

« Vous devez enseigner la politique parce que la loi vous charge de donner l’enseignement civique et aussi parce que vous devez vous souvenir que vous êtes les fils de 1789 qui a affranchi vos pères, et que vous vivez sous la République de 1870 qui vous a affranchi vous-mêmes. Vous avez le devoir de faire aimer la République et la première révolution. […] Je voudrais voir tous les manuels d’instruction civique […] pour leur conférer, après examen, droit de cité32. »

  • 33 Paul Bert, L’instruction civique à l’école, notions fondamentales, Paris, Picard, 1882. Les chapit (...)

37L’analogie avec les manuels civiques de Carnot est évidente : l’école retrouve sa vocation civique, patriotique et républicaine pour préparer au bon usage du vote. Carnot félicite ainsi Paul Bert pour son Manuel d’instruction civique à l’école, publié en 1882 et sous-titré : « Par l’école, pour la Patrie ». Certes, le premier chapitre est consacré à l’armée, à la patrie et au service militaire car l’heure est à la préparation de la Revanche, mais les six autres ravissent Carnot, d’autant que la structure du livre lui rappelle d’agréables des souvenirs. Elle est basée sur « une causerie entre le maître et l’élève » qui doit permettre à l’instituteur d’expliquer de manière simple (« je vous le dis mes enfants »), didactique (« vous voyez l’importance du vote ») et interactive (« Monsieur, mon grand-papa disait »), les lois républicaines et les valeurs du régime. La dernière leçon du livre résume tout. Elle s’intitule la Révolution nous a donné la liberté, l’égalité, la fraternité et précise que « les trois parties de la devise républicaine se tiennent ». Carnot apprécie le long développement sur la fraternité qui explique que « nous devons nous aimer les uns les autres […], car la fraternité, c’est la justice [mais] c’est plus que la justice, elle nous enseigne à faire du bien aux autres33 ». Manifestement l’esprit de 1848 survit sous la Troisième République en des termes quasi charitables que ne renie pas l’ancien membre de la Société de la Morale chrétienne.

  • 34 Jules Ferry, Discours au Sénat, 10 juin 1881.

38Quant à la morale civique et républicaine que doivent enseigner les instituteurs à la place des « devoirs envers Dieu », elle est simple et rassurante : « C’est la bonne vieille morale de nos pères, la nôtre, la vôtre, car nous n’en avons qu’une […] et qui doit apprendre la liberté, le devoir, la responsabilité, les devoirs envers soi-même, envers nos semblables, l’humanité, la patrie, la famille34. » Rien de bien irréligieux dit-on à l’époque, sauf dans les milieux monarchistes et catholiques ultramontains, d’autant que l’enseignement de la religion n’est nullement prohibée, à condition d’être hors de l’espace scolaire, le jeudi.

  • 35 Les bataillons scolaires sont créés à l’initiative de Paul Bert par une loi du 6 juillet 1882 : «  (...)

39Ainsi la République entend-elle émanciper les enfants, les responsabiliser et leur permettre de progresser dans la société. Ils étudieront des programmes ambitieux comme ceux de Carnot, autour du pivot qu’est l’Histoire nationale popularisée par Lavisse pour « refaire l’âme nationale » (Ferry). Ils pratiqueront de la gymnastique patriotique, avec les Bataillons scolaires de Paul Bert35 comme le préconisait le fils du Grand Carnot. C’est le début de la « méritocratie républicaine », symbolisée par le Certificat d’études primaire et l’extension du Primaire supérieur, avec son Brevet supérieur, sans oublier un nouvel enseignement professionnel. Pour le reste, le Secondaire reste élitiste (5 % d’une classe d’âge, 2 % de bachelier en 1890), tout comme le Supérieur, malgré des projets de réforme qui n’aboutiront qu’en partie avant la Grande Guerre.

  • 36 Jules Ferry, dans la Revue pédagogique, 1882.

40Même si l’Église est vent debout contre ces lois scolaires que le Pape condamne, surtout celles de mars 1882 et d’octobre 1886, elles suscitent l’adhésion car elles permettent une réelle ascension sociale tout en s’adaptant au capitalisme. Elles consolident le régime et les valeurs des droits de l’homme et libèrent les individus : « Les jeunes générations, nouvelles réserves de la démocratie républicaine, formées à l’école de la science et de la raison opposeront à l’esprit rétrograde l’insurmontable obstacle des intelligences libres et des consciences affranchies36. »

  • 37 Il faudra attendre 1890 et le toast d’Alger du cardinal de La Vigerie pour que l’Église reconnaiss (...)

41C’est bien le souvenir de 1848 et des projets de Carnot qui traverse ces lois qui fondent un régime et une démocratie pour près de soixante-dix ans. On comprend alors l’enthousiasme du vieux sénateur qui les vote toutes. Il sait cependant d’expérience que l’instruction populaire est un long combat dont il risque de ne pas voir l’issue, car les ennemis de la République et de l’école publique sont encore puissants37. Il jette donc ses dernières forces dans la bataille pour faire accepter les principes du gouvernement, et convertir à la République ceux que son ambition scolaire et sa morale peuvent effrayer. C’est aux banquets des anciens de l’École d’administration qu’il explique et prévient :

  • 38 Hippolyte Carnot, Banquet des anciens de l’École d’administration, 8 mars 1881, AFP/HC/VI/carton A (...)

« Nous nous attaquions autrefois au favoritisme et à l’arbitraire, nous avions cent fois raison […] puisque l’arbitraire et le favoritisme sont en pleins désaccords avec les principes d’un gouvernement républicain. Mais c’est long de changer les anciennes habitudes des anciennes sociétés, des régimes despotiques où tout appartient au bon plaisir. […] Or on ne rougit pas de réclamer pour soi-même un passe-droit : il y en a bien qui a été fait pour tel autre ! C’est ainsi que les choses se passent du haut en bas de l’échelle. […] Le solliciteur est atteint de la maladie du temps : il pense ce que pense tout le monde, cela accuse profondément nos mœurs politiques. Voilà pourquoi nous devons faire les vœux et les efforts pour le rétablissement de l’école d’administration38. »

42Bien que flatté de voir tant de ses projets aboutir, Carnot se fatigue de plus en plus et commence à s’absenter du Sénat et de l’Académie à partir de 1885. Il confie dans ses lettres à ses amis et à son épouse sa fatigue de « vieillard ». Ses ultimes années seront donc un mélange de joies privées, de nostalgie publique et de lassitude.

Retour à la famille et timides hommages

43Les dernières années d’Hippolyte Carnot vont être riches en émotions et en sollicitations. Outre ses interventions au Sénat et pour la Seine-et-Oise, il ne cesse pas son action éducative, à présent reconnue par tous. Mais le boulangisme qui menace d’emporter le régime va paradoxalement propulser son fils Sadi au plus haut sommet de l’État.

  • 39 Lettre d’Hippolyte Carnot à Macé, 31 mai 1885, AFP/HC/VI/carton A, d1.

44Pour ce qui est de l’action éducative, le Comité électoral du VIIIe arrondissement qui s’est reconstitué lui demande être son Président honoraire en 1881, au nom de son action pendant le siège de Paris et de ses initiatives pour de « l’éducation populaire et républicaine ». Puis il est nommé Président du Conseil de surveillance du journal Le Siècle. Quatre ans plus tard, après la mort de Victor Hugo, la Ligue de l’enseignement le nomme « Président du Comité d’honneur ». Flatté, il accepte, car « c’est un honneur et une fierté de succéder à Léon Gambetta, Henri Martin et Victor Hugo39 », sans garantir de pouvoir souvent participer aux réunions. Le 12 juillet 1886, il accepte de présider l’ouverture de la séance de l’Alliance scientifique universelle qui tente de fédérer les différents courants ethnographiques.

  • 40 Né en 1855, Jules Roulleau est un sculpteur officiel très prisé par le régime. Il est spécialisé d (...)
  • 41 Pour les citations sur la fête, l’abeille de la nouvelle Orléans, 22 septembre 1882.

45S’il travaille sur l’histoire de sa famille, il se plonge aussi dans l’étude de la Révolution française et reprend ses travaux sur l’Allemagne. Il est invité à Nolay le 3 septembre 1882 pour inaugurer la statue de son père dont le socle est orné de l’expression « l’Organisateur de la victoire ». L’œuvre de Jules Roulleau40 fait ressortir les qualités de Lazare en lui mettant un compas dans une main, une carte militaire dans l’autre et en regroupant des livres à l’arrière de la statue. La cérémonie d’inauguration incarne la continuité de la politique festive républicaine dans une petite ville pavoisée, sur la place où l’on a dressé un mat tricolore orné des lettres « RF ». Les officiels sont en nombre, le sous-secrétaire d’État à l’Instruction publique, le ministre de la Guerre, le préfet, les sous-préfets, le député local Sadi Carnot, les militaires, les pompiers et l’instituteur font face, dans une tribune, à la statue tendue de tricolore. Après les intermèdes musicaux et la sempiternelle Marseillaise, vient l’heure des discours devant la statue dévoilée. Chaque édile fait le sien, mais l’on remarque celui du ministre de la Guerre qui fait, selon la presse locale, un discours opportun : « Lazare Carnot ne songe qu’aux intérêts de la Patrie et exhorte tous les républicains à la concorde, en ce moment où les périls sont moins rapprochés, mais où chacun doit sacrifier ses sentiments particuliers à la République ». Puis Henri Martin, à qui Hippolyte offrira en retour une préface en 1884, fait un grand discours qui retrace la vie et l’œuvre de Lazare, avant de céder la parole aux autorités locales. Chaque passage patriotique des discours est salué de « Vive la République ». Sadi Carnot offre ensuite un banquet de 400 couverts aux militaires, et c’est l’heure des toasts « à la République », « au Président », « aux Carnot » et à « Hippolyte Carnot ». Enfin, Hippolyte Carnot, « très ému et [dont] chacun admire la verte vieillesse41 », prend la parole. Son hommage est un tel exemple d’éloquence civique qu’il deviendra une dictée au certificat d’études des Vosges en 1896 !

  • 42 Hippolyte Carnot, cité dans le Journal des instituteurs, 26 juillet 1896.

« Lorsque des étrangers s’arrêteront devant cette statue, ils demanderont aux habitants de Nolay qui elle représente : un soldat qui servit la France dans les temps les plus difficiles. D’autres diront c’est un bon citoyen, un serviteur de la république. Moi son fils, je vous prie de répondre d’une voix ferme : ce fut un homme de cœur et de bien42. »

  • 43 Logerville, 3 septembre 1882, cité par Charles Rémond, Les trois républiques, op. cit., p. 419.

46Le toast du sous-secrétaire d’État à l’Instruction répond au portrait du père et place le fils dans ses pas : « Je bois à la santé du fils du grand Carnot, au sénateur, au ministre de 1848 qui a donné, l’un des premiers, à cette instruction primaire si indispensable au peuple, une impulsion qui a servi d’exemple à ceux qui l’ont suivi dans cette voie lumineuse et féconde. Je bois à la santé de la famille Carnot, toujours si grande par ses vertus populaires et civiques43. »

  • 44 Mémoires et comptes-rendus des travaux de la société des ingénieurs civils, Paris, Lacroix, 1875, (...)

47C’est à ce double titre d’héritier des Carnot et d’ancien ministre de l’Instruction qu’il est associé à la création de l’école laïque Monge fondée par le polytechnicien et saint-simonien Aimé Godard. Elle entend « réformer les méthodes d’enseignement secondaire en usage aujourd’hui dans l’Université […] pour arriver à une connaissance plus complète des langues et des littératures anciennes et, par conséquent, réserver une part plus considérable à l’étude des langues vivantes et des sciences naturelles et exactes44 ».

  • 45 Gaspard Monge, Bourguignon comme Lazare Carnot, grand mathématicien, ministre de la première Répub (...)
  • 46 Voir Dossier « école Monge », AFP/HC/VI/carton A, d1 et AFP/HC/PR.

48Dès la création de son école en 1869, Godard a contacté Carnot, car Monge45 avait été un ami et collègue de son père. Surtout, le créateur de la nouvelle école connaît les théories éducatives de l’ancien ministre et son amour des langues vivantes. Pendant deux ans, de 1875 à 1877, il sollicite donc son avis pour la construction de l’école, son architecture mais aussi sur le contenu de l’enseignement46.

  • 47 La nature, revue de sciences et de leur application aux arts et aux industries, Paris, Masson, 188 (...)

49Le projet reprend nombre d’idées éducatives de Carnot et des théories architecturales et hygiénistes de l’époque. Le bâtiment, à la conception duquel travaille Gustave Eiffel, est moderne, aéré, clair, spacieux et hygiénique pour répondre à l’adage de l’école : « pour faire de bonnes études, il faut ménager le physique et sauvegarder le moral ». Il a une forme de trapèze rectangle et donne sur le parc Monceau. Sa rotonde de 80 mètres sur 30 est surmontée d’une grande verrière sur une armature en métal ornée de faïence et illumine l’ensemble. Les surveillants peuvent ainsi avoir l’œil sur tous les élèves. Toutes les salles de cours, lumineuses avec leurs grandes fenêtres de quatre mètres sont bien chauffées, éclairées par cinq lampadaires à gaz et donnent sur ce puits de lumière. Une vaste salle en forme d’amphithéâtre est prévue pour les rencontres avec les parents. Le mobilier est adapté aux élèves (quatre tailles de pupitres), les toilettes sont nombreuses, l’internat est vaste avec dix dortoirs pourvus de robinets et pédiluves. Des bains sont prévus tous les quinze jours, une vaste salle de gymnastique est aménagée au sous-sol, avec une cuisine modèle et une infirmerie. Bref, il y a là ce qu’a toujours désiré, pour les petits comme pour les grands, Hippolyte Carnot. Comme le dit la revue La nature, revue de sciences : « Air, espace, propreté, bonne tenue des élèves et du personnel, voilà ce qui caractérise l’école Monge. Quel changement avec les collèges du vieux temps ! […] L’établissement mérite le nom d’état modèle47. »

  • 48 Plan d’étude de l’école, cité par Ferdinand Buisson, Dictionnaire pédagogique, op. cit.
  • 49 Les effectifs sont de 24 à 28 élèves par classe. Le journaliste Gaston Méry, ancien répétiteur de (...)

50L’enseignement enchante aussi Carnot : il est fondé sur une langue allemande enseignée dès sept ans, au même titre que la langue maternelle, avant d’être complété par de l’anglais. Il comporte aussi beaucoup d’histoire, « pour tracer les grandes lignes de notre développement national, y compris les temps modernes48 ». Il n’oublie pas l’éducation physique et gymnique quotidienne, prise en charge par Coubertin avec une visée patriotique évidente. La méthode d’enseignement lui rappelle ses préceptes et ceux de Lazare : des horaires moins chargés que dans les lycées classiques, beaucoup d’observation avec des leçons de chose, de la déduction, de la compréhension, des échanges avec les enseignants dans des classes peu chargées49. L’école, mi-internat, mi-externat, est divisée en trois cycles et prépare aux concours des écoles spéciales de la République comme Polytechnique. On comprend que Carnot ait été invité à son inauguration le 20 mars 1877 et qu’il ait été convié tous les ans à la distribution de ses prix.

  • 50 Paul Cambon, décembre 1885, cité par Jean-Marie Mayeur, Les débuts de la IIIe République, op. cit. (...)

51Outre ces activités, les dernières années de l’ancien ministre sont dominées par la préparation du Centenaire de la Révolution française et les prémices de l’aventure boulangiste. C’est dans ce cadre que « Carnot père » va connaître une de ses plus grandes joies. En effet, depuis la crise économique de 1885, le paysage politique s’est compliqué. La droite, à présent unie, relève la tête et les républicains radicaux progressent aussi, réduisant d’autant la majorité des opportunistes attaqués de toutes parts. Comme le dit alors Paul Cambon, ami d’un Jules Ferry qui a perdu le pouvoir à cause de la question coloniale : « L’impression générale est que la République est au bout du rouleau. Nous aurons l’an prochain des excès révolutionnaires, puis une réaction violente. Qu’en sortira-t-il ? Une dictature quelconque50. » L’ombre des boulangistes va vite planer sur la République.

  • 51 Crée en 1882, son premier président en est Henri Martin. Au départ les ligues patriotes sont dans (...)
  • 52 Carnot conserve une impressionnante documentation sur la Ligue et en reçoit toutes publications (r (...)
  • 53 Voir Brochure de l’association, 1882, AFP/HC/VI/carton D.

52Pour gouverner, les opportunistes sont obligés de passer de laborieuses alliances électorales à la Chambre qui lassent l’opinion, au moment où les « affaires » relancent l’antiparlementarisme. Les ligues nationalistes tonnent contre la mollesse supposée du régime et son peu de patriotisme. La Ligue des patriotes51, la plus virulente, ne laisse pourtant pas indifférent Carnot, qui a reçu de son ami Henri Martin, son fondateur, un bulletin d’inscription, et lit sa presse, notamment Le Drapeau52. Le bulletin montre ce qui peut intéresser le patriote de Seine-et-Oise : « Le seul but de la Ligue est d’entretenir et de développer les forces morales et physiques de la nation. Par l’éducation militaire et patriotique, elle voudrait mettre au cœur de tous, les sentiments de fierté et de bravoure qui sont la première sauvegarde de l’indépendance d’un peuple53. » La ligue compte aussi dans ses rangs de vieilles connaissances comme Ferdinand Buisson ou Félix Faure, président de l’Union des sociétés gymniques de France. Mais elle dérive vite vers une remise en cause de la République et de ses élus et devient un extrémisme que Carnot réprouve.

  • 54 En 1887, Wilson, gendre du président est convaincu de trafic d’influence et, entre autres, de vent (...)
  • 55 Il raye le fils de Louis-Philippe des cadres de militaires, améliore le sort des soldats, modernis (...)
  • 56 Le 8 juillet 1887, les partisans de Boulanger veulent empêcher son départ vers Clermont-Ferrand et (...)

53Et comme le régime déçoit les classes populaires touchées par le chômage, comme la classe moyenne ne progresse pas aussi vite qu’elle l’espérait, le pouvoir est fragilisé et les gouvernements tombent les uns après les autres. C’est dans ce contexte qu’éclate « l’affaire des décorations »54 qui menace le régime et fait tomber le 2 décembre 1887 le président Grévy tout juste réélu. C’est le temps du boulangisme triomphant, autour de l’ancien ministre de la Guerre surnommé le « général revanche »55. Il fédère les mécontentements autour du refus de la République parlementaire « corrompue », exalte le nationalisme, magnifie la revanche, fait appel directement au peuple et développe le culte du chef. Il est très populaire grâce à quelques mesures comme la suppression des exemptions de service militaire des curés qui plaît à Carnot et son intransigeance tranche avec la prudence des Opportunistes. Servi par la presse populaire et les chansons (En revenant de la revue de Paulus est créé pour le 14 juillet 1886 où Boulanger fait un triomphe), il se veut le sauveur autoritaire de la République. Malgré sa mise à l’écart56, il conforte son mouvement à droite en vantant l’autorité du chef et le militarisme et jouant sur la peur du déclin qui séduit Barrès. Mais il séduit aussi une partie de la gauche en prônant l’impôt progressif ou les caisses de retraite. Son mot d’ordre « dissolution, constituante, révision » connaît un succès grandissant. Le « brave général », comme le surnomment ses brochures de propagande, apparaît à la veille de 1887 comme capable de prendre le pouvoir et de renverser le régime parlementaire.

  • 57 Le 3 décembre 1887, le Conseil municipal de Paris installe en plein Hôtel de Ville un bureau révol (...)
  • 58 Dans Les Carnot en Seine-et-Oise, Étampes, Lescène, 1910, p. 12. C’est le président du Conseil qui (...)
  • 59 Cité dans Georges Minart, Clémenceau journaliste, 1841-1929. Les combats d’un républicain pour la (...)

54C’est dans ce contexte que se pose la question du choix du nouveau Président en remplacement de Grévy. L’heure de Ferry semble avoir sonné, mais il cristallise contre lui les haines du peuple et des radicaux depuis la Commune autant que celle des nationalistes qui le surnomment « Ferry-Tonkin » accusé d’avoir troqué la Revanche pour les colonies. Son élection risquant en outre de créer un trouble majeur et peut-être mortel pour le régime57, Clémenceau et les modérés poussent à la candidature Sadi Carnot, député et ministre des Finances de Ferry peu connu, mais à la carrière déjà bien remplie. Si le député de Côte-d’Or a pour lui son nom, il jouit aussi d’une réputation de probité bien utile. Il est un des rares à avoir résisté aux propositions corruptrices de Wilson qui demandait « une restitution de frais pourtant perçus justement par le trésor58 ». Hippolyte Carnot reçoit même une lettre d’un député de l’Isère le félicitant pour la conduite pleine de rigueur de son fils. En outre, malgré son passé estimable en 1870, Sadi n’apparaît pas comme une forte personnalité capable de faire de l’ombre aux caciques du parti. C’est que traduit en termes « confraternels » l’impitoyable Clémenceau : « Votons pour Carnot, il n’est pas très fort, et c’est un parfait réactionnaire, mais il porte un nom républicain et nous n’en avons pas d’autre59. »

  • 60 Hippolyte Carnot cité dans Anonyme, Une famille républicaine, op. cit., p. 107.

55Dès lors, son élection est un jeu d’enfant : au premier tour, il obtient un tiers des voix du Congrès et Ferry à peine un quart. Au second tour, Freycinet et Ferry se désistent : il obtient alors 616 voix, soit les trois quarts des votants. Hippolyte Carnot, qui siège à la séance du Congrès qui nomme son fils Président a donc, en tant que doyen d’âge, le rare privilège de proclamer les résultats de l’élection présidentielle, lui aurait pu être le premier président républicain de la famille. Plus ému qu’il ne veut le montrer, gardant une « apparence impassible » (Lefèvre-Pontalis), il glisse alors à son fils les mots suivants : « Quel bonheur pour moi, mon cher enfant ! Maintenant c’est toi qui doit t’appeler Carnot, car à partir de ce jour, tu es devenu le chef de la famille60. »

La fierté d’un père : Sadi Carnot, président de la République

  • 61 Hippolyte Carnot à Léon Say, réponse à la lettre du 1er novembre 1887, AN 108 AP 2.
  • 62 Hippolyte Carnot, Les premiers échos de la Révolution française au delà du Rhin, Paris, Picard, 18 (...)
  • 63 Hippolyte Carnot, Notes préparatoires à l’ouvrage sur l’Allemagne, sans doute vers 1882, AN 108 AP (...)

56Outre cet accomplissement familial, l’ultime joie du vieux sénateur reste l’histoire de 1789 et son Centenaire tout proche. Il continue ses activités au sein de la Société d’histoire de la Révolution française et de l’Académie des sciences morales. Depuis 1886, il préside même la commission instituée par René Goblet, ministre de l’instruction publique, pour la « publication des documents inédits relatifs à l’histoire de la Révolution française ». Il reçoit toute la documentation possible sur le Centenaire qui se prépare et est associé aux fêtes de Seine-et-Oise. Le sénateur du département l’invite ainsi au banquet commémoratif de 1789 prévu à Versailles en novembre 1888. L’ancien député accepte avec joie : « Je m’associe donc avec empressement à cette célébration d’une date glorieuse pour notre département de Seine-et-Oise et plus encore pour la France, dont elle a déterminé l’avenir social et politique61. » C‘est dans cette atmosphère exaltée et patriotique qu’il prépare un texte sur Les premiers échos de la Révolution française au-delà du Rhin. Il en réserve la primeur à l’Académie pour sa séance du 11 février 1888. Dans son texte, éclairé par sa parfaite connaissance de l’histoire allemande, il démontre que les intellectuels allemands avaient été enthousiasmés par la Révolution française, ses combats et ses valeurs. Et que le peuple français, « fier de proclamer sa volonté de n’attenter à la liberté d’aucun autre peuple » n’avait aucune haine contre les Allemands. Mais il montre aussi que c’est l’agression française et la guerre de conquête de la fin 1792, qui était dirigée non contre la nation allemande, mais contre les rois, qui ont changé la donne. Ce qu’il appelle « nos convulsions » ont discrédité la France et mis fin à une union politique et morale des deux pays qui aurait pu changer le monde. Toute la suite était écrite, y compris le Consulat qui « mécontenta les amis de la liberté des deux pays », sans parler des conquêtes de l’Empire napoléonien. Dès lors, l’humiliation des vaincus par les vainqueurs « aliéna à la France des cœurs qui avaient été les plus sympathiques », et les patriotes allemands, pour relever le pays firent « appel à des excès du sentiment national ». Ainsi, un peuple, autrefois favorable à la Révolution, fut « dressé à la haine […] et devint notre implacable ennemi62 ». Carnot n’hésite donc pas à montrer la responsabilité de la France dans la brouille avec l’Allemagne, même s’il explique, à propos de 1870, que « la guerre est sortie dans une terre de mensonge et d’intrigue » et que « la campagne de France était préparée depuis longtemps63 ». C’est une position assez courageuse, dans un pays dominé par l’idée de Revanche et elle témoigne de la force de caractère de celui que ses collègues de l’Académie n’appellent plus que « l’Ancêtre ».

57Le vénérable sénateur commence l’année 1888 par son traditionnel discours de rentrée au Sénat qui sonne après coup comme un véritable testament politique. Alors que le boulangisme continue de gagner en audience et que les divisions de la majorité restent nombreuses et abjure la majorité de rester unie. Il dresse un bilan de la législature, vante les principes républicains en partant de l’exemple de son fils et évoque en des termes énergiques et volontaires, surtout pour un homme aussi âgé, l’avenir du régime :

  • 64 Hippolyte Carnot, allocution au Sénat, 10 janvier 1888 dans Charles Rémond, Les trois républiques, (...)

« Il s’agit de renoncer au criminel fractionnement qui affaiblit la République. […] Si le congrès du trois décembre a voulu par son choix manifester un vœu de paix intérieure et extérieure, s’il a voulu faire entendre que les lois doivent être respectées et le drapeau républicain tenu d’une main ferme, il ne s’est pas trompé [avec Sadi Carnot]. […] Ce que demande le pays, c’est la sécurité nécessaire au travail, c’est de pouvoir se fier à une administration inflexiblement honnête, économe des deniers publics stables. À l’activité du jour, il faut l’assurance du lendemain. […] Gardons-nous de blâmer les grandes aspirations, ce sont elles qui éveillent la raison publique […], il importe surtout aux véritables âmes bien trempées de penser à l’avenir64. »

58L’élection de son fils à la magistrature suprême semble avoir décuplé ses forces et il projette le régime dans un futur qu’à l’évidence, l’école et la jeunesse incarnent toujours. Cette référence aux grands idéaux est aussi un hommage à sa chère révolution de 1848 et à l’esprit de Février. Il a alors d’autant plus de mérite que sa santé, fragile depuis 1871, se dégrade rapidement. Il est de plus en plus souvent alité comme à l’hiver 1887 où il est contraint de rester à Savignat pour se soigner.

Le sage de la République : Hippolyte Carnot en 1887 (Photographie de Mourgeon, 1887, dans Hippolyte Carnot, Mémoires sur Lazare Carnot)

  • 65 Lettre d’Hippolyte Carnot à Adolphe Carnot, 15 mars 1888, AFP/HC/VI/carton A, d2.

59Mais, le jour prévu pour la lecture de son texte, Hippolyte Carnot fait annoncer à l’Académie qu’il est souffrant et viendra plus tard. Le 15 mars 1888, il écrit ses derniers mots à son fils Adolphe : « L’état de faiblesse où je suis depuis ce matin me fait trop sentir que je ne suis qu’un octogénaire : ma tête est dans un triste état et je puis à peine lire des yeux ces lignes65. » Veillé par sa fidèle épouse, il s’éteint dans l’après-midi à son domicile parisien d’une « fluxion de poitrine ». C’est son vieux complice Jules Simon qui, à la demande de sa famille et comme il l’aurait sans doute souhaité, lira le 28 avril à l’Académie son texte sur les échos de la Révolution en Allemagne.

  • 66 Voir les grandioses funérailles d’Hugo et sa « panthéonisation » immédiate le 31 mai 1885. Voir Av (...)

60La nouvelle de la mort du vieux sénateur arrive dans un contexte troublé : le 14 mars, la veille de son décès, son fils Sadi a formé un cabinet qui témoigne de son caractère bien trempé. Il a mis Boulanger en retrait d’emploi, puis à la retraite définitive dix jours plus tard. Furieux, le général décide de se lancer en politique pour toutes les élections partielles du mois suivant et son ascension mobilise toute la classe politique. Le Président et le gouvernement n’ont alors ni le temps, ni l’envie de rallumer un nouveau foyer de querelles en honorant un ancien ministre de l’Instruction et « révolutionnaire » social. La République, pourtant experte en hommages nationaux à ses fondateurs66, ne lui fait donc ni funérailles, ni hommage de la Nation.

  • 67 Discours de Francisque Bouiller aux funérailles de Carnot, 20 mars 1888, AFP/HC/VI/carton A, d2.

61Un bel éloge lui est quand même rendu au Sénat le 19 mars 1888, qui insiste sur l’héritage paternel et la « modestie de son existence, qualité précieuse ». Après des obsèques religieuses à Saint-Philippe-du-Roule, dans son VIIIe arrondissement, il est inhumé au Père-Lachaise le 20 mars 1888 juste derrière la tombe de Chopin, hommage involontaire au saint-simonisme et à la Pologne. Le Président Carnot est présent avec toute la famille, et il rentre discrètement dans l’église par une porte dérobée, pour ne pas froisser les traditions laïques. Au cimetière, on remarque la présence de Jules Ferry, qui reste peu de temps, de Charton, Simon et Corbon et des représentants du Sénat et de l’Académie. C’est d’ailleurs le vice-président de cet auguste cénacle qui fait le discours d’hommage. Il témoigne du renom d’Hippolyte autant que de l’ambiguïté de l’héritage de 1848 en magnifiant « ce noble vétéran de la démocratie et de la République qui […] n’a jamais varié dans sa foi politique ». L’académicien évoque ensuite 1848 : « Loin de moi l’idée d’approuver et de faire l’éloge de la révolution de 1848. […] Mais à certains égards, qui ne sont pas les moins importants, elle manifesta plus de respect pour la liberté, plus d’esprit de tolérance que les républicains d’avant et d’après. […] Carnot pendant son passage au ministère s’inspira de cet esprit de tolérance envers les hommes et les croyances67. » Quatre jours plus tard, c’est Charton qui intervient à l’Académie pour souligner la dimension spiritualiste de Carnot, en se fondant sur son passage à la Société de la morale chrétienne et sur l’héritage saint-simonien, comme si la boucle de vie de Carnot était bouclée.

  • 68 Né en 1828, opposant à l’Empire, il défendit Victor Noir à son procès en 1870, participe à la défe (...)

62Mais l’ambiance n’est pas à l’union autour d’un défenseur de l’école publique et des politiques sociales. Le jour de son enterrement, le président du conseil Charles Floquet68, ancien élève de l’École d’administration, irréductible ennemi des boulangistes et ami d’Hippolyte Carnot depuis le Second Empire, est pris à partie, molesté et insulté par des partisans de Boulanger. Il doit précipitamment quitter les lieux, suivi par Ferry et met ainsi fin à l’hommage officiel du régime à l’un de ses inspirateurs.

63Puis, dans une République minée par les crises boulangiste et dreyfusarde, le silence se fait sur Hippolyte Carnot. Son nom évoque alors plus son fils, assassiné le 24 juin 1894 à Lyon, que lui, héros lointain de 1848 et souvenir embarrassant des espoirs et massacres de Juin. Même au temps du renouveau de la lutte scolaire et laïque en 1904 et 1905, il n’est plus guère mentionné que comme le fils de « l’organisateur de la victoire » sanctifié par l’histoire officielle et scolaire de Lavisse. Ainsi, après sa mort, le nom d’Hippolyte Carnot resta marqué du sceau de la légende familiale, lui qui toute sa vie durent avait tenté d’honorer l’esprit de son père tout en affirmant sa propre originalité. Son incessant combat pour une éthique publique à travers l’école, la République et la défense de toutes les libertés, n’avait pas réussi à le distinguer d’une si célèbre lignée.

Notes

1 Dans la première série de mesures figure le retrait de la collation des grades décernés par des jurys composés de professeurs d’écoles libres et publiques. Apparaît également l’obligation pour les étudiants de prendre leurs inscriptions dans les établissements publics.

2 Étienne de Voisins-Lavernière, sénateur de centre gauche du Tarn, ancien quarante-huitard pourtant. Il ajoutait même : « La menace, dit-il, n’est pas une raison de droit ».

3 Jules Ferry et Camille Pelletan, débats sur la loi de 1880 : http://www.senat.fr/evenement/archives/D42 (1er juin 2010).

4 Jules Ferry, discours du 27 juin 1879. Dans Paul Robiquet, Discours et opinions de Jules Ferry, Paris, Armand Colin, 1893-1898. Voir le Tome III, p. 61-95.

5 Jules Ferry à son épouse, 4 juin 1877, Jean-Marie Mayeur, Les débuts de la IIIe République, op. cit., p. 112. Lettre aux instituteurs, 17 novembre 1883, Paul Robiquet, Discours, op. cit., t. IV, p. 259-267.

6 Lettre de Jules Ferry à Carnot, 17 juillet 1880, puis réponse le 21 juillet, AFP/HC/VI/carton C, d5.

7 François Carnot explique qu’Hippolyte, quand il résidait à Presles avait l’habitude de s’asseoir sur un banc devant l’école de la Ferté-Alais et d’interroger quelques enfants à la sortie des classes pour vérifier l’efficacité de l’école publique. AFP/HC/VI/carton C, d7.

8 Carnot, L’Union libérale et démocratique de la Seine-et-Oise, 24 août 1879, AFP/HC/PR, carton C, d6-7.

9 Discours de Carnot, L’Abeille d’Étampes, du 24 août 1884, AFP/HC/PR et carton C.

10 André Lefèvre-Pontalis, Notice sur Hippolyte Carnot, Paris, Picard, 1891, p. 46.

11 M. Bouillier, Discours aux funérailles de Carnot, 20 mars 1888. AFP/HC/VI/carton A, D 2.

12 Texte de la proposition de loi sénatoriale, Sénat, no 45, exposé des motifs, AFP/HC/VI/carton A, d2.

13 Ferry parle des « races supérieures [qui] ont un droit vis-à-vis des races inférieures parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. [...] Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation. »

14 Hippolyte Carnot, discours du 30 mars 1885 dans Charles Rémond, Les trois républiques, op. cit., p. 426.

15 Docteur Hamy, « Les origines du musée ethnographique », Paris, Histoire et documents, 1890, p. 290.

16 Son successeur après sa mort sera son ami Charton.

17 Notice pour la revue « Révolution française, revue historique », Charavey, 1881, AFP/HC/VI/carton A, d1.

18 Reste le problème de la Terreur, au moment où l’on parle du « bloc » révolutionnaire. Carnot considère que la Terreur est un dévoiement de la République, même si la guerre y entre pour une large part d’après lui.

19 Une première version sort chez en 1784, puis fin 1878, vite suivie d’une autre en 1881-1882. L’ouvrage qui connaît un fort succès sera republié en 1883 dans la « bibliothèque d’histoire contemporaine ».

20 Hippolyte Carnot, « Introduction et conclusion » de la Révolution française, Paris, « Bibliothèque utile », Pagnerre, 1878. C’est l’auteur qui met les trois mots en italique.

21 Tous avaient entre 21 et 30 ans au moment de 1848, sont nés dans les années 1822-1829, suivent donc les quarante-huitards plus âgés (nés dans les années 1780-1810) comme Carnot, Favre, Ledru-Rollin et Schoelcher et précèdent les plus jeunes (nés dans les années 1835-1845) comme Gambetta et Pelletan ou Spuller.

22 Il intervient à lui seul dans environ un quart des projets de lois et rapports sur l’éducation pour la période 1876-1878, d’après une étude de tous les projets présentés dans l’ouvrage de Gréard. Quant à Barni, son projet du 23 mars comportait 123 articles, et celui du 1er décembre 1877, cosigné des plus grands députés républicains, (dont les quarante-huitards Blanc, Nadaud et Raspail) et reprenait tous les projets du xixe siècle, qu’il comparait à ses 136 articles novateurs. Voir Octave Gréard, La législation de l’instruction, op. cit., t. IV.

23 Par Opportunistes, il faut comprendre ceux (Gambetta, Ferry, Freycinet) qui veulent durablement gagner le pays à la République par des réformes progressives et qui s’adaptent aux circonstances, d’où leur sobriquet, pour rassurer les « couches nouvelles ». Ils gouvernent le pays de 1879 à 1885/1889.

24 Né en 1841, philosophe, inspecteur général de l’éducation en 1878 qui a refusé le serment sous l’Empire, auteur du fameux dictionnaire de pédagogie, publié de 1882 à 1887. C’est un fervent laïc, pédagogue et défenseur des femmes. Sous Ferry, il est à la Direction de l’enseignement primaire et y reste jusqu’en 1896

25 Né en 1833, de cette génération de républicain « médians ». Ce scientifique très laïc, libre-penseur voire anti-clérical, écrit aussi de nombreux manuels scolaires et est partisan, comme Ferry de la colonisation.

26 Pour la première citation, Camille Pelletan, cité dans Claude Lelièvre, Histoire des institutions, op. cit., p. 95 et la seconde Jules Ferry, discours de la salle Molière, avril 1870.

27 En 1840, les effectifs d’été n’étaient que 50 % de ceux d’hiver. La proportion reste de 79 % en 1879.

28 Hippolyte Carnot à Goblet, 8 février 1886, AFP/HC/VI/carton A, d1 et Jules Ferry dans Claude Lelièvre, Histoires des institutions, op. cit.

29 Hippolyte Carnot, Réponse au Comité, novembre 1879, AFP/HC/VI/carton A.

30 Hippolyte Carnot, Lettre à Goblet, 28 octobre 1886, Idem.

31 Ferdinand Buisson, Discours au « congrès radical » de 1903.

32 Jules Ferry au « Congrès pédagogique des instituteurs de France », 25 avril 1881, puis 3 avril 1883.

33 Paul Bert, L’instruction civique à l’école, notions fondamentales, Paris, Picard, 1882. Les chapitres sont I : Le service militaire, la patrie, II : L’impôt, III : La justice, IV : Les lois, le gouvernement et le parlement, V : État, communes, département, administration, VI : Liberté, égalité, fraternité, VII : La Révolution.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75550j.image.f181, consulté le 4 juin 2010.

34 Jules Ferry, Discours au Sénat, 10 juin 1881.

35 Les bataillons scolaires sont créés à l’initiative de Paul Bert par une loi du 6 juillet 1882 : « Tout établissement public d’instruction primaire ou secondaire ou toute réunion d’écoles publiques comptant de deux cents à six cents élèves âgés de douze ans et au-dessus pourra, sous le nom de bataillon scolaire, rassembler ses élèves pour les exercices gymnastiques et militaires pendant toute la durée de leur séjour dans tous les établissements d’instruction. » Les enfants reçoivent des uniformes et répliques de fusils (certains peuvent tirer pour les plus de 14 ans). Ils sont les vedettes des 14 juillet et incarnent « la Revanche qui passe ». Mais l’expérience est abandonnée en 1892 pour des raisons philosophiques et pratiques (rôle concurrent des enseignants, gymnastes et militaires). Voir Albert Bourzac, « Les Bataillons scolaires, naissance, développement, disparition », dans Pierre Arnaud (dir.), Les athlètes de la république, gymnastique, sport et idéologie républicaine, 1870-1914, Toulouse, Privat, 1984, p. 41-63.

36 Jules Ferry, dans la Revue pédagogique, 1882.

37 Il faudra attendre 1890 et le toast d’Alger du cardinal de La Vigerie pour que l’Église reconnaisse officiellement la République et, dès le lendemain de la mort d’Hippolyte, ce sera l’affaire Boulanger qui manquera d’emporter le régime et son président, Sadi Carnot.

38 Hippolyte Carnot, Banquet des anciens de l’École d’administration, 8 mars 1881, AFP/HC/VI/carton A, d1.

39 Lettre d’Hippolyte Carnot à Macé, 31 mai 1885, AFP/HC/VI/carton A, d1.

40 Né en 1855, Jules Roulleau est un sculpteur officiel très prisé par le régime. Il est spécialisé dans les statues historiques (Jeanne d’Arc à Chinon) ou de scientifiques et intellectuels.

41 Pour les citations sur la fête, l’abeille de la nouvelle Orléans, 22 septembre 1882.

42 Hippolyte Carnot, cité dans le Journal des instituteurs, 26 juillet 1896.

43 Logerville, 3 septembre 1882, cité par Charles Rémond, Les trois républiques, op. cit., p. 419.

44 Mémoires et comptes-rendus des travaux de la société des ingénieurs civils, Paris, Lacroix, 1875, p. 313.

45 Gaspard Monge, Bourguignon comme Lazare Carnot, grand mathématicien, ministre de la première République, ami de Fourcroy travailla aussi sur des projets de réformes éducatives pendant la Révolution.

46 Voir Dossier « école Monge », AFP/HC/VI/carton A, d1 et AFP/HC/PR.

47 La nature, revue de sciences et de leur application aux arts et aux industries, Paris, Masson, 1884, site du CNAM. http://cnum.cnam.fr/ILL/4KY28.23.html. Consulté le 8 juin 2010.

48 Plan d’étude de l’école, cité par Ferdinand Buisson, Dictionnaire pédagogique, op. cit.

49 Les effectifs sont de 24 à 28 élèves par classe. Le journaliste Gaston Méry, ancien répétiteur de l’école, ami de Drumont, parlera en 1890 de Monge en la traitant « d’école où l’on s’amuse » dans un ouvrage éponyme. Voir André Giordan, « L’architecture au service des élèves », Bulletin CIIP, no 15, décembre 2004.

50 Paul Cambon, décembre 1885, cité par Jean-Marie Mayeur, Les débuts de la IIIe République, op. cit., p. 166.

51 Crée en 1882, son premier président en est Henri Martin. Au départ les ligues patriotes sont dans la droite ligne du gouvernement opportuniste pour préparer la Revanche et « développer les forces morales et physiques de la nation ». Mouvement de masse (182 000 membres dans les années 1890), elles se radicalisent avec Déroulède, son président dès 1885 et ancien combattant de 1870. Elles s’engagent alors contre la République jugée trop faible, trop démocratique et corrompue, et qui a troqué la Revanche pour les colonies.

52 Carnot conserve une impressionnante documentation sur la Ligue et en reçoit toutes publications (revue Le drapeau, chant Le réveil de la France) qu’il annote soigneusement. Il reçoit aussi les Echos de l’Alsace-Lorraine et Les souvenirs de la patrie. Carnot souscrit à la Société, mais n’y adhère pas formellement.

53 Voir Brochure de l’association, 1882, AFP/HC/VI/carton D.

54 En 1887, Wilson, gendre du président est convaincu de trafic d’influence et, entre autres, de vente de décorations (notamment de la Légion d’honneur) données par son beau-père, Grévy, qui doit démissionner.

55 Il raye le fils de Louis-Philippe des cadres de militaires, améliore le sort des soldats, modernise l’armement rend la troupe visible (rétablissement de la revue du 14 juillet), réduit le service militaire à trois ans, supprime les exemptions, fait un usage modéré de la force face aux grévistes et tient des propos anti-allemands.

56 Le 8 juillet 1887, les partisans de Boulanger veulent empêcher son départ vers Clermont-Ferrand et chantent les vers suivants : « Il reviendra quand le tambour battra/quand l’étranger menacera notre frontière/il reviendra et chacun le suivra/pour cortège il aura la France entière ».

57 Le 3 décembre 1887, le Conseil municipal de Paris installe en plein Hôtel de Ville un bureau révolutionnaire décidé à proclamer la Commune si Jules Ferry avait été élu président de la République. Cela aurait à coup sûr déclenché des affrontements, voire une guerre civile. Quelques manifestations de gauche et anti-Ferry ont lieu la nuit du 2 au 3 décembre et le Cri du peuple titre : « si Ferry est élu, les fusils partiront tout seuls ».

58 Dans Les Carnot en Seine-et-Oise, Étampes, Lescène, 1910, p. 12. C’est le président du Conseil qui fit cette révélation à la Chambre le 5 novembre 1887. Carnot fut acclamé et la chose bienvenue en ces temps d’affaires.

59 Cité dans Georges Minart, Clémenceau journaliste, 1841-1929. Les combats d’un républicain pour la liberté et la justice, Paris, L’harmattan, 2005, p. 80.

60 Hippolyte Carnot cité dans Anonyme, Une famille républicaine, op. cit., p. 107.

61 Hippolyte Carnot à Léon Say, réponse à la lettre du 1er novembre 1887, AN 108 AP 2.

62 Hippolyte Carnot, Les premiers échos de la Révolution française au delà du Rhin, Paris, Picard, 1888, AN 108 AP 2.

63 Hippolyte Carnot, Notes préparatoires à l’ouvrage sur l’Allemagne, sans doute vers 1882, AN 108 AP 2.

64 Hippolyte Carnot, allocution au Sénat, 10 janvier 1888 dans Charles Rémond, Les trois républiques, op. cit., p. 476.

65 Lettre d’Hippolyte Carnot à Adolphe Carnot, 15 mars 1888, AFP/HC/VI/carton A, d2.

66 Voir les grandioses funérailles d’Hugo et sa « panthéonisation » immédiate le 31 mai 1885. Voir Avner Ben-Amos, « Les funérailles de Victor Hugo, apothéose de l’événement spectacle » dans Pierre Nora (dir.) Les lieux de mémoire, T.I « La République », Paris, Gallimard, 1984, p. 473-522.

67 Discours de Francisque Bouiller aux funérailles de Carnot, 20 mars 1888, AFP/HC/VI/carton A, d2.

68 Né en 1828, opposant à l’Empire, il défendit Victor Noir à son procès en 1870, participe à la défense de la capitale s’oppose aux conditions de paix en 1871 et siège à l’extrême gauche puis avec les radicaux.

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Légende La fierté d’un père : Sadi Carnot, président de la République
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Légende Le sage de la République : Hippolyte Carnot en 1887 (Photographie de Mourgeon, 1887, dans Hippolyte Carnot, Mémoires sur Lazare Carnot)
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